Note Battory Virdoulon RDC 2020 Complet Okes
Note Battory Virdoulon RDC 2020 Complet Okes
Note Battory Virdoulon RDC 2020 Complet Okes
Jean BATTORY
Thierry VIRCOULON
Mars 2020
Centre
Afrique
subsaharienne
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Loin d’être un archaïsme précolonial, les chefs coutumiers sont une des
premières manifestations de la modernité politique. La généralisation de la
chefferie dans le cadre territorial du Congo est en grande partie l’œuvre du
colonisateur belge. Depuis l’époque coloniale, les chefs coutumiers sont
parvenus à préserver leurs prérogatives et à rester les gestionnaires du
foncier et les pourvoyeurs de justice locale. Leur résilience a démenti tous
ceux qui prédisaient et espéraient leur inéluctable obsolescence sous l’effet
de la dictature du parti unique de Mobutu et du pluralisme électoral au
début de ce siècle. Cette résilience s’explique autant par leurs capacités
d’adaptation que par la reconnaissance par les différents pouvoirs en place,
de leur utilité institutionnelle et politique. Paradoxalement, alors qu’elles
auraient dû réduire leur importance, les élections qui ont eu lieu depuis
2006 l’ont renforcée. Bien que, selon la loi, les chefs sont apolitiques, leur
politisation insidieuse est aujourd’hui une réalité acceptée. La conséquence
la plus évidente de la survie historique de la chefferie est son implication
dans les conflits qui agitent la République démocratique du Congo. À la fois
victimes et acteurs de ces conflits, les chefs coutumiers occupent une place
dans les dynamiques de conflit qui fluctue en fonction des circonstances.
Cette implication représente l’inévitable contrepartie de leur rôle
institutionnel et politique.
Abstract
INTRODUCTION .................................................................................... 6
CHEFFERIES ET CONFLITS.................................................................. 19
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Les pouvoirs coutumiers en RDC… Jean Battory et Thierry Vircoulon
9. En 1913, l’administration coloniale belge impose la ségrégation entre colons et indigènes et crée
les quartiers indigènes, séparés des quartiers réservés aux colons.
10. M. N. Gamanda, La question du pouvoir judiciaire en République démocratique du Congo,
Kinshasa, Éditions Droit et Idées Nouvelles, 2001.
11. A. Lauro, « Maintenir l’ordre dans la colonie-modèle. Notes sur les désordres urbains et la
police des frontières raciales au Congo Belge (1918-1945) », Crime, Histoire et Société, vol. 15,
n° 2, 2011, p. 97-121, disponible sur : journals.openedition.org.
12. Ibid.
13. Ibid.
14. L. De Clerck, « L’administration coloniale belge sur le terrain au Congo (1908-1960) et au
Ruanda-Urundi (1925-1962) », op. cit.
15. Ibid.
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Les pouvoirs coutumiers en RDC… Jean Battory et Thierry Vircoulon
16. La différence entre chefferies et secteurs est subtile : un secteur est un groupe de villages où il
n’y a pas d’ethnie dominante.
17. L. de Saint-Moulin et J.-L. Kalombo Tshibanda, Atlas de l’organisation administrative de la
République démocratique du Congo, Kinshasa, Centre d’études pour l’action sociale, 2005.
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Les chefferies et le pouvoir
politique : une dépendance
réciproque
18. Loi fondamentale du 19 mai 1960 relative aux structures du Congo, art. 87-88, 93, 107, 111,
116, 119, 120, 121.
19. Loi fondamentale du 19 mai 1960 relative aux structures du Congo, art. 191.
Les pouvoirs coutumiers en RDC… Jean Battory et Thierry Vircoulon
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Les pouvoirs coutumiers en RDC… Jean Battory et Thierry Vircoulon
27. F. Liégeois et T. Vircoulon, « Inventer une politique publique dans un État failli. Le défi de la
sécurisation des droits fonciers dans l’Est du Congo », Notes de l’Ifri, Ifri, avril 2012, disponible
sur : www.ifri.org.
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Les pouvoirs coutumiers en RDC… Jean Battory et Thierry Vircoulon
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Les pouvoirs coutumiers en RDC… Jean Battory et Thierry Vircoulon
Bien que prévues par la constitution et les lois électorales depuis 2006, les
élections locales n’ont jamais été organisées par le régime kabiliste. De ce fait,
la mise en œuvre de la décentralisation prévue par la constitution a été
considérablement retardée : le gouvernement de Joseph Kabila s’est doté dès
2008 d’une loi sur la décentralisation mais sa mise en œuvre n’a débuté qu’en
2015, dans le cadre d’une stratégie d’évitement de la fin constitutionnelle du
régime kabiliste 34. Par ailleurs, la loi sur les chefs coutumiers prévue par la
constitution de 2005 n’a été adoptée qu’en 2015. Paradoxalement, elle a
conforté leur pouvoir et leur a donné pleine et entière satisfaction.
Venue compléter les textes sur la décentralisation, cette loi fait des chefs
coutumiers des relais à part entière de l’État en leur octroyant une
rémunération, des avantages sociaux, un passeport de service, les symboles de
l’État 35, etc. Ces dispositions font des chefs coutumiers des membres de
l’administration avec des droits et avantages similaires à ceux des maires.
D’ailleurs, la procédure disciplinaire applicable aux chefs coutumiers est celle
applicable aux agents de l’État. Cette loi liste aussi les incompatibilités avec
l’exercice de la fonction d’autorité coutumière (telles que des fonctions au sein
des services de sécurité, la fonction de magistrat, l’appartenance à un parti
politique 36, etc.) et, comme à l’époque coloniale, elle prévoit des sanctions
disciplinaires qui vont jusqu’à la déchéance, notamment en cas de faute
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Les pouvoirs coutumiers en RDC… Jean Battory et Thierry Vircoulon
37. Loi n°15/015 du 25 août 2015 fixant le statut des chefs coutumiers, Journal officiel, 31 août
2015, art. 32. L’article 24 du décret du 10 mai 1957 relatif aux circonscriptions indigènes prévoyait
les mêmes sanctions contre les chefs.
38. Loi n° 15/015 du 25 août 2015 fixant le statut des chefs coutumiers, Journal officiel, 31 août
2015, art. 29.
39. Joseph Kabila est élu pour la première fois président de la République démocratique du Congo
le 6 décembre 2006, il est réélu le 9 décembre 2011 et quitte le pouvoir le 24 janvier 2019.
40. Réforme foncière, Ministère des Affaires foncières, document de programmation.
41. « Un ministre suspendu sur ordre de Tshisekedi », Voice of America, 18 mars 2019, disponible
sur : www.voaafrique.com ; « RDC : Tshibala oblige Lumeya à lui présenter tout projet d’arrêté
avant signature », Actualité.CD, 11 mai 2018, disponible sur : actualite.cd.
42. Édit 002/2012 du 28 juin 2012 portant rapports entre les chefs coutumiers, chefs terriens et
exploitants agricoles en matière de gestion des terres coutumières dans la province du Nord-
Kivu », Cabinet du gouverneur de province, province du Nord-Kivu, 28 juin 2012.
43. Le problème de la privatisation des terres communautaires par les chefs est particulièrement
aigu, notamment dans les zones périurbaines où la valeur des terres augmente du fait de
l’urbanisation. T. Trefon et S. Cogels, Espaces périurbains d’Afrique centrale et gouvernance
environnementale, Bruxelles, Université libre de Bruxelles, 2007.
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Les pouvoirs coutumiers en RDC… Jean Battory et Thierry Vircoulon
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Les pouvoirs coutumiers en RDC… Jean Battory et Thierry Vircoulon
des gouverneurs qui sont acquis au clan Kabila et ont un rôle d’arbitre des
conflits entre chefs coutumiers. En outre, une partie des chefs coutumiers ont
relancé la revendication de leur reconnaissance au travers d’un ministère des
Affaires coutumières 47. Cette demande intervient au moment où une partie de
la société civile et l’Église catholique réclament l’organisation des élections
locales prévues par la constitution de 2005 et qui aboutiraient inévitablement
à réduire l’influence des chefs coutumiers 48. Ces revendications contradictoires
entre des acteurs de la société civile et le pouvoir coutumier illustrent les
tiraillements internes de la société congolaise et les défis auxquels elle doit
faire face au début du XXIe siècle.
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Chefferies et conflits
49. Loi n° 15/015 du 25 août 2015 fixant le statut des chefs coutumiers, Journal officiel, 31 août
2015, art. 35.
50. « Kasaï-Oriental : installation des chefs coutumiers sur fond des conflits tribaux à Miabi »,
Radio Okapi, 29 mars 2011, disponible sur : www.radiookapi.net.
Les pouvoirs coutumiers en RDC… Jean Battory et Thierry Vircoulon
51. Rapport de mission d’enquête spéciale sur les violences intercommunautaires des 16 et
17 décembre 2018 dans le territoire de Yumbi, Bureau conjoint des Nations unies aux Droits de
l’Homme, mars 2019.
52. « Kasaï-Central : un conflit champêtre dégénère à Dimbelenge », Radio Okapi, 12 septembre
2018, disponible sur : www.radiookapi.net.
53. K. Kabamba, « Pouvoir, territorialité et conflictualité au Grand Kasaï (République
démocratique du Congo) », Belgeo, n° 2, 2018, disponible sur : journals.openedition.org.
54. Pour plus de détails, lire « Comprendre les conflits dans l’Est du Congo (I) : la plaine de la
Ruzizi », International Crisis Group, rapport Afrique n° 206, 23 juillet 2013, disponible sur :
www.operationspaix.net et « “Conflict Scan” avec les Jeunes de la Plaine de la Ruzizi. Uvira, Sud
Kivu », Search for Common Ground, décembre 2015, disponible sur : www.sfcg.org.
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Les pouvoirs coutumiers en RDC… Jean Battory et Thierry Vircoulon
55. « L’aventure des Enyele à Mbandaka », Le Phare, 12 avril 2010, disponible sur :
www.lephareonline.net.
56. B. Verhaegen, Mulele et la révolution populaire au Kwilu (République démocratique du
Congo), Paris, L’Harmattan, 2006.
57. P. Mathieu et A. M. Tsongo, « Guerres paysannes au Nord-Kivu (République démocratique du
Congo), 1937-1994 », Cahiers d’études africaines, 1998, p. 385-416, disponible sur :
www.persee.fr.
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Les pouvoirs coutumiers en RDC… Jean Battory et Thierry Vircoulon
58. Le mouvement Maï-Maï fut défini ainsi par ses responsables : « Le mouvement Mai-Mai est un
mouvement des patriotes résistants congolais qui se prennent en charge suite à la démission de
l’État dans ses obligations de protéger la population et de défendre la souveraineté et l’intégrité
du territoire. » Cité dans L. N’Sanda Buleli, Ethnicité et géopolitique au Maniema, op. cit.
59. C. Nasibu Bilali, « Qui arme les Maï-Maï. Enquête sur une situation originale », Groupe de
recherche et d’information sur la paix et la sécurité, n° 5, 2004, disponible sur : www.grip.org.
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Les pouvoirs coutumiers en RDC… Jean Battory et Thierry Vircoulon
jeunesse rurale contre l’ordre socio-politique coutumier qui fait des cadets,
des inférieurs dans la société rurale. Comme l’a montré l’élimination de
chefs coutumiers par certains groupes Maï-Maï, ces derniers peuvent leur
être hostiles quand ils les considèrent comme des défenseurs de l’ordre
établi 60. Ainsi au centre du Katanga, entre juillet 2002 et mars 2006, les
combattants Maï-Maï du seigneur de guerre Gédéon ont délibérément tué
plus de quarante chefs locaux, se livrant aussi à des actes de cannibalisme
sur ces derniers. Ils voyaient en eux des représentants de l’État et ont
cherché à les éliminer systématiquement de la zone sous leur contrôle 61. De
même au Nord-Kivu, dans le territoire de Walikale, le seigneur de guerre
Maï Maï Ntabo Ntaberi Sheka, candidat aux élections législatives de 2011, a
terrorisé les populations et chefs coutumiers de sa propre communauté
pour influer sur l’enrôlement des électeurs 62. Les chefs coutumiers sont
parfois devenus les cibles privilégiées des seigneurs de guerre dans le cadre
de leur stratégie de pression sur le gouvernement pour être intégrés dans
l’appareil sécuritaire congolais.
Il est révélateur que les tentatives d’unification du mouvement Maï-
Maï aient toujours échoué. Cela résulte de sa matrice d’origine qui reste
ethnique et constitue sa limite. Actuellement, le seul point commun entre
les groupes Maï-Maï, du fait de leurs divisions, réside dans le rejet des
Rwandophones. Formés sur une base locale, ils sont empêtrés dans des
guerres de terroirs, des rivalités coutumières et des luttes économiques. La
relation entre les milices Maï-Maï et le pouvoir coutumier est donc devenue
très complexe et mélange association, collusion, collaboration et rébellion
en fonction des terroirs et des circonstances.
60. Cette dimension du mouvement Maï-Maï rappelle ce qu’écrit l’historien Eric J. Hobsbawm sur
le banditisme comme forme primitive de la révolte. E. J. Hobsbawm, Les Bandits, Paris, La
Découverte, 2018.
61. Rapport sur le procès des crimes graves commis au Nord Katanga par l’ex-chef milicien
Gédéon Kyungu Mutanga, Asadho/Katanga, 2008.
62. Pour plus de détails, voir « Congo. Le processus électoral vu de l’Est », International Crisis
Group, Briefing Afrique n° 80, 5 septembre 2011, disponible sur : d2071andvip0wj.cloudfront.net.
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Les pouvoirs coutumiers en RDC… Jean Battory et Thierry Vircoulon
63. Pour plus de détails voir M.-A. Lagrange, « Du désordre comme art de gouverner. La rébellion
Kamwina Nsapu, un symbole du mal congolais », Notes de l’Ifri, Ifri, septembre 2017, disponible
sur : www.ifri.org.
64. « Mettre le feu à sa propre maison. La crise au Kasaï. La manipulation du pouvoir coutumier
et l’instrumentalisation du désordre », Groupe d’étude sur le Congo, New York University,
juillet 2018, disponible sur : congoresearchgroup.org.
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Conclusion : Des chefferies
incontournables
et éternelles ?
65. C.-H. Perrot et F.-X. Fauvelle-Aymar (dir.), Le retour des rois. Les autorités traditionnelles et
l’État en Afrique contemporaine, op. cit.
Institut français
des relations
internationales