Article | 24/11/2015
Les pillows-lavas et brèches volcaniques de la pointe de Lostmarc'h (Presqu'île de Crozon, Finistère)
24/11/2015
Résumé
Une occurrence du volcanisme ordovicien de la presqu'île de Crozon (pillows – lavas et pépérites), modèle et contexte géodynamiques de mise en place. Curiosités locales : oppidum (éperon barré) et alignement de mégalithes (menhirs).
Table des matières
Localisation de la pointe de Lostmarc'h
La presqu'île de Crozon, l'une des trois pointes de l'Ouest breton (avec la pointe du Raz et la Pointe Saint Mathieu) est réputée pour sa géologie et notamment pour ses formations sédimentaires paléozoïques et les fossiles qu'elles renferment. Elle constitue à ce titre une réserve naturelle géologique. Ces formations sont localement affectées par du magmatisme et des structures tectoniques. Nous nous intéresserons ici à un exemple de ces occurrences magmatiques : la pointe de Lostmarc'h située sur la pointe Sud de la presqu'île de Crozon.
Un affleurement de coulées sous-marines sur une ancienne marge passive
Coulées et pillow-lavas
Attention, les affleurements de la pointe sont à flanc de falaise et la grève de Porzhig est délicate d'accès. Seule la plage de la Palue est aisée d'accès (tenir cependant compte des horaires de marées).
À l'extrémité de la pointe, les falaises montrent différents affleurements. Voyons d'abord les photographies de la partie Sud de l'éperon Nord.
L'affleurement de la falaise montre une zone présentant des pillow-lavas (laves en coussins) de nature basaltique dans une matrice claire carbonatée. Les coussins sont peu déformés. Leurs bordures sont souvent fracturées et la matrice s'est infiltrée dans les fractures. Il est difficile de voir les pédoncules des pillows et donc de polariser l'affleurement.
Ce type de structure se forme lorsque la lave rentre en contact avec l'eau sous une colonne d'eau. Le contact de la lave basaltique à 1200°C avec l'eau à quelques degrés entraîne un phénomène de trempe, c'est-à-dire de refroidissement très rapide, de la bordure de la lave, cette dernière continue à s'écouler à l'intérieur entraînant la formation de structure en tubes ou en boules (ou en forme d'oreiller ou de coussin, pillow en anglais).
Les analyses en lame mince montrent la présence de différents fossiles dans la matrice : crinoïdes, ostracodes, coraux, brachiopodes et bryozoaires, permettant de dater la mise en place des pillows dans un sédiment carbonaté à l'Ashgill, étage terminal de l'Ordovicien autour de -445 Ma. Ces assemblages fossilifères indiquent que le calcaire est un calcaire marin typique d'une plate-forme continentale. Cela indique aussi une mise en place sous-marine cohérente avec la mise en place sur une plate-forme continentale. À une profondeur de 50 m, la pression est de l'ordre de 1013 hPa (pression atmosphérique) + 1000 kg.m-3 (masse volumique de l'eau) x 10 N.m-2 (accélération de la pesanteur) x 50 m = 600 000 Pa, soit environ 6 fois la pression atmosphérique. Les pillows ne se mettent donc pas uniquement en place sur les fonds océaniques !
Les analyses géochimiques des autres basaltes de la presqu'île de Crozon associés à ce même épisode magmatique montrent qu'ils appartiennent aux séries magmatiques alcaline et tholéitique, avec pour certains des compositions transitionnelles de l'une à l'autre série. Ces caractéristiques sont observées au niveau des zones de rifts actifs (comme le rift Est-africain). Elles sont compatibles avec un processus d'extension aboutissant souvent à la formation d'un domaine océanique et la transition d'un rift continental à une marge passive.
Ces morphologies de coussins basaltiques avaient été comparées dans un précédent article à celles des « pillows – gabbros » de l'anse de Sainte Anne à proximité du granite de Ploumanac'h (cf. Les "pillows gabbro" de Sainte Anne, granite de Ploumanac'h, Trégastel, Côtes d'Armor). Rappelons qu'il est possible de modéliser la formation de pillows avec du soufre fondu (cf. Cristallisation du soufre et formation de pillow lavas).
Brèches associées aux coulées
Surmontant stratigraphiquement les basaltes en coussins, ou au sein même de l'unité à basaltes en coussins, des brèches à éléments basaltiques et à matrice carbonatée sont observables. Ces brèches sont granoclassées ou non. Elle portent le nom de « brèches pépérites » dans les publications scientifiques et sont présentes en France à d'autres endroits comme la Limagne (cf., par exemple, Pépérites de Limagne à escargots, limnées et planorbes remplis de lussatite). L'analyse en lame mince de la matrice montre qu'il s'agit des mêmes carbonates que ceux de la matrice entre les pillows.
Le premier type de brèches est des pépérites granoclassées présentant une rythmicité et surmontent les pillow-lavas.
Ces brèches présentent en place un granoclassement normal (les éléments les plus lourds sont vers le bas) et grossier. Cette séquence se répète pour des épaisseurs de l'ordre de quelques centimètres à quelques décimètres. La taille des clastes varie de 2 cm à 1 mm. La forme des clastes varie ; ils sont arrondis (majoritairement) ou anguleux, en fonction de la température à laquelle la lave s'est fragmentée. À chaud, les clastes auront tendance à être arrondis du fait de la "ductilité" de la lave, plus froids, les éléments seront anguleux du fait de la solidification de la lave. À noter que les clastes arrondis peuvent, en se refroidissant, se fragmenter en clastes anguleux.
La fragmentation de la coulée se produit lorsque la lave chaude (de l'ordre de 1200°C) s'écoule sur le sédiment carbonaté mou et à une température de quelques degrés. La chaleur de la lave conduit à la mise en place d'un film de vapeur (d'eau et CO2 du à la dévolatilisation du calcaire) à l'interface lave-sédiment. C'est l'instabilité de ce film de vapeur qui conduit à la fragmentation de la lave et à la formation d'une brèche pépéritique (qu'il y ait tri ou non des clastes postérieurement).
Le modèle proposé par Caroff et al. en 2009 pour la formation du granoclassement de ce type de pépérites est la fragmentation du magma mis en place sur le sédiment carbonaté non consolidé et gorgé d'eau suivit par un mélange des deux et par une migration gravitaire des éléments les plus gros vers la base de la couche molle intrudée. La répétition des coulées expliquerait la répétition des séquences bréchiques granoclassées observées.
Ce modèle est celui qui était proposé pour expliquer la formation des pépérites de la Limagne, aussi grossièrement stratifiées, avant que ne soit proposé la mise en place par des processus phréatomagmatiques. Dans ces processus, le contact de la lave et de l'encaissant carbonaté sous une faible tranche d'eau conduit à une explosion de ce dernier et à la formation des brèches pépéritiques par retombée et solidification.
Pour Caroff et al., les répétitions ne présentant pas de stratification ni aucun autre marqueur de processus pyroclastiques (comme des projections) ou sédimentaires (comme une remobilisation des éléments basaltiques), la mise en place par des processus phréatomagmatiques classiques leur semble peu probable.
Leur position, au-dessus des pillows, est expliquée par une diminution du volume éruptif entraînant la transition de la mise en place des pillows (et des brèches de second type) vers les pépérites granoclassées.
Le second type de brèches, des pépérites non granoclassées, est visible en place et accessibles au niveau du Nord de la plage de la Palue. Il se situe au sein des pillow-lavas basaltiques, en contact avec certains pillows.
Le second type de pépérites ne présente pas de granoclassement. La taille des clastes va du millimètre (voire moins) au décimètre. Ces brèches sont présentes au sein des pillow-lavas. Leur formation est expliquée par la fragmentation des pillows durant leur mise en place ou lors du refroidissement du magma. Cette fragmentation peut s'accompagner de la volatilisation des carbonates et ainsi expliquer la morphologie de certains clastes ou de poches de calcites dans les brèches. Ces brèches, quand elles sont très abondantes peuvent aussi être interprétées comme une accumulation des produits de fragmentation des basaltes sans tri.
Gisement de fer
Au niveau de la plage de la Palue, un gisement de fer affleure (il est localisé sur la carte géologique de Douarnenez, voir plus bas).
Contexte de mise en place
La partie au Nord de la pointe de Lostmarc'h constitué par des formation sédimentaires est aussi recoupée par des failles.
En résumé, cet affleurement montre la mise en place d'un édifice volcanique sous-marin sur une marge passive à la fin de l'Ordovicien. Les études chronostratigraphiques sur les fossiles des calcaires encadrant les formations volcano-sédimentaires donnent une durée de 4 millions d'années pour l'épisode volcanique.
Cet affleurement n'est que l'un des affleurements montrant ce magmatisme dans la presqu'île de Crozon. Les autres affleurements de la presqu'île montrent un édifice phréatomagmatique sous-marin associé à différentes brèches volcaniques incluant des éléments magmatiques et des éléments de l'encaissant carbonaté mou ainsi que du socle briovérien (précambrien) de la marge passive sur laquelle il se met en place.
Cet épisode magmatique est interprété comme du magmatisme lié à l'ouverture d'un domaine océanique à l'Ordovicien terminal : l'océan Rhéique, entre le continent Gondwana (incluant la partie armoricaine) et la Laurentia au Nord.
L'oppidum et les mégalithes de la pointe de Lostmarc'h
Le site de Lostmarc'h, classé aux Monuments historiques depuis 1980, présente les traces de la plus ancienne forme d'habitat fortifié : l'éperon barré, apparu au Néolithique, consiste en un retranchement rudimentaire (remblai de terre et palissade) qui isole le promontoire du côté de la terre. Ce lieu assez exigu (0,7 ha) offrait sans doute un repli provisoire en cas de danger, mais la présence dans les environs d'un gisement ferrifère relativement riche explique peut-être le maintien de la présence humaine à la période laténienne (~ milieu Vème – milieu Ier siècles avant notre ère). Pour désigner ce type d'habitat fortifié dans la civilisation celte de l'âge du fer, les archéologues empruntent aux descriptions de César dans La guerre des Gaules le terme latin d'oppidum (pluriel oppida). Comme en attestent les soubassements du poste de douane daté du XVIIème siècle construit au cœur de l'éperon, ce refuge était encore utilisé au haut Moyen Age, avant que la multiplication des châteaux forts n'offre aux populations des abris plus sûrs.
Autre manifestation anthropique observable à la pointe de Lostmarc'h : la présence de mégalithes.
La Bretagne est un espace particulièrement riche en vestiges de l'art mégalithique, ce type d'architecture monumentale (le premier de l'Histoire) qui se déploie au Néolithique en Europe occidentale et au-delà, et dont les historiens et les anthropologues peinent encore à cerner le sens. Les différents éléments connus (menhirs, dolmens...) se combinent parfois en d'imposants complexes, comme les alignements de Carnac, dont la fonction religieuse, voire astronomique, est encore très discutée.
Pour aller plus loin
Le volcanisme de la presqu'île de Crozon a fait l'objet de la sortie du 7 octobre 2006 de la Société Géologique et Minéralogique de Bretagne. D'autres affleurements sur ce thème sont proposés dans le compte rendu de cette sortie "Crozon" de la SGMB.
Bibliographie
M. Caroff, M. Vidal, A. Bénard, J.-R. Darboux, 2009. A late-Ordovician phreatomagmatic complex in marine soft-substrate environment: The Crozon volcanic system, Armorican Massif (France), Journal of Volcanology and Geothermal Research, 184, 351-366
P. Maguer, 1996. Les enceintes fortifiées de l'âge du fer dans le Finistère, Revue archéologique de l'Ouest, 13, 103-121
M. Vidal, M.-P. Dabard, R. Gourvennec, A. Le Herissé, A. Loi, F. Paris, Y. Plusquellec, P.R. Racheboeuf, 2011. Le Paléozoïque de la presqu'île de Crozon, Massif armoricain (France), Géologie de la France, 1, 3-45