Scandale de la Poste britannique
Le scandale Royal Mail - Horizon, également connu sous le nom de scandale de la Poste britannique, est un scandale impliquant la Poste britannique (Post Office Limited) autour du logiciel Horizon, introduit en 1999 et développé par une filiale de la société technologique japonaise Fujitsu. Ce logiciel de comptabilité indiquait à tort que des gérants ou gérantes de bureaux de poste (en anglais : sub-postmasters, sub-postmistresses) avaient commis des détournements d'argent ; sur la base de ces informations financières, plus de 900 agents ont été condamnés et ont dû signer des reconnaissances de dettes envers la Poste et rembourser les sommes prétendument détournées. De ce fait, de nombreux agents ont vu leur entreprise en faillite, leur carrière ruinée, mais aussi leur santé ou leur vie détruite.
On a appris plus tard que les enquêteurs de la Poste recevaient parfois des primes spéciales en cas de condamnation réussie.
Après des campagne dans l'opinion publique, et la découverte du scandale, la Haute Cour de Justice britannique a jugé le logiciel défectueux, et enjoint le gouvernement britannique de lancer une enquête publique (public inquiry)[1],[2].
En janvier 2024, la chaîne britannique ITV a diffusé la série en quatre épisodes Mr Bates vs The Post Office[3]. Le scandale a attiré en peu de temps (une semaine) une large attention[4], ce qui a conduit le gouvernement britannique à accepter de dédommager les employés concernés[5]. L'affaire apparaît comme l'une des plus grandes erreurs judiciaires de l'histoire du Royaume-Uni[6],[7].
Selon l'évaluation du ministre des Postes britannique Kevin Hollinrake en janvier 2024, le scandale coûtera aux contribuables « un milliard de livres »[8].
Contexte
Présentation du logiciel
L'introduction du logiciel a été planifiée en 1996 par le gouvernement conservateur dirigé par John Major. Il comprenait la numérisation de 19 000 sous-bureaux de poste ou bureaux auxiliaires, tenus par des gérants indépendants[9]. La filiale ICL Pathway, fondée par Fujitsu, a remporté cette commande d'un montant de près d'un milliard de livres sterling. Sous le gouvernement de Tony Blair, l'introduction fut près d'échouer, entre autres parce que la qualité du logiciel était jugée insuffisante. En conséquence, les bureaux de poste auxiliaires ont menacé de fermer. Alors, le lancement du nouveau logiciel, sous une forme modifiée, a été mis en œuvre tardivement en 1999 [10],[11]. En conséquence, 300 bureaux de poste ont été convertis chaque semaine, ce qui, en raison des coûts élevés pour la Royal Mail, a entraîné la première perte en 25 ans[12].
Erreur dans le logiciel
Très tôt, des plaintes ont été déposées selon lesquelles le logiciel, utilisé entre autres pour la comptabilité et l'inventaire, était défectueux. Le logiciel a montré des soldes de trésorerie incorrects, suggérant que des employés de la succursale avaient détourné l'argent.[13] En réponse aux questions des exploitants de succursales, la Post Office Limited a déclaré à plusieurs reprises qu'ils étaient les seuls à se plaindre de son système informatique ou de son système comptable. Selon le contrat, les gérants des bureaux auxiliaires étaient eux-mêmes responsables du manque de liquidités et beaucoup d'entre eux ont tenté de combler avec leur propre argent les sommes manquantes[13].
Condamnations
Au total, plus de 3 500 employés ont été faussement accusés et plus de 900 ont été condamnés.[14] Parfois, les enquêteurs des postes recevaient des primes spéciales en cas de condamnation réussie. Pour des raisons historiques, la Royal Mail dispose de ses propres pouvoirs d'application de la loi[13]. Entre 1999 et 2015, plus de 700 employés ont été condamnés à l’issue d’enquêtes internes basées sur les preuves du logiciel. 283 autres employés ont été reconnus coupables à l'issue de procès menés par des enquêteurs extérieurs. Les accusations étaient souvent fondées sur des fautes dans la comptabilité et sur des vols.[13]
Conséquences pour les salariés
La procédure pénale et les troubles de stress provoqués par le logiciel défectueux ont eu de graves conséquences pour les personnes concernées. Outre les problèmes financiers causés par les remboursements obligatoires, les personnes concernées et leurs familles ont cité comme impacts le divorce, les problèmes de santé, les enfants qui doivent changer d'école en raison du harcèlement, la toxicomanie et les suicides .[13],[15]
Traitement judiciaire
Campagne, éducation et résistance
Alan Bates (subpostmaster) a été limogé par Royal Mail en 2003 après avoir été accusé de vol, de fraude et de détournement de fonds.[16] Il a transmis des informations aux médias, de sorte que les reportages ont été publiés pour la première fois en 2009.[17] Des membres de la Chambre des communes, comme James Arbuthnot, ont tenté de mettre la question à l'ordre du jour. À cette époque, Royal Mail a nié tout défaut du logiciel[18]. Royal Mail gardait sous clé des documents importants qui auraient pu aider à clarifier l’affaire.
Par la suite, Bates a fondé un groupe d’action au sein duquel les gérants de bureaux de poste concernés se sont réunis. En 2017, le groupe a réussi à porter cinq affaires devant la Haute Cour de justice (Angleterre et pays de Galles). Dans son jugement de 2019, la Haute Cour a établi que ce sont des erreurs informatiques qui étaient responsables des manques à gagner et qu’il n’y avait pas d’activité criminelle de la part des salariés. Le juge a accusé la Royal Mail d'« obstination institutionnelle (institutional obstinacy) » à empêcher la découverte des véritables causes des déficits[19].
Conséquences de la décision de la Haute Cour
À la suite de la décision de la Haute Cour, à la fin de l'année 2023, sur plus de 900 condamnations, 93 au total ont été annulées, tandis que 53 peines ont été confirmées. En décembre 2023, le gouvernement a déjà dû payer un total de 124,7 millions de livres sterling de dommages et intérêts[20],[21] Par ailleurs, une enquête publique a été lancée en septembre 2020 [22]. Celui-ci a publié des documents internes semblent indiquer que les procureurs de la Poste classaient les gérants d'agence en fonction de leur appartenance ethnique et utilisaient un langage raciste.[15]
La Royal Mail a procédé pour demander l'annulation des jugements, a tenté de limiter les indemnisations au minimum et a retardé le paiement de ces indemnités. Jusqu'à janvier 2024, ni les directeurs postaux à la tête de Royal Mail ni ceux de Fujitsu n'ont été tenus pour responsables. Le ministre des Postes, Kevin Hollinrake, a estimé le même mois que le scandale « coûterait un milliard de livres au contribuable »[23]. Fujitsu a déclaré qu'il travaillerait avec le gouvernement britannique sur des « mesures appropriées », y compris une compensation.
Traitement des médias
Le 1er janvier 2024, la chaîne de télévision britannique ITV a commencé à diffuser la mini-série dramatique en quatre parties Mr Bates vs The Post Office, entraînant une réponse nationale et une large attention[24]. En conséquence, le gouvernement britannique a déclaré vouloir annuler les verdicts par la loi et indemniser les personnes concernées[25]. L'ancienne patronne de la Poste, Paula Vennells, a restitué la distinction honorifique CBE qu'elle avait reçue en 2019 [26].
Références
- (en) « The Inquiry Team », sur Post Office Horizon IT Inquiry (consulté le )
- « Horizon IT Public Inquiry », sur corporate.postoffice.co.uk, (consulté le )
- Toby Jones, Monica Dolan et Julie Hesmondhalgh, Mr Bates vs. The Post Office, ITV Studios, Little Gem, (lire en ligne)
- « Mr Bates vs The Post Office: How a TV drama shook up Britain – in just a week », sur www.bbc.com (consulté le )
- « Au Royaume-Uni, médias et politiques s’intéressent enfin aux victimes du scandale du logiciel Horizon », Le Monde.fr, (lire en ligne, consulté le )
- Afp, « Scandale des postiers britanniques: le groupe japonais Fujitsu appelé à rendre des comptes », sur Notretemps.com, (consulté le )
- Mickaël Bazoge, « « Une effroyable erreur judiciaire » : Fujitsu admet des bugs qui ont jeté des innocents en prison », sur 01net.com, (consulté le )
- « the maximum budget currently specified is £1 billion », sur BBC Newsnight, (consulté le )
- « Sub-post-office », sur Collins Dictionary (consulté le )
- (en) Jamie Doward, « Blair is dragged into row over ICL’s £1bn Post Office contract », Guardian, (consulté le )
- (en) Fran Abrams, « Post Office computer fiasco ‚cost £881m‘ », Independent, (consulté le )
- (en) Mike Simons, « Post Office pays price over Pathway », Computer Weekly, (consulté le )
- (en) Kevin Peachey, Michael Race, Vishala Sri-Pathma, « Post Office scandal explained: What the Horizon saga is all about », BBC, (consulté le )
- (en) Peter Walker, « What is the UK’s Post Office IT scandal about and who is involved? », The Guardian, (consulté le )
- (en) Mark Sweney, « What is the Post Office Horizon IT scandal all about? », Guardian, (consulté le )
- (en) « Post Office computer campaigner backs inquiry », BBC, (consulté le )
- (en) Rebecca Thomson, « Bankruptcy, prosecution and disrupted livelihoods – Postmasters tell their story », Computer Weekly, (consulté le )
- (en) « MP’s post office accounts doubts », BBC, (consulté le )
- (en) « ‚Appalling‘ false convictions for UK Post Office ‚thefts‘ spur outrage », France24, (consulté le )
- (en) Mallory Moench, Anna Gordon, « U.K. Leader Rishi Sunak Announces New Law to Overturn Convictions in Post Office Scandal », Time, (consulté le )
- (en) « Post Office scandal: Rishi Sunak considers measures to clear all victims », BBC, (consulté le )
- (en) « Public Hearings Timeline », sur Post Office Horizon IT Inquiry (consulté le )
- « UK says Fujitsu should pay hundreds of millions for Post Office scandal », sur Reuters, (consulté le )
- (en) Alex Taylor, Yasmin Rufo, « The power of Mr Bates vs The Post Office in bringing about justice », BBC, (consulté le )
- (en) Tim Baker, « Horizon scandal: Post Office scandal victims to be exonerated and compensated as Rishi Sunak proposes new law », Sky News, (consulté le )
- (en) Kiran Stacey, Rowena Mason, Daniel Boffey, « Former Post Office chief hands back CBE as Horizon scandal intensifies », Guardian, (consulté le )