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Adélaïde du Guesclin

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Texte de théâtre

tome 3 - Théâtre (2)
Œuvres complètes de VoltaireGarnier.


ADÉLAÏDE
DU GUESCLIN

TRAGÉDIE EN CINQ ACTES
REPRÉSENTÉE, POUR LA PREMIÈRE FOIS, LE 18 JANVIER 1734 ;
REPRISE LE 9 SEPTEMBRE 1765.
AVERTISSEMENT

POUR LA PRÉSENTE ÉDITION.

Adélaïde du Guesclin est la première tragédie française (nous entendons depuis l’époque classique) (qui soit franchement puisée dans nos traditions, où les personnages portent des noms célèbres dans nos annales, la première du moins qui marque dans notre histoire littéraire. « Deux choses, dit Laharpe, paraissent avoir influé sur le choix du sujet d’Adélaïde, et toutes deux tenaient au grand succès de Zaïre. Cette pièce si heureuse avait prouvé à l’auteur combien l’amour avait d’empire au théâtre, et combien son génie était propre à le traiter : il voulut tenter un nouvel ouvrage où l’amour dominât entièrement. Il avait vu le plaisir qu’avaient fait les noms français, et l’espèce particulière d’intérêt qu’ils avaient ajoutée à sa tragédie, lorsque les Montmorency, les Châtillon, les de Nesle, les d’Estaing, bordaient les premières loges aux représentations de Zaïre ; il résolut de choisir des héros français. Un trait hislorique, tiré des annales de Bretagne, lui offrit un sujet vraiment tragique. »

Adélaïde était terminée dès le commencement d’avril 1733. Elle fut représentée le 18 janvier 1734. L’événement fut autre que celui sur lequel l’auteur et tous ses amis avaient compté. Trente ans plus tard. Voltaire a raconté les mésaventures de la première représentation, comme on le verra ci-après dans l’Avertissement des éditeurs de Kehl. La seconde représentation fut plus favorable. Le public se figura que l’auteur avait, suivant sa coutume, refondu toute sa pièce. Voltaire n’y avait fait que des corrections fort légères. « J’allai, dit le poëte, qui sortait de maladie, j’allai à l’enterrement d’Adélaïde dont le convoi fut assez honorable, et je suis fort content du parterre qui reçut Adélaïde mourante et Voltaire ressuscité avec assez de cordialité. »

Il paraît que les spectateurs redemandèrent la pièce à grands cris, mais que l’auteur, résolu à la retirer, ne se laissa point fléchir. C’est ce qu’il dit lui-même dans une lettre à M. Clément, du 19 février 1734. Il ne la fit pas non plus imprimer.

Adélaïde se releva par la suite ; elle reparut sous diverses formes et sous différents titres. Enfin la reprise de 1763 fut une revanche éclatante de l’échec de 1734. Lekain, le jour de cette reprise, joua le rôle de Vendôme ; il y obtint un prodigieux succès. Voltaire, pour lui témoigner sa satisfaction, lui accorda la permission de faire imprimer la pièce à son profit. AVERTISSEMENT

DES ÉDITEURS DE L’ÉDITION DE KEIIL’.

Otte pièco fut jouée en 1734 sans aucun succès. M. de Voltaire la fit reparaître au théâtre en 1752, sous le nom du Duc de Foix, avec des chan- gements. Elle réussit alors, et c’est sous ce titre qu’elle a été d’abord in- sérée dans l’édition des Œuvres de l’auteur, avec la préface suivante :

« Le fond de cette tragédie n’est point une fiction. Un duc de Bretagne, en 1387, commanda au seigneur de Bavalan d’assas- siner le connétable de Glisson. Bavalan, le lendemain, dit au

\. La première édition de cette tragédie parut sous ce titre : Adélayde du Gnesclin, tragédie par M. de Voltaire, représentée, pour la première fois, le i8 janvier 173 i, et remise au théâtre le 9 septembre 176o, donnée au public par M. Lekain^ comédien ordinaire du roi. Paris, veuve Ducliesne, 176G, in-8. Elle était précédée d’une Préface de l’éditeur, qui commençait ainsi : « L’auteur m’ayant laissé le maître de cette tragédie, j’ai cru ne pouvoir mieux faire que d’imprimer la lettre qu’il écrivait à cette occasion à un de ses amis. »

Venait ensuite cette lettre, qui forme les alinéas 5 à 12 de V Avertissement de Kebl. Après la Préface de l’édition de 17GU, on trouvait cet Avertissement de l’éditeur :

« On osera rappeler ici ce que l’auteur n’a pu dire : c’est c[ue le Temple du Goût, qui avait paru quelque temps avant Adélayde, fut cause du peu de succès de cette tragédie.

« Bien juger et bien composer, c’en était trop à la fois ; on ne le pardonna point à l’auteur. Aujourd’hui le public, plus instruit et plus équitable, a senti que cette pièce joignait aux beautés dont elle est remplie l’avantage d’avoir exposé sur la scène un des plus sublimes cinquièmes actes qui aient encore paru, d’avoir fait entendre pour la première fois des noms chers aux Français, d’avoir peint en vers très-beaux et ti-ès-harmonieux les sentiments du patriotisme monarchique, sentiments si puissants sur une nation connue et distinguée dans tous les temps par sa fidélité et son amour pour ses rois. »

La reprise de 1763 fut le sujet de la Lettre à un ami de province, contenant quelques observations sur Adélaïde du Guesclin, tragédie de M. de Voltaire. Amsterdam (Pari^), 1705, in-12 de trente pages, lia 1752, il avait paru des Obser- vations sur la tragédie du Duc de Foix de M. de Voltaire, par M. le chevalier de La iMor Itère, iu-i2 de quarante-deux pages. (B.) duc qu’il avait obéi : le duc alors, voyant toute l’horreur de son crime, et en redoutant les suites funestes, s’abandonna au plus violent désespoir. Bavalan le laissa quelque temps sentir sa faute, et se livrer au repentir ; enfin il lui apprit qu’il l’avait aimé assez pour désobéir à ses ordres, etc.

« On a transporté cet événement dans d’autres temps et dans d’autres pays, pour des raisons particulières. »

En 1765, on a donné cette pièce sous son véritable titre ; elle eut le plus grand succès, et c’est une des pièces de. M. de Voltaire qui font le plus d’effet au théâtre. Lorsqu’elle parut en 1734, il venait de publier le Temple du Goût. On ne voulut point souffrir qu’il donnât à la fois des leçons et des exemples. En 1765, on ne fut que juste. Nous joignons ici le fragment d’une lettre que M. de Voltaire écrivit alors à un de ses amis à Paris :

« Quand vous m’apprîtes, monsieur, qu’on jouait à Paris une Adélaïde du Guesdin avec quelque succés, j’étais très-loin d’imaginer que ce fût la mienne ; et il importe fort peu au public que ce soit la mienne ou celle d’un autre. Vous savez ce que j’entends par le public. Ce n’est pas l’univers[1], comme nous autres, barbouilleurs de papier, l’avons dit quelquefois. Le public, en fait de livres, est composé de quarante ou cinquante personnes, si le livre est sérieux ; de quatre ou cinq cents, lorsqu’il est plaisant ; et d’environ onze ou douze cents, s’il s’agit d’une pièce de théâtre. Il y a toujours dans Paris plus de cinq cent mille âmes qui n’entendent jamais parler de tout cela.

« Il y avait plus de trente ans que j’avais hasardé devant ce public une Adélaïde du Guesclin, escortée d’un duc de Vendôme et d’un duc de Nemours, qui n’existèrent jamais dans l’histoire. Le fond de la pièce était tiré des annales de Bretagne, et je l’avais ajustée comme j’avais pu au théâtre, sous des noms supposés. Elle fut sifflée dès le premier acte ; les sifflets redoublèrent au second, quand on vit arriver le duc de Nemours blessé et le bras en écharpe : ce fut bien pis lorsqu’on entendit, au cinquième, le signal que le duc de Vendôme avait ordonné, et, lorsqu’à la fin le duc de Vendôme disait : Es-tu content, Coucy ? plusieurs bons plaisants crièrent : Couci-couci. 78 AVERTISSEMENT DES EDITEURS DE IvEIIL.

« Vous jugez bien que je ne m’obstinai pas contre cette belle réception. Je donnai, quelques années après, la même tragédie sous le nom du Duc de Foix ; mais je l’allaiblis beaucoup, par respect pour le ridicule. Cette pièce, devenue plus mauvaise, réussit assez ; et j’oubliai entièrement celle qui valait mieux.

(( Il restait une co])ie de cette Adélaïde entre les mains des ac- teurs de Paris : ils ont ressuscité, sans m’en rien dire, cette défunte tragédie ; ils l’ont représentée telle qu’ils l’avaient donnée en 173/(, sans y clianger un seul mot, et elle a été accueillie avec beau- coup d’applaudissements : les endroits ([ui avaient été le plussiitlés ont été ceux (|ui ont excité le plus de battements de mains.

« Vous me demanderez auquel des deux jugements je me tiens. Je vous répondrai ce que dit un avocat vénitien aux sérénissimes sénateurs devant lesquels il plaidait : // mcsc passato, disait-il, le costre Eccellcnze haniio giudicato cos’i ; e questo mese, nella medesima causa, hanno giudicato tutto ’l contrario ; e sempre bene. « Vos Excel- <( lences, le mois passé, jugèrent de cette façon ; et ce mois-ci, « dans la même cause, elles ont jugé tout le contraire ; et toujours « à merveille. »

« M. Ogliières’, riche banquier à Paris, ayant été chargé de faire composer une marche pour un des régiments de GharlesXII, s’adressa au musicien Mouret. La marche fut exécutée chez le l)an(iuier, en présence de ses amis, tous grands connaisseurs. La musique fut trouvée détestable ; Mouret remporta sa marche, et l’inséra dans un opéra qu’il lit jouer. Le banquier et ses amis allèrent à son opéra : la marche fut très-applaudie. « Eh ! voilà « ce que nous voulions, dirent-ils à Mouret ; que ne nousdonniez- (( vous une pièce dans ce goût-là ? — Messieurs, c’est la même. » « On ne tarit point sur ces exemples. Qui ne sait que la même chose est arrivée aux idées innées, à l’émétique, et à l’inoculation ? Tour à tour sifflées et bien reçues, les opinions ont ainsi flotté dans les affaires sérieuses, comme dans les beaux-arts et dans les sciences.

Ouod petiit spernit, ropetit quod niipor oniisil.

HoR., liv. I, ép. I, V. 98.

« La vérité et le bon goût n’ont remisj^leur sceau que dans la

1. Oghières, ou Hoguèrc, ou Hogguers, était un banquier suisso, menant grand train, recevant la cour et la ville, et propriétaire du cliàtoau de Cliâtillon près Clamart. Voltaire fut de sa société en 1748, au moment des intrigues suédoises du baron de Gortz. Voir la Jeunesse de Voltaire par M. Gustave Dcsnoiresterrcs. AVERTISSEMENT DES ÉDITEURS DE KEIII,. 7’i

inain du Temps. Cotte réflexion doit retenir les auteurs des jour- naux dans les bornes d’une grande circonspection. Ceux qui rendent compte des ouvrages doivent rarement s’empresser de h’s juger. Ils ne savent pas si le public, à la longue, jugera comme eux ; et puis([u"il n’a un sentiment décidé et irrévocable ([u au bout de plusieurs années, cpie penser de ceux qui jugent (le tout sur une lecture précipitée’ ?

l. Ou a trouve dans les papiers do M. du Voltaire uuo tragédie d’Alamire. et uue autre intitulée : le duc d’Alençou, ou les Frères ennemis. Toutes deux sont iMicore le même sujet ([n’Adelaule. La scène de la première est en Espagne, et ressemble beaucoup plus au Duc de Foix qu’à Adélaïde. La seconde n’est qu’en trois actes ; les rôles de femmes ont été supprimés. L"au ; eur l’avait faite pour l(>s princes, frères du roi de Prusse, qui s’amusaient à jouer des tragédies françaises.

iNous n’avons pas cru devoir faire entrer ces pièces dans la collection des Œuvres de M. de Voltaire ; mais nous donnons le Duc de Faix à la fin d’i4f/e- la/de. (K.) — Le Duc d’ A lençon, imprimé pour la première fois en 1821, a depuis été admis dans deux éditions des Œuvres de Voltaire. Je le donne immédia- tement après Adélaïde duGuesclin. Quant à Alamire, dont je possède le manu- scrit de la main de Wagnière, je n’ai pas osé imprimer cette quatrième version d(>

la même pièce. (B.)
PERSONNAGES

LE DUC DE VENDOME.

LE DUC DE NEMOURS.

LE SIRE DE COUCY.

ADÉLAÏDE DU GUESCLIN.

TAÏSE D’ANGLURE.

DANGESTE, confident du duc de Nemours.

UN OFFICIER, UN GARDE, etc.


La scène est à Lille.


1. Noms des acteurs qui jouèrent dans Adélaïde du GuescUn et dans le Tuteur, de Dancourt, qui l’accompagnait : Quinault-Dui-resne (Vendôme), Legrand, La THORiM-iiiRK, DuBREUiL, MoNTMÉNY, Grandval (Nemours), Dangeville jeune, Flecry, Fiervili.e ; M’"" JoiJVE\OT (Taîse), Dangeville jeune, Gaussi\ (Adélaïde), Guérin. — Recette : 4,182 livres. (G. A.) ADELAÏDE

DU GUESGLIN

TRAGÉDIE

ACTE PREMIER.




Scène I.



LE SIRE DE COUCY, ADÉLAÏDE.

COUCY.
Digne sang de Guesclin, vous qu'on voit aujourd’hui
Le charme des Français dont il était l’appui,
Soufîrez qu’en arrivant dans ce séjour d’alarmes.
Je dérobe un moment au tumulte des armes :
Écoutez-moi. Voyez d’un œil mieux éclairci
Les desseins, la conduite et le cœur de Coucy ;
Et que votre vertu cesse de méconnaître
L’âme d'un vrai soldat, digne de vous peut-être.

ADÉLAÏDE.

Je sais quel est Coucy ; sa noble intégrité
Sur ses lèvres toujours plaça la vérité.
Quoi que vous m’annonciez, je vous croirai sans peine.

COUCY.

Sachez que si ma foi dans Lille me ramène,
Si, du duc de Vendôme embrassant le parti,
Mon zèle en sa faveur ne s’est pas démenti,
Je n’approuvai jamais la fatale alliance
Qui l’unit aux Anglais et l’enlève à la France ;
Mais dans ces temps affreux de discorde et d’horreur,

ADÉLAÏDE DU GUESCLIN.

Je n’ai d'autre parti que celui de mon cœur 1 Non que pour ce héros mon âme prévenue Prétende à ses défauts fermer toujours ma vue ; Je ne m’aveugle pas : je vois avec douleur De ses emportements l'indiscrète chaleur : Je vois que de ses sens l’impétueuse ivresse L’abandonne aux excès d’une ardente jeunesse ; Et ce torrent fougueux, que j’arrête avec soin, Trop souvent me l’arrache, et l'emporte trop loin. Il est né violent, non moins que magnanime ; Tendre, mais emporté, mais capable d’un crime. Du sang qui le forma je connais les ardeurs. Toutes les passions sont en lui des fureurs : Mais il a des vertus qui rachètent ses vices. Eh ! qui saurait, madame, où placer ses services, S’il ne nous fallait suivre et ne chérir jamais Que des cœurs sans faiblesse, et des princes parfaits ? Tout mon sang est à lui ; mais enfin cette épée Dans celui des Français à regret s’est trempée ; Ce fils de Charles Six… </poem>

ADÉLAÏDE.

                      Osez le nommer roi, 

Il l’est, il le mérite. </poem>

COUCY.

                     Il ne l’est pas pour moi. 

Je voudrais, il est vrai, lui porter mon hommage ; Tous mes vœux sont pour lui ; mais l’amitié m’engage. Mon bras est à Vendôme, et ne peut aujourd’hui Ni servir, ni traiter, ni changer, qu’avec lui. Le malheur de nos temps, nos discordes sinistres, Charles qui s’abandonne à d’indignes ministres, </poem>


1. « Le poëte n’ose ici, dit M. A. Lacroix dans son étude sur l'Influence de Shakespeare, appliquer la manière du tragique anglais ; pourtant le cadre se prêtait bien à l’une de ces peintures vastes. Shakespeare, lui aussi, avait jeté l’un de ses drames au milieu de cette fameuse époque do Henri IV, de Henri V, et de Charles VII. Mais quels immenses tableaux il nous déroule ! C’est la vie d’un peuple, c’est son histoire qui nous apparaît !… » Et Voltaire, de son côté : « J’aurais bien voulu parler un peu de ce fou de Charles VI, de cette mégère Isabeau, de ce grand homme Henri V ; mais, quand j’en ai voulu dire un mot, j’ai vu que je n’en avais pas le temps… La passion occupe toute la pièce d’un bout à l’autre. L’amour est une étrange chose ! quand il est quelque part, il y veut dominer ; point de compagnon, point d’épisode. » On voit par là comme le but de Voltaire est différent de celui de Shakespeare. (G. A.) ACTE 1, S ci : M’ I. 83

Dans co cruel parti tout l’a pivcipiU’ ;

Je ne peux à mon choix fléchir sa volonTé.

J’ai souvent, (]o son coMir aij^rissant les hlossures,

Révolté sa liorté par dos vérités dures :

Vous seule, à votre roi le pourriez rappeler,

Madame, et c’est de quoi je cherche à vous parler.

J’aspirai jusqu’à vous, avant qu’aux nuirs de Lille

Vendôme trop heureux vous donnât cet asile ;

Je crus que vous pouviez, approuvant mon dessein,

Accepter sans mépris mon li()mmat>e et ma main ;

Que je pouvais unir, sans une aveugle audace,

Les lauriers des Guesclin aux lauriers de ma race :

La gloire le voulait, et peut-être l’amour,

Plus puissant et plus doux, l’ordonnait à son tour ;

Mais à de plus l)eaux nœuds je vous vois destinée.

La guerre dans Camhrai vous avait amenée

Parmi les flots d’un peuple à soi-même livré,

Sans raison, sans justice, et de sang enivré.

Ln ramas de mutins, troupe indigne de vivre,

Vous méconnut assez pour oser vous poursuivre ;

Vendôme vint, parut, et son heureux secours

Punit leur insolence, et sauva vos beaux jours.

Quel Français, quel mortel, eût pu moins entreprendre ?

Et qui n’aurait brigué l’honneur de vous défendre ?

La guerre en d’autres lieux égarait ma valeur ;

Vendôme vous sauva, Veiulôme eut ce bonheur :

La gloire en est à lui, ([u’il en ail le salaire ;

Il a par trop de droits mérité de vous plaire ;

Il est prince, il est jeune, il est votre vengeur :

Ses bienfaits et son nom, tout parle en sa faveur.

La justice et l’amour vous pressent de vous rendre :

Je n’ai rien fait pour vous, je n’ai rien à prétendre ;

Je me tais… mais sachez que, pour vous mériter,

A tout autre qu’à lui j’irais vous disputer ;

Je céderais à peine aux enfants des rois même :

Mais Vendôme est mon chef, il vous adore, il m’aime ;

Coucy, ni vertueux, ni superbe à demi,

Aurait bravé le prince, et cède à son ami.

Je fais plus ; de mes sens maîtrisant la faiblesse.

J’ose de mon rival appuyer la tendresse.

Vous montrer votre gloire, et ce que vous devez

Au héros qui vous sert et par qui vous vivez. 84 ADKLAIDE DU GUESCLIN.

Je Acrrai (l’un œil soc et d’un caMir sans envie V.ci iiuueii (lui poinail eiupoisonncr ma vie. Je réunis pour vous mon service et mes vœux ; Ce bras qui fut ù lui comhaltra pour tous deux ; Voilà mes sentiments. Si je me sacrifie, L’amitié nu’ l’ordonne, et surtout la patrie. Songez (juc si l’hymen vous range sous sa loi, Si ce prince est à vous, il est à votre roi.

ADÉLAÏDE.

Qu’avec étonnement, seigneur, je ^ous contemple ! Que vous donnez au monde un rare et grand exemple ! Quoi ! ce cœur (je le crois sans feinte et sans détour) Connaît l’amitié seule, et peut braver l’amour ! 11 faut Aous admirer (piand on sait vous connaître : Vous servez votre ami, vous servirez mon maître. Un cœur si généreux doit penser comme moi : Tous ceux de votre sang sont l’appui de leur roi. Eh bien ! de vos vertus je demande une grâce.

COUCY.

Vos ordres sont sacrés : que faut-il que je fasse ?

ADÉLAÏDE.

Vos conseils généreux me pressent d’accepter

Ce rang, dont un grand prince a daigné me flatter.

Je n’oublierai jamais combien son choix m’honore ;

J’en vois toute la gloire ; et quand je songe encore

Qu’avant qu’il fût épris de cet ardent amour,

Il daigna me sauver et l’honneur et le jour,

Tout ennemi qu’il est de son roi légitime.

Tout vengeur des Anglais, tout protecteur du crime.

Accablée à ses yeux du poids de ses bienfaits,

Je crains de l’affliger, seigneur, et je me tais.

Mais, malgré son service et ma reconnaissance,

Il faut par des refus répondre à sa constance :

Sa passion m’afflige ; il est dur à mon cœur,

Pour prix de tant de soins, de causer son malheur.

A ce prince, à moi-même, épargnez cet outrage :

Seigneur, vous pouvez tout sur ce jeune courage.

Souvent on vous a vu, par vos conseils ]irudents,

Modérer de son cœur les transports turbulents.

Daignez débarrasser ma vie et ma fortune

De ces noMids trop brillants, dont l’éclat m’importune.

De plus hères beautés, de plus dignes appas, A< ; TI- : I. SCKNK I. 85

Hrifiliicroiit sa I(M1 dresse, où je ne prétends pas. D’ailleurs, quel appareil, (iiiel temps, pour ili\ meure 1 Des armes de mon roi Lille est einiroiiiiée : J’entends de tous cotés les clameurs des soldats, Et les sons de la guerre, et les cris du trépas. La terreur me consume ; et votre [)rinc(> ignore Si iXemours… si son frère, liélas ! respire encore ! Ce frère (juil aima… ce vertueux Nemours… Ou disait (jue la INiivjue avait tranclu ses jours ; Que la France en aurait une douleur mortelle ! Seigneui", au sang des rois il lut toujours (idc’Ie. S’il est M’ai ([ue sa mort… Excusez mes ennuis, Mon amour pour mes rois, et le trouble où je suis.

COL G y. Vous pouvez l’expliquer au prince qui vous aime. Et de tous vos secrets l’entretenir vous-même : Il va venir, madame, et peut-être vos vœux…

AD l’i LAIDE.

Ah ! Couc}, prévenez le malheur de tous deux. Si vous aimez ce prince, et si, dans mes alarmes. Avec quelque pitié vous regardez mes larmes. Sauvez-le, sauvez-moi, de ce triste embarras ; Daignez tourner ailleurs ses desseins et ses pas. Pleurante et désolée empêchez qu’il me voie.

COUCY.

Je plains cette douleur où votre àme est en proie ;

Et, loin de la gêner d’un regard curieux,

Je baisse devant elle un œil respectueux :

Mais quel ([ne soit l’ennui dont votre cœur soupii’e,

Je vous ai déjà dit ce que j’ai dû vous dire ;

Je ne puis rien de plus : le prince est soupçonneux ;

Je lui serais suspect en ex|)liquant vos vo’ux.

Je sais à (juel excès irait sa jalousie.

Quel poison mes discours répandraient sur sa vie :

Je vous perdrais peut-être ; et mon soin dangereux.

Madame, avec un mot, ferait trois malheureux.

Vous, à vos intérêts rendez-vous moins contraire,

Pesez sans passion l’honneur qu’il veut vous faire.

Moi, libre entre vous deux, souffrez que, dès ce jour,

Oubliant à jamais le langage d’amour.

Tout entier à la guerre, et maître de mon ftme.

J’abandonne à leur sort et vos vœux et sa ilamme. 86 ADÉLAIDK DU GUESGLIN.

Je rrains do l’affliger, Je crains de aous trahir : Et ce n’est qu’aux combats que je dois le servir. Laissez-moi d’un soldat garder le caractère, Madame ; et puisque enfin la France vous est chère, lîendez-lui ce héros qui serait son appui : Je vous laisse y penser, et je cours près de lui. Adieu, madame…

SCENE II.

ADÉLAÏDE, TAÏSE.

ADÉLAÏDE.

OÙ suis-je ? hélas ! tout m’abandonne, Nemours… de tous côtés le malheur m’environne. Ciel ! qui m’arrachera de ce cruel séjour ?

TAÏSE.

Quoi ! du duc de Vendôme et le choix et l’amour, Quoi ! ce rang qui ferait le bonheur ou l’envie De toutes les beautés dont la France est remplie, Ce rang qui touche au trône, et qu’on met à vos pieds, Ferait couler les pleurs dont vos yeux sont noyés ?

ADÉLAÏDE.

Ici, du haut des cieux, du Guesclin me contemple ; De la fidélité ce héros fut l’exemple : Je trahirais le sang qu’il versa pour nos lois. Si j’acceptais la main du vainqueur de nos rois.

TAÏSE.

Quoi ! dans ces tristes temps de ligues et de haines. Qui confondent des droits les bornes incertaines, Où le meilleur parti semble encor si douteux. Où les enfants des rois sont divisés entre eux ; Vous, qu’un astre plus doux semblait avoir formée Pour unir tous les cœurs et pour en être aimée ; Vous refusez l’honneur qu’on offre à vos appas, Pour l’intérêt d’un roi qui ne l’exige pas ?

ADÉLAÏDE, en pleurant.

Mon devoir me rangeait du parti de ses armes.

TAÏSE.

Ah ! le devoir tout seul fait-il verser des larmes ? Si Vendôme vous aime, et si, par son secours… ACTE I, SCÈM- : 11. 87

ADÉLAÏDE.

Laisse là ses l)i(Mifails, et parle de Nemours. N’en as-lii rien a|)i)rls ? Sait-on s’il vit encore ?

TAÏSE,

\oilà donc en eilet le soin qui vous dévore, Madame ?

ADI- LAÏDi ; .

Il est trop vrai : je l’avoue, el mon cœur Ne i)enl plus soutenir le poids de sa douleur. Elle échappe, elle éclate, elle se juslitie ; Et si Nemours n’est i)lus, sa nuu’t (init ma vie.

TAÏSE.

Kt vous pouviez cacher ce secret à ma foi ?

ADÉLAÏDE.

Le secret de Nemours dépendait-il de moi ?

Nos feux, toujours hrùlanl dans l’omhre du silence,

Trompaient de tous les yeux la triste vigilance.

Séparés l’un de l’autre, et sans cesse présents.

Nos cœurs de nos soupirs étaient seuls confidents ;

Et ^’endùme, surtout, ignorant ce mystère,

Ne sait pas si mes yeux ont jamais vu son frère.

Dans les murs de Paris… Mais, ô soins superflus !

Je te parle de lui, quand peut-être il n’est plus.

murs où j’ai vécu de Vendôme ignorée !

temps où, de Nemours en secret adorée.

Nous touchions l’un et l’autre au fortuné moment

Qui m’allait aux autels unir à mon amant !

La guerre a tout détruit. Fidèle au roi son maître.

Mon amant me quitta, ])our m’oublier peut-être ;

Il partit, et mon cœur qui le suivait toujours,

A vingt peuples armés redemanda Nemours.

Je portai dans Camhrai ma douleur inutile ;

Je voulus rendre au roi cette supcrhe ville ;

Nemours à ce dessein devait servir d’appui ;

L’amour me conduisait, je faisais tout pour lui.

C’est lui qui, d’une fille animant le courage,

D’un peuple factieux me fit braver la rage.

Il exposa mes jours, pour lui seul réservés.

Jours tristes, jours affreux, qu’un autre a conservés !

Ah ! qui m’éclaircira d’un destin que j’ignore ?

Français, qu’avez-vous fait du héros que j’adore ?

Ses lettres autrefois, chers gages de sa foi, ADÉLAÏnK DU GUESCLIN.

Troiivaioiit mille choinins pour a cuir jusqu’à moi. Son silence me tue ; hélas ! il sait peut-être Cet amour qu’à mes yeux son frère a fait paraître. Tout ce que j’entrevois conspire à m’alarmer ; Et mon amant est mort, ou cesse de m’aimer ! Et pour comble ilc maux, je dois tout à son frère !

TAÏSE.

Cachez l)ien à ses yeux ce danj^ereux mystère : Pour vous, pour votre amant, redoutez son courroux. Quelqu’un vient.

ADKLAÏnE.

C’est lui-même, ô ciel !

TAÏSE.

Contraicnez-vous.

SCENE III.

LE DUC DE VENDOME, ADÉLAÏDE. TAÏSE.

VENDÔME.

J’oublie à vos genoux, charmante Adélaïde,

Le trouble et les horreurs où mon destin me guide ;

Vous seule adoucissez les nuiux que nous souffrons,

Vous nous rendez plus pur l’air (jue nous respirons.

La discorde sanglante afilige ici la terre ;

Vos jours sont entourés des pièges de la guerre.

J’ignore à quel destin le ciel veut me livrer^ ;

Mais si d’un peu de gloire il daigne m’honorer,

Celte gloire, sans vous obscure et languissante.

Des flambeaux de l’hymen deviendra plus brillante.

Souffrez que mes lauriers, attachés par vos mains.

Écartent le tonnerre et Ijravent les destins ;

Ou, si le ciel jaloux a conjuré ma perte.

Souffrez que de nos noms ma tombe au moins couverte.

Apprenne à l’avenir que Vendôme amoureux

Expira votre époux, et périt trop heureux.

1. Imitation de ces vers de Cinna (acte I, scène iv) :

Si le ciel me réserve un destin rigoureux, Je mourrai tout cnscmhlo heureux et malheureux : Heureux pour vous servir d’avoir perdu la vie, Malheureux de mourir sans vous avoir servie. ACTK I, S( : i : nk m. 89

ADÉLAÏDE.

Tant d’honneurs, tant d’amour, sor\(Mil A nio conroiidro. Prinro… Oiio lui dirai-jo ? et connncnt lui n’poudrc ? Ainsi, seigneur… Coucy ne vous a point parlé ?

VENDÔME.

\on, madame… D’où vient ({ue votre ro’ur trouhlé Hépond en IVriuissant à ma tendresse extrême ? Vous parlez de (loucy, quand Vendôme vous aime !

ADÉLAÏDE.

Prince, s’il était vrai ([ue ce brave Nemours De ses ans pleins de gloire eût terminé le cours, \ous qui le chérissiez d’une amitié si tendre. Vous qui devez au moins des larmes à sa rendre. Au milieu des combats, et près de son tombeau, l’ourriez-vous de l’hymen allumer le flambeau ?

VENDÔME.

Ah ! je jure par vous, vous qui m’êtes si chêi-e.

Par les doux noms d’amants, par le saint nom de frère,

Que Nemours, après vous, fut toujours à mes yeux

Le ])liis cher des mortels, et le plus précieux.

Lorsqu’à mes ennemis sa valeur fut livrée,

Ma tendresse en souffrit, sans en être altérée.

Sa mort m’accablerait des |)lus horribles coups ;

Et pour m’en coiisoler, mou cœur n’aurait que vous.

Mais on croit trop ici l’aveugle renommée,

Son infidèle voix vons a mal informée :

Si mon frère était nu)rt, doiitoz-vous (|ue son roi.

Pour m’apprendre sa perte, eût dépêché vers moi ?

Ceux que le ciel forma d’une race si pure.

Au milieu de la guerre écoutant la nature.

Et protecteurs des lois que l’honneur doit dicter,

Même en se combattant, savent se respecter.

A sa perte, en un mot, donnons moins de créance.

In bruit plus vraisemblable, et m’afflige, et m’offense :

On dit que vers ces lieux il a porté ses pas,

ADÉLAÏDE,

Seigneur, il est vivant ?

VENDÔME.

Je lui pardonne, hélas ! Qu’au parti de son roi son intérêt le range ; Qu’il le défende ailleurs, et qu’ailleurs il le venge ; Qu’il triomphe pour lui, je le veux, j’y consens : 90 ADÉLAÏDE DU GUESCLIN.

Mais so mOler ici |)arini les assiégeants,

Me cliercliei-, m’altaquer, moi, son ami, son frère…

ADÉLAÏDE.

Le roi le veut, sans doute.

VENDÔME.

Ah ! destin trop contraire ! Se pourrait-il qu’un frère, élevé dans mon sein. Pour mieux servir son roi levât sur moi sa main ? Lui qui devrait plutôt, témoin de cette fête. Partager, augmenter, mon bonheur qui s’apprête.

ADÉLAÏDE.

Lui ?

VENDÔiME.

C’est trop d’amertume en des moments si doux. Malheureux par un frère, et fortuné par vous. Tout entier à vous seule, et hravant tant d’alarmes, Je ne veux voh’ que vous, mon hymen, et vos charmes. Qu’attendez-vous ? donnez à mon cœur éperdu Ce cœur que j’idolâtre, et qui m’est si hien dû.

ADÉLAÏDE.

Seigneur, de vos bienfaits mon âme est pénétrée ; La mémoire à jamais m’en est chère et sacrée ; Mais c’est trop prodiguer vos augustes bontés, C’est mêler trop de gloire à mes calamités ; FA cet honneur…

VENDÔME,

Comment ! ô ciel ! qui vous arrête ?

ADÉLAÏDE.

Je dois…

SCÈNE IV.

VEND03IE, ADÉLAÏDE, TAÏSE, COUCV.

COUCY.

Prince, il est temps, marchez à notre tête. Déjà les ennemis sont au pied des remparts. Échauffez nos guerriers du feu de vos regards : Venez vaincre.

VENDÔME.

Ah ! courons : dans l’ardeur qui me presse, Quoi ! vous n’osez d’un mot rassurer ma tendresse ? ACTI- : I. s CE. M- V. 91

\ou.s iléluuriicz les yeux ! vous tremblez ! cl je voi Que vous cachez des pleurs qui ne sont pas pour moi.

COLCV.

Le temps pi-csse.

VENDÔME.

Il est temps (|iie Vendôme périsse : 11 n’est poiiil de Français (pie l’amour a\ilisse : Amants aimés, heureux, ils cherchent les combats, Ils courent à la gloire ; et je vole au trépas’. Allons, brave Couc\, la mort la plus cruelle, La moil, <|ii(’ je désire, est moins barbare qu’elle.

ADÉLAÏDE.

\b ! seigneur, modérez cet injuste courroux ; Autant que je le dois je m’intéresse à vous. J’ai payé vos bienfaits, mes jours, ma délivrance, Par tous les sentiments qui sont en ma puissance ; Sensible à vos dangers, je plains votre valeur.

VENDÔME.

Ah ! que vous savez bien le chemin de mon cœur ? Que vous savez mêler la douceur à l’injure ! Lu seul mot m’accablait, un seul mot me rassure. Content, rempli de vous, j’abandonne ces lieux. Et crois voir ma victoire écrite dans vos yeux.

SCENE V. ADÉLAÏDE, TAiSE.

TAÏSE.

Vous voyez sans pitié sa tendresse alarmée.

ADÉLAÏDE.

Ksl-il bien vi’ai ? Nemours serait-il (buis l’armée ? discorde fatale ! amour plus dangereux ! Que vous coûterez cher à ce cœur malheureux !

1. Ces vers étiiiciit de circonstance, car la campagne de I73i allait s’ouvrir. FIN DL PREMIER ACTE, ACTE DEUXIEME.

SCENE I.

VENDOME, (X)UGY.

VENDÔME.

Nous périssions sans vous, Coiicj, je le confesse. Vos conseils ont guidé ma fougueuse jeunesse ; C’est vous dont l’esprit ferme et les yeux pénétrants M’ont porté des secours en cent lieux différents. Que n’ai-je, comme vous, ce tranquille courage, Si froid dans le danger, si calme dans l’orage ! Coucy m’est nécessaire aux conseils, aux combats ; Et c’est à sa grande àme à diriger mon bras.

COLCY.

Ce courage brillant, qu’en vous on voit paraître. Sera maître de tout quand vous en serez maître : \ ous l’avez su régler, et vous avez vaincu. Ayez dans tous les temps cette utile vertu : ——Qui sait se posséder peut commander au monde. Pour moi, de qui le bras faiblement vous seconde, Je connais mon devoir, et je vous ai suivi. Dans l’ardeur du combat je vous ai peu servi ; Nos guerriers sur vos pas marcliaient à la victoire, Et suivre les Bourbons, c’est voler à la gloire. Vous seul, seigneur, vous seul avez fait prisonnier Ce chef des assaillants, ce superbe guerrier. Vous l’avez pris vous-même, et, maître de sa vie. Vos secours l’ont sauvé de sa propre furie.

VENDÔME,

D’où vient donc, cher Coucy, que cet audacieux. Sous son casque fermé, se cachait à mes yeux ? D’où vient qu’en le prenant, qu’en saisissant ses armes. J’ai senti, malgré moi, de nouvelles alarmes ? ACTE II, SCÈNE II. 93

Lu je ne sais (|ii(’l tioiihic en moi s’est éle\é ;

Soit ({lie ce triste amour, dont je suis ca])tivé,

Sur mes sens égarés répandant sa tendresse,

Jusqu’au sein des combats m’ait prêté sa faiblesse,

On’il ait voulu maniwer tontes mes actions

Par la molle douceur de ses impressions ;

Soit plutôt (jue la voix de ma triste patrie

Parle encore en secret au cœur qui l’a trahie ;

Qu’elle condamne encor mes funestes succès,

Kt ce bras (|ui n’est teiid (|ue du sang- des Français’.

coicv.

.le prévois (pie J)ientôt cette guerre fatale.
Ces troubles intestins de la maison royale,
Ces tristes factions, céderont au danger
D’abandonner la France au iils de l’étranger.
Je vois que de l’Anglais la race est peu chérie,
Que leur joug est pesant, qu’on aime la patrie,
Que le sang des Capets est toujours adoré.
Tôt ou tard il faudra ([ue de ce tronc sacré
Les rameaux divisés et courbés par l’orage,
Plus unis et plus beaux, soient notre unique ombrage.
Nous, seigneur, n’avons-nous rien à nous reprocher ?
Le sort au prince anglais voulut vous attacher ;
De votre sang, du sien, la querelle est commune ;
^’ous suivez son parti, je suis votre foi’tune.
Comme vous aux Anglais le destin m’a lié :
Vous, par le droit du sang ; moi, par notre amitié :
Permettez-moi ce mot… Eh quoi ! votre àme émue…

VEXDÔMi ; .

Ah ! voilà ce guerrier qu’on amène à ma vue.

SCENE II.

VENDOME, LE DUC de NEMOURS, COUCV

SOLDATS, SUITE. VENDÔME.

11 soupire, il paraît accablé de regrets.

1. On lit dans la Ilenriade, chant III, vers 12’2 :

iluu bras n’est cncor teint que du sang des Français. 94 ADl’-LAini’ DU (lU ESC LIN.

COUCY,

Son sang sur son -s isagc a confondu ses traits ; 11 est blessé sans doute.

NEMOURS, lians lo fond du théâtre i •

Entreprise funeste Oui do nia triste vie arrachera le reste ! Où me conduisez-AOus ?

VENDÔME.

Devant votre vainqueur, Qui sait d’un ennemi resperter la valeur. Venez, ne craignez rien.

NEMOURS, se tûurnant vers son écuyer.

Je ne crains que de vivre ; Sa présence m’accable, et je ne puis poursuivre. 11 ne me connaît plus, et mes sens attendris…

VENDÔME.

Quelle voix, quels accents ont frappé mes esprits ?

NEMOURS, le regardant.

AKas-tu pu méconnaître ?

VENDÔME, l’embrassant.

Ah, Nemours ! ah, mon frère !

NEMOURS.

Ce nom jadis si cher, ce nom me désespère, .le ne le suis que trop, ce frère infortuné, Ton ennemi vaincu, ton captif enchaîné.

VENDÔME.

Tu n’es plus que mon frère. Ah ! moment plein de cbarmes ! Ah ! laisse-moi laver ton sang avec mes larmes.

(A sa suite.)

Avez-vous par vos soins ?…

NEMOURS.

Oui, leurs cruels secours Ont arrêté mon sang, ont veillé sur mes jours, . De la mort que je cherche ont écarté l’approche.

1. 11 a le bras en écharpe. « Je conviens que Nemours, écrit Voltaire avant la représentation, n’est pas, à beaucoup près, si grand, si intéressant, si occupant le tbéàtre que son emporté de frère. Je suis encore bien beureux qu’on puisse aimer un peu Kcmours, après que Vendôme a saisi, pendant deux actes, l’attention et le cœur des spectateurs. Si le personnage de ÎVemours est souffert, je regarde comnio un coup de l’art d’avoir fait supporter un personnage qui devait être insipide. » Voltaire ne soupçonnait pas que ce s(M-ait le bras en écbarpc de Nemours (jui provo- querait les sifflets. (G. A.) ACTl- II. SCk.NH 11. 95

VKNDÙME.

Ne te di’toiirno point, no crains point mon reproche. Mon cœur te lut connu ; peux-tu t’en dr/ier ? Le bonheur de te voir me fait tout oublier. J’eusse aimô contre un autre à montrer mon couraj^e. Hélas ! que je te plains !

N EMOI H s.

Jo le plains davantage De liaïi’ ton pa\s, de trahir sans remords Kt le roi qui t’aimait, et le sang- dont tu sors *.

VENDÔMi ; .

Arrête : épargne-moi l’inràme nom de traître ; A cet indigne mot je m’oublierais peut-être. Frémis d’empoisonner la joie et les douceurs Que ce tendre moment doit verser dans nos cœurs. Dans ce jour malheureux que l’amitié l’emporte.

ISEMOUnS.

Quel jour !

Je le bénis.

VENDOME.

NEMOURS.

Il est aflreux.

VENDÔME.

N’importe ; Tu vis, je te revois, et je suis trop heureux. ciel ! de tous côtés vous remplissez mes vœux !

NEMOLRS.

Je te crois. On disait ([ue d’un aujour extrême,

Violent, ellVéné (car c’est ainsi (ju’on aime).

Ton cœur, depuis trois mois s’occupait tout entier ?

VENDÔME.

J’aime ; oui, la renommée a pu le publier ; Oui, j’aime avec fureur : une telle alliance Semblait pour mon bonheur attendre ta présence ; Oui, mes ressentiments, mes droits, mes alliés. Gloire, amis, ennemis, je mets tout à ses pieds.

(A un officier de sa suite.)

Allez, et dites-lui que deux malheureux frères. Jetés par le destin dans des partis contraires.

t. C’est la réponse du chevalier Bayard mourant au connétable do Bourl)on. 96 ADELAIDK DU GUESCLIN.

Pour marcher désormais sous le uiême étendard, De ses yeux souverains n’attendent qu’un regard.

(, A Nomoiirà. )

^e blAme ])()int l’amour où ton frère est en proie ; Pour me justilier il suftit qu’on la voie,

NEMOURS.

ciel ! ,., elle vous aime !…

VENDOME.

Elle le doit, du moins 11 n’était qu’un obstacle au succès de mes soins ; II n’en est plus ; je veux que rien ne nous sépare.

NEMOCRS.

Quels effroyables conps le cruel me prépare ! Écoute ; à nvà douleur ne veux-tu qtrinsulter ? Me connais-tu ? sais-tu ce que j’ose attenter ? Dans ces funestes lieux sais-tu ce qui m’amène ?

VENDÔME.

Oublions ces sujets de discorde et de liaine ^

SCENE III.

VENDOME, NEMOURS, ADÉLAÏDE, COUCV.

VENDÔME.

Madame, vous voyez que du sein du malheur, Le ciel qui nous protège a tiré mon bonheur. J’ai vaincu, je vous aime, et je retrouve un frère ; Sa présence à mon cœur vous rend encor plus chère.

ADÉLAÏDE,

Le voici ! malheureuse ! ah ! cache au moins tes pleurs !

NEMOURS, entro les bras do son écuj-cr.

Adélaïde… ô ciel ! .., c’en est fait, je me meurs.

VENDÔME,

Que vois-je ! Sa blessure à l’instant s’est rouverte !

1. « 11 semble que quand Nemours et Vendôme se voient, dit encore Voltaire, c’était bien là le cas de parler de Charles VI et de Charles Vil ; point du tout. Pourquoi cela ? C’est qu’aucun d’eux ne s’en soucie ; c’est qu’ils sont tous deux amoureux comme des fous… Et si j’ai à me féliciter un peu, c’est que j’aie traité cette passion de fai-on qu’il n’y a pas de place pour l’ambition et la poli- tique. » ACTE II, SCKNE IV. 97

Son sang coule !

Mnrorns. KsI-cc ; ’i l(ti (le |)i-(’\pnir ma perte ?

VENDÔME.

Ali 1 mon IVère !

NEMOURS.

Ote-toi, je chéris mon trépas.

ADÉLAÏDE.

Ciel 1… Nemours !

NEMOl’RS, à Vciulômc.

Laisse-moi.

VENDÔME.

Je ne te quitte pas.

SCENE jy.

ADÉLAÏDE, TAISE.

ADÉLAÏDE. .

On remporte : il expire : il l’aut que je le suive.

TAÏSE.

Ali ! que cette douleur se taise et se captive.

Plus vous l’aimez, madame, et plus il faut songer

Qu’un rival violent…

ADÉLAÏDE.

Je songe à son danger. Voilà ce que l’amour et mon malheur lui coûte. Taïse, c’est pour moi qu’il comhattait, sans doute ; C’est moi que dans ces murs il osait secourir ; il servait son monar(|ue, il ni’allait conquérir. Quel prix de tant de soins ! quel fruit de sa constance ! Hélas ! mon tendre amour accusait son ahsence : Je demandais Nemours, et le ciel me le rend : J’ai revu ce que j’aime, et l’ai revu mourant : Ces lieux sont teints du sang qu’il versait à ma vue. Ah ! Taïse, est-ce ainsi que je lui suis rendue ? Va le trouver ; va, cours auprès de mon amant.

TAÏSE.

Eh ! ne craignez-vous pas (juc tant d’empressement N’ouvre les yeux jaloux d’un prince qui vous aime ?

Théâtre. II. 7 98 ADÉLAÏDE DU GUESCLIN.

Tremblez de découvrir…

ADÉLAÏDE.

J’y volerai moi-même. D’une autre main, Taise, il reçoit des secours : L n autre a le Ixmheur d’avoir soin de ses jours ; 11 faut (jne je le voie, et que de son amante La faible main s’unisse à sa main défaillante. Hélas ! des mêmes coups nos deux cœurs pénétrés.

TAÏSE.

Au nom de cet amour, arrêtez, demeurez ;

Reprenez vos esprits.

ADÉLAÏDE.

Rien ne m’en peut distraire.

SCÈNE V.

VENDOME, ADÉLAÏDE, TAISE.

ADÉLAÏDE.

Ab ! prince, en quel état laissez-vous votre frère ?

VENDÔME.

Madame, par mes mains son sang est arrêté.

Il a repris sa force et sa tranquillité.

Je suis le seul à plaindre, et le seul en alarmes ;

Je mouille en frémissant mes lauriers de mes larmes ;

Et je hais ma victoire et mes pros périt(s,

Si je n’ai par mes soins vaincu vos cruautés :

Si votre incertitude, alarmant mes tendresses.

Ose encor démentir la foi de vos promesses.

ADÉLAÏDE.

Je ne vous promis rien : vous n’avez point ma foi ; •Et la reconnaissance est tout ce que je doi.

VENDÔME.

Quoi ! lorsque de ma main je vous offrais rbommage !,

ADÉLAÏDE.

D’un si noble présent j’ai vu tout l’avantage ; Et sans chercher ce rang qui ne m’était pas dû, Par de justes respects je vous ai répondu. Vos bienfaits, votre amour, et mon amitié même. Tout vous flattait sur moi d’un empire suprême ; ACTE II. SCÈNE V.

99

Tout vous a fait penser (iii’uii raiiii ; si glorieux, Présenté par vos mains, éblouirait mes yeux. Vous vous trompiez : il faut rompre enfin le silence. Je vais vous offenser ; je me fais violence : Mais, réduite à parler, je vous dirai, seigneur, Que l’amour de mes rois est gravé dans mon cœur. De votre sang au mien je vois la différence ; Mais celui dont je sors a coulé pour la France. Ce digne connétable en mon cœur a transmis La haine ([u’un Français doit i\ ses ennemis ; Et sa nièce jamais n’acceptera pour maître L’allié des Anglais, quelque grand qu’il puisse être. Voilà les sentiments que son sang m’a tracés. Et s’ils vous font rougir, c’est vous qui m’y forcez.

VENDÔME.

Je suis, je l’avouerai, surpris de ce langage ;

Je ne m’attendais pas à ce nouvel outrage.

Et n’avais pas prévu que le sort en courroux,

Pour m’accabler d’affronts, dût se servir de vous.

Vous avez fait, madame, une secrète étude

Du mépris, de l’insulte, et de l’ingratitude ;

Et votre co’ur enfin, lent à se déployer.

Hardi par ma faiblesse, a paru tout entier.

Je ne connaissais pas tout ce zèle héroïque,

Tant d’amour pour vos rois, ou tant de politique.

Mais, vous qui m’outragez, me connaissez-vous bien ?

Vous reste-t-il ici de parti que le mien ?

\’ous qui me devez tout, vous qui, sans ma défense,

Auriez de ces Français assouvi la vengeance, (1

De ces mêmes Français, à qui vous vous vantez c

De conserver la foi d’un cœur que vous m’ôtez !

Est-ce donc là le prix de vous avoir servie ?

ADÉLAÏDE.

Oui, vous m’avez sauvée ; oui, je vous dois la vie ; Mais, seigneur, mais, hélas ! n’en puis-je disposer ? Me la conserviez-vous pour la tyranniser ?

VENDÔME.

Je deviendrai tyran, mais moins que vous, cnielfe ; —

Mes yeux lisent trop bien dans votre âme rebelle ; ;

Tous vos prétextes faux m’apprennent vos raisons : ^

Je vois mon déshonneur, je vois vos trahisons.

Quel que soit l’indolent que ce cœur me préfère, "^ 100 ADÉLAÏDE DU (iUESCLIN.

Rofloutez mon amour, tremblez tie ma colère ; C’est lui seul désormais que mon bras va chercher ; De son cœur tout sans^lant j’irai vous arracher ; Et si, dans les horreurs du sort (jui nous accable. De quelque joie encor ma fureur est capable, Je la mettrai, perfide, à vous désespérer.

ADÉLAÏDE.

Non, seigneur, la raison saura vous éclairer.

Non, votre âme est trop noble, elle est trop élevée,

Pour opprimer ma vie après l’avoir sauvée.

Mais si votre grand cœur s’avilissait jamais

Jusqu’à persécuter rol)jet de vos bienfaits,

Sachez que ces bienfaits, vos vertus, votre gloire.

Plus que vos cruautés, vivront dans ma mémoire.

Je vous plains, vous pardonne, et veux vous respecter

Je vous ferai rougir de me persécuter ;

Et je conserverai, malgré votre menace.

Une âme sans courroux, sans crainte, et sans audace.

VE\DÔME.

Arrêtez ; pardonnez aux trans|)orts égarés.

Aux fureurs d’un amant que vous désespérez.

Je vois trop qu’avec vous Coucy d’intelligence.

D’une cour qui me hait embrasse la défense ;

Que vous voulez tous deux m’unir à votre roi,

Et de mon sort enfin disposer malgré moi.

Vos discours sont les siens. Ah ! parmi tant d’alarmes.

Pourquoi recourez-vous à ces nouvelles armes ?

Pour gouverner mon cœur, l’asservir, le changer,

Aviez-vous donc besoin d’un secours étranger ?

Aimez, il suffira d’un mot de votre bouche.

ADÉLAÏDE.

Je ne vous cache point que du soin (|ui me touche, A votre ami, seigneur, mon cœur s’était remis ; Je vois qu’il a plus fait qu’il ne m’avait promis. Ayez pitié des pleurs que mes yeux lui confient ; Vous les faites couler, que vos mains les essuient. Devenez assez grand pour apprendre à dompter Des feux que mon devoir me force à rejeter. Laissez-moi tout entière à la reconnaissance.

VENDÔME.

Le seul Coucy, sans doute, a votre confiance ; Mon outrage est connu ; je sais vos sentiments. ACTK II, SCÈNE VII. -101

ADKLAÏDK.

Vous les pourrez, soifj ; nour, connaître avec le temps ; Mais vous n’aurez jamais le droit de les contraindre, Ni de les condamner, ni même de vous plaindre. D’un guerrier o-énéreux j’ai recherché l’appui ; Imitez sa grande âme, et pensez comme lui.

SCÈNE YI.

VENDOME.

Eh bien ! c’en est donc fait ! l’ingrate, la paijure, À mes yeux sans rougir étale mon injure : De tant de trahison l’abîme est découvert ; Je n’avais qu’un ami, c’est lui seul (jui me perd. Amitié, vain fantôme, ombre que j’ai chérie,

—•Toi qui me consolais des malheurs de ma vie. Bien que j’ai trop aimé, que j’ai trop méconnu,

—Trésor cherché sans cesse, et jamais obtenu ! Tu m’as trompé, cruelle, autant que l’amour même ; Et maintenant, pour prix de mon erreur extrême. Détrompé des faux biens, trop faits pour me charmer. Mon destin me condamne à ne plus rien aimer. Le voilà cet ingrat qui, fier de son parjure. Vient encor de ses mains déchirer ma blessure.

SCÈNE VII.

VENDOME, COUCV. COUCY,

Prince, me voilà prêt : disposez de mon bras… Mais d’où naît à mes yeux cet étrange embarras ? Quand vous avez vaincu, quand vous sauvez un frère, Heureux de tous cotés, qui peut donc vous déplaire ?

VENDÔME.

Je suis désespéré, je suis haï, jaloux. 102 ADÉLAÏDE DU GUESCLIN.

COLiCY.

Eh bien ! de vos soupçons quoi est l’objet, qui ?

VENDÔME.

Vous, Vous, dis-jo ; et du refus qui vient de me confondre. C’est vous, ingrat ami, qui devez me répondre. Je sais qu’Adélaïde ici vous a parlé ; En vous nommant à moi, la perfide a tremblé ; Vous affectez sur elle un odieux silence. Interprète muet de votre intelligence : Elle cherche h me fuir, et vous à me quitter. Je crains tout, je crois tout.

COUGY.

Voulez-vous m’écouter ?

VENDÔME.

Je le veux.

COUCY.

Pensez-vous que j’aime encor la gloire ? M’estimez-vous encore, et pourrez-vous me croire ?

VENDÔME.

Oui, jusqu’à ce moment je vous crus vertueux ; Je vous crus mon ami.

COUCY.

Ces titres glorieux Furent toujours pour moi l’honneur le plus insigne ; Et vous allez juger si mon àmc en est digne. Sachez qu’Adélaïde avait touché mon cœur Avant que, de sa vie heureux libérateur, Vous eussiez par vos soins, par cet amour sincère. Surtout par vos bienfaits, tant de droits de lui plaire. Moi, plus soldat que tendre, et dédaignant toujours Ce grand art de séduire inventé dans les cours. Ce langage flatteur, et souvent si perfide, Peu fait pour mon esprit peut-être trop rigide. Je lui parlai d’hymen ; et ce nœud respecté, Resserré par l’estime et par l’égalité. Pouvait lui préparer des destins plus propices Qu’un rang plus élevé, mais sur des précipices. Hier avec la nuit je vins dans vos remparts ; Tout votre cœur parut à mes premiers regards. De cet ardent amour la nouvelle semée. Par vos emportements me fut trop confirmée. ACTE II, SCÈNE YII. lO.}

Je vis do vos chaf^riiis les funestes accès ; J’en approuvai la cause, et j’en l)lAniai l’excès. Aujourd’hui j’ai revu cet objet de vos larmes ; D’un œil indifférent j’ai regardé ses charmes. Libre et juste auprès d’elle, à vous seul attaché, J’ai lait valoir les feux dont vous êtes touché ; J’ai de tous vos bienfaits rappelé la mémoire, L’éclat de votre rang, celui de votre gloire, Sans cacher vos défauts vantant votre vertu. Et pour vous contre moi j’ai lait ce ([uo j’ai dû. Je m’immole à vous seul, et je me rends justice ; Et, si ce n’est assez d’un si grand sacriiice, S’il est quelque rival qui vous ose outrager. Tout mon sang est à vous, et je cours vous venger.

VENDÔME.

Ah ! généreux ami, qu’il faut que je révère. Oui, le destin dans toi me donne un second frère ; Je n’en étais pas digne, il le faut avouer : .Mon cœur…

COUCY.

Aimez-moi, prince, au lieu de me louer ; Et si vous me devez quehjue reconnaissance, Faites votre bonheur, il est ma récompense. Vous voyez quelle ardente et fière inimitié Votre frère nourrit contre votre allié. Sur ce grand intérêt souffrez que je m’explique. Vous m’avez soupçonné de trop de politique, Quand j’ai dit que bientôt on verrait réunis Les débris dispersés de l’empire des lis. Je vous le dis encore au sein de votre gloire ; Et vos lauriers brillants, cueillis par la victoire, Pourront sur votre front se flétrir dc’soi’inais S’ils n’y sont soutenus de l’olive de paix. Tous les chefs de l’État, lassés de ces ravages, Cherchent un port tranquille après tant de naufrages ; Gardez d’être réduit au hasard dangereux De vous voir, ou trahir, ou prévenir par eux. Passez-les en prudence, aussi bien qu’en courage. De cet heureux moment prenez tout l’avantage ; (iouvernez la fortune, et sachez l’asservir : C’est perdre ses faveurs que tarder d’en jouir : Ses retours sont fréquents, vous devez les connaître. 104 ADÉLAÏDE DU GUESCLIN.

Il est beau do donnor la paix à votre maître. Son égal aiijourd’liiii, demain dans l’abandon, Vous vous verrez réduit à demander pardon. La gloire vous conduit : que la raison tous gnide.

VENDÔME.

Brave et prudent Coucy, crois-tn qu’Adélaïde Dans son cœur amolli partagerait mes feux, Si le même parti nous unissait tous deux ? Penses-tu qu’à m’aimer je pourrais la réduire ?

COL’CV.

Dans le fond de son cœur je n’ai point voulu lire :

Mais qu’importe pour vous ses vœux et ses desseins ?

Faut-il que l’amour seul fasse ici nos destins ?

Lorsque Philippe-Auguste, aux plaines de Bovines,

De l’État déchiré répara les ruines,

Quand seul il arrêta, dans nos champs inondés,

De l’empire germain les torrents débordés ;

Tant d’honneurs étaient-ils l’effet de sa tendresse ?

Sauva-t-il son pays pour plaire à sa maîtresse ?

Verrai-je un si grand cœur à ce point s’avilir ?

Le salut de l’État dépend-il d’un soupir ?

Aimez, mais en héros qui maîtrise son âme.

Qui gouverne à la fois ses États et sa flamme.

Mon bras contre un rival est prêt à vous servir ;

Je voudrais faire plus, je voudrais vous guérir.

On connaît peu l’amour, on*craint trop son amorce ;

C’est sur nos lâchetés qu’il a fondé sa force ;

C’est nous qui sous son nom troublons notre repos ;

Il est tyran du faible, esclave du héros.

Puisque je l’ai vaincu, puisque je le dédaigne.

Dans l’âme d’un Bourbon souffrirez-vous qu’il règne ?

Vos autres ennemis par vous sont abattus,

Et vous devez en tout l’exemple des vertus.

VENDÔME.

Le sort en est jeté, je ferai tout pour elle ; Il faut bien à la fin désarmer la cruelle ; Ses lois seront mes lois, son roi sera le mien ; Je n’aurai de parti, de maître que le sien. Possesseur d’un trésor où s’attache ma vie, Avec mes ennemis je me réconcilie ; Je lirai dans ses yeux mon sort et mon devoir ; Mon cœur est enivré de cet heureux espoir. ACTE II, SCENE VIF. 105

Enfin, plus de pnHoxto à ses reins injustes ; Raison, gloire, intérêt, et tous ces droits augustes Des princes de mon sang et de mes souverains. Sont des liens sacres resserrés par ses mains. Du roi, puisqu’il le faut, soutenons la couronne ; La vertu le conseille, et la beauté l’ordonne. Je veux entre tes mains, en ce fortuné jour, Sceller tous les serments que je fais à l’amour : Quant à mes intérêts, que toi seul en décide.

COL G Y.

Soufi’rez donc près du roi ([ue mon zélé me guide ; Peut-être il eût fallu ([ue ce grand changement Ne frit dil qu’au héros, et non ])as à l’amant ; Mais si d’un si grand co’ur une femme dispose, L’effet en est trop beau pour en blâmer la cause ; Et mon cœur, tout rempli de cet heureux retour, Bénit votre faiblesse, et rend grâce à l’amour’.

1. (( Ce Vendôme, dit Voltaire lui-même, n’intéresse peut-être pas assez, parce qu’il n’est point aimé, et parce qu’on ne pardonne point à un héros français d’être furieux contre une honnête femme qui lui dit de si bonnes raisons. Coucy vient encore prouver à notre homme qu’il est un pauvre homme d’être si amoureux. Tout cela fait qu’on ne prend pas un intérêt bien tondre au succès do cet amour. »

FIN DU DEUXIEME ACTE, ACTE TROISIEME.

SCENE I.

NEMOURS, DANGESTE.

NEMOURS.

€ombat infortuné, destin qui me poursuis !

mort, mon seul recours, douce mort qui me fuis !

Ciel ! n’as-tu conservé la trame de ma vie

Que pour tant de malheurs et tant d’ignominie ?

Adélaïde, au moins, pourrai-je la revoir ?

DANGESTE.

\ ous la verrez, seigneur.

NEMOURS.

Ah ! mortel désespoir ! Elle ose me parler, et moi, je le souhaite !

DANGESTE.

Seigneur, on quel état votre douleur vous jette ! Vos jours sont en péril, et ce sang agité…

NEMOURS.

Aies déplorables jours sont trop en sûreté ; Ma blessure est légère, elle m’est insensible : Que celle de mon cœur est profonde et terrible !

DANGESTE.

Remerciez les cieux de ce qu ils ont permis Que vous ayez trouvé de si cliers ennemis. Il est dur de tomber dans des mains étrangères : Vous êtes prisonnier du plus tendre des frères.

NEMOURS.

Mon frère ! ah ! malheureux !

DANGESTE.

Il vous était Ii<’ Par les nœuds les plus saints d’une pure amitié. ACTE III, SCÈNE I. 107

Quo n’i'proiivcz-vous point de sa main soronrahio !

NEMOURS.

Sa fureur m’eût flatté ; son amitié m’accahle.

DANGESTE.

Quoi ! pour être engagé dans d’autres intérêts, Le liaïssez-vous tant ?

NEMOURS.

Je l’aime, et je me liais ; Et, dans les passions de mon âme éperdue, La voix de la nature est encore entendue.

DANGESTE.

Si contre un frère aimé vous avez combattu. J’en ai vu quelque temps frémir votre vertu : Mais le roi l’ordonnait, et tout vous justifie. L’entreprise était juste, aussi bien que hardie. Je vous ai vu remplir, dans cet aftreux combat, Tous les devoirs d’un chef, et tous ceux d’un soldat ; Et vous avez rendu, par des faits incroyables, Votre défaite illustre, et vos fers honorables. On a perdu bien peu quand on garde l’honneur.

NEMOURS.

^’on, ma défaite, ami, ne fait point mon malheur. Du Guesclin, des Français l’amour et le modèle, Aux Anglais si terrible, à son roi si fidèle. Vit ses honneurs flétris par de plus grands revers : Deux fois sa main puissante a langui dans les fers : I ! n’en fut que plus grand, plus fier, et plus à craindre : Et son vainqueur tremblant fut bientôt seul à plaindre. Du Guesclin, nom sacré, nom toujours précieux ! Quoi ! ta coupable nièce évite encor mes yeux ! Ah ! sans doute, elle a dû redouter mes reproches ; Ainsi donc, cher Dangestc, elle fuit tes approches ? Tu n’as pu lui parler ?

DANGESTE.

Seigneur, je vous ai dit Que bientôt…

NEMOURS.

Ah ! pardonne à mon cœur interdit. Trop chère Adélaïde ! Eh bien ! quand tu l’as vue. Parle, à mon nom du moins paraissait-elle émue ?

DANGESTE.

Votre sort en secret paraissait la toucher ; 108 AI)KLA[I)E T)U GUESCLIX.

Elle versail des pleurs, el voulait les cacher.

NEMOURS.

Elle i)leiire et nroufrafi,(’ ! elle pleiii’e et nropprime ! Son eo’ur. je le \()is bien, n’est i)as iir pour le crime. Pour me saci’ilici’ elle aura couihaltii : La trahison la v^rno, et pèse à sa vertu : Faible soulagement à ma fureur jalouse ! T"a-l-on (lit en cIlVI (|tie luou frère ré[)0use ?

UANGESTE.

S’il s’en vantait lui-même, en pouvez-vous douter ?

NEMOURS.

Il l’épouse I A ma honte elle vient insulter ! Ah Dieu !

SCENE II.

ADÉLAÏDE, NEMOURS.

ADÉLAÏDE.

Le ciel vous rend à mon àme attendrie ; En veillant sur vos jours il conserva ma vie. .Je vous revois, cher prince, et mon cœur empressé… .lusle ciel ! quels regards, et quel accueil glacé !

NEMOURS.

L’intérêt qu’à mes jours vos hontes daignent prendre,

Est d’un cœur généreux ; mais il doit me surprendre.

Vous aviez en ellet hesoin de mon trépas :

Mon rival plus tranquille eût passé dans vos hras.

Libre dans vos aiuours, et sans in(|u.iéfude,

Vous jouiriez en paix de votre ingratitude ;

Et les remords honteux qu’elle traîne après soi,

S’il peut vous en rester, périssaient avec moi.

ADÉLAÏDE.

Hélas ! (|ne dites-vous ? Quelle fureur suhite…

NEMOURS.

Non, votre changement n’est pas ce qui m’irrite.

ADÉLAÏDE.

Mon changement ? Aemours !

NEMOURS.

A vous seule asservi. ACTE III, SCtNl- II. lOy

Je VOUS aim.’iis trop hicn poiir nT-trc poiiil trahi : C’est le sort des amants, et ma honte est comimiiie ; Mais que vous insultiez \ous-mêiue à ma l’oi-tuiio : Qu’en ces murs, où vos yeux ont vu couler mon san* ; -. Vous acceptiez la main (|ui m’a percé le flanc. Et que vous osiez joindre à Thoi-reur (pii m’accable, D’une fausse |)iti(’ J’allVoiil insnpp()rtai)le ! Qu’à mes \eux…

ADKI.AÏDK.

Ah ! plutôt donnez-moi le trépas. Immolez votre amante, et ne l’accusez pas. Mon cœur n’est point armé contre votre colère, Cruel, et vos soupçons manquaient à ma misère. Ah ! Nemours, de quels maux nos jours empoisonnés…

NEMOL’IIS.

Vous me plaignez, cruelle, et vous m’abandonnez !

ADÉLAÏDE.

Je vou§ pardonne, hélas ! cette fureur extrême, Tout, jusqu’à vos soupçons ; jugez si je vous aime.

NEMOUIIS.

Vous m’aimeriez ? qui, vous ? Et Vendôme à l’instant Entoure de flambeaux l’autel qui vous attend ! Lui-même il m’a vanté sa gloire et sa conquête. Le barbare ! il m’invite à cette horrible fête ! Que plutôt…

ADÉLAÏDE.

Ah ! cruel, me faut-il employer Les moments de vous voir à me justifier ? Votre frère, il est vrai, persécute ma ^ie, Et par un fol amour, et par sa jalousie. Et par rem|)ortement dont je crains les effets. Et, le dirai-je encor, seigneur ? par ses bienfaits. J’atteste ici le ciel, témoin de ma conduite… Mais pourquoi l’attester ? Nemours, suis-je réduite, Pour vous persuader de si vrais sentiments. Au secours inutile et honteux des serments ! Non, non ; vous connaissez le cœur d’Adélaïtle ; C’est vous qui conduisez ce cœur faible et timide.

NEMOLKS.

Mais mon frère vous aime ?

ADÉLAÏDE.

Ah ! n’en redoutez rien. ^’0 ADÉLAÏDE DU GUESCLIN.

.\E.MOLRS.

11 sauva vos hcaiix jours !

ADÉLAÏDE,

Il sauva votre bien. Dans Cajnhrai, je l’avoue, il daigna me défendre. Au roi que nous servons il promit de me rendre ; Et mon CGMir se plaisait, trompé par mon amour, Puis(iu"il est votre frère, à lui devoir le jour. J’ai répondu, seigneur, à sa flamme funeste Par un refus constant, mais tranquille et modeste, Et mêlé du respect que je devrai toujours A mon libérateur, au frère de Nemours ; Mais mon respect Tenflamme, et mon refus Tirritc. J’anime eu l’évitant l’ardeur de sa poursuite. Tout doit, si je l’en crois, céder à son pouvoir ; Lui plaire est ma grandeur, l’aimer est mon devoir. Qu’il est loin, juste Dieu ! de penser que ma vie, Que mon àme à la vôtre est pour jamais unie. Que vous causez les pleurs dont mes yeux sont chargés. Que mon cœur vous adore, et que vous m’outragez ! Oui, vous êtes tous deux formés pour mon supplice : Lui, par sa passion ; vous, par votre injustice ; Vous, Nemours, vous, ingrat, que je vois aujourd’hui, Moins amoureux, peut-être, et plus cruel que lui.

XEMOURS.

C’en est trop… pardonnez… voyez mon àme en proie A l’amour, aux remords, à l’excès de ma joie. Digne et charmant ol^jet d’amour et de douleur, Ce jour infortuné, ce jour fait mon bonheur. Glorieux, satisfait, dans un sort si contraire, Tout captif que je suis, j’ai pitié de mon frère. Il est le seul à plaindre avec votre courroux ; Et je suis son vainqueur, étant aimé de vous.

SCENE III.

VENDOME, NE.MOURS. ADÉLAÏDE.

VENDÔME.

Connaissez donc enfin jusqu’où va ma. tendresse. Et tout votre pouvoir, et toute ma faiblesse : ACTE Iir, SCEM- : III. \\i

Et vous, mon Mto, ot vous, sojoz ici ((’uioin

Si l’excès de l’amour peut emporter plus loin.

Ce que votre amitié, ce que votre prière,

Les conseils « le Coucy, le roi, la France entière.

Exigeaient de \end« nne, et (qu’ils n’oblenaieni |)as.

Soumis et subjugué, j(^ l’oflVe à ses ap])as.

L’amour, (pii malgré vous nous a faits l’un pour l’autre,

Ne me laisse de choix, de parti, que le vôtre.

Je prends mes lois de vous ; votre maître est le mien :

De mon frère et de moi soyez l’heureux lien ;

Soyez-le de l’État, et que ce jour commence

Mon bonheur et le vôtre, et la paix de la France.

Vous, courez, mon cher frère, allez dès ce moment

Annoncer à la cour un si grand changement.

Moi, sans perdre de temps, dans ce jour d’allégresse.

Qui m’a rendu mon roi, mon frère, et ma maîtresse.

D’un bras vraiment français, je vais, dans nos remparts.

Sous nos lis triomphants briser les léopards.

Soyez libre, partez, et de mes sacrifices

Allez offrir au roi les heureuses prémices.

Puissé-je à ses genoux présenter aujourd’hui

Celle qui m’a dompté, qui me ramène à lui.

Qui d’un prince ennemi fait un sujet fidèle.

Changé par ses regards, et vertueux par elle !

NEMOURS.

(A part.)

11 fait ce (jue je veux, et c’est pour m’accahler !

(A Adolakic.’)

Prononcez notre arrêt, madame ; il faut parler.

VENDÔME.

Eh quoi ! vous demeurez interdite et muette ?

De mes soumissions étes-vous satisfaite ?

Est-ce assez qu’un vainqueur vous implore à genoux ?

Faut-il encor ma vie, ingrate ? elle est à vous.

Nous n’avez qu’à parler, j’abandonne sans peine

Ce sang infortuné, proscrit par votre haine.

ADÉLAÏDE.

Seigneur, mon cœur est juste ; on ne m’a vu jamais

Mépriser vos bontés, et haïr vos bienfaits ;

Mais je ne puis penser qu’à mon peu de puissance

Vendôme ait attaché le destin de la France ;

Qu’il n’ait lu son devoir que dans mes faibles yeux ; , 112 ADELAÏDE DU GL’ESCLIN.

Qu’il ait ])osoin de moi pour être vertueux. Vos desseins ont sans doute une source plus pure : Vous avez consulté le devoir, la nature : —--L’amour a peu de part où doit régner l’iionneur.

VENDÔME.

L’amour seul a tout fait, et c’est là mon malheur ; Sur tout autre intérêt ce triste amour l’emporte. Accablez-moi de honte, accusez-moi, n’importe ! Dussé-je vous déplaire et forcer votre cœur, L’autel est prêt ; venez.

NEMOLHS.

Vous osez ?…

ADÉLAÏDE.

^on, seigneur. Avant que je vous cède, et que l’hymen nous lie, Aux yeux de votre frère arrachez-moi la vie. Le sort met entre nous un o])stacle éternel. Je ne puis être à vous.

VENDÔME.

Xemours… ingrate… Ah ciel ! C’en est donc fait… mais non… mon cœur sait se contraindre Vous ne méritez pas que je daigne m’en plaindre. Vous auriez dû peut-être, avec moins de détour. Dans ses premiers transports étouffer mon amour. Et par un prompt aveu, (jui m’eût guéri sans doute, .M’épargner les affronts que ma ]jont( me coûte. Mais je vous rends justice ; et ces séductions, Qui vont au fond des cœurs chercher nos passions, L’espoir ([u’on donne k peine afin qu’on le saisisse. Ce poison préparé des mains de l’artifice. Sont les armes d’un sexe aussi trompeur que vain, Que l’œil de la raison regarde avec dédain. Je suis libre par vous : cet art que je déteste. Cet art qui m’enchaîna brise un joug si funeste ; Et je ne prétends pas, indignement épris, Rougir devant mon frère, et souffrir des mépris. ’\[oi)trez-moi seulement ce rival qui se cache ; Je lui cède avec joie un poison qu’il m’arrache’ ;

1. Il y a dans la Siplionisbe de Coraoillc (acte IV, scène ii) : Je lui cède avec joie un poison qu’il me vole. ACTE m, SCÈNE HI. Hj

io vous (l((lai} ; iio assez tous doux pour vous unir, Perlide ! et c’est ainsi que je dois vous punir.

ADÉLAÏDE.

Je devrais seulement vous ([uitter et me taire ; ÏMais je suis accusée, et ma gloire m’est chère. Votre frère est présent, et mon honneur l)lessé Doit repousser les traits dont il est oiïensé. l*our un autn » (jue vous ma vie est destinée ; Je vous en fais l’aveu, je m’y vois condamnée. Oui, j’aime ; et je serais indigne, devant vous. De celui que mon cœur s’est promis pour époux. Indigne de l’aimer, si, par ma complaisance. J’avais à votre amour laissé quelque espérance. Vous avez regardé ma liberté, ma foi, Comme un bien de conquête, et qui n’est plus à moi. Je vous devais beaucoup ; mais une telle offense Ferme à la fin mon cœur h la reconnaissance : Sachez que des bienfaits (|ui font rougir mon front, A mes jeux indignés ne sont plus qu’un affront. J’ai plaint de votre amour la violence vaine ; Mais, après ma pitié, n’attirez point ma haine. J’ai rejeté vos vœux, que je n’ai point bravés ; J’ai voulu votre estime, et vous me la devez.

VENDÔMK.

Je VOUS dois ma colère, et sachez qu’elle égale

Tous les emportements de mon amour fatale.

Quoi donc ! vous attendiez, pour oser m*acca])ler.

Que ^emours fut présent, et me vît immoler ?

Vous vouliez ce témoin de l’affront que j’endure ?

Allez, je le croirais l’auteur de mon injure,

Si… Mais il n’a point vu vos funestes appas ;

Mon frère trop heureux ne vous connaissait pas.

Nommez donc mon rival : mais gardez-vous de]croire

Que mon lâche dépit lui cède la victoire.

Je vous trompais, mon cœur ne peut feindre longtemps :

Je vous traîne à l’autel, à ses yeux expirants ;

Et ma main, sur sa cendre, à votre main donnée.

Va tremper dans le sang les flambeaux d’hyménée.

Je sais trop qu’on a vu, làcliement abusés,

Pour des mortels obscurs, des princes méprisés ;

Et mes yeux perceront, dans la foule inconnue,

Jusqu’à ce vil objet qui se cache à ma vue.

Théâtre. II. 8 HA ADÉLAÏDE DU GUESCLIX.

NEMOURS.

l^uirquoi d’un choix indigne osez-voiis J’accnser ?

VKNDÔME,

Et pourquoi, vous, mon frère, osez-vous l’excuser ? Est-il vrai que de vous elle était ignorée ? Ciol ! à ce piège afîreux nia foi serait livrée ! Tremblez.

NEMOURS.

Moi ! que je tremble ! ali ! j’ai trop dévoré L’inexprimable horreur où toi seul m’as livré ; J’ai forcé trop longtemps mes transports au silence : Connais-moi donc, barbare, et remplis ta vengeance ! Connais un désespoir à tes fureurs égal ; Frappe, voilà mon cœur, et voilà ton rival !

VENDÔME.

Toi, cruel ! toi, Nemours !

NEMOURS.

Oui, depuis deux années, L’amour la plus secrète a joint nos destinées. C’est toi dont les fureurs ont voulu m’arracher Le seul bien sur la terre où j’ai pu m’attacber. Tu fais depuis trois mois les horreurs de ma vie ; Les maux que j’éprouvais passaient ta jalousie : Par tes égarements juge de mes transports. Nous puisâmes tous deux dans ce sang dont je sors L’excès des passions qui dévorent une âme ; La nature à tous deux fit un cœur tout de flamme. Mon frère est mon rival, et je l’ai combattu ; J’ai fait taire le sang, peut-être la vertu. Furieux, aveuglé, plus jaloux que toi-même. J’ai couru, j’ai volé, pour t’ôter ce que j’aime ; Rien ne m’a retenu, ni tes superbes tours, Ni le peu de soldats que j’avais pour secours. Ni le lieu, ni le temps, ni surtout ton courage ; Je n’ai vu que ma flamme, et ton feu qui m’outrage. L’amour fut dans mon cœur plus fort que l’amitié ; Sois cruel comme moi, punis-moi sans pitié : \ussi bien tu ne peux t’assnrer ta conquête. Tu ne peux l’épouser qu’aux dépens de ma tête, A la face des cieux je lui donne ma foi ; Je te fais de nos vœux le témoin malgré toi. Frappe, et qu’après ce coup, ta cruauté jalouse ACTH III, SCÈ.M- IV.

Ti-aîno au pied des autels ta sauir et mou époiiso. Frappo, (lis-jc : oses-tu ?

VK.NDÔME.

Traître, c’en est assez. Qu’on l’ôte de mes yeux : soldats, ol)éissez.

ADÉLAÏDE.

(Aux soldats.)

Non : demeurez, cruels… .\li ! prince, est-il possiJ)le Que la uature eu vous trouve une Ame inllexiblc ? Seigneur !

NEMOl’RS.

^ous, le prier ? plaif>nez-le plus ffue moi. Plaignez-le : il vous oiïense, il a trahi son roi. \a, je suis dans ces lieux plus puissant que toi-même ; Je suis vengé de toi : Ton te hait, et Ton m’aime.

ADÉLAÏDE.

(V Nemours.) (A Vendôme. )

Ah, cher prince ! .,. Ah, seigneur ! voyez à vos genoux…

VENDÔME.

l.\u.x solda’s. i (A Ad’Maïde.)

Qu’on m’en réponde, allez. Madame, levez-vous. Vos prières, vos pleurs, en faveur d’un parjure. Sont un nouveau ])oison versé sur ma blessure : Vous avez mis la mort dans ce cœur outragé ; Mais, perfide, croyez que je mourrai vengé. Adieu : si vous voyez les effets de ma rage, ’ N’en accusez que vous ; nos maux sont votre ouvrage.

ADÉLAÏDE.

Je ne vous quitte pas : écoutez-moi, seigneur.

VENDÔME.

Eh bien ! achevez donc de déchirer mon cœur : Parlez.

SCÈNE IV.

VENDOME, NEMOURS, ADÉLAÏDE, COUCV, DANGESTE, un officier, soldats.

COUCY.

J’allais partir : un peuple téméraire Se soulève en tumulte au nom de votre frère. 116 ADÉLAÏDE DU GUESCLIN.

Lo drsonlro est partout : \os soldats constornés Dcscrtoiit los (lra])eaii\ do leurs chofs étonnés ; Et, pour comble de maux, vers la ville alarmée, L’ennemi rassemblé lait marcher son armée.

VENDÔME.

Allez, cruelle, allez ; vous ne jouirez pas J)u fruit de votre haine et de vos attentats ; Rentrez. Aux factieux je vais montrer leur maître.

(, A l’officier. ") (ACoucy.)

Qu’on la garde. Courons. Vous, veillez sur ce traître.

SCENE V.

NEMOURS, COUCY.

COUCY.

Le seriez-vous, seigneur ? auricz-vous démenti Le sang de ces héros dont vous êtes sorti ? Auriez-vous violé, par pette lâche injure. Et les droits de la guerre, et ceux de la nature ? Un prince à cet excès pourrait-il s’oublier ?

NEMOURS.

Non ; mais suis-je réduit à me justifier ?

Coucy, ce peuple est juste, il t’apprend à connaître

(Jue mon frère est rebelle, et que Charle est son maître.

COUCY.

Écoutez : ce serait le comble de mes vœux. De pouvoir aujourd’hui vous réunir tous deux. Je vois avec regret la France désolée, A nos dissensions la nature immolée. Sur nos communs débris l’Anglais trop élevé. Menaçant cet État par nous-même énervé. Si vous avez un cœur digne de votre race, Faites au bien public servir votre disgrâce. Rapprochez les partis : unissez-vous à moi Pour calmer votre frère, et fléchir votre roi. Pour éteindre le feu de nos guerres civiles.

NEMOURS.

Ne vous en flattez pas ; vos soins sont inutiles.

Si la discorde seule avait armé mon bras,

Si la guerre et la haine avaient conduit mes pas, ACTE III, SCÈNE V. H ?

Vous pourriez espérer de réuuir deux frères, L’un de l’autre écartés dans des partis contraires. Un ohstacle plus {i^rand s’oppose à ce retour.

COL’CY.

Et quel est-il, seigneur ?

NEMOURS.

Ali ! reconnais l’amour ; Reconnais la fureur qui de nous deux s’enqiare, Qui m’a fait téméraire, et qui le rend barbare.

r.oi cv. Ciel ! faut-il voir ainsi, par des caprices vains, Anéantir le fruit des plus nobles desseins ? L’amour su])jn< ; iier tout ? ses cruelles faiblesses Du sang (jui se ri’volte étoull’er les tendresses ? Des frères se haïr, et naître, en tous climats, Des passions des grands le niallienr des États* ? Prince, de vos anioiirs laissons là le mystère. Je vous plains tous les deux ; mais je sers votre frère. Je vais le seconder ; je vais me joindre ; ’i lui Contre un peuple insolent ([ui se fait votre appui. Le plus pressant danger est celui qui m’appelle. Je vois qu’il peut avoir une fin bien cruelle : Je vois les passions plus [)uissantes que moi ; Et l’amour seul ici me fait frémir d’effroi. Mon devoir a parlé ; je vous laisse, et j’y vole, Soyez mon prisonnier, mais sur votre parole ; Elle me suffira.

NEMOURS.

Je vous la donne, coucv.

Et moi Je voudrais de ce pas porter la sienne au roi ; Je voudrais cimenter, dans l’ardeur de lui plaire, Du sang de nos tyrans une union si chère. Mais ces liei’^ ennemis sont bien moins dangereux Que ce fatal amour (fui vous perdra tous deux.

1. On lit dans Horace, liv. I, ép. ii, v. 14 :

QiiiiiquiJ tielirant rogcs plectuntur Acliivi.

FIN DU TROISIEME ACTE. ACTE QUATRIÈME.

SCENE I.

NEMOURS, ADÉLAÏDE. DANGESTE.

NEMOURS.

Non, non, ce peuple en vain s’armait pour ma défense Mon frère, teint de sang, enivré de vengeance, Devenu plus jaloux, plus fier, et plus cruel, Va traîner à mes yeux sa victime à l’autel. Je ne suis donc venu disputer ma conquête Que pour être témoin de cette horrible fête ! Et, dans le désespoir d’un impuissant courroux, Je ne puis me venger qu’en me privant de vous ! Partez, Adélaïde.

ADÉLAÏDE,

Il faut que je vous quitte ! .., Quoi ! vous m’abandonnez ! .., vous ordonnez ma fuite !

NEMOURS.

11 le faut : chaque instant est un péril fatal ; Vous êtes une esclave aux mains de mon rival. Remercions le ciel, dont la bonté proi)ire Nous suscite un secours au bord du piécipice. Vous voyez cet ami qui doit guider vos pas ; Sa vigilance adroite a séduit des soldats,

(A Dangcste.)

Dangeste, ses malheurs ont droit à tes services : Je suis loin d’exiger d’injustes sacrifices ; Je respecte mon frère, et je ne prétends pas

C/onspircr coDti’c lui dans ses propres Ktats. ACTH IV, SCÈNE I. liy

Écoute seulement la pitié qui te guide ; Écoute un vrai devoir, et sauve Adélaïde.

ADÉLAÏDE.

Hélas ! ma délivrance augmente mon malheur, .le détestais ces lieux, j’en sors avec terreur.

NEMOinS.

Privez-moi par [)ili( d’une si chère vue ;

Tantôt à ce dé])art ^ous étiez résolue,

Le dessein était pris : n’osez-vous l’achever ?

ADÉLAÏDE.

Ah ! ([uand j’ai voulu fuir, j’espérais vous trouver.

NEMOLllS.

Prisonnier sur ma foi, dans l’horreur ([ui nie presse^

.le suis ])lus enchaîné |)ar ma seule promesse

Que si de cet État les tjrans inhumains

Des fers les plus pesants avaient chargé mes mains.

Au pouvoir de mon frère ici l’honneur me livi’e ;

Je i)eux mourir pour vous, mais je ne peux vous suivre ;

Vous suivrez cet ami par des détours ohscurs,

Qui vous rendront hientôt sous ces coupahles murs.

De la Flandre à sa voix on doit ouvrir la porte ;

Du roi sous les remparts il trouvera l’escorte.

Le temps presse, évitez un ennemi jaloux.

ADÉLAÏDE.

Je vois qu’il faut partir… cher Nemours, et sans vous !

NE.MOLRS.

L’amour nous a rejoints, que l’amour nous sépare.

ADÉLAÏDE.

Qui ! moi ? que je vous laisse au pouvoir d’un barbare ? Seigneur, de votre sang l’Anglais est altéré ; Ce sang à votre frère est-il donc si sacré ? Craindra-t-il d’accorder, dans son courroux funeste, Aux alliés qu’il aime, un ri\al qu’il déteste ?

NE.MOLRS.

Il n’oserait.

ADÉLAÏDE.

Son cœur ne connaît point de frein ; Il vous a menacé, menace-t-il en vain ?

NEMOUUS.

Il tremhlera hientôt : le roi vient et nous venge ;

La moitié de ce peuple à ses drapeaux se range. 1-20 ADELAÏDE DU GUESCLIN.

Allez : si vous m’aimez, drrohez-voiis aux coups Des foudres allumés, grondant autour de nous ; Au tumulte, au carnage, au désordre effroyable, Dans, des murs pris d’assaut malheur inévitable : Mais craignez encor plus mon rival furieux ; Craignez l’amour jaloux qui veille dans ses yeux. Je frémis de vous voir encor sous sa puissance ; Redoutez son amour autant que sa vengeance ; Cédez à mes douleurs ; qu’il vous perde : partez.

ADÉLAÏDE.-

Et vous vous exposez seul à ses cruautés !

NEMOLRS,

Ne craignant rien pour vous, je craindrai peu mon frère ; Et bientôt mon appui lui devient nécessaire.

ADÉLAÏDE.

Aussi bien que mon cœur mes pas vous sont soumis. Eh bien ! vous l’ordonnez, je pars, et je frémis ! Je ne sais… mais enfin, la fortune jalouse, M’a toujours envié le nom de votre épouse.

NEMOURS.

Partez avec ce nom. La pompe des autels,

Ces voiles, ces flambeaux, ces témoins solennels,

Inutiles garants d’une foi si sacrée, •

La rendront plus connue, et non plus assurée.

Vous, mânes des Bourbons, princes, rois mes aïeux,

Du séjour des héros tournez ici les yeux.

J’ajoute à votre gloire en la prenant pour femme ;

Confirmez mes serments, ma tendresse et ma llamme :

Adoptez-la pour fille, et puisse son époux

Se montrer à jamais digne d’elle et de vous !

ADÉLAÏDE.

Rempli de vos bontés, mon cœur n’a plus d’alarmes, Cher époux, cher amant…

NEMOURS.

Quoi ! vous versez des larmes ! C’est trop tarder, adieu… Ciel, quel tumulte affreux ! ACTE IV, SCÈNE 11. 121

SCÈNE II.

ADÉLAÏDE, NEMOUUS. VENDOME, gardes.

VENDÔME.

Je l’entends, c’est lui-niènio : arrête, malheureux ! Lâche qui me trahis, rival indigne, arrête !

N E M l II S.

Il ne te trahit point ; mais il t’ofï’re sa tête.

Porte à tous les excès ta haine et ta fureur ;

Va, ne perds point de temps, le ciel arme un vengeur.

Tremble ; ton roi s’approche, il vient, il va paraître.

Tu n"as vaincu que moi, redoute encor ton maître.

VENDÔME.

Il pourra te venger, mais non te secourir ; Et ton sang…

ADÉLAÏDE.

Non, cruel ! c’est à moi de mourir. J’ai tout fait ; c’est par moi que ta garde est séduite ; J’ai gagné tes soldats, j’ai préparé ma fuite : Punis ces attentats, et ces crimes si grands, De sortir d’esclavage, et de fuir ses tyrans : .Alais respecte ton frère, et sa femme, et toi-même ; Il ne t’a point trahi, c’est un frère qui t’aime ; Il voulait te servir, quand tu veux l’opprimer. Quel crime a-t-il commis, cruel, que de m’aimer ? L’amour n’est-il en toi qu’un juge inexorable ?

VENDÔME.

Plus VOUS le défendez, pins il devient coupable ;

C’est vous qui le perdez, vous qui l’assassinez ;

Vous par qui tous nos jours étaient empoisonnés ;

Vous qui, pour leur malheur, armiez des mains si chères.

Puisse tomber sur vous tout le sang des deux frères !

^ ous pleurez ! mais vos pleurs ne peuvent me tromper :

Je suis prêt à mourir, et prêt à le frapper.

Mon malheur est au comble, ainsi que ma faiblesse.

Oui, je vous aime encor, le temps, le péril presse ;

Vous pouvez à l’instant parer le coup mortel ;

Voilà ma main, venez : sa grAce est à l’autel. ’122 ADELAini- : DU (lUESCLIN.

ADÉLAÏDE.

Moi, soioncur ?

VENDÔME.

C’est assez,

ADÉLAÏDE.

Arrêtez… répondez.

Moi, que je le trahisse !

VENDÔME. ADÉLAÏDE.

Je ne puis.

VENDÔME.

Qu’il |)énsse !

NEMOURS.

Ne vous laissez pas vaincre en ces affreux combats.

Osez m’aimer assez pour vouloir mon trépas ;

Abandonnez mon sort au coup qu’il me prépare.

Je mourrai triom])liant des coups de ce barbare ;

Et si vous succombiez à son lâche courroux,

Je n’en mourrais pas moins, mais je mourrais par vous.

VENDÔME.

Qu’on l’entraîne à la tour : allez ; qu’on m’obéisse !

SCENE m.

VENDOME, ADÉLAÏDE.

ADÉLAÏDE.

Vous, cruel ! vous feriez cet affreux sacrifice !

De son vertueux sang vous pourriez vous couvrir !

Quoi ! voulez-vous…

VENDÔME.

Je veux vous haïr et monrir, Vous rendre malheureuse en cor plus que moi-même. Répandre devant vous tout le sang- qui aous aime, Et vous laisser des jours plus cruels mille fois Que le jour où l’amour nous a perdus tous trois. Laissez-moi : votre vue augmente mon su])])lice. SCÈNE IV.

VENDOME, ADÉLAÏDE, COUCV.

ADÉLAÏDE, ; i Coucy.

Ail ! je n’attends plus rien que de votre justice ; Coucy, contre un cruel osez nie secourir,

VENDÔME.

Garde-toi de l’entendre, ou tu vas me trahir.

ADÉLAÏDE.

J’atteste ici le ciel…

VENDÔME.

Qu’on l’ôte de ma vue. Ami, délivre-moi d’un objet qui me tue.

ADÉLAÏDE.

\ a, tyran, c’en est trop ; va, dans mon désespoir, .l’ai combattu l’horreur ([ue je sens à te voir ; ,f’ai cru, malgré ta rage à ce point emportée. Qu’une femme du moins en serait respectée. L’amour adoucit tout, hors ton barbare cœur : Tigre ! je t’abandonne à toute ta fureur. Dans ton féroce amour immole tes victimes ; Compte dès ce moment ma mort parmi tes crimes ; Mais compte encor la tienne : un vengeur va venir ; l*ar ton juste supplice il va tous nous unir. Tombe avec tes remparts ; tombe, et péris sans gloire ; Meurs, et que l’avenir prodigue à ta mémoire, A tes feux, à ton nom, justement abhorrés, La haine et le mépris que tu m’as inspirés M

SCÈNE y.

VENDOME, COUCV.

VENDÔME.

Oui, cruelle ennemie, et plus que moi farouche. Oui, j’accepte l’arrêt prononcé par ta bouche ;

i. « Nous retrouverons, dit M. Hippolyto Lucas {Histoire du théâtre français), quelques-uns dos traits les plus flers d’Adélaïde dans rAmcnaide do Tancrède. » 124 ADKLAÏDK DL" GUESCLIN.

Ouo la main do la haino et (\\m les mêmes coups Dans riiorreur du tombeau nous réunissent tous !

(Il tombe dans un fauteuil.) COLCY.

Il ne se connaît plus, il succombe à sa rage.

VENDÔME.

Kli bien ! souflViras-tu ma honte et mon outrage ? Le temps presse ; veux-tu qu’un rival odieux Enlève la ])erfide, et l’épouse à mes yeux ? Tu crains de me répondre ! attends-tu que le traître \it soulevé mon peuple, et me livre à son maître ?

COLCY.

Je vois trop, en etTet, que le parti du roi Du peuple fatigué fait chanceler la foi. De la sédition la flamme réprimée \ it encor dans les cœurs, en secret rallumée.

VENDÔME,

C/est Nemours qui Tallume, il nous a trahis tous.

COLCY.

.le suis loin d’excuser ses crimes envers vous ; La suite en est funeste, et me remplit d’alarmes. Dans la plaine déjà les Français sont en armes, Et vous êtes perdu, si le peuple excité Croit dans la trahison trouver sa sûreté. Vos dangers sont accrus.

VENDÔME.

Eh bien ! que faut-il faire ?

COUCY.

Les prévenir, dompter l’amour et la colère. Ayons encor, mon prince, en cette extrémité, Pour prendre un parti sûr, assez de fermeté. \ous pouvons conjurer ou braver la tempête ; Quoi que vous décidiez, ma main est toute prête. \ous vouliez ce matin, par un heureux traité, Apaiser avec gloire un monarcjue irrité ; Ne vous rebutez pas : ordonnez, et j’espère Signer en votre nom cette paix salutaire : Mais sil vous faut combattre, et coui-ir au trépas, Vous savez qu’un ami ne vous sur\ivra pas.

VEND Ô M E.

Ami, dans le toml)eau laisse-moi seul descendre ; Vis pour senir ma cause, et pour venger ma cendre ACTI- : IV. SCÈNE V. 425

Mon destin s’accomplit, et je cours Tadiever : Qui ne veut que la mort est silr de la trouver ; Mais je la veux terrible, et lorsque je succombe, Je veux voir mon rival entraîné dans ma tombe.

COUCY.

Comment ! de quelle borreur vos sens sont possédés !

VKNOÙMK.

Il est dans cette tour où vous seul commandez ; Et vous m’aviez promis (jue contre un téméraire…

COUCY,

De qui me parlez-vous, seigneur ? de votre frère ?

VENDÔME.

Non, je parle d’un traître"çt d’un làclie ennemi. D’un rival qui m’al)liorre, et (jui m’a tout ravi. L’Anglais attend de moi la tête du parjure.

corcY. Vous leur avez promis de trabir la nature ?

VENDÔME.

Dès longtemps du perfide ils ont proscrit le sang.

COUCY.

¥A pour leur ol)éir vous lui percez le flanc ?

VENDÔME.

Non, je n’obéis point à leur baine étrangère ; J’obéis à ma rage, et veux la satisfaire. Que m’importent l’État et mes vains alliés ?

COUCY.

Ainsi donc à l’amour vous le sacrifiez ?

Et vous me chargez, moi, du soin de son supplice !

VENDÔME.

Je n’attends ])as do vous cette prompte justice.

Je suis bien malheureux ! bien digne de pitié !

Trahi dans mon amour, trabi dans l’amitié !

Ah ! trop heureux dauj)hin, c’est ton sort que j’envie :

Ton amitié, du moins, n’a ])oint été trahie ;

Et Tanguy du Chàtel, quand tu fus oiïensé,

T’a servi sans scrupule, et n’a pas halancé.

Allez ; Vendôme encor, dans le sort qui le presse,

Trouvera des amis qui tiendront leur promesse ;

D’autres me serviront, et n’allégueront pas

Cette triste vertu, l’excuse des ingrats.

COUCY, après un long silence.

Non ; j’ai pris mon parti. Soit crime, soit justice, I2fj ADKLAIDH DU GLESCLIN.

Vous ne vous plaindrez pas que Coucy vous trahisse. Je ne soulïrirai pas que d’un autre que moi, Dans de pareils moments, vous éprouviez la foi. Quand un ami se perd, il faut qu’on l’avertisse, 11 faut qu’on le retienne au bord du précipice ; Je l’ai dû, je l’ai fait malgré votre c.ourroux : \ ous y voulez tomber, je m’y jette avec vous ; Et vous reconnaîtrez, au succès de mon zèle, Si Coucy vous aimait, et s’il vous fut fidèle.

VENDÔME.

Je revois mon ami… Vengeons-nous, vole… attend.. Aon, va, te dis-jc, frappe, et je mourrai content. Qu’à l’instant de sa mort, à mon impatience Le canon des remparts annonce ma vengeance ! J’irai, je l’apprendrai, sans trouble et sans effroi, A ]’ol)jet odieux qui l’immole par moi. Allons.

COUCY.

En vous rendant ce malheureux service, Prince, je vous demande un autre sacrifice,

VENDÔME,

Parle.

COUCY.

Je ne veux pas que l’Anglais en ces lieux, Protecteur insolent, commande sous mes yeux ; Je ne veux pas servir un tyran qui nous brave. Ne puis-je vous venger sans être son esclave ? Si vous voulez tomber, pourquoi prendre un appui ? I*our mourir avec vous ai-je besoin de lui ? Du sort de ce grand jour laissez-moi la conduite ; Ce que je fais pour vous peut-être le mérite. Les Anglais avec moi pourraient mal s’accorder ; Jusqu’au dernier moment je veux seul commander.

VENDÔME.

Pourvu qu’Adélaïde, au désespoir réduite, Pleure en larmes de sang l’amant qui l’a séduite ; PouiTU que de l’horreur de ses gémissements Mon courroux se repaisse à mes derniers moments, Tout le reste est égal, et je te l’abandonne ; Prépare le combat, agis, dispose, ordonne. Ce n’est plus la victoire où ma fureur prétend ; Je ne cherche pas même un trépas éclatant. ACTE IV, SCÈNE Y. \ ■> :

Aux cœurs (lésospérés qu’importe uu pou do gloire ? Périsse ainsi que moi ma funeste mémoire ! Périsse avec mon nom le souvenir fatal D’une indigne maîtresse et d’un lâche rival !

COUCY.

Je l’avoue avec vous ; une nuit éternelle Doit couvrir, s’il se peut, une lin si criiollo ; C’était avant ce coup qu’il nous fallait mourir ; Mais je tiendrai parole, et je vais vous servir ’.

1. « Si Vendôme, écrit Voltaire avant la représentation, ordonnait la mort de son frère à tête reposée, ce serait un monstre, et la pièce aussi. Je ne sais si l’on ne sera pas révolté qu’il demande cette horrible vengeance à l’iionnêtc homme de Coucy, et je vous avoue que je tremble fort pour la fin do ce quatrième acte, dont je ne suis pas trop content ; mais le cinquième me rassure. »

FIN DU QUATRIEME ACTE. ACTE CINQUIÈME.

SCENE I.

VENDOME, UN OFFICIER, GARDES. VENDÔME.

ciel ! mo faiulra-t-il, de moments en moments, Aoir et des trahisons et des soulèvements ? Eh hien ! de ces mutins l’audace est terrassée ?

l’officier. Seigneur, ils vous ont vu : leur foule est dispersée.

VENDÔME.

L’ingrat de tous côtés m’opprimait aujourd’hui ; Mon malheur est parfait, tous les cœurs sont à lui. Dangeste est-il puni de sa fourhe cruelle ?

l’officier. Le glaive a fait couler le sang de l’infidèle.

VENDÔME.

Ce soldat qu’en secret vous m’avez amené, Va-t-il exécuter l’ordre que j’ai donné ?

l’officier. Oui, seigneur, et déjà vers la tour il s’avance.

VENDÔME.

Je vais donc à la fin jouir de ma vengeance ! Sur l’incertain Coucy mon cœur a trop compté ; Il a vu ma fureur avec tranquillité. On ne soulage point des douleurs qu’on méprise ; Il faut qu’en d’autres mains ma vengeance soit mise. Vous, que sur nos remparts on porte nos drapeaux ; Allez, qu’on se prépare à des périls nouveaux. Vous sortez d’un coinhat, un autre vous appelle ; Avez la même audace avec le même zèle ; ACTE V, SCÈNE II. 429

■ ?

Imitez votre maître, et, s’il vous faut périr. Nous recevrez de moi l’exemple de mourir.

SCENE II.

VENDOME, seul.

Le sang, l’indigne sang qu’a demandé ma rage, Sera du moins pour moi le signal du carnage. Uu bras vulgaire et sûr va punir mon rival ; Je vais être servi ; j’attends l’heureux signal. Nemours, tu vas périr, mon bonheur se prépare.. Un frère assassiné ! quel bonheur ! Ah, barbare ! S’il est doux d’accabler ses cruels ennemis, Si ton cœur est content, d’où vient que tu frémis Allons… Mais quelle voix gémissante et sévère Crie au fond de mon cœur : Arrête, il est ton frère ! Ah ! prince infortuné ! dans ta haine affermi, Songe à des droits plus saints ; Nemours fut ton ami jours de notre enfance ! ù tendresses passées ! H fut le confident de toutes mes pensées. Avec quelle innocence et quels épanchements Nos cœurs se sont appris leurs premiers sentiments ! Que de fois, partageant mes naissantes alarmes, D’une main fraternelle essuya-t-il mes larmes ! Et c’est moi qui l’immole ! et cette même main D’un frère que j’aimai déchirerait le sein ! passion funeste ! ô douleur qui m’égare ! Non, je n’étais point né pour devenir barbare. Je sens combien le crime est un fardeau cruel… Mais, que dis-je ? Nemours est le seul criminel. Je reconnais mon sang, mais c’est à sa furie ; 11 m’enlève l’objet dont dépendait ma vie ; Il aime Adélaïde… Ah ! trop jaloux transport ! Il l’aime ; est-ce un forfait qui mérite la mort ? Hélas ! malgré le temps, et la guerre, et l’absence \

1. Ces vers rappellent ceux de Phèdre (acte IV, scène vi) :

Hélas ! ils se voyaient avec pleine licence ;

Lo ciol de leurs soupirs approuvait l’innocence ;

Ils suivaient sans remords leur penchant amoureux :

Tous les jours se levaient clairs et sereins pour eux.

Théâtre. II. 130 ADÉLAÏDE DU GUESCLIN.

Leur tranquille union croissait dans le silence ;

Ils nourrissaient en paix leur innocente ardeur,

Avant qu’un fol amour empoisonnât mon cœur.

Mais lui-même il m’attaipie, il brave ma colère,

11 me trompe, il me hait ; n’importe, il est mon frère !

11 ne périra point. Nature, je me rends ;

.Te ne veux point marcher sur les pas des tyrans.

Je n’ai point entendu le signal homicide,

L’organe des forfaits, la voix du parricide ;

Il en est encor temps.

SCENE III.

VENDOME, l’officier des gardes.

VENDÔME.

Que Ton sauve Nemours ; Portez mon ordre, allez ; répondez de ses jours.

l’officier. Hélas ! seigneur, j’ai vu, non loin de cette porte. Un corps souillé de sang, qu’en secret on emporte ; C’est Coucy qui l’ordonne, et je crains que le sort…

VENDÔME.

(,0n entend le canon ’.)

Quoi ! déjà ! . . . Dieu, qu’entends-je ! Ah ciel ! mon frère est mort !

Il est mort, et je vis ! Et la terre entr’ouverte.

Et la foudre en éclats n’ont point vengé sa perte

Ennemi de l’État, factieux, inhumain.

Frère dénaturé, ravisseur, assassin.

Voilà quel est Vendôme ! Ah ! vérité funeste !

Je vois ce que je suis, et ce que je déteste !

Le voile est déchiré, je m’étais mal connu.

Au comble des forfaits je suis donc parvenu !

Ah, Nemours ! ah, mon frère ! ah, jour de ma ruine

Je sens que je faimais, et mon bras t’assassine,

Mon frère !

1. Voilà reflet théâtral qu’on siffla à la premièro représentation. Applaudi en 1765, il prépara le public aux trois coups de marteau de Ssdaine, dans / l’hilo- soplie sans le savoir (décem’jrc 1705). (G. A.) ACTK V, SCIi.NE IV. /|34

L’OFFICIER.

Adélaïde, avec empressement, Veut, seigneur, en secret vous parler un moment.

VENDÔME.

Chers amis, empêchez que la cruelle avance ; Je ne puis soutenir ni souflTrir sa présence. Mais non. D’un parricide’ elle doit se venger ; Dans mon coupable sang sa main doit se plonger ; Qu’elle entre… Ah ! je succombe, et ne vis plus qu’à peine.

SCENE IV.

VENDOME, ADÉLAÏDE.

ADÉLAÏDE.

Vous l’emportez, seigneur, et puisque votre haine

(Comment puis-je autrement appeler en ce jour

Ces affreux sentiments que vous nommez amour ?)

Puisqu’il ravir ma foi votre haine obstinée

Veut, ou le sang d’un frère, ou ce triste hyménée…

Puisque je suis réduite au déplorable sort

Ou de trahir Nemours, ou de hâter sa mort,

Et que, de votre rage et ministre et victime.

Je n’ai plus qu’à choisir mon supplice et mon crime.

Mon choix est fait, seigneur, et je me donne à vous :

Par le droit des forfaits vous êtes mon époux.

Brisez les fers honteux dont vous chargez un frère ;

De Lille sous ses pas abaissez la barrière :

Que je ne tremble plus pour des jours si chéris ;

Je trahis mon amant, je le perds à ce prix.

Je vous épargne un crime, et suis votre conquête :

Commandez, disposez, ma main est toute prête ; "

Sachez que cette main que vous tyrannisez.

Punira la faiblesse où vous me réduisez.

Sachez qu’au temple même, où vous m’allez conduire.

Mais vous voulez ma foi, ma foi doit vous suffire.

Allons… Eh quoi ! d’où vient ce silence affecté ?

Quoi ! votre frère encor n’est point en liberté ?

VENDÔME.

Mon frère ? 132 ADELAÏDE DU GUESCLIN.

ADÉLAÏDE.

Dieu puissant ! dissipez mes alarmes ! Ciel ! de vos yeux cruels je vois tomjjer des larmes !

VENDÔME.

Vous demandez sa vie…

ADÉLAÏDE.

Ah ! qu’est-ce que j’entends ? Vous qui m’aviez promis…

VENDÔME,

Madame, il n’est plus temps.

ADÉLAÏDE.

Il n’est plus temps ! Nemours…

VENDÔME.

11 est trop vrai, cruelle ! Oui, vous avez dicté sa sentence mortelle. Coucy pour nos malheurs a trop su m’ohéir. Ah ! revenez à vous, vivez pour me punir ; Frappez : que votre main, contre moi ranimée, Perce un cœur inhumain qui vous a trop aimée, Un cœur dénaturé qui n’attend que vos coups ! Oui, j’ai tué mon frère, et l’ai tué pour vous. Vengez sur un amant coupable et sanguinaire Tous les crimes affreux que vous m’avez fait faire,

ADÉLAÏDE.

Nemours est mort ? barbare !…

VENDÔME.

Oui ; mais c’est de ta main Que son sang veut ici le sang de l’assassin.

ADÉLAÏDE, soutenue par Taise, et presque évanouie.

II est mort !

VENDÔME.

Ton reproche…

ADÉLAÏDE.

Épargne ma misère : Laisse-moi, je n’ai plus de reproche à te faire. Va, porte ailleurs ton crime et ton vain repentir. Je veux encor le voir, l’embrasser, et mourir.

VENDÔME.

Ton horreur est trop juste. Eh bien ! Adélaïde, Prends ce fer, arme-toi, mais contre un parricide : Je ne mérite pas de mourir de tes coups ; Que ma main les conduise. ACTE V, SCÈNE V. \r.\

SCÈNE V.

VENDOME, ADÉLAÏDE, COUCY.

COLCY.

Ail ciel ! que faites-vous ?

VENDÔME.

(On le désarme.)

Laisse-moi me punir et me rendre justice.

ADÉLAÏDE, à Coucy.

Vous, d’un assassinat vous êtes le complice ?

VENDÔME.

Ministre de mon crime, as-tu pu m’obéir ?

COUCY.

Je vous avais promis, seigneur, de vous servir.

VENDÔME.

Malheureux que je suis ! ta sévère rudesse A cent fois de mes sens combattu la faiblesse : Ne devais-tu te rendre à mes tristes souhaits Que quand ma passion t’ordonnait des forfaits ? Tu ne m’as obéi que pour perdre mon frère !

COUCY.

Lorsque j’ai refusé ce sanglant ministère, Votre aveugle courroux n’allait-il pas soudain Du soin de vous venger charger une autre main ?

VENDÔME.

L’amour, le seul amour, de mes sens toujours maître,

En m’ôtant ma raison, m’eût excusé peut-être :

Mais toi, dont la sagesse et les réflexions

Ont calmé dans ton sein toutes les passions,

Toi, dont j’avais tant craint l’esprit ferme et rigide.

Avec tranquillité permettre un parricide !

COLCY.

Eh bien ! puisque la honte avec le repentir, Par qui la vertu parle à qui peut la trahir, D’un si juste remords ont pénétré votre âme ; Puisque, malgré l’excès de votre aveugle flamme, Au prix de votre sang vous voudriez sauver Ce sang, dont vos fureurs ont voulu vous priver ; U4 ADÉLAÏOK DU CIESCLIN.

Je poiix donc m expliquor. jo poux donc vous apprendre Que de Tous-nuMue enfin Coucy sait vous défendre. Connaissez-moi. madame, et calmez tos douleui’s.

’,A« <îuf- ’ lA Adélaïde. ’i

Vous, gardez tos remords ; et vous, séchez vos pleui’s. Que ce jour ; \ tous trois soit un jour salutaire. Vouez, i>iiraissoz. prince, embrasser votre frère.

( Le thèitrc s’outre, Xemoors puait. ^

SCEM- V[.

V EN DO M F.. .VPKLAIDK. NEMOURS, COUCY.

ADÉLAÏDE.

Nomoui^ :

VENDÔME.

Mon frère !

ADÉLAÏDE.

Ah, ciel !

VENDÔME.

Qui l’aurait pu penser ?

NEMOCRS, s’avauçant du fond dm tliéâlj-e.

rose encor le revoir, te plaindre, et l’embrasser.

VENDÔME.

Mon crime en est plus grand, puisque ton cœur loublie.

ADÉLAÏDE.

CouGj", digne héros, qui me donner la vie !

VENDÔME.

Il la donne à tous trois,

COUCY.

Un indigne assassin Sur Nemours à mes yeux avait levé la main ; rai frappé le barbare ; et, prévenant encore Les aveugles fureurs du feu qui vous dévore, rai fait donner soudain le signal odieux, Sur que le repentir vous ouvrirait les yeux.

VENDÔME.

Après ce grand exemple et ce service insigne,

Le prix que je t’en dois, c’est de m’en rendre digne.

Le fardeau de mon crime est Irop pcsaiil pour moi ;
Mes \(Mi\. coincfls d’im voile cl Ij.iisscs devant toi.
Craignent (le riMicoiiIrci’. cl les regards d’un iVcrc,
Et la beauté fatale, à tous les deux trop chère.

NEMOURS.

Tous deux auprès du roi nous voulions te servir.
Quel est donc ton dessein ? parle.

VENDOME.

De me punir.
De nous rendre à Ions trois une égale justice.
D’cNpici" (ie\anl \ous. par le plus grand supplice.
Le [dus i ; i-an<l des forlails où la lalalite,
l/amoiir et le courroux m’a\aient précipite.
.l’aimais Adélaïde, et ma flamme cruelle.
Dans m(Hi coMir désoh’, s’irrili » encor pour elle.
C.oucv sait à (|uel point j’adorais ses appas
Ouand ma jalouse raj^e ordonnait ton trépas ;
De\oré, mal^i(’ nu)i, du feu (|ui me possède.
Je l’adore encor plus… et ukmi amour la ri’t\{\
.le m’arraclie le coeur, je la nu’ls dans tes Itras ;
Mmkv-vous : mais au moins ne me luiïsse/ pas.

NEMOURS, à ses pieds.

Moi, vous haïr jamais ! >>ndAme, mon cher frère !
.l’osai vous outrager… nous nu’ servez de [X’re.

\i)i’ I. \ïi)i : .

Oui, seigneur, a\ec lui j’embrasse \( »s « genoux ;
La plus tendre amitié \a me icjoindi’c à \()us.
Nous me paM’/ trop Itieti de ma douleur sonlVerte.

\ KNDÙMi ; .

\li ! c’est trop me motitrer mes malheurs et ma [)erto !
Mais NOUS mapitrenc/ t(His à suivre la \eilu.
Ce n’est point à demi (pie mon C(enr est rendu.

’.\ Ni’mours. i

Ti’op l’oi’linK’s (’poux, oui, mon âme attendrie
Imite \()ti"e exemple, cl chérit sa patrie.
Mie/ apprendre au roi, pour (|ui >oirs condtallez,
Mon crime, mes reuKU’ds, et nos relicit(’s.
\llez ; ainsi t\u{> nous, je Nais le l’cconnaitre.
Sur nos remparts soumis amenez Notre maiiro ;
Il est (h’jà le mien : nous allons à ses pieds
Abaisser sans regret nos fronts liumili(s.

131) ADÉLAÏDE DU GUESCLIN.

J’('<i,alcrai pour lui votre intrépide zèle ;

l{on Français, meilleur frère, ami, sujet fidèle ;

Es-tu routent, Coucy ?

COLCY,

J’ai le prix de mes soins. Et du sang des Bourbons je n’attendais pas moins.

FIN D ADELAÏDE DU GUESCLIN. VARIANTES’

DE LA TRAGÉDIE D’ADÉLAIDE DU GUESCLI.W

l’âge 88, vers 10. — Dans l’édition de ITCG, la scène commenrait |)ar ces vers :

Enfin c’est trop attendre, enfin je dois connaître, Dans les derniers moments qui me restent peut-être, Si, volant au combat, j’y dois porter un cœur Accablé d’infortune, ou fier de son bonheur.

Page 92, vers 16. — Édition de 1766 :

Dans le feu du combat je vous ai peu servi.

Page 95, vers -10. — Édition de 1766 :

Ne corromps point ainsi la joie et les douceurs.

IbUL, vers 20. — Édition de 1766 :

Oui, j’aime Adélaïde, et, pour son alliance,

11 semblait que ma flamme attendît ta présence.

NKMOURS, à part. Qu’entends-jc !… il est donc vrai…

VENDÔME, à un offickT.

Qu’on la fasse avertir ; Mon frère est avec moi, qu’elle daigne venir.

(A Nemours.) Ne blâme point, etc.

Page 99, vers 31 :

VENDÔME.

Vous qui me tenez lieu de rois et de patrie, Vous dont les jours…

ADÉLAÏDE.

Je sais que je vous dois la vie.

Page 102, vers 17. — Édition de 1766 :

Avant que de ses jours heureux li])crateur.

1. Les variantes considérables, d’après le manuscrit de 1734, sont imprimées à part, à la suite de celles-ci. 138 VARIANTES D’AnKLAIDE DU GUESCLIN.

Page 103. viMS 23. — Édition de 17(i() :

Le Bourguignon, l’Anglais, dans lour triste alliance, Ont creusé par nos mains les tonihoaux de la France ; Votre sort est douteux, vos jours sont prodigués Pour vos vrais ennemis, qui nous ont subjugués. Songez qu’il a fallu trois cents ans de constance Pour saper par degrJ’S cette vaste puissance ; Le dauphin vous oflVait une honorable paix.

VENDÔME.

Non, de ses favoris je ne l’aurai jamais ;

Ami, je bais l’Anglais, mais je hais davantage

Ces lâches conseillers dont la faveur m’outrage :

Ce fils de Charles Six, cette odieuse cour,

Ce ministre insolent, m’ont aigri sans retour ;

De leurs sanglants affronts mon âme est trop frappée ;

Contre Charte, en un mot, quand j’ai tiré l’épée,

Ce n’est pas, cher Coucy, pour la mettre à ses pieds,

Pour baisser dans sa cour nos fronts humiliés.

Pour servir lâchement un ministre arbitraire.

COUCY.

Non, c’est pour obtenir une paix nécessaire. Gardez d’être réduit au hasard dangereux.

Voyez sur ce dernier vers, Théâtre^ tome h’", page 2.

l’age 1 10, vers o. — Dans l’édition de ITOG il y avait, de plus les quatre vers que voici, et dont les deux ; derniers ont été reportés dans la scène suivante :

Mais bientôt abusant de ma reconnaissance,

F.t de ses vœux hardis écoutant l’espérance.

Il regarda mes jours, ma liberté, ma foi,

Comme un bien de conquête, et qui n’est plus à moi. (B.)

Ibid., vers 1,2.

Fnflc de sa victoire et teint de votre sang. Il m’ose offrir la main qui vous l’Crça le flanc.

Page III, vers 7. — Édition de 176G :

Vous avez refusé, vous condamnez, cruelle, L’hommage d’un Français aux Anglais trop fidèle. Eh bien ! il faut céder -. votre maître est le mien.

Page 113, vers 9 :

Mais je mériterais la haine et le mépris Du héros dont mon cœur en secret est épris, Si jamais d’un coup d’œil l’indigne complaisance Avait à votre amour laissé quelque espérance. Vous pensez que ma foi, ma liberté, mes jours, Vous étaient asservis pour prix de vos secours Je vous devais beaucoup. VAUFANTES D’A DELA I I)K \)V (i ri-SCI.I N. I3<)

l’ai,’(' 122. vors G. — Ce vers n’est point dans rédition de 170(3 ; je le donne tel (|iril est dans les éditions de 1768, 177.’), et dans toutes relies (|ui ont paru depuis. i"eu l)eeroi\ proposait de iiK’llrc :

des m : iJns de ce barbare. (B.)

Ibid., scène m. — Celte seène de huit vers n’est |)as dans l’édition île I7(i(i.,B. ;

Page I2i. vers lo. — Édition de 1760 :

L’amitié des Anglais est toujours incertaine ;

Les étendards de France ont paru dans la plaine ;

Et vous êtes perdu, etc.

Page I2.’j. vers 8. — Variante de l’édition de I76() : Contre Nemours ? Ah, ciel !

YEN DO ME.

Nemours est-il mon frère ? 11 me livre à son maître, il m’a seul opprimé, Il soulève mon peuple ; enfin il est aime ; Contre moi dans ce jour il commet tous les crimes. Partage mes fureurs, elles sont légitimes ; Toi seul, après ma mort, en cueilleras le fruit. Le chef de ces Anglais, dans la ville introduit. Demande au nom des siens la tête du parjure…

lOid., vers 27 :

c G u c Y.

Il a payé bien cher ce fatal sacrifice.

VENDÔME.

Le mien coûtera plus ; mais je veux ce service : Oui, je le veux ; ma mort à l’instant le suivra ; Mais du moins avant moi mon rival périra.

cou G Y, après un long silenco. .lobéirai, soigneur : soit crime, soit justice, etc. ^

Page 126, vers 2. — Édition de I7()6 :

Je me rends, non à vous, non à votre fureur. Mais à d’autres raisons qui parlent à mon cœur.

Page 1.}k vers 10. — iùlilion de 1766 :

qui me rendez la vie. VARIANTES

D’ADÉLAÏDE DU GUESGLIN

d’après le manuscrit de 1734.

ACTE PREMIER.

SCENE I.

L’âme d’un vrai soldat, digne de vous peut-être.

ADÉLAÏDE.

Vous pouvez tout : parlez.

COUC Y.

J’ai, dans les champs de Mars, De Vendôme en tout temps suivi les étendards ; Pour lui seul au dauphin j’ai déclare la guerre. C’est Vendôme que j’aime, et non pas l’Angleterre. L’amitié fut mon guide, et l’honneur fut ma loi : Et jusqu’à ce moment je n’eus pas d’autre roi. Non qu’après tout, pour lui mon âme prévenue, Prétende à ses défauts fermer ma faible vue ; Je ne m’aveugle pas…, etc.

Ki servir, ni traiter, ni changer qu’avec lui ; Le temps réglera tout : mais, quoi qu’il en puisse être. Prenez moins de souci sur l’inténH d’un maître. Nos bras, et non vos vœux, sont faits pour le régler. Et d’un autre intérêt je cherche à vous parler. J’aspirai jusqu’à vous…, etc.

cote V.

Ce bras qui fut à lui combattra pour tous deux. Dans Cambrai votre amant, dans Lille ami fidèle. Soldat de tous les deux, et i)lein du même zèle : VARIANTES D’ADÉLAÏDE DU GUESCLIN. lil

Je servirai sous lui, comme il faudi-a qu’un jiuir. Quand je commanderai, l’on me serve ; \ mon tour. Voiii mes sentiments. Considérez, madame, Le nom de cet amant, ses services, sa flamme ; J’ose lui souhaiter un cœur tel f4uc le mien : Oubliez mou amour, et répondez au sien.

ADKLAÎDE.

Connaît l’amitié seule, et sais braver l’amour. Pourrais-tu, Dieu puissant, qu’à mon secours j’appelle, Laisser tant de vertu dans l’àme d’un rebelle ! Pardonnez-moi ce mot, il échappe à ma foi. Puis-je autrement nommer les sujets de mon roi, Quand, détruisant un trône affermi par leurs pères, Ils ont livré la France à des mains étrangères ? C’est en vain que j’en parle ; hélas ! dans ces horreurs, Ma voix, ma faible voix ne peut rien sur vos cœurs. Mais puis-jc au moins de vous obtenir une grâce ?…

SCENE IV,

VENDOME.

Je voi

Que vous cachez des pleurs qui ne sont pas pour moi.

ADÉLAÏDE.

Non, ne doutez jamais de ma reconnaissance.

VENDÔME.

Et vous pouvez le dire avec indifférence ! Ingrate, attendiez-vous ce temps pour m’affliger ? Est-ce donc près de vous qu’est mon plus grand danger ? Ah, Dieu !

coucv. Le temps nous presse.

VENDÔME.

Oui, j’aurais dû vous suivre. J’ai honte de tarder, de l’aimer, et de vivre. Allez, cruel objet dont je fus trop épris, Dans vos yeux, malgré vous, je lis tous vos mépris. Marchons, brave Coucy ; la mort la [ilus cruelle, A mon cœur malheureux est moins barbare qu’elle…

SCENE V.

ADELAÏDE.

Est-il bien vrai, Nemours serait-il dans l’armée ? Vendôme, et toi, cher prince, objet de tous mes vœux, Qui de nous trois, ô ciel ! est le plus malheureux ? VARIANTES D’ADÉLAÏDE DU GUESCLIN.

ACTK DEUXIEME.

SCÈNE I

VENDÔME.

teint du sang des Français.

COUCY.

Quant aux traits dont votre âme a senti la puissance. Tous les conseils sont vains, agréez mon silence. Quant à ce sang français que nos mains font couler, A cet État, au trône, il faut vous en parler. Je prévois que bientôt, etc.

SCENE II,

V EM)OME.

A cet indigne mot je m’oublierais peut-être.

^G corromps point ici la joie et les douceurs

Que ce tendre moment doit verser dans nos cœurs.

Donnons, donnons, mon frère, à ces tristes provinces,

Aux enfants de nos rois, au reste de nos princes,

L’exemple auguste et saint de la réunion,

Comme ils nous l’ont donné de la division.

Dans ce jour malheureux, que l’amitié l’emporte…

SCENE V

A D F. L A 1 D E.

Par de justes respects je vous ai répondu.

Seigneur, si votre cœur, moins prévenu, moins tendre,

Moins plein de confiance, avait daigné m’entendre

Vous auriez honoré de plus dignes beautés

Par des soins plus heureux et bien mieux mérités.

Votre amour vous trompa : votre fatale flamme

Vous promit aisément l’empire de mon âme ;

J’étais entre vos mains, et, sans me consulter,

Vous no soupçonniez i)as qu’on pût vous résister.

Mais puisqu’il faut enfin dévoiler ce mystère.

Puisque je dois répondre, et qu’il faut vous déplaiie. VARIANTES D’ADÉLAiDk DU GUESCLIX. I« 

licduite à m’expliqucr, je vous dirai, seigneur, Que l’amour de mes rois est gravé dans mon cœur.

A m- : I. A înr.

Me la conserviez- vous pour la tyranniser ?

VENDÔME.

Quoi 1 vous os<’z… Mais non… j’ai tort… je le confi’sse.

De mes emportements ne voyez point l’ivresse ;

Pardonnez un reproche où j’ai pu m’abaisser.

L’amour qui vous parlait doit-il vous offenser ?

Excuse mes fureurs, toi seule en es la cause.

Ce que j’ai fait pour toi sans doute est peu de chose :

Non, tu ne me dois rien ; dans tes fers arrête,

J’attends tout de toi seule, et n’ai rien mérite.

Te servir, t’adorer, est ma grandeur suprême ;

C’est moi qui te dois tout, puisque c’est moi qui t’aim ’.

Tyran que j’idolâtre, à qui je suis soumis.

Ennemi plus cruel que tous mes ennemis.

Au nom de tes attraits, de tes yeux dont la flanmic

Sait calmer, sait troubler, pousse et retient mon âme.

Ne réduis point Vendôme au dernier désespoir ;

Crains d’étendre trop loin l’excès de ton pouvoir.

Tu tiens entre tes mains le destin de ma vie.

Mes sentiments, ma gloire et mon ignominie ;

Toutes les passions sont en moi des fureurs ;

Et tu vois ma vengeance à travers mes douleurs.

Dans mes soumissions, crains- moi, crains ma colère ;

J’ai chéri la vertu, mais c’était pour te plaire

Laisse-la dans mon cœur ; c’est assez qu’à jamais

Ta beauté dangereuse en ait chassé la paix.

ADÉLAÏDE.

Je plains votre tendresse, et je plains davantage Les excès où s’emporte un si noble courage. Votre amour est barbare, il est rempli d’horreurs ; Il ressemble à la haine, il s’exhale en fureurs : Seigneur, il nous rendrait malheureux l’un et l’autre. Abandonnez un cœur si peu fait pour le vôtre, Qui gémit de vous plaire et de vous affliger.

VENDÔME.

Eh bien ! c’en est donc fait ?

ADÉLAÏDE.

Oui, je ne peux changer. Calmez cette colère où votre âme est ouverte, Respectez-vous assez pour dédaigner ma perte. Pour vous, pour votre honneur encor plus que pour moi. Renvoyez-moi plutôt à la cour de mon roi ; Loin de ses ennemis souffrez qu’il me revoie.

V E N D Ô M E.

Me punisse le ciel si je vous y renvoie !

Apprenez que ce roi, l’objet de mon courroux.

Je le hais d’autant plus qu’il est servi par vous.

Un rival insolent à sa cour vous rappelle !

Quel qu’il soit, frémissez, tremblez pour lui, cruelle… VARIANTES I) ADÉLAÏDE DU GUESCLIN.

SCÈ\E VT.

\ F, \’ n Ô M E.

Adélaïde ! ingrate ! ah ! tant de fermeté,

Sa funeste douceur, sa tranquille fierté.

L’orgueil de ses vertus, redoublent mon injure.

Quel amant, quel héros contre moi la rassure ?

Par qui mon tendre amour est-il donc traversé ?

Ce n’est point le daiTpliin, d’autres yeux l’ont blessé.

Ce n’est point Richement, La ïrimouillc, La Hire ;

On sait de quels appas ils ont suivi l’empire :

C’est cncor moins mon frère ; et d’ailleurs, à ses yeux,

Le sort n’offrit jamais ses charmes odieux.

Que l’on cherche Coucy ; je ne sais, mais peut-être,

Sous les traits d’un héros, mon ami n’est qu’un traître.

Mon cœur de noirs soupçons se sent empoisonner.

Quoi ! toujours vers son prince elle veut retourner !

Quoi ! dans le même instant, Coucy, plus infidèle.

Vient me parler do paix, et s’entend avec elle.

L’aime-t-il ? pourrait-il à, ce point m’insulter ?

Puisqu’il l’a vue, il l’aime ; il n’en faut point douter.

Les conseils de Coucy, les vœux d’Adélaïde,

Leurs secrets entretiens, tout m’annonce… Ah ! perfide !

SCENE VII

C G U G V.

. . . . Aimez-moi, prince, au lieu de me louer : Et sur vos intérêts souffrez que je m’explique. Vous m’avez soupçonné de trop de politique Quand j’ai dit que bientôt on verrait réunis Les débris dispersés de l’empire des lis.

C G L C V.

Mais qu’importent pour vous ses vœux et ses desseins ?

Est-ce donc à l’amour à régler nos destins ?

Ce bras victorieux met-il dans la balance

Le plaisir et la gloire, une femme et la France ?

Verrai-je un si grand cœur à ce point s’avilir ?

Le salut de l’État dcpcnd-il d’un soupir ?

Aimez, mais en héros qui possède son âme.

Qui gouverne à la fois sa maîtresse et sa flamme.

Et vous devez en tout l’exemple des vertus.

VENDÔME.

Ah ! je n’en puis donner jamais que de faiblesse. Mon cœur désespéré cherche et craint la sagesse ; Je la vois, je la fuis, j’aime en vain ses attraits. Et j’embrasse en pleurant les erreurs que je hais. VARIANTES D’ADÉLAÏDE DU GUESGLIN. 445

Ma chaîne est trop pesante, elle est affreuse et chère ;

Si tu brisas la tienne, elle fut bien légère ;

D’un feu peu violent ton cœur fut enflammé ;

Non, tu n’as point vaincu, tu n’avais pas aimé.

De la pure amitié l’amour eût été maître.

Par moi, par mon supplice, api)rcnds à le connaître ;

Vois à quel désespoir il peut nous entraîner ;

Sers-moi, plains-moi du moins, mais sans me condamner.

Malgré tous tes conseils, il faut qu’Adélaïde

Gouverne mes destins, ou m’égare, ou me guide.

ACTE TROISIEME.

SCÈNE II.

ADELAÏDE.

Juste ciel ! quel regard et quel accueil glacé !

NEMOURS.

Vous prenez trop de soin de mon destin funeste. Que vous importe, ô Dieu ! ce déplorable reste De ces jours conserves par le ciel en courroux. De ces jours détestes qui ne sont plus à vous ?

ADÉLAÏDE.

Qui ne sont plus poiu’ moi ! Nemours, pouvez-vous croire…

NEMOURS.

J’ai trop vécu pour vous, trop vécu pour ma gloire. Mes yeux qui se fermaient se rouvrent-ils au jour Pour voir trahir mon roi, la France, et mon amour ? Grand Dieu ! qui m’as rendu ma chère Adélaïde, Me la rends-tu sans foi, me la rends-tu perfide ? Instruite en l’art affreux des infidélités, Après tant de serments…

ADÉLAÏDE

Non, Nemours, arrêtez. Je vous pardonne, hélas ! cette fureur extrême. Tout, jusqu’à vos soupçons ; jugez si je vous aime !

XEMOL’RS.

Et je suis son vainqueur, étant aimé de vous. Mais qui peut enhardir sa superbe espérance ? Qui de ses vœux ardents nourrit la confiance ? Comment à cet I13 men se peut-il préparer ? Qu’avcz-vous répondu ? qu’ose t-il espérer ?

Théâtre. II. 10 446 VARIANTES D’ADÉLAÏDE DU GUESCLIN.

AI) EL AÏ HE.

Prince, j’ai rcnformé dans le fond de mon âme Le secret de ma vie et celui de ma nanime. Tremblante, j’ai parlé de la constante foi Que le sang de Gucsclin doit garder à son roi. Mais, hélas ! cette foi, plus tendre et plus sacrée, Que je dois îi vos feux, que je vous ai jurée, Qui de tous mes devoirs est le plus précieux, Voilà ce que je crains qui n’éclate à ses yeux.

SCENE III.

V E N n Ô M E.

Et par un prompt aveu, qui m’eût guéri sans doute,

M’épargner les affronts que ma bonté me coûte.

Vous avez attendu que ce cœur désolé

Eût tout quitté pour vous, vous eût tout immolé.

Vous vouliez à loisir consommer mon outrage ;

Jouir de mon opprobre et de mon esclavage ;

Appesantir mes fers quand vous les dédaignez,

Et déchirer en paix un cœur où vous régnez.

Mes maux vous ont instruit du pouvoir de vos charmes ;

Votre orgueil s’est nourri du tribut de mes larmes.

Je n’en suis point surpris ; et ces séductions

Qui vont au fond des cœurs chercher nos passions,

Tous ces pièges secrets, tendus à nos faiblesses.

L’art de nous captiver, d’engager sans promesses.

Sont les armes d’un sexe aussi trompeur que vain.

ADÉLAÏDE.

Je vous en fais l’aveu, je m’y vois condamnée.

Mais je mériterais la haine et le mépris

Du héros dont mon cœur en secret est épris.

Si jamais d’un coup d’œil l’indigno complaisance

Avait à votre amour laissé quelque espérance.

Vous le savez, seigneur, et malgré ce courroux,

Votre estime est encor ce que j’attends de vous.

Trop tôt pour tous les trois, vous apprendrez peut-être

Quel héros de mon cœur en effet est le maître.

De quel feu vertueux nos cœurs sont embrasés,

Et vous m’en punirez alors, si vous l’osez.

SCENE IV.

VENDOME, NEMOURS.

VENDÔME.

Elle me fuit, l’ingrate ! elle emporte ma vie honte qui m’accable ! ô ma bonté trahie ! VARIANTES D’ADÉLAÏDE DU GUESCLIN. 147

Rappclcz-Ia, mon frère, apaisez son courroux ; Je prétends lui parler, soyez juge entre nous. Mes discours imprudents l’ont sans doute offcnsce ; FIcchissez-la pour moi.

NEMouns. Quelle est votre pensée ? Parlez, que voulez-vous ?

V K N I » Ô M E.

Qui, moi ! ce que je veux ! Je veux… je dois briser ce joug impérieux. Je prétends qu’elle parte, et qu’une fuite prompte Emporte mon amour et m’arrache à ma honte. Qu’elle étale à la cour ses charmes dangereux, Qu’elle me laisse.

N E M u n s. VA\ bien ! votre cœur généreux Écoute son devoir, et cède h la justice : Je lui vais annoncer ce juste sacrifice. Sans doute (jue son cœur, sensible à vos bontés, Se souviendra toujours…

V E IV D ô M E.

Non, Nemours, arrêtez. Je n’y puis consentir ; Nemours, qu’elle demeure. Je sens qu’en la perdant il faudrait que je meure. Eh quoi ! vous rougissez des contrariétés Dont le flux orageux trouble mes volontés ! Vous en ctonnez-vous ? Je perds tout ce que j’aime. Je me hais, je me crains, je me combats moi-même. Mon frère, si l’amour a jamais eu vos soins. Si vous avez aimé, vous m’excusez du moins,

NEMOURS.

Mon frère, de l’amour j’ai trop senti les charmes : J’éprouvai, comme vous, ses cruelles alarmes : J’ai combattu longtemps, j’ai cédé sous ses coups. Et je me crois peut-être à plaindre autant que vous.

VENDÔME.

Vous, mon frère ?

NEMOURS.

Après tout, puisqu’il est impossible Que jamais à vos feux son cœur soit accessible, Écoutez votre gloire et vos premiers desseins. Raffermissez un trône ébranlé par vos mains ; Empêchez que l’Anglais n’opprime et ne partage De nos rois, nos aïeux, le sanglant héritage ; Et que, par les Bourbons tout l’État soutenu…

V E N D ô M E.

Adélaïde, hélas ! aurait tout obtenu.

Je cédais à l’ingrate une entière victoire.

Mon frùre, vous m’aimez, du moins j’aime à le croire :

Vous avez, il est vrai, combattu contre moi ;

Telle était, dites-vous, la volonté du roi.

Telle était sa fureur, et vous l’avez servie ;

Je vous Tai pardonné, pour jamais je l’oublie.

Dans ces lieux, s’il le faut, partagez mon pouvoir ; 148 VARIANÏKS DADKLAIDE DU GUESCLIN.

Mais si mon infortune a pu vous émouvoir,

Si vous iilaijîiicz ma peine, apprencz-nioi, mon frère,

Quel est l’iieureux amant qu’à Veiulùmc on ])réfère.

Ne connaîtrai-je point l’objet de mon courroux ?

Porterai-je au iuisard ma vengeance et mes coups ?

Ne soupçonnez-vous point à qui je dois ma rage ?

Vous connaissez la cour, ses mœurs, et son langage ;

Vous savez que sur nous, sur nos secrets amours,

Des oisifs courtisans les yeux veillent toujours.

Qui nommc-t-on ? Du moins, qui pense-t-on qu’elle aime ?

NEMOURS,

Eh ! do quels nouveaux traits vous percez-vous vous-même ! De quelque heureux ohjet dont son cœur soit charmé, Ne vous suffit-il pas qu’un autre en soit aimé ?

VENDOME.

Quel plaisir vous sentez, cruel, à me le dire !

Je ne suis point aimé ! quoi ! lâche, je soupire !

Mais, encore une fois, qui puis-je soupçonner ?

Aidez ma jalousie à se déterminer.

Je ne suis point aimé ! Malheur à qui peut l’être !

Malheur à l’ennemi que je pourrai connaître !

J’ai soupçonné Coucy : sa fausse probité

Peut-être se jouait de ma crédulité.

A tout ce que je dis vous détournez la vue ;

L’ingrate, je le sais, vous était inconnue ;

Vous n’avez vu qu’ici ses funestes appas,

Et ma tendre amitié ne vous soupçonne pas.

Peut-être qu’elle aura, pour combler mon injure.

Choisi mon ennemi dans une foule obscure.

Dans son abaissement elle a mis son honneur ;

Sa fierté s’applaudit de braver ma grandeur.

Et de sacrifier au rang le plus vulgaire

Tout l’orgueil de mon rang, oublié pour lui plaire.

NEMOURS.

Pourquoi d’un choix indigne osez-vous l’accuser ?

VENDÔME.

Ah ! pourquoi dans mon cœur osez-vous l’excuser ? Quoi ! toujours de vos mains déchirer ma lilessure ! Allez, je vous croirais l’auteur de mon injure Si… Mais est-il bien vrai, n’aviez-vous vu jamais Cet objet dangereux que j’aime et que je hais ? Est-il vrai ?… Pardonnez ma jalouse furie.

NEMOURS.

Au nom de la nature et du sang cjui nous lie. Mon frère, permettez que, dès ce même jour. Pour vous unir au roi je revoie à la cour : Ces soins détourneront le soin qui vous dévore.

VENDÔME.

Non, périsse plutôt cette cour que j’abhorre ! Périsse l’univers dont mon cœur est jaloux !

NEMOURS.

Eh bien ! oii courez-vous, mon frère ?

VENDÔME.

Loin de vous,

I VARIANTES DAlJÉLAÏbE DU GUESCLIX. 149

Loin de tous les témoins des affronts que j’endure. Laissez-moi me caciier à toute la nature ; Laissez-moi…

SCÈNE V.

N E M u n s.

Que veut-il ? que ! serait son dessein Ses yeux fermes sur nous s’ouvriraiont-ils enfin ? Allons, n’attendons pas que son inquiétude De ses premiers soupçons passe à la certitude : Arrachons ce que j’aime à ses transports affreux, Dussions-nous pour jamais nous en priver tous deux. Guerre civile, amour, attentats nécessaires, Hélas ! à quel état réduisez-vous deux frères !

ACTE QUATRIEME.

SCENE I.

ADÉLAÏDE, TAÏSE.

ADÉLAÏDE.

Eh bien ! c’en est donc fait, ma fuite est assurée ?

TAÏSE.

Votre lieureuse retraite est déjà préparée.

ADÉLAÏDE.

Déjà quitter Nemours !

TAÏSE.

Vous partez cette nuit,

ADÉLAÏDE.

’ Ma gloire me l’ordonne, et l’amour me conduit. Je fuis d’un furieux l’empressement farouche ; Moi-même je me fuis, je tremble que ma bouche, Mon silence, mes yeux, ne vinssent à trahir Un secret que mon cœur ne peut plus contenir. Alors je reverrai le parti le plus juste. J’implorerai l’appui de ce monarque auguste, D’un roi qui, comme moi par le sort combattu, Dans les calamités épura sa vertu. Enfin Nemours le veut, ce mot seul doit suffire : Ma faible volonté fléchit sous son empire ; Il le veut. Ah ! Taïse !… ah ! trop fatal amour ! Combien de changements, que de maux en un jour ! 450 VARIANTES D’ADÉLAÏDE DU GUESCLIN.

Mon amant expirait, et quand la dostince Conserve cette vie à la niienno enciiaînce, Quand mon cœur loin de moi vole pour le chercher, Quand je le vois, lui parle, il faut m’en arracher.

SCENE II. NEMOURS, ADÉLAÏDE, DANGESTE.

NEMOURS.

Oui, je viens vous presser de comhlcr ma misère, D’accahler votre amant d’un malheur nécessaire, De me priver de vous ; au nom de nos liens, Au nom de tant d’amour, de vos pleurs, et des miensT Partez, Adélaïde.

ADÉ LAÏDE.

Il faut que je vous quitte ?

\ E M O U R s.

Il le faut.

ADÉLAÏDE.

Ah ! Nemours…

NEMOURS.

De cette heureuse fuite, Dans l’ombre de la nuit, cet ami prendra soin ; Ceux qu’il a su gagner vous conduiront plus loin.

  • De la Flandre à sa voix on doit ouvrir la porte ;
  • Du roi sous les remparts il trouvera l’escorte ;
  • Le temps presse, évitez un ennemi jaloux.

A DÉLAÏDE.

  • Je vois qu’il faut partir… mais si tôt… et sans vous !

NEMOURS.

"Prisonnier sur ma foi, dans l’horreur qui mo presse

  • Je suis plus enchaîné par ma seule promesse
  • Que si de cet État les tyrans inhumains
  • Des fers les plus pesants avaient chargé mes mains.
  • Au pouvoir de mon frère ici l’honneur me livre.
  • Je poux mourir pour vous, mais je ne peux vous suivre ; .

Et j’ai du moins la gloire, en des malheurs si grands. De sauver vos vertus des mains de vos tyrans.

Allez ; le juste ciel, qui pour nous se déclare,

Prêt à nous réunir, un moment nous sépare.

Demain le roi s’avance et vient venger mes fers.

Aux étendards des lis ces murs seront ouverts ;

Pour lui des citoyens la moitié s’intéresse ;

Leurs bras seconderont sa fidèle noblesse.

Hélas ! si vous m’aimez, dérobez-vous aux traits

De la foudre qui gronde autour de ce palais,

  • Au tumulte, au carnage, au désordre effroyable,
  • Dans des murs pris d’assaut maliicur inévitable ;

Mais craignez encor plus les fureurs d’un jaloux.

Dont les ycu\ alarmés semblent veiller sur nous.

Vendôme est violent, non moins que magnanime,. VARIANTES D’ADÉLAÏDE DU GIJESCLIN. 151

Instruit à la vertu, mais capable du crime : Prévenez sa vengeance, éloignez-vous, partez.

ADÉLAÏDE.

V^ous restez exposé seul à ses cruautés.

NEMOURS.

  • Ne craignant rien pour vous, jn craindrai peu mon frère.

Que dis-jo ? mon appui lui devient nécessaire ;

Son captif aujourd’hui, domain son protecteur. Je saurai de mon roi lui rendre la faveur ; Et fidèle à la fois aux lois de lu nature, Fidèle h vos bontés, à cette ardeur si pure, A ces sacres liens qui m’attachent à vou-i. J’attendrai mon bonheur de m )n frère et de vous.

ADÉLAÏDE.

Je vous crois, j’y consens, j’accepte un tel augure.

Favorisez, ô ciel, une flamme si pure !

Je ne m’en défends plus : mes pas vous sont soumis.

Je l’ai voulu, je pars… cependant je frémis :

  • Je ne sais, mais enfin, la fortune jalouse
  • Ma toujours envié le nom de votre épouse.

NEMOURS.

Ah ! que m’avez-vous dit ? vous doutez de ma foi ! ■ Ne suis-je plus à vous ? n’ôtes-vous plus k moi ? Toutes nos factions et tous les rois ensemble Pourraient-ils affaiblir le nœud qui nous rassemble ? Non ; je suis votre époux. La pompe des autels,

  • Ces voiles, ces flambeaux, ces témoins solennels,

’Inutiles garants d’une foi si sacrée,

  • La rendront plus connue, et non plus assurée.
  • Vous, mânes des Bourbons, princes, rois mes aïeux,
  • Du séjour des héros tournez ici les yeux !
  • J’ajoute à votre gloire en la prenant pour femme.
  • Confirmez mes serments, ma tendresse, et ma flamme ;
  • Adoptez-la pour fille ; et puisse son époux
  • Se montrer à jamais digne d’elle et de vous !

ADÉLAÏDE.

Tous mes vœux sont comblés ; mes sincères tendresses Sont loin de soupçonner la foi de vos promesses ; Je n’ai craint que le sort qui va nous séparer. Mais je ne le crains plus, j’ose tout espérer ;

  • Rempli de vos bontés, mon cœur n’a plus d’alarmes.
  • Cher amant, cher époux…

NEMOURS.

Quoi ! vous versez des larmes ; C’est trop tarder, adieu. Ciel ! quel tumulte affreux !

SCÈNE III. VENDOME, GARDES, ADÉLAÏDE, NEMOURS.

VENDÔME.

  • Je l’entends, c’est lui-même… arrête, malheureux ! <52 VARIANTES DADKLAIDE DU GUESCLIN.
  • Làclie qui me trahis, hicho rival, arrùtc !

N K M O II n s. Ton frère est sans défense, il t’olTrc ici sa tùte. Frappe.

ADÉLAÏDE.

C’est votre frère… ah ! prince ! pouvez-vous…

VKNDÙM E.

Perfide ! il vous sied bien de fléchir mon courroux… Vous-même, frémissez… Soldats, qu’on le saisisse !

N E M o u n s. Va, tu peux te venger an gré de ton caprice ; Ordonne, tu peux tout, hors ni’inspirer l’efifroi. Mais apprends tous nos maux : écoute, et connais-moi. Oui, je suis ton rival ; et depuis deux années Le plus secret amour unit nos destinées.

  • C’est toi, dont les fureurs ont voulu m’arracher
  • Le seul bien sur la terre où j’ai pu m’attacher.
  • Tu fais depuis trois mois les horreurs de ma vie :
  • Les maux que j’éprouvais passaient ta jalousie.

Juge de mes transports par tes égarements ; J’ai voulu dérober à tes emportements,

A l’amour effréné dont tu las poursuivie, Celle qui te déteste et que tu m’as ravie. C’est pour te Tarracher que je t’ai combattu ;

  • J’ai fait taire le sang, peut-être la vertu ;

Malheureux, aveuglé, jaloux, comme toi-même. J’ai tout fait, tout tenté, pour t’ôter ce que j’aime. Je ne te dirai point que, sans ce même amour, J’aurais pour te servir voulu perdre le jour ;

Que si tu succombais à tes destins contraires. Tu trouverais en moi le plus tendre des frères ; Que Nemours, qui t’aimait, aurait quitté pour toi Tout dans le monde entier, tout, hors elle et mon roi. Je ne veux point en lâche a])aisor ta vengeance. Je suis ton ennemi, je suis en ta puissance, "L’amour fut dans mon cœur plus fort que l’amitié,

  • Sois cruel comme moi, punis-moi sans pitié.

’Aussi bien tu ne peux t’assurer ta conquête, Tu ne peux l’épouser qu’aux dépens de ma tête

  • A la face des cieux je lui donne ma foi ;

•Je te fais de nos vœux le témoin, malgré toi. ’ Frappe, et qu’après ce coup, ta cruauté jalouse ’Traîne au pied des autels ta sœur et mon épouse. "Frappe, dis-je : oses-tu ?

VENDÔME.

Traître !… c’en est assez : " Qu’on me l’ôte des yeux ; soldats, obéissez.

ADÉLAÏDE.

"Non, demeurez, cruels ! Ah ! prince, est-il possible "Que la nature en vous trouve une âme inflexible ? (A Vendôme.) Nemours… Frère inhumain, pouvez-vous oublier…

NEMOL’nS, à Adélaïde.

Vous êtes mon épouse, et daignez le prier ! VARIANTES D’ADÉLAÏDE DU GUESCLIN. l’i :)

(A Vendôme. )

  • Va, je suis dans ces lieux plus puissant que toi-même ;
  • Je suis vengé do toi : l’on te hait, et l’on m’aime.

ADÉLAÏDE.

(A Nemours.) (A Vendôme.)

  • A.h ! cher prince !… Ah ! seigneur ! voyez à vos genoux…

\ E N I) M E. (Aux gardes.) (A Adélaïde.)

"Qu’on m’en réponde, allez. Madame, levez-vous ; Je suis assez instruit du soin qui vous engage. Je n’en demande point un nouveau témoignage. Vos pleurs auprès de moi sont d’un puissant secours ; Allez, rentrez, madame.

ADÉLAÏDE.

O ciel, sauvez Nemours !

SCÈNE IV.

VENDÔME.

Sur qui faut-il d’ahord que ma vengeance éclate ?

Que je te vais punir !… Adélaïde !… ingrate.

Qui joins la haine au crime, et la fourbe aux rigueurs.

Eh quoi ! je te déteste, et verse encor des pleurs !

Quoi ! même en m’irritant tu m’attendris encore,

Tu déchires mon àme, et ma fureur t’adore !

Frère indigne du jour, tu m’as seul outragé.

Et mon bras dans ton sang n’est point encor plonge !

Ainsi donc ma bonté, ma flamme était trahie. Par qui ? par des ingrats dont j’ai sauvé la vie ! Par un frère ! ah, perlide ! ah, déplaisir mortel ! Qui des deux dans mon cœur est le plus criminel ?

Qu’il meure ; vengcnns-nous : c’est lui, c’est le perfide, Dont les mains m’ont frayé la route au parricide. Et toi, le prix du crime, et que j’aimais en vain. Je cours te retrouver, mais sa tête à la main.

SCENE V. VENDOME, COUCY.

COUCY.

Que votre vertu, prince, ici se renouvelle : Recevez de ma bouche une triste nouvelle : Apprenez…

V E.\ D ô M E.

Je sais tout : je sais qu’on me trahit. Nemou ?:, fagrat, le traître ! 154 VARIANTES DADKLAIDE DU GUESCLIN.

COUCY.

Eh quoi ! qui vous a dit ? .,

VENDÔME.

Avec quel artifice, avec quelle luissesse,

Ils ont trompe tous deux ma crédule tendresse !

Cruelle Adélaïde !

COUCY.

Ah ! qu’entends-je à mon tour ? Je vous parle de guerre, et vous parlez d’amour ? Votre sort se décide, et vous brûlez encore ? Le roi sous ces remparts arrive avec l’aurore ; La force et l’artifice ont uni leurs efforts ; Le trouble est au dedans, le péril au dehors. Je vois des citoyens la constance ébranlée ; Leur âme vers le roi semble être rappelée ; Soit qu’enfin le malheur et le nom de ce roi Dans leurs cœurs fatigués retrouve un peu de foi, Soit que plutôt Nemours, en faveur de son maître, Ait préparé ce feu qui commence à paraître.

VENDÔME.

Nemours ! de tous côtés le perfide me nuit. Partout il m’a trompé, partout il me poursuit. Mon frère !

COUCY.

Il n’a rien fait que votre heureuse audace

N’eût tenté dans la guerre, et n’eût fait à sa place.

Mais, quoi qu’il ait osé, quels que soient ses desseins.

Songez à vous, seigneur, et faites vos destins.

Vous pouvez conjurer ou braver la tempête ;

Quoi que vous ordonniez, ma main est toute prête.

Commandez : voulez-vous, par un secret traité, ’Apaiser avec gloire un monarque irrité ?

Je me rends dans son camp, je lui parle, et j’espère ’Signer en votre nom cette paix salutaire.

Voulez- vous sur ces murs attendre son courroux ?

Je revole à la brèche, et j’y meurs près de vous.

Prononcez : mais surtout, songez que le temps presse.

VENDÔME.

Oui, je me fie à vous, et j’ai votre promesse

Que vous immolerez à mon amour trahi

Le rival insolent pour qui j’étais haï.

Allez venger ma flamme, allez servir ma haine.

Le lâche est découvert, on l’arrête, on l’entraîne ;

Je le mets dans vos mains, et vous m’en répondez.

Conduisez-le à la tour où vous seul commandez :

Là, sans perdre de temps, qu’on frappe ma victime ;

Dans son indigne sang lavez son double crime.

On l’aime, il est coupable, il faut qu’il meui-e ; et moi.

Je vais chercher la mort, ou la donner au roi.

COUCY.

L’arrêt est-il porté ?… Ferme en votre colère. Voulez-vous en effet la mort de votre frère ?

VENDÔME.

Si je la veux, grand Dieu ! s’il la sut mériter ! NAKIA.NTKS I) À DKLA IDK DU GUESCLIX. ’\’y’-\

Si ma vengeance est juste ! en pouvez-vous douter ?

COUCY.

  • Et vous mo chargez, moi, du soin do son supplice I

VENDOMK.

Oui, j’attendais de vous une prompte justice ;

Mais je n’en veux plus rien puisque vous hésitez :

Vos froideurs sont un crime à mes vœux irrites.

J’attendais plus de zèle, et veux moins de prudence ;

Va qui doit me venger me trahit s’il halance. "Je suis bien mallioureux, bien digne de pitié ! "Trahi dans mon amour, trahi dans l’amitié ! "Ah ! trop heureux dauphin, que je te porto envie !,

"Ton amitié du moins n’a pas été trahie ; " Et Tanguy du Cliatel, quand tu fus offensé, "T’a servi sans scrupule, et n’a pas balancé. "Allez, Vendôme encor, dans le soit qui le presse, "Trouvera des amis qui tiendront leur promesse ; "D’autres me vengeront, et n’allégueront pas " Une fausse vertu, l’excuse des ingrats.

COUCY.

Non, prince, je me rends, et, soit crime ou justice, "Vous ne vous plaindrez pas que Coucy vous traitasse. "Je ne souffrirai pas que d’un autre que moi, "Dans de pareils moments, vous éprouviez la foi ; ’ Et vous reconnaîtrez, au succès de mon zèle,

  • Si Coucy vous aimait, et s’il vous fut fidèle.

VENDÔME.

Ah ! je vous reconnais : vengez-moi, vengez-vous. Perdez un ennemi qui nous trahissait tous. "Qu’à l’instant de sa mort, h mon impatience,

  • Le canon dos remparts annonce ma vengeance.

Courez : j’irai moi-même annoncer son trépas À l’odieux objet dont j’aimai les appas.

Volez : que vois-je ? arrête. Hélas ! c’est elle encore.

SCÈNE VI. VENDOME, COUCY, ADÉLAÏDE.

ADÉLAÏDE.

Écoutez-moi, Coucy ; c’est vous seul que j’implore.

VENDÔME, à Coucy. Non, fuis, ne l’entends pas, ou tu vas me trahir ; Fuis… mais attends mon ordre avant do me servir.

ADÉLAÏDE, à Coucy. Quel est cet ordre affreux ? cruel ! qu’allez-vous faire ?

COUCY.

Croyez-moi, c’est à vous de fléchir sa colère ; Vous pouvez tout. 456

VARIANTES D’ADÉLAÏDE DU GUESCLIN.

SCÈNE Vil

VENDOME, ADÉLAÏDE.

ADÉLAÏDE.

Cruol ! pardonnez h l’ciTroi Qui me ramène à vous, qui j)arle malgré moi. Je n’en suis pas maîtresse : cplorée et confuse, Ce n’est pas que d’un crime, liélas ! je vous accuse. Non, vous ne serez point, seigneur, assez cruel Pour tremper votre main dans le sang fraternel. Je le crains cependant : vous voyez mes alarmes : Ayez pitié d’un frère, et regardez mes larmes. Vous baissez devant moi ce visage interdit ! Ah ciel ! sur votre front son trépas est écrit ! Auriez-vous résolu ce meurtre abominable ?

VENDÔME.

Oui, tout est préparé pour la mort du coupable.

ADÉLAÏDE.

Quoi ! sa mort !

VENDÔME.

Vous pouvez disposer de ses jours : Sauvez-le, sauvez-moi…

ADÉLAÏDE.

Je sauverais Nemours ! Ah ! parlez, j’obéis : parlez, que faut-il faire ?

VENDÔME.

Je ne puis vous liaïr, et, malgré ma colère. Je sens que vous régnez dans ce cœur ulcéré, Par vous toujours vaincu, toujours désespéré. Je brûle encor pour vous, cruelle que vous êtes. Écoutez : mes fureurs vont être satisfaites, Et votre ordre à l’instant suspend le coup mortel. ’ Voilà ma main : venez, sa grâce est à l’autel.

ADÉLAÏDE.

Moi, seigneur !

VENDÔME.

11 mourra.

ADÉLAÏDE.

Moi, que je le trahisse !

’Arrêtez…

Répondez.

VENDOME. ADÉLAÏDE.

Je ne puis.

VENDÔME.

Qu’il périsse !

ADELAÏDE.

Arrêtez…. Je consens.

Achevez.

VENDOME.

Un mot fait nos destins ; VARIANTES D’ADÉLAÏDE DU GUESCLIN. 137

A DÉ L Ail) K.

Je consens… de périr par vos mains. Rien ne vous lie à moi, je vous suis étrangère : Baignoz-vous dans mon sang, mais sauvez votre frère ; Ce frère on son enfance avec vous élevé. Qu’au péril de vos jours vous eussiez conservé, Que vous aimiez, hélas ! qui sans doute vous aime. Que dis-je ? on ce moment n’en croyez c|ue vous-même : Rentrez dans votre cœur, examinez le.s traits Que la main du devoir y grava pour jamais. Regardez-y Nemours… voyez s’il est possible Qu’on garde à ce héros un courroux inflexible. Si l’on peut le haïr…

VENDÔME.

Ah ! c’est trop me braver : Et c’est trop me forcer moi-même à m’en priver. Votre amour le condamne, et ce dernier outrage A redoublé son crime, et ma honte, et ma rage. Je vais…

ADÉLAÏDE.

Au nom du Dieu que nous adorons tous. Seigneur, écoutez-moi…

SCÈNE VIII.

VENDOME, ADÉLAÏDE, un officier.

l’officier.

Seigneur, songez à vous. De lâches citoyens une foule ennemie, Par vos périls nouveaux contre vous enhardie, Lève enfin dans ces murs un front séditieux. La trahison éclate, elle marche en ces lieux ; Ils s’assemblent en foule, ils veulent reconnaître Et Nemours pour leur chef, et Charles pour leur niaitre. Au pied de la tour même ils demandent Nemours.

VENDÔME.

Il leur sera rendu, c’en est fait ; et j’y cours. Il vous faut donc, cruelle, immoler vos victimes, Et je vais commencer votre ouvrage et mes crimes.

SCÈNE IX. ADÉLAÏDE, TAISE.

ADELAÏDE.

Ah, barbare ! ah, tyran ! que faire, où recourir ?

tQuel secours implorer ? Nemours, tu vas périr !

On me retient : on craint la douleur qui m’enflamme. 158 VARIANTES D’ADÉLAÏDE DU GUESCLIN.

(Aux soldats.) Cruels, si la pitié peut entrer dans votre àmc, Allez chercher Coucy, courez sans différer ; Allez, que je lui parle avant que d’expirer.

TAÏSE.

Hélas ! et de Coucy que pouvez-vous attendre ?

ADÉLAÏDE.

Puisqu’il a vu Nemours, il le saura défendre. Je sais quel est Coucy, son cœur est vertueux, Le crime s’épouvante, et fuit devant ses yeux ; 11 ne permettra pas cotte horrible injustice.

TAÎSK.

Khi qui sait si lui-même il n’en est point complice ? Vous voyez qu’à Vendôme il veut tout immoler ; Sa froide politique a craint de vous parler. 11 soupira pour vous, et sa flamme outragée Par les crimes d’un autre aime à se voir vengée.

ADÉLAÏDE.

Quoi ! do tous les côtés on me perce le cœur ! Quoi ! chez tous les humains l’amour devient fureur ! Cher Nemours, cher amant, ma bouclie trop fidèle Vient donc de prononcer ta sentence mortelle !

(Aux gardes.) Eh Lien ! souffrez du moins que ma timide voix S’adresse à votre maître une seconde fois. Que je lui parle.

TAÏSE.

Eh quoi ! votre main se prépare A s’unir aux autels h la main d’un barbare ! Pourriez-vous ?…

ADÉLAÏDE.

Je peux tout dans cet affreux moment, Et je saurai sauver ma gloire et mon amant.

ACTE CINQUIÈME.

SCÈNE I.

VENDOME, SUITE.

VENDÔME.

Eh bien ! leur troupe indigne est-elle terrassée ?

UN OFFICIER.

’Seigneur, ils vous ont vu : leur foule est dispersée. VARIANTKS D’ADÉLAÏDE DU GUESCLIN. lo9

VENDU M E.

■ Ce soldat qu’en secret vous m’avez amené, " Va-t-il exécuter l’ordre que j’ai donné ?

L’OKFICIEn.

Vers la tour, à grands pas, vous voyez qu’il s’avance. v E \ D 6 M E. ’Je vais donc à la (in jouir de ma vengeance ! ’ Allez, qu’on se prépare à des périls nouveaux ;

Que sur nos murs sanglants on porte nos drapeaux.

Hàtez-vous, déijloycz l’appareil de la guerre ;

Qu’on allume ces feux renfermés sous la terre ;

Que l’on vole à la brèche ; et s’il nous faut périr, " Vous recevrez de moi l’exemple de mourir. (Il roste seul.) "Le sang, l’indigne sang qu’a demandé ma rage,

  • Sera du moins pour moi le signal du carnage.

Vainement à Coucy je m’étais conllé

Ai-je pu m’en remettre à sa faible amitié,

A son esprit tranquille, i\ sa vertu sauvage.

Qui ne sait ni sentir, ni venger mon outrage ? ’ Un bras vulgaire et sûr va punir mon rival.

Et cette même main va chercher dans son flanc

La moitié de moi-même, et le sang de mon sang.

Autour de moi, grand Dieu ! que j’ai creusé d’abîmes !

Que l’amour m’a changé, qu’il me coûte de crimes !

Remords toujours puissants, toujours en vain bannis,

Je voulais me venger, c’est moi que je punis.

Funeste passion dont la fureur m’égare ! ’Non, je n’étais pas né pour devenir barbare. ’Je sens combien le crime est un fardeau cruel.

SCENE III.

VENDOME, ADÉLAÏDE.

VENDOME.

" Oui, j’ai tué mon frère, et Tai tué pour vous.

Sans vous je l’eusse aimé ; sans ma funeste flamme,

La nature et le sang triomphaient dans mon âme.

Je n’ai pris qu’en vos yeux le malheureux poison

Qui m’ôta l’innocence, ainsi que la raison.

Vengez sur ce barbare, indigne de vous plaire, ■ Tous les crimes affreux que vous m’avez fait faire.

ADÉLAÏDE.

’Nemours est mort !… Nemours !

VENDÔME.

Oui, mais c’est de ta main

  • Que son sang veut ici le sang de l’assassin. 1t)0 VARIANTES D’ADKLAîDl’DU GUESCLIN.

ADÉLAÏDE.

Otc-toi do ma vue…

VENDÔME.

Achève ta vengeance : Ma mort doit la liuir, mon remords la commence.

ADÉLAÏDE.

Va, porte aillenr.s ton crime et ton vain désespoir, Et laisse-moi mourir sans l’horreur de te voir.

VENDOME.

Cette horreur est trop juste, elle m’est trop bien due ;

Je vais te délivrer de ma funeste vue ;

Je vais, plein d’un amour qui, même en ce moment,

Est de tous mes forfaits le plus grand cliàtiment.

Je vais môler ce sang qu’Adélaïde ahhorrc,

Au sang que j’ai verse, mais qui m’est cher encore.

ADÉLAÏDE.

Nemours n’est idus ! arrête, exécrable assassin ! Réunis deux amants : tu me retiens en vain ; Monstre, que cette épce…

VEADÔME.

Eii bien ! Adélaïde, "Prends ce fer, arme-toi., mais contre un parricide :

  • Je ne méritais pas de mourir de tes coups…
  • Que ma main les conduise…

SCÈNE IV. VENDOME, ADÉLAÏDE, COUCY.

VENDÔME.

Hélas ! je te l’avoue, oui, dans ma frénésie. Moi-même à mon rival j’eusse arraché la vie. Je n’étais plus à moi ; ce délire odieux Précipitait ma rage, et m’aveuglait les yeux.

  • L’amour, le fol amour, de mes sens toujours maître,

’En m’ôtant la raison, m’eût excusé peut-être.

  • Mais toi, dont la sagesse et les réflexions
  • Ont calmé dans ton sein toutes les passions ;
  • Toi, dont j’ai craint cent fois l’esprit ferme et rigide,
  • Avec tranquillité commettre un parricide !

ADÉLAÏDE.

Barbare !

coLey. Ainsi l’horreur et l’exécration. Qui suivent de si près cette indigne action, D’un repentir utile ont pénétré votre âme ; Et malgré tout l’excès de votre injuste flamme,

  • Au prix de votre sang vous voudriez sauver
  • Ce sang dont vos fureurs ont voulu vous priver ? VAIUAXTES DADKLAÏDE DU GUKSCLIX. 161

\ i : \i)ôM K. Plût au ciel ùtre mort avant ce coup funeste !

ADÉLAÏDE.

Ah ! cessez des regrets que ma douleur déteste : Tournez sur moi vos mains, achevez vos fureurs, cote y. (A Vendôme j (A Adélaide, ’)

Conservez vos remoi’ds ; et vous, séchez vos pleurs.

VKNDÙAIK.

Coucy, que dites-vous ?

ADÉLAÏDK.

Quel honlieur, quel mystère ?… COI’CY, en faisant avancer Nemours- ’ Venez, paraissez, prince, embrassez votre frère.

SCÈNE V.

VIlNDOMI- :, ADKLAÏDl- :, NEMOURS, COUCY.

VliNDÔMi :.

Ah ! mon apjjui, mon père !

c u G Y. Que j’aime à voir en vous cette douleur sincère 1

VENDOME.

Nemours… mon frère… hélas ! mon crime est devant moi Mes yeux n’osent encor se rctoui’ner vers toi : Do quoi œil revois-tu ce monstre parricide ?

\ K M G U n s. Je suis entre tes mains avec Adélaïde. Nos cœurs to sont connus ; et tu vas décider Do quel œil désormais je te dois regarder.

ADÉLAÏDE.

J’ai vu vos sentiments si purs, si magnanimes.

\ KNDÔME.

J’étais né vertueux, vous avez fait mes crimes.

coi CY. Ali ! ne rappelez plus cet affreux souvenir.

^• E M o i n s. ’Quel est donc ton dessein ? parle.

\ KNDOME.

De me punir.

\ i : X D O M E.

  • Ah ! c’est trop me montrer mes maliieurs et ma perte !

Éloignoz-vous plutôt, et fuyez-moi tous deux : Je m’arrache le cœur en vous rendant heureux. De ce cœur malheureux ménagez la blessure ; Ce n’est qu’en frémissant qu’il cède à la nature. Craignez mon repentir, profitez d’un effort Plus douloureux pour moi, plus cruel que la mort.

Théâtre. II. 11 IG2 VARIANTES D’ADKL A i l)K DU GUESCI.IX.

SCÈNE M.

VENDOME, NEMOIJIIS, COUCY, officikr dks gardk :

I, ’ F F I C I F n. ’

Scifjneur, qu’à vos guerriers votre ordre se déclare : Le roi parait, il marche, et l’assaut se prépare.

COUCY.

Eh bien ! seigneur ?

\ E M u n s. Mon frère, h quoi te résous-tu ? N’est-ce donc qu’à demi que ton cœur s’est rendu ? Ta générosité vient de me fjiirc grâce, Ne veux-tu pas souffrir que ton roi te la fasse ? Veux-tu haïr la France, et perdre ton pays. Pour de fiers étrangers qui nous ont tant haïs ? Es-tu notre ennemi ? ton maître est à tes portes : Eh bien ?, ..

VENDÔME.

Je suis Français, mon frère, tu l’emportes : Va, mon cœur est vaincu, je me rends tout entier. Je veux oublier tout, et tout sacrifier. ’Trop fortunés époux, oui, mon âme attendrie, etc.

FIN DES VARIANTES D ADELAÏDE DU GUESCLIN.

  1. On se rappelle ces vers de Voltaire :

    Lefranc de Pompignan dit à tout l’univers
    Que le roi lit sa prose et même encor ses vers.

    Voyez la satire intitulée : Le Russe à Paris. (B.)