Les Martyrs/Remarques sur le livre IV
LIVRE QUATRIÈME.
Le récit qui commence dans ce livre n’a presque point éprouvé de critiques. Je crois avoir prouvé que jamais récit dans aucune épopée ne se rattacha plus intimement à l’action.
Eudore et Cymodocée… ignoroient qu’en ce moment les saints et les anges avoient les regards attachés sur eux.
Seconde transition de l’ouvrage : elle ramène la scène sur la terre.
Ainsi les pasteurs de Chanaan.
« Tetendit ibi (Abram) tabernaculum suum, ab occidente habens Bethel… » (Genèse, XII, 8.)
Aussitôt que le gazouillement des hirondelles, etc., etc.
Hæc pater Æoliis properat dum Lemnius oris,
Evandrum ex humili texto lux suscitat alma,
Et matutini volucrum sub culmine cantus.
Consurgit senior, tunicaque inducitur artus…
Necnon et gemini custodes lumine ab alto
Procedunt, gressumque canes comitantur herilem.
(Æneid., VIII, 454.)
Ce passage est imité ou plutôt traduit d’Homère. Je crois qu’on doit être détrompé à présent sur mes prétendues imitations directes. On peut voir comme je m’écarte encore ici de l’original :
Οὐκ οἶος ἅμα τῷ γε δύω κύνες ἀργοὶ ἕποντο.
(Odyss., ii, 11.)
Tel l’Arcadien Évandre conduisit Anchise…
Nam memini Hesiones visentem regna sororis
Laomedontiadem Priamum, Salamina petentem,
Protinus Arcadiæ gelidos invisere fines…
Cunctis altior ibat
Anchises. Mihi mens juvenili ardebat amore
Compellare virum et dextræ conjungere dextram :
Accessi, et cupidus Phenei sub mœnia duxi.
(Æneid., VIII, 157, 162.)
Ou tel le même Évandre, exilé aux bords du Tibre, reçut l’illustre fils de son ancien hôte.
Cum muros, arcemque procul ac rara domorum
Tecta vident, quæ nunc Romana potentia cœlo
Æquavit : tum res inopes Evandrus habebat…
(Æneid., VIII, 98.)
Ut te, fortissime Teucrum,
Accipio agnoscoque libens ! ut verba parentis
Et vocem Anchisæ magni vultumque recordor.
(Æneid., VIII, 154.)
Il attache à ses pieds des brodequins gaulois formés de la peau d’une chèvre sauvage ; il cache son cilice sous la tunique d’un chasseur ; il jette sur ses épaules et ramène sur sa poitrine la dépouille d’une biche blanche.
C’est encore ici Évandre et Télémaque, mais tout est différent dans la peinture.
Et Tyrrhena pedum circumdat vincula plantis,
Tum lateri atque humeris tegæum subligat ensem,
Demissa ab læva pantheræ terga retorquens.
(Æneid., VIII, 458.)
Ὤρνυτ' ἄρ' ἐξ εὐνῆφιν Ὀδυσσῆος φίλος υἱός,
Εἵματα ἑσσάμενος, περὶ δὲ ξίφος ὀξὺ θέτ' ὤμῳ,
Ποσσὶ δ' ὑπὸ λιπαροῖσιν ἐδήσατο καλὰ πέδιλα.
(Odyss., ii, 2.)
Il suspend à sa main droite une de ces couronnes de grains de corail dont les vierges martyres ornoient leurs cheveux en allant à la mort.
La plupart des Grecs portent encore aujourd’hui un chapelet à la main. Il étoit assez difficile d’exprimer un chapelet dans le style noble ; je ne sais si j’ai réussi. L’origine des chapelets, comme on voit, est touchante : c’étoit, ainsi que je le dis dans le texte, une espèce de couronne que les chrétiennes portèrent en allant au martyre. On en fit dans la suite un ornement pour les images de la Vierge, ou un ex-voto sur lequel on prononça des prières. De là le nom que le chapelet porte encore en italien, corona ; le latin le rend par beatæ Virginis corona. Au reste, l’usage des chapelets est bien postérieur au ive siècle ; mais il m’étoit très-permis d’en placer ici l’origine.
Comme un soldat chrétien de la légion thébaine.
La légion thébaine, qui étoit toute composée de chrétiens, fut mise à mort par Maximin, près d’Agaune, dans les Alpes. Il en sera question ailleurs.
Eudore, dit-il, vous êtes l’objet de la curiosité de la Grèce chrétienne.
On voit toutes les précautions que je prends pour motiver et amener le récit, déjà pleinement motivé dans le ciel.
Sage vieillard, dont l’habit annonce un pasteur des hommes.
Je n’ose avouer ma foiblesse pour Démodocus. Si l’on a comparé sa douleur à celle de Priam, sa joie est-elle tout à fait dénuée de cette simplicité antique qui a tant de charmes dans Homère ? Et ce qu’il dit ici, par exemple, passeroit-il dans la bouche de Nestor pour un bavardage insipide ?
Contemple avec un charme secret son gouvernail.
Les anciens, dont les vaisseaux n’étoient guère que de grandes barques, restoient dans le port pendant l’hiver, et emportoient dans leurs maisons le gouvernail et les rames de leurs galères.
Ὅπλα δ᾽ ἐπάρμενα πάντα τεῷ ἐγκάτθεο οἴκῳ,
Εὐκόσμως στολίσας νηὸς πτερὰ ποντοπόροιο·
Πηδάλιον δ᾽ ἐυεργὲς ὑπὲρ καπνοῦ κρεμάσασθαι.
(Hesiod., Opera et dies, v. 625.)
Invitat genialis hiems curasque resolvit :
Ceu pressæ cum jam portum tetigere carinæ,
Puppibus et læti nautæ imposuere coronas.
(Georg., i, v. 302.)
De ces vieux arbres que les peuples de l’Arcadie regardoient comme leurs aïeux.
Les Arcadiens prétendoient qu’ils étoient enfants de la terre, ou nés des chênes de leur pays.
C’étoit là qu’Alcimédon coupoit autrefois le bois de hêtre, etc.
Pocula ponam
Fagina, cælatum divini opus Alcimedontis ;
Lenta quibus torno facili superaddita vitis,
Diffusos hedera vestit pallente corymbos.
(Virg., Bucol., III, 36.)
C’étoit là qu’on montroit aussi la fontaine Aréthuse et le laurier qui retenoit Daphné sous son écorce.
Tout le monde connoît l’histoire d’Aréthuse et d’Alphée, et les beaux vers de la Henriade :
Belle Aréthuse, ainsi, etc.
L’histoire de Daphné n’est pas moins connue, mais cette histoire, dont on place la scène sur les bords du Pénée, est racontée autrement par Pausanias, et placée en Arcadie. (Voyez Pausanias, VIII, 20, et Barth., Voyage d’Anacharsis, chap. LII.)
Une longue nacelle, formée du seul tronc d’un pin.
Ces espèces de pirogues sont encore en usage sur les côtes de la Grèce : on les appelle d’un nom qui exprime leur espèce, monoxylon.
Arcadiens ! qu’est devenu le temps où les Atrides étoient obligés de vous prêter des vaisseaux pour aller à Troie, et où vous preniez la rame d’Ulysse pour le van de la blonde Cérès ?
Homère, en faisant le dénombrement de l’armée des Grecs, dit qu’Agamemnon avoit fourni des vaisseaux aux Arcadiens pour les transporter à Troie, parce que ce peuple ignoroit l’art de la navigation (Iliade, ii). Ulysse, de retour dans sa patrie, raconte à Pénélope que ses travaux ne sont point encore finis ; que, l’aviron à la main, il doit parcourir la terre jusqu’à ce qu’il arrive chez un peuple auquel la mer soit inconnue. Ce peuple, en voyant la rame qu’Ulysse portera sur son épaule, doit s’écrier : Voilà le van de Cérès ! Ulysse terminera ses courses dans cet endroit, plantera son aviron en terre, et fera un sacrifice à Neptune. (Odyss., xviii.)
Cette histoire du van de Cérès a exercé tous les commentateurs. Quel lieu de la terre Homère a-t-il voulu indiquer par cette circonstance ? J’ai osé le fixer en Arcadie, et voici pourquoi :
Homère a déjà dit, comme on l’a vu, que les Arcadiens étoient si étrangers à la marine, qu’Agamemnon fut obligé de leur prêter des vaisseaux. On lit ensuite dans Pausanias ce passage remarquable : « Sur la cime du mont Borée (en Arcadie), on aperçoit quelques restes d’un vieux temple qu’Ulysse bâtit à Minerve et à Neptune, lorsqu’il fut enfin revenu de Troie. » (Pausanias, VIII, 44.) Que l’on rapproche ce passage de ceux de l’Iliade et de l’Odyssée cités plus haut, et l’on trouvera peut-être ma conjecture assez probable ; du moins elle pourra servir à expliquer un point d’antiquité très-curieux, jusqu’à ce qu’on ait rencontré plus juste.
Je descends, par ma mère, de cette pieuse femme de Mégare qui enterra les os de Phocion sous son foyer.
« Ses ennemis (de Phocion) firent ordonner par le peuple que le corps de Phocion seroit exilé et porté hors du territoire de l’Attique, et qu’aucun des Athéniens ne donnerait du feu pour honorer d’un bûcher ses funérailles : c’est pourquoi aucun de ses amis n’osa seulement toucher à son corps. Mais un certain Cnopion, accoutumé à gagner sa vie à ces sortes de fonctions funèbres, prit le corps pour quelques pièces d’argent qu’on lui donna, le porta au delà des terres d’Éleusine ; et, ayant pris du feu sur celles de Mégare, il lui dressa un bûcher et le brûla. Une dame de Mégare, qui assista par hasard à ces funérailles, avec ses servantes, lui éleva dans le même endroit un tombeau vide, sur lequel elle fit les effusions accoutumées ; et mettant dans sa robe les os qu’elle recueillit avec grand soin, elle les porta la nuit dans sa maison, et les enterra sous son foyer, en lui adressant ces paroles : Mon cher foyer, je te confie et je mets en dépôt dans ton sein ces précieux restes d’un homme de bien : conserve-les fidèlement pour les rendre un jour au tombeau de ses ancêtres, quand les Athéniens seront devenus plus sages. » (Plut., Vie de Phocion.)
Notre patrie expirante, pour ne point démentir son ingratitude, fit boire le poison au dernier de ses grands hommes. Le jeune Polybe, au milieu d’une pompe attendrissante, transporta de Messène à Mégalopolis la dépouille de Philopœmen.
« Quand l’exécuteur descendit dans le caveau, Philopœmen étoit couché sur son manteau, sans dormir, et tout occupé de sa douleur et de sa tristesse. Dès qu’il vit de la lumière et cet homme près de lui, tenant sa lampe d’une main et la coupe de poison de l’autre, il se releva avec peine, à cause de sa grande foiblesse, se mit en son séant, et, prenant la coupe, il demanda à l’exécuteur s’il n’avoit rien entendu dire de ses cavaliers, et surtout de Lycortas. L’exécuteur lui dit qu’il avoit ouï dire qu’ils s’étoient presque tous sauvés. Philopœmen le remercia d’un signe de tête, et, le regardant avec douleur : Tu me donnes là une bonne nouvelle, lui dit-il : nous ne sommes donc pas malheureux en tout. Et sans dire une seule parole de plus, sans jeter le moindre soupir, il but le poison, et se recoucha sur son manteau… »
Les Arcadiens vengèrent la mort de Philopœmen, et transportèrent les cendres de ce grand homme à Mégalopolis.
« Après qu’on eut brûlé le corps de Philopœmen, qu’on eut ramassé ses cendres et qu’on les eut mises dans une urne, on se mit en marche pour Mégalopolis. Cette marche ne se fit point turbulemment, ni pêle-mêle, mais avec une belle ordonnance, et en mêlant à ce convoi funèbre une sorte de pompe triomphale. On voyoit d’abord les gens de pied, la tête ceinte de couronnes, et tous fondant en larmes. Après cette infanterie suivoient les ennemis chargés de chaînes. Le fils du général, le jeune Polybe, marchoit ensuite, portant dans ses mains l’urne qui renfermoit les cendres, mais qui étoit si couverte de bandelettes et de couronnes, qu’elle ne paroissoit presque point. Autour de Polybe marchoient les plus nobles et les plus considérables des Achéens. L’urne étoit suivie de toute la cavalerie, magnifiquement armée et montée superbement, qui fermoit la marche, sans donner ni de grandes marques d’abattement pour un si grand deuil, ni de grands signes de joie pour une telle victoire. Tous les peuples des villes et des villages des environs venoient au-devant de ce convoi, comme autrefois ils venoient au-devant de lui-même pour le recevoir et lui faire honneur, quand il revenoit de ses expéditions couvert de gloire, et, après avoir salué et touché respectueusement son urne, ils la suivoient et l’accompagnoient. (Plutarque, Vie de Philopœmen.)
Elle ressemble à cette statue de Thémistocle, dont les Athéniens de nos jours ont coupé la tête pour la remplacer par la tête d’un esclave.
Pausanias parle de quelques statues des grands hommes d’Athènes, qu’on avoit mutilées de son temps, pour mettre sur leurs bustes la tête d’un affranchi, d’un athlète. C’est d’après cela que j’ai imaginé ma comparaison.
Le chef des Achéens ne reposa pas tranquille au fond de sa tombe.
« Plusieurs années après, dans les temps les plus calamiteux de la Grèce, lorsque Corinthe fut brûlée et détruite par le proconsul Mummius, un calomniateur romain fit tous ses efforts pour les faire abattre (les statues de Philopœmen), et le poursuivit lui-même criminellement, comme s’il eût été en vie, l’accusant d’avoir été l’ennemi des Romains et de s’être montré toujours mal intentionné pour eux dans toutes leurs affaires. La chose fut portée au conseil devant Mummius. Le calomniateur étala tous les chefs d’accusation et expliqua tous ses moyens ; mais après que Polybe lui eut répondu pour le réfuter, ni Mummius ni ses lieutenants ne voulurent point ordonner ni souffrir que l’on détruisît les monuments de la gloire de ce grand homme, quoiqu’il eût opposé une digue aux prospérités de Flaminius et d’Acilius. » (Plutarque, Vie de Philopœmen.)
Ils exigèrent qu’à l’avenir le fils aîné de ma famille fût envoyé à Rome.
Voilà le fondement de tout le récit, et ce qui fait naître toutes les aventures d’Eudore.
Tantôt dans un autre héritage que nous possédons au pied du Taygète, le long du golfe de Messénie.
Dans cette circonstance, en apparence frivole, on voit le soin que j’ai mis à garder la vraisemblance. Par là la rencontre de Cymodocée et d’Eudore est justifiée : Eudore revenoit de visiter ses champs de la Messénie lorsqu’il trouva la fille d’Homère. On verra plus bas qu’Eudore, en s’éloignant des côtes de la Grèce, contemploit de loin les arbres de l’héritage paternel ; ce qu’il n’auroit pu faire encore s’il n’eût possédé des biens au bord de la mer.
La religion tenant mon âme à l’ombre de ses ailes l’empêchoit, comme une fleur délicate, de s’épanouir trop tôt ; et prolongeant l’ignorance de mes jeunes années, elle sembloit ajouter de l’innocence à l’innocence même.
Un critique, d’ailleurs plein d’indulgence et de politesse, a cité cette phrase comme répréhensible. J’avoue que je n’ai jamais été plus étonné. J’ai consulté de bons juges, et des juges très-sévères : ils m’ont tous unanimement conseillé de laisser ce passage tel qu’il est.
Au port de Phères.
J’ai déjà parlé de Phères, à propos de l’arc d’Ulysse. Ce fut aussi à Phères que Télémaque reçut l’hospitalité chez Dioclès, lorsque le fils d’Ulysse alla demander des nouvelles de son père à Ménélas. (Odyss., iii.)
L’île de Théganuse.
À la pointe de la Messénie, l’une des îles OEnussæ, qui forment aujourd’hui les groupes de Sapienza et de Cabrera, depuis Modon jusqu’à la pointe du golfe de Coron. J’ai touché à Sapienza. (Voyez D’Anville.)
Vers l’embouchure du Simoïs, à l’abri du tombeau d’Achille.
La vue de ce tombeau m’a guéri de la fièvre, comme je l’ai raconté dans un extrait de mon voyage inséré au Mercure. On peut consulter sur ce tombeau le Voyage de M. Lechevalier. Voici de bien beaux vers ; aussi sont ils du maître :
Ἀμφ' αὐτοῖσι δ' ἔπειτα μέγαν καὶ ἀμύμονα τύμβον
Χεύαμεν Ἀργείων ἱερὸς στρατὸς αἰχμητάων,
Ἀκτῇ ἔπι προὐχούσῃ, ἐπὶ πλατεῖ Ἑλλησπόντῳ,
Ὤς κεν τηλεφανὴς ἐκ ποντόφιν ἀνδράσιν εἴη
Τοῖσ', οἳ νῦν γεγάασι καὶ οἳ μετόπισθεν ἔσονται.
(Odyss., xxiv, v. 80.)
Il faut convenir que les pyramides des rois égyptiens sont bien peu de chose comparées à la gloire de cette tombe de gazon chantée par Homère, et autour de laquelle courut Alexandre.
Mais le constant zéphyr.
Zéphyr est pris ici, comme dans l’antiquité, pour le vent d’ouest. Ce vent règne au printemps sur la Méditerranée.
Nous fûmes jetés tantôt sur les côtes de l’Éolide.
L’Éolide, aujourd’hui toute la côte qui s’étend depuis Smyrne jusqu’à Adramiti. J’ai traversé par terre ce beau pays, en me rendant de Smyrne à Constantinople. Le second volume du Voyage de M. de Choiseul, qui vient de paroître, ne laisse plus rien à désirer pour la description de ces lieux à jamais célèbres.
Cette montagne… avoit dû servir de statue à Alexandre ; cette autre montagne est l’Olympe, etc. ; jusqu’à l’alinéa.
On sait qu’un sculpteur proposa de faire du mont Athos une statue d’Alexandre. — Olympe, Tempé, Délos, Naxos, trop connus pour en parler. — Cécrops, Égyptien, premier législateur d’Athènes. — Platon donnoit quelquefois des leçons à ses disciples sur le cap Sunium. — Démosthène, pour s’accoutumer à parler devant le peuple, haranguoit les vagues de la mer. — Phryné se baignant un jour sur le rivage près d’Éleusis, les Athéniens la prirent pour Vénus.
Devant nous étoit Égine, etc.
On peut lire la lettre de Sulpitius à Cicéron (lib. iv, epist. v, ad familiares), dont ce passage est une imitation.
Babylone m’enseignoit Corinthe.
Le même critique qui a blâmé la phrase rapportée sous la note xxiiie trouve celle-ci répréhensible. On m’a encore conseillé de ne la point changer. En effet, la hardiesse du tour est sauvée par ce qui précède : Je m’étois assis avec le prophète, etc. Je n’ai point cherché à imiter Bossuet ; je crois qu’on ne doit imiter ni ce grand écrivain ni aucun auteur moderne. Il n’y a que les anciens qui soient modèles ; eux seuls doivent être constamment l’objet de nos études et de nos efforts. Au reste, il y avoit une faute de mémoire ou d’impression dans la manière dont on avoit cité ma phrase ; on lisoit : Corinthe m’enseignoit Babylone, ce qui est très-différent.
Nous vîmes tout à coup sortir une théorie.
Grâce au Voyage d’Anacharsis, tout le monde sait aujourd’hui qu’une théorie veut dire une procession ou une pompe religieuse.
De nouvelles émotions m’attendoient à Brindes, etc. ; jusqu’au second alinéa, page 60.
Brindes, autrefois Brundusium, célèbre par la mort de Virgile. Horace y fit un voyage, ce qui n’est pas ce qu’il a fait de mieux. — La voie Appienne, chemin qui conduisoit de Rome à la pointe de l’Italie ; on en voit encore des restes entre Naples et Rome. — Apulie, aujourd’hui la Pouille. — Auxur, aujourd’hui Terracine. — Le Forum et le Capitole sont bien connus — Le quartier des Carènes :
Passimque armenta videbant
Romanoque foro et lautis mugire Carinis.
(Æneid., VIII, v. 360.)
— Le théâtre de Germanicus, près du Tibre ; on en voit encore les ruines. — Le
Môle Adrien, aujourd’hui le château Saint-Ange. — Le cirque de Néron,
à la droite du Forum, lorsqu’on vient du Capitole. — Le Panthéon d’Agrippa ;
il existe encore : c’est le monument le plus élégant de Rome ancienne et de
Rome moderne. Je l’admirois beaucoup plus avant d’avoir vu les ruines
d’Athènes.
Les grands bœufs du Clytumne traînoient au Forum l’antique chariot du Volsque.
On dit que ce Volsque avoit sans doute acheté ces bœufs du Clytumne à la foire. Je le veux bien, et cela est très-possible.
J’ai vu la carte de la Ville éternelle tracée sur des rochers de marbre au Capitole.
Elle y est encore. Après avoir vu la ville entière, on sera peut-être bien aise d’en voir les ruines. On en trouvera la peinture dans ma lettre à M. de Fontanes. (Voyez le tome III, page 643.)
Le rhéteur Eumène.
Un des savants hommes de cette époque. Il étoit d’Autun, quoiqu’il fût Grec d’origine. Il rétablit les écoles des Gaules. Il nous reste de lui un panégyrique prononcé devant Constantin. (Voyez Panégyr. veter.) Dans les premières éditions, je faisois étudier Eumène sous un disciple de Quintilien, ce qui ne se pouvoit pas dans l’ordre des temps. J’ai mis : « Sous le fils d’un disciple, » ce qui rentre dans la vraie chronologie.
Augustin, Jérôme et le prince Constantin.
J’ai déjà prévenu le lecteur, dans la préface, de l’anachronisme touchant saint Augustin et saint Jérôme. Au reste, tous les caractères qui sont peints ici, saint Jérôme, saint Augustin, Constantin, Dioclétien et Galérius, sont conformes à la vérité historique.
Heureux s’il ne se laisse pas emporter à ces éclats de colère.
Allusion au meurtre de sa femme et de son fils.
Cette conformité de position, encore plus que celle de l’âge, décida du penchant du jeune prince en ma faveur.
Commencement de l’amitié d’Eudore et de Constantin, qui doit avoir une influence si grande sur l’action de l’ouvrage et sur les destinées de mon héros.
Le surnom d’Armentarius.
Gardeur de troupeaux.
Une fureur aveugle contre les chrétiens.
Toute la page qui suit est une préparation de l’action. Cause de la haine de Galérius contre les chrétiens ; projet d’usurper l’empire, etc. On voit donc que le récit tient évidemment à l’action.
Dorothée, premier officier de son palais, etc.
Ce personnage est historique ; il étoit chrétien, et il subit le martyre avec plusieurs autres officiers du palais.
Ceux-ci s’occupent sérieusement d’une ville à bâtir, etc. ; jusqu’à l’alinéa.
Toutes les folies rassemblées ici ne sont point prêtées gratuitement aux faux sages. Ce fut Plotin, d’ailleurs très-honnête homme, qui voulut faire bâtir une ville par l’empereur Gallien, ce fut Porphyre qui chercha les secrets de la nature dans les mystères de l’Égypte. Les sectes qui voyoient tout dans la pensée ou dans la matière étoient les Platoniciens et les Épicuriens ; ceux qui prêchoient la république dans le sein de la monarchie allèrent jusqu’à attaquer Trajan, qui fut obligé de les chasser de Rome ; ceux qui, à l’imitation des fidèles, vouloient enseigner la morale au peuple, se signalèrent surtout pendant le règne de Julien. « Tout étoit plein de philosophes, dit Fleury (Mœurs des chrétiens), qui faisoient aussi profession de pratiquer la vertu et de l’enseigner. Il y en eut même plusieurs dans ces premiers siècles de l’Église qui, peut-être à l’imitation des chrétiens, coururent le monde, prétendant réformer le genre humain. » Tout est donc ici historique. Hélas ! les folies humaines se sont plus d’une fois répétées, et souvent on croit lire l’histoire de ses propres maux dans l’histoire des hommes qui nous ont précédés.
Une offense que je reçus d’Hiéroclès.
Commencement de l’inimitié entre Eudore et Hiéroclès.
Marcellin, évêque de Rome.
Marcellin étoit pape à cette époque ; je ne lui donne pas ce titre dans le texte, parce que les papes ne le portoient pas encore exclusivement. Marcellin occupa le trône pontifical pendant un peu plus de huit années. Les Donatistes l’accusèrent d’avoir sacrifié aux idoles pendant la persécution. Saint Augustin l’a justifié dans son ouvrage contre Pétilien. Les actes du concile de Sinuesse sont apocryphes.
Au tombeau de saint Pierre et de saint Paul.
C’est-à-dire au Vatican, près de la basilique de Saint-Pierre.
Là se rencontroient et Paphnuce de la haute Thébaïde, etc., etc.
Tous ces noms portent leur commentaire avec eux. Tous ces grands homes, dont l’Église a mis plusieurs au rang des saints, vivoient à cette époque, et parurent au concile de Nicée. On peut remarquer en outre que ce qui manque dans le récit d’Eudore à la peinture de l’état du christianisme sur la terre se trouve ici. Eudore ne parle pas des églises de la Perse et des Indes, où il n’a pas voyagé. Les Ibériens dont il est question dans ce passage ne sont pas les Espagnols : c’étoient des peuples placés entre le Pont-Euxin et la mer Caspienne. La position de l’Église par rapport aux hérésies est aussi indiquée dans ce tableau.
Et bénissoit la ville et le monde.
Je place ici l’origine d’une cérémonie touchante encore pratiquée de nos jours : Urbi et orbi.
Je redemandois secrètement les platanes de Fronton, le portique de Pompée ou celui de Livie, etc.
Il y avoit à Rome des jardins publics connus sous le nom de Fronton, voyez Juvénal. — Le portique de Pompée et celui de Livie sont célèbres dans l’Art d’aimer d’Ovide.
La porte sainte est fermée devant moi.
Tout le monde a remarqué cette scène d’où l’action entière va sortir.
À l’amphithéâtre de Vespasien.
Aujourd’hui le Colisée : voyez la peinture de ses ruines dans la lettre à M. de Fontanes citée plus haut (note 35e).
Il faut que ce peuple, même au milieu de toutes ses misères, ait la main dans toutes les grandeurs.
Encore une phrase désapprouvée par le critique qui a désapprouvé les deux autres (notes 23e et 34e). Quant à celle-ci qui, par une grande fatalité, n’étoit point encore exactement citée dans le journal, je ne sais qu’en dire. J’ai vu les opinions partagées. Il me semble pourtant que les autorités prépondérantes sont en sa faveur. Dans tous les cas, si elle est douteuse, elle est la seule de cette espèce dans Les Martyrs.
Les bêtes féroces… se mirent à rugir.
Présage qui m’a semblé propre à réveiller la crainte et la curiosité des lecteurs. Eudore s’en souviendra au xxive livre.