Projet CHATTER
CHATTER est un projet classifié de la marine des États-Unis sur l'utilisation d'agents biochimiques pour les interrogatoires et le renseignement, actif entre 1947 et 1953. Il s'agit des premières expérimentations militaires américaines sur la manipulation mentale, et les données obtenues ont été reprises par la Central Intelligence Agency (CIA) pour des projets similaires dans les années 1950 et 1960.
Contexte
[modifier | modifier le code]Les origines du projet remontent à la fin de la Seconde Guerre mondiale, lorsque la possibilité de modifier le comportement humain par des moyens chimiques est envisagée par l’Office of Strategic Services (OSS). En quête d'un « sérum de vérité », un comité de recherche étudient les effets de différentes drogues déjà connues[1],[2],[3]. En 1945, une mission de la marine des États-Unis, déployée en Europe après la guerre, récupère un rapport sur des expérimentations de la mescaline menées au camp de concentration de Dachau[4],[5]. À l'automne 1947, le projet CHATTER débute.
Activités
[modifier | modifier le code]Objectifs
[modifier | modifier le code]Selon le rapport de la commission Church, publié en 1976, les objectifs du projet sont l'identification et l'expérimentation de psychotropes induisant la parole pour les interrogatoires et le recrutement. Plus largement, la priorité est de concevoir un moyen d'obtenir des informations auprès de personnes indépendamment de leur volonté, mais sans contrainte physique[2],[6].
Expérimentations
[modifier | modifier le code]À son commencement, le projet est confié au Dr Charles W. Savage du Naval Medical Research Institute de Bethesda, qui peut s'appuyer sur les données du rapport de Dachau. Alors que l'utilisation de la mescaline ne produit pas les résultats escomptés, Savage étudie les effets de la scopolamine, et, quelques années plus tard, du LSD. Pour l'expérimentation des drogues, il se sert d'animaux puis de militaires atteints de troubles mentaux légers, comme la dépression ou l'anxiété, et ignorant tout de leur participation au projet[2],[7].
Dans ses conclusions, Savage indique que l'administration de doses régulières de LSD ne permet pas l'amélioration thérapeutique du « patient », précisant que des symptômes de schizophrénie sont apparus dans plusieurs cas. En 1951, il quitte le projet et transmet à ses supérieurs un rapport définitif sur ses recherches[7], qui sera publié l'année suivante dans The American Journal of Psychiatry[8]. Il est remplacé par le Dr Samuel V. Thompson, nommé à la direction de la recherche psychiatrique au Naval Medical Research Institute.
En marge de la guerre de Corée, les financements accordés au projet augmentent substantiellement. À la fin de l'année 1950, un contrat de 300 000 $ est conclu pour expérimenter les effets des barbituriques, des amphétamines, de l'alcool et de l'héroïne. Ces études sont menées au département de psychologie de l'université de Rochester par le Dr G. Richard Wendt[3],[4],[9].
En 1952, Thompson et Wendt sont envoyés en Allemagne pour tester les produits et les techniques d'interrogatoire sur des prisonniers soviétiques. Les expérimentations ont lieu dans une ancienne base nazie près de Oberusel, rebaptisée Camp King, et dans une villa à Kronberg. Ils sont accompagnés d'un agent de la CIA, Morse Allen, qui poursuit les mêmes objectifs[4],[9],[10].
Fin du projet
[modifier | modifier le code]En 1953, peu après la fin du conflit en Corée, les activités du projet sont arrêtées[2],[6],[9].
Notes et références
[modifier | modifier le code]- (en) John M. Crewdson, Jo Thomas, « Files Show Tests For Truth Drug Began in O.S.S. », The New York Times, (lire en ligne)
- (en) Martin A. Lee et Bruce Shlain, Acid Dreams : The Complete Social History of LSD: The CIA, The Sixties, and Beyond, Grove Press, , 268 p. (ISBN 0-802-13062-3), p. 13-16
- Kinzer 2019, p. 59-60.
- (en) Alfred W. McCoy, « Science in Dachau's shadow : Hebb, Beecher, and the development of CIA psychological torture and modern medical ethics », Journal of the History of the Behavioral Sciences, vol. 43(4), , p. 401-417 (lire en ligne)
- Marks 1979, p. 5-8.
- (en) Commission Church - Sénat des États-Unis, Ninety-Fourth Congress, Second Session, Book I : Foreign and Military Intelligence, Washington, U.S. Government Printing Office, , 659 p. (lire en ligne), p. 387-388
- (en) Charles W. Savage, « Lysergic Acid Diethylamide (LSD-25): A Clinical-Psychological Study », rapport du projet CHATTER déclassifié le 2 juillet 2001 [PDF], sur theblackvault.com,
- (en) Charles W. Savage, « Lysergic Acid Diethylamide (LSD-25): A Clinical-Psychological Study », The American Journal of Psychiatry, , p. 896-900 (lire en ligne )
- Marks 1979, p. 27-33.
- Kinzer 2019, p. 43-48.
Annexes
[modifier | modifier le code]Bibliographie
[modifier | modifier le code]- (en) John D. Marks, The Search for the Manchurian Candidate : The CIA and Mind Control, Times Books, , 162 p. (ISBN 0-8129-0773-6)
- (en) Stephen Kinzer, Poisoner in Chief : Sidney Gottlieb and the CIA Search for Mind Control, Henry Holt & Company, , 368 p. (ISBN 1250140439)