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Victoria Lickert
Nous nous rendons tout d’abord dans la forêt tropicale pour voir la mine de
fer. Si ma venue sur le site de la mine m’avait formellement été interdite
lors de mon entretien quelques jours auparavant à Yaoundé avec le directeur
général de Sinosteel, je décide de m’y rendre tout de même pour récolter
les impressions des deux camps (compagnie et population). Le voyage de
60 kilomètres se fait en moto pendant trois heures, sur une piste boueuse, le
campement de la mine se situant dans une zone très enclavée et difficilement
accessible. Arrivée sur place, je me présente comme une jeune étudiante de
la Sorbonne. L’interprète chinois parlant un peu français me fait visiter le site,
ravi de montrer les installations « à une étudiante qui vient tout spécialement
de Paris pour découvrir une mine ». Mon guide en profite pour poser quelques
questions aux quelques Camerounais qui travaillent sur place. Le retour du
chef de campement nous oblige à quitter les lieux. Nous retournons à Lolabé,
à la rencontre du chef de village et des villageois qui s’étaient opposés à la
compagnie en 2008. Outre de nombreuses récriminations contre les Français
qui les « ont laissés tomber », les Chinois « qui les envahissent » et le gouver
nement et les autorités locales « qui mangent l’argent » des compagnies
étrangères, les jeunes hommes du village insistent sur leurs attentes vis-à-vis
de Sinosteel en termes d’infrastructures et d’emplois.
Ce conflit est révélateur des rapports sociaux et politiques qui caractérisent
aujourd’hui la politique minière au Cameroun. Mêlant des imaginaires
populaires qui rappellent les compagnies concessionnaires du début du
xxe siècle, elle révèle en effet tout à la fois les nouvelles modalités de gestion
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6. Voir M. Diouf, « Privatisation des économies et des États africains », Politique africaine, n° 73, mars
1999, p. 16-23. Cette problématique de la « décharge » a été portée par B. Hibou, La Privatisation des
États, Paris, Karthala, 1999 et B. Hibou, « La “décharge”, nouvel interventionnisme », Politique
africaine, n° 73, mars 1999, p. 6–15. Cette problématique est devenue centrale dans nombre de tra-
vaux : voir le dossier de Politique africaine susmentionné, sur « L’État en voie de privatisation », n° 73,
mars 1999 ; J. Hönke, « New Political Topographies. Mining Companies and Indirect Discharge
in Southern Katanga (DRC) », Politique africaine, n° 120, décembre 2010, p. 105-127 ; J. Hönke,
« Transnational Pockets of Territoriality. Governing the Security of Extraction in Katanga (DRC) »,
Working Paper Series, n° 2, Graduate Centre Humanities and Social Sciences of the Research Academy
Leipzig, 2009 ; M. Williams, « The Gold Standard of Governance : Mining, Decentralization, and
State Power in Senegal », Politique africaine, n° 117, mars 2010, p. 127-148 ; R. Hardin, « Concessionary
Politics in the Western Congo Basin : History and Culture in Forest Use », Working Papers, n° 6, World
Resources Institute, novembre 2002 ; A. Karsenty, Les Concessions forestières en Afrique centrale.
Aspects historiques, institutionnels et politiques, du point de vue de la responsabilité sociale et environ
nementale des entreprises concessionnaires, étude pour le projet GEPAC de l’Union européenne,
CIRAD, Montpellier, septembre 2005, sur la reconfiguration de l’économie de concession.
Politique africaine
105 La privatisation de la politique minière au Cameroun
7. Au Cameroun, les entreprises chinoises sont avant tout présentes sur les marchés des grandes
villes, dans la construction de grandes infrastructures comme les routes ou le nouveau stade
de Yaoundé et les ressources minières. Le Cameroun facilite les conditions de résidence des
Chinois dans le pays puisque des accords entre Pékin et Yaoundé prévoient que les Chinois arrivant
au Cameroun soient les « seuls étrangers à bénéficier d’un droit de séjour d’un an et demi » sans
avoir à présenter de contrat de travail : B. Bertoncello et S. Bredeloup, « Chine-Afrique ou la
valse des entrepreneurs-migrants », Revue européenne des migrations internationales, vol. 25, n° 1,
2009, p. 45-70.
8. J. Abena Abena, « Les villageois barrent la route aux engins de la société Sinosteelcam »,
Le Jour, 27 août 2009 et discussion avec Joseph Abena à Kribi, février 2011.
9. Discussion avec un groupe de jeunes de Lolabé, Lolabé, février 2011.
10. Entretien avec le sous-préfet de Kribi 1er, sous-préfecture de Massaka Kribi, février 2011.
le Dossier
106 Micropolitiques du boom minier
gens ordinaires ou des membres d’ONG établissent que les autorités locales
trouvent des arrangements avec les compagnies minières. Selon eux, les
préfets, les délégués ministériels et les maires, tout comme les chefs de village,
pourraient trouver leur compte à l’arrivée de ces entreprises car cela leur
permettrait très souvent de « manger »14. Les compagnies, pour maintenir le
calme autour de leurs sites, se rendent souvent auprès des chefs de villages
pour discuter et leur « vendre » leurs projets grâce à des dons matériels ou
financiers15. Ce retour du système concessionnaire n’est pas seulement un
processus imposé par le haut, mais il entraîne également une « co-construction »
entre les opérateurs étrangers et les Camerounais à une échelle plus locale
sur les termes des contrats signés à l’échelle nationale16. Ainsi, beaucoup de
compagnies paieraient des salaires souvent mensuels aux différentes auto-
rités, salaires qu’elles ne rapporteraient pas dans leurs bilans financiers17.
D’autres feraient régulièrement des cadeaux aux autorités locales. C’est le cas
par exemple d’un préfet qui se ferait réparer sa voiture et offrir toutes les
semaines le plein par une compagnie minière, ou encore celui d’un délégué
des mines soudoyé par une compagnie pour qu’il ne contrôle pas leurs
activités18.
Ces rapports de pouvoirs à l’échelle locale, qui laisseraient croire que l’État
camerounais, ne disposant pas des moyens de contrôle et de suivi des activités
minières, est affaibli par ces carences, cacheraient de fait une instrumentalisation
de la politique minière par le pouvoir central et une appropriation de la
rente par les représentants de l’autorité publique. L’absence de relations
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14. Discussions avec des habitants de Kribi et Lolabé, des membres d’ONG, février 2011.
15. Entretiens avec des militants d’ONG, Yaoundé, février 2011. Voir également A. Mbembe,
« Crise de légitimité, restauration autoritaire et déliquescence de l’État », in P. Geschiere et
P. Konings (dir.), Itinéraires d’accumulation au Cameroun, Paris/Leiden, Karthala/Afrika studie
centrum, 1993, p. 354-374.
16. R. Hardin, « Concessionary Politics in the Western Congo Basin… », op. cit., p. 21. Voir également
A. Karsenty, Les Concessions forestières en Afrique centrale…, op. cit., p. 19.
17. Entretien avec un militant d’une ONG, Yaoundé, février 2011.
18. Idem.
19. J. Ferguson, « Seeing Like an Oil Company : Space, Security, and Global Capital in Neoliberal
Africa », American Anthropologist, vol. 107, n° 3, septembre 2005, p. 377-382.
le Dossier
108 Micropolitiques du boom minier
Si l’État n’est plus capable d’assumer ses missions essentielles (école, santé,
route, électricité…), il garde la main sur tous les rouages de l’économie grâce
aux privatisations et ce en pilotant le secteur minier depuis la capitale. Les
compagnies minières négocient l’obtention de permis à Yaoundé et s’installent
ensuite directement dans leurs sites sans prendre contact avec les représentants
locaux et les populations, comme le démontre le cas de Lolabé. La compagnie
chinoise Sinosteel a ainsi fait venir l’ensemble de son équipement et ses
employés par un bateau cargo jusqu’à Douala, avant que le matériel et les
hommes ne soient directement acheminés sans escale et par camions jusqu’au
Mont Mamelles20. La route de brousse entre Lolabé et le Mont Mamelles a été
superficiellement refaite par la compagnie afin de permettre le passage de ses
4x4 uniquement. Les compagnies minières et les autorités gouvernementales
se rencontrent et prennent l’ensemble des décisions à Yaoundé, décisions
qui sont ensuite appliquées à l’échelle locale sans consultation des autorités
et des ONG locales. Si l’État central utilise les compagnies minières pour
mettre en valeur ses ressources, ce gouvernement indirect se traduit de fait
à l’échelle locale par une absence de gouvernement. En effet, la compagnie
Sinosteel Cam, installée depuis 2008 au Mont Mamelles – situé à trois cents
kilomètres de Yaoundé, à plus de soixante kilomètres de Kribi et trente
kilomètres du village le plus proche – est au cœur d’une région très pauvre
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20. Entretien avec le délégué du ministère des Mines et de l’Eau, Kribi, 21 février 2011.
21. J. Hönke, « Transnational Pockets of Territoriality… », art. cit. ; J. Ferguson, Global Shadows.
Africa in the Neoliberal World Order, Durham, Duke University Press, 2006, p. 204 ; M. Williams,
« The Gold Standard of Governance… », art. cit.
Politique africaine
109 La privatisation de la politique minière au Cameroun
22. Les ouvriers employés dans la mine à Lolabé par Sinosteel (comme dans d’autres sites
d’exploration au Cameroun) sont en outre parfois issus de régions différentes de celle du site
où ils travaillent. Le lien avec l’environnement local est ainsi presque totalement absent.
23. Notes de terrain lors de ma visite le 22 février 2011 du campement de Sinosteel au Mont
Mamelles.
24. F. Ouedraogo, Diagnostic du secteur minier du Cameroun, Rapport final, Diagnostic des sous secteurs
des mines et géologie, ADE, Commission européenne, octobre 2009, p. 6. à l’époque coloniale,
l’exploitation minière contribue à 11,7 % du PIB du pays (en 1939) et dépasse même 20 % pendant
la Seconde Guerre mondiale avant de décliner et de retomber aux alentours de 2 ou 3 % en 1950
et 0,6 % en 1959.
25. Le secteur minier ne contribue aujourd’hui que pour moins de 1 % du PIB dans la mesure où
la majeure partie de l’exploitation minière, en particulier artisanale, reste cantonnée aux circuits
informels. « Cameroun, 300 milliards de pertes dues aux fraudes dans l’exploitation minière
tous les ans », Cameroon Tribune, 12 novembre 2012 ; A. Ngapout, « Cameroun : secteur minier.
L’or camerounais intéresse les Qataris », Cameroon Tribune, 25 avril 2013.
le Dossier
110 Micropolitiques du boom minier
26. D’après nos entretiens, l’élaboration du code minier s’est faite « dans le plus grand secret »,
personne ne sait exactement qui a précisément pris part aux négociations au sein du gouvernement.
Nous pouvons néanmoins faire la supposition, grâce à certains de nos entretiens, que des
personnalités influentes au Cameroun ont été présentes comme Paul Ntep Gweth, coordonnateur
du CAPAM (cadre d’appui et de promotion de l’artisanat minier), un proche du président
Paul Biya.
27. Article 6 de la loi n° 001 du 16 avril 2001 portant code minier en République du Cameroun.
28. Entretien avec le chargé d’études au secrétariat général auprès du service du Premier ministre,
Yaoundé, février 2011.
29. Entretien avec le cartographe et conservateur à la direction des Mines au sein du ministère de
l’Eau et de l’Énergie, Yaoundé, février 2011.
30. Entretien avec le chargé d’études au secrétariat général auprès du service du Premier ministre,
Yaoundé, février 2011.
Politique africaine
111 La privatisation de la politique minière au Cameroun
Les amendements ont été adoptés dans le secret le plus complet37 à tel point
que, jusqu’en février 2011, la Banque mondiale, tout comme les ONG œuvrant
pour une plus grande transparence du secteur extractif, ignoraient leur
promulgation intervenue en juillet 2010. Jusqu’à aujourd’hui, ces amendements
n’ont d’ailleurs pas été publiés au Journal Officiel camerounais. C’est par
hasard, lors d’un entretien avec un haut fonctionnaire, que j’ai pu avoir accès
au texte en février 2011. La volonté de l’État camerounais de reprendre en
main le secteur minier passe donc par l’opacité du processus de décision à
la fois au Parlement et au gouvernement.
Cette mise à l’écart des ONG et de la Banque mondiale a ensuite trouvé
d’autres occurrences. Ainsi, une personne en charge de la question des
ressources minières dans cette dernière institution m’apprit en mars 2011
que, depuis quelques mois, le ministre des Mines mais surtout le directeur
des mines, ne tenaient plus au courant la Banque mondiale de leurs rendez-
vous avec les compagnies minières et signaient des contrats dans des condi
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été publié concernant le mode de reversement des redevances, ce qui donne lieu à de nombreuses
tensions entre le gouvernement, les ONG et la Banque mondiale.
37. Tout comme le code minier, peu d’informations existent sur l’élaboration de ces amendements.
Néanmoins, à la différence du code minier, un certains nombre de députés se sont alliés aux
ONG disposant d’informations pour faire pression sur le gouvernement lors du vote des amen
dements à l’Assemblée. Pour plus d’informations voir V. Lickert, Les ressources minières au
Cameroun…, op. cit.
38. Entretien avec un consultant de la Banque mondiale, Yaoundé, janvier 2011.
39. D. Darbon (dir.), La Politique des modèles en Afrique, Paris, Karthala, 2009, p. 7-9.
40. D. Darbon, « à qui profite le mime ? », in Y. Mény (dir.), Les Politiques du mimétisme institutionnel,
Paris, L’Harmattan, 1993, p. 113-137.
Politique africaine
113 La privatisation de la politique minière au Cameroun
41. La signature des contrats miniers reste une question particulièrement sensible lors des
entretiens, au sein même du ministère des Mines. Tout au plus sait-on que seul le président de la
République camerounaise et quelques-uns de ses proches collaborateurs sont probablement
présents lors de la signature finale du contrat.
42. B. Hibou, « La “décharge”, nouvel interventionnisme ?… », art. cit., p. 6-15.
le Dossier
114 Micropolitiques du boom minier
48. B. Campbell (dir.), Mining in Africa. Regulation and Development, New York, Pluto Press, 2009 ;
B. Campbell (dir.), Enjeu des nouvelles réglementations minières en Afrique, Nordiska Afrikainstitutet,
Discussion Paper, n° 26, 2004.
49. Constat établi par François Ouedraogo après une mission d’observation au Cameroun en 2009
pour la Commission européenne, voir F. Ouedraogo, Diagnostic du secteur minier du Cameroun…,
op. cit.
50. Entretien avec le secrétaire général à la cellule de communication du ministère de l’Industrie,
des Mines et du Développement Technologique, Yaoundé, février 2011. Dans le cadre de son DESS
de management public qu’il suit en parallèle de son travail au ministère, ce dernier produit
actuellement une analyse sur l’expertise étatique dans le secteur minier. Selon ses calculs,
le Cameroun ne dispose aujourd’hui que de onze ingénieurs des mines, ils ne seront que deux
en 2016 si rien n’est fait en termes de recrutement et de formation.
51. Entretien avec le cartographe et conservateur à la direction des Mines au sein du ministère de
l’Eau et de l’Énergie, Yaoundé, février 2011.
le Dossier
116 Micropolitiques du boom minier
actif également dans l’industrie du voyage avec FIFFA Voyages, dans l’assu
rance, dans le transport, etc.60.
C’est au prix d’investissements « parallèles » que les compagnies peuvent
s’installer dans le pays. Un autre exemple illustre ce processus, celui d’une
compagnie coréenne61 qui, pour accélérer la signature d’un contrat important,
a à la fois mené des négociations officielles et officieuses. Elle a ainsi offert
de l’argent et une quarantaine de voyages à des fonctionnaires camerounais,
ce qui lui a permis de signer un contrat d’exploitation en un laps de temps
plus court et d’installer très rapidement son campement62. Les compagnies
minières qui investissent au Cameroun doivent ainsi faire face à un « dédou
blement » des structures du pouvoir entre les institutions et les centres de
décisions « en trompe-l’œil » et des réseaux parallèles, peuplés de « protecteurs »
détournant les flux économiques et politiques63.
60. Ces diverses informations ont été collectées sur internet, voir V. Lickert, Les ressources minières
au Cameroun…, op. cit.
61. Discussions avec des membres d’ONG et de la Banque mondiale. Cette compagnie aurait,
en effet, obtenu son autorisation d’exploitation dans des délais très courts, résultat – selon mes
interlocuteurs – de cet afflux de « cadeaux ».
62. Entretien avec un membre d’une ONG, Yaoundé, janvier 2011.
63. J.-F. Bayart, « L’Afrique dans le monde : une histoire d’extraversion », Critique internationale,
n° 5, automne 1999, p. 97-120.
64. J. Ferguson, « Seeing like an oil company… », art. cit.
Politique africaine
119 La privatisation de la politique minière au Cameroun
Victoria Lickert
Paris 1 Panthéon-Sorbonne – CESSP
Abstract
Privatizing Mining in Cameroon: Mining Enclaves, Global-local Decision-making
and Rent Misappropriation
Since the start of the 2000s, Cameroon has initiated a reform of its economic
policies in the mining sector. The aim is to turn the sector into a cornerstone of the
country’s economic growth. With the promulgation of a new mining code in 2001,
the privatization of the mining sector has taken the form of a controlled discharge:
operating mining has been outsourced to multinational companies, while the
Cameroonian government has maintained its regulatory capabilities and stands
at the core of the “government” of the mining sector. This article argues that
the privatization of mining policies in Cameroon contributes to the strengthening
of the state in a particular way. It favors a highly centralized decision-making in
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