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LA PRIVATISATION DE LA POLITIQUE MINIÈRE AU CAMEROUN : ENCLAVES MINIÈRES, RAPPORTS DE POUVOIR TRANS-LOCAUX ET CAPTATION DE LA RENTE

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LA PRIVATISATION DE LA POLITIQUE MINIÈRE AU CAMEROUN : ENCLAVES MINIÈRES, RAPPORTS DE POUVOIR TRANS-LOCAUX ET CAPTATION DE LA RENTE

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La privatisation de la politique minière au Cameroun :

enclaves minières, rapports de pouvoir trans-locaux et


captation de la rente
Victoria Lickert
Dans Politique africaine 2013/3 (N° 131), pages 101 à 119
Éditions Karthala
ISSN 0244-7827
ISBN 9782811110598
DOI 10.3917/polaf.131.0101
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Politique africaine n° 131 - octobre 2013
101

Victoria Lickert

La privatisation de la politique minière


au Cameroun : enclaves minières,
rapports de pouvoir trans-locaux
et captation de la rente
Depuis le début des années 2000, le Cameroun a engagé une réforme de sa politique
économique minière afin de faire du secteur minier le pilier de l’économie camerounaise
dans les prochaines décennies. Cette privatisation, au travers notamment de son
nouveau code minier promulgué en 2001, prend la forme d’une délégation contrôlée :
le pays a choisi de déléguer la mise en valeur de ses ressources minières à des
compagnies privées étrangères tout en se gardant le soin de réguler et de centraliser
ce gouvernement des mines. Cet article s’attache à démontrer que la privatisation de
la politique minière participe de la construction de l’État camerounais au travers
notamment de la centralisation des prérogatives auprès de l’Exécutif, de l’usage
d’intermédiaires proches du pouvoir ainsi que de l’opacité à la fois de son code minier
et des rapports entre le gouvernement camerounais et les compagnies minières
étrangères.

Enquête en terrain miné


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La recherche sur un sujet sensible tel que les ressources minières en Afrique n’est
pas sans conséquences sur la manière dont on mène une étude empirique. Dans mon
cas, cela demande d’interroger à la fois ceux qui défendent cette politique minière
(gouvernement camerounais, compagnies minières, Banque mondiale) et ceux qui la
critiquent (ONG, voire populations locales). N’enquêter que sur l’un des camps ne
m’aurait pas permis de comprendre leurs interactions quotidiennes ni leurs possibles
collusions. Ceci m’a parfois placée dans des situations délicates, me demandant d’être
capable de passer d’un espace à un autre sans révéler d’informations sensibles et de
travailler sur la présentation de ma personne (un jour historienne, un jour sociologue,
un autre jour jeune chercheure à la Sorbonne).
Afin de collecter mes informations sur le terrain j’ai donc choisi de combiner
étroitement une étude portant sur un projet minier à Kribi dans le Sud du Cameroun
avec une observation participante, grâce à un stage au sein d’une ONG à Yaoundé,
le RELUFA (Réseau de lutte contre la faim), se consacrant notamment à la gestion des
ressources minières au Cameroun. Mon terrain au Cameroun s’est déroulé de janvier
à mars 2011 et a permis d’effectuer plus d’une quarantaine d’entretiens, notamment
le Dossier
102 Micropolitiques du boom minier

auprès de militants d’ONG, de journalistes, de députés, de consultants d’organisations


internationales et de représentants de l’État. Le projet minier étudié est celui de la
joint-venture sino-camerounaise Sinosteel Cam au Mont Mamelles qui a débuté
en 2008. J’ai choisi de m’intéresser à ce projet minier, proche de la ville de Kribi, car
cette dernière me semble être devenue depuis quelques années un véritable carrefour
pour les ressources extractives : à la fois terminal du pipeline Tchad-Cameroun, zone
d’exploitation de pétrole offshore, mais également proche du projet minier chinois
m’intéressant et du projet de port en eaux-profondes qui comportera un terminal tout
spécialement destiné aux ressources minières.

En août 2008, la population du village de Lolabé, à trente kilomètres de


Kribi dans le Sud du Cameroun barre la route aux camions de la compagnie
minière chinoise Sinosteel Cam1 qui explore depuis peu la mine de fer du
Mont Mamelles2. La population, emmenée par le chef du village, exige l’arrêt
immédiat des activités de la compagnie chinoise qu’elle soupçonne d’exploiter
illégalement le fer, aucun représentant de la compagnie n’étant venu se
présenter au chef de village comme le veut la tradition. Dans l’absolu, les
villageois demandent avant tout qu’en contrepartie de sa présence sur ce qu’ils
considèrent comme leurs terres, Sinosteel leur procure eau, électricité et travail
dans la mine, trois éléments qui font particulièrement défaut dans cette zone
de brousse. Pour comprendre les raisons de cette barricade et les rapports
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sociaux et politiques qui traversent cette région minière, je décide de me
rendre sur place en février 2011, accompagnée d’un guide « du pays », membre
d’une ONG locale3, parlant la langue locale et connaissant à la fois les
populations de la région et la zone où est installée la compagnie Sinosteel.

1. L’entreprise d’État chinoise Sinosteel Corporation a obtenu le 22 mars 2008 un permis­


d’exploration du fer dans le massif des Mamelles, portant sur une superficie d’environ 978 km²
situé dans la province du Sud, plus précisément dans le département de l’Océan, à une soixantaine
de ­k ilomètres du chef-lieu Kribi. La compagnie Sinosteel fonctionne comme une compagnie
privée grâce à des capitaux publics fournis par l’État chinois. Sinosteel Cam SA est une joint-
venture détenue à 97,5 % par Sinosteel et à 2,5 % par des partenaires camerounais.
2. Cet article est inspiré de mon mémoire de maîtrise en science politique spécialité études­
africaines effectué à l’Université Panthéon-Sorbonne et intitulé Les ressources minières au Cameroun :
gouvernance, prise de décision et contre-expertise, juillet 2011. J’adresse mes remerciements à Marie-
Emmanuelle Pommerolle, Johanna Siméant et aux relecteurs anonymes pour leurs précieuses
remarques et suggestions.
3. Mon guide et accompagnateur au Mont Mamelles est un bénévole de l’ONG Section dévelop­
pement durable (SDD) qui travaille notamment sur la gestion des forêts et, depuis peu, sur les
mines dans la région du Sud Cameroun (Campo et Kribi).
Politique africaine
103 La privatisation de la politique minière au Cameroun

Nous nous rendons tout d’abord dans la forêt tropicale pour voir la mine de
fer. Si ma venue sur le site de la mine m’avait formellement été interdite
lors de mon entretien quelques jours auparavant à Yaoundé avec le directeur
général de Sinosteel, je décide de m’y rendre tout de même pour récolter
les impressions des deux camps (compagnie et population). Le voyage de
60 kilomètres se fait en moto pendant trois heures, sur une piste boueuse, le
campement de la mine se situant dans une zone très enclavée et difficilement
accessible. Arrivée sur place, je me présente comme une jeune étudiante de
la Sorbonne. L’interprète chinois parlant un peu français me fait visiter le site,
ravi de montrer les installations « à une étudiante qui vient tout spécialement
de Paris pour découvrir une mine ». Mon guide en profite pour poser quelques
questions aux quelques Camerounais qui travaillent sur place. Le retour du
chef de campement nous oblige à quitter les lieux. Nous retournons à Lolabé,
à la rencontre du chef de village et des villageois qui s’étaient opposés à la
compagnie en 2008. Outre de nombreuses récriminations contre les Français
qui les « ont laissés tomber », les Chinois « qui les envahissent » et le gouver­
nement et les autorités locales « qui mangent l’argent » des compagnies
étrangères, les jeunes hommes du village insistent sur leurs attentes vis-à-vis
de Sinosteel en termes d’infrastructures et d’emplois.
Ce conflit est révélateur des rapports sociaux et politiques qui caractérisent
aujourd’hui la politique minière au Cameroun. Mêlant des imaginaires
populaires qui rappellent les compagnies concessionnaires du début du
xxe siècle, elle révèle en effet tout à la fois les nouvelles modalités de gestion
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des ressources minières par le gouvernement camerounais et la diversité des
interactions entre l’ensemble des acteurs (représentants de l’État, compagnies
étrangères, ONG, populations locales) concernés par la récente politique de
mise en valeur des ressources minières par le gouvernement camerounais.
En effet, le gouvernement et le président Paul Biya, au pouvoir depuis 1982
et réélu en 2011, ont décidé de faire du secteur minier l’un des piliers de l’essor
économique du pays (particulièrement depuis la chute de la production
pétrolière dès le milieu des années 1980). Ainsi, depuis le début des années
2000, et notamment suite à l’adoption d’un nouveau code minier en 2001, près
de deux cents permis de recherche auraient été signés entre le gouvernement
et des compagnies minières étrangères4. La plupart de celles-ci, arrivées dans
les dernières années, sont de petites sociétés d’exploration et des juniors, peu
connues, souvent créées dans la perspective de la signature d’un contrat avec
le gouvernement camerounais5.

4. Entretien avec le coordinateur d’une ONG, Yaoundé, janvier 2011.


5. Ces sociétés de petite taille sont peu connues et très discrètes, ce qui renforce l’opacité à la fois
de leurs activités et de leur origine.
le Dossier
104 Micropolitiques du boom minier

à première vue, la privatisation de la politique minière au Cameroun


s’inscrirait dans une transformation « à la baisse » des capacités régulatrices
de l’État6. Or, et c’est le propos de cet article que de le démontrer, l’érosion des
capacités d’action et le « retrait de l’État » prôné par les institutions financières
internationales peuvent paradoxalement entraîner le (re)déploiement de
l’État et une transformation des rapports de pouvoirs, notamment entre État
et entreprises. Ce constat suggère donc un paradoxe : si l’État se désengage
certes de l’exploitation minière à proprement parler, les relations quotidiennes
de la présidence camerounaise avec les compagnies étrangères lui permettent
de garder la mainmise sur la gestion de la rente minière. En effet, la priva­
tisation de la politique minière entraîne une recentralisation du processus de
prise de décision au profit du pouvoir (présidence en premier lieu, ministère
des Mines et organismes affiliés ensuite), le geste de la délégation n’étant pas
forcément synonyme d’un transfert complet du pouvoir vers les compagnies
étrangères.
Observer les interactions, ou leur absence, entre les représentants de l’État
camerounais, les compagnies étrangères et la population locale me permet
de montrer comment la nouvelle politique minière participe d’une redéfinition
du rôle de l’État et des modes de gouvernement des mines au Cameroun.
Cet article veut en effet souligner que l’essor de ces enclaves est le reflet à la
fois d’une volonté de décentralisation de la rente des ressources minières par
le pouvoir central mais également de faiblesses administratives et politiques
à l’échelle nationale et locale qui permettent la captation de cette rente.
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6. Voir M. Diouf, « Privatisation des économies et des États africains », Politique africaine, n° 73, mars
1999, p. 16-23. Cette problématique de la « décharge » a été portée par B. Hibou, La Privatisation des
États, Paris, Karthala, 1999 et B. Hibou, « La “décharge”, nouvel interventionnisme », Politique
­africaine, n° 73, mars 1999, p. 6–15. Cette problématique est devenue centrale dans nombre de tra-
vaux : voir le dossier de Politique africaine susmentionné, sur « L’État en voie de privatisation », n° 73,
mars 1999 ; J. Hönke, « New Political Topographies. Mining Companies and Indirect Discharge
in Southern Katanga (DRC) », Politique africaine, n° 120, décembre 2010, p. 105-127 ; J. Hönke,
« Transnational Pockets of Territoriality. Governing the Security of Extraction in Katanga (DRC) »,
Working Paper Series, n° 2, Graduate Centre Humanities and Social Sciences of the Research Academy
Leipzig, 2009 ; M. Williams, « The Gold Standard of Governance : Mining, Decentralization, and
State Power in Senegal », Politique africaine, n° 117, mars 2010, p. 127-148 ; R. Hardin, « Concessionary
Politics in the Western Congo Basin : History and Culture in Forest Use », Working Papers, n° 6, World
Resources Institute, novembre 2002 ; A. Karsenty, Les Concessions forestières en Afrique centrale.
Aspects historiques, institutionnels et politiques, du point de vue de la responsabilité sociale et environ­
nementale des entreprises concessionnaires, étude pour le projet GEPAC de l’Union européenne,
CIRAD, Montpellier, septembre 2005, sur la reconfiguration de l’économie de concession.
Politique africaine
105 La privatisation de la politique minière au Cameroun

La vie politique et sociale autour d’une enclave minière

Pour comprendre la redéfinition du gouvernement des mines au Cameroun,


il est utile de s’intéresser aux rapports de pouvoir à l’échelle locale entre
populations et autorités locales et aux bouleversements que ces rapports
peuvent connaître avec l’entrée en jeu d’un troisième acteur, dans notre
cas, une entreprise chinoise7.

Ballons de foot contre électricité, enveloppes contre yeux fermés

Une semaine après la manifestation d’août 2008 à Lolabé, le sous-préfet


de Kribi 1er, accompagné de quelques gendarmes, serait venu « discuter » avec
les villageois, leur interdisant toute nouvelle manifestation8. Face au sous-
préfet, le chef de village, qui avait été à l’origine de la barricade, fit volte-face :
ce n’était pas lui, mais les jeunes qui auraient déclenché ce mouvement 9.
Quelques mois plus tard, le directeur général de Sinosteel, le préfet et le
sous-préfet se sont rendus à Lolabé pour répondre aux revendications des
populations. Si ni l’électricité ni l’eau n’ont été établis, la compagnie chinoise
a offert du matériel pour l’école, de l’alcool et des ballons de football10. Si
cette protestation révèle un certain sentiment anti-chinois au sein de la popu­
lation locale, elle nous intéresse plus particulièrement pour ce qu’elle nous
dit des rapports de pouvoir à l’échelle locale entre populations, autorités
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locales et compagnies étrangères exploitant les mines. Les entreprises étran­
gères sont au cœur d’imaginaires populaires et d’attentes des populations,
de la société civile et des autorités centrales et territoriales, notamment en
termes d’infrastructures économiques et sociales, qu’elles ne sont généralement
pas à même de remplir ou pas disposées à réaliser. Ces attentes ont pour
point commun une certaine représentation du rôle des grandes concessions

7. Au Cameroun, les entreprises chinoises sont avant tout présentes sur les marchés des grandes
villes, dans la construction de grandes infrastructures comme les routes ou le nouveau stade
de Yaoundé et les ressources minières. Le Cameroun facilite les conditions de résidence des
Chinois dans le pays puisque des accords entre Pékin et Yaoundé prévoient que les Chinois arrivant
au Cameroun soient les « seuls étrangers à bénéficier d’un droit de séjour d’un an et demi » sans
avoir à présenter de contrat de travail : B. Bertoncello et S. Bredeloup, « Chine-Afrique ou la
valse des entrepreneurs-migrants », Revue européenne des migrations internationales, vol. 25, n° 1,
2009, p. 45-70.
8. J. Abena Abena, « Les villageois barrent la route aux engins de la société Sinosteelcam »,
Le Jour, 27 août 2009 et discussion avec Joseph Abena à Kribi, février 2011.
9. Discussion avec un groupe de jeunes de Lolabé, Lolabé, février 2011.
10. Entretien avec le sous-préfet de Kribi 1er, sous-préfecture de Massaka Kribi, février 2011.
le Dossier
106 Micropolitiques du boom minier

coloniales du début du xxe siècle11. Cette protestation révèle que certaines


facettes du régime colonial des concessions commerciales, notamment « les
relations ambivalentes avec les populations locales, le problème du contrôle
des concessions par les autorités12 », sont ainsi réactualisées. Néanmoins,
aujourd’hui, les compagnies étrangères ne s’impliquent ni dans le dévelop­
pement économique local ni dans le gouvernement des populations entourant
les mines.
à mon retour de Lolabé, ma visite du campement de la mine du Mont
Mamelles est rapidement révélée aux autorités locales. Quelques jours après,
le sous-préfet me convoque. Outre les informations dont je dispose et qu’il
aimerait que je partage avec lui, il se déclare surpris par mon initiative :
pourquoi me suis-je rendue sur place ? Qui m’a donné les informations sur
l’emplacement du campement ? N’ai-je pas eu conscience du danger et des
risques que je prenais ? Ces questions révèlent tout d’abord le faible degré
d’information des autorités locales. De fait, les contacts entre le représentant
et chef de campement de Sinosteel à Kribi et les autorités locales sont plus
que réduits. Seuls le préfet et le sous-préfet sont tenus au courant (mais de
façon ponctuelle) de l’avancée de l’exploration. Lorsque le chef du campement
se rend à Kribi toutes les semaines pour ravitailler le camp en vivres et maté­
riels divers, il ne va pas visiter les autorités locales. Le maire de la commune
de Kribi n’a ainsi pris connaissance de la présence de la compagnie chinoise
sur son territoire (la commune de Kribi 1er comprend le village de Lolabé) que
lorsqu’il a eu écho de la barricade à Lolabé en août 2008. Depuis il n’a jamais
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rencontré de représentant de la compagnie. Le délégué du ministère des Mines
de la région sud, quant à lui, n’a rencontré qu’une ou deux fois les représentants
de la compagnie, avec le préfet et le sous-préfet lors de leur arrivée et lors
de la « descente » en août 2008. Tout en m’informant de l’obligation qui pèse
sur lui de se rendre deux fois dans les mines pour les contrôles de routine,
il m’apprend qu’il ne dispose d’aucun moyen de locomotion pour le faire.
Il me demandera d’ailleurs que je lui transmette toutes les informations que
je collecte sur l’état d’avancement des travaux de la mine13.
Outre le fait qu’aucun des représentants locaux de l’État ne se rende au
campement, ces questions révèlent également un embarras face à ce que
je pourrais découvrir. En effet, mes différentes discussions à Kribi aves des

11. C. Coquery-Vidrovitch, Le Congo au temps des grandes compagnies concessionnaires, 1898-1930,


Paris, Mouton, 1972.
12. M.-C. Smouts, Forêts tropicales, jungle internationale. Les revers d’une écopolitique mondiale, Paris,
Presses de Sciences Po, 2001, p. 9.
13. Entretien avec le délégué du ministère des Mines et de l’Eau, Kribi, février 2011
Politique africaine
107 La privatisation de la politique minière au Cameroun

gens ordinaires ou des membres d’ONG établissent que les autorités locales
trouvent des arrangements avec les compagnies minières. Selon eux, les
préfets, les délégués ministériels et les maires, tout comme les chefs de village,
pourraient trouver leur compte à l’arrivée de ces entreprises car cela leur
permettrait très souvent de « manger »14. Les compagnies, pour maintenir le
calme autour de leurs sites, se rendent souvent auprès des chefs de villages
pour discuter et leur « vendre » leurs projets grâce à des dons matériels ou
financiers15. Ce retour du système concessionnaire n’est pas seulement un
processus imposé par le haut, mais il entraîne également une « co-construction »
entre les opérateurs étrangers et les Camerounais à une échelle plus locale
sur les termes des contrats signés à l’échelle nationale16. Ainsi, beaucoup de
compagnies paieraient des salaires souvent mensuels aux différentes auto-
rités, salaires qu’elles ne rapporteraient pas dans leurs bilans financiers17.
D’autres feraient régulièrement des cadeaux aux autorités locales. C’est le cas
par exemple d’un préfet qui se ferait réparer sa voiture et offrir toutes les
semaines le plein par une compagnie minière, ou encore celui d’un délégué
des mines soudoyé par une compagnie pour qu’il ne contrôle pas leurs
activités18.
Ces rapports de pouvoirs à l’échelle locale, qui laisseraient croire que l’État
camerounais, ne disposant pas des moyens de contrôle et de suivi des activités
minières, est affaibli par ces carences, cacheraient de fait une instrumentalisation
de la politique minière par le pouvoir central et une appropriation de la
rente par les représentants de l’autorité publique. L’absence de relations
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régulières entre les compagnies et les autorités locales est en tout cas le reflet
d’une gestion centralisée dans la capitale des contrats entre la présidence
et les dirigeants internationaux de compagnies étrangères19.

14. Discussions avec des habitants de Kribi et Lolabé, des membres d’ONG, février 2011.
15. Entretiens avec des militants d’ONG, Yaoundé, février 2011. Voir également A. Mbembe,
« Crise de légitimité, restauration autoritaire et déliquescence de l’État », in P. Geschiere et
P. Konings (dir.), Iti­néraires d’accumulation au Cameroun, Paris/Leiden, Karthala/Afrika studie­
centrum, 1993, p. 354-374.
16. R. Hardin, « Concessionary Politics in the Western Congo Basin… », op. cit., p. 21. Voir également
A. Karsenty, Les Concessions forestières en Afrique centrale…, op. cit., p. 19.
17. Entretien avec un militant d’une ONG, Yaoundé, février 2011.
18. Idem.
19. J. Ferguson, « Seeing Like an Oil Company : Space, Security, and Global Capital in Neoliberal
Africa », American Anthropologist, vol. 107, n° 3, septembre 2005, p. 377-382.
le Dossier
108 Micropolitiques du boom minier

De Lolabé à Yaoundé : lorsque l’enclavement révèle la faiblesse


du gouvernement des mines

Si l’État n’est plus capable d’assumer ses missions essentielles (école, santé,
route, électricité…), il garde la main sur tous les rouages de l’économie grâce
aux privatisations et ce en pilotant le secteur minier depuis la capitale. Les
compagnies minières négocient l’obtention de permis à Yaoundé et s’installent
ensuite directement dans leurs sites sans prendre contact avec les représentants
locaux et les populations, comme le démontre le cas de Lolabé. La compagnie
chinoise Sinosteel a ainsi fait venir l’ensemble de son équipement et ses
employés par un bateau cargo jusqu’à Douala, avant que le matériel et les
hommes ne soient directement acheminés sans escale et par camions jusqu’au
Mont Mamelles20. La route de brousse entre Lolabé et le Mont Mamelles a été
superficiellement refaite par la compagnie afin de permettre le passage de ses
4x4 uniquement. Les compagnies minières et les autorités gouvernementales
se rencontrent et prennent l’ensemble des décisions à Yaoundé, décisions
qui sont ensuite appliquées à l’échelle locale sans consultation des autorités
et des ONG locales. Si l’État central utilise les compagnies minières pour
mettre en valeur ses ressources, ce gouvernement indirect se traduit de fait
à l’échelle locale par une absence de gouvernement. En effet, la compagnie
Sinosteel Cam, installée depuis 2008 au Mont Mamelles – situé à trois cents
kilomètres de Yaoundé, à plus de soixante kilomètres de Kribi et trente
kilomètres du village le plus proche – est au cœur d’une région très pauvre
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mais très stra­tégique du fait de ses richesses et de la construction d’un
port en eaux profondes attendu depuis vingt ans. L’État sur place est « phy­
siquement » absent et l’entreprise ne communique que très rarement avec
l’extérieur. Les modalités de la décharge de la politique minière prennent
ainsi la forme de connexions « globales-locales » entre l’État et des acteurs
privés nationaux et transnationaux. Par ce processus, la mine semble bien
plus connectée à la capitale politique qu’à son environnement direct 21.
Le contraste entre le village de Lolabé à trente kilomètres de la mine du
Mont Mamelles et la compagnie chinoise Sinosteel Cam, connectée au reste
du monde, est saisissant. Le campement de la mine au cœur de la forêt
tropicale est relié au réseau téléphonique alors que le village de Lolabé ne
dispose ni de réseau téléphonique ni d’électricité. Les seules relations de

20. Entretien avec le délégué du ministère des Mines et de l’Eau, Kribi, 21 février 2011.
21. J. Hönke, « Transnational Pockets of Territoriality… », art. cit. ; J. Ferguson, Global Shadows.
Africa in the Neoliberal World Order, Durham, Duke University Press, 2006, p. 204 ; M. Williams,
« The Gold Standard of Governance… », art. cit.
Politique africaine
109 La privatisation de la politique minière au Cameroun

l’entreprise avec les habitants jusqu’à aujourd’hui concernent l’emploi : entre


une vingtaine et une trentaine de Camerounais travaillent dans la mine et
ce de façon ponctuelle, l’essentiel des emplois étant occupés par des Chinois22.
Au sein même de la mine, Camerounais et Chinois vivent et mangent sépa­
rément23. La sécurisation de l’enclave ne passe pas, dans le cas de Sinosteel,
par la présence de forces armées ou de grillages, mais par une situation
géographique très difficile d’accès et par un ravitaillement régulier et un accès
à l’électricité qui permet aux travailleurs de vivre en vase clos.
La faiblesse administrative et des contrôles à l’échelle locale facilite ainsi
le développement des enclaves minières. Pour comprendre l’essor de ces
enclaves globales-locales au Cameroun, il faut comprendre les modalités
du gouvernement des mines que le pouvoir central a mis en œuvre depuis
les années 2000. Cette transformation des rapports de pouvoir locaux et
nationaux prend notamment sa source dans l’élaboration du nouveau code
minier en 2001, remplaçant un code vieilli datant de 1964, dont les principes
ont eu pour conséquence paradoxale de renforcer la centralisation du pro­
cessus de décision au sommet de l’État camerounais.

Le droit minier comme outil de renforcement


de la centralisation du pouvoir

La part actuelle des ressources minières dans l’économie camerounaise


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reste marginale : en 2003, ces dernières ne représentaient en valeur relative
du PIB que 0,15 %24 et dix ans plus tard seulement 1 %25. Pour lancer le secteur
minier, l’idée fut de mettre en place une nouvelle législation plus attractive
pour les investisseurs.

22. Les ouvriers employés dans la mine à Lolabé par Sinosteel (comme dans d’autres sites
­d’exploration au Cameroun) sont en outre parfois issus de régions différentes de celle du site
où ils travaillent. Le lien avec l’environnement local est ainsi presque totalement absent.
23. Notes de terrain lors de ma visite le 22 février 2011 du campement de Sinosteel au Mont
Mamelles.
24. F. Ouedraogo, Diagnostic du secteur minier du Cameroun, Rapport final, Diagnostic des sous secteurs
des mines et géologie, ADE, Commission européenne, octobre 2009, p. 6. à l’époque coloniale,
­l’exploitation minière contribue à 11,7 % du PIB du pays (en 1939) et dépasse même 20 % pendant
la Seconde Guerre mondiale avant de décliner et de retomber aux alentours de 2 ou 3 % en 1950
et 0,6 % en 1959.
25. Le secteur minier ne contribue aujourd’hui que pour moins de 1 % du PIB dans la mesure où
la majeure partie de l’exploitation minière, en particulier artisanale, reste cantonnée aux circuits
informels. « Cameroun, 300 milliards de pertes dues aux fraudes dans l’exploitation minière
tous les ans », Cameroon Tribune, 12 novembre 2012 ; A. Ngapout, « Cameroun : secteur minier.
L’or camerounais intéresse les Qataris », Cameroon Tribune, 25 avril 2013.
le Dossier
110 Micropolitiques du boom minier

Un retrait stratégique de l’État : le code minier de 2001

Élaboré avec l’appui du cabinet britannique IMC (International Mining


Consultants Ltd) et grâce à un financement de la Banque mondiale, ce nouveau
code26 pose un certain nombre de principes, reflets de la politique de pri­
vatisation. Il en va ainsi notamment de la propriété de l’État sur le sol et le
sous-sol (art. 6)27, donc sur les substances minérales, et du droit de propriété
des produits issus de l’exploitation qui revient aux titulaires du titre minier.
Le code minier souligne également que les autorisations, renouvellements et
transferts de titres sont soumis au paiement de droits fixes. Des redevances
superficiaires (taxe imposée annuellement par l’État pour le droit d’occu-
pation de son domaine) sont en outre versées tous les ans par les compagnies
étrangères à l’État. Celui-ci n’ayant pas les capacités financières de faire de
la prospection, il compte désormais sur les entreprises pour remplir cette
mission28. L’État est ainsi cantonné à un rôle de promoteur et de régulateur
du secteur minier. Si le code minier ne l’indique pas, les compagnies minières
sont ainsi autorisées à faire de la prospection sur le territoire camerounais
hors la supervision du ministère camerounais des Mines et de rapporter
ensuite les informations collectées sur le terrain à la direction des Mines29.
Les fonctionnaires camerounais sont conscients qu’un certain nombre de
compagnies ne déclarent pas ou minimisent les résultats de leur prospection
afin de signer des contrats dans des conditions plus avantageuses. Ils acceptent
les conséquences de ce contrôle lâche dans la mesure où « cela rapporte
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quand même de l’argent à l’État30 », d’autant que la plupart des données­
carto­g raphiques sur les ressources minières camerounaises ne sont plus
conservées dans le pays. En effet, les informations relatives au sol et sous-sol
du Cameroun, déclarées ou non, sont en grande partie à Paris, au Bureau de
Recherches Géologiques et Minières (BRGM) où se trouve également la
seule carte géologique complète du Cameroun. La plupart des cartes auraient

26. D’après nos entretiens, l’élaboration du code minier s’est faite « dans le plus grand secret »,
personne ne sait exactement qui a précisément pris part aux négociations au sein du gouvernement.
Nous pouvons néanmoins faire la supposition, grâce à certains de nos entretiens, que des
­personnalités influentes au Cameroun ont été présentes comme Paul Ntep Gweth, coordonnateur
du CAPAM (cadre d’appui et de promotion de l’artisanat minier), un proche du président
Paul Biya.
27. Article 6 de la loi n° 001 du 16 avril 2001 portant code minier en République du Cameroun.
28. Entretien avec le chargé d’études au secrétariat général auprès du service du Premier ministre,
Yaoundé, février 2011.
29. Entretien avec le cartographe et conservateur à la direction des Mines au sein du ministère de
l’Eau et de l’Énergie, Yaoundé, février 2011.
30. Entretien avec le chargé d’études au secrétariat général auprès du service du Premier ministre,
Yaoundé, février 2011.
Politique africaine
111 La privatisation de la politique minière au Cameroun

été perdues lors de déménagements des bureaux d’un bâtiment à un autre ou


auraient tout simplement été « abandonnées31 ».
Le code minier semblait donc annoncer un retrait de l’État de la gestion
des ressources minières. Mais dans les faits, les règles édictées ont conduit à
un renforcement de la centralisation du secteur au sein du pouvoir exécutif32.
Ainsi, si le code minier est avant tout incitatif et avantageux pour les entre­
prises, il centralise également toute l’autorité régulatrice entre les mains du
ministère des Mines et du président de la République, Paul Biya. Le secteur
minier n’est pas une prérogative décentralisée et les représentants locaux
n’ont aucun rôle dans ce secteur, hormis un avis consultatif facilement ignoré
du pouvoir central33. Ces rôles sont codifiés et la délégation de certaines
décisions dépend du bon vouloir du président de la République qui reste le
premier interlocuteur des entreprises souhaitant s’installer au Cameroun.
L’attribution des permis de recherche et d’exploitation est un bon exemple du
contrôle de l’État sur le secteur puisque ces permis ne sont accordés que par
le ministère des Mines et le président34. Cette centralisation se retrouve
également dans la gestion des revenus que génèrent les mines. En effet, la
gestion budgétaire au Cameroun repose sur l’unicité des caisses : tout l’argent
collecté, notamment les redevances locales reversées aux régions d’où sont
extraites les substances en question35, est envoyé au Trésor public qui décide
ensuite de sa répartition (si répartition il y a). Cela entraîne à la fois des
lourdeurs et des détournements et met également en cause le principe de la
décentralisation36. D’autant plus qu’aucun dispositif de répartition n’a encore
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31. Entretien avec le cartographe et conservateur à la direction des Mines au sein du ministère de
l’Eau et de l’Énergie, Yaoundé, février 2011.
32. Avant le code de 2001, le secteur minier était régi par le code minier du 6 avril 1964, resté
­quasiment inappliqué après l’Indépendance puisque seul le pétrole fut mis en valeur. Les quelques
mines mises en valeur le furent à l’époque par le ministère des Mines, de l’Eau et de l’Énergie,
la présidence se concentrant sur le secteur pétrolier.
33. Le code minier ne mentionne les « autorités territorialement compétentes » que deux fois pour
l’ensemble des 116 articles.
34. Article 45 du code minier de 2001 : « Le permis d’exploitation est accordé par décret du président
de la République après avis du ministre chargé des Mines ». Voir, dans ce numéro, l’article de
Samuel Nguiffo et Freddy Mbianda, « Une autre facette de la malédiction des ressources ? Chevau­
chements entre usages différents de l’espace et conflits au Cameroun ».
35. Concernant les redevances locales qui doivent aller aux entités décentralisées d’où proviennent
les substances en questions, elles sont réparties comme suit : l’article 137 du décret d’application
fixe à 25 % la taxe ad valorem au titre de compensation pour la population camerounaise, 10 % sont
au bénéfice des populations environnantes au projet minier et 15 % au bénéfice de la commune
territorialement compétente.
36. Entretien avec un fonctionnaire de la direction des Mines, Yaoundé, février 2011. Selon ce
dernier, sur les sommes déjà perçues par l’État à titre de redevances minières, aucun versement
n’a encore eu lieu en faveur des populations ou de la direction des Mines dont le budget dépend
désormais en partie du versement de ces redevances. En effet, aucun décret d’application n’a encore
le Dossier
112 Micropolitiques du boom minier

été mis en place afin d’assurer la redistribution à l’échelle nationale et locale.


L’adoption, en 2010, d’amendements à ce code minier a été au cœur d’un
renforcement de cette centralisation mais également d’une forte opacité
mettant en conflit le gouvernement central, la Banque mondiale et des ONG.

Opacité sur les amendements de 2010

Les amendements ont été adoptés dans le secret le plus complet37 à tel point
que, jusqu’en février 2011, la Banque mondiale, tout comme les ONG œuvrant
pour une plus grande transparence du secteur extractif, ignoraient leur
promulgation intervenue en juillet 2010. Jusqu’à aujourd’hui, ces amendements
n’ont d’ailleurs pas été publiés au Journal Officiel camerounais. C’est par
hasard, lors d’un entretien avec un haut fonctionnaire, que j’ai pu avoir accès
au texte en février 2011. La volonté de l’État camerounais de reprendre en
main le secteur minier passe donc par l’opacité du processus de décision à
la fois au Parlement et au gouvernement.
Cette mise à l’écart des ONG et de la Banque mondiale a ensuite trouvé
d’autres occurrences. Ainsi, une personne en charge de la question des
ressources minières dans cette dernière institution m’apprit en mars 2011
que, depuis quelques mois, le ministre des Mines mais surtout le directeur
des mines, ne tenaient plus au courant la Banque mondiale de leurs rendez-
vous avec les compagnies minières et signaient des contrats dans des condi­
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tions obscures sans laisser la Banque mondiale accéder aux données concernant
ces contrats38. De telles rencontres secrètes et ces rapports ambigus du gou­
vernement camerounais avec les compagnies étrangères offrent de fait des
opportunités de réappropriation et de réinvention des pratiques imposées
par les institutions financières internationales39. Les détournements et prises
de libertés sont ainsi le reflet de la capacité des autorités camerounaises
à prendre en compte la position complexe des bailleurs de fonds et à jouer
sur la grammaire internationale pour se construire une nouvelle légitimité40,

été publié concernant le mode de reversement des redevances, ce qui donne lieu à de nombreuses
tensions entre le gouvernement, les ONG et la Banque mondiale.
37. Tout comme le code minier, peu d’informations existent sur l’élaboration de ces amendements.
Néanmoins, à la différence du code minier, un certains nombre de députés se sont alliés aux
ONG disposant d’informations pour faire pression sur le gouvernement lors du vote des amen­
dements à l’Assemblée. Pour plus d’informations voir V. Lickert, Les ressources minières au
Cameroun…, op. cit.
38. Entretien avec un consultant de la Banque mondiale, Yaoundé, janvier 2011.
39. D. Darbon (dir.), La Politique des modèles en Afrique, Paris, Karthala, 2009, p. 7-9.
40. D. Darbon, « à qui profite le mime ? », in Y. Mény (dir.), Les Politiques du mimétisme institutionnel,
Paris, L’Harmattan, 1993, p. 113-137.
Politique africaine
113 La privatisation de la politique minière au Cameroun

mais aussi et en premier lieu pour se réapproprier plus rapidement la


rente minière. Je l’ai montré, la libéralisation du secteur minier est corrélée
à un renforcement de la centralisation et du pouvoir des élites politiques
alliée à un contrôle limité des activités de compagnies minières étrangères
à l’échelle locale. La délégation de l’exploration et de l’exploitation minière
à des entre­prises privées est également un excellent moyen pour l’État de se
redéployer à moindre frais dans un secteur où il était quasiment absent.
L’opacité autour des contrats41 et la forte centralisation présidentielle des
prérogatives donnent à ces contrats un certain poids mais les rendent égale­
ment porteurs d’une forme d’instabilité. La signature d’un permis d’exploitation
ne signifie pas que l’État ne cherchera pas à renégocier ensuite certaines des
dispositions du contrat (notamment les taxes et redevances), ces formalités
se traduisant pour les entreprises minières par des renégociations perma-
nentes qui leur rappellent qu’elles n’ont ni le premier ni le dernier mot. La
privatisation peut, dans cette logique, être considérée comme « un nouvel
interventionnisme étatique42 » dans la mesure où elle peut aussi être un outil
de consolidation du pouvoir.

L’État prédateur : suivi administratif lâche et marchandages


publics-privés

Outre une intervention sélective, le suivi de la politique minière est quasi


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nul, permettant au gouvernement camerounais de se défaire d’une régle­
mentation qu’on lui impose et laissant une marge de manœuvre aux acteurs
privés. Je vais montrer que cette centralisation et la multiplication des occasions
de négociations représentent en outre des opportunités de marchandages
avec les compagnies et de capture de la rente.

Jeux avec le droit et laissez-faire administratif

Toute procédure (octroi de permis, redevances, joint-venture, paiement de


taxes) est une occasion nouvelle pour « monnayer des interventions ou des

41. La signature des contrats miniers reste une question particulièrement sensible lors des
­entretiens, au sein même du ministère des Mines. Tout au plus sait-on que seul le président de la
République camerounaise et quelques-uns de ses proches collaborateurs sont probablement
présents lors de la signature finale du contrat.
42. B. Hibou, « La “décharge”, nouvel interventionnisme ?… », art. cit., p. 6-15.
le Dossier
114 Micropolitiques du boom minier

arrangements43 ». La signature des conventions puis de contrats miniers et


les demandes de renouvellement des permis et d’autorisations diverses que
doivent solliciter les entreprises dans le domaine minier est l’un des moyens
de renégocier en permanence les relations avec le secteur privé et donc de
garder le contrôle sur les activités de ce dernier44. Les compagnies étrangères
en sont conscientes : toute rencontre avec des membres des ministères des
Mines, voire une simple demande de documentation de leur part, implique
des transactions et des rapports de forces qu’elles ne sont pas toujours
en mesure de maîtriser45. Ainsi, le directeur d’une compagnie minière me
demanda lors de notre entretien si j’accepterais de jouer le rôle d’intermédiaire
pour sa société auprès de la direction des Mines pour une demande de docu­
mentation sur le port en eaux profondes en projet à Kribi, les rendez-vous au
ministère des Mines lui « donnant la migraine » car « il y est mis sous pression
pour donner quelque chose » en retour des informations qu’on lui donne46.
En outre, couplée à l’absence de coordination au sein du secteur minier
entre le ministère et les organismes qui lui sont rattachés (notamment entre
le CAPAM – Cadre d’Appui et de Promotion de l’Artisanat Minier – et le
ministère des Mines), l’expansion législative ne concourt pas à clarifier la
situation, notamment à l’échelle locale47. Il est difficile de savoir qui octroie
précisément les concessions, quel est le rôle respectif de chaque ministère ou
à qui les concessionnaires doivent s’adresser lorsqu’il n’y a pas de guichet
unique, autant de zones de flou qui multiplient les occasions de corruption
et de détournements. Ainsi il n’était pas rare d’entendre, au cours de mes
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entretiens, des histoires de fonctionnaires profitant des imprécisions du code
minier et négociant directement les termes des contrats avec des compagnies
minières désireuses de s’engager dans des projets d’exploitation à une échelle
industrielle, pour finalement en empocher tous les gains, sans en informer
ni le ministère des Mines ni la présidence. Ce genre d’informations est en
tout cas révélateur de la faiblesse des administrations locales et du jeu sur
les marges législatives, le flou du code minier pouvant ainsi être utilisé comme
un outil de prédation économique.

43. J. Bugnicourt, « Le mimétisme administratif en Afrique : obstacle majeur au développement »,


Revue française de science politique, n° 6, 1973, p. 1239-1267. Plus récemment, voir J. du Bois de Gaudusson,
« Le mimétisme postcolonial, et après ? », Pouvoirs, vol. 2, n° 129, 2009, p. 45-55.
44. Par exemple, l’article 20 du code minier de 2001 parle d’un ensemble de « transactions » dont
les tenants et aboutissants ne sont pas clairement définis.
45. Entretien avec le directeur général de Sinosteel, Yaoundé, 15 février 2011.
46. Entretien avec le directeur d’une compagnie minière étrangère, Yaoundé, février 2011.
47. Les décrets d’application sont rarement connus ou publiés, voire n’existent pas.
Politique africaine
115 La privatisation de la politique minière au Cameroun

Si le code minier favorise le rôle central de l’État comme instance régulatrice


du secteur minier48, son application concrète entraîne néanmoins un dés-
­­enga­gement administratif à l’échelle locale. La faiblesse des moyens matériels
et financiers pour le suivi des projets miniers est flagrante. Le dépouillement
de la direction des Mines, rattachée au ministère des Mines, et de son service
de géologie et de cartographie responsable de ce suivi en est révélateur.
La direction des Mines n’aurait pas recruté de personnel depuis 1986. De plus,
60 % des postes ne seraient pas pourvus et 50 % du personnel présent ne
répondrait pas au profil des postes occupés49. Les faibles capacités de suivi
et donc de contrôle des projets miniers par l’administration centrale et la
direction des Mines sont d’autant plus prégnantes que les entreprises ne
reçoivent presque jamais de « visites ». Le cartographe et conservateur à la
direction des mines est responsable à lui seul du suivi et du contrôle de tous
les permis minier délivrés. Il doit effectuer deux visites (obligatoires selon
le code minier) par an mais faute de moyens de locomotion, il est contraint
de demander aux entreprises de venir le chercher avec leurs propres véhicules
puis de le ramener à Yaoundé.
De toute évidence, l’État camerounais ne dispose ni d’une expertise forte
dans le secteur minier50 ni des moyens financiers et humains pour effectuer
des contrôles réguliers des activités des compagnies à l’échelle locale51. La
politique minière au Cameroun est marquée par un désengagement total de
l’État à l’échelle locale. Ainsi, les autorités déconcentrées – préfets, sous-préfets
et certaines délégations des ministères – sont-elles les seules à avoir quelques
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informations sur le secteur minier. Lors de mon enquête de terrain à Kribi,
j’ai pu constater qu’à l’exception de la préfecture et de la délégation locale
du ministère des Mines, les autres délégations ministérielles concernées
par les activités de la mine (par exemple le ministère du Travail responsable
de la protection des travailleurs camerounais de la mine, ou le ministère de

48. B. Campbell (dir.), Mining in Africa. Regulation and Development, New York, Pluto Press, 2009 ;
B. Campbell (dir.), Enjeu des nouvelles réglementations minières en Afrique, Nordiska Afrikainstitutet,
Discussion Paper, n° 26, 2004.
49. Constat établi par François Ouedraogo après une mission d’observation au Cameroun en 2009
pour la Commission européenne, voir F. Ouedraogo, Diagnostic du secteur minier du Cameroun…,
op. cit.
50. Entretien avec le secrétaire général à la cellule de communication du ministère de l’Industrie,
des Mines et du Développement Technologique, Yaoundé, février 2011. Dans le cadre de son DESS
de management public qu’il suit en parallèle de son travail au ministère, ce dernier produit
­actuellement une analyse sur l’expertise étatique dans le secteur minier. Selon ses calculs,
le Cameroun ne dispose aujourd’hui que de onze ingénieurs des mines, ils ne seront que deux
en 2016 si rien n’est fait en termes de recrutement et de formation.
51. Entretien avec le cartographe et conservateur à la direction des Mines au sein du ministère de
l’Eau et de l’Énergie, Yaoundé, février 2011.
le Dossier
116 Micropolitiques du boom minier

l’Environnement garant du suivi de l’étude obligatoire d’impact environne­


mental) étaient sciemment mises à l’écart de l’information et de la gestion des
projets miniers dans leur région. Malgré la création à Kribi d’une coordination
opérationnelle de la société civile (COSC), rassemblant une vingtaine d’ONG
locales qui tentent de rassembler toutes les informations sur les grands projets
en cours dans leur région52, leur niveau de connaissance et d’implication
est particulièrement faible.
Les faibles capacités étatiques des administrations à la fois centrales et
locales rendent le contrôle administratif particulièrement difficile. L’État en
tant qu’administrateur ne sort pas renforcé de ces déficiences mais le pouvoir
central, lui, s’assure le contrôle et la centralisation de la rente issue des
ressources minières. Les compagnies minières jouent sans surprise de ces
faiblesses pour ne pas déclarer certaines de leurs activités et contourner la
réglementation53. Ces marchandages entraînent en outre la multiplication
des interactions entre les acteurs publics et privés.

Quand la faiblesse de l’État camerounais facilite la prédation économique

Le processus de négociation du contrat minier entre une compagnie


étrangère et le pouvoir central camerounais fait parallèlement entrer en jeu
des intermédiaires plus ou moins privés. Cette montée de « réseaux » d’acteurs
privés parallèles brouille de fait les frontières entre le privé et le public.
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Prenons l’exemple du CAPAM, cet organisme rattaché au ministère des Mines,
créé en 2003, financé depuis 2005 par un fond PPTE (Pays pauvres très
endettés) qui lui est versé directement54. Cet organisme est chargé de canaliser
la production artisanale de minerais et d’assurer un contrôle sur les circuits

52. Entretien avec le coordonnateur d’une ONG, Kribi, mars 2011.


53. Par exemple, une société chinoise s’était vue accorder un permis de recherche pour le diamant
au Sud du Cameroun en 2007 ou 2008 près de la frontière centrafricaine. Des représentants de
la direction des Mines s’y sont rendus deux ou trois mois plus tard mais la société était
déjà repartie. L’administration n’avait pas suivi le dossier et la délégation du ministère des
Mines sur place n’avait pas de bureau ni de moyen de locomotion pour se rendre sur le site et
effectuer le suivi usuel. La société chinoise qui en avait profité pour outrepasser ses droits
en exploitant la zone le plus rapidement possible et en déviant des rivières, était repartie
en « vidant » le sous-sol de ses richesses. Entretien avec le coordinateur d’une ONG, Yaoundé,
janvier 2011.
54. Ces informations sont issues d’observations personnelles et d’un entretien avec le coordinateur
du CAPAM, Yaoundé, février 2011. Du fait de ce fond PPTE, le CAPAM dispose de plus de moyens
financiers que le ministère des Mines, ce qui n’est pas sans conséquences sur les relations entre
les fonctionnaires du ministère et les représentants du CAPAM.
Politique africaine
117 La privatisation de la politique minière au Cameroun

de commercialisation de l’artisanat minier au Cameroun pour le compte de


l’État55. Le coordinateur du CAPAM depuis sa création, Paul Ntep Gweth,
incarne ce mélange des genres. On le retrouve ainsi parfois lors de négociations
comme représentant d’intérêts privés (parfois les siens en tant qu’actionnaire
indépendant) et en même temps comme représentant des intérêts financiers
de l’État en tant qu’actionnaire étatique au travers du CAPAM. Proche du
président Paul Biya, il avoue « signer des chèques personnels au nom du
CAPAM56 » et assure lui-même la vente de l’or et des diamants camerounais
à Dubaï et Bangkok en attendant que soient définies des réglementations
précises dans ce domaine. Personnage incontournable du secteur, il est ainsi
devenu l’un des principaux intermédiaires ou « protecteurs57 » dans le secteur
minier par lesquels doivent passer les compagnies étrangères. Ces inter­
médiaires assurent la mise en contact et la multiplication des flux entre les
entreprises minières et l’État58. Il en est de même pour la compagnie chinoise
Sinosteel dont l’un des actionnaires privés est Gabriel Dima, directeur de
la FIFFA Bank (First Investment For Financial Assistance Bank, qui fait du
microcrédit), et actionnaire à 2,5 % au sein de Sinosteel59. Pour Zhengao Zeng,
directeur général de Sinosteel à Yaoundé, la présence de Gabriel Dima au
sein de la joint-venture Sinosteel Cam sert avant tout à faire avancer leur
« dossier » et à faciliter les relations avec le gouvernement camerounais.
L’homme d’affaires est connu comme étant à la fois un financeur du RDPC
(Rassemblement démocratique du peuple camerounais) et membre de la
sous-commission de l’intendance et de la logistique de ce parti. Proche du
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gouvernement, il est également président du Groupement des pétroliers
camerounais, promoteur immobilier avec la First Group Holding Company
à Douala, armateur avec sa compagnie Fini Maritime Fishing Company
(huit chalutiers pour la pêche le long des côtes), directeur du groupe First
National Investment, propriétaire d’une chaîne d’hôtels avec Fini Hotel et

55. La filière artisanale a toujours eu une importance particulière depuis l’Indépendance


au Cameroun, la plus grande partie des mines solides étant exploitées de manière artisanale
mais aussi informelle. L’exploitation artisanale reste très peu contrôlée et selon l’article 6 du code
minier, elle est réservée aux nationaux. La création du CAPAM avait justement pour objectif
de rendre plus productive l’exploitation artisanale en développant ses rapports avec la filière
industrielle.
56. Remarque faite lors de mon entretien avec le coordinateur du CAPAM, Yaoundé, février 2011.
57. Terme suggéré lors d’un entretien par le coordinateur d’une ONG, Yaoundé, février 2011.
58. Voir sur le « courtage » J.-P. Olivier de Sardan, « L’économie morale de la corruption en Afrique »,
Politique africaine, n° 63, octobre 1996, p. 97-116 et J.-P. Olivier de Sardan et T. Bierschenk, Courtiers
en développement. Les villages africains en quête de projets, Paris, Karthala, 2000.
59. Entretien avec le directeur général de Sinosteel, Yaoundé, 15 février 2011.
le Dossier
118 Micropolitiques du boom minier

actif également dans l’industrie du voyage avec FIFFA Voyages, dans l’assu­
rance, dans le transport, etc.60.
C’est au prix d’investissements « parallèles » que les compagnies peuvent
s’installer dans le pays. Un autre exemple illustre ce processus, celui d’une
compagnie coréenne61 qui, pour accélérer la signature d’un contrat important,
a à la fois mené des négociations officielles et officieuses. Elle a ainsi offert
de l’argent et une quarantaine de voyages à des fonctionnaires camerounais,
ce qui lui a permis de signer un contrat d’exploitation en un laps de temps
plus court et d’installer très rapidement son campement62. Les compagnies
minières qui investissent au Cameroun doivent ainsi faire face à un « dédou­
blement » des structures du pouvoir entre les institutions et les centres de
décisions « en trompe-l’œil » et des réseaux parallèles, peuplés de « protecteurs »
détournant les flux économiques et politiques63.

Le mode de gouvernement des mines au Cameroun inaugure une


gestion des ressources qui passe par la multiplication d’enclaves minières.
Ces dernières se développent plus facilement là où il n’y a pas d’État,
notamment à l’échelle locale, facilitant ainsi les opportunités de captation de
la rente. Le gouvernement des mines au Cameroun combine donc à la fois
rentabilité minière et absence ou inefficacité étatique64. Les « transactions » et
renégociations permanentes sont les outils d’une « duplication » des réseaux
mettant en parallèle négociations officielles et officieuses. Cette continuité
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de « l’économie de pillage » et de l’accaparement par les représentants de la
puissance étatique des ressources économiques à des fins de domination et
de centralisation, et le rôle primordial des intermédiaires plus ou moins
privés, sont les éléments centraux du gouvernement des mines aujourd’hui.
L’opacité des procédures et l’instrumentalisation de cette dernière par le
pouvoir central peuvent être analysées comme le reflet d’un processus
de construction et de transformation de l’État. La gouvernance minière
dévoile ainsi comment des formes de gestion du capital économique se

60. Ces diverses informations ont été collectées sur internet, voir V. Lickert, Les ressources minières
au Cameroun…, op. cit.
61. Discussions avec des membres d’ONG et de la Banque mondiale. Cette compagnie aurait,
en effet, obtenu son autorisation d’exploitation dans des délais très courts, résultat – selon mes
interlocuteurs – de cet afflux de « cadeaux ».
62. Entretien avec un membre d’une ONG, Yaoundé, janvier 2011.
63. J.-F. Bayart, « L’Afrique dans le monde : une histoire d’extraversion », Critique internationale,
n° 5, automne 1999, p. 97-120.
64. J. Ferguson, « Seeing like an oil company… », art. cit.
Politique africaine
119 La privatisation de la politique minière au Cameroun

croisent avec des techniques de gouvernementalité politique. Les privatisations


ne renseignent pas seulement sur les reconfigurations économiques et
politiques majeures qui sont en cours : elles montrent également comment
ces réformes s’adaptent aux réalités sociales et politiques des pays qui les
appliquent n

Victoria Lickert
Paris 1 Panthéon-Sorbonne – CESSP

Abstract
Privatizing Mining in Cameroon: Mining Enclaves, Global-local Decision-making
and Rent Misappropriation
Since the start of the 2000s, Cameroon has initiated a reform of its economic
policies in the mining sector. The aim is to turn the sector into a cornerstone of the
country’s economic growth. With the promulgation of a new mining code in 2001,
the privatization of the mining sector has taken the form of a controlled discharge:
operating mining has been outsourced to multinational companies, while the
Cameroonian government has maintained its regulatory capabilities and stands
at the core of the “government” of the mining sector. This article argues that
the privatization of mining policies in Cameroon contributes to the strengthening
of the state in a particular way. It favors a highly centralized decision-making in
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the hands of the executive, but also the use of brokers familiar to the political strongmen,
and a persistent opacity concerning both the mining code and the negotiations
between the Cameroonian government and multinational companies.

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