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9 LE STATUT DE LA CONSCIENCE SELON NIETZSCHE. COURS.

Publié le 27/02/2012 à 07:57 par cafenetphilosophie Tags : pensée pensées vie homme nature animaux lecture

     Nietzsche remet en cause radicalement la conception classique qui fait de la conscience l'originalité de l'homme, lui affectant une dignité particulière au sein de la nature. Voici ce qu'il écrit à ce propos dans "La volonté de puissance":  "Nous considérons que c'est par une conclusion prématurée que la conscience humaine a été si longtemps tenue pour le degré supérieur de l'évolution organique et la plus surprenante des choses terrestres, voire comme leur efflorescence suprême et leur terme. Ce qui est plus surprenant, c'est bien plutôt le corps.

 La splendide cohésion des vivants les plus multiples, la façon dont les activités supérieures et inférieures s'ajustent et s'intègrent les unes aux autres, cette obéissance multiforme, non pas aveugle, bien moins encore mécanique, mais critique, prudente, soigneuse, voire rebelle, tout ce phénomène du "corps" est, au point de vue intellectuel, aussi supérieur à notre conscience, à notre "esprit", à nos façons de penser, de sentir et de vouloir, que l'algèbre est supérieure à la table de multiplication".

 

   Dans "Le Gai Savoir", Nietzsche relativise l'importance de la pensée et de la conscience:

  

   "Nous pourrions en effet penser, sentir, vouloir, nous ressouvenir, nous pourrions de même "agir" dans tous les sens du terme: tout ceci n'aurait nullement besoin d'"entrer dans notre conscience". La vie entière serait possible sans pour autant se voir réfléchie: c'est effectivement ainsi d'ailleurs que pour nous la majeure partie de la vie continue à s'écouler sans pareille réflexion, -y compris même notre vie pensante, sensible, voulante- si malsonnant que puisse être ceci aux oreilles d'un ancien philosophe. Pourquoi d'ailleurs absolument de la conscience, dès lors qu'elle est superflue à l'essentiel?"

 

  A cette dernière question, Nietzsche, toujours dans "Le Gai Savoir",  y répond de la manière suivante:

 

  "Je me trouve en droit de supposer que la conscience ne s'est développée que sous la pression du besoin de communiquer; qu'elle était nécessaire et utile au début que dans les rapports d'homme à homme (notamment pour le commandement), et qu'elle ne s'est développée que dans la mesure de cette utilité. La conscience n'est qu'un réseau de communications entre hommes: c'est en cette seule qualité qu'elle a été forcée de se développer: l'homme qui vivait en solitaire, en bête de proie, aurait pu s'en passer. Si nos actions, pensées, sentiments et mouvements parviennent -du moins en partie- à la surface de notre conscience, c'est le résultat d'une terrible nécessité qui a longtemps dominé l'homme, le plus menacé de tous les animaux: il avait besoin de secours et de protection, il avait besoin de son semblable, il était obligé de savoir dire ce besoin, de savoir se rendre intelligible; et pour tout cela, en premier lieu, il fallait qu'il eût une "conscience",, qu'il "sût" lui-même ce qui lui manquait, qu'il "sût" ce qu'il sentait, qu'il "sût" ce qu'il pensait. Car comme toute créature vivante, l'homme, je le répète, pense constamment, mais il l'ignore; la pensée qui devient consciente ne représente que la partie la plus infime, disons la plus superfcielle, la plus mauvaise, de tout ce qu'il pense: car il n'y a que cette pensée qui s'exprime en paroles, c'est-à-dire en signes d'échanges, ce qui révèle l'origine même de la conscience. Bref le développement du langage et le développement de la conscience... vont de pair. (...)

   Je pense comme on le voit, que la conscience n'appartient pas essentiellement à l'existence individuelle de l'homme, mais au contraire à la partie de sa nature qui est commune à tout le troupeau; qu'elle n'est, en conséquence, subtilement développée que dans la mesure de son utilité pour la communauté, le troupeau; et qu'en dépit de la meilleure volonté qu'il peut apporter à se "connaître", percevoir ce qu'il a de plus individuel, nul de nous ne pourra jamais prendre conscience que de son côté non individuel et "moyen"."

 

 Ces textes de Kant, Pascal, Nietzsche, mettent en évidence les ambiguïtés à propos de la définition de la conscience et de la pensée. Il est clair que pour Nietzsche la conscience, la pensée sont assimilées au psychisme en général. La conscience et la pensée ne sont que des aspects superficiels de ce psychisme, les aspects communs à tous les membres de l'espèce et qui n'apparaissent que sous la pression du besoin et par l'intermédiaire du langage. Ce qui est remarquable, c'est le corps et cette complexité du corps n'est pas le propre de l'homme.

  En revanche, pour la pensée classique, non seulement la conscience et la pensée ne se réduisent pas à un psychisme plus développé mais se présentent comme des dimensions nouvelles de la réalité, fondements de la spécificité et de la dignité particulières de l'homme. Comme nous le verrons, ces deux interprétations différentes à propos du statut de la conscience et de la pensée éclaireront nombre de conclusions à propos des capacités d'action et de connaissance de l'espèce humaine.

  Nous nous proposons lors du prochain billet consacré à la publication progressive de ce cours, d'analyser de manière critique les conceptions de Nietzsche, telles qu'elles apparaissent dans les  extraits soumis ce jour à votre lecture.