Sociology of Health Healing and Illness 7th Edition Weiss Test Bank

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Sociology of Health Healing and Illness

7th Edition Weiss Test Bank


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Sociology of Health Healing and Illness 7th Edition Weiss Test Bank

Multiple Choice

1. Those who frame their research questions in terms of public issues, rather than personal troubles, can be said to use
a. the sociological perspective.
b. functionalist theory.
c. psychoanalysis.
d. a public health perspective.
e. radical theory.
ANSWER: a
REFERENCES: p. 6

2. Which of the following research projects best reflects a sociological perspective?


a. how biological factors can trigger alcoholism
b. how one’s relationship with one’s mother can trigger alcoholism
c. how prejudice against Native Americans can foster high rates of alcoholism among Native Americans
d. how genetic factors can cause Native Americans to have a high rate of alcoholism
e. how Native American culture encourages individuals to become alcoholic
ANSWER: c
REFERENCES: pp. 6-7

3. The sociological perspective emphasizes the role played by


a. social security.
b. power.
c. genetics.
d. culture.
e. biological events.
ANSWER: b
REFERENCES: p. 8

4. Which of the following research topics best reflects the sociological perspective?
a. how women’s traditional role can foster depression
b. how women’s hormonal swings can foster depression
c. how best to use mood-altering drugs in treating depressed women
d. how best to use psychotherapy in treating depressed women
e. how women’s relationships with their mothers can foster depression
ANSWER: a
REFERENCES: p. 7-8

5. Compared to other sociologists, critical sociologists place greater emphasis on the role played by
a. social roles.
b. power.
c. socialization.
d. epidemiology.
e. educational institutions.
ANSWER: b
REFERENCES: p. 9

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6. Which of the following research projects would someone who engages in the sociology of medicine be mostly likely to
pursue?
a. how doctors’ attitudes result in poorer persons receiving worse health care than wealthier persons
b. how poor people’s attitudes toward doctors result in their receiving a lower quality of care than wealthier
persons receive
c. why poor persons develop arthritis more often than wealthier persons
d. how individuals’ attitudes toward risk-taking affect whether they follow medical advice
e. why wealthier persons live longer on average than poor persons
ANSWER: a
REFERENCES: p. 9-10

7. The rate of tuberculosis increased dramatically during the 1980s. As a result, tuberculosis during those years should be
referred to as
a. an endemic illness.
b. an epidemic.
c. an acute illness.
d. a pandemic.
e. a prevalent illness.
ANSWER: b
REFERENCES: p. 10

8. The history of disease before the 1900s suggests that


a. cities are healthier places to live than rural areas.
b. long-distance travel increases public health by exposing doctors to new scientific ideas.
c. changes in medical technology play a large role in increasing average life expectancy.
d. changes in the knowledge base of folk healers play a large role in increasing average life expectancy.
e. changes in women’s roles can play a large role in increasing average life expectancy.
ANSWER: e
REFERENCES: p. 11

9. In 1900, life expectancy for US whites was


a. almost 30 years.
b. almost 40 years.
c. almost 50 years.
d. almost 70 years.
e. over 80 years.
ANSWER: c
REFERENCES: p. 11

10. Before 1900, the most common causes of death in the United States were
a. chronic diseases.
b. infectious diseases.
c. accidents and trauma.
d. infant and maternal mortality.
e. diseases of old age.
ANSWER: b
REFERENCES: p. 11
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11. In Germany, infectious and parasitic diseases are relatively rare, chronic and degenerative diseases are relatively
common, and life expectancy is high. From these facts, we can conclude that Germany has experienced the
a. epidemiological transition.
b. sociological transition.
c. expectational profile.
d. demographic shift.
e. developed nation syndrome.
ANSWER: a
REFERENCES: pp. 12

12. According to most scholars, life expectancy in the United States increased dramatically after 1900 because of
a. the introduction of smallpox inoculation.
b. the development of new medical treatments.
c. changes in nutrition and living conditions.
d. the natural evolution of epidemics.
e. the natural evolution of microorganisms into less dangerous forms.
ANSWER: c
REFERENCES: p. 12-13

13. Sociology of medicine refers to the study of how social factors affect
a. health and illness.
b. health care.
c. health, illness, and health care, raising questions that sociologists, but not necessarily doctors, consider
important.
d. health, illness, and health care, raising questions that doctors, but not necessarily sociologists, consider
important.
e. all of the above
ANSWER: c
REFERENCES: p. 9

14. To decide whether to believe in the results of a published study, it helps to know
a. whether the research was based on a random sample.
b. whether the researchers controlled statistically for possibly confounding variables.
c. what type of magazine or journal published it.
d. all of the above
e. none of the above
ANSWER: d
REFERENCES: pp. 14-15

15. Researchers increasingly use big data because it


a. reflects virtually the entire population.
b. less often was collected for a specific purpose that might have biased the results.
c. is increasingly accessible due to electronic record keeping.
d. All of the above
e. None of the above
ANSWER: d
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Le vrai sage le fronde
Un peu, un peu.
Mais le fou s’en amuse
Bien fort, bien fort,
Et jamais il n’accuse
Le sort, le sort !

Alors, un long frémissement d’admiration agita l’Espélunque, et


même les gamins furent émus : le Monarque, même quand il était saoul,
chantait juste !
Cela lui fit le plus grand honneur.
VIII
LE FANTOME DE CAUSSANEL

Ce fut Bécougnan, non point le Monarque, il le faut avouer, qui fut le


héros de l’histoire que je vais dire. Mais celui-ci y prit un si grand plaisir
que ce serait lui faire grande injure, comme à ses amis, de ne pas lui
donner ici sa place.
… La saison était si douce, le printemps si précoce, que, vers ce
milieu de février, dans cette plaine du Gard, il y avait déjà des amandiers
en fleurs, des oiseaux qui faisaient l’amour, et des mouches. Tant de
mouches même qu’on avait tendu devant la porte ouverte, pour s’en
préserver, ce léger rideau fait de tubes de verre multicolores, enfilés sur
de minces cordelettes, qui est d’usage dans toute la Provence. Le tiède
vent du sud-est l’agitait doucement, et le faisait chanter. Dehors, un
cochon gras fouillait le fumier, suivi de poules qui caquetaient ; et dans
la chambre, assis devant un siphon de limonade gazeuse, car il avait
refusé tout autre breuvage, étant membre d’une ligue antialcoolique aussi
bien que de la Société des recherches psychiques et du Bureau
international du Spiritisme, dont le siège est à Londres, M. William
Simonson prenait des notes.
— Oui, monsieur, lui disait Bécougnan, c’est dans cette pièce que le
fantôme revenait ; quatorze nuits de suite, à minuit sonnant, il est
revenu : et je l’ai vu comme je vous vois. C’est une erreur de croire,
comme on le fait dans votre pays, qu’il n’y a de fantômes que dans le
Nord ; il y a de tout dans le Midi, monsieur, c’est une terre opulente, une
terre privilégiée, une terre où il ne manque rien. Seulement, les fantômes,
on n’en a pas peur, on ne leur permet pas de faire tout ce qu’ils veulent,
comme chez vous. On est brave, quoi !
» Cette maison où vous êtes, je l’ai achetée pour pas cher, à la mort
de ce pauvre Caussanel qui s’est pendu. C’est le phylloxera qui en est
cause. Je me rappelle comme il disait, notre Caussanel, au temps où tout
le monde mettait ses économies dans le Panama :
»  — Placer mon argent ! Placer mon argent ! Ici, il y a la vigne, et ça
doit suffire ! Ça me donnera-t-il quinze du cent comme ma vigne, votre
Panama ?
» Et toujours plus haut sur la côte, derrière la maison, arrachant les
figuiers sauvages, arrachant tout le broussaillon, il faisait grimper ses
plants de carignan et d’aramon. Il y mettait tous ses écus, il hypothéquait
son bien de plaine pour engraisser ses cailloux… Et puis le phylloxera
est venu. Alors il a emprunté sur tout son reste : aux notaires, au Crédit
Foncier ; il a essayé de toutes les drogues, il a creusé des puits profonds
comme l’Espélunque pour aller chercher de l’eau, et noyer ses pieds de
vigne. Et à la fin, quand les autres, qui avaient attendu en se serrant le
ventre, ont vu qu’il y avait moyen d’y faire, avec la vigne américaine, et
qu’ils ont commencé à replanter, lui était à bout de souffle, et il ne
récoltait que du papier timbré : tout un plein de charrette de papier
timbré. Il était devenu tout jaune comme ses pampres et tordu de misère
comme les ceps qui agonisaient. Voilà pourquoi il s’est pendu, quand on
a mis l’affiche pour le faire vendre, vendre la maison, les chais, les
terres, les meubles, enfin tout. Il s’est pendu, je vous dis. Quand ces
messieurs de la justice sont entrés, il tournait autour d’un chevron, au-
dessus de la cheminée, et il s’était attaché aux pieds tout son papier
timbré, des kilos de papier timbré ! Il avait l’air de les regarder, en leur
tirant la langue.
» Ça n’est pas ici un pays où l’on désespère, d’habitude, et ça fit
mauvaise impression. Quand on mit la maison et le bien en vente,
personne ne voulut rien acheter. Et puis on s’était déjà tant saigné pour
remettre en valeur ce qu’on avait : rien que des poches vides, dans le
pays. Il n’y avait que moi pour être plus heureux, à cause de la mort de
l’oncle Bécougnan, celui qui tenait un débit de tabac à Nîmes, rue de la
Grille. Donc, j’achetai, à la fin, sur baisse d’enchères, et bon marché, il
faut le dire, bien bon marché !
» Mais voilà que la première nuit que je couchais là, je me réveille à
minuit — je ne sais pas pourquoi je me suis réveillé, on est comme
averti…
M. William Simonson approuva de la tête : on est toujours averti
quand arrivent les fantômes. Il nota seulement ce nouveau cas, qui
confirmait tant d’expériences antérieures.
— … Je me réveille, et qu’est-ce que je vois : ce pauvre Caussanel
qui entrait par la porte fermée. Il n’eut pas l’air de me remarquer, il ne
me fit pas de mal — avez-vous jamais entendu dire qu’un revenant ait
fait du mal à quelqu’un ? Ça n’a pas de forces, ces ombres ! — traversa
toute la chambre en poussant des soupirs à fendre l’âme, alla se mettre
devant la cheminée, tira une corde de sa poche, avança une chaise, monta
dessus, attacha la corde au chevron et se pendit. Moi, je l’appelai bien
doucement :
»  — Caussanel ! Caussanel !
» Il ne répondit rien, absolument rien. Il était pendu, voilà tout.
»  — Caussanel, lui dis-je, tu l’as déjà fait !
» Je croyais que cette observation l’impressionnerait. Elle était
raisonnable. Mais ce fut comme s’il n’avait rien entendu. Et il resta là,
monsieur, jusqu’au chant du coq.
— Cela est fréquent, déclara M. William Simonson. En cas de mort
violente, et surtout quand cette mort est volontaire, la « coquille » du
suicidé renouvelle indéfiniment son acte de destruction criminelle. Nous
en avons déjà collationné de nombreux exemples.
— Au chant du coq, poursuivit Bécougnan, il disparut sans que je
pusse voir comment, ce qui ne m’étonne point, puisque c’était un
fantôme, et je me gardai bien, vous comprenez, de raconter l’aventure : il
y a toujours du monde qui est jaloux quand on a acheté du bien dans de
bonnes conditions. Je pensai aussi qu’une fois suffirait à Caussanel et
qu’il se découragerait de sortir la nuit pour recommencer à se pendre.
Pourtant, je dois vous avouer que tant que la grosse horloge, à l’église,
n’eut point sonné les douze coups, le lendemain soir, je ne parvins pas à
m’endormir. Ça m’ennuyait, ça m’inquiétait. Et il reparut, exactement
comme la veille, refit tous les mêmes gestes, et se pendit encore une fois.
Je lui dis :
»  — Caussanel, c’est bête ce que tu fais là ! Ça ne peut te servir à
rien. Veux-tu que je te fasse dire des messes ?
» Mais il remua la tête autour de sa corde, négativement.
» Le matin, j’allai trouver le curé pour lui expliquer la chose. J’allai
le trouver bien que je sois protestant, parce que les pasteurs, en France,
ne peuvent rien contre les fantômes, tandis que les curés ont la manière.
Et le curé me dit qu’il viendrait à l’heure qu’il fallait, pour faire les
exorcismes et bénir la chambre, attendu que les apparitions étaient
l’œuvre du diable. Mais ça ne me convenait point, à cause des voisins :
puisque je ne voulais pas leur laisser savoir, aux voisins ! Donc je
répondis :
»  — Monsieur le curé, nous ne sommes plus au Moyen âge !
— Vous pouviez, interrompit M. William Simonson, tracer un cercle
magique au-dessous de l’endroit où le revenant se pendait, vous y
enfermer, et diriger contre lui, à l’heure de son apparition, la pointe
d’une épée nue. Cette méthode a donné souvent, la littérature du sujet
l’affirme, d’excellents résultats.
— Je l’ignorais, déclara Bécougnan, et cette présence de Caussanel,
qui s’acharnait à vouloir se pendre, m’importuna quatorze jours, comme
je vous l’ai dit. Mais, à la fin, quand je vis que l’heure allait sonner, je
pris moi-même une corde, je l’attachai au chevron, je fis un nœud
coulant à la corde, et je me pendis. Oui, monsieur, je me pendis !
— Well… fit William Simonson, hésitant.
Il ne connaissait pas cette manière de chasser les fantômes, et se
trouvait déconcerté.
— Je me pendis, confirma Bécougnan. Mais j’avais placé un petit
escabeau sous mes pieds afin de ne pas perdre ma respiration. Et quand
ce pauvre Caussanel fit son entrée, il avait tellement l’habitude qu’il
s’avança jusqu’à deux pas de moi sans rien regarder, sans me voir. Il était
toujours aussi jaune, aussi mélancolique, et fouilla dans sa poche pour y
trouver sa corde. Alors je remuai un peu. Il leva les yeux et m’aperçut.
Monsieur, jamais je n’ai vu une figure plus déconfite ! Il ouvrit la
bouche, et parla. Pour la première fois, il parla ! Il dit :
»  — Il y a quelqu’un !
» Et tout de suite, toujours soupirant à fendre l’âme, il repassa à
travers la porte. Et il n’est jamais revenu, monsieur, jamais. Je l’avais
dégoûté.
M. William Simonson referma son carnet d’un coup sec. Les yeux lui
sortaient de la tête. Puis il s’en alla, comme le fantôme. Et, comme lui, il
était dégoûté.
IX
LE PARI DU MONARQUE

Le costume du Monarque, son beau costume qu’il avait repris dans


l’armoire pour faire le voyage, étonnait un peu les Lyonnais : ils
n’avaient jamais rien vu de plus éclatant. Lui-même en éprouvait
sourdement un peu d’embarras. Dans le café où il venait de s’arrêter, ce
beau café, près du théâtre, qui l’avait séduit à cause de ses glaces, de son
or et de son nom italien, il ôta instinctivement son grand feutre mou,
couleur pain brûlé, dont il était si fier, et le mit d’un geste discret à côté
de lui. Mais nul comme le Monarque, dans cette ville où l’on ignore les
règles de la véritable élégance, laquelle ne va point sans quelque
fastueux éclat, ne portait une chemise dont le plastron blanc se décorait
d’un semis de petites fleurs rouges, un col rabattu qui découvrait très bas
sa gorge brune, maigre et noueuse, ni cette étroite régate sang de bœuf
qu’illuminait encore un gros diamant, un diamant de verre, mais presque
ressemblant. Il n’apercevait non plus un seul de ces vestons pareil au
sien, étroit, plaquant sur les hanches, et dont le jaune retentissant, piqué
de petits points violets, le faisait ici ressembler à un jeune canard égaré
au milieu d’une bande de corbeaux. Parmi tous ces gens tristes et noirs, il
se faisait l’effet d’une lanterne au fond d’une cave. Et il avait beau se
dire que c’est la lanterne qui éclaire, il avait l’impression que cette
sombre cave lui disait : « Ce n’est point ici ta place : tu me choques ! »
Mais il en était plus irrité que confus. Il méprisait ces gens du Nord,
il pressentait avec dédain que la lenteur de leur pensée les privait de joie,
tout en leur laissant le désir de se moquer de ce qu’ils ne comprennent
pas ou n’ont jamais vu. Voilà qui lui était bien égal, à lui, le Monarque,
lancé maintenant dans la politique, devenu un personnage que le préfet
faisait venir, et qui avait fait nommer le député. Un député qu’il tutoyait !
Il palpa fièrement la poche de son veston lumineux pour y sentir encore
une fois la « passe » de chemin fer dont l’administration déférente lui
avait fait hommage : un permis de seconde classe, de Nîmes à Lyon. Un
homme qui voyage gratuitement n’est plus un homme du commun ; le
Monarque avait conscience d’être devenu un grand de la terre, car les
grands de la terre, en France, sont ceux qui sont assez riches pour tout se
payer, ou assez au-dessus des lois communes pour ne payer plus rien.
Il avait envie de dire cette chose, et beaucoup d’autres. Dans le train,
il avait rencontré des gens à qui parler ; il se rendait même cette justice
qu’il avait parlé tout le temps, et d’une façon intéressante. Mais, depuis
qu’il était dans cette sale ville, on le regardait comme une bête curieuse,
on s’écartait, et voilà tout. Ils ne le connaissaient pas, c’est vrai, mais ils
auraient bien pu deviner qu’il n’était pas quelqu’un comme les autres.
Voilà des années qu’on ne le prenait plus pour quelqu’un comme les
autres !
Cependant, à la table qui était tout juste à côté de la sienne, on se mit
à causer à haute voix. Le Monarque présuma tout de suite que ce ne
pouvait être des Lyonnais. Des Parisiens, sans doute : il paraît que les
Parisiens sont presque comme des gens du Midi : même qu’en réalité,
maintenant, c’est presque tous des gens du Midi ! Le Monarque prêta
l’oreille. On parlait d’un raid de cavalerie accompli par des officiers de
réserve. Et il lui sembla qu’on en parlait un peu comme il en eût parlé :
parce que c’était un sujet de conversation, parce que, après tout, autant
parler de ça que de parler d’autre chose. Sûrement, ce n’étaient point des
cavaliers ; c’était mieux : des hommes qui aiment à s’entretenir de
grandes choses qu’ils ne connaissent point, et qui sont belles, parce que
c’est bien meilleur que de s’entretenir de ce qu’on connaît, et qui
ennuie… Quels sont les meilleurs chevaux, des pur sang ou des tarbais,
dont les ancêtres eux-mêmes, comme les pur sang, sont venus d’Arabie ?
Quelle est l’allure à donner aux bêtes pour leur permettre de fournir une
longue course ? Et l’on évoquait aussi la résistance résignée des chevaux
de fiacre de Paris, qui meurent à la peine, mais abattent, jusqu’à l’heure
de l’équarrissage, leurs soixante-dix kilomètres par jour.
Il y avait trop longtemps que le Monarque n’avait ouvert la bouche.
Et un sujet comme celui-là, un sujet général, un sujet comme on en débat
le soir, au cercle de l’Espélunque, sur quoi tout le monde, voyons, peut
avoir une opinion ! Il approcha son verre d’absinthe de ses lèvres, le
reposa sur la table avec un petit tintement décidé, qui attira l’attention, et
tourna brusquement sa chaise.
— Messieurs, dit-il, messieurs…
Ils étaient trois, autour de cette table de marbre, là, à côté de lui : un
monsieur décoré, en redingote, petit, sec, presque aussi sec et mince que
le Monarque lui-même, et deux autres, qui portaient des costumes
d’automobilistes. Des personnes riches, c’était certain. Et des poseurs,
qui prirent un air un peu pincé, pour montrer qu’ils n’avaient pas
l’habitude d’être interrompus par des consommateurs qui ne leur ont pas
été présentés. Mais le Monarque s’en fichait. Le Monarque se fiche de
tout, quand il a envie de causer. Est-ce que personne cause comme lui,
est-ce qu’on ne l’écoute pas, toujours ?
— Messieurs, dit-il, je ne sais pas ce que c’est que vos chevaux du
Nord ! Je ne les connais pas et ce que vous en dites ne me donne pas
envie de les connaître. Péchère ! Des demoiselles, des vieilles dames…
Un cheval de la Camargue, un cheval de mon pays, peut faire cent
kilomètres, un homme sur le dos !
— Par semaine ? dit le petit monsieur décoré, légèrement.
— Par jour ! Je vous parle sérieusement. Je vous prie de m’entendre
sérieusement.
— C’est bien, monsieur, c’est bien ! dit le monsieur décoré, d’un air
d’ennui.
Puis, levant les yeux et ayant considéré le Monarque, il se prit à
sourire. Il souriait parce que le Monarque était un homme du Midi, et
qu’il ne le croyait pas, ça se voyait. Et cette ironique incrédulité fit
bouillir le sang du Monarque. Ces gens du Nord, qui se moquent de vous
sans le dire, poliment : il y a de quoi les tuer !
— Comment le savez-vous ? demanda un des automobilistes, en
rigolant.
La vérité faillit sortir des lèvres du Monarque : « Parce que je l’ai
toujours entendu dire. C’est une chose qui ne se discute pas, qu’on n’a
jamais discutée. » Mais il songea qu’on lui rirait au nez, et prononça,
entraîné par son imagination autant que par son éloquence :
— Je le sais, bon Dieu ! dit-il, parce que je l’ai fait, et pas une fois,
pas deux fois, mais des dizaines, des centaines de fois ; des cavaliers, des
chevaux, comme ceux de la Camargue ! Zou !… C’est que vous ne les
avez pas vus !
Un des automobilistes déclara tranquillement :
— Mais je veux bien voir, moi, je ne demande pas mieux que de voir.
Et tenez, je parie vingt-cinq louis que vous ne le feriez pas !
— Monsieur, répondit fièrement le Monarque, je ne suis pas un
aristocrate, je ne compte pas en louis !
— Cinq cents francs, si vous voulez. Et cinq cents francs contre une
pièce de cent sous.
— Si vous pariez cinq cents francs, monsieur, fit le Monarque d’un
air noble, c’est cinq cents francs que je vous dois si je perds. Je les tiens.
De sa vie, il n’avait eu cette somme entre les mains, ni sous les yeux.
Elle lui paraissait invraisemblable. Par conséquent, elle ajoutait à
l’invraisemblance du défi. C’était des blagues, tout ça, pas moins, c’était
des blagues ! On pouvait y aller.
— Eh bien ! c’est dit, prononça l’automobiliste… Et où vous
verrons-nous accomplir cet exploit hippique ?
— Pardon ? fit le Monarque.
— Je vous demande en quel lieu de la terre nous devons nous rendre
pour assister à notre défaite. Chez vous, probablement ? Dites-nous
quelle est la ville ou la campagne qui a l’honneur de vous posséder ?
— C’est à l’Espélunque, à trente kilomètres de Nîmes, sur la route de
Sommières, et je suis monsieur Bonnafoux ! dit le Monarque un peu
pâle, mais magnifique.
Et il ajouta, comme un homme du monde :
— A qui ai-je l’honneur, moi-même, de m’adresser ?
— Daniel Malavial, lieutenant de vaisseau… Voici ma carte !
— Bouffre ! dit le Monarque, sidéré.
De sa vie, il n’avait possédé un cheval. De sa vie il n’avait su si
c’était vrai, cette chose qu’on raconte, qu’un cheval de la Camargue peut
faire cent kilomètres, un homme sur le dos. Et voilà que ça devenait
sérieux, voilà qu’il avait parié cinq cents francs qu’il prouverait que
c’était vrai. Et avec un officier de marine encore !
— Monsieur, dit-il, j’ai dit cent fois. Je garantis que c’est cent fois !
Il présumait qu’il y avait tout bénéfice à exagérer. Ce marin
n’attendrait pas cent jours de suite à l’Espélunque la fin du pari, peut-
être ?
— Mettons deux fois, en deux jours consécutifs, dit son terrible
antagoniste d’un air doux. C’est dit ?
— C’est dit, accepta le Monarque, vaincu sur ce nouveau terrain.
Cependant, une bouée de sauvetage lui apparut. Il s’y suspendit avec
l’énergie du désespoir.
— Monsieur, dit-il, j’ai mes affaires, je ne retourne pas maintenant à
l’Espélunque. Avant trois mois, il me sera impossible, absolument
impossible de trouver une minute…
— Eh bien ! dit l’autre, impitoyable, c’est entendu : dans trois mois,
jour pour jour. Ce sera une charmante promenade en automobile. Au
revoir, cher monsieur !
La diplomatie du Monarque lui avait gagné trois mois. Il respirait.
Trois mois ! Est-ce que lui, il se fût rappelé une promesse à quatre-vingt-
dix jours ? Il jugeait les autres d’après lui-même. C’était fini, c’était
pleuré, cette affaire-là. Toutefois, dans le train qui l’entraîna le
lendemain vers le ciel du Sud, il fut mélancolique, il fut presque muet !
En tendant sa passe au conducteur, sa main ramena en même temps la
carte de celui qui l’avait défié : Daniel Malavial, lieutenant de vaisseau,
Toulon… Daniel Malavial ! S’il revenait dans trois mois, pourtant, cet
imbécile ? Lui payer ses cinq cents francs ? Pourquoi pas cinq cent
mille ! Il n’avait rien. Ce n’était pas cela qui l’inquiétait. Mais lui, le
Monarque, roulé par des gens du Nord ! Sa gloire s’en effondrait.
Il songea à des choses folles : à la guerre, qui pourrait éclater : alors
il ne se devrait plus qu’à son pays ; à un grand voyage : mais où aller ?
Tout à coup, sa figure s’éclaira. Il avait trouvé !
Il avait trouvé, il était sauvé, le jour lui parut radieux, il sourit aux
gens, il leur parla ; enfin il fut lui-même ! A peine rentré chez lui, sans
rien dire de ses noirs soucis à personne, il alla trouver son député, à
Blanduze. On était en vacances, le député était à Blanduze : c’était un
bonheur !
— Il faut que tu me fasses un plaisir, dit-il. J’ai un ami, un grand
ami… C’est à Lyon que j’ai fait ami avec lui, tu ne le connais pas, mais
c’est entre nous, à la vie et à la mort : le lieutenant Malavial, lieutenant
de vaisseau. Il est à Toulon, en ce moment, mais c’est un marin, tu sais !
Un marin qui n’aime que la mer. Il rêve de retourner dans les mers de
Chine. Tu ne pourrais pas lui procurer un beau commandement, dans les
mers de Chine, tout de suite ?
— Mais certainement, dit le député, certainement !
Et il prit une note.
— Ça sera fait, dit-il, dès mon retour à Paris.
Jamais l’absinthe que le Monarque prit ce soir-là au cercle de
l’Espélunque ne lui avait paru aussi bonne. Et il paya aussi celle de
Touloumès, de Peyras, de Bécougnan, il l’aurait payée au monde entier.
— Je viens de procurer un bel avancement à quelqu’un, dit-il
confidentiellement. Et ça réchauffe le cœur, d’avoir fait du bien !

A compter du jour où le Monarque — du moins, telle était sa ferme


conviction — fut débarrassé de ce pari qu’il ne savait guère comment
tenir, en procurant à son funeste antagoniste, par l’intermédiaire du
député de Blanduze, un commandement, un très beau commandement
dans les mers de Chine, il fit plus grande figure encore que par le passé
devant les habitants de l’Espélunque : car ceux-ci ne savaient rien des
secrets motifs qui le faisaient agir ; ils ne voyaient que sa puissante
pensée, étendue, pour les protéger, jusqu’à ces navires d’acier, portant le
pavillon de France, qui flottent sur des mers dont on ne sait pas les noms.
— C’est donc, Monarque, lui disait-on, que tu t’intéresses aux choses
de la marine ?
S’il s’y intéressait ! Il s’y intéressait passionnément : mais on n’avait
pas besoin de savoir pourquoi. Il prenait donc un air grave, en hochant la
tête, et on lui posait des questions. Le Monarque répond toujours aux
questions : il a cette mémoire miraculeuse des gens qui savent parler, qui
aiment parler, qui répandent naturellement leurs paroles, comme les
arbres laissent tomber des fruits. Plus les mots qu’il avait lus dans les
journaux, voici déjà des années et des années, étaient rares, inusités,
signifiaient pour lui des choses inconnues, plus nettement il se les
rappelait ; et leur magnificence, à mesure qu’ils sortaient de sa bouche,
faisait briller ses yeux. Comme tous les véritables spécialistes, il tenait
pour les grands cuirassés, qu’il nommait « les géants de la mer », contre
les torpilleurs et même les sous-marins, « cette poussière navale ». Il
savait les noms des navires, il citait leur tonnage. Et, parfois, au coucher
du soleil, devant son absinthe à demi bue, où il rajoutait de l’eau pour
faire durer le plaisir, il prononçait d’un air pensif : « C’est l’heure ! On
amène le pavillon ! » Ce terrible lieutenant de vaisseau, dont le défi
l’avait fait frémir, maintenant qu’il espérait bien ne plus jamais le revoir,
il se sentait pénétré à son égard d’une affection toute paternelle. « Je
l’aime comme mon fils, confiait-il à ses amis du cercle… Si les requins
ne le mangent pas, nous en ferons un frégaton. »
Il ne savait pas au juste ce que c’est qu’un frégaton, et d’ailleurs nul
ne songeait à s’en informer. Mais la lourdeur même de cette terminaison
quasi-italienne leur paraissait à tous comporter le superlatif.

C’est ainsi que, par la seule force de son imagination, le Monarque


s’était à lui-même rendu la confiance. Ce fut donc sans appréhension
qu’il reconnut, un matin, sur une lettre que lui apportait le facteur,
l’écriture de Malvaize, le député. Elle était timbrée de Paris. « Ça y est,
songea-t-il, le Malavial a son commandement. Ce bon Malavial ! »
Décidément, le lieutenant de vaisseau ne lui apparaissait plus que comme
un ami. A force de l’avoir dit, il le croyait. Il éprouvait même un peu de
peine à ne pouvoir lui faire connaître, à ce brave marin, que c’était à lui,
le Monarque, qu’il devait sa chance. Il ouvrit la lettre joyeusement, et ses
bras tombèrent le long de son corps, tout à coup glacé.
« Mon cher ami, écrivait le député, le lieutenant Malavial est en
congé régulier pour six mois. Les règlements s’opposent à votre désir.
Mille regrets… »
Le Monarque blêmit. Le découragement, la peur même, venaient
d’entrer dans son âme, en même temps que la rage.
— Ah ! le cochon ! cria-t-il.
Madame Emma, qui l’entendit, devint toute pâle à le voir si pâle.
— Monarque, dit-elle, qu’est-ce que tu as, pauvre ? Qu’est-ce qui
vient de t’arriver ?
— Rien, dit-il. Mais ces Parisiens ne feront jamais la plus petite
chose pour le Midi !
Ce fut tout. Pour la première fois de sa vie, le Monarque avait un
secret ; il portait dans sa tête une chose qui ne pouvait pas se dire, pas
plus à madame Emma qu’à personne, encore moins à madame Emma
qu’à personne, une chose qui pouvait l’humilier ! Il allait être roulé par
des gens du Nord, il allait perdre la face, à l’Espélunque même, dans son
pays, devant ses propres concitoyens. Tout le monde vit bien pourtant, au
cercle, le soir de ce jour néfaste, qu’il y avait quelque chose qui n’allait
pas, et il sentit lui-même qu’il ne pouvait garder complètement le
silence. Pouvait-on croire, quelqu’un au monde pouvait-il croire que le
Monarque, un seul jour, se tairait ? C’eût été prêter à tous les soupçons.
D’ailleurs, son cœur était trop plein.
— On m’a manqué de parole, à Paris, dit-il amèrement. Il n’a pas son
commandement !
Chacun comprit qu’il ne pouvait être question que de Malavial,
lieutenant de vaisseau. Ils connaissaient tous Malavial. Malavial, depuis
six semaines, c’était « le marin, » le seul marin de l’univers pour
l’Espélunque.
— C’est un grand malheur pour la marine, dit Bécougnan, affligé.
— La marine, répliqua brusquement le Monarque, elle est f…tue !
Et, en vérité, un si intime mélange s’était fait dans son esprit entre le
désir fervent qu’il avait de voir Malavial commander un beau navire
dans les mers de Chine et sa terreur de le voir tomber chez lui, qu’il était
sincère. Il ne pleurait pas sur lui, il plaignait la France. On a vu souvent
des ministres renversés imbus du même sentiment : ainsi l’inquiétude
même du Monarque accrut sa sensibilité, la haussa jusqu’à celle même
de ce qu’on peut appeler, si l’on n’est pas difficile, notre élite politique ;
et, sous l’empire du malheur, il devint sentimental.
Le printemps venait de renaître. Cette phrase, traduction exacte d’un
hémistiche latin, ne comporte tout son sens que dans ces pays de
bénédiction où les premiers soleils, dès qu’ils frappent le sol encore tout
gonflé des pluies bienfaisantes de l’hiver, font éclore de toutes parts les
fleurs : des fleurs par centaines de mille, des fleurs par millions, des
fleurs de toutes les couleurs, fourragées par des abeilles dont les pattes
poilues, surchargées de pollen, ont l’air de pistils d’or ; et l’on dirait
d’autres fleurs, qui s’envolent ! Il y a la magnificence rose des
amandiers ; il y a les violettes, les délicieuses petites violettes, à l’orée
des bois ; et, dans les broussailles, le regard attendri des pervenches ; il y
a tous les ronciers, radieux d’étoiles blanches ; il y a, sur la montagne,
toutes ces plantes épineuses et rêches, dont les amours sentent le
sauvage ; et la vigne même, quand la sève monte, a son odeur. Le
Monarque errait dans ces sensualités, mélancolique, amer et tout
nouveau, ne se reconnaissant pas lui-même. Les autres années, il avait
été heureux, à cette même saison, mais aussi inconsciemment que
n’importe laquelle de ces fleurs. Maintenant qu’il avait le cœur si gros et
l’âme si sombre, il se sentait tout différent ; il s’opposait aux choses, il
leur en voulait de leur bonheur, mais il les voyait comme il ne les avait
jamais vues. Puis il pensait, rageusement : « Tout cela ne prouve rien,
rien, rien !… sinon que les semaines passent ! Dans trois semaines, dans
quinze jours, dans huit jours, les trois mois seront révolus ! Et alors… »
Alors, ce serait fini de sa royauté. De sa royauté illusoire, de sa
royauté de paresse, de plaisir, de romances et de politique. Tout le monde
se paierait sa tête : non point ces Parisiens seulement, mais tout le
monde ! Il ne ferait plus le malin, il ne serait plus le Monarque. Son
unique espoir, à cette heure, lui vint de ce qu’il jugeait les autres d’après
lui-même : quand on a dit, n’est-ce pas : « Je ferai ça dans trois mois »,
on ne le fait jamais, on n’y pense plus. On ne fait que les choses qu’on
fait tout de suite. Il était si fatigué d’être malheureux qu’il se cramponna
comme un noyé à ce raisonnement. Dans ces jours suprêmes, il retrouva
presque tout son calme, toute sa gaieté ; il dormit ! Et à l’avènement du
premier jour du quatrième mois, en s’éveillant, le matin, il dit bonjour au
soleil. Il n’était pas là, hein ! il n’était pas là, le Malavial, lieutenant de
vaisseau ? Donc il ne viendrait pas. C’était fini de ce cauchemar ! Et
même, allons plus loin, mettons les choses au pis, supposons qu’il arrive
demain. Est-ce qu’il ne pourrait pas lui répondre : « J’ai promis pour
cette date, non pour une autre. » Évidemment, comme excuse, ce n’était
pas brillant. Mais, tout de même, tout de même…
A une heure de l’après-midi, il distingua une automobile, au bas de
Massane, où est la fontaine d’Estelle et Némorin. Elle s’arrêta au
carrefour, comme pour assurer sa route, et puis, se décidant, commença
de gravir la côte. Et le Monarque sentit sa chemise lui plaquer sur le dos.
Il avait la sueur froide. C’étaient eux : il fut, du coup, par un
pressentiment certain, sûr que c’étaient eux. La trompe de l’automobile
meugla. Ayant vu jouer Hernani à Nîmes, il se rappela le cor de Ruy
Gomez : ses bourreaux s’annonçaient. Mais cette réminiscence lui donna
du courage. Il appartenait à une vieille race, dont la bravoure a besoin de
littérature. Et, tout de suite, sa résolution fut prise : avant tout, il ne fallait
pas que l’Espélunque sût qu’il s’était engagé dans un défi qu’il allait
perdre. Il descendit donc au-devant de l’automobile, froidement, l’air
d’être ailleurs, comme un homme qui se promène. C’étaient bien eux ! Il
reconnut les casquettes des chauffeurs et le petit homme sec, mince,
décoré. Impavide, il tint le milieu de la route.
— Dites donc, vous ! dit celui qui tenait le volant, en bloquant son
frein.
Le Monarque brandit son large feutre, comme un vrai chevalier.
— Le lieutenant de vaisseau Malavial ? interrogea-t-il d’une voix
claire.
— C’est moi, monsieur, dit le petit homme sec.
— Je suis monsieur Bonnafoux. Vous le voyez, je vous attendais !
Alors, interdits, pleins d’admiration, ils saluèrent.

Devant l’automobile arrêtée, le Monarque gardait sa mine fière.


Intérieurement, il était déchiré, il était anéanti, mais il n’en montrait rien.
En présence de la catastrophe enfin survenue, les deux qualités
magnifiques et en apparence contradictoires de sa race venaient de
s’associer pour le tenir debout. D’une part, dans la réalité, il n’apercevait
que les conséquences les plus immédiates des événements ; de l’autre,
l’avenir lointain ne lui apparaissait toujours que comme une terre
immense et féconde en chimères, où l’on peut découvrir ce qui plaît, ce
qui n’arrivera pas. Et c’est là simplement la forme la plus nette et la plus
heureuse du sentiment de la vie : le sentiment de la vie est toujours
optimiste chez un homme sain. S’il en eût été autrement, le Monarque
n’eût même pas essayé de lutter, il eût avoué, il se fût humilié :
« Messieurs, j’ai parlé sans réfléchir : vous savez bien ce que c’est
qu’une galéjade, vous avez entendu parler… Je ne peux pas faire ce que
je vous ai dit, et je ne puis pas vous payer. Je ne suis qu’un pauvre
homme, l’homme le plus pauvre d’ici, et une espèce de poète. Mes
paroles n’ont pas d’importance. Et, vous, vous êtes des hommes riches :
contentez-vous d’avoir fait une promenade. » Voilà ce qu’il pouvait dire,
et peut-être que ces gens s’attendaient bien qu’il le leur dît. Ils n’étaient
venus que pour se promener, en effet. Mais le Monarque n’y pensa pas
une minute. L’impression salutaire et naïve qui l’emplissait à ce moment,
c’est qu’il était beau dans son attitude ; ça lui donnait du courage. Et, en
même temps, il songeait uniquement : « Je leur ai dit que je ferais cent
kilomètres à cheval. Eh ! Est-ce que j’ai un cheval, seulement ! Je n’ai
qu’une chèvre ! Il faut que je trouve un cheval. » Voilà tout. C’est ce qui
s’appelle la bravoure, quand on y réfléchit. Mais le Monarque ne savait
même pas qu’il était brave : il était lui, ingénument. Le moteur de la
machine continuait à ronfler, faisant frissonner toute la carrosserie
comme le ventre d’une énorme cigale ; l’échappement des gaz, derrière
la voiture, soulevait la poussière de la route. Et la voix du Monarque,
tout à coup, sonna comme un clairon :
— Mon commandant, messieurs ! dit-il… J’espère que nous sommes
entre gensses du monde !
Le lieutenant de vaisseau et ses deux compagnons eurent un léger
sursaut. Ils avaient sous les yeux le feutre du Monarque, son complet
couleur de canard chinois, sa chemise à fleurs, et pourtant ils n’eurent
même pas la plus petite envie de rire. Voilà ce que c’est que d’avoir le
ton : un homme tout nu, s’il est très éloquent, s’il a le ton, il peut faire
croire qu’il est habillé ! Le « commandant » fit de la tête un signe
d’assentiment.
— Eh bien, messieurs, poursuivit le Monarque, ne pensez-vous pas
que ces défis d’honneur doivent se régler dans le calme et la discrétion ?
Seriez-vous satisfaits que nous fussions livrés à la curiosité des
populaces ? De la place où vous êtes à Montbrul, il y a cinquante
kilomètres. Trouvez-vous ici demain, dès l’aube, mais ne dites rien à
personne. C’est tout ce que je vous demande. Puis-je compter sur vous ?
— Mais, cinquante kilomètres… objecta l’un des chauffeurs.
— … Ce n’est que la moitié du trajet ? Messieurs, je reviendrai dans
la même journée, répondit le Monarque doucement.
S’il parlait avec cette assurance, c’est qu’il ne songeait, pour
l’instant, ni à revenir ni même à partir. Il ne concevait qu’une chose,
c’est d’abord qu’il fallait que personne ne sût rien à l’Espélunque,
ensuite qu’il n’avait pas de cheval. Le reste n’était rien : le reste, il se
racontait qu’il l’avait fait ! Ce n’était encore qu’une histoire.
Les automobilistes acceptèrent le plan, et rebroussèrent chemin.
— Barrier, qu’est-ce que c’est que ce type-là ? demanda seulement
Malavial à celui qui tenait le volant.
Celui-ci hocha la tête :
— Je croyais que c’était un blagueur. Probablement, c’est un fou.
Le fou les regarda, le plus longtemps qu’il put, paraître, puis
disparaître et reparaître encore au hasard des lacets de la route. Il avait
l’inquiétude qu’on le regardât aussi, il voulait conserver, aussi longtemps
qu’il le fallait, la dignité de son attitude. La vigoureuse automobile
ralentissait aux descentes, puis prenait son élan pour escalader les côtes
comme une bête de sang. « Quelle bêtise, songea-t-il amèrement, quelle
bêtise qu’il y ait encore des chevaux, puisqu’ils ont inventé ces
machines-là ! » Maintenant que cette petite nuée de poussière mouvante
commençait à se perdre dans toute la poudre aérienne que l’heure du
midi dorait, une noire mélancolie lui faisait courber les épaules. Devant
le café de l’ami Muraton, Touloumès le héla. Pour la première fois de sa
vie il ne répondit point. Mais il redressa le torse, pourtant, en faisant
« Bonjour ! Bonjour ! » d’un geste vif de la main, comme un homme
occupé. Et c’est vrai qu’il était occupé ! Bon Dieu ! jamais il n’avait été
si occupé, ni si étonné de l’être : le Monarque est un homme qui ne
connaît pas les soucis, il « se parle » au jour le jour, il vit en imagination.
Aujourd’hui, on le forçait de réaliser une chose qu’il avait dite : il
éprouva la conscience irritée que ces gensses du Nord lui faisaient une
injustice, l’obligeaient, comme des imbéciles qui ne savent pas les règles
du jeu, à sortir de sa partie. Il dépassa Touloumès de quelques pas, puis,
frappé par une idée subite :
— Sais-tu, lui dit-il, si Racamond est chez lui ?
— Racamond le protestant ? fit Touloumès. Sûr ! Je l’ai vu tout à
l’heure, avec son valet, qui rentrait sa herse. Pourquoi ?
— Rien, répondit le Monarque qui réfléchissait. J’ai affaire à lui. Ça
te suffit ?
Ce n’était pas la manière ordinaire du Monarque. Et cela fit
impression sur Touloumès, qui n’insista pas.
Le Monarque rentra chez lui, d’un pas égal, à force de volonté, mais
la tête basse, pour n’avoir plus à parler à personne. On le fatiguait. La
vue des hommes fatiguait le Monarque ! Il n’avait pas, depuis sa
naissance, ressenti cette impression. C’est aussi qu’il n’avait jamais
médité, jamais souhaité la solitude pour méditer : il avançait à cette
heure dans un monde nouveau, si étrange pour lui qu’il avait envie
d’étendre les mains, comme lorsqu’on entre dans une chambre obscure.
Madame Emma lui servit de la salade avec deux œufs durs, coupés en
petits morceaux, et ensuite un peu de lard froid, reste du souper de la
veille.
Telle était son habitude, à madame Emma : elle servait toujours les
légumes d’abord, parce que cela tue le gros de l’appétit ; et la viande
alors n’est plus qu’une espèce de dessert, un luxe. Elle avait de
l’économie. Mais elle restait debout pour le servir, ainsi qu’il convient,
et, puisque son mari gardait le silence, elle ne lui adressa pas la parole.
Toutefois, ce silence même était si nouveau qu’il lui parut épouvantable.
Elle avait le cœur serré. Le Monarque avala un verre de brandevin,
s’essuya la bouche et se leva.
— Monarque, dit-elle, où vas-tu ? C’est l’heure de la sieste, et le
soleil est déjà chaud !
— Si on te le demande, fit le Monarque rudement, tu diras que tu
n’en sais rien.
Racamond habitait, un peu en dehors de l’Espélunque, un des plus
beaux mas du village. Sa femme était pieuse, il était austère. Ce
huguenot, descendu des Cévennes, avait le nez aquilin, les pommettes
hautes et l’air grave d’un Maure. Et, sûrement, ce n’était pas un Latin : il
prenait tout au sérieux. Un de ses aïeux avait été tué aux côtés de Roland,
le camisard ; son grand-père avait été assassiné lors de la Terreur
blanche. Il en conservait de l’orgueil, cela lui faisait une noblesse ; et,
plein de commisération pour ceux qui n’étaient pas calvinistes, il ne
souhaitait pas cependant leur conversion. Il était reconnaissant au ciel, il
était content de lui, il était riche ; il n’était pas gai.
Le Monarque le trouva encore à table, avec sa femme et ses cinq
enfants, trois fils et deux filles. On le fit asseoir, on lui offrit le
brandevin. Il but. Puis, sans hésiter, connaissant cette fois la redoutable
puissance de l’idée fixe :
— Monsieur Racamond, dit-il, est-ce que vous avez besoin de Pie
Douze demain ?
— Pourquoi faire ? demanda Racamond, étonné.
Pie Douze, c’était le cheval de la Camargue qu’il avait acheté l’année
dernière en Avignon ; et il l’avait d’abord appelé Pie Dix parce que ce
cheval est pie et aussi que, étant protestant, Racamond est anticlérical ;
puis Pie Douze, sur les représentations de sa femme qui lui avait
remontré qu’il ne fallait pas faire de la peine au curé. Pie Douze n’a pas
encore existé. Alors n’est-ce pas, on peut…
Le Monarque rougit légèrement.
— C’est pour… pour me promener ! dit-il.
Alors, Racamond, celui qui n’est pas gai, se mit les mains sur le
ventre et commença de rire, mais de rire ! Et ses trois fils, dont l’un avait
la figure d’un Romain et les deux autres d’Arabes, voyant qu’il riait,
virent que c’était permis de rire. Ils regardaient les jambes du Monarque,
ils regardaient ses fesses, ils regardaient son buste. Et ils
recommençaient à rire, et madame Racamond et ses deux filles, brunes
avec des cheveux en bandeaux plats, des taches de rousseur sur les joues,
et de beaux yeux, baissaient le nez dans leur assiette, pour la décence.
— Mais, Monarque, dit Racamond en reprenant haleine, il y a bien…
il y a bien vingt ans que tu n’es monté à cheval ?
— Dix-huit ! corrigea le Monarque, dix-huit ! quand je faisais mon
service à Nîmes, dans l’artillerie. Mais ne me refusez pas, monsieur
Racamond. C’est… c’est pour ma santé.
Racamond réfléchit. Le Monarque était un personnage douteux, et,
d’après sa manière de voir, immoral. Mais un personnage tout de même,
dans le pays. Telle fut l’excuse qu’il voulut bien se donner à lui-même.
Dans le fond de son âme, caché à sa propre conscience, il y avait un
autre sentiment : c’est que l’air qu’il respirait lui avait versé ses poisons
indulgents, c’est qu’il aimait le Monarque, le Monarque indolent, le
Monarque luxurieux, mais chanteur, mais conteur, mais magnifique,
mais innocent, malgré tout, et poète, enfin, oui, poète ! Il répondit :
— Ce sera selon ton désir, Monarque.
Et, comme il se levait pour le conduire aux écuries, tous se levèrent,
par respect, mais aussi par curiosité. Ils l’accompagnaient.
Pie Douze avait une tête fine sur un col épais, mais nerveux, la robe
isabelle, les jambes sèches, la croupe ravalée. Mais tout cela poilu, mal
tenu, barbare : une bête pareille à tous ces gens qui étaient là, de bonne
race, et paysanne. De le voir, le Monarque eut tout à coup un frisson qui
lui glaça l’échine. Comme le condamné qu’on mène à l’échafaud, il
venait d’apercevoir le bourreau, la machine, et son corps reculait. Il
demanda pourtant, de l’air le plus indifférent qu’il put :
— Il paraît que ça peut faire cent kilomètres, un homme sur le dos,
ces bêtes-là ?
— Il paraît, répondit vaguement Racamond.
— Il paraît ? fit le Monarque, inquiet. Mais vous ne l’avez jamais
fait ?
— Non, naturellement, admit Racamond. C’est une chose qui se dit
comme ça.
— C’est une chose qui se dit comme ça ! reprirent les trois fils, en
écho.
— Et ça vous suffit ! cria le Monarque emporté d’une rage subite. Ça
vous suffit ! Vous ne valez pas mieux que tout le reste du pays, alors ! Un
pays de blagueurs, un pays de fumistes ! Un pays où on parle, on parle
— et on ne f… jamais rien ! Vous n’avez pas honte ?
Les autres courbèrent la tête. C’était vrai, tout de même. Leur
religion leur avait inculqué l’habitude des examens de conscience en
commun, et ils reconnaissaient en silence leur faute, s’étonnant
seulement de la bouche que le ciel avait choisie pour la leur reprocher.
— Enfin dit le Monarque en soupirant, je viendrai chercher le cheval
demain à six heures.
Et il s’éloigna, lugubre.

Dès cinq heures et demie du matin, au même endroit que la veille,


tout au sommet de la côte, vers Massane, l’automobile attendait. Tirés
trop tôt de leur sommeil, les compagnons de Malavial baillaient. Ils
sentaient sur leurs épaules le froid de l’aube naissante, et, dans le petit
jour gris, leur humeur s’assombrissait. L’aventure, maintenant, leur
paraissait ridicule. De deux choses l’une : ou bien le fou, le fumiste, le
Tartarin, l’homme enfin, quel qu’il fût, ne viendrait point, ou bien il allait
falloir le suivre, le suivre toute la journée, pendant vingt-cinq lieues, et
recommencer le lendemain. A moins qu’il ne claquât en route, lui ou sa
bête, ou tous deux ensemble. Et alors cela devenait tragique, c’était pour
eux une insupportable responsabilité. Décidément, le mieux était qu’il ne
vînt pas !
— Il ne viendra pas ! conclut donc Barrier, manifestant son espoir.
— Alors, demanda Malavial, hésitant, les vingt-cinq louis ?…
— Eh bien, tu ne les paieras pas, ni lui non plus. Penses-tu donc qu’il
est solvable ? Tu ne l’as pas regardé. Fichons le camp. Nous irons
déjeuner à Carcassonne. Il paraît que c’est très bien, Carcassonne.
Il avait à peine prononcé ces mots que le Monarque apparut.
Et le Monarque était à cheval ! Le Monarque venait vers eux,
gravement, à petits pas, un peu pâle, mais à peu près bien assis sur son
coursier dont l’allure était sage, et qui, ravi par le grand air, encensait un

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