Esclavage Frantz Fanon

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« JE NE SUIS PAS ESCLAVE DE L'ESCLAVAGE »

Frantz Fanon

Éditions Esprit | « Esprit »

2006/1 Janvier | pages 172 à 173


ISSN 0014-0759
ISBN 9782909210413
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-esprit-2006-1-page-172.htm
© Éditions Esprit | Téléchargé le 15/10/2020 sur www.cairn.info via Université de Picardie (IP: 194.57.107.113)

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Journal

d’origine étrangère. Une lente dégra- autant de cibles disant la déliaison qui
dation des liens sociaux se met en parcourt les banlieues. Elle suscite des
place. Elle s’accompagne d’une scis- attitudes qui ne sont pas sans rappe-
sion croissante entre habitants « de ler les constatations de Fanon. L’im-
souche » et vagues ininterrompues de possibilité ressentie de ne pouvoir
nouveaux venus. Une ségrégation interférer dans la marche de la société
s’opère de plus en plus entre les popu- conduit ces jeunes français, enfants ou
lations les plus précaires et les pre- petits-enfants d’immigrés, à s’opposer
miers occupants partant vers de violemment entre exclus à l’image des
meilleurs logements. Ne restent dans heurts, hier, paroxystiques, entre colo-
un bâti dégradé que les moins favori- nisés, entre « damnés de la terre ».
sés, travailleurs immigrés proches de Retisser du lien social apparaît à
la retraite ou retraités, jeunes couples court terme sinon une gageure du
français de la seconde génération en moins un défi auquel l’ensemble des
contrat à durée déterminée sinon au acteurs est convié et ce afin de « réin-
chômage, adolescents des générations troduire l’homme dans le monde,
ultérieures sans avenir assuré. l’homme total3 » quelle que soit son
Des rétractions du lien social s’opè- origine.
rent. L’assimilation et l’intégration ne
Pierre Bouvier*
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semblent plus être au rendez-vous.
Cette situation s’aggrave au fil des
années. Le libéralisme dominant s’ac- 3. F. Fanon, les Damnés de la terre, Paris,
compagne d’un repli du lien social que Maspéro, 1961, p. 79.
traditionnellement les institutions * Professeur des universités, sociologue,
Paris X-Nanterre, auteur de Lien social, Paris,
publiques pourvoyaient. Ces adoles- Gallimard, coll. « Folio », 2005 et de Fanon,
cents désœuvrés sont plus ou moins Paris, Éd. universitaires, 1971.
pris en charge par des éducateurs, des
animateurs et des travailleurs sociaux.
Des activités culturelles et sportives
tentent de pallier la déshérence crois-
sante. Peu convaincus, ces jeunes pré- « JE NE SUIS PAS
fèrent le lien social que suscitent, pour ESCLAVE DE
le meilleur et pour le pire, la bande, L’ESCLAVAGE »
l’échange entre-soi et l’opposition aux
autres, ces adultes auxquels ils impu-
tent les raisons de leurs difficultés. Les « Seront désaliénés Nègres et
regroupements se font en regard des Blancs qui auront refusé de se laisser
domiciliations géographiques sinon enfermer dans la Tour substantialisée
culturelles. du Passé. […] Je suis un homme et
La réduction des crédits attribués c’est tout le passé du monde que j’ai à
aux associations de proximité et par- reprendre. Je ne suis pas seulement
fois la stigmatisation enveniment cette responsable de la révolte de Saint-
situation. Des accidents mortels Domingue. […] En aucune façon, je ne
déclenchent des réactions violentes où dois tirer du passé des peuples de cou-
sont visées en particulier ces institu- leur ma vocation originelle. En aucune
tions et ces administrations qui les façon je ne dois m’attacher à faire
auraient oubliés ou qui ne leur assure- revivre une civilisation nègre injuste-
raient plus le contrat républicain : ment méconnue. Je ne me fais l’homme
école, bureau de poste, transports, etc., d’aucun passé. Je ne veux pas chanter

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le passé aux dépens de mon présent et en passant par La femme de Jean,


de mon avenir. […] N’ai-je donc pas Jamais plus toujours, L’amour violé,
sur cette terre autre chose à faire qu’à L’amour nu, La triche et Les enfants du
venger les Noirs du XVIIe siècle ? […] désordre. Plus six courts et moyens
Je n’ai pas le droit, moi homme de cou- métrages et de nombreux entretiens. Ce
leur, de souhaiter la cristallisation chez que l’on découvre alors, c’est l’actua-
le Blanc d’une culpabilité envers le lité d’une œuvre qui n’a pas pris une
passé de ma race. Je n’ai pas le droit, ride, alors qu’elle a toujours été en
moi homme de couleur, de me préoc- prise directe avec son époque. C’est
cuper des moyens qui me permettraient qu’avant d’être documentariste, fémi-
de piétiner la fierté de l’ancien maître. niste, militante, Yannick Bellon est
Je n’ai ni le droit ni le devoir d’exiger poète.
réparation pour mes ancêtres domes- Poète vient du verbe grec ποιειν :
tiqués. […] Vais-je demander à faire. Être poète, c’est donc très
l’homme blanc d’aujourd’hui d’être res- concret. Ça consiste à fabriquer du
ponsable des négriers du XVIIe siècle ? visible pour dire l’invisible. La poésie
[…] Je ne suis pas esclave de l’Escla- – la vraie – se joue des modes et se
vage qui déshumanisa mes pères1. » moque du temps. Or, justement, le
grand sujet de Yannick Bellon, c’est le
Frantz Fanon
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temps. Le temps qui passe et qui, sous
sa caméra, doucement, finit par bas-
1. Frantz Fanon, Peau noire, masques blancs, culer dans l’éternité.
Paris, Le Seuil, coll. « Points-Essais », 1971 Donc, Yannick Bellon est poète et
re
(1 éd. 1952), p. 183-186, cité par Patrick Weil,
dans Patrick Weil et Stéphane Dufoix (sous la dès son premier long métrage, Quelque
dir. de), l’Esclavage, la colonisation et après… part quelqu’un, elle le prouve. Qu’y a-
France, États-Unis, Grande-Bretagne, Paris, PUF,
2005. t-il derrière ces fenêtres closes, filmées
en de longs panoramiques, caméra à
l’épaule ? Des gens que la vie use peu
à peu, comme elle a usé ces murs lézar-
dés. Des gens seuls, des gens qui pleu-
YANNICK BELLON rent, qui attendent, qui aiment, qui
ou le temps retrouvé rient. Des gens qui vivent côte à côte,
mais isolés, chacun dans sa case. Et
quand ces gens sortent de leurs cases,
Enfin ! Enfin un coffret de huit DVD1 leurs chemins, qui se croisent et s’en-
nous permet de retrouver – ou, pour les trecroisent, dessinent la pire des soli-
plus jeunes, de découvrir – les films tudes : la solitude dans la foule.
d’une réalisatrice qui compte parmi les Au cœur de cet opéra unanimiste,
grands auteurs du cinéma français. de temps en temps, un solo : un per-
Que son nom soit moins connu du sonnage ou un couple sur lequel la
grand public que ceux de Rohmer, caméra s’attarde. Il y a Raphaèle
Truffaut ou Varda n’est pas à l’honneur (Loleh Bellon, la grande comédienne
des programmateurs des salles de de théâtre que fut la sœur de Yannick
cinéma et des chaînes de télévision. Bellon), dont l’amour est impuissant à
Huit DVD, donc, pour voir ou revoir sauver Vincent (Roland Dubillard), qui
ses huit longs métrages, de Quelque noie son mal de vivre dans l’alcool. Il
part quelqu’un (1972) à L’affût (1992), y a Germaine et Albert (Hélène Dieu-
donné et Paul Villé), vieux couple
1. Doriane films (environ 80 €). amoureux, expulsé de son logis vétuste.

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