La rachianesthésie est une technique d’anesthésie locorégionale. Elle est utilisée dans les chirurgies des parties basses du corps, situées sous l’ombilic – gynécologie, obstétrique, orthopédie – et en chirurgie vasculaire. Comment se pratique-t-elle ? Pour quel type d’opération ? Quels sont les risques ? Le point avec le Docteur Chloé Ventré, anesthésiste-réanimateur à la Clinique du Pré, au Mans.
La rachianesthésie est une technique d’anesthésie utilisée fréquemment en chirurgie, pour des opérations concernant les parties basses du corps : césariennes, opération de l’appareil génital, de l’appareil urinaire, du périnée, des membres inférieurs, des artères et des veines des jambes, etc. C’est une anesthésie qui n’entraîne pas de perte de conscience.
Comme la péridurale, utilisée pour diminuer les douleurs liées aux contractions lors d’un accouchement, la rachianesthésie fait partie des anesthésies dites axiales ou périmédullaires. Le produit anesthésiant est injecté à proximité de la moelle épinière, dans sa partie terminale basse, au niveau de la racine des nerfs de la queue de cheval. Elle va avoir pour effet d’endormir tout le territoire couvert par le ou les nerfs en contact avec le produit.
La rachianesthésie a une action à la fois sensitive et motrice : le temps de l’opération, le patient perd les sensations de douleur dans la zone anesthésiée, mais aussi la mobilité.
La rachianesthésie représente 40% des anesthésies locorégionales en France (anesthésies des territoires desservis par un nerf ou un groupe de nerfs).
1. Quelles différences avec la péridurale ?
Même si la rachianesthésie concerne l’anesthésie des mêmes zones du corps que l’anesthésie péridurale, elles comportent plusieurs différences notables. La rachianesthésie agit d’abord plus rapidement que la péridurale. ‟Dans une péridurale, le produit anesthésiant est injecté entre deux feuillets des méninges, explique le Docteur Chloé Ventré. [Les méninges sont les trois feuillets méningés qui enveloppent l’encéphale, le tronc cérébral et l’ensemble de la moelle épinière.] Dans la rachianesthésie, l’aiguille traverse les méninges, et le produit va être injecté directement dans le liquide céphalorachidien ; dans la péridurale, le produit est injecté entre les feuillets.”
Autre différence : ‟Dans la rachianesthésie, un volume défini de produit anesthésiant est injecté en une seule fois et va agir juste le temps de l’opération, pendant 30 minutes à 3 heures. Alors que dans la péridurale, on laisse un tuyau qui permet d’injecter du produit en continu, et d’ajuster la durée de l’anesthésie ou de l’analgésie de quelques heures à plusieurs jours.”
À noter : l’anesthésie permet de réaliser de la chirurgie (le produit agit en effet sur la sensibilité, la motricité et la douleur), alors que l’analgésie ne prend en charge que la douleur. Les deux techniques (péridurale et rachianesthésie) sont utilisables en anesthésie comme en analgésie.
2. Comment se déroule une rachianesthésie ?
La rachianesthésie est toujours réalisée après une consultation de préanesthésie. Cette consultation va entre autres permettre au médecin anesthésiste de s’assurer qu’il n’y a pas de contre-indications notamment cardiologiques, des troubles de la coagulation, des traitements anticoagulants, mais aussi que la zone de ponction n’est pas infectée, qu’il n’y a pas de malformation rachidienne, etc.
Le jour J, l’asepsie de la peau du patient doit être parfaite, tout comme celle de l’anesthésiste, ceci afin d’éviter toute pénétration de germe. La désinfection de la peau du patient doit être large, allant des omoplates jusqu’à la raie des fesses, en commençant par un nettoyage avec de l’eau et du savon et en finissant avec une solution antiseptique type alcool iodé. Cette désinfection se fait par mouvements circulaires, depuis la zone de ponction vers l’extérieur, sans repasser par la zone de ponction pour éviter d’y ramener des germes. Un champ stérile est mis en place sur l’ensemble du dos. L’anesthésiste pratique une asepsie stricte des mains et porte des gants stériles.
Le patient est ensuite installé ‟dos rond”, soit en position assise, avant-bras fléchis et en appui sur les cuisses, soit en décubitus latéral, c’est-à-dire allongé sur le côté en position en chien de fusil, les genoux entre les mains, la tête baissée enroulée sur le sternum. Pour repérer le point d’injection, l’anesthésiste identifie sous la peau les apophyses épineuses des vertèbres lombaires (excroissances osseuses que l’on sent sous la peau) et prend comme repère la ligne entre les deux épines iliaques qui passe au niveau de la vertèbre lombaire L4. Il va ensuite injecter le produit anesthésiant en introduisant l’aiguille au niveau des espaces intervertébraux lombaires : soit entre la L3 et la L4, soit entre la L4 et la L5. À ces niveaux, la moelle épinière se termine par la queue de cheval ; les racines nerveuses sont sous forme de filaments distincts, les risques de lésions nerveuses sont donc nettement plus exceptionnels qu’à des niveaux supérieurs.
L’anesthésiste utilisera un produit dit hyperbare si la diffusion de l’effet anesthésiant doit se faire sous le point de ponction, et un produit hypobare si cette diffusion doit se faire au-dessus du point de ponction. Par exemple, les produits hypobares peuvent être utilisés en cas de fracture du fémur : le patient ne peut être qu’en position allongée sur le côté non fracturé, avec le côté fracturé (donc la zone à anesthésier) en haut, c’est-à-dire forcément positionné au-dessus de la zone de ponction. Le liquide hypobare va diffuser vers le haut et donc anesthésier la jambe à opérer.
‟La rachianesthésie consiste à injecter le produit directement dans le liquide céphalorachidien, à proximité des racines nerveuses de la queue de cheval, explique le Docteur Chloé Ventré. Il faut donc traverser la dure-mère. C’est exactement comme une ponction lombaire sauf que là, on injecte un produit anesthésiant.”
L’anesthésie fait effet rapidement et très efficacement. ‟J’ai l’habitude de dire à mes patients de prévoir de quoi écouter de la musique ou un podcast, durant l’opération pour se détendre, explique-t-elle. Mais s’ils sont vraiment anxieux, je leur propose en plus une sédation associant des benzodiazépines et de la kétamine ; dans ce cas, leur expérience est proche de celle d’une nuit de sommeil profond avec les objectifs de l’anesthésie que sont l’amnésie, l’analgésie pour le confort du patient et l’absence de mouvement pour le confort du chirurgien.”
3. Pour quels types d’opérations utilise-t-on la rachianesthésie ?
La rachianesthésie est utilisée pour de nombreuses opérations du périnée et des membres inférieurs. Par rapport à une anesthésie générale, la grande différence est que la rachianesthésie ne nécessite pas d’intubation. En termes d’organisation, ce type d’anesthésie est parfois plus facile à gérer pour les services au bloc opératoire. La rachianesthésie ne peut en revanche pas être utilisée pour les opérations sous cœlioscopie.
Dans le domaine de la chirurgie gynécologique et de l’obstétrique, la rachianesthésie est utilisable dans la chirurgie des glandes de Bartholin (des glandes de l’appareil reproducteur situées à l’arrière de l’orifice vaginal), certaines hystérectomies (ablation de l’utérus par voie abdominale – haute – ou par voie vaginale – basse –), la conisation (retrait d’une partie du col de l’utérus pour éviter sa cancérisation), la chirurgie des grandes et des petites lèvres, la chirurgie de l’hymen, les césariennes programmées et certaines césariennes urgentes, par exemple.
En urologie, la rachianesthésie peut être utilisée pour certaines opérations de la vessie, de l’urètre, de la prostate (prostatectomie par voie haute ou basse) et des testicules. En proctologie, elle peut être indiquée pour des chirurgies des hémorroïdes ou des fissures anales.
En ce qui concerne l’orthopédie, on pourra y avoir recours pour les opérations du fémur, du genou, du tibia, de la cheville et de certaines zones du pied notamment de la partie arrière du pied (chirurgie du talon). Pour les opérations de l’avant-pied (orteils, par exemple), on effectuera préférentiellement un autre type d’anesthésie locorégionale.
Enfin, la rachianesthésie peut être indiquée en chirurgie vasculaire pour certaines indications de chirurgies des artères des membres inférieures et les opérations des varices, mais aussi pour les hernies inguinales et les hernies crurales sous laparotomie.
4. Quelles sont les complications possibles de la rachianesthésie ?
Les céphalées post-ponction, ou céphalées posturales, sont les complications les plus fréquentes de la rachianesthésie. Elles concernent davantage les femmes jeunes. Ces céphalées restent cependant relativement rares et sont peu graves. ‟Elles se produisent lorsque la brèche causée par la pénétration de l’aiguille dans la dure-mère ne se referme pas bien. On reconnait ce type de céphalées, car elles s’atténuent quand le patient passe de la position debout à la position allongée, explique Chloé Ventré. Ce type de complication implique pour le patient de revenir à l’hôpital pour pratiquer ce que l’on appelle un blood-patch. Il consiste à injecter du sang du patient dans la dure-mère pour rétablir la pression et obturer la brèche dure-mérienne. Cette technique est très efficace et règle le problème dans la grande majorité des cas. Aujourd’hui, des progrès ont été faits pour éviter ce type de complication, avec la mise au point d’aiguilles dites « pointe de crayon » moins traumatiques pour la dure-mère.”
Les autres complications restent exceptionnelles. Les deux plus graves – et heureusement les plus rares ! – sont la méningite et la paraplégie. La méningite peut survenir en cas de pénétration et de développement de bactéries au niveau des méninges (un staphylocoque, par exemple). L’autre complication grave, mais rarissime est la paraplégie, si un trouble de la coagulation n’a pas été documenté lors de la visite de préanesthésie. Dans ce dernier cas, il y a apparition d’un hématome qui comprime les nerfs de la queue de cheval et perturbe gravement la conduction nerveuse, et donc la motricité de la zone du bassin et des membres inférieurs.
La consultation d’anesthésie a justement pour mission de dépister l’ensemble des contre-indications qui pourraient entraîner des complications à la rachianesthésie. La paraplégie post-rachianesthésie est donc exceptionnelle. On estime aujourd’hui qu’un est anesthésiste n’est pas certain d’en rencontrer une dans sa carrière.
Selon le Docteur Chloé Ventré, ‟lorsqu’elle est pratiquée selon les recommandations des sociétés savantes, la rachianesthésie est en France une technique d’anesthésie sûre. En l’absence de contre-indication, elle peut être conseillée aux patients en toute sérénité. Si elle est bien expliquée au moment de la consultation de préanesthésie, et si le patient est en confiance et a pu poser toutes ses questions, la rachianesthésie se passe très bien. Elle apporte une satisfaction à la fois aux patients et aux équipes médicales. En revanche, si toutes ces conditions ne sont pas réunies, il faut savoir y renoncer.”
A lire aussi :
⋙ La cœlioscopie : utilité, déroulement et convalescence
⋙ Césarienne programmée : dans quels cas est-elle pratiquée et comment cela se passe ?
⋙ Césarienne : déroulement, cicatrice... en pratique, comment ça se passe ?