Fiche de Lecture - Les Règles de La Méthode Sociologique - Émile Durkheim

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Fiche de lecture : Les Règles de la méthode

sociologique d’Émile Durkheim


I. Présentation de l’ouvrage

Titre : Les Règles de la méthode sociologique


Auteur : Émile Durkheim
Date de publication : 1895
Genre : Essai, traité de sociologie

Contexte historique et intellectuel :

Les Règles de la méthode sociologique est publié à la fin du XIXe siècle, une période marquée
par la structuration de la sociologie en tant que discipline scientifique. Influencé par le
positivisme d’Auguste Comte et les méthodes des sciences naturelles, Émile Durkheim (1858-
1917) cherche à fonder une méthode rigoureuse pour l'étude des faits sociaux. L'ouvrage
marque un tournant en définissant les fondements de la sociologie comme une science distincte,
avec ses propres objets et méthodes.

Courant de pensée : Durkheim est considéré comme un des fondateurs du fonctionnalisme et


du positivisme sociologique. Il voit la société comme un ensemble structuré dont les différentes
parties ont des fonctions qui contribuent à la stabilité sociale.

II. Biographie de l’auteur

Émile Durkheim est l'un des pères fondateurs de la sociologie moderne. Né en 1858 à Épinal,
en France, il a étudié à l'École Normale Supérieure et est devenu professeur de sociologie et de
philosophie. Son approche scientifique de la société visait à comprendre les structures et les
fonctions sociales à travers des faits sociaux observables. Parmi ses autres œuvres majeures
figurent Le Suicide (1897) et Les Formes élémentaires de la vie religieuse (1912). Sa théorie
est axée sur la notion de solidarité sociale et sur la manière dont les structures sociales
influencent les comportements individuels.
III. Thèse de l’ouvrage et résumé détaillé

Dans Les Règles de la méthode sociologique, Durkheim présente les principes fondamentaux
qui devraient guider la recherche sociologique. Sa thèse centrale est que la sociologie doit être
une science autonome, distincte de la psychologie et de la philosophie, capable de comprendre
les faits sociaux de manière objective et empirique.

Durkheim énonce plusieurs règles méthodologiques pour établir la sociologie comme une
science empirique :

Définir les faits sociaux comme des "choses" : Les faits sociaux sont définis comme des
manières d'agir, de penser et de sentir, extérieures à l'individu, et qui exercent une contrainte
sur lui. « Il faut traiter les faits sociaux comme des choses. » (Chapitre 1, p. 27).

Observer les faits sociaux de manière objective : Durkheim plaide pour une neutralité
scientifique, en mettant de côté les préjugés personnels. « Il est nécessaire d'observer les faits
sociaux de l'extérieur, comme un physicien observe des phénomènes naturels. » (Chapitre 2, p.
45).

Établir des typologies et des classifications : Il insiste sur la nécessité de classifier les faits
sociaux pour identifier leurs caractéristiques communes et spécifiques.

Utiliser des statistiques et des comparaisons : Il prône l'utilisation de méthodes


quantitatives, notamment la statistique, pour étudier les faits sociaux et établir des corrélations
et des régularités.

Expliquer les faits sociaux par d’autres faits sociaux : Durkheim postule que les phénomènes
sociaux doivent être expliqués par des causes sociales et non par des facteurs individuels. « Le
déterminisme social s'impose à nous comme un principe fondamental de la sociologie. »
(Chapitre 4, p. 102).

Chaque chapitre du livre est consacré à l'explication de ces règles et à des exemples qui
montrent comment appliquer ces principes pour construire une sociologie scientifique.
IV. Analyse des concepts et des termes spécifiques

Fait social : Un concept central de la sociologie durkheimienne, le fait social est défini comme
toute manière de faire, fixée ou non, susceptible d'exercer sur l'individu une contrainte
extérieure. Par exemple, les normes sociales, les croyances religieuses, et les institutions
juridiques. Un fait social est externe à l'individu et exerce une pression sur lui.
Exemple : Le mariage est un fait social car il existe en dehors des volontés individuelles et
impose des règles sociales et légales aux individus qui s'y engagent.

Normalité et pathologie : Durkheim introduit la distinction entre les faits sociaux "normaux"
et "pathologiques". Un fait social est "normal" s’il est répandu dans une société saine et stable.
Au contraire, il est "pathologique" s'il apparaît dans des situations de dysfonctionnement ou de
désintégration sociale.
Exemple : Le crime peut être considéré comme "normal" dans le sens où il existe dans toutes
les sociétés ; il devient "pathologique" quand il atteint un niveau qui menace l'ordre social.

Anomie : Un terme introduit par Durkheim pour décrire une situation où les normes et les
valeurs qui régulent le comportement social s'effondrent, menant à un état de désorganisation
sociale.
Exemple : Pendant la crise économique de 1929, de nombreuses sociétés ont connu des périodes
d'anomie, où les anciens repères économiques et moraux se sont effondrés sans être
immédiatement remplacés par de nouveaux.

Solidarité mécanique et organique : Concepts développés dans De la division du travail


social (1893), mais mentionnés dans cet ouvrage pour expliquer comment les sociétés se
maintiennent ensemble, soit par des similitudes (solidarité mécanique), soit par la
complémentarité des rôles (solidarité organique).
Exemple : Dans les sociétés traditionnelles, la solidarité mécanique se manifeste par une
homogénéité culturelle forte (mêmes croyances, mêmes pratiques). Dans les sociétés modernes,
la solidarité organique repose sur la division du travail, où chaque individu occupe un rôle
spécialisé qui complète celui des autres.
V. Méthodologie de l’auteur

Durkheim utilise une méthode déductive et empirique, inspirée des sciences naturelles. Il
prône une analyse quantitative des faits sociaux, se basant sur des statistiques pour démontrer
des régularités et des corrélations. Son approche est résolument positiviste : il s’appuie sur
l’observation rigoureuse, l'analyse objective et la recherche de lois générales pour comprendre
les phénomènes sociaux.

VI. Analyse critique de l’ouvrage

Forces :

Fondation de la sociologie comme discipline autonome : L'une des principales forces de


l'ouvrage réside dans sa capacité à fonder la sociologie en tant que science distincte et
autonome. En établissant des règles claires pour l'étude des faits sociaux, Durkheim a non
seulement défini le champ de la sociologie, mais a également créé un cadre méthodologique
rigoureux qui permet de distinguer la sociologie de la psychologie, de la philosophie et d'autres
disciplines. Par exemple, il définit les "faits sociaux" comme des manières d'agir, de penser et
de sentir extérieures à l'individu et exerçant une contrainte sur lui. Cette conceptualisation a
permis de légitimer l'étude des phénomènes sociaux en tant qu'objets dignes d'une analyse
scientifique.

Objectivité scientifique et neutralité axiologique : Durkheim insiste sur la nécessité de


l'objectivité scientifique, rejetant les préjugés personnels et les partis pris idéologiques dans
l’étude des phénomènes sociaux. En prônant le traitement des faits sociaux comme des
"choses", il se rapproche de la démarche des sciences naturelles. Cette exigence de neutralité
axiologique, qui consiste à étudier les faits sociaux sans jugement de valeur, a été fondamentale
pour poser les bases de la sociologie comme une science empirique et descriptive.

Conceptualisation innovante du fait social : La définition durkheimienne des faits sociaux


comme "normaux" ou "pathologiques" en fonction de leur fréquence et de leur utilité pour la
société est innovante. Par exemple, le suicide peut être étudié comme un "fait social" normal
dans certaines sociétés modernes où il n'est pas rare, mais pathologique dans d'autres contextes
où il devient une menace pour la cohésion sociale. Ce cadre permet de comprendre comment
certaines pratiques, comme les rituels religieux ou les systèmes juridiques, peuvent être
légitimées ou remises en question en fonction de leur rôle fonctionnel.

Faiblesses :

Déterminisme social excessif : L'un des reproches majeurs adressés à Durkheim est son
approche déterministe des phénomènes sociaux. Selon lui, les comportements individuels sont
presque entièrement déterminés par des structures sociales externes. Par exemple, dans sa
théorie sur le suicide, il soutient que le taux de suicide dans une société est le reflet direct de
l'intégration sociale et de la régulation morale, négligeant les facteurs individuels ou
psychologiques. Des sociologues comme Max Weber ont critiqué cette vision trop rigide, qui
laisse peu de place à l'agence individuelle et aux dynamiques subjectives.

Méthodologie trop rigide et positivisme radical : Durkheim adopte une méthode fortement
positiviste, inspirée des sciences dures. Cependant, cette approche est jugée trop restrictive
par certains critiques. Elle ne permet pas d’appréhender la nature complexe, dynamique, et
parfois contradictoire des phénomènes sociaux. Les critiques postmodernes et interprétatives
(tels que les sociologues de l'École de Chicago) reprochent à Durkheim de réduire la sociologie
à une science des régularités et des lois universelles, négligeant l'étude des significations
sociales et des actions humaines dans leur diversité.

Implications théoriques et méthodologiques :

L’ouvrage de Durkheim a eu un impact considérable sur le développement de la sociologie, tant


dans son approche méthodologique que dans la théorisation des faits sociaux. Sa
méthodologie empirique a servi de modèle pour de nombreux sociologues, tout en suscitant des
débats autour de l’autonomie de la discipline. Il a ouvert la voie à des enquêtes quantitatives et
comparatives qui ont enrichi le champ de la sociologie. Par exemple, ses idées ont influencé
des courants comme le structuralisme et le fonctionnalisme, tout en provoquant des débats
avec des approches plus compréhensives et interprétatives, telles que l'interactionnisme
symbolique.

VII. Réception et postérité de l’ouvrage

À sa publication, Les Règles de la méthode sociologique a reçu un accueil mitigé, avec des
éloges pour sa tentative de fonder la sociologie comme une discipline autonome, mais aussi des
critiques pour son réductionnisme méthodologique. Durkheim a réussi à s'imposer comme un
des principaux architectes de la sociologie, mais ses idées ont suscité des débats intenses,
notamment autour de la tension entre structure sociale et action individuelle.

Influence sur la recherche sociologique ultérieure :

Naissance du fonctionnalisme : Le travail de Durkheim a été fondamental pour le


développement du fonctionnalisme, un courant qui considère que chaque élément de la société
a une fonction qui contribue à la stabilité et à la cohésion sociale. Des sociologues comme
Talcott Parsons et Robert K. Merton ont repris et développé ces idées pour analyser des
structures sociales complexes et leur influence sur les comportements individuels.

Critiques et débats méthodologiques : Le positivisme durkheimien a également suscité de


vives critiques. Max Weber, par exemple, a opposé la méthode compréhensive, qui se concentre
sur les motivations subjectives des individus, à la méthode explicative de Durkheim, qu'il juge
trop rigide. D'autres critiques, comme les théoriciens de l'École de Francfort (Theodor Adorno,
Max Horkheimer), ont attaqué la méthodologie positiviste pour son incapacité à saisir les
aspects dialectiques et critiques de la réalité sociale.

Impact sur les théories contemporaines :

Les idées de Durkheim sur la cohésion sociale, la normalité et la pathologie ont influencé non
seulement les sociologues, mais aussi les chercheurs en criminologie, en anthropologie, et
même en psychologie sociale. Aujourd'hui, sa méthode continue d'être discutée et revisitée à
travers des perspectives plus nuancées, y compris les approches multiniveaux et les études
comparatives transnationales.

VIII. Citation des passages clés

« Il faut traiter les faits sociaux comme des choses, c’est-à-dire les observer de l’extérieur, avec
un esprit débarrassé de tout préjugé, et sous un angle strictement objectif. » (Chapitre 1, p. 27)
Analyse : Cette citation résume l’approche positiviste de Durkheim, qui pose les bases de
l'objectivité scientifique en sociologie. Traiter les faits sociaux comme des "choses" implique
de les étudier sans jugement de valeur, une idée qui a influencé l'épistémologie des sciences
sociales.
« On ne peut expliquer un fait social que par un autre fait social. » (Chapitre 4, p. 102)
Analyse : Ici, Durkheim affirme le caractère autonome des faits sociaux, suggérant qu'ils
doivent être étudiés dans leur contexte spécifique. Cela a donné naissance à des recherches
comparatives qui cherchent à comprendre les variations sociales dans différents
environnements culturels.

« La fonction d'un fait social doit toujours être recherchée dans la relation qu'il entretient avec
quelque besoin social. » (Chapitre 3, p. 79)
Analyse : Cette citation est fondamentale pour le fonctionnalisme et a ouvert la voie à l'analyse
des institutions sociales en termes de fonctions qu'elles remplissent pour maintenir la stabilité
sociale.

« La sociologie est, avant tout, une science de l'ordre social. » (Conclusion, p. 201)
Analyse : Cela résume la vision durkheimienne de la société comme un système de régulations
et de structures qui visent à maintenir l'équilibre social. Une citation qui a suscité de nombreuses
réflexions sur la fonction normative de la sociologie.

IX. Conclusion personnelle

Les Règles de la méthode sociologique est un ouvrage fondamental qui a jeté les bases de la
sociologie moderne en définissant des principes méthodologiques rigoureux. La portée de
l’œuvre de Durkheim réside non seulement dans sa théorisation des faits sociaux, mais aussi
dans son ambition de faire de la sociologie une science à part entière. Son insistance sur
l’objectivité et la méthodologie scientifique a inspiré des générations de sociologues, bien que
certaines de ses idées, notamment son déterminisme social, aient été largement critiquées et
remises en question. Aujourd'hui, cet ouvrage reste incontournable pour comprendre la
construction des savoirs en sociologie et la manière dont ils continuent d'évoluer face aux défis
de la complexité sociale contemporaine. L’héritage de Durkheim se retrouve aussi bien dans la
sociologie quantitative que dans les approches critiques et interprétatives, illustrant la richesse
et la polyvalence de son œuvre.

X. Pour approfondir

Voici une sélection d'ouvrages et d'articles pour approfondir les thématiques abordées par
Durkheim dans Les Règles de la méthode sociologique :
• Bourdieu, P. (1980). Le sens pratique. Paris, France: Les Éditions de Minuit.
• Collins, R. (2004). Four Sociological Traditions. New York, NY: Oxford University Press.
• Giddens, A. (1971). Capitalism and Modern Social Theory: An Analysis of the Writings of
Marx, Durkheim and Max Weber. Cambridge, UK: Cambridge University Press.
• Lukes, S. (1973). Émile Durkheim: His Life and Work - A Historical and Critical Study.
London, UK: Penguin Books.
• Parsons, T. (1937). The Structure of Social Action. New York, NY: McGraw-Hill.
• Weber, M. (1968). Economy and Society: An Outline of Interpretive Sociology (Vol. 1).
Berkeley, CA: University of California Press.

Ces ouvrages offrent une variété de perspectives et d’analyses sur la pensée de Durkheim et la
sociologie classique, tout en permettant de comprendre les débats méthodologiques et
théoriques qui ont façonné la discipline.

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