étrangers. C’était la Vénus toute nue de Praxitèle qu’ils cherchaient à couvrir de clinquant. Il faut toujours beaucoup de temps aux hommes pour leur apprendre qu’en tout ce qui est grand on doit revenir au naturel et au simple.
En 1641, lorsque le théâtre commençait à fleurir en France, et à s’élever même fort au-dessus de celui de la Grèce, par le génie de P. Corneille, le cardinal de Richelieu, qui recherchait toute sorte de gloire, et qui avait fait bâtir la salle des spectacles du Palais-Royal[1] pour y représenter des pièces dont il avait fourni le dessein, y fit jouer une Mérope sous le nom de Téléphonte. Le plan est, à ce qu’on croit, entièrement de lui. Il y avait une centaine de vers de sa façon ; le reste était de Colletet, de Bois-Robert, de Desmarets, et de Chapelain ; mais toute la puissance du cardinal de Richelieu ne pouvait donner à ces écrivains le génie qui leur manquait. Il n’avait peut-être pas lui-même celui du théâtre, quoiqu’il en eût le goût, et tout ce qu’il pouvait et devait faire, c’était d’encourager le grand Corneille.
M. Gilbert, résident de la célèbre reine Christine, donna, en 1643, sa Mèrope[2], aujourd’hui non moins inconnue que l’autre. Jean de La Chapelle[3], de l’Académie française, auteur d’une Cléopâtre jouée avec quelque succès, fit représenter sa Mérope en 1683. Il ne manqua pas de remplir sa pièce d’un épisode d’amour. Il se plaint d’ailleurs, dans sa préface, de ce qu’on lui reprochait trop de merveilleux. Il se trompait ; ce n’était pas ce merveilleux qui avait fait tomber son ouvrage, c’était en effet le défaut de génie, et la froideur de la versification ; car voilà le grand point, voilà le vice capital qui fait périr tant de poëmes. L’art d’être éloquent en vers est de tous les arts le plus difficile et le plus rare. On trouvera mille génies qui sauront arranger un ouvrage, et le versifier d’une manière commune ; mais le traiter en vrais poëtes, c’est un talent qui est donné à trois ou quatre hommes sur la terre.
Au mois de décembre 1701, M. de Lagrange fit jouer son Amasis, qui n’est autre chose que le sujet de Mérope sous d’autres noms : la galanterie règne aussi dans cette pièce, et il y a beaucoup plus d’incidents merveilleux que dans celle de La Chapelle ; mais aussi elle est conduite avec plus d’art, plus de génie, plus
- ↑ Le théâtre du Palais-Royal était situé du côté de la rue des Bons-Enfants, et, au moment où écrivait Voltaire, était le théâtre de l’Opéra. Détruite par un incendie le 6 avril 1763, la salle fut reconstruite en 1770, et de nouveau consumée le 8 Juin 1781.
- ↑ Jouée en 1642, imprimée en 1643, sous le titre de Téléphonte.
- ↑ Mort en 1723.