Chapitre 2 Anomalies Du Bilan Du Sodium Troubles de L'hydratation Extracellulaire

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CHAPITRE

2
Anomalies du bilan
du sodium : troubles
de l’hydratation
extracellulaire

PLAN DU CHAPITRE
j Généralités
j Homéostasie du sodium
� Bilan du sodium
� Transport rénal du sodium
� Régulation du bilan du sodium
j Hyperhydratation extracellulaire isolée
� Présentation clinique typique et physiopathologie
� Étiologie des syndromes œdémateux
� Traitement des syndromes œdémateux
j Déshydratation extracellulaire isolée
� Présentation clinique typique et physiopathologie
� Étiologie
� Traitement

Les troubles hydro-électrolytiques faciles


© 2019, Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
18 Les troubles hydro-électrolytiques faciles

Généralités
Tout trouble de l’hydratation correspond à une anomalie du bilan de l’eau et du
sodium.
j
L e trouble de l’hydratation est purement extracellulaire si les gains ou les
pertes de sodium et d’eau ne modifient pas l’osmolalité plasmatique
du secteur extracellulaire : ce chapitre.
j
Le trouble de l’hydratation est intracellulaire ou global si les gains ou
les pertes entraînent une modification de l’osmolalité plasmatique du
secteur extracellulaire : cf. chapitre 3.

Comment évaluer le compartiment extracellulaire ?


Le tableau 2.1 décrit les signes permettant d’apprécier l’état du secteur extracel-
lulaire.
j
Un gain de Na+ est associé à une augmentation du volume du secteur

extracellulaire. Les œdèmes (ultrafiltrat plasmatique) sont un indicateur
clinique du contenu en sel de l’organisme, témoin clinique de l’hyper-
hydratation extracellulaire (HEC).
j
Une perte de Na+ est associée à une diminution du volume du secteur
extracellulaire. Le pli cutané ou l’hypotension orthostatique sont des
indicateurs cliniques du contenu en sel de l’organisme, témoin clinique
de la déshydratation extracellulaire (DEC).

Tableau 2.1. Signes évoquant un trouble de l’hydratation extracellulaire.


Hyperhydratation extracellulaire Déshydratation extracellulaire
Poids ↑ ↓
Clinique • Œdèmes périphériques • Pli cutané
• Œdème pulmonaire • Hypotonie des globes oculaires
• Anasarque • Veines superficielles aplaties
• HTA • Hypotension (orthostatique)
• Tachycardie
• Veine cave inférieure compliante • Réduction du calibre de la veine
à l’échographie cave inférieure à l’échographie
Paraclinique • Protides, hématocrite ↓ • Protides, hématocrite ↑
• Natrémie normale • Natrémie normale
• Tonicité plasmatique normale • Tonicité plasmatique normale
• Natriurèse variable selon la
cause rénale ou extrarénale
Fonction rénale • IRA fonctionnelle • IRA fonctionnelle
IRA, insuffisance rénale aiguë.
Anomalies du bilan du sodium : troubles de l’hydratation extracellulaire 19

Les résultats biologiques, en particulier les examens d’urines sur échantillon, doi-
vent être obtenus avant la mise en route du traitement pour analyser correcte-
ment le trouble de l’hydratation.

Homéostasie du sodium
Bilan du sodium
j Les entrées de sodium sont alimentaires :
Ÿ elles varient entre 100 et 200 mmol par jour (soit 6 à 12 g par jour) ;
Ÿ environ la moitié de ces apports est liée au sel de cuisine, mais le sodium est
présent dans de très nombreux aliments ;
Ÿ un régime sans sel strict apporte au maximum 2 g de sel par jour, un régime
hyposodé 4 à 6 g par jour.
j L’absorption digestive de sodium :
Ÿ a lieu dans l’intestin grêle et, à un moindre degré, dans le côlon ;
Ÿ est couplée à celle du glucose grâce au transporteur SGLT1.
j Les sorties de sodium sont :
Ÿ extrarénales : faibles et non régulées (concentration de sodium de 5 mmol/l
dans les selles et de 20 mmol/l dans la sueur) ;
Ÿ rénales : importantes et régulées.

De ce fait, l’excrétion urinaire de Na+ est considérée comme égale aux
apports de Na+.

Le rein est donc le lieu de la régulation du bilan sodé et est capable de s’adapter
aux apports (figure 2.1).
Toutefois, ce dogme du rein comme seul organe impliqué dans la régulation du
bilan du sodium a été ébranlé par des travaux récents pointant le rôle des cellules
immunitaires et des vaisseaux lymphatiques dans le contrôle du volume extra-
cellulaire.
Facteurs de conversion
Sel :
1 g de sel de cuisine
= 400 mg de Na+ + 600 mg de Cl–
= 17 mmol de Na+ + 17 mmol de Cl–
Sodium :
j mg/l × 0,043 → mmol/l
j mmol/l × 23 → mg/l
Chlorure :
j mg/l × 0,028 → mmol/l
j mmol/l × 35,4 → mg/l
20 Les troubles hydro-électrolytiques faciles

Figure 2.1. Homéostasie du sodium : le rôle du rein.


Le rein adapte l’élimination des sorties aux entrées : l’excrétion fractionnelle de sodium
augmente ou diminue selon les apports.
Charge filtrée = Natrémie × DFG.
Charge excrétée = Natriurie × Débit urinaire.
EF (excrétion fractionnelle) du sodium (cf. Annexe), notée parfois
Charge excrétiée Natriurie × Debit urinaire Natriurie × Créatininémie
FENa = = =
Charge filtrée Natrémie × DFG Natrémie × Créatininurie
(Source : Bruno Hurault de Ligny.)

Transport rénal du sodium


j Le site principal de réabsorption du sodium est le tube contourné proximal
(60 %) :
Ÿ cette réabsorption est iso-osmolaire (environ les deux tiers du sodium et
de l’eau filtrés sont réabsorbés dans ce segment) ;
Ÿ elle fait appel à de nombreux transporteurs situés au pôle apical des cel-
lules : cotransporteurs sodium-acides aminés, sodium-glucose, sodium-phos-
phate, antiport Na+/H+ (NHE3) ;
Ÿ l’énergie est fournie par la pompe Na+/K+-ATPase située au pôle basal, et
ce, dans tous les segments du néphron ;
Ÿ la réabsorption n’est pas régulée à ce niveau mais est modulée par la balance
glomérulo-tubulaire et par l’angiotensine II ;
Anomalies du bilan du sodium : troubles de l’hydratation extracellulaire 21

Ÿ cette balance glomérulo-tubulaire permet au tube contourné proximal de


réabsorber toujours 60 % du sodium filtré, quel que soit le débit de filtration
glomérulaire (DFG). Elle permet ainsi, par exemple, d’éviter une rétention
hydrosodée majeure quand le DFG diminue ou des pertes urinaires impor-
tantes quand le DGF augmente.

Pour comprendre
Le mécanisme de la balance glomérulotubulaire
La filtration glomérulaire crée un filtrat dépourvu de protéines et, au
contraire, concentre les protéines dans l’artériole efférente, d’autant plus
que le DFG est élevé. La pression oncotique dans les capillaires péritubu-
laires qui dérivent de l’artériole efférente est donc élevée et liée directement
au DFG. La réabsorption hydrosodée dans le tube contourné proximal,
dépendant de la pression oncotique péritubulaire, augmente alors propor-
tionnellement au DFG.

j 25 % de la réabsorption sodée a lieu dans la branche large ascendante de l’anse


de Henlé :
Ÿ elle est assurée par le cotransporteur Na-K-2Cl (NKCC2) ;
Ÿ ce cotransporteur est inhibé par le furosémide (diurétique de l’anse, cf. cha-
pitre 12).
j Environ 8 % du sodium filtré est réabsorbé au niveau du tubule contourné
distal :
Ÿ cette réabsorption est assurée par le cotransporteur Na-Cl (NCC) ;
Ÿ ce cotransporteur est inhibé par les diurétiques thiazidiques.
j Le reste du sodium filtré est réabsorbé par la fin du tubule distal et le tube
collecteur :
Ÿ la réabsorption est assurée par le canal sodique épithélial (ENaC) sensible
à l’amiloride ;
Ÿ elle est indépendante, à ce niveau, de la réabsorption de l’eau ;
Ÿ et elle est régulée par l’aldostérone.
La figure 2.2 schématise les sites de réabsorption du sodium le long du néphron.
Les différents transporteurs rénaux impliqués dans la réabsorption du sodium
sont présentés figure 2.3.

Régulation du bilan du sodium


Rétrocontrôle tubuloglomérulaire
j Toute modification du DFG modifie la quantité de chlorure de sodium qui
arrive au niveau du tube contourné distal.
22 Les troubles hydro-électrolytiques faciles

Figure 2.2. Comportement rénal du sodium.


Représentation de la réabsorption sodée dans les différents segments du néphron.
(Source : Marie-Noëlle Peraldi.)
Anomalies du bilan du sodium : troubles de l’hydratation extracellulaire 23

Figure 2.3. Mécanismes de réabsorption du sodium le long du néphron.


A. Au niveau du tube contourné proximal, la pompe Na+/K+-ATPase basolatérale
maintient la concentration intracellulaire basse et crée un gradient favorable à la
réabsorption apicale. L’échangeur NHE3 (échange d’un ion H+ contre un ion Na+)
est le principal canal sodique impliqué dans la réabsorption de sodium. L’eau suit
les solutés par osmose (transport transcellulaire et paracellulaire) et le chlore suit le
sodium grâce au gradient électrique qui s’établit peu à peu au long du parcours dans
le tubule proximal. B. Au niveau de la branche large ascendante de l’anse de Henlé,
le transport de sodium est essentiellement transcellulaire, actif, via le cotransporteur
NKCC2. La branche ascendante est imperméable à l’eau (il y a diminution de
l’osmolarité, après son augmentation dans la branche descendante perméable à l’eau
mais pas au sodium). C. Au niveau du tube contourné distal, un cotransporteur apical
NCC réabsorbe sodium et chlore. D. Mode d’action de l’aldostérone au niveau du
canal collecteur : l’aldostérone, via le récepteur minéralocorticoïde, active le canal
sodique épithélial ENaC (réabsorption apicale de Na+ stimulée), le canal potassique
ROMK (sécrétion apicale de K+ stimulée) et la Na+/K+-ATPase basolatérale. À ce
niveau, la réabsorption d’eau est régulée par l’ADH (cf. figure 1.8 au chapitre 1).
NHE3 : Sodium-Hydrogen Exchanger 3 ; AQP1 : aquaporine-1 ; NKCC2 : Na-K-2Cl
Cotransporter 2 ; NCC : Na-Cl Cotransporter ; ENaC : Epithelial Sodium Channel ;
ROMK : Renal Outer Medullary Potassium channel.
(Source : Marie-Noëlle Peraldi.)
24 Les troubles hydro-électrolytiques faciles

j Ces variations de chlorure de sodium au niveau distal :


Ÿ entraînent une modification des résistances des artérioles afférentes (auto-
régulation rénale) ;
Ÿ modulent la synthèse de rénine par l’appareil juxtaglomérulaire situé au
contact du tube contourné distal.
j Ce rétrocontrôle est schématisé dans la figure 2.4.

Pour comprendre
Le rétrocontrôle tubuloglomérulaire par l’appareil
juxtaglomérulaire
Le rétrocontrôle tubuloglomérulaire est fondé sur le rapprochement spatial
du tube contourné distal avec son propre glomérule, créant l’appareil juxta-
glomérulaire (figure 2.4) : localement, un groupe d’une vingtaine de cellules
spécialisées de l’épithélium du tube contourné distal — dénommé macula
densa (« tache noire ») car ces cellules apparaissent plus sombres et denses
en histologie que les cellules voisines — détecte les variations de concen-
tration luminale distale en chlorure de sodium dues aux variations du DFG :
j
en cas d’augmentation du chlorure de sodium dans le tube contourné
distal, les cellules de la macula densa déclenchent des signaux para-
crines (diffusion d’adénosine) qui aboutissent à la vasoconstriction de
l’artériole afférente voisine, diminuant le DFG ;
j
inversement, une baisse de concentration en chlorure de sodium
entraîne une vasodilatation de l’artériole afférente, augmentant le
DFG ; si la situation d’hypovolémie et de faible DFG perdure, l’appareil
juxtaglomérulaire sécrète la rénine, ce qui déclenche le système rénine-
angiotensine-aldostérone et réduit l’excrétion hydrosodée, participant
au rétablissement de la volémie.

Systèmes hormonaux
L’hormone antinatriurétique : l’aldostérone
j L’aldostérone est une hormone stéroïde minéralocorticoïde synthétisée par la
glande surrénale.
j Sa sécrétion est stimulée par l’angiotensine II (système rénine-angiotensine-
aldostérone, cf. figure 1.7 au chapitre 1) et l’élévation de la kaliémie.
j Elle active un récepteur nucléaire.
j Elle agit au niveau du tube collecteur, dans les cellules épithéliales dites princi-
pales. Son mode d’action est schématisé dans la figure 2.3D.
j Ses rôles physiopathologiques sont nombreux :
Ÿ balance sodée (elle augmente la réabsorption du sodium : effet antinatriu-
rétique) ;
Anomalies du bilan du sodium : troubles de l’hydratation extracellulaire 25

Figure 2.4. Appareil juxtaglomérulaire, rétrocontrôle tubuloglomérulaire, système


rénine-angiotensine-aldostérone.
Le rétrocontrôle tubuloglomérulaire permet une réponse adaptée aux variations de
la volémie. DFG, débit de filtration glomérulaire ; TCD, tube contourné distal ; RTG,
rétrocontrôle tubuloglomérulaire ; SRAA, système rénine-angiotensine-aldostérone.
(Source : Marie-Noëlle Peraldi.)
26 Les troubles hydro-électrolytiques faciles

Ÿ équilibre potassique (elle augmente l’excrétion du potassium : effet kaliuré-


tique) ;
Ÿ équilibre acido-basique (elle augmente l’excrétion des ions H+, participant
ainsi au processus d’acidification de l’urine) ;
Ÿ équilibration de la pression artérielle par son action sur la volémie (cf.
figure 1.7 au chapitre 1) ;
Ÿ pathologies associées à l’hyperaldostéronisme : hypertension artérielle,
fibrose myocardique et insuffisance cardiaque.

L’hormone pronatriurétique : le facteur atrial natriurétique


j Le facteur atrial natriurétique (ANF, Atrial Natriuretic Factor) est une hor-
mone polypeptidique hypotensive.
j Il est synthétisé essentiellement par l’atrium (oreillette) droit lorsqu’il existe une
distension mécanique de ses parois, donc en réponse à l’hypervolémie.
j Il joue un rôle dans l’homéostasie du sodium (augmentation de l’excrétion
rénale de sodium : effet natriurétique).

Hyperhydratation extracellulaire isolée


Il s’agit des états œdémateux.

Présentation clinique typique et physiopathologie


Cas clinique
Un homme de 65 ans, avec antécédent de cardiopathie ischémique connue
depuis 10 ans, est hospitalisé pour un nouvel épisode de dyspnée de décubitus et
d’œdèmes des membres inférieurs. Il pesait 70 kg il y a 2 mois. Le poids actuel est de
75 kg. Le diagnostic de décompensation cardiaque globale est retenu.
j Examens sanguins : créatinine = 120 µmol/l, natrémie = 140 mmol/l, glucose
= 5 mmol/l, protides = 58 g/l, hématocrite = 39 %.
j Examens urinaires : natriurèse = 15 mmol/l, kaliurèse = 25 mmol/l, absence de
protéinurie.

Dans ce cas :
j le volume du secteur extracellulaire, principalement celui du secteur inter-
stitiel, est augmenté (HEC) ;
j le volume du secteur intracellulaire est ici normal, car la tonicité plasmatique
calculée est dans ce cas de : (140 × 2) + 5 = 285 mOsm/kg H2O, donc normale ;
dans cette situation, il n’y a pas de mouvements d’eau entre le milieu extracellu-
laire et le milieu intracellulaire.
Anomalies du bilan du sodium : troubles de l’hydratation extracellulaire 27

Les anomalies ne concernent alors que le milieu extracellulaire : les gains en sel et
en eau (5 kg ici) sont isotoniques (figure 2.5B).
Le bilan sodé positif se traduit par :
j la prise de poids ;
j la présence d’œdèmes, blancs, mous, indolores, déclives, prenant le godet ;
j un œdème pulmonaire aigu, voire une anasarque.
Dans ce cas d’insuffisance cardiaque (figure 2.6), les œdèmes sont secondaires à :
j l’augmentation des pressions veineuses et capillaires (augmentation de la pré-
charge), parfois sans diminution du débit cardiaque (cardiopathies diastoliques) ;
j la diminution du débit cardiaque (diminution de la post-charge) avec dimi-
nution du volume circulant efficace.

Figure 2.5. Troubles de l’hydratation extracellulaire.


A. Situation normale. B. Hyperhydratation extracellulaire isolée : le secteur
interstitiel augmente par rétention isotonique d’eau et de sodium. C. Déshydratation
extracellulaire isolée : le volume extracellulaire diminue par perte isotonique d’eau
et de sodium.
DEC, déshydratation extracellulaire ; HEC, hyperhydratation extracellulaire.
(Source : Bruno Hurault de Ligny.)
28 Les troubles hydro-électrolytiques faciles

Figure 2.6. Mécanismes des œdèmes dans l’insuffisance cardiaque.


Les œdèmes d’origine cardiaque sont la conséquence d’une augmentation des
pressions veineuses d’une part, et d’une hypovolémie efficace d’autre part. Cette
dernière rend compte de l’activation du système rénine-angiotensine-aldostérone
(SRAA) et d’une augmentation de la sécrétion d’ADH.
(Source : Bruno Hurault de Ligny.)

Les indicateurs biologiques de l’hyperhydratation extracellulaire sont :


j l’hémodilution (protidémie et hématocrite diminués), inconstante ;
j la natriurèse effondrée, témoin de l’hyperaldostéronisme secondaire à l’hypo-
volémie efficace ; l’hypovolémie efficace active en effet le système rénine-angio-
tensine-aldostérone, aggravant la rétention sodée.
L’élimination rénale d’eau et de sel est diminuée avec, dans ce cas, une insuffisance
rénale aiguë fonctionnelle. C’est ce que l’on appelle le syndrome cardiorénal de type 1.

Pour comprendre
L’hypovolémie efficace
L’hypovolémie absolue est définie comme la diminution du volume san-
guin circulant (hémorragie, déficit hydrosodée). Le terme d’hypovolémie
efficace (ou relative) désigne des situations où une expansion du lit vas-
culaire (artériel et/ou veineux) entraîne une diminution du retour veineux
sanguin au cœur. Par exemple :
j
dans les cardiopathies décompensées, le volume extracellulaire est aug-
menté mais il y a une hypovolémie efficace par la diminution du débit
cardiaque et des résistances vasculaires ;

Anomalies du bilan du sodium : troubles de l’hydratation extracellulaire 29


j
dans la cirrhose décompensée, la vasodilatation splanchnique crée une
hypovolémie efficace en séquestrant une fraction du volume extracellulaire.
L’organisme, via les barorécepteurs, capte les variations de la volémie effi-
cace et les interprète comme des variations de l’hydratation extracellulaire :
dans ces cas d’hypovolémie efficace sans hypovolémie absolue, la compen-
sation par hydratation extracellulaire sera inadaptée.

Étiologie des syndromes œdémateux


En dehors de l’insuffisance cardiaque globale sus-décrite, il existe d’autres causes
d’œdèmes généralisés.
Œdèmes du syndrome néphrotique
j Les œdèmes sont secondaires à l’hypoalbuminémie.
j Le diagnostic repose sur la mise en évidence de l’association :
Ÿ d’une protéinurie > 3 g/24 heures (ou > 300 mg/mmol de créatininurie ou
> 3 g/g de créatininurie), majoritairement composée d’albumine ;
Ÿ à une albuminémie < 30 g/l.
j La volémie est normale, modérément augmentée ou diminuée selon les situa-
tions (cause, vitesse d’installation, présence ou non d’une dysfonction rénale).
j La physiopathologie des œdèmes en cas de syndrome néphrotique sévère
(albuminémie < 20 g/l) est résumée dans la figure 2.7.
Œdèmes du syndrome néphritique aigu
j La survenue d’œdèmes (souvent brutale) (figure 2.8) est associée à :
Ÿ une HTA ;
Ÿ une protéinurie d’abondance variable ;
Ÿ une hématurie ;
Ÿ une hypocomplémentémie ;
Ÿ et, souvent, une insuffisance rénale aiguë modérée (créatininémie entre 120
et 200 µmol/l).
j Il y a réduction du DFG (présence de cellules inflammatoires dans les capillaires
du glomérule) mais les tubules normaux réabsorbent en excès le sodium et l’eau,
d’où l’hypervolémie constante et l’HTA.
Œdèmes de l’insuffisance rénale chronique
j Les œdèmes s’observent essentiellement au stade V de la maladie rénale chronique.
j À ce stade, le rein ne parvient plus à éliminer des apports sodés importants.
j Il y a augmentation de la volémie, HTA et risque d’œdème pulmonaire.
Œdèmes de l’insuffisance rénale aiguë
j Les œdèmes sont dus à la suppression brutale de la capacité d’éliminer le
sodium et l’eau, en particulier dans les formes anuriques d’insuffisance rénale aiguë.
30 Les troubles hydro-électrolytiques faciles

Figure 2.7. Œdèmes secondaires à un syndrome néphrotique.


La fuite extravasculaire de fluide plasmatique vers l’espace interstitiel entraîne une
hypovolémie efficace (loi de Starling). Cette dernière est responsable de l’activation du
système rénine-angiotensine-aldostérone (SRAA) et de l’ADH, favorisant la rétention
d’eau et de sodium par les segments distaux du néphron.
(Source : Bruno Hurault de Ligny.)

Œdèmes de la cirrhose hépatique


j Les œdèmes sont en règle associés à une ascite.
j La pression artérielle est souvent basse.
j L’hyponatrémie est fréquente (hyperhydratation globale).
j Les mécanismes hémodynamiques sont complexes, schématisés dans la figure 2.9.

Autres
Les autres causes d’œdèmes généralisés ne sont pas détaillées ici. On peut citer :
j les œdèmes de la prééclampsie ;
j les œdèmes de cause médicamenteuse (inhibiteur calcique, minoxidil) ;
j les hypoalbuminémies secondaires à une dénutrition ou à une malabsorption ;
j les œdèmes idiopathiques dont la physiopathologie est incertaine.
Anomalies du bilan du sodium : troubles de l’hydratation extracellulaire 31

Figure 2.8. Œdèmes secondaires à un syndrome néphritique aigu.


La réduction du débit de filtration glomérulaire est secondaire à une diminution de
la surface de filtration liée à des phénomènes inflammatoires locaux. Le flux sanguin
rénal n’est pas modifié et les fonctions tubulaires sont conservées. À la suite de la
rupture de l’équilibre glomérulotubulaire, la quantité de sodium filtré est diminuée et
réabsorbée presque entièrement avec de l’eau, ce qui explique l’hypertension artérielle
hypervolémique.
(Source : Bruno Hurault de Ligny.)

Traitement
Le traitement propre à chaque situation clinique n’est pas détaillé ici.
Le but du traitement symptomatique est de réduire ou de faire disparaître les
œdèmes tout en maintenant ou en restaurant une volémie normale, afin que le
rein puisse éliminer la surcharge hydrosodée.
Le traitement symptomatique repose sur :
j le régime désodé strict (apports < 2 g/24 heures) ;
j les diurétiques de l’anse, les diurétiques thiazidiques ou les diurétiques dits
« épargneurs de potassium », dont les indications respectives sont détaillées dans
le chapitre 12 « Les diurétiques ».

L’efficacité du traitement symptomatique s’apprécie sur le poids et la


natriurèse.
32 Les troubles hydro-électrolytiques faciles

Figure 2.9. Œdèmes au cours des cirrhoses décompensées.


L’insuffisance hépatocellulaire explique l’hypoalbuminémie, donc la diminution de la
volémie efficace conduisant à l’activation du système rénine-angiotensine-aldostérone
et de l’ADH, ce qui favorise la rétention d’eau et de sodium par le tube distal.
L’hypertension portale découle d’une augmentation des résistances hépatiques
par le foie cirrhotique ; il en résulte l’augmentation de la pression du sang dans la veine
porte avec élévation de la résistance des sinusoïdes et des veinules portales terminales,
ce qui favorise une transsudation vers le péritoine et la constitution d’une ascite.
(Source : Bruno Hurault de Ligny.)

Déshydratation extracellulaire isolée


Une déshydratation extracellulaire apparaît lorsque les pertes hydrosodées sont
insuffisamment compensées.

Présentation clinique typique et physiopathologie

Cas clinique
Une femme de 68 ans (65 kg) sans antécédent consulte pour une diarrhée aqueuse
abondante depuis 3 jours, qu’elle attribue à un repas de fruits de mer. La perte
Anomalies du bilan du sodium : troubles de l’hydratation extracellulaire 33

de poids est quantifiée à 3 kg, la pression artérielle est à 110/75 mm Hg (alors


qu’habituellement elle s’inscrit à 130/85 mm Hg), la fréquence cardiaque est de
92 battements/min.
j Examens sanguins : créatinine = 140 µmol/l ; natrémie = 142 mmol/l ; chloré-
mie = 100 mmol/l ; kaliémie = 3,5 mmol/l ; glycémie = 5 mmol/l ; protidémie
= 78 g/l ; hématocrite = 46 %.
j Examens urinaires : natriurèse = 18 mmol/l ; kaliurèse = 50 mmol/l ; la diurèse
est de 500 ml/24 heures.
Dans ce cas :
j le volume du secteur extracellulaire est diminué, du fait d’une perte de sodium
et d’eau (DEC) ;
j la perte de 140 mmol de sodium s’accompagne d’une perte d’un litre d’eau
plasmatique ; ici, la perte est de 3 kg, donc perte de 3 litres d’eau et de 3 × 140
= 420 mmol de sodium ;
j le volume du secteur extracellulaire correspondant à 20 % du poids du corps
(soit 13 litres pour un poids de 65 kg), la patiente a perdu 3 litres sur 13, soit plus
de 20 % du volume du secteur extracellulaire ;
j il n’y a pas eu de mouvements d’eau entre le milieu extracellulaire et le
milieu intracellulaire, puisque la tonicité plasmatique est normale, calculée ici à
289 mOsm/kg H2O (142 × 2 + 5) ; la natrémie est donc normale.
La perte de sodium et d’eau est ici iso-osmotique (figure 2.5C).
On constate dans ce cas :
j les signes cliniques suivants : perte de poids, pli cutané, tachycardie, hypoten-
sion orthostatique, veines jugulaires plates ;
j des signes d’hémoconcentration (protidémie > 75 g/l et hématocrite
> 50 %) ;
j des signes d’activation du système rénine-angiotensine-aldostérone (urines
pauvres en sodium avec natriurèse < 20 mmol/l si les pertes sont extrarénales) ;
j la stimulation volémique (et non osmotique) de l’ADH (oligurie) ;
j la survenue d’une alcalose métabolique dite « de contraction » ;
j l’apparition d’une insuffisance rénale aiguë fonctionnelle.

Étiologie
Les principales causes de déshydratation extracellulaire, classées selon l’origine des
pertes, sont indiquées dans le tableau 2.2.

Traitement
Seul le traitement symptomatique est décrit ici.
Il repose sur l’apport de chlorure de sodium.
34 Les troubles hydro-électrolytiques faciles

Tableau 2.2. Principales causes de déshydratation extracellulaire.


Origine des pertes Natriurèse Causes
Pertes hydrosodées < 20 mmol/l • Aspirations digestives
digestives • Diarrhées
• Fistules digestives
• Laxatifs
Variable* • Vomissements
Pertes hydrosodées < 20 mmol/l • Sueurs abondantes
cutanées • Mucoviscidose
• Brûlures étendues
« Troisième secteur » < 20 mmol/l • Pancréatite aiguë
développé aux • Occlusion intestinale
dépens du secteur • Rhabdomyolyse
extracellulaire
Pertes hydrosodées > 20 mmol/l • Néphropathies interstitielles chroniques,
rénales néphronophtise, polykystose rénale
• Phase de guérison polyurique des insuffisances
rénales aiguës
• Polyuries osmotiques
• Hypercalcémie
• Levées d’obstacle
• Hypoaldostéronismes
• Insuffisance surrénale aiguë
• Diurétiques (+++)
* Natriurèse parfois > 20 mmol/l dans les alcaloses métaboliques associées à des vomissements (« natriurèse
obligatoire » par bicarbonaturie : excrétion de NaHCO3).

En l’absence de signes de gravité


j Bouillon de légumes salé.
j Gélules de NaCl.
j Eau de Vichy.

En cas de déshydratation de sévérité moyenne


j Perfusion de soluté salé isotonique 0,9 % (9 g/l), apportant 154 mmol de
sodium par litre.
j La quantité de soluté salé isotonique est à déterminer pour chaque cas parti-
culier — il y a un risque d’œdème pulmonaire chez des patients hypertendus ou
insuffisants cardiaques.
j D’où l’importance d’évaluer la quantité perdue (poids +++) pour estimer la
quantité nécessaire de soluté à apporter.
j Le soluté de bicarbonate de sodium isotonique (1,4 %) est à réserver aux
situations où une acidose métabolique est associée à la déshydratation (diarrhées
sévères).
Anomalies du bilan du sodium : troubles de l’hydratation extracellulaire 35

Application
Le déficit extracellulaire en litres peut être estimé, en l’absence d’anémie, par la formule
suivante :
Déficit = 20 % × Poids actuel × [(Hématocrite actuel/0,45) – 1]

En présence de signes de gravité


j Perfusion rapide, en débit libre, de soluté salé isotonique 0,9 % (9 g/l) ou de
colloïdes.
j Prise en charge en réanimation en cas de collapsus.

Entraînement

QCM 1
Parmi les propositions suivantes, lesquelles sont exactes ?
A. Le volume plasmatique représente 20 % du poids du corps.
B. En cas de trouble isolé de l’hydratation extracellulaire, la natrémie est normale.
C. La réduction du calibre de la veine cave inférieure à l’échographie est un bon signe
de déshydratation extracellulaire.
D. Un patient de 65 kg qui a des pertes isotoniques de 3 kg a perdu plus de 20 % de
son volume extracellulaire.
E. Au cours des syndromes néphrotiques, la volémie est toujours augmentée.

QCM 2
Au cours des déshydratations extracellulaires pures :
A. Le capital sodé est diminué.
B. L’osmolalité plasmatique est diminuée.
C. L’ADH est stimulée.
D. La natriurèse est toujours < 20 mmol/l.
E. La quantité de NaCl 9 g/l à perfuser peut être estimée par la perte de poids.

Bibliographie
Hall JE, Guyton AC. Guyton and Hall Textbook of Medical Physiology. 12th edition. Philadelphia PA:
Saunders-Elsevier; 2011.
Kanfer A, Kourilsky O, Peraldi M-N, Combe Ch. Néphrologie et troubles hydroélectrolytiques. 3eédi-
tion. Issy-les-Moulineaux: Elsevier Masson ; 2014.
Koeppen BM, Stanton BA. Renal Physiology. 5th edition. The Mosby Physiology Monograph Series. St.
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Sterns RH. Disorders of Plasma Sodium – Causes, Consequences, and Correction. N Engl J Med
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