Le Petit Journal/11307
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DIMANCHE 10 DÉCEMBRE 1893
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Un attentat anarchiste, dont la nouvelle provoquera dans le pays entier un mouvement l’indignation, a été commis hier à la Chambre des députés.
Au moment où la Chambre des députés s’occupait de l’élection de M. Mirman, à quatre heures dix, une formidable détonation a tout à coup retenti, pendant qu’un épais nuage de fumée se répandait dans la salle des séances. Une bombe venait d’éclater.
Aussitôt une rumeur d’épouvante s’élevait et de toutes parts le public des tribunes s’enfuyait affolé, encombrait en une cohue inexprimable tous les couloirs du palais.
Quand la première émotion fut un peu calmée, on se porta au secours des blessés. Plusieurs députés dont on trouvera les noms plus loin avaient été atteints par les éclats du projectile.
Dans les tribunes des spectateurs une soixantaine d’assistants avaient été également blessés.
La questure, après l’explosion, avait donné l’ordre de fermer les portes du Palais-Bourdon, afin d’empêcher la fuite de l’auteur de ce criminel attentat. Les blessés, conduits dans le cabinet médical et dans les locaux des bureaux, ont été pansés immédiatement.
Pendant qu’on le secourait M. Roulier, procureur général, qui avait été prévenu, venait à la Chambre procéder à la première enquête.
M. Roulier, en pénétrant dans la salle des séances, constata qu’elle avait été littéralement criblée par les éclats de l’engin.
Au moment où se produisit l’attentat que nous racontons plus haut quelques députés quittent leurs bancs et se précipitent vers les couloirs de sortie, mais l’immense majorité, on peut presque dire l’unanimité des membres de la Chambre restent à leurs places.
Dans les tribunes du second rang à droite la panique est à son comble, le public se bouscule cherchant une issue et renversant les huissiers qui essaient vainement de barrer le chemin.
Dans la salle, à travers la fumée, on voit le président, M. Dupuy, debout, très calme, très digne, donnant l’exemple du sang-froid qu’il recommande de la voix et du geste, en engageant ses collègues à demeurer à leurs places.
Au milieu du silence qui se rétablit presque instantanément, on entend M. Dupuy disant :
Messieurs, la séance continue. (Vifs applaudissements sur tous les bancs.) Il est de la dignité de la Chambre et de la République que de pareils attentats, d’où qu’ils viennent et dont, d’ailleurs, nous ne connaissons pas la cause, ne troublent pas des législateurs. (Applaudissements prolongés.)
Lorsque la délibération sera terminée, le bureau se réunira et prendra, avec toute la réflexion et le sang-froid qu’il convient en pareille circonstance, les mesures nécessaires.
Les personnes qui ont été atteintes reçoivent tous les moins que comporte leur état. Quant à nous, restons en séance, fidèles à notre devoir. (Vifs applaudissements).
Toute la salle, le public des tribunes et les journalistes, oubliant pour la circonstance le règlement, applaudissant à tout rompre et à plusieurs reprises le président debout, la main sur la sonnette, au milieu d’un nuage de fumée, nuage qui n’était pas dissipé encore que M. de Montfort montait à la tribune et, reprenant la discussion, combattait pied à pied la thèse juridique de M. Mirman, ce qui n’empêche pas le jeune député de la Marne d’être validé, après une réplique de M. Hubbard, rapporteur, qui demandait cette validation, au nom du bureau.
M. Casimir-Perier monte alors à la tribune. Un vif mouvement d’attention se fait.
M. Casimir-Perier, président du conseil. -- La Chambre comprendra avec quel sentiment de tristesse je monte en ce moment à la tribune. Je la remercie, je la félicite d’avoir écouté la voix de son président et d’avoir poursuivi avec calme et dignité sa délibération.
C’est pour ne pas la troubler que je ne suis pas monté plus tôt à la tribune.
La Chambre a fait son devoir, le Gouvernement fera le sien. (Applaudissements.) Il est responsable de l’ordre public et il ne faillira pas à son devoir. (Nouveaux applaudissements.)
Il y a dans ce pays des lois qui protègent la société ; elles sont confiées à notre garde, nous les appliquerons (Vifs applaudissements.) M. Dupuy, président. -- En votre nom, votre président s’associe aux paroles qui viennent d’être prononcées par le chef du Gouvernement.
Quand la séance sera levée, le président -- En votre nom, nom président s’associe aux paroles qui viennent d’être prononcées par le chef du Gouvernement. Quand la séance sera levée, le président, accompagné du bureau, portera aux blessés de cet odieux attentat les sentiments de sympathie de la Chambre tout entière. (Applaudissements).
Dans un pareil moment, il n’y a qu’un sentiment, c’est un sentiment d’émotion et de pitié unanime ; votre bureau se réserve de prendre les mesures d’ordre et de sécurité qui lui incombent.
Après ces paroles qui sot couvertes d’applaudissements le président fait connaître le résultat du scrutin pour la nomination d’un membre de la commission du contrôle de la circulation monétaire. C’est M. Bourgeois (du Jura) qui est élu par 242 voix.
La Chambre fixe son ordre du jour de lundi prochain et se sépare à cinq heures avec le calme dont elle ne s’était pas départie pendant toute la durée du débat qui a suivi l’attentat.
À cinq heures dix, M. Dupuy, président de la Chambre, traverse le salon de la Paix pour regagner ses appartements. Les députés, les journalistes, les personnes présentes se précipitent et lui font une ovation en criant : Vive Dupuy ! vive le président ! M. Charles Dupuy répond : Vive la France ! vive la République ! Criez : Vive la République !
À peine la détonation s’était-elle produite que des huissiers de la Chambre et des garçons de service se précipitaient vers toutes les issues du Palais-Bourbon en criant : Fermez les portes !
Trois minutes ne s’étaient pas écoulées que déjà les grilles étaient closes, que les soldats composant le poste avaient pris les armes et empêchaient de sortir. Ce n’est qu’à six heures que les députés, et quelques personnes dûment reconnus par les questeurs ont pu quitter le Palais par la porte de la rue de Bourgogne, toutes les autres portes étant condamnées. Personne n’était autorisé à sortir, personne autorisé à entrer.
Ont seuls pu pénétrer dans l’intérieur du palais législatif MM. Roulier, procureur général, Lépine, préfet de police, Gaillot, chef de la police municipale, Girard, chef du laboratoire municipal, et Clément, commissaire aux délégations judiciaires. On pense que, grâce à ces mesures d’ordre, on pourra saisir le coupable. Des personnes se disent d’ailleurs en mesure de le reconnaître s’il leur est présenté. Deux dames, notamment, affirment qu’elles ont vu l’individu qui jetait la bombe.
L’explosion s’est produite à quatre heures dix. À quatre heures quinze la nouvelle en était connu au Petit Journal, qui est relié au Palais-Bourbon par un fil télégraphique spécial et par le téléphone. Aussitôt plusieurs de nos rédacteurs se dirigeaient en hâte vers la place de la Concorde.
Ci-dessous leurs impressions, telles que nous les avons reçues un peu pêle-mêle, dans l’affolement général.
Les grilles du Palais-Bourbon fermées. Il est impossible de communiquer avec les personnes de l’intérieur, et les agents de faction devant la Chambre ne veulent point laisser franchir le trottoir.
Du dehors, on aperçoit de nombreuses personnes qui font les cent pas dans la cour, derrière les grilles, et qui sont littéralement prisonnières. Ce sont des curieux qui étaient allés innocemment à la Chambre pour assister à la séance, et qui ne pensaient guère qu’un attentat dirigé contre nos représentants les empêcherait, peu d’heures après, de regagner leur domicile.
Sur le quai, calme complet. À cette heure-là, on n’a pas eu encore connaissance de l’explosion dans les environs du Palais-Bourbon. Aussi la place et le pont de la Concorde ont-ils leur aspect habituel.
Vers six heures, l’avant-garde de l’armée des camelots se précipite avec les éditions supplémentaires des journaux du soir sur la ligne des grands boulevards, stupéfiant littéralement la foule des passants par ses cris et ses titres en énorme lettres.
L’histoire de Guillot criant au loup est bien connue du badaud parisien, qui a été si souvent par les vendeurs de canards tardifs. Néanmoins, les esprits étaient si bien préparés à des nouvelles de ce genre par les événements récents de Barcelone, que tout le monde mettait la main à la poche et tirait son sou. Pour nombre des personnes, c’était le sou de la peur : aussi la panique était-elle aussitôt répandue sur les terrasses des cafés, dans les passages, partout où l’on causait, par cette soirée, assez clémente de décembre.
— Croyez-vous, hein ? Les misérables !
— Bah ! Je m’en doutais. Ça devait arriver un jour ou l’autre, une affaire pareille.
Tels étaient, les propos échangés entre les premiers lecteurs au courant du sinistre attentat.
Ajoutons qu’on entendait aussi des réflexions pas trop flatteuses pour les députés. Mais ce sont là des lieux communs sur lesquels il ne serait pas décent d’insister pour le moment.
Les nouvelles n’arrivent que très difficilement, et naturellement très grossies.
Un de nos amis qui sort à six heures du cercle de l'Escrime nous dit que l’un des membres de ce cercle racontait que M. Poincaré et l’abbé Lemire étaient tués !
À la nouvelle de l’attentat, le préfet de police a fait appeler les officiers de paix des brigades politiques. Tous les hommes disponibles ont été aussitôt mobilisés.
Des surveillances et des perquisitions ont été ordonnées chez les anarchistes connus et qui peuvent -- selon la police -- être soupçonnés. Des « souricières » ont été organisées.
Qu’est-ce que tout cela donnera comme résultat ? On espère… Espérons !
La foule commence à arriver sur la place de la Concorde.
On n’entre toujours pas dans la Chambre dont les portes ne s’ouvrent que pour les magistrats, le procureur de la République, un juge d’instruction, M. Goron, chef de la sûreté et de nombreux commissaires de police.
On ne laisse non plus sortir aucune des personnes qui assistaient à la séance. Les nouvelles commencent cependant à venir de l’intérieur du Palais-Bourbon.
Dans la foule sans cesse grossissante qui se presse autour des grilles fermées du Palais-Bourbon, les femmes dominent ; la plupart, comme il est facile de le comprendre, sont des femmes de députés.
Entre autres, une dame affolée saute hors d’un fiacre et force le cordon d’agents en s’écriant : « Je suis Mme Carquet, femme du député de la Savoie ; mon mari, des nouvelles de mon mari… est-il blessé ? »
Placé derrière la grille un officier de paix la rassure et lui réponds que son mari n’est pas atteint.
À vingt, à cent demandes pareilles, il répond invariablement la même chose, cet aimable officier de paix, sans contenter personne ; mais déjà quelques députés paraissent. On les interroge fiévreusement à la sortie, et leur parole calme les plus agités.
Un certain nombre d’internes de l’Hôtel-Dieu sont arrivés à cinq heures et demie avec des brancards sur des fiacres.
Des voitures des Ambulances urbaines sont venues qui ont emmené des blessés. Une trentaine de personnes ont été atteintes par des éclats de verre et de bois.
Beaucoup de députés du centre et de la droite avaient leurs vêtements couverts d’une poudre blanche. Dans l’intérieur, les députés qui sortent passent entre M. Lépine et un questeur qui reconnaissent chacun d’eux.
Cette mesure est appliquée en raison du grand nombre de nouveaux élus.
Les commissaires de police interrogent successivement les personnes qui assistaient à la séance ou qui se trouvaient dans l’intérieur du Palais-Bourbon. Chacun d’elles est fouillée.
Une enquête a été aussitôt commencée pour savoir à quels députés avaient été délivrées des cartes pour la séance d’hier. Il résulte des renseignements fournis par la questure de la Chambre que les billets distribués pour cette séance comprennent : Galeries, depuis M. Cochin (Henry) (Nord), jusques et y compris M. Deproge. Tribunes : depuis M. Le Gavrian jusques et y compris M. de Mahy.
Une douzaine de personnes blessées légèrement ont déjà regagné leur domicile, soit à pied, soit en voiture.
Le colonel Rasturel, officier roumain, qui se trouvait dans la tribune diplomatique, a été blessé assez grièvement à la tête par un clou.
Le sous-préfet de Louhains a également été blessé.
La plupart des blessures ont été produites par des clous, longs de deux pouces, et à tête carrée, semblables aux clous à ferrer les chevaux.
On fouille tous les blessés.
Deux d’entre eux, de mine pitoyable, nommés Lenoir et Legros, et un troisième individu sont gardés à vue à côté de la buvette.
Une jeune femme, qui se trouvait à côté du criminel auteur de l’attentat, a eu la rotule brisée. Elle affirme qu’elle reconnaîtrait cet homme si on le mettait en sa présence. Un huissier de la Chambre assure également qu’il reconnaîtrait le coupable.
Outre le médecin du Palais-Bourbon, MM. Viger, ministre de l’agriculture, Bizarelli, Prévost Chassaing, de Mahy, députés, qui sont également docteurs en médecine, prodiguent leurs soins aux blessés et pratiquent les premiers pansements.
Plusieurs personnes qui se trouvaient dans les tribunes, en haut, ont dit avoir aperçu l’engin au moment où l’auteur de l’attentat le lançait parmi les députés. Les témoins ont donné une description de la bombe. C’est un cylindre long de quinze centimètres environ, un peu plus gros qu’un bâton de cosmétique. L’engin muni d’une mèche qui brûlait était plein de grenailles de fer et de têtes de gros clous. On pense qu’il était chargé de poudre chloratée.
Un certain nombre de députés ont ramassé des fragments de la cartouche et quantité de clous qu’ils montraient à leurs amis.
Dès qu’il a connu l’attentat commis à la Chambre des députés, M. le Président de la République a envoyé un télégramme à M. Charles Dupuy, président de la Chambre, pour lui exprimer la part qu’il prenait à l’émotion causée par le crime dont plusieurs membres du Parlement venaient d’être victimes.
Il a aussitôt envoyé à la Chambre un des officiers de sa maison militaire, M. le capitaine de frégate Marin-Derbel, qui, après avoir vu M. Charles Dupuy, président de la Chambre, pour lui exprimer la part qu’il prenait à l’émotion causée par le crime dont plusieurs membres du Parlement venaient d’être victimes.
Dès que le nombre et l’état des blessés ont été connus, M. Casimir-Perier, président du conseil, a envoyé à l’Élysée M. le comte de Bourquenay, directeur du protocole, qui a donné au Président de la République les détails les plus complets.
À six heures et demie, M. Raynal, ministre de l’Intérieur, s’est rendu à l’Élysée et a eu avec M. Carnot un assez long entretien.
La nouvelle de l’attentat à produit, dans le cœur de Paris, une émotion moins considérable qu’on n’aurait pu le croire. De la curiosité, beaucoup ; de la frayeur, non.
Les grands boulevards qui sont dans cas pareils, le soir surtout, un criterium infaillible, les boulevards présentaient à cet égard un aspect caractéristique. Guère plus de monde que d’habitude, mais qu’elle effrayante consommation de journaux !
On lisait partout : sur les terrasses des cafés, sous les réverbères et devant les vitres des magasins éclairés à l’électricité ; les lecteurs avides de détails se touchaient coude à coude. Ah ! ç’a été une rude aubaine pour les camelots de la rue Drouot et du faubourg Montmartre notamment dispersaient en un clin d’œil d’énormes liasses de leur « papier » encore tout humide.
Nous avons dit que dans les quartiers populeux et sur les boulevards, la foule avait été grande et l’animation extrême pendant toute la soirée. Dans les quartiers élégants comme ceux des Champs-Élysées, du Parc-Monceau et autres, l’émotion causée par le tragique événement de la journée s’est manifestée surtout devant les kiosques de journaux, qui jusqu’à onze heures du soir ont été littéralement assiégés.
Dès qu’un porteur arrivait avec une nouvelle édition, chacun de se précipiter pour ne saisir qu’un numéro et d’aller le lire ensuite à la lueur d’un réverbère.
Depuis de bien longues années on n’avait vu pareil empressement de la part du public.
Dans la soirée, nous allons prendre à domicile, des nouvelles de quelques blessés. D’abord 3, rue Saint-Fiacre, chez M. Cordier, qui tient un commerce de marchand de vins. M. Cordier était allé à la Chambre avec un de ses amis, M. Bourgoz, concierge au n° 12 de la même rue. A neuf heures et demie du soir, ni l’un ni l’autre n’avaient reparu chez eux et leurs femmes affolées et n’ayant de renseignements que par les journaux du soir, se demandaient s’ils n’étaient pas morts.
Un autre blessé, nommé Guillotier, habite dans un hôtel de la rue du Boulot. Il n’était descendu que depuis trois jours dans cet hôtel où il s’était fait inscrire comme ouvrier boulanger. En sortant, hier matin, il avait dit à son logeur qu’il ne rentrerait pas déjeuner, ayant l’intention d’aller se promener toute la journée avec ses camarades.
Nous nous sommes transportés chez M. Laporte, marchand de charbon, 146, rue de la Chapelle. Il assistait à la séance, dans la tribune d’où a été lancée la bombe, avec Mme Laporte qui a été assez grièvement blessée ; lui-même a été légèrement atteint au nez.
Il nous accueille fort aimablement et nous raconte ainsi ses impressions.
« M. Labarthe, député de l’Aveyron, m’avait donné deux cartes pour assister à la séance. Quand la bombe éclata, je n’eus pour ainsi dire aucune impression ; j’avais pourtant été atteint au nez, je saignais abondamment. D’instinct, je pris ma canne, je remis mon chapeau et voulus emmener ma femme qui, ne paraissant pas plus émue que moi, voulut se lever.
C’est à ce moment qu’elle s’aperçut qu’elle était blessée. L’émotion était vive autour de nous ; j’étais couvert de sang, on transportait ma femme dans un des bureaux de la Chambre, on lui donne les premiers soins, je la fis reconduire ici et voilà tout ce que je peux vous dire. »
À ce moment M. Labarthe, qui était auprès de la blessée, descendit au rez-de-chaussée dans le bureau ou nous avions été reçu et compléta les renseignements que nous venions de recueillir. « La blessure de Mme Laporte, nous dit-il, est moins grave qu’on ne l’avait cru tout d’abord ; c’est demain seulement que nous serons fixés. Mais je vous en prie n’exagérez rien, nous avons des amis en province que cela effrayerait. »
De là, nous sommes allé chez M. René Gaumet, 202, boulevard Voltaire. Toute la famille était réunie, encore fort émue de ce qui était arrivé à l’un des siens. C’est M. Barodet qui était arrivé à l’un des siens. C’est M. Barodet qui avait donné les cartes qui ont permis aux deux frères, MM. Antoine et René Gaumet, d’assister à la séance. M. Antoine Gaumet nous fournit les renseignements suivants :
« Nous étions, nous dit-il, dans la deuxième galerie ; c’est tout près de nous qu’a été lancée la bombe. Après l’explosion, très ému, je dis à mon frère : « Tu es blessé ! » Tout d’abord il ne me répondit pas ; je le vis se renverser en arrière, évanoui ; je voulus lui donner des soins ; tout à coup il se releva et partit comme une flèche ; on l’arrêta dans les couloirs, on le conduisit à l’ambulance qui avait été organisée et, après les premiers soins, il a été transporté à l’infirmerie du dépôt. Il est blessé à la tête ; j’espère que sa blessure est légère, mais tel que vous me voyez je ne suis pas encore remis de la très vive émotion que j’ai éprouvée. »
Nous nous rendons chez M. Hurpot, propriétaire, 25, rue du Petit-Musc. Nous le trouvons dans son salon, entouré de sa famille. Il a le bras gauche en écharpe.
« J’étais allé à la Chambre avec ma femme et mon fils, nous dit-il ; nous étions dans les tribunes juste au-dessus de Mgr d’Hulst. Pour en venir au moment de l’explosion, je vous dirai que j’ai vu subitement une lumière aveuglante, suivie d’une forte détonation, puis une fumée intense. Nous nous sommes tous levés et précipités vers la sortie et, comme dans la panique on n’avait pas pensé à relever les strapontins, il a fallu enjamber les banquettes, ce qui a amené la chute de plusieurs personnes.
« Ce n’est que dans le couloir que je me suis aperçu de ma blessure, fort légère d’ailleurs ; quelques projectiles, on aurait dit des petits plombs, ont traversé mes vêtements et ont
64- FEUILLETON DU 10 DECEMBRE 1893 (1) LES DRAMES DE LA PAIX PANTALON ROUGE TROISIEME PAnTIB LE FORT DE LA MORT vi (Suite) Robert suivit ce regard. Deux hommes venaient d'apparaître là, et se tenaient immobiles ; l'un était petit et trapu; celui-là était vêtu comme tous les pirates, maie pour arme, il n'avait qu'un sabre de cavalerie et un revolver dont on voyait la gaine noire tranchant sur une ceinture d'étoffe de couleur claire. Au lieu d'un chapeau de paille, il était coiffé d'une sorte de turban et la longue queue de ses cheveux pendant dans son dos. — Un chef... Peut-être Dé-Than lui-même. .. dit A-Kim très bas. . L'autre était de très haute taille; il avait les épaules puissantes ; il était vêtu comme un Européen des colonies, de hautes guêtres emprisonnaient ses jambes jusqu'aux genoux; une ceinture serrait sablouseetun casque blano derrière lequel flottait une mousseline légère lui servait de coiffure. Il n'avait pas d'armes apparentes. — C'est sansdoûtel'AUemanddontlebonzo i parlé. — Oui. Je voudrais voir sa figure. 'ÏWïttVl'cï ci njr:cdu. iier iuf.rdii'ïî. Le pirate et l'Européen tournaient le dos, en effet. Ils discutaient et leurs bras tendus, à divers moments, indiquaient devant eux tous les points de l'horizon. Une fois seulement, l'Européen se retourna à demi vers le chef des rebelles, et Robert put apercevoir une longue barbe flottante. Mais le visage resta dans l'ombre. Et cela, du reste, fut si aourt que même en plein jour Robert n'aurait pas eu le temps de voir. Puis tout disparut. Les deux hommes venaient de descendre. Et le paysage redevint désert, sur les hauteurs rocailleuses oû glissait ia lumière de la lune. Comme ils n'avaient pas une minute à perdre, ils quittèrent les roches pour regagner la forêt. Ils n'avaient garde do suivre le sentier coupé de palissades où ils pouvaient tout à coup rencontrer quelque soldat des forts, non plus que la coulée de l'embuscade, parallèle au chemin. Ils s'enfonçaient dans les, fourrés. Ils ne tardèrent pas, du reste, à s'arrêter. Ces fourrés venaient de finir brusquement sur un large espace absolument privé d'arbres et de broussailles et qui s'étendait très loin. La nuit continuait d'être claire ; ils pouvaient voir. C'était le-Repaire! I " La forteresse était construite dans une sorte de bas-fond, — contrairement, on le sait, à toutes lés règles de l'art militaire et elle s'enfouissait à demi dans le sol. Elle était protégée par des parapets et tout autour le terrain s'exhaussait naturellement et formait une première défense. L'ouvrage ■ paraissait Savoir la forme d'un rectangle et Robert en tournant par les bois sur presque toutes les faces put constater que ces faces avaient respectivement quarante-cinq à soixante-cinq mètres de longueur. Des créneaux nombreux étaient percés dans le talus extérieur à cinquante centimètres au-dessous de la crête. Par derrière devaient évidemment s'étager des gradins permettant aux défenseurs de tirer, sans se gêner les uns les autres, les premiers par-dessus la crête même, les autres par les créneaux. En outre, chaque face du rectangle était flanquée d'un bastion ajouré de deux rangées de créneaux. Dans l'espace laissé libre à dessein entre les retranchements et la forêt, le sol était hérissé de pieux, coupé de trous recouverts de feuillages. Et un fossé large de dix mètres environ étalait une nappe d'eau par-dessus laquelle se voyait encore une chevelure de bambous, d'abatis épineux, de piquets pointus. — Oui, murmura A-Kim à l'oreille de son 'maître, il y a longtemps que j'entends parler de cette forteresse, sans qu'on m'ait jamais dit où elle se trouve, comme on entend parler d'une légende ou d'un rêve ; c'est elle que les indigènes appellent : le Fort de la Mort ! Enfin, dernière défense, inextricable muraille où l'on ne pouvait avancer que pas à pas, le sabre d'abatis à la main, la forêt vierge avec ses arbres démesurés et l'enchevêtrement de ses broussailles dont chacune cachait un piège/!. Calme et presque indifférent, bien que son cœur battît avecforce, Robert regardait, s'imprégnait de-tout ce qu'il.voyait. Les' abords étaient déserts, bien que des cris, des bruits de toute sorte partissent de l'intérieur. Les rebelles, se sachant protégés par les avant-postes de la lisièreetparlespetitsfortins bâtis sur les roches, ne gardaient pas la forteresse. Des paillottes laissaient voir leurs toits de feuilles de palmier, vers le milieu des retranchements. Et au milieu, sous des arbres dont on avait coupé les branches et qui devaient servir de postes de surveillance en cas de danger,— des miradors, — un réduit surélevé paraissait être destiné à Dé-Than lui-même, qui, de là, avec son porte-voix, envoyait ses ordres dans toutes les directions. Des mugissements de buffles s'entendaient, partant de l'intérieur, et des voix rudes d'hommes et des cris aigus de femmes. '; Deux ou trois rebelles sortirent, par une voûte basse très sombre dont la première porte était ouverte. Ils rentrèrent presque aussitôt sans avoir dépassé le fossé. Tout à coup, des chiens aboyèrent furieusement, donnant l'éveil... Ils avaient reçu les émanations des deux étrangers, de deux ennemis. — Fuyons, maître... les chiens nous ont sentis... Ils se coulèrent dans le fourré.tlls n'avaient plus rien à apprendre. Robert dit, d'une voix que l'émotion faisait trembler, — une émotion non point faite d'épouvante, mais de joie, mais d'orgueil.* — A-Kim, s'il arrive que je meure, n'oublie pas ce que tu as vu, ét va trouver le commandant Lavidry... pour tout lui dire... ... — Maître, ma-vie est liée à la vôtre, je'ne rentrerai pas sans vous. Je mourrai «vec vous ou je mourrai pour venger votre mort. — A-Kim, je te l'ordonne... L'Annamite baissa la tête et ne répondit rien. ■ — A-Kim, répéta Robert, je te l'ordonne. Jure de m'obéir... — Bien, maître, j'obéirai, dit le serviteur d'une voix étouffée. Jls ne s'étaient pas arrêtés. C'était en se coulant dans les broussailles et les hautes herbes qu'ils se parlaient. De temps en temps A-Kim prenait le bras de Robert et obligeait le jeune homme à un détour. Son œil exercé avait reconnu un piège, une fosse habilement recouverte. Derrière eux les chiens aboyaient toujours. — S'ils mettent les chiens sur notre piste, nous sommes perdus, maître. — Sur les pierres desséchées du torrent, les animaux seront en défaut. — Ne le croyez pas, maître. A-Kim, lui-même, y a retrouvé vos traces. Les aboiements cessèrent. Ils écoutaient, anxieux, ils n'entendaient plus. Ils eurent un moment d'espérance. Déjà ils longeaient la coulée d'embuscade établie le long de la sente visible qui conduisait au Fort de la Mort. Au bout de cette coulée, deux ou trois mille mètres de broussailles, seulement, les séparaient des roches arides où le torrent s'était creusé sonlit. Leurs mains, leur visage étaient ensanglantés. Leurs vêtements étaient en guenilles. Eux-mêmes avaient l'air de ban-rdits. T. JULES MARY. (La suite à demain.) atteint mon bras gauche. J’ai beaucoup saigné ; mais ce ne sera rien. Heureusement, ma femme et mon fils n’ont eu aucun mal.
À six heures, après qu’on m’eut pansé et après m’être fait reconnaître à la questure, nous pûmes sortir du Palais-Bourbon. Nous avons été quittes de cette épouvantable affaire pour une forte émotion. »
M. l’abbé Lemire, député, en quittant la Chambre, a été conduit directement à l’Institut catholique, 74, rue de Vaugirard ; après lui avoir fait appliquer un nouveau pansement, Mgr d’Hulst a accompagné son collègue à son domicile, 28, rue Lhomond.
Le docteur Coiffin, accouru en toute hâte auprès de lui, a rigoureusement consigné la porte du malade. La fièvre est intense, et les graves blessures que l’abbé Lemire a reçues à l’occiput inspirent de sérieuses inquiétudes.
M. de la Ferronnays, en sortant du Palais Bourbon, nous a fait le récit suivant :
— La bombe, lancée de la deuxième tribune du coin, du côté de la droite, est venue donner contre l’angle d’une tribune ; c’est ce qui explique l’épanouissement de l’engin en l’air, et le nombre considérable de spectateurs blessés.
Ils sont actuellement soixante-quatre soignés dans les bureaux, transformés en ambulances. Cette tribune, vous le savez, est publique, et l’on n’a pas besoin de carte pour y pénétrer.
La bombe est venue éclater juste au-dessus de ma tête ; mon pupitre a été réduit en miettes et une lettre que je tenais à la main a été déchirée en deux ; j’ai remis le morceau resté dans ma main au président de la Chambré, comme pièce à conviction.
À mon avis, la bombe était à mèche ; un député du centre m’a dit au moment de l’explosion avoir remarqué une lueur venant de la deuxième tribune de droite (à la droite du président). Elle était remplie de clous énormes de sabotier, noyés dans du plâtre ; c’est ce qui explique le nombre des blessés, qui tous ne sont, je l’espère, que légèrement atteints. La salle des séances est littéralement hachée et pleine d’éclaboussures de sang.
M, Argeliès, député de Seine-et-Oise, nous fait à son tour le récit suivant :
Il était quatre heures à une ou deux minutes près, M. Mirman était à la tribune défendant son élection, un peu trop longuement, et je venais d’en faire l’observation à Clovis Hugues. Mon collègue me répond : « Oui, Mirman traîne ; mais vous allez voir, cela va finir par une fusée. »
À ce moment juste en face de nous, environ entre les 2e et 3e travées des tribunes, une vive lueur se produit, à peu prés un peu plus bas que la balustrade, suivie instantanément d’un premier bruit analogue à un fort coup de revolver et d’un second qui me rappelle exactement le tapage que ferait un assortiment de vaisselle tombant de haut sur le pavé.
Nous appréhendions le jet d’autres bombes et de plus une fumée épaisse remplissait la salle, dégageant une odeur analogue à celle de la poudre.
Nous sommes sortis tranquillement, je dois le dire, et cinq minutes après tout le monde est rentré, et la séance a repris. M. Dupuy n’a pas manifesté la moindre émotion.
J’ai vu l’abbé Lemire qui avait une blessure derrière la tête mais qui, néanmoins, est parti avec Mgr Hulst.
Les spectateurs blessés, qui sont au nombre d’environ soixante, ont aussitôt été répartis dans tous les bureaux de la Chambre, et pansés par des infirmières venues de l’Hôtel-Dieu.
Je les ai visités ; en général leurs blessures ne paraissent pas graves, mais dans les tribunes où ils étaient assis on remarque partout de larges flaques de sang.
Un certain nombre de mes collègues ont ramassé des clous renfermés dans la bombe et qui sont ceux dont se servent les maréchaux-ferrants.
La Petite Bourse du soir, à la galerie d’Orléans, a été, comme bien l’on pense, très animée. On s’est occupé d’affaires et on a clos avec 13 centimes de baisse sur la rente : c’est insignifiant, et s’il y a eu une certaine faiblesse sur les cours, on est bien loin d un affaissement irraisonné, et d’une panique.
Mais les conversations et les racontars vont leur train. Chacun donné sa petite opinion et dans plusieurs groupes où ne cache point la crainte de voir les criminels s attaquer à la Bourse.
Nous devons à la vérité de déclarer que quelques personnes sérieuses essaient de calmer les timorés.
Les théâtres, qui traversent en ce moment une période heureuse, n’ont pas eu trop à se plaindre hier soir. Malgré l’émotion il y avait beaucoup de monde, notamment à l’Opéra Comique, au Vaudeville, aux Nouveautés, aux Folies-Bergères. Les recettes se sont, en somme, maintenues à des chiffres très honorables.
Si le nouvel attentat anarchiste n’avait pas effrayé le public des théâtres, il avait provoqué dans les grands cercles qui avoisinent l’Opéra un émoi considérable.
Toutes déclarations et vérifications faites la liste dos blessés s’établit ainsi qu’il suit :
1. Aussage {Joseph-Alexandre), représentant de commerce, 121, rue d’Aguesseau, à Boulogne, blessé au bras droit.
2. Mme Laporte, marchande de charbons en gros, 146, rue de la Chapelle, fracture de la rotule gauche.
3. Dutour (Joseph), ingénieur civil, 11, rue Ferront, blessé à Toreille gauche.
4. Le Clech (Albert), députe du Morbihan, 6, rue Thénard, blessé à la main gauche.
5. Dessets (Pierre), infirmier, 93, rue Lafayette, blessé a la tête et au bras gauche.
6. Massât (Antoine), 39 ans, tailleur, 152, rue Montmartre, contusion de la face.
7. Hurpot (Charles), 66 ans. propriétaire, 25, rue du Petit-Musc, blessé au bras gauche.
8. Lanière (Marins), 35 ans, cuisinier, 103, rue Saint-Dominique, blessé à la tête.
9. Rousselle (Pierre), âgé de 40 ans, marchand de vins, 6, rue de Romainville, à Bobigny.
10. Vassard (Albert), 35 ans, brigadier des forêts en Algérie, de passage à Paris, 35, rue du Niger, blessé à la tête.
11. Mme Porcheron (Pauline), 35 ans, rentière, blessée au bras droit.
12. Isaer (Charles), 52 ans, représentant de commerce, 23, rue d’Hauteville, blessé à la tête.
13. Foucault.
14. Mme Foucault, le mari, commissaire à la Compagnie transatlantique, de passage à Paris, hôtel Terminus, tous deux blessés à la tête.
15. Bertol-Graivil, publiciste, 6, rue Descombes, blessures à la tête.
16. Le colonel Vasaili-Rasturel (Juan), de l’armée roumaine, hôtel du Louvre, blessé à la tête.
17. Guiliotier (Jules), 25 ans, célibataire, garçon boulanger, 14, rue du Bouloi, blessé à la tête.
18. Esnault (Pierre-Jacques), 65 ans, rentier, 135, boulevard National, à Clichy, blessé à la tête.
19. Rouby (Louis).
20. Vallerand (Edouard), limonadier, 1, rue Lulli, blessé à l’épaule gauche et au sein gauche.
21. Sénéchal, négociant, 12, rue Aubriot, blessures au front.
22. Vaillant (Auguste), 17, rue de la Raffinerie, à Choisy-le-Roi, blessé au nez et à la jambe droite.
23. Bivort (Jean). 8, rue Roy, blessé à la tête et à la poitrine.
24. Maringer (Georges), 32, boulevard des Italiens, hôtel de Bade, blessé à l’oreille gauche.
25. Bourgoz, 35 ans, né en Suisse, concierge, 12, rue Saint-Fiacre, blessé légèrement à la poitrine.
26. Cordier (Eugène), marchand de vins, 3, rue Saint-Fiacre, demeurant personnellement, 26, rue du Sentier, blessures légères.
27. Sorin (Gaston), 23 ans, négociant à Saujon (Charente-Inférieure), de passage à Paris, Hôtel central de la Bourse du commerce, rue du Louvre, blessé à la tête et au bras.
28. Sorin (Fernand), né à Royan (Charente-Inférieure), même adresse, blessé à la tête et au bras.
29. Doux (Charles], marchand de vins, impasse Saint-Ambroise, 6, blessé grièvement aux bras, consigné à l’hôpital de la Charité.
30. Talion (Paul), 41 ans, né à Elbeuf, employé de commerce, 71, rue des Batignolles, blessé grièvement à la tête, aux bras et au côté gauche de la poitrine (transporté à son domicile sur l’ordre de M. le procureur de la République).
31. Mme Maudel, née Rosa Wolff, à Vienne (Autriche) 5, rue de la Neva, blessée à la tête,au côté gauche et à la Jambe gauche.
32. M. Sdufflard (Jules), cultivateur, 86, boulevard de Latour-Maubourg, blessé à la tête, fracture du poignet droit.
33. Lenoir (Louis-Théophile), 38 ans, ciseleur, 27, rue Saint-Ambroise, blessé à la tête et aux bras.
34. Gaumet, 54 ans, propriétaire, 202, boulevard Voltaire, blesse à la tête et à la main-gauche.
35. Berger (Robert), 35 ans, loueur de voitures, 5, avenue du Trocadéro, blessé à la tête.
36. Longet (Michel), 62 ans, cultivateur à Verdies (Charente), arrondissement de Ruffec, de passade à Vanves, rue de la Mairie, 14, blessé à la tête et aux deux bras.
37. Mlle Fellauer (Marie), 19 ans, née à Kielt (Pologne), étudiante en lettres, 109, rue Saint-Dominique, chez Mme Carré.
38. Schilliger, huissier à la Chambre des députés, demeurant au Palais-Bourbon, transporté à son logement, très grièvement blessé.
39. M. Fabbé Lemire, député du Nord, plusieurs blessures à la tête.
40. M. le comte de Lanjuinais, député du Morbihan, blessé à la tête.
41. M. Dufaure, député de la Charente-Inférieure, légèrement blessé.
42. M. Elie Cousin, député de l’Hérault, légèrement blessé.
43. M. de la Ferronnays, député de la Loire-Inférieure, légèrement blessé.
44. M. Dumas, député de l’Ariège, légèrement blessé.
45. M. Leffet, député d’Indre-et-Loire, légèrement blessé.
46. M. Le Coupanec, député du Morbilhan, légèrement blessé.
47. M. Allez, lieutenant au 131e de ligne, deux doigts de la main droite coupés. 48. M. Drake del Castilio (Jacques), député d’Indre-et-Loire, blessé aux mains. On a cru un instant qu’il serait nécessaire de faire l’amputation de deux doigts de la main droite, mais après examen, M. le docteur a constaté que les blessures de M. DraKe del Castilio ne présentaient pas le caractère de gravité qu’on redoutait.
49. M. le général Billot, sénateur légèrement atteint à l’épaule par un projectile.
50. M. Ch. Dupuy, président de la Chambre, qui a eu la joue écerchée par un clou.
51. M. de Cazenove de Pradines, députe de la Loire-Inférieure, légèrement blessé.
En outre, une trentaine de personnes, qui n’avaient été atteintes que très légèrement
Parmi les blessés les plus sérieusement atteints, citons M. Biyort, l’ancien président des courtiers assermentés près de la Bourse de Paris.
Il se trouvait dans une tribune du premier étage, celle affectée aux officiers généraux. Derrière lui, se tenait son neveu, le sous-préfet de Louhans, M. Maringer.
M. Bivort fut atteint par les éclats du projectile à la tête et au sein gauche. La blessure de la tête, qui a amené une grande effusion de sang, parait peu sérieuse, le projectile a néanmoins contourné et labouré la boîte cranienne sur un assez long parcours.
La plaie de la poitrine inspire de plus vives inquiétudes au médecin appelé en hâte auprès du blessé, soigné en son domicile de la rue Roy, le docteur Labbé. Le praticien n’a pas osé encore sonder la profondeur de la plaie, qui parait se prolonger jusqu’au poumon. L’état du blessé était néanmoins tuer soir assez satisfaisant.
M. Maringer a reçu des contusions ne présentant pas la moindre gravité. Ce fonctionnaire doit rejoindre son poste aujourd’hui même.
L’huissier de la Chambre, Schilliger, blessé à la nuque, était hier soir dans un état très grave.
Il résulte des constatations qui ont été faites que l’auteur de l’attentat se trouvait parmi des individus à mine suspecte qui occupaient la tribune publique réservée aux personnes non munies de cartes.
Il y a trois manières pour le public d’assister aux séances de la Chambre : solliciter des cartes d’entrée qui sont envoyées d’avance à domicile ; faire demander, dans la salle d’attente, pendant la séance, un député, qui remet pour le jour même, une carte au solliciteur ; faire queue enfin, à la porte, comme au théâtre, pour profiter de l’une des seize places réservées aux personnes non munies de cartes.
C’est de cette troisième manière que le coupable est entré hier à la Chambre des députés.
Aussitôt après avoir interrogé au palais-Bourbon les dernières personnes qui assistaient à la séance, MM. Meyer, juge d’instruction, Bernard, commissaire de police aux délégations judiciaires, et Fédée, officier de paix aux brigades de recherches, se sont transportés au dépôt où avaient été envoyés douze personnes blessées.
Parmi celles-ci se trouvait, d’après la conviction des magistrats, l’auteur de l’attentat.
M. Meyer et. M. Bernard ont interrogé tous ces individus ; un des blessés a déclaré alors qu’il avait vu, se trouvant dans la tribune d’où la bombe à été jetée, l’anarchiste criminel. Il a signalé, au dépôt parmi les blessés ledit individu. Celui-ci devant cette accusation a pâli et balbutié. Il a nié être l’auteur de l’attentat et a donné son nom, Vincent, demeurant rue Lepic. Un agent s’est rendu à cette adresse, mais l’homme y était inconnu.
Interrogé à nouveau, l’individu a avoué avoir menti et a donné un nom : Daniel, habitant, 18, rue Sainte-Anne. Un inspecteur des recherches est allé rue Sainte-Anne mais, comme la première fois, l’inculpé avait fourni un faux état civil.
Ce nouveau mensonge démasqué, il s’est enfermé dans un mutisme absolu. Des recherches sont faites sur les listes de la préfecture de police où se trouvent inscrits les noms des principaux anarchistes.
D’après les personnes qui étaient aux côtés de l’anarchiste dans la tribune de la Chambre, l’inculpé était vêtu d’un pardessus qu’il n’a pas voulu laisser au vestiaire, malgré les observations des hommes de service.
Cette attitude, dont on se souvint après l’explosion, l’a fait désigner aux magistrats.
La plupart des assistants placés dans la tribune d’où la bombe a été jetée ont été blessés. Le coupable se trouvant parmi eux, les magistrats les ont fait soigner et transporter, les uns à l’infirmerie du dépôt, les autres à l’Hôtel-Dieu et gardés tous à la disposition de la justice.
Voici les noms :
Théophile Menoir, âgé de vingt-sept ans, ouvrier ciseleur, demeurant rue Saint-Ambroise, no 27. Il a été atteint aux bras et à la tête.
Jules Gillotier, âgé de vingt-cinq ans demeurant rue du Bouloi, no 14 ; il a le crâne fracturé L’état de ces deux blessés est grave.
Edmond Poussardin, rue d’Allemagne, 133, blessé à la tête.
René Gaumet, boulevard Voltaire, 202 ; Pierre-Jacques Esnault, conseiller municipal de Clichy, boulevard National, 137 ; Henri Bourgoz, âgé de 35 ans, rue Saint Fiacre, 12 Edouard Jolerand, 19 ans, garçon de café, rue de Louvois ; Berger, âgé de 35 ans, loueur de voitures, avenue du Trocadéro, 5 ; Eugène Cordier, vingt-cinq ans, marchand de vins, rue Saint-Fiacre, no 31.
La plupart des blessés ont été atteints à la tête.
M. Meyer, juge d’instruction, et les commissaires de police aux délégations judiciaires sont encore au dépôt, interrogeant l’individu suspect qui a donné un faux état civil. Il est, jusqu’à nouvel ordre,regardé comme l’auteur présumé de l’attentat.
Les soupçons s’étaient d’abord portés sur un des blessés de l’Hôtel-Dieu, M. Lenouy ciseleur. On a fait sur cet homme une enquête, dont les résultats sont tout à son avantage, Il est marié et occupe plusieurs ouvriers ; les billets qui lui ont permis d’assister à la séance de la Chambre lui ont été offerts par un marchand de vins de la rue Saint-Maur.
Cette enquête, faite sur M. Lenoir, ne lui a pas été particulière. Les mêmes recherches ont été opérées à l’égard d’un grand nombre de personnes arrêtées provisoirement et mises ensuite en liberté.
Tous les agents de la préfecture ont été mobilisés à l’effet de recueillir des renseignements sur les individus qui ont été soupçonnés.
Les arrestations qui ont été maintenues sont au nombre d’une quarantaine. Dix des inculpés sont à l’Hôtel-Dieu, un à l’hôpital de la Charité et lés autres au dépôt.
Les renseignements sur les blessés écroués au dépôt ont établi d’une façon certaine la non-culpabilité de la plupart d’entre eux.
En procédant par élimination, à une heure du matin, des renseignements restaient à recueillir sur les nommés Auguste Vaillant, Cottin et Talon, anarchistes connus de la préfecture de police et qui n’ont pu ou n’ont pas voulu faire connaître de qui ils tenaient les cartes qui leur avaient permis d’entrer à la Chambre des députés.
Tous les services de la préfecture de police ont été consignés pour la nuit.
On s’attend pour ce matin à l’arrestation des anarchistes qu’on sait être en relations avec Vaillant, Cottin et Talon.
Avec les perfectionnements des moyens de transmission des nouvelles, avec les télégraphes et les téléphones, les nouvelles reviennent des départements presque aussi vite qu’elles sont parties de Paris.
C’est ainsi qu’au Petit Journal nous avons été, pendant toute la soirée, en communication avec les places de Marseille, de Bordeaux, du Havre. L’opinion est unanime dans ces grands centres à s’indigner de l’horrible attentat au Palais-Bourbon. Dans les cafés, dans les théâtres, le public se montrait, paraît-il, très excité.
On nous a demandé aussi de divers points de la France des détails et des nouvelles de chaque député, et nous n’avons cessé, trois heures durant, de répondre de notre mieux à nos correspondants.
Eclios de 3pa.rt0-u.-fc Les obsèques du général de division en retraite Lardeur ont été célébrées hier matin. Parti à dix heures de la maison mortuaire, 35, rue Godot-de-Mauroi, le convoi s'est acheminé vers l'église de la Madeleine. Un bataillon du 5" de ligne, commandé par Je colonel de ce régiment, un escadron du 2« cuirassiers et une batterie du 3le d'artillerie rendaient les honneurs. Le deuil était conduit par les deux neveux du défunt ; à leurs côtés figuraient le capitaine Thomet, représentant le ministre de la guerre, et le colonel Courbebaisse, délégué par le général Saussier. Suivaient un grand nombre de généraux.en civil pour la plupart, et les colonels des 1«, 12e, 37a, 28<- dragons, des 2», 4^ et 5<* chasseurs à cheval et un long cortège d'officiers de tous grades. Les cordons du poêle étaient tenus par les généraux Baillod, Correnson, Haubt et Duchesne. inhumation a été faite au cimetière Montparnasse. A l'Institut: L'Académie des sciences morales et politi» qnés a procédé hier à l'élection d'un membre titulaire à la place devenue vacante dans la section de philosophie par suite de la mort de M. Franck. M. Fouillée a été élu au premier tour de scrutin par 23 voix contre 11 accordées à M. Qllé-Laprune. A l'Académie des beaux-arts on a décerné, au début de la séance, le prix Ghaudesaigues, destiné à un jeune, architecte afin qu'il puisse séjourner pendant deux ans en Italie et terminer ses études. Ge prix, dont chaque annuité est de 2,000 francs, a été attribué à M. Binet, élève de M. Laloux. Une première mention a" été décernée à M. Rigault et une deuxième à M. Mûrier. L'Académie a donné ensuite 'comme sujet du prix Achille Leclère (architecture) pour 1893-1894 Une sacristie. Le programme sera mis à la disposition des concurrents à partir du 14 décembre, au secrétariat de l'Institut. Au cours de la séance l'Académie a reçu communication d'une lettre du président de l'Académie de Saint-Luc, à Rome, qui. annonce Ja prochaine célébration du troisième centenaire de la fondation de ce corps savant. L'Académie a aussitôt répondu par un télégramme de félicitations. La séance s'est terminée par la lecture du rapport sur lés envois de Rome, destiné à être publié dans le Journal officiel. La vente annuelle de l'Association des dames françaises se fera les 14, 15 et 16 décembre, au ministère des affaires étrangères, quârd'Orsay. Le produit en sera appliqué, ■partie à secourir les soldats du Dahomey et du Tonkfn, partie à l'organisation des hôpitaux -auxiliaires dont l'a Croix-Rouge est chargée en cas de guerre.' Lés principaux comptoirs seront tenus par Mmes. la comtesse Foucher de Careil, présidente, l'amirale Jaurès, vice-présidente, Mer-son, Qùénedey, Raphaïl, Chardin, etc. La distribution solennelle des récompenses de l'Exposition internationale du Progrès aura lieu demain lundi, au Palais de l'Industrie, sous là présidence de M. Marty, ministre du commerce. Mme la baronne de Mohrenheim est obligée de garder la chambre par suite d'un accident heureusement sans gravité, dont elle a été victime jeudi dernier. Mme de Mohrenheim est tombée dans son escalier et s'est blessée à l'arcade sourcilicre. Le modèle de la médaille destinée aux exposants de Chicago vient d'être déposé à la Monnaie de cette ville. La médaille sera en bronze et aura 87 millimètres de diamètre. Sur la face se trouve le profil en relief de Christophe Colomb, et sur- le revers une allégorie représentant la Jeunesse. Il est probable que ces médailles, comme les diplômes, ne seront pas prêtes avant sijwnois. INFORMA T/ONS P0UTIQi/£S Conseil de cabinet Les ministres se sont réunis hier en couse! de cabinet, au ministère des affaires étrangères, sous la présidence de M. Casimir -Perler. - Ils ont examiné l'attitude qu'il convenait de prendre dans la discussion de la proposition de M. Basly tendant à instituerune commission d'enquête sur les grèves du Nord et du Pas-de-Calais. Ils ont décidé que le gouvernement se prononcerait lundi contre cette proposition. Le conseil a délibéré ensuite sur les diverses interpellations déposées ou annoncées. Les ministres vont commencer immédiatement l'étude des projets annoncés dans la déclaration lue aux Chambres. Plusieurs de ces projets seront soumis au Parlement dès le début de la session ordinaire. La commission des crédits supplémentaires La commission des crédits supplémentaires a constitué hier son bureau comme suit : président , M . Rouvier ; vice-présidents, MM. Félix Faure et Lockroy ; secrétaires, MM. Maurice Lasserre, Poincaré et Barthou. M. Rouvier a prononcé une courte allocution pour remercier ses collègues, il a conclu en ces termes : Nous répondrons à l'attente de la Chambre et du pays si nous savons allier à un vigilant esprit de contrôle le sentiment du concours que des mandataires républicains doivent au gouvernement de la République et en n'oubliant jamais qu'un sérieux équilibre du budget est la préface nécessaire à toute réforme financière. M. Poincaré, désigné comme rapporteur, ayant.décliné ee mandat en invoquant cette raison qu'il appartenait au cabinet qui a nré-senté le projet de crédits supplémentaires, la commission a choisi M. Cochery qui présentera à bref délai un rapport verbaL BOURSEôiPARlS h-m du 9 décembre Clôture FONDS D'ÉTATS S V1LLE3 30 joiouts.