Catholicisme identitaire
Le « catholicisme identitaire » est un courant politique et religieux, où la foi catholique affichée fait partie des éléments d'adhésion à un programme politique. L’instrumentalisation des valeurs chrétiennes, d’un passé idéalisé et d'un sentiment de déclin sont les principaux leviers politiques de divers mouvements populistes.
En France, depuis « la Manif pour tous » en 2013, cette expression est devenue courante.
Définition et analyses
[modifier | modifier le code]L'identitarisme dans le catholicisme français est, selon Erwan Le Morhedec, une tentation « de certains milieux catholiques français déstabilisés par la perte d'influence de l'Église dans le débat public, l'enracinement durable de l'islam et la crise migratoire »[1],[2]. Cette tentation consiste en un « "politique d'abord" d'un Charles Maurras, plus séduit par la puissance structurante de l'institution ecclésiale que par sa filiation évangélique »[1], menant, en fin de compte, à « l'accaparement et la récupération du christianisme à des fins étrangères »[2] : l'identitarisme permet d'être religieusement païen et politiquement catholique[3].
Pour Erwan Le Morhedec certains catholiques seraient tentés de se rattacher davantage aux marqueurs rituels et culturels du catholicisme plutôt qu’à leur propre foi .« Au sein de la tentation identitaire, c’est la politique qui prend le pas sur la foi, c’est la soumission de la foi à la politique. » Pour l'auteur, l’identitarisme serait une idéologie, un emprisonnement individuel, voire une mystification spirituelle[3],[2].
La notion de « catholicisme identitaire » est à rapprocher de celle du « catholicisme d'identité »[4],[5], expression des années 80, proposée par le politologue Philippe Portier[6],[7],[8],[9].
Histoire
[modifier | modifier le code]En 1926, le Vatican condamne l’Action française de Charles Maurras, considérant que l’instrumentalisation de la foi à des fins politiques n'est pas acceptable et compromet l’« universalisme du catholicisme »[10],[11].
En 2016, le pape François, critiquant en particulier les choix politiques de Donald Trump, indique [12] :
« Une personne qui pense avant tout à faire des murs, où qu'il se trouve, et non des ponts, n'est pas chrétien. »
Les déclarations du pape François, en particulier sur l’islam ou l'accueil des réfugiés, provoquent des critiques au sein de l'Église. Pour le sociologue Jean-Louis Schlegel : « La contestation vient en partie de catholiques identitaires plutôt laïcs, marqués à droite, voire un peu plus »[13].
Par pays
[modifier | modifier le code]Iacopo Scaramuzzi, journaliste italien, a explicité les méthodes des populistes à travers le monde qui utilisent « les symboles, le langage et les rituels du christianisme », pour les instrumentaliser contre l’étranger et conforter un sentiment d’identité occidentale. Que ce soit « Poutine, Orbán, Bolsonaro, Zemmour, Salvini ou Trump, c’est le même appel aux valeurs chrétiennes, la même exaltation d’un patrimoine perdu »[14],[15].
Espagne
[modifier | modifier le code]Le parti d'extrème droite Vox place le catholicisme au centre de sa revendication identitaire et nationaliste. Ainsi Vox place la religion chrétienne au centre de « l’identité espagnole » et plus largement de la « culture européenne »[16].
États-Unis
[modifier | modifier le code]Pour l'universitaire Blandine Chelini-Pont les nationalistes chrétiens américains ont pour origine les nativistes du début du XIXe siècle : « Le nativisme peut être considéré comme une réponse identitaire, une réaction passionnelle au danger de l’altérité, qui se déclenche dès que l’étranger n’est ni protestant, ni blanc, ni anglophone »[17].
France
[modifier | modifier le code]Guillaume Cuchet note que cinq facteurs ont pu contribuer à renforcer les tendances « identitaires » ou droitières du catholicisme français : le devenir minoritaire du catholicisme dans la société française, le meilleur taux de reproduction — au sens de la transmission de la foi et des valeurs chrétiennes — parmi les courants conservateurs, « l'exculturation » tendancielle du catholicisme dans toute une partie de la société française[note 1], la tendance du clivage droite-gauche à se définir de plus en plus sur le terrain sociétal, et la montée de l’Islam. Il note que des tendances s'exercent cependant en sens inverse : l’avènement du pape François en mars 2013, l'arrivée de populations chrétiennes d’origine immigrée qui contrebalancerait une tendance à l'embourgeoisement du milieu catholique, et l’évolution possible des jeunes catholiques « identitaires » de la « Manif pour tous »[6]. C'est en particulier après « la Manif pour tous » que l'expression est devenue courante[18].
Guillaume Letourneur indique en 2021 que les transformations du champ catholique en France, depuis les années 1960, ont favorisé l’émergence d’un pôle identitaire et contestataire au sein de l’Église. Ainsi, à l'échelle locale, la nébuleuse traditionaliste est investie dans une multitude d’activités municipales, associatives, diocésaine et, ponctuellement, partisanes. Elle est en mesure de peser sur les positionnements culturels et sociétaux du rassemblement national et de contribuer au façonnement et au fonctionnement de son organisation[19].
Personnalités, mouvements, organisations
[modifier | modifier le code]L'homme politique Éric Zemmour, soutenu par Vincent Bolloré, manifeste un catholicisme identitaire. Il estime que la chrétienté peut sauver la civilisation occidentale face à l’islam[20],[21]. L'Express y voit Philippe de Villiers. Selon Timothée de Rauglaudre, Michel Onfray doit être compté parmi les amis des catholiques identitaires[22].
Le prêtre Matthieu Raffray, ordonné en 2009 pour l’Institut du Bon-Pasteur[note 2] et proche de la mouvance identitaire se donne comme mission d’« évangéliser ces milieux identitaires et nationalistes ». Pour Paul Colrat, philosophe catholique : « Son rôle est officiellement d’évangéliser la jeunesse d’extrême droite, mais je crains qu’il soit plutôt de donner un supplément d’âme à ce courant qui monte en France » »[23],[24].
Academia Christiana est une organisation identitaire et catholique traditionaliste française fondée en 2013 par Julien Langella, cofondateur de Génération identitaire et parrainée par la Fraternité sacerdotale Saint-Pierre [25],[26].
Hongrie
[modifier | modifier le code]En Hongrie, Viktor Orbán soigne un catholicisme identitaire hongrois, mélangeant religion et politique, en « cherche à tirer profit de la "rechristianisation" » du pays[27].
Irlande
[modifier | modifier le code]On parle d'un christianisme identitaire en Irlande où le conflit politique se voit redoublé d'un choc confessionnel entre catholiques et protestants, « entre les verts (catholiques, nationalistes) et les oranges (protestants, unionistes) »[28].
Italie
[modifier | modifier le code]Alors que Matteo Salvini, homme politique d'extrême droite, revendique son appartenance au catholicisme, brandit des chapelets ou des croix pendant ses campagnes électorales et déclare : « je confie ma vie et la vôtre au Coeur immaculé de Marie qui, j'en suis sûr, nous portera à la victoire », l'Église catholique italienne condamne la « récupération à des fins politiques et identitaires de la religion chrétienne »[29].
Notes et références
[modifier | modifier le code]Notes
[modifier | modifier le code]- L'exculturation, concept attribué à Danièle Hervieu-Léger, signifie que le catholicisme n'est plus spontanément identifié comme faisant partie de la culture de la société française.
- Guillaume de Tanoüarn, ancien de la Fraternité sacerdotale Saint-Pie-X et membre fondateur de l’Institut du Bon-Pasteur, est le préfacier de l'ouvrage Catholiques et identitaires. De la Manif pour tous à la reconquête, de l'auteur Julien Langella lui même à l'origine d'Academia Christiana.
Références
[modifier | modifier le code]- Edouard de Mareschal, « Le christianisme au défi de l'identité », sur Le Figaro, (consulté le )
- Le Morhedec 2017
- « Les catholiques dans le piège de l’identité ? », sur France Culture, (consulté le )
- Jean Mercier, « Le catholicisme d’ouverture a-t-il laissé la place à un catholicisme bourgeois ? », sur La Vie.fr, (consulté le )
- « Les catholiques, combien de divisions ? », sur Alternatives Economiques, (consulté le )
- Guillaume Cuchet, « Identité et ouverture dans le catholicisme français », Études, no 2, , p. 65-76 (lire en ligne)
- Guillaume Cuchet cite notamment : Philippe Portier, « Le mouvement catholique français au XXe siècle. Retour sur un processus de dérégulation », dans Jean Baudouin et Philippe Portier (dir.), Le mouvement catholique français à l’épreuve de la pluralité, Presses universitaires de Rennes, 2002, p. 17-47 ; Philippe Portier, « Pluralité et unité dans le catholicisme français », dans Céline Béraud, Frédéric Gugelot et Isabelle Saint-Martin (dir.), Catholicisme en tensions, EHESS, « En temps et lieux », 2012, p. 19-36.
- Céline Béraud et Bruno Dumons (dir.), Catholicisme et identité. Regards croisés sur le catholicisme français contemporain (1980-2017), Paris, Karthala, , p. 5-8
- « Le catholicisme d'identité », sur calenda.org (consulté le )
- Daniel Bermond, « Les catholiques sont-ils devenus identitaires ? », Marianne, (lire en ligne, consulté le )
- « L'A.F. sous les foudres de Rome », L'Express, (lire en ligne, consulté le )
- Le Morhedec 2017, p. 16
- Julien Auriach, « Mais qui en veut au pape François ? », La Vie, (lire en ligne, consulté le )
- Florent Georgesco, « Iacopo Scaramuzzi, journaliste : « Le sentiment de déclin renforce la nostalgie pour la religion » », Le Monde, (lire en ligne, consulté le )
- Isabelle de Gaulmyn, « De Salvini à Zemmour, l’instrumentalisation du christianisme par les populistes d’extrême droite », La Croix, (lire en ligne, consulté le )
- Víctor Albert-Blanco, « La religion de la nouvelle extrême droite espagnole », La Vie des idées, (lire en ligne, consulté le )
- Sébastian Seibt, « Présidentielle américaine : la nébuleuse des nationalistes chrétiens au service de Donald Trump », France 24, (lire en ligne, consulté le )
- Kévin Boucaud-Victoire, « Les catholiques sont-ils devenus identitaires ? », Marianne, (lire en ligne)
- Guillaume Letourneur, « Les réseaux catholiques traditionalistes du Front national. Le cas de la fédération FN de la Mayenne (années 1980-2010) », Revue internationale de politique comparée, vol. 28, , p. 59-83 (DOI 10.3917/ripc.281.0059, lire en ligne )
- « « L’identitarisme chrétien de Zemmour est essentiellement une idolâtrie » », La Croix, (ISSN 0242-6056, lire en ligne, consulté le )
- Bernadette Sauvaget, « Le grand basculement des catholiques face à l’extrême-droite », Témoignage Chrétien, (lire en ligne, consulté le )
- « Michel Onfray, l'ami athée des catholiques identitaires », sur Slate, (consulté le ).
- Héloïse de Neuville et Matthieu Lasserre, « Qui est l’abbé tradi Matthieu Raffray, le prêtre préféré des jeunes identitaires ? », La Croix, (lire en ligne, consulté le )
- Maxime Birken, « Homophobie : Aurore Bergé saisit la justice après les propos d’un abbé sur les thérapies de conversion », Huffpost, (consulté le )
- Maxime Macé et Pierre Plottu, « Les jolies colonies de vacances. Academia Christiana, une université d’été entre sports de combat et messes tradis », Libération, (consulté le ) : « La jeunesse d’extrême droite s’est offert une pause estivale très politique organisée par le mouvement catholique identitaire Academia Christiana. »
- Le Morhedec 2017, p. 60 et 61
- « En Hongrie, Viktor Orban soigne le catholicisme identitaire », Le Monde.fr, (lire en ligne, consulté le )
- Sébastien Fath, « Irlande et recul du christianisme identitaire », La Croix, (ISSN 0242-6056, lire en ligne, consulté le )
- Sébastian Seibt, « L'Église catholique refuse d'être instrumentalisée par Salvini », Les Échos, (lire en ligne, consulté le )
À voir
[modifier | modifier le code]Bibliographie
[modifier | modifier le code]: Ce logo indique que la source a été utilisée pour l'élaboration de l'article.
- Philippe Portier, « Le mouvement catholique français au XXe siècle. Retour sur un processus de dérégulation », dans Jean Baudouin et Philippe Portier (dir.), Le mouvement catholique français à l’épreuve de la pluralité, Presses universitaires de Rennes, , pp. 17-47.
- Philippe Portier, « Pluralité et unité dans le catholicisme français », dans Céline Béraud, Frédéric Gugelot et Isabelle Saint-Martin (dir.), Catholicisme en tensions, EHESS, coll. « En temps et lieux », , p. 19-36.
- Julien Langella (préf. Guillaume de Tanoüarn), Catholiques et identitaires de la Manif pour tous à la reconquête, DMM, , 353 p. (ISBN 978-2-8565-2394-0).
- Erwan Le Morhedec, Identitaires : Le mauvais génie du christianisme, Paris, Éditions du Cerf, coll. « Actualité », , 168 p. (ISBN 978-2-204-10930-7)
- Guillaume Cuchet, « Identité et ouverture dans le catholicisme français », Études, no 2, , p. 65-76 (lire en ligne).
- Yann Raison du Cleuziou, « L’identité catholique française en tension: », Esprit, vol. Mars-Avril, no 3, , p. 19–23 (ISSN 0014-0759, DOI 10.3917/espri.1703.0019, lire en ligne).
- Jérôme Fourquet, À la droite de Dieu : le réveil identitaire des catholiques, Éditions du Cerf, , 173 p.
Articles connexes
[modifier | modifier le code]- Catholicisme d'ouverture, catholicisme d'identité
- Mouvance identitaire
- Nationalisme catholique
- Catholicisme traditionaliste
- Intransigeantisme