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Etat de santé et systèmes de soins dans les

pays en développement :
La contribution des politiques de santé au
développement durable
Stéphane TIZIO 1(*)

L es relations qu'entretient la santé avec le développement sont depuis


longtemps reconnues par les scientifiques (Guillaumont, 1985). Mais la
recherche dans le champ de la santé dans les pays en développement, qui
s'intéressait aux impacts de l'état de santé des populations sur les variables
macroéconomiques, adopte aujourd'hui une perspective davantage
microéconomique d'analyse des systèmes de santé (Dumoulin, 2001). Par
ailleurs, la notion de développement a évolué elle aussi selon une dynamique
qui lui est propre. A la notion de développement compris comme croissance
économique a succédé le concept de développement "humain", puis enfin de
développement "durable".
Les questions sanitaires ne sont pas étrangères à l'objectif de développement
durable, affiché depuis maintenant une dizaine d'années par les organisations
internationales. La Conférence des Nations Unies sur l'environnement et le
développement (CNUED, 1992, chap. 6) affirme en effet que "la santé et le
développement sont étroitement liés". Les domaines d'activité des nations
poursuivant l'objectif de développement durable en matière de santé
contiennent entre autres la "satisfaction des besoins en termes de soins de santé
primaires, en particulier dans les zones rurales", et la "protection des groupes
vulnérables". Cependant, la définition même de développement durable ne
semble pas stabilisée : il est possible de retrouver cette expression dans des
domaines forts éloignés de l'économie du développement, tels que par exemple
la stratégie d'entreprise, la climatologie, ou encore l'écologie (Garde-Bentaleb et
alii., 2002 ; Kaygusus, 2002). Malgré tout, il apparaît que cette notion intègre
des dimensions environnementales (préservation des écosystèmes), économiques
(plus grande efficacité), sociales (équité), voire culturelles du développement.
L’objectif ici consiste à montrer l’importance déterminante des politiques de
santé dans l’entretien d’un processus de développement durable.
L’argumentation développée nous conduira, dans un premier temps, à assimiler
le développement durable à l’auto-entretien de relations réciproques entre

1
(*) Université de Bourgogne (GRES / LEG-CNRS, UMR n° 5118)
[email protected]

Mondes en Développement Vol.32-2004/3-n°127 101


102 Stéphane TIZIO

croissance économique et développement humain. L’analyse des canaux par


lesquels se transmettent une amélioration du développement humain à la
croissance économique, d’une part, et la croissance économique à une
amélioration du développement humain, d’autre part, nous permettra de mettre
en exergue le rôle crucial joué par la santé, à la fois comme état, mais aussi
comme système dans l’entretien d’un tel cercle vertueux. Les politiques
sanitaires qui induisent les réformes des systèmes de santé doivent alors
répondre à un certain nombre de conditions pour participer positivement à un
tel processus, condition que nous chercherons à éclaircir.

II LE DÉVELOPPEMENT DURABLE : UNE ANALYSE


EN TERMES DE CROISSANCE ÉCONOMIQUE ET
DE DÉVELOPPEMENT HUMAIN

Le terme de "développement" est polysémique : plusieurs conceptions,


attachées au développement s'affrontent, à la fois dans le temps, mais aussi
selon les différentes écoles de pensée. Hugon (1989) qualifie le développement
de "notion à géométrie variable".

I. 1 Du développement économique au développement


durable : un aperçu

La notion de développement a évolué dans la pensée économique


contemporaine. L’assimilation du développement à la croissance économique,
mesurée par l’évolution du PIB ou du PIB par tête, a connu des limites qui sont
soulignées dès les années 60 par les économistes structuralistes. Perroux (1961)
par exemple, assimilait le développement aux changements dans les structures
institutionnelles de l’économie qui conduisaient à l’accroissement du produit
par tête. Dans une conception davantage sociologique, le développement était
conçu également comme la dynamique sociale d'une société qui entre dans un
nouveau type de civilisation, ou encore un mouvement par lequel les peuples se
constituent comme sujets historiques de leur avenir (Penouil, 1979 ; Goussault
1982). Dans les deux dernières décennies, les approches du développement ont
intégré, en sus de la croissance économique, la dimension d’autonomie
individuelle. Les travaux pionniers de Sen (1981), relayés par le PNUD (1990),
conduisent désormais à définir le développement "humain" comme le
processus d'expansion des capacités, c'est-à-dire d'élargissement des possibilités
offertes à chacun.2
2
"The basic objective of development is to create an enabling environment for people to
enjoy long, healthy, and creatives lives". Le PNUD (1990, 10) définit ainsi le
développement comme un processus d'extension des choix individuels, "a process of
enlarging people 's choices".

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Etat de santé et systèmes de soins dans les PVD 103

Les débats entre les écoles de pensée permettent de dégager actuellement deux
grandes tendances dans les conceptions du développement.
La première stipule que le développement est un développement économique.
Elle assimile, dans la tradition classique, développement et croissance des
richesses matérielles. Il n'y aurait, selon cette perspective aucune spécificité de
l'économie du développement, relativement à la théorie économique. Les
modèles de croissance, de préférence néo-classiques, deviennent ainsi autant de
modèles de développement.
A cette conception s'oppose celle qui considère que la mesure du
développement ne se limite aucunement à l'accroissement du produit national
par tête. Le développement devient un processus centré sur l'homme – d'où la
dénomination de développement "humain" – et sur son bien-être au sens large.
Ainsi, "les individus sont la véritable richesse d'une nation. Le développement doit donc être
un processus qui conduit à l'élargissement des possibilités offertes à chacun. Il a pour objectif
fondamental de créer un environnement qui offre aux populations la possibilité de vivre
longtemps, et en bonne santé, d'acquérir les connaissances qui les aideront dans leurs choix et
d'avoir accès aux ressources leur assurant un niveau de vie décent" (PNUD, 1990, 9). La
croissance économique est alors un facteur nécessaire, quoique non suffisant,
de développement. Cette conception, défendue entre autres par Sen et le
PNUD, appelle la prise en considération d'une palette de déterminants plus
large que les seuls déterminants économiques traditionnels et intègre les
dimensions sociale, culturelle, politique et éthique du développement (Mahieu,
2000).
Dans cette dernière perspective, le qualificatif de "durable" est très souvent
associé au développement humain. Traduction approximative de l'anglais
"sustainable", le développement durable est une approche intergénérationnelle et
qualitative de l’évolution des sociétés, selon laquelle il est important de léguer
aux générations futures un environnement économique, écologique et social au
moins aussi bon qu’aujourd’hui. Le développement à la fois humain et durable
possède trois dimensions : une dimension environnementale, selon laquelle les
ressources naturelles limitées doivent être protégées ; une dimension
économique ensuite, selon laquelle le développement passe également par une
croissance régulière ; une dimension sociale enfin, selon laquelle les conditions
de vie doivent être améliorées. Ces trois dimensions du développement durable
sont en outre en interaction. Les stratégies de développement sont alors
appelées à les intégrer. Pearce et Turner (1990), relayés par Heidiger (2000),
distinguent une version "forte", versus une version "faible" du développement
durable. Dans la version "faible", le processus est enclenché par le maintien
d’une croissance économique forte, et il est maintenu par des politiques de
libéralisation des échanges et d’équilibrage macroéconomique3.
Dans la version "forte" au contraire, les différentes dimensions du
développement durable sont prises en compte de manière complémentaires : le

3
Ce sont ces conceptions qui ont présidé à l’adoption des plans d’ajustement structurel dans
les années 80 (Elamé, 2001).

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processus est alors sous-tendu par l’amélioration conjointe des stocks de capital
physique, humain (Schultz, 1961 ; Becker, 1964), social (Bourdieu, 1979 ;
Coleman, 1988) et environnemental. Il existe alors des relations entretenues
entre ces différentes formes de capital : le capital social, par exemple, qui a trait
aux interactions qui existent dans la société entre les individus qui partagent un
ensemble de normes de valeurs communes, peut être mobilisé afin de
permettre à une personne d'en obtenir un rendement, sous différentes formes,
telles que l'accès à l'information, à l'emploi, l'accès à un certain nombre de
transferts en numéraire ou en nature… Cette forme de capital sert ainsi de
support à l'accumulation du capital humain (Dubois, Mahieu, Poussard, 2001).

I. 2 Le développement durable est conditionné par l’intensité


des liens réciproques entre croissance économique et
développement humain.

Aussi, en nous positionnant dans la version "forte" du développement durable,


il nous semble opportun d’assimiler le développement durable aux relations
circulaires qu’entretiennent croissance économique et développement humain.
En mesurant le développement humain à l’amélioration des niveaux de santé et
d’éducation, il est possible de repérer les effets du développement humain sur
la croissance économique d’une part, puis les effets de cette même croissance
économique sur le niveau de développement humain d’autre part. L’hypothèse
implicite avancée ici consiste à considérer constant le stock de capital
environnemental. La durabilité du développement s’appréciera donc à l’aune de
l’intensité des liens positifs entre croissance économique et développement
humain.
L’analyse des liens entretenus par l’amélioration du développement humain sur
la croissance économique doit se réaliser à deux niveaux.
Au niveau micro, cette évolution positive du stock individuel de capital humain
est reconnue comme un facteur d’augmentation du revenu par tête. Les
modèles de capital humain qui relient le nombre d’années d’études
(investissement en capital humain) et les gains salariaux (retours sur
l’investissement éducatif en termes de gains salariaux) montrent que
l’allongement de la durée d’étude est un facteur significatif d’augmentation des
salaires individuels, toutes choses égales par ailleurs. Les taux individuels de
rendements de l’investissement éducatif sont en général supérieurs aux
rendements des investissements en capital physique, pour la raison principale
que l’accès à l’éducation permet une amélioration des techniques de production
et mécaniquement une amélioration de la productivité individuelle du travail.
Enfin, le niveau d’éducation est certainement déterminant dans le contrôle de la
démographie. L’amélioration du stock de capital humain permet de réduire les
taux de fécondité et mécaniquement de contribuer à faire augmenter le PIB par
tête. Les études montrent à cet égard que le développement de l’enseignement
secondaire permet ce contrôle des naissances.

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Etat de santé et systèmes de soins dans les PVD 105

Au niveau macro, les théories de la croissance endogène mettent en exergue


que l’amélioration de l’état de santé et d’éducation génèrent une augmentation
diffuse de la productivité dans l’ensemble de l’économie. Les impacts de
l’augmentation du stock de capital humain total sont également positifs sur la
nature et le volume des exportations. L’augmentation de la part des produits
manufacturés dans le total des exportations d’un pays est davantage favorable à
la croissance économique que l’exportation de produits primaires. En outre,
l’amélioration du niveau d’éducation rétroagit positivement sur l’égalité dans la
distribution des revenus. Les plus démunis deviennent, en effet, davantage à
même de saisir les meilleures opportunités économiques et d’augmenter leurs
ressources, relativement aux plus aisés.
Les théories macroéconomiques de la croissance permettent, en outre, de
dégager les complémentarités entre les composantes santé et éducation du
développement humain et identifient deux seuils et trois phases dans ces
complémentarités. Dans les pays les moins avancés, où l’espérance de vie et le
niveau d’alphabétisation sont les plus faibles, la préférence pour le présent des
acteurs économiques l’emporte sur les nécessaires investissements en capital
humain en faveur de la croissance. L’investissement en santé et en éducation
est négligé car ils sont moins rentables lorsque la probabilité de mourir jeune
est forte, au profit des consommations immédiates. Ce tableau est celui d’une
trappe à pauvreté qui se situe en deçà du premier seuil identifié comme le seuil
de développement, niveau minimum d’espérance de vie qui augmente la
rentabilité des investissements en capital humain (Jack, 1999). A partir de ce
seuil de développement, les modèles macroéconomiques montrent un effet
vertueux de la demande de soins sur la croissance économique (Majnoni
d’Intignano, Ulmannn, 2001). L’augmentation de la préférence pour le futur de
la population, induite par la hausse de l’espérance de vie augmente la rentabilité
espérée des investissements en capital humain. Dans cette perspective, les
dépenses en santé et en éducation apparaissent complémentaires jusqu’à un
second seuil d’espérance de vie, niveau atteint par les pays industrialisés, au-delà
duquel des effets pervers apparaissent (Ulmannn, 1999)4.
Les effets du développement humain sur la croissance ne sont pas univoques.
La croissance économique joue aussi un rôle déterminant dans les progrès
réalisables au plan de l’amélioration des niveaux de santé et d’éducation des
populations.
La croissance du PIB total et du PIB par tête induit des modifications dans les
comportements des ménages. Tout d’abord, l’affectation des ressources des
ménages se modifie en faveur des biens et services supérieurs, conformément à

4
Ces effets pervers sont liés aux conditions de financement de la dépense de santé en
particulier. La plupart des pays développés font reposer le financement des dépenses de
santé sur des prélèvements obligatoires : de fait, l'accroissement des dépenses de santé
vient concurrencer la dépense en éducation, pourtant nécessaire à la croissance
économique.

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la loi d’Engel. La demande de santé et d’éducation est alors susceptible


d’augmenter. Les études économétriques montrent d’ailleurs que l’élasticité-
revenu de la demande est d’autant plus forte que le revenu initial des ménages
est faible. Ensuite, les comportements démographiques se modifient eux aussi
dans le sens d’une réduction de la fécondité, facteur favorable à l’accumulation
de capital humain pour les enfants. Enfin, la hausse des revenus du ménage est
de nature à modifier le comportement social de ses membres. Avec la hausse
du revenu et l’amélioration du niveau d’éducation, la constitution d’un capital
social par les individus peut leur permettre de valoriser d’autant mieux leur
capital éducatif.
A un niveau plus macroéconomique, la croissance du PIB, dès lors qu’elle
s’accompagne d’une distribution des ressources en faveur des plus pauvres,
contribue à faire diminuer les inégalités de revenus et à diminuer la pauvreté
relative. En permettant la constitution d’une classe moyenne, la croissance des
revenus initialement agricoles permet le développement des secteurs industriels
et tertiaires qui favorisent la valorisation des investissements individuels et
collectifs en capital humain.
L’espérance de vie croît avec le revenu par tête, ceci d’autant plus vite que ce
revenu est faible (Banque mondiale, 1993). L’accroissement du revenu est alors
un facteur déterminant de l’amélioration de l’état de santé des populations, ceci
indépendamment des progrès médicaux (MC Keown, 1979 ; Majnoni
d’Intignano, 2001)5. Enfin, la croissance économique ouvre des possibilités de
financement de systèmes de protection sociale. La socialisation du financement
de la demande de santé permet alors de rendre solvable la demande des plus
démunis.
La croissance économique est aussi susceptible d’induire des modifications,
favorables au développement humain, dans le comportement des autorités
publiques (Ranis et al., 2000). Sous l’hypothèse que la croissance économique
augmente les recettes de l’Etat, les gouvernements font face à deux arbitrages
successifs : un premier arbitrage concerne l’affectation des ressources
additionnelles aux dépenses publiques favorisant le développement humain,
versus les dépenses correspondantes à d’autres postes budgétaires. L’importance
des dépenses en faveur du service de la dette extérieure et des dépenses
militaires est révélatrice des choix publics initiaux. Le second arbitrage
concerne, à l’intérieur des dépenses en développement humain, l’importance
des ressources affectées aux actions prioritaires, c'est-à-dire aux programmes
qui sont les plus adaptés – et les plus efficaces – pour améliorer le niveau de
développement humain de la population. Le caractère prioritaire de ces
dépenses varie alors selon le niveau de développement de chaque pays. En
matière de santé dans les pays les moins avancés, la diffusion des soins de santé
primaire et la mise à disposition d’eau potable sont certainement davantage

5
Dans les pays aujourd’hui développés, l’état de santé des populations s’est amélioré avant la
réalisation d’avancées thérapeutiques importantes. La mortalité par tuberculose a reculé
avant la découverte du vaccin ou de traitements antibiotiques efficaces.

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Etat de santé et systèmes de soins dans les PVD 107

prioritaires que la construction d’infrastructures hospitalières avec des plateaux


techniques sophistiqués. Dans les pays à revenus intermédiaires en revanche, là
où les soins de santé primaire sont déjà en place, le subventionnement public
de mécanismes d’assurance maladie revêt un caractère prioritaire plus affirmé.
Au niveau davantage micro, la croissance économique est de nature à modifier
favorablement les comportements des bureaucrates et des décideurs publics en
général. Desserrer la contrainte budgétaire publique permet de payer les
fonctionnaires et contribue à les détourner des circuits de corruption, souvent
bien installés dans les pays les moins développés. Ces recettes peuvent, dans le
même ordre d’idée, favoriser la mise en œuvre de dispositifs de diagnostic, de
contrôle et de sanctions de la corruption, identifiée comme un frein à
l’efficacité de la dépense publique (Banque mondiale, 1997) et donc,
indirectement, au développement humain. Cependant, l’induction
d’amélioration du développement humain par la croissance économique par le
canal de la dépense publique suppose, implicitement, que les recettes publiques
augmentent parallèlement à la croissance de la richesse nationale. Cette
question est alors à rapprocher de celle de l’efficacité du système de
prélèvement fiscal qui doit être assurée a minima.

II LA SANTÉ À L’INTERFACE DE LA CROISSANCE


ÉCONOMIQUE ET DU DÉVELOPPEMENT
HUMAIN : UNE CONTRIBUTION
DÉTERMINANTE AU DÉVELOPPEMENT
DURABLE

L’état de santé, en tant que composante du capital humain, joue manifestement


un rôle de premier plan dans la marche vers le développement durable.
Toutefois, l’état de santé de la population ne saurait être maintenu durablement
sans l’existence de structures adéquates. Ce sont donc deux dimensions de la
santé elle-même qui doivent être prises en considération pour renforcer les
liens réciproques entretenus par la croissance économique et le développement
humain. Ainsi, ce rôle d’interface, joué par la santé, permet-il d’être renforcé
par l’élaboration de politiques de santé à la fois efficaces et légitimes, pour les
pays qui poursuivent un objectif de développement durable.

I. 3 La santé favorise à la fois la croissance économique et le


développement humain.

Une population bien nourrie et bien soignée est un facteur déterminant de la


croissance économique. L’augmentation de la productivité du travail, induite
par l’amélioration des "capabilités" (Sen, op. cit.) des individus, génère une
augmentation du revenu national.

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108 Stéphane TIZIO

La santé produit une amélioration des capacités individuelles de développement


personnel, ceci tant au plan physique, qu’intellectuel et émotionnel (WHO,
2001). Elle permet également d’assurer aux individus une certaine sécurité
économique dans l’avenir. La santé est ainsi, dans cette perspective, un input de
la croissance économique et du développement humain à long terme. Le
tableau suivant souligne que les pays dotés d’un mauvais état de santé ont été
incapables d'obtenir des taux de croissance moyens importants. Les pays les
moins avancés – PNB par tête initial inférieur à 750 $ par tête et mortalité
infantile supérieure à 15% – sont d'ailleurs dans des situations de stagnation,
voire, pour certain d'entre eux, de récession.

Taux de mortalité Inférieure entre 50 et entre 100 et supérieure à


infantile initiale (1965) ou égale à 100 p. mille 150 p. mille 150 p. mille
50 p. mille
PNB/habitant initial Taux moyen de croissance annuelle
(1965)* (période 1965 – 1994)
PNB < 750 - 3,7 1,0 0,1
750<PNB<1500 - 3,4 1,1 -0,7
1500<PNB<3000 5,9 1,8 1,1 2,5
3000<PNB<6000 2,8 1,7 0,3 -
PNB>6000 1,9 -0,5 - -
*en US$ 1990 à parité de pouvoir d'achat. Source : WHO, 2001, p. 23.

Les modèles de croissance macroéconomiques qui utilisent la santé (Barro,


Sala-I-Martin, 1995 ; Bloom, Sachs, 1998) s'accordent sur le fait qu'une
augmentation de 10% de l'espérance de vie induit une croissance du PNB de
0,3 à 0,4 points. Le différentiel d'états de santé explique d'ailleurs une grande
part des écarts de croissance entre les différentes régions du monde (Bloom,
Sachs, op. cit.)6.
La mauvaise santé est un facteur de stagnation économique et sociale. La
maladie agit sur le développement humain et sur la croissance par différents
canaux : la maladie engendre tout d’abord une perte de bien-être individuel. La
maladie d'aujourd'hui possède ensuite un impact négatif sur la vie de demain :
elle revêt, en effet, une dimension intergénérationnelle sur les conditions
d’existence des descendants et ascendants de l’individu malade. Enfin, la
mauvaise santé induit des coûts sociaux qui, en étant parfois importants,
hypothèquent toute velléité d’amélioration de l’autonomie individuelle et de
maintien de la croissance économique.
En termes de bien-être, la maladie occasionne des pertes de possibilité de
consommation selon plusieurs canaux : les traitements médicaux sont coûteux
et, en l'absence de couverture maladie – comme c'est le cas dans les pays les
plus défavorisés – les sommes affectées amputent les revenus des ménages. La

6
L'écart entre l'Afrique subsaharienne et l'Asie de l'Est est expliqué pour plus de la moitié
par un différentiel de charge de morbidité, de situation démographique et géographique.

Mondes en Développement Vol.32-2004/3-n°127


Etat de santé et systèmes de soins dans les PVD 109

maladie entraîne également une perte de revenu courant du fait des absences au
travail et une perte des revenus futurs du fait de la mort prématurée. Ces pertes
de revenu font stagner la consommation individuelle et ne permettent pas
d'alimenter la demande globale au niveau macroéconomique7. Les
conséquences de la maladie sur le cycle de vie ne sont pas négligeables : les
infirmités mentales et physiques engendrées par les maladies infantiles se
traduisent sur l'ensemble de la vie par des pertes de productivité individuelles.
Une mauvaise santé durant l'enfance induit des difficultés à l'apprentissage qui
se traduisent à l'âge adulte par des gains salariaux diminués8. La hausse de la
productivité du travail permise par l'emploi d'une main-d'œuvre bien soignée et
bien nourrie permettrait aux entreprises de réaliser des profits et aux
investisseurs étrangers d'être moins frileux pour accorder les financements aux
firmes des pays en développement. Cette corrélation forte entre la productivité
du travail et la croissance économique est d'autant plus importante dans les
pays en développement où le travail est surtout un travail manuel. Ainsi, une
population en bonne santé voit son espérance de vie augmenter et son cycle de
vie s'allonger. L'espérance de gains futurs augmente avec l'horizon de
planification des individus qui sont alors d'autant mieux disposés à investir en
éducation, en santé et à se constituer une épargne financière.
La maladie revêt, en outre, une dimension intergénérationnelle. Lorsque la
maladie frappe un individu, elle peut avoir des répercussions sur les autres
membres de la famille. Les enfants sont touchés en premier lieu par la maladie
de leurs parents, dans la mesure où ces derniers ne peuvent plus assumer les
dépenses afférentes à l'éducation, voire à l'alimentation des enfants. La
démographie des pays en développement est caractérisée par un taux de
mortalité infantile et par un taux de fécondité élevés : la prévalence des
maladies infantiles est élevée – elle explique que le taux de mortalité infantile est
élevé – et les familles prennent la décision de faire beaucoup plus d'enfants –
taux de fécondité élevé – dans la mesure où la probabilité de survie des enfants
est faible. Ces comportements engendrent un cercle vicieux de trappe à
pauvreté : en l'absence de couverture sociale familiale, les familles nombreuses
ne peuvent allouer à chacun de leurs enfants qu'une part d'autant plus faible du
revenu pour les éduquer et les nourrir. Leur probabilité de survie est donc
d'autant plus basse que les fratries sont importantes et leur chance d'accéder à
des revenus élevés d'autant plus faibles. Ces effets intergénérationnels au niveau
microéconomique se traduisent au niveau macroéconomique par un fort
accroissement naturel de la population avec un âge moyen faible. La population
en âge de travailler, le PNB par tête et le taux d'épargne stagnent.

7
Les évaluations économiques en termes de Disability-Ajusted Life Years (DALYs)
concluent qu’un an de vie gagnée en bonne santé est considérablement supérieur à un an de
revenus.
8
Une étude, menée par Strauss et Thomas (1998) confirme que la taille à l'âge adulte est
fortement et positivement corrélée avec les gains salariaux. La taille adulte étant liée aux
conditions de nutrition pendant l'enfance, un adulte de faible constitution sera donc moins
productif qu'un adulte bien nourri pendant son enfance.

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110 Stéphane TIZIO

Enfin, la maladie engendre des coûts élevés pour la société. Une morbidité
élevée, à côté du turnover important de la main-d'œuvre qu'elle engendre,
décourage les investissements des entreprises, donc leur profitabilité et
décourage le tourisme, source de revenus en devises. De plus, lorsqu'une
proportion importante de la population est malade, les budgets publics sont
affectés prioritairement aux dépenses de santé, au détriment des autres services
sociaux. La confiance de la population envers les autorités publiques s'affaiblit,
tandis que les services sociaux sont saturés9. La collecte des impôts est
également d'autant plus difficile et d'autant moins efficace que l'activité
économique décline. Par ailleurs, certaines études, menées en particulier par la
Central Intelligence Agency (CIA), font apparaître que les problèmes de santé se
traduisent bien souvent par de l'instabilité politique : coups d'État, guerres
civiles10.

I. 4 Les politiques de santé contribuent au renforcement des


liens entre croissance économique et développement
humain

Tant la croissance que le développement humain ont une incidence sur l'état de
santé de la population, à travers l'extension du système de santé et la
satisfaction d'un nombre plus important de besoins de la population : la
croissance économique autorise, en théorie, à accroître l'allocation des
ressources dévolues au secteur de la santé. Le développement humain, entendu
par exemple comme l'allongement de l'espérance de vie individuelle et de
l'extension des capabilités au sens de Sen, conditionne l'élévation du niveau de
vie et permet aux individus de se préoccuper davantage de leur santé, ce qui
contribue à faire augmenter la demande de santé et la fréquentation des unités
de soins, générant un revenu additionnel dans ce secteur.
Il apparaît ainsi que la santé en tant que système, est au cœur des liens
qu'entretiennent santé et développement. Ce rôle d’interface joué par la santé
entre croissance économique et développement humain doit alors être
entretenu et renforcé par des politiques adéquates – les politiques de santé
durables. L’organisation et le fonctionnement des systèmes de santé constituent
dès lors un enjeu majeur du développement durable. Les politiques de santé qui
modifient à la fois l'organisation et le financement des systèmes de santé

9
Cette situation est manifeste dans le cas de l'épidémie de SIDA qui frappe actuellement
l'Afrique subsaharienne. L'Organisation mondiale de la santé (OMS) estime que hormis les
millions de morts de cette maladie, le nombre d'orphelins est appelé à augmenter
considérablement pour atteindre une quarantaine de millions à l'horizon 2010. La prise en
charge de ces orphelins est un problème crucial pour les services sociaux des pays africains
(WHO, 2001 ; Moatti, Coriat et alii., 2003).
10
Sur la période 1960 – 1994, 113 faillites d’États ont été identifiées par la CIA dans les
pays de plus de 500 000 habitants. Parmi les facteurs explicatifs de ces faillites, les plus
significatifs sont le taux de mortalité infantile et le protectionnisme.

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Etat de santé et systèmes de soins dans les PVD 111

remplissent donc un rôle central dans la marche vers le développement.


Toutefois, cette contribution positive des politiques de santé au développement
durable reste étroitement liée à certaines conditions qui portent, d’une part, sur
l’efficacité – productive et allocative – des systèmes de santé, et d’autre part, sur
l’équité et la légitimité sociale et politique des réformes de politique sanitaire.

La question de l’efficacité

De manière fondamentale, la politique de santé doit permettre une amélioration


de l'état de santé des populations. C'est en fait la notion d'efficacité productive
du système de santé qui est en question ici. Cette efficacité est en outre
conditionnée par une véritable prise en compte des besoins individuels et
collectifs en matière de santé stricto sensu, mais aussi en matière d'infrastructures
– adéquation du nombre et de la qualité des services de santé relativement aux
besoins en termes de soins primaires et de soins hospitaliers. Une amélioration
de l’efficacité productive du système de santé passe également par la formation
des personnels de santé à l’épidémiologie, afin notamment que ces derniers
puissent cerner les besoins les plus cruciaux des populations. Les personnels
gestionnaires des infrastructures, comme les hôpitaux par exemple, jouent un
rôle extrêmement important dans la délivrance des soins et des dispositifs
médicaux. Une formation aux fonctions de logistique et de manière plus
générale aux fonctions de gestion des infrastructures s’avère alors nécessaire.
Une évolution favorable de l’efficacité productive des systèmes de santé va de
pair avec une amélioration de l’allocation des ressources en faveur du secteur de
la santé : dans cette perspective, un arbitrage est d’autant plus nécessaire que les
budgets publics sont faibles et que la promotion de la santé ne doit pas faire
oublier l’importance revêtue par le financement d’autres secteurs, tels que
l’éducation ou la production d’autres services d’intérêt collectif. Toutefois,
l’OMS reconnaît depuis peu que le financement public des services de santé
reste insuffisant pour assurer la performance des systèmes sanitaires (OMS,
2000). A l’intérieur même du secteur de la santé, l’amélioration de l’allocation
des ressources financières passe ainsi par la pérennisation du financement du
secteur. La pérennité du financement assure en effet une continuité des
approvisionnements en biens médicaux, notamment en médicaments, mais elle
autorise également le recouvrement des charges, récurrentes ou non, comme
l'entretien des locaux. La stabilité financière du système de santé permettrait, en
outre, d'étendre le système lui-même – construction d'infrastructures nouvelles
–, mais aussi son champ d'intervention – soins de nouvelles pathologies,
extension du domaine de la santé publique, etc. Cette dimension financière de
la durabilité du système de santé et donc du développement pose toutefois un
certain nombre de questions qui relèvent des choix publics. Primo, qui finance la
santé ? L'étude des différents systèmes de santé fait ressortir quatre grandes
catégories d'acteurs : les ménages qui paient directement pour les soins qui leurs
sont dispensés, le secteur public qui finance tout ou partie des soins, le secteur
privé, c'est-à-dire les compagnies d'assurances ou les mutuelles de santé et,

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112 Stéphane TIZIO

enfin, les organisations non gouvernementales (ONG), locales ou


internationales11. Il s'agit alors d’évaluer correctement la contribution effective
de l'organisation du financement à la pérennité financière du système de santé
lui-même. Secundo, lorsque diverses sources de financement coexistent – c'est le
cas le plus fréquent –, il convient de s'interroger sur les rôles respectifs de
chaque financeur dans le système de santé. Dans quelle mesure la catégorisation
des acteurs, en relation avec les types d'interventions qu'ils financent, est-elle
propre à favoriser la pérennité du financement des systèmes de santé ?12 Enfin,
le mode de financement lui-même n'est pas neutre vis-à-vis de la pérennité des
systèmes de santé. Au plan microéconomique, les modifications dans le mode
de rémunération des producteurs de soins – paiement à l'acte, procédures de
prépaiements individuels ou socialisés,… – induisent des comportements
différenciés des acteurs du système de santé, comportements dont il convient
de tenir compte. Au plan macroéconomique, l'identification des circuits de
financement est également un préalable pour statuer sur la pérennité des
systèmes de santé : la présence d'un marché financier efficient constitue une des
conditions d'existence d'un marché de l'assurance privée ; dans le cas contraire,
le circuit public de financement de la santé doit être efficace, tant au plan du
prélèvement - fiscalité – qu'au plan des prestations – efficacité de la dépense
publique.

Les questions de l’équité et de la légitimité des politiques de


santé

La politique sanitaire contribue au développement durable dès lors qu'elle


permet de réduire les inégalités devant la santé. En effet, une redistribution
inégalitaire du revenu influence négativement le développement humain, mais
aussi la croissance. Cette inégalité financière est d'ailleurs l'apanage des pays en
développement. Pour contrebalancer les effets négatifs d'une telle
redistribution, les politiques de santé doivent contribuer à aplanir les obstacles à

11
Certains programmes de santé sont financés par l'aide au développement. Nous
l’assimilerons tantôt à l'aide au financement public, lorsqu'il s'agit de crédits alloués aux
gouvernements qui gèrent ainsi ces fonds sur le budget de l'État, tantôt au financement des
ONG, lorsque ce financement est octroyé par une agence d'aide étrangère à des projets de
santé ciblés.
12
La perspective adoptée depuis quelques années par la Banque mondiale et par l'OMS
conduit à différencier les acteurs de la santé, notamment les financeurs des systèmes de
santé, selon le type d'intervention en question. Le Rapport sur le développement dans le
monde de 1993 (Banque mondiale, 1993) distingue en effet les interventions de santé
publique – soins préventifs et grandes campagnes nationales –, dont le financement est
dévolu à la puissance publique, des interventions de santé dites "discrétionnaires" – soins
curatifs lourds –, dont le financement doit rester privé. Les approches contractuelles en
matière de santé, utilisées pour justifier l'introduction du managed care dans les systèmes
de santé des pays développés, sont adaptées aux pays en développement, dans une
perspective transactionnelle (Mills, 1998).

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Etat de santé et systèmes de soins dans les PVD 113

l'accessibilité aux soins. Les inégalités sont de deux ordres : elles sont
financières, d'une part, et géographiques, d'autre part.
Une dimension d'équité est alors en question, équité assurée ou non par le
fonctionnement et l'évolution du système de santé – identifiée alors comme un
facteur déterminant de la durabilité du développement. Cependant, la notion
d’équité peut recouvrir différentes conceptions (Schneider-Bunner, 1997 ;
Gadreau, Schneider-Bunner, 1997), alternativement égalitariste, libérale ou
rawlsienne. Selon la conception sous-jacente aux décisions en matière de
politique de santé, les inégalités dans la redistribution des revenus peuvent ou
non se trouver contrebalancées par l’organisation et le financement des
systèmes de santé. Selon la conception libérale de l’équité, une politique de
redistribution est de toutes manières néfaste à l’amélioration du bien-être
économique et social. Une responsabilisation – notamment financière – accrue
de l’usager et de l’ensemble des acteurs individuels du secteur de la santé
constitue alors dans cette perspective la ligne de force des politiques sanitaires
préconisées. On peut douter de la validité de telles options dans le contexte des
pays en développement, dans la mesure où les inégalités, mais surtout l’extrême
pauvreté des classes les plus défavorisées ne permettent pas à une frange
importante de la population de se procurer des services de santé tarifés selon la
loi du marché. La conception rawlsienne de l’équité, selon laquelle les politiques
de santé doivent promouvoir un égal accès à des biens fondamentaux et au-delà
favoriser, par la redistribution, les populations les plus démunies, est-elle
susceptible de favoriser le rôle de contrepoids, joué par le système de santé, aux
inégalités géographiques et financières dans les pays en développement ? La
réponse apparaît délicate pour un certain nombre de raisons. Tout d’abord, la
conception rawlsienne de l’équité prend acte des inégalités, sans toutefois les
contester sur le fond. Le problème, à cet égard, réside dans le fait que les
inégalités sont justement un symptôme du sous-développement qu’il s’agirait de
combattre. L’égalité entre les individus n’est ensuite appréhendée qu’au sujet
des "biens premiers". Ces biens premiers comprennent-ils les services de santé ? On
peut en douter, dès lors que les politiques de santé pratiquant la discrimination
positive ne concernent qu’un nombre limité de services – les soins de santé
primaire, par exemple. Se pose alors la question de la délimitation du champ des
interventions sanitaires couvertes par le droit fondamental. Le critère retenu
par la Banque mondiale pour définir ces "interventions de santé publique" est
un critère de coût-efficacité (Banque mondiale, 1993) en termes d’années de vie
gagnées sans invalidité, critère qui laisse à la responsabilité – et au financement
– de chacun un ensemble de services, les "soins cliniques discrétionnaires". La
conception égalitariste de l’équité apparaît ainsi davantage à même de privilégier
la santé comme un droit fondamental. Elle garantit à tous, quel que soit son
revenu, un égal traitement et un égal accès aux soins C’est une vision
"maximaliste" de l’équité qui fonde implicitement la plupart des évaluations des
systèmes de santé. En théorie, assurer l’égal traitement et l’égal accès permet à
la santé de jouer le rôle d’aplanissement des inégalités de revenu. Elle contribue,
simultanément, à améliorer le bien-être des individus et leur capacité à prendre

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114 Stéphane TIZIO

en mains leur propre développement. Se pose alors la question du financement


d’un système de santé égalitaire dans les régions où les budgets publics affectés
au secteur sont extrêmement réduits et où l’allocation des ressources, à
l’intérieur du système sanitaire, peut s’effectuer selon des logiques clientélistes,
davantage que selon les critères traditionnels de la bonne gestion.

CONCLUSION

Jusqu’à aujourd’hui, les réformes successives des systèmes de santé dans les
pays en développement se sont fondées d’abord sur la primauté donnée à
l’équité, au sens égalitariste du terme, puis sur l’efficacité économique, avec
implicitement une conception davantage libérale de l’équité, pour adopter,
actuellement, une perspective plutôt rawlsienne d’efficacité sous contrainte
d’équité (Flori, Tizio, 2000). Les choix opérés sont significatifs du glissement
d’une conception collective vers une conception individualisée et marchande de
la santé (Hours, 2001). Mais ces choix sont-ils légitimes ? En d’autres termes,
l’exercice de la démocratie, seule possibilité réelle de choisir entre l’une ou
l’autre des conceptions de la morale sous-jacente aux conceptions de l’équité, a-
t-il été mis en jeu par les autorités politiques nationales, ou bien cette
démocratie a-t-elle été évincée par les avis des experts des organisations
internationales ?
Les politiques sanitaires s'inscrivent, en effet, dans une dimension politique et
institutionnelle qui conditionne leur légitimité (Tizio, 1999, 2003). Les mesures
de politique de santé et de protection sociale, dès lors qu'elles ne correspondent
plus aux préférences de la population, sont source de mécontentement, voire
de tensions sociales qui hypothèquent la viabilité – même à court terme – du
système dans son ensemble et l'auto-entretien du cercle vertueux entre
croissance économique et développement humain. Au-delà de la seule équité,
c'est une dimension démocratique qu'il convient de donner aux politiques
sanitaires et sociales, afin qu'elles contribuent effectivement au développement
durable.
La commission "macroéconomie et santé" installée par l'OMS a produit son
rapport en décembre 2001. De nouvelles orientations sont alors données aux
recommandations de l'OMS pour les réformes des systèmes et des politiques de
santé dans les pays en développement. Une aide supplémentaire est d'ailleurs
demandée aux bailleurs de fonds bilatéraux et multilatéraux pour soutenir de
manière davantage efficace ces politiques, comme partie intégrante des
stratégies globales de développement durable.
L'Assemblée générale des Nations Unies, qui s'est tenue à New York, dans le
cadre du "sommet du millénaire" avait auparavant adopté un certain nombre
d'objectifs sanitaires à atteindre avant 2015. Parmi ces objectifs, les États
membres de l'ONU s'engagent à réduire les mortalités maternelle et infantile, à

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Etat de santé et systèmes de soins dans les PVD 115

stopper l'évolution de l'épidémie de SIDA et à mettre en œuvre des stratégies


de développement intégrées qui préservent l'environnement.
La poursuite de ces objectifs passe alors par la mise en œuvre de stratégies
nationales de développement qui doivent permettre de mobiliser davantage de
ressources domestiques en direction des services de santé et
d'approvisionnement en eau potable, qui permettent également d'aplanir les
obstacles non financiers à l'accès aux soins – obstacles géographiques, culturels,
ethniques… – et qui prennent enfin la mesure du contexte local et international
de chaque pays en développement13.
La pérennité du développement est mise en avant de manière explicite par les
organisations internationales. Toutefois, la dimension politique de la mise en
œuvre des stratégies de développement reste amplement négligée. Si les
objectifs adoptés lors du sommet du millénaire et les politiques préconisées
tendent à se rapprocher des conditions normatives de la contribution des
politiques de santé au développement durable, l'engagement démocratique des
populations dans de telles stratégies reste encore à construire.

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12
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l'état des infrastructures et de la technologie médicale disponibles, le contexte écologique
et social et enfin, le mode d'insertion des économies concernées dans le marché mondial,
notamment celui des médicaments et des technologies médicales (WHO, 2001).

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