Scandale de la Poste britannique
Le scandale de la Poste britannique, également connu sous le nom de scandale Horizon, est un scandale impliquant la Poste britannique (Post Office Limited (en)) autour du logiciel Horizon, introduit en 1999 et développé par une filiale de la société technologique japonaise Fujitsu. Ce logiciel de comptabilité indiquait à tort que des gérants ou gérantes de sous-bureaux de poste (en anglais : sub-postmasters, sub-postmistresses) avaient commis des détournements d'argent ; plus de 900 agents ont été condamnés (plus de 200 incarcérés), ont dû rembourser les dettes et sommes prétendument détournées, notamment en vendant tous leurs biens. De nombreux agents ont vu leur entreprise mise en faillite, leur carrière ruinée, mais aussi leur santé ou leur vie détruite. On a appris plus tard que les enquêteurs de la Poste recevaient parfois des primes spéciales en cas de condamnation réussie. Après une campagne dans l'opinion publique, et la découverte du scandale, la Haute Cour de Justice britannique a jugé le logiciel défectueux, et enjoint le gouvernement britannique de lancer en septembre 2020 une enquête publique (public inquiry)[1],[2] dirigée par le juge retraité Sir Wyn Williams[3] ayant 28 ans d'expérience judiciaire, et chargée de rassembler toutes preuves[4], auditions sur toutes défaillances[5], et réponses à 200 questions précises cruciales, rendues publiques[6].
En janvier 2024, la chaîne britannique ITV a diffusé la série en quatre épisodes Mr Bates vs The Post Office[7]. Le scandale a attiré enfin[8],[9], en peu de temps (une semaine), une énorme attention[10]. Aussitôt, le gouvernement britannique a annoncé l'intention de dédommager les employés concernés[11],[12]. Rishi Sunak, Premier ministre, estime lors des Questions au Premier Ministre que l'affaire est l'une des plus grandes erreurs judiciaires de l'histoire du Royaume-Uni[13],[14].
Selon l'évaluation du ministre des Postes britannique Kevin Hollinrake en janvier 2024, le scandale coûtera aux contribuables « un milliard de livres »[15].
Selon la Commission de Révision des Affaires Criminelles (Criminal Cases Review Commission), qui est justement l'organisme chargé d'enquêter sur les éventuelles erreurs judiciaires survenues en Angleterre, au pays de Galles et en Irlande du Nord[16], le scandale de la Poste est la plus vaste erreur judiciaire jamais vue dans l'histoire britannique[17].
Post Office est une entreprise publique qui gère les bureaux de poste depuis la scission en 2012 tandis que Royal Mail a été privatisée et introduite en Bourse, et gère la distribution du courrier.
Contexte
[modifier | modifier le code]Présentation du logiciel
[modifier | modifier le code]L'introduction du logiciel a été planifiée en 1996 par le gouvernement conservateur dirigé par John Major. Il comprenait la numérisation de 19 000 sous-bureaux de poste ou bureaux auxiliaires, tenus par des gérants indépendants[18]. La filiale ICL Pathway, fondée par Fujitsu, a remporté cette commande d'un montant de près d'un milliard de livres sterling. Sous le gouvernement de Tony Blair, l'introduction fut près d'échouer, entre autres parce que la qualité du logiciel était jugée insuffisante. En conséquence, les bureaux de poste auxiliaires ont menacé de fermer. Alors, le lancement du nouveau logiciel, sous une forme modifiée, a été mis en œuvre tardivement en 1999[19],[20]. En conséquence, 300 bureaux de poste ont été convertis chaque semaine, ce qui, en raison des coûts élevés pour la Poste, a entraîné la première perte en 25 ans[21].
Erreur dans le logiciel
[modifier | modifier le code]Très tôt, des plaintes ont été déposées selon lesquelles le logiciel, utilisé entre autres pour la comptabilité et l'inventaire, était défectueux. Le logiciel a montré des soldes de trésorerie incorrects, suggérant que des employés de la succursale avaient détourné l'argent[22]. En réponse aux questions des exploitants de succursales, la Poste a déclaré à plusieurs reprises qu'ils étaient les seuls à se plaindre de son système informatique ou de son système comptable. Selon le contrat, les gérants des bureaux auxiliaires étaient eux-mêmes responsables du manque de liquidités et beaucoup d'entre eux ont tenté de combler avec leur propre argent les sommes manquantes[22].
Poursuites controversées - Condamnations
[modifier | modifier le code]Au total, plus de 3 500 employés ont été faussement accusés et plus de 900 ont été condamnés[23]. Parfois, les enquêteurs des postes recevaient des primes spéciales en cas de condamnation réussie. Pour des raisons historiques, la Poste dispose de ses propres pouvoirs de faire appliquer la loi[22]. Comme entreprise d'État, la Poste était juge et partie, agissait comme enquêteur et comme procureur privé chargé des poursuites judiciaires, sans contrôle du Ministère public (Crown Prosecution Service), et ce système est maintenant mis en accusation. Ken MacDonald, ancien chef du Crown Prosecution Service, de grands organismes ne devraient pas diriger les poursuites dans leur propre cause[24]. Entre 1999 et 2015, plus de 700 employés ont été condamnés à l’issue d’enquêtes internes basées sur les preuves du logiciel. 283 autres employés ont été reconnus coupables à l'issue de procès menés par des enquêteurs extérieurs. Les accusations étaient prétendument fondées sur des fautes dans la comptabilité et sur des vols[22].
Conséquences pour les salariés
[modifier | modifier le code]La procédure pénale et les troubles de stress provoqués par le logiciel défectueux ont eu de graves conséquences pour les personnes concernées. Outre les problèmes financiers causés par les remboursements obligatoires, les personnes concernées et leurs familles ont cité comme impacts le divorce, les problèmes de santé, les enfants qui doivent changer d'école en raison du harcèlement, la toxicomanie et les suicides[22],[25].
Traitement judiciaire
[modifier | modifier le code]Campagne, éducation et résistance
[modifier | modifier le code]Alan Bates (subpostmaster) a été limogé par la Poste en 2003 après avoir été accusé de vol, de fraude et de détournement de fonds[26]. Il a alerté les médias, de sorte que des reportages ont été publiés pour la première fois en 2009[27]. Des membres de la Chambre des communes, comme James Arbuthnot, ont tenté de mettre la question à l'ordre du jour. À cette époque, la Post a nié tout défaut du logiciel[28]. La Poste gardait sous clé des documents importants qui auraient pu aider à clarifier l’affaire.
Par la suite, Bates a fondé un groupe d’action au sein duquel les gérants de bureaux de poste concernés se sont réunis: Justice For Subpostmasters Alliance (JFSA)[29]. En 2017, le groupe a réussi à porter cinq affaires devant la Haute Cour de justice (Angleterre et pays de Galles). Dans son jugement de 2019, la Haute Cour a établi que ce sont des erreurs informatiques qui étaient responsables des manques à gagner et qu’il n’y avait pas d’activité criminelle de la part des salariés. Le juge a accusé la Poste d'« obstination institutionnelle (institutional obstinacy) » à empêcher la découverte des véritables causes des déficits[30].
Conséquences de la décision de la Haute Cour
[modifier | modifier le code]À la suite de la décision de la Haute Cour, à la fin de l'année 2023, sur plus de 900 condamnations, 93 au total ont été annulées, tandis que 53 peines ont été confirmées. En décembre 2023, le gouvernement a déjà dû payer un total de 124,7 millions de livres sterling de dommages et intérêts[31],[32] Par ailleurs, une enquête publique a été lancée en septembre 2020[33]. Celui-ci a publié des documents internes semblent indiquer que les procureurs de la Poste classaient les gérants d'agence en fonction de leur appartenance ethnique et utilisaient un langage raciste[25].
La Poste a procédé pour demander l'annulation des jugements, a tenté de limiter les indemnisations au minimum et a retardé le paiement de ces indemnités. Jusqu'à janvier 2024, ni les directeurs postaux à la tête de la Poste ni ceux de Fujitsu n'ont été tenus pour responsables. Le ministre des Postes, Kevin Hollinrake, a estimé le même mois que le scandale « coûterait un milliard de livres au contribuable »[34]. Fujitsu a déclaré qu'il travaillerait avec le gouvernement britannique sur des « mesures appropriées », y compris une compensation.
Lors de l'enquête, en novembre 2024, Paul Patterson, patron de Fujitsu Europe, admet qu'après les centaines de condamnations erronées (wrongful convictions), il "ne sait pas" si le système Horizon est fiable [35].
Traitement des médias
[modifier | modifier le code]Le 1er janvier 2024, la chaîne de télévision britannique ITV a commencé à diffuser la mini-série dramatique en quatre parties Mr Bates vs The Post Office, entraînant une réponse nationale et une large attention[36]. En conséquence, le gouvernement britannique a déclaré vouloir annuler les verdicts par la loi et indemniser les personnes concernées[37]. Devant l'ampleur du scandale, une pétition recueillant 1,2 million de signatures[38] demande que l'ancienne patronne de la Poste, Paula Vennells, restitue la distinction honorifique de commandeur de l'Empire britannique (CBE, Commander of the British Empire) qu'elle avait reçue en 2019[39]. Le 9 janvier 2024, Paula Vennells annonce qu'elle « rend sa décoration avec effet immédiat ». Mais seul le roi peut annuler la distinction accordée. Le 23 février 2024, le roi Charles III a révoqué la décoration de Paula Vennels pour avoir commis une forfaiture[40] en discréditant le système des honneurs royaux[41] (« bringing the honours system into disrepute »)[42].
État de droit menacé
[modifier | modifier le code]Robert Skidelsky, économiste et membre de la Chambre des Lords, dénonce l'atteinte à l'État de droit ou Rule of law, puisque des centaines de personnes visées étaient présumées coupables par le logiciel de comptabilité, à moins de pouvoir prouver leur innocence, et n'ont pas pu exercer convenablement le droit d'être entendu et les droits de la défense[43].
Indemnisation ardue
[modifier | modifier le code]Betty Brown et son mari ont dépensé plus £50 000 de leurs économies pour couvrir les pertes alléguées par le système Horizon. Elle a été chassée de son emploi et forcée de vendre son bureau de poste à vil prix en 2003. Des avocats et des comptables ont mis trois ans pour établir sa réclamation. Mais elle apprend maintenant que seulement 29 % du montant réclamé sont indemnisés, qu'elle va devoir contester, et elle a 91 ans [44].
Références
[modifier | modifier le code]- (en) « The Inquiry Team », sur Post Office Horizon IT Inquiry (consulté le ).
- « Horizon IT Public Inquiry », sur corporate.postoffice.co.uk, (consulté le ).
- (en) « The Chair of the Post Office Horizon IT Inquiry », sur Post Office Horizon IT Inquiry (consulté le ).
- (en) « About the Inquiry », sur Post Office Horizon IT Inquiry (consulté le ).
- (en) « Public Hearings Timeline », sur Post Office Horizon IT Inquiry (consulté le ).
- (en) « Completed List of Issues », sur Post Office Horizon IT Inquiry (consulté le ).
- Toby Jones, Monica Dolan et Julie Hesmondhalgh, Mr Bates vs. The Post Office, ITV Studios, Little Gem, (lire en ligne).
- The Economist, « Britain’s worst miscarriage of justice sparks outrage at last », sur www.economist.com, (consulté le ).
- « Au Royaume-Uni, médias et politiques s’intéressent enfin aux victimes du scandale du logiciel Horizon », Le Monde.fr, (lire en ligne, consulté le ).
- « Mr Bates vs The Post Office: How a TV drama shook up Britain – in just a week », sur www.bbc.com (consulté le ).
- Afp, « Scandale des postiers britanniques: le groupe japonais Fujitsu appelé à rendre des comptes », sur Notretemps.com, (consulté le ).
- Mickaël Bazoge, « « Une effroyable erreur judiciaire » : Fujitsu admet des bugs qui ont jeté des innocents en prison », sur 01net.com, (consulté le ).
- (en-GB) Peter Walker, Daniel Boffey et Rowena Mason, « Horizon scandal: hundreds of post office operators to have convictions quashed », The Guardian, (ISSN 0261-3077, lire en ligne, consulté le ).
- « Scandale des postiers britanniques: le chef du Post Office démis de ses fonctions », sur 7sur7.be (consulté le ).
- « the maximum budget currently specified is £1 billion », sur BBC Newsnight, (consulté le ).
- (en-GB) « Home page », sur Criminal Cases Review Commission (consulté le ).
- (en-GB) « The CCRC and Post Office/ Horizon cases », sur Criminal Cases Review Commission, (consulté le ).
- « Sub-post-office », sur Collins Dictionary (consulté le ).
- (en) Jamie Doward, « Blair is dragged into row over ICL’s £1bn Post Office contract », Guardian, (consulté le ).
- (en) Fran Abrams, « Post Office computer fiasco ‚cost £881m‘ », Independent, (consulté le ).
- (en) Mike Simons, « Post Office pays price over Pathway », Computer Weekly, (consulté le ).
- (en) Kevin Peachey, Michael Race, Vishala Sri-Pathma, « Post Office scandal explained: What the Horizon saga is all about », BBC, (consulté le ).
- (en) Peter Walker, « What is the UK’s Post Office IT scandal about and who is involved? », The Guardian, (consulté le ).
- « Post Office scandal puts private prosecutions in dock », sur www.ft.com (consulté le ).
- (en) Mark Sweney, « What is the Post Office Horizon IT scandal all about? », Guardian, (consulté le ).
- (en) « Post Office computer campaigner backs inquiry », BBC, (consulté le ).
- (en) Rebecca Thomson, « Bankruptcy, prosecution and disrupted livelihoods – Postmasters tell their story », Computer Weekly, (consulté le ).
- (en) « MP’s post office accounts doubts », BBC, (consulté le ).
- (en) « JUSTICE FOR SUBPOSTMASTERS ALLIANCE », sur JUSTICE FOR SUBPOSTMASTERS ALLIANCE (consulté le ).
- (en) « 'Appalling' false convictions for UK Post Office 'thefts' spur outrage », France24, (consulté le ).
- (en) Mallory Moench, Anna Gordon, « U.K. Leader Rishi Sunak Announces New Law to Overturn Convictions in Post Office Scandal », Time, (consulté le ).
- (en) « Post Office scandal: Rishi Sunak considers measures to clear all victims », BBC, (consulté le ).
- (en) « Public Hearings Timeline », sur Post Office Horizon IT Inquiry (consulté le ).
- « UK says Fujitsu should pay hundreds of millions for Post Office scandal », sur Reuters, (consulté le ).
- (en-GB) « Post Office: Fujitsu boss 'does not know' if Horizon is reliable », sur www.bbc.com (consulté le )
- (en) Alex Taylor, Yasmin Rufo, « The power of Mr Bates vs The Post Office in bringing about justice », BBC, (consulté le ).
- (en) Tim Baker, « Horizon scandal: Post Office scandal victims to be exonerated and compensated as Rishi Sunak proposes new law », Sky News, (consulté le ).
- (en-GB) « New-year honours: How does the UK honours system work? », BBC News, (lire en ligne, consulté le ).
- (en) Kiran Stacey, Rowena Mason, Daniel Boffey, « Former Post Office chief hands back CBE as Horizon scandal intensifies », Guardian, (consulté le ).
- (en) « Having honours taken away (forfeiture) », sur GOV.UK, (consulté le ).
- The Royal Household © Crown Copyright, « The King and Honours », sur Royal Family (consulté le ).
- (en-GB) P. A. Media, « King strips CBE from former Post Office boss Paula Vennells », The Guardian, (ISSN 0261-3077, lire en ligne, consulté le ).
- (en) Robert Skidelsky, « Britain’s Post Office Scandal and the Rule of Law | by Robert Skidelsky », sur Project Syndicate, (consulté le ).
- (en-GB) « Post Office scandal: Oldest victim says she's 'treated like dung' », sur www.bbc.com (consulté le )