Triangle rouge
Le triangle rouge est un symbole portant diverses significations ou revendications, politiques ou sociales.
Symbole de revendications ouvrières au XIXes, marque associée aux prisonniers politiques des camps de concentration nazis puis, dans les années 1990, symbole de la résistance au fascisme ou de mouvements antifascistes, il est utilisé à partir de 2023 par les soutiens au peuple palestinien de la bande de Gaza à l'occasion la Guerre Israël-Hamas.
Revendication ouvrière
[modifier | modifier le code]Le triangle de cuir rouge a été adopté le à Paris au cours des luttes ouvrières pour que le manifestant puisse se distinguer de l'homme de la rue[1]. L'insigne symbolise la revendication ouvrière de la journée de huit heures de travail maximum, ce qui réservait 8 heures de sommeil et 8 heures de loisir. L'inscription « 1er Mai, 8 heures de travail » était cousue sur le triangle pour la manifestation[2].
Camps de concentration nazis
[modifier | modifier le code]Le triangle rouge est utilisé à partir de 1937/1938 par le Troisième Reich[3] dans le système de marquage des prisonniers et déportés dans les camps de concentration nazis pour distinguer les prisonniers politiques[4].
Au cours de ce conflit, le régime nazi enferme, déporte ou extermine les opposants politiques directs ainsi que certains types d'individus qui refusent ou ne correspondent pas à leurs « valeurs ». Pour les différencier, les gestionnaires des camps nazis font porter des signes distinctifs sous forme de triangles pour catégoriser les types de détenus : rouge pour les prisonniers politiques, vert pour les « criminels », noir pour les « asociaux », pourpre pour les Témoins de Jéhovah et membres hostiles du clergé, bleu pour les émigrants allemands rapatriés et les apatrides, brun pour les Tsiganes et rose pour les homosexuels mâles[3]. Les juifs pouvaient porter n'importe lequel de ces triangles en outre d'un triangle jaune de manière à former une étoile de David[5].
Dans ce système, le triangle rouge était la marque des individus considérés comme ennemis politiques par Troisième Reich. La classification dans cette catégorie était souvent basée sur des critères assez vagues, dans la mesure où les détenus provenaient de différents pays, de milieux sociaux variés et avaient des orientations politiques diverses, souvent sans aucun lien avec une quelconque activité antifasciste[6] : communistes, résistants, intellectuels, objecteurs de conscience...
Pour les détenus organisés selon leur affiliation politique, le triangle rouge aidait à préserver leur identité d'avant le camp et à promouvoir la solidarité au sein du groupe[7]. Cependant, dans l'environnement brutal des camps, les prisonniers porteurs dudit triangle mais sans affiliation politique, ou refusant de coopérer avec les groupes organisés, pouvaient se trouver ostracisés[7].
Dans certains cas, le triangle rouge pouvait être surchargé par la première lettre du pays d'origine (en allemand) du déporté : par exemple le « F » correspondait à la France (Frankreich) et le « S » à Espagne (Spanien).
Anti-fascisme
[modifier | modifier le code]En souvenir des déportés politiques victimes du fascisme qui portaient le triangle rouge, les militants anti-fascistes se sont approprié ce symbole pour en faire celui de la résistance aux idées d'extrême droite, notamment en Belgique et en France. Il est arboré par des membres et des militants d'organisations anti-racistes, anti-fascistes et de partis politiques de diverses tendances[8].
Le triangle rouge a été adopté dans les années 1990 comme logo du réseau Ras l'front[9], une organisation qui a pour vocation de créer et de stimuler un « mouvement de résistance et de vigilance » contre le fascisme. Ce symbole est aussi utilisé comme symbole de lutte contre le racisme dans le domaine du sport, il a été utilisé par l'association Stop Racism In Sport dans la campagne Stand up against racism in sport ! en Belgique[10],[11]. Toujours en Belgique, une épinglette représentant le triangle de tissu nazi est produite et distribuée largement par l'ASBL « Les Territoires de la Mémoire »[12], l'association expliquant que c'est aujourd'hui « un symbole de résistance aux idées qui menace nos libertés fondamentales »[9].
Depuis la campagne pour l'élection présidentielle française de 2017, Jean-Luc Mélenchon, ensuite imité par de nombreux membres de son parti, porte le triangle rouge, qui lui a été offert par un syndicaliste de la Fédération générale du travail de Belgique[13],[14].Il s'en explique dès 2011[15].
Guerre Israël-Hamas
[modifier | modifier le code]En novembre 2023, dans le cadre de la Guerre Israël-Hamas, le triangle rouge inversé aparaît dans des vidéos par la branche militaire du Hamas où sont identifiées cibles militaires israéliennes[16]. Il est depuis lors utilisé dans de nombreuses publications pro-palestiniennes sur les réseaux sociaux, dans des caricatures, sur des pancartes, des graffitis et lors de manifestations, repris comme un symbole de la résistance palestinienne, particulièrement sur les campus universitaires[16]. Ce triangle rouge rappelle d’autres symboles historiques de la cause palestinienne : celui du drapeau palestinien — où il représente le rôle de la dynastie hachémite lors de la révolte arabe de 1916 et symbolise le sang des martyrs de la cause palestinienne[17] — ou encore le V du lance-pierre utilisé par les jeunes Palestiniens pour contrer l'armée israélienne lors de la première Intifada[18],[16].
Quand en juin 2024, l'essayiste Raphaël Enthoven décrie sur le réseau social X ce symbole comme un soutien au Hamas[19], plusieurs commentateurs soulignent la portée antifasciste de longue date du triangle rouge, bien que le symbole ait été repris comme marque de soutien aux combattants palestiniens de la bande de Gaza[20].
Notes et références
[modifier | modifier le code]- Michel Rodriguez, Le 1er mai, Gallimard, , 280 p. (ISBN 978-2-07-071860-3), p. 158 « D’autres signes relèvent de la symbolique du rouge, dès la première célébration. A Paris, de petits triangles en cuir rouge – allusion aux trois huit – sont fabriqués en grande quantité pour que le manifestant puisse se distinguer de l’homme de la rue. »
- « 1er Mai », La gazette de Liège, , p. 1 « Dix mille affiches vont être placardées à Paris. Elles seront imprimées sur papier rouge. Elles portent en tête : Fête du travail. La pétition des chambres syndicales et des groupes socialistes de France sera portée, le 1er mai, à la chambre des députés par une délégation. La délégation partira de la place de la Concorde à 2 heures de l’après-midi. L’insigne adopté par les manifestants est un petit triangle en cuir rouge dans lequel se trouve cette inscription : « 1er mai, 8 heures de travail ». On remarquera l’orthographe particulière du mot : heures. Cette orthographe et les caractères, qui ne sont certainement pas français, laissent facilement voir que la matrice a été fabriquée en Suisse ou en Allemagne. L’insigne se vendra 5 centimes. ».
- Jane Caplan, « Gender and concentration camps », dans Nikolaus Wachsmann and Jane Caplan (eds.), Concentration Camps in Nazi Germany : The New Histories, Routledge, (lire en ligne), p. 87
- (en) Claudia Theune, « Clothes as Expression of Action in Former Concentration Camps », International Journal of Historical Archaeology, vol. 22, no 3, , p. 492–510 (ISSN 1573-7748, DOI 10.1007/s10761-017-0440-3, lire en ligne, consulté le )
- (en) Winston Ramsey, The Nazi Death Camps : Then And Now, After the Battle/Pen and Sword, (ISBN 978-1-3990-7671-5), p. 25
- Falk Pingel, « Social life in an unsocial environment », dans Nikolaus Wachsmann and Jane Caplan (eds.), Concentration Camps in Nazi Germany : The New Histories, Routledge, , p. 64
- Falk Pingel, « Social life in an unsocial environment », dans Nikolaus Wachsmann and Jane Caplan (eds.), Concentration Camps in Nazi Germany : The New Histories, Routledge, , p. 66
- « Des députés porteront un triangle rouge à la Chambre: quelle est l'histoire de ce symbole? », sur RTBF (consulté le )
- Julien Dohet, Dis, c'est quoi l'antifascisme ?, Renaissance du Livre, (ISBN 978-2-507-05752-7, lire en ligne)
- « Résistez au racisme dans le sport », sur Stop Racism In Sport
- Philippe Demaret, « 21 mars, journée triangle rouge »,
- BENEDICTE MATHIEU, « LA VIGILANCE DE RAS L'FRONT », sur Le Monde,
- Baptiste Legrand, « Jean-Luc Mélenchon : que symbolise le triangle rouge sur sa veste ? », nouvelobs.com, (consulté le )
- Chloé Whitman, « Jean-Luc Mélenchon : d’où vient ce triangle rouge qu’il porte sur sa veste ? », sur Gala, jeu. 12 janvier 2023
- [vidéo] « [1] », sur YouTube,
- (en) Natalie Stechyson, « What does the inverted red triangle used by some pro-Palestinian demonstrators symbolize? », sur CBC News,
- Emmanuel Pierrat, Les Symboles pour les Nuls, edi8, (ISBN 978-2-7540-8220-4, lire en ligne)
- (en) « What’s the red triangle being used by pro-Palestinian activists? », sur Al Jazeera (consulté le )
- Service Checknews, « Législatives : que signifie le triangle rouge que portait Manuel Bompard durant le débat ? », sur Libération (consulté le )
- Elsa de La Roche Saint-André, « Pourquoi le triangle rouge qui figure dans le tweet d’Ersilia Soudais commémorant la libération d’Auschwitz fait-il polémique ? », sur Libération (consulté le )