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Anthropologie juridique

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Anthropologie juridique
Un tribunal, un juge et un avocat aux États-Unis : l'anthropologie juridique est l'une des sciences invoquées en droit.
Partie de
Anthropologie, théorie du droit (en)Voir et modifier les données sur Wikidata

L'anthropologie juridique est une science qui tente d'aborder les phénomènes juridiques avec une approche sociale, culturelle et symbolique. C'est un domaine particulier de l'ethnologie.

Un précurseur de l'anthropologie juridique est Jacob Grimm, qui a pratiqué la germanistique juridique[1].

Henry Sumner Maine a joué un rôle de premier plan dans l'émergence des problématiques de cette discipline, notamment lorsqu'il publie Ancient Law en 1861. Pour la première fois le droit n'est plus seulement considéré comme le système normatif nécessaire à toute société, mais on commence à lui reconnaître une dimension explicative de l'ensemble des phénomènes sociaux et culturels.

Le domaine particulier de l'anthropologie juridique a lui été institué par Marcel Mauss, le droit ayant été totalement inclus dans le social, lors de la théorisation de la notion de fait social total.

Bronislaw Malinowski dans son ouvrage Crime and Custom in Savage Society (1926) assimile pour sa part les notions de juridicité et de contrôle social. Il considère en effet avant tout le caractère coercitif du système juridique, notamment dans le droit primitif. Face à cette conception simplifiée, les anthropologues américains et britanniques ont vivement réagi. Par exemple Radcliffe-Brown qui rappelle que tout système de normes n'est pas nécessairement synonyme de droit, et qui propose de n'utiliser ce terme que lorsque, dans une société donnée, l'existence d'une institution chargée de l'appliquer est avérée (par exemple : un tribunal judiciaire)[2].

Max Herman Gluckman se consacre pour sa part à l'étude particulière des conflits, notamment dans les sociétés où il existe ce type d'instance spécialisée dans la résolution judiciaire de ceux-ci. Ainsi il décrit la procédure et les mises en place des jurisprudences chez les Barotse d'Afrique du Sud.

Puis, dans les années 1980, Clifford Geertz initiant le courant post-moderniste en anthropologie, considère le droit non pas comme témoin du savoir local, mais comme façon de penser le réel.

L'Étasunienne Laura Nader joue un rôle important en maintenant le focus de la discipline sur les situations de conflits au sein des différentes sociétés, qui peuvent révéler les règles, les relations de pouvoir et les transformations des sociétés.

En France comme dans les autres empires coloniaux, l'étude ethnologique des systèmes de droit autochtones a eu lieu tout au long de l'histoire coloniale, en tant que science auxiliaire du droit colonial français. Après la Seconde Guerre mondiale, ces travaux ont été rejetés, notamment ceux de René Maunier. À partir des années 60, plusieurs universitaires dont notamment Michel Alliot ont tenté de refonder la discipline de l'anthropologie juridique en ne se référant plus aux travaux de l'époque coloniale[3]. Le sociologue Pierre Bourdieu a critiqué l'anthropologie du droit kabyle, s'interrogeant notamment sur la pertinence des catégories juridiques occidentales lorsqu'elles sont – naïvement, selon lui – appliquées à la description des sociétés autochtones. À Paris, un Laboratoire d'anthropologie juridique comptant notamment Étienne Le Roy est créé, se spécialise dans le droit africain et reste en activité jusque dans les années 2010[4].

Au Brésil, l'anthropologie a davantage de considération au sein des facultés de droit, notamment en ce qui concerne les approches zététiques en droit.

Un des débats classiques de l'anthropologie juridique est celui qui a opposé Max Gluckman et Paul Bohannan (en). La question est de savoir si pour décrire les pratiques d'un peuple étranger, il faut conserver les termes techniques dans la langue utilisée là-bas, ou s'il faut les traduire en utilisant des équivalents tirés de la langue de l'anthropologue[5].

Une autre question qui a fait couler beaucoup d'encre est celle de ce que cela doit signifier d'étudier le pluralisme juridique d'un point de vue anthropologique. Certains, comme Leopold Pospíšil, préfèrent se concentrer sur l'étude des différentes manières de faire du droit au sein d'une même société autochtone. D'autres, comme Rodolfo Stavenhagen, favorisent l'étude des manières dont le droit étatique et le droit autochtone s'entremêlent et entrent en relation.

Références

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  1. (en) Tomáš Ledvinka, « The disenchantment of the lore of law: Jacob Grimm's legal anthropology before anthropology », The Journal of Legal Pluralism and Unofficial Law, vol. 52, no 2,‎ , p. 203–226 (ISSN 0732-9113 et 2305-9931, DOI 10.1080/07329113.2020.1755577, lire en ligne, consulté le )
  2. Kaius Tuori, Lawyers and Savages: Ancient History and Legal Realism in the Making of Legal Anthropology, Routledge, (ISBN 978-1-317-81620-1, DOI 10.4324/9781317816201/lawyers-savages-kaius-tuori, lire en ligne)
  3. Frédéric Audren et Laetitia Guerlain, « Legal Uses of Anthropology in France in the Nineteenth and Twentieth Centuries », dans Marie-Claire Foblets, Mark Goodale, Maria Sapignoli, Olaf Zenker (eds.), The Oxford Handbook of Law and Anthropology, Oxford University Press, (ISBN 978-0-19-884053-4, lire en ligne), p. 228-242
  4. Boris Barraud, « L'anthropologie juridique », dans La recherche en droit, L'Harmattan, (lire en ligne)
  5. (en) Anthony Good, « Folk models and the law », The Journal of Legal Pluralism and Unofficial Law, vol. 47, no 3,‎ , p. 423–437 (ISSN 0732-9113 et 2305-9931, DOI 10.1080/07329113.2015.1113645, lire en ligne, consulté le )

Bibliographie

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  • (fr) Alliot Michel, Le droit et le service public au miroir de l’anthropologie. Textes choisis et édités par Camille Kuyu, Paris, Karthala, 2003, 400 p.
  • (fr) Eberhard Christoph, Le Droit au miroir des cultures. Pour une autre mondialisation, Paris, LGDJ, Coll. Droit et Société, 2006,199 p.
  • (fr) Bonte P., Izard M., "Juridique (anthropologie)" in Dictionnaire de l'ethnologie et de l'anthropologie, PUF, Quaridge, 1991.
  • (fr) Le Roy Étienne, Le jeu des lois. Une anthropologie "dynamique" du Droit, Paris, LGDJ, Coll. Droit et Société, Série anthropologique, 1999, 415 p.
  • (fr) Maunier R. (ed.), Études de sociologie et d'ethnologie juridiques, vol. 1, Paris, 1931.
  • Norbert Rouland, L'anthropologie juridique:, Presses Universitaires de France, coll. « Que sais-je ? », (ISBN 978-2-13-042995-1, DOI 10.3917/puf.roula.1995.01, lire en ligne)
  • (fr) Vanderlinden Jacques, Anthropologie Juridique, Paris, Dalloz, 1996, 123 p.
  • (fr) Nicolau Gilda, Pignarre Geneviève, Lafargue Régis, Ethnologie juridique - Autour de trois exercices, Paris, Dalloz, Coll. Méthodes du droit, 2007, 423 p.
  • (fr) Kohlhagen Dominik, "Oser une refondation de la Justice en Afrique" in Le courage des alternatives, Paris, Karthala, coll. Cahiers d'Anthropologie du Droit, 2012, pp. 177-195.
  • (fr) Lafargue Régis, La Coutume face à son destin - Réflexions sur la coutume judiciaire en Nouvelle-Calédonie et la résilience des ordres juridiques infra-étatiques, Paris, LGDJ, Coll. Droit et Société, 2010, 420 p.
  • (fr) Cherfa-Turpin Fatima, La condition de la femme rurale en kabylie à la lumière de l'anthropologie juridique, Paris, Editions Apopsix, Coll. Anthropologie du droit, 2011, 274 p.

cf, Leibnitz Le droit de la raison

Articles connexes

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Liens externes

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