Gallia: Tableau sommaire de la Gaule sous la domination romaine
Par Ligaran et Camille Jullian
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Aperçu du livre
Gallia - Ligaran
Préface
JULES CÉSAR (Musée de Naples).
Ce petit livre n’a d’autre prétention que de chercher à n’être pas inutile. Il s’adresse d’abord et surtout aux étudiants des Lycées et des Facultés : peut-être leur servira-t-il à compléter leurs manuels et leurs livres de lectures historiques. – On a aussi pensé, en le faisant, aux archéologues de la province : on voudrait qu’il pût les encourager à explorer notre sol et à accroître les richesses de nos musées et les documents de notre histoire. – Enfin il a été souvent écrit en vue des gens du monde, de ceux qui aiment le passé de notre chère France.
On ne nous en voudra pas d’ajouter qu’il a été fait avec amour : on ne s’est pas défendu, toutes les fois que la vérité historique n’en souffrait pas, de parler avec sympathie de nos ancêtres et des fondateurs de notre patrie ; en racontant les destinées de la Gaule, on s’est attaché à montrer en quoi elles annonçaient celles de la France.
On a ajouté au texte un très grand nombre de figures : toutes, sauf trois ou quatre, reproduisent des monuments gallo-romains ; on a pu faire ainsi de ce livre un album d’antiquités nationales.
Nous avons indiqué avec soin, dans ce volume, tout ce qui pouvait intéresser les grandes villes de la France, en particulier Lyon, la capitale romaine, et Paris, la capitale française.
Les citations empruntées à des auteurs modernes sont assez nombreuses. Quand nous étions d’accord avec eux, il nous a paru inutile de chercher à dire autrement ce qu’ils avaient déjà parfaitement dit.
Peut-être quelques-uns des maîtres qui ont inspiré et souhaité ce petit livre lui feront-ils l’honneur de le parcourir. Qu’ils veuillent bien l’accueillir avec beaucoup d’indulgence et un peu de confiance. Tout appareil scientifique en a été soigneusement exclu : qu’ils croient cependant que les textes ont été lus, les inscriptions et les monuments consultés, et qu’il y a dans ces pages le résultat de quelques recherches personnelles.
Camille JULLIAN.
Bordeaux, 1er juillet 1892.
Avant-propos
Comment nous connaissons La Gaule
1
Les écrits
Ce n’est pas par les Gaulois que nous connaissons le passé de notre pays : il n’est rien resté ni de leurs poésies populaires, ni de leurs annales politiques. C’est par leurs vainqueurs les Romains ou par les Grecs, que nous savons leur plus ancienne histoire.
L’ouvrage fondamental sur les origines gauloises est précisément le livre des Commentaires écrits par l’homme qui a conquis notre pays, Jules César : il y raconte ses guerres, il y décrit les mœurs politiques, sociales et religieuses de la Gaule en termes sobres, nets, précis. On peut lui reprocher cependant d’avoir souvent parlé plus en politique et en orateur qu’en érudit et en historien. Il a interprété à la manière romaine les institutions gauloises plutôt qu’il n’a fourni sur elles des renseignements sûrs et authentiques ; il a volontiers arrangé les choses pour leur donner un tour littéraire ou pour les plier à ses idées philosophiques.
Le géographe Strabon, qui écrivait en grec dans les premières années du règne de Tibère, est moins complet que César, mais plus sûr et peut-être aussi précieux. C’est un homme fort consciencieux ; sans doute, il n’a point visité la Gaule, mais il a recouru pour la décrire à des documents officiels ou à des historiens de tout repos. Il est probable que, comme tant d’écrivains de son temps, il a beaucoup emprunté à Posidonius, le philosophe grec du Ier siècle avant l’ère chrétienne. Posidonius était intelligent, instruit, d’une véritable valeur scientifique : on doit se fier aux renseignements qui viennent de lui. Grâce à Strabon, nous pouvons ainsi jeter parfois un coup d’œil assez net sur la Gaule d’avant la conquête romaine.
Les autres écrivains du Ier et du IIe siècle ne donneront plus sur la Gaule romaine que des notions assez vagues ou des détails trop arides. Tacite a raconté les insurrections du Ier siècle, mais d’une façon trop oratoire : on chercherait en vain à se faire, d’après lui, une idée nette du caractère de ces évènements. Pline l’Ancien nous donne des documents statistiques de premier ordre. Plutarque, Lucain, Méla, Josèphe, Suétone, d’autres encore, ajoutent de précieux détails ou d’instructives anecdotes à la connaissance de la Gaule depuis César jusqu’à Domitien.
L’histoire de la Gaule au IIe siècle va nous échapper complètement. Il faudra se contenter, pour cette époque, des récits épars chez Dion Cassius et chez Hérodien, et des sèches nomenclatures géographiques du Grec Ptolémée.
C’est, en effet, la littérature géographique qui offre le moins de lacunes pour la connaissance de la Gaule romaine. Elle nous fournit, au commencement du IIIe siècle, deux documents d’une importance capitale : l’Itinéraire Antonin et la Table de Peutinger nous donnent le tableau des principales routes de la Gaule, le nom de tous les relais et le chiffre des distances qui les séparent ; le premier sous la forme de guide, la seconde sous la forme de carte. Grâce à tous ces travaux géographiques, nous saurons toujours mieux la topographie que l’histoire de la Gaule. – Les évènements du IIIe siècle ne nous sont connus que par quelques pages insignifiantes des compilateurs de l’Histoire Auguste.
Fragment de la Table de Peutinger.
Au IVe siècle, l’histoire de la Gaule nous est enfin racontée d’une façon large et vivante : de tous les âges de la Gaule romaine, c’est évidemment celui que nous ignorons le moins. Nous avons, en particulier, l’œuvre si sincère et si solide d’Ammien Marcellin, les écrits de l’empereur Julien, sans parler des Notices officielles des Dignités et des Villes, des historiens grecs et des chroniqueurs chrétiens du Ve siècle. En ce temps-là aussi, ce sont enfin des Gaulois qui nous parlent de la Gaule et qui la font revivre à nos yeux : les panégyriques d’Autun, les poésies et les lettres d’Ausone, nous font pénétrer fort avant dans la vie politique, littéraire et privée de la Gaule sous les derniers empereurs ; Rutilius Namatianus, Paulin de Pella, d’autres encore, nous feront admirablement connaître l’état d’esprit des Gaulois à la veille de l’invasion. Or c’est précisément cette vie intérieure que les historiens romains ou grecs des premiers siècles nous avaient laissé le plus ignorer.
2
Les inscriptions
On peut suppléer en partie à cette lacune à l’aide des inscriptions. Extrêmement nombreuses dans les trois premiers siècles, elles deviennent fort clairsemées au IVe, précisément à l’époque où abondent en Gaule les écrits de toute sorte. Plus de douze mille peut-être nous sont parvenues de tous les points de la Gaule, mais surtout des villes et du Midi ; les villes de Narbonne, de Nîmes, de Lyon, de Bordeaux, d’Arles et de Vienne sont les plus riches en inscriptions. On dira plus loin quels services elles nous ont rendus : c’est grâce à elles que nous connaissons les croyances de la Gaule romaine, les noms de ses dieux et les titres de ses magistrats, son organisation provinciale et militaire, ses coutumes privées et le culte qu’elle rendait à ses morts.
Les inscriptions de la Gaule ont même sur les historiens un incomparable avantage. L’historien le plus sincère, comme Ammien, nous donne le fait tel qu’il le comprend ou tel qu’il le sait, non pas tel qu’il est ; l’inscription ne raconte pas : elle est un document, ou plutôt elle est le fait lui-même. Elle nous apprend parfois fort peu de chose, sans doute, mais ce peu de chose a une valeur irréductible. – On trouve dans une vallée reculée de la Provence une inscription du temps d’Auguste consacrée au Jupiter du Capitole, Jovi Optimo Maximo ; l’autel qui la porte a été sculpté et gravé à l’endroit même : il est en pierre du pays. Ne doit-on pas conclure de là que, dès le temps d’Auguste, le culte du grand dieu de Rome avait pénétré jusque dans ce coin perdu de terre gauloise ? Voilà un fait, contre lequel rien ne prévaudra. Assurément, ce fait est d’importance minime et n’intéresse que la Provence. Mais, si l’on trouve des inscriptions semblables un peu partout dans la Gaule, à Bordeaux, à Paris, ailleurs encore, le fait s’étend, s’élargit, et tout de suite nous sommes en présence d’un chapitre capital de l’histoire de la Gaule, la diffusion, dès le début de l’empire, des cultes romains par tout le pays.
L’épigraphie, ou la science des inscriptions, permet ainsi de faire l’histoire comme on établit les lois physiques et naturelles, par une série d’observations et d’hypothèses, et parfois même d’expériences. Deux exemples pourront le montrer. – En publiant les inscriptions de la colonie de Narbonne, M. Hirschfeld a remarqué un très grand nombre de noms propres terminés en enus ou enius, comme Usulenus, Lafrenus, Servenius ; or ces noms, rares dans le reste de l’empire, sont très fréquents dans l’Italie centrale, en Ombrie, en Étrurie, dans le Picénum. On peut expliquer cette coïncidence, dit M. Hirschfeld, en supposant que les premiers colons de Narbonne, envoyés par César ou Auguste, étaient originaires de ces pays. – Voici une autre hypothèse qui a pu se vérifier plus complètement. Le même M. Hirschfeld a relevé, dans les inscriptions nîmoises, des traces de souvenirs égyptiens : culte d’Isis, noms propres d’aspect singulier, institutions municipales analogues à celles d’Alexandrie. Ces observations l’ont amené à supposer qu’Auguste établit à Nîmes des colons venus d’Égypte. À ces faits et à cette supposition, il a pu joindre une sorte d’expérience : en examinant les monnaies de la colonie nîmoise, il a constaté la présence, comme symbole ou armoirie de la ville, d’un crocodile enchaîné, souvenir de l’Égypte vaincue. Voilà l’hypothèse vérifiée et fortifiée.
3
Les monuments
Enfin, pour connaître la civilisation matérielle de la Gaule, ses progrès dans les arts, la richesse de son industrie, la beauté de ses villes et de ses villas, nous avons les monuments restés debout sur notre pays, ou les fragments et les bijoux retrouvés dans les ruines.
Des monuments s’élèvent encore dans les anciennes villes romaines, surtout dans les colonies du Midi, à Nîmes, Arles, Orange, Vienne, Fréjus ; dans le Nord, Trêves, dans l’Ouest, Saintes, sont presque aussi riches à cet égard. Les monuments sont moins nombreux et moins bien conservés dans les autres villes ; mais il est rare qu’une grande cité française n’ait pas une ruine importante de l’époque romaine. Dans les campagnes mêmes, et quelquefois dans des pays perdus, on est émerveillé de rencontrer des édifices encore superbes, mausolées, aqueducs, théâtres, villas. Ce qui s’est construit sur notre sol du Ier au IIIe siècle est incroyable. Seul, peut-être, le Moyen Âge gothique, du XIIIe au XVe siècle, a pu rivaliser d’activité et de richesse avec l’ère romaine. Encore s’est-il relativement peu perdu de cette partie du Moyen Âge : et depuis quinze siècles les édifices romains ont été pillés et détruits sans relâche. Les barbares du siècle ont commencé leur ruine ; mais les générations modernes l’ont achevée. On accuse volontiers les Germains du Ve siècle et les chrétiens du Moyen Âge de cette œuvre de dévastation. On pourrait aisément disculper les uns et les autres. Les vrais coupables, après les Francs et les Alamans de la première invasion, ont été les gouvernements modernes. Un des plus beaux édifices de la Gaule, le temple de Tutelle de Bordeaux, a été détruit par ordre de Louis XIV ; la Révolution a laissé éventrer l’amphithéâtre de cette ville. Le phare romain de Boulogne, appelé la Tour d’Ordre, fut complètement démoli vers 1645. Le mausolée et les tours d’Aix en Provence ont disparu sous Louis XVI. Le Moyen Âge a pu dégrader : les derniers siècles ont rasé.
Les fragments ou les objets de moindre importance peuvent être groupés en deux catégories, suivant la manière dont ils nous sont parvenus. – Les uns ont été trouvés dans le sol, au milieu des débris du monument auquel ils appartenaient : les bijoux et les poteries, par exemple, dans les décombres des villas et des maisons ; les statues et les ex-voto, sur l’emplacement des temples ; les tombeaux, le long des anciennes routes ou dans les vieilles nécropoles. – Les autres nous ont été conservés par un singulier hasard. Au IIIe siècle, la première invasion germanique détruisit la presque totalité des villes des Trois Gaules : la Gaule Narbonnaise fut seule à l’abri de cette gigantesque dévastation. Vers l’an 300, les villes détruites furent reconstruites et entourées de murailles ; or le gros œuvre de ces murailles fut précisément bâti avec les débris des édifices renversés par les barbares, fûts et tambours de colonnes, chapiteaux, sculptures, tombeaux, autels, statues même. Et de nos jours, quand on démolit ces murailles romaines, tous ces débris réapparaissent, véritables témoins de la vie des cités gallo-romaines aux deux premiers siècles.
Beaucoup de pans de ces murailles sont encore intacts : le jour où on le voudra, de nouvelles richesses en inscriptions et en sculptures viendront orner nos musées. À Saintes, à Dax, à Bordeaux, à Nantes, à Bourges, dans cinquante autres villes de ce qui fut la Gaule propre, il y aura longtemps encore, dans ces fragments de murs romains, une abondante carrière de matériaux pour l’histoire de notre passé.
Ajoutons à cela qu’il reste à fouiller les ruines de nombreuses villas, d’oppida gaulois abandonnés au Ier siècle, et même de villes qui lurent grandes et florissantes. Que de choses à trouver encore sur les plateaux de Gergovie et de Bibracte, dans ce merveilleux Fréjus, qui est presque notre Pompéi, dans ces villes créées par la Gaule romaine et réduites depuis quinze siècles au rang de bourgades, Jublains, Bavai, Vieux, Corseul, Javols, Lillebonne et, par-dessus tout, Vaison ! Avec un peu d’énergie et de patience, et sans trop de dépenses, de belles découvertes seraient réservées à nos archéologues, de grandes conquêtes à notre histoire nationale.
CHAPITRE PREMIER
La Gaule au moment de la conquête
1
Nom, populations et limites de la Gaule
À la fin du IIe siècle avant l’ère chrétienne, les Romains entamèrent la conquête de notre pays. On commençait, en ce temps-là, à donner le nom de Gaule, Gallia, à la vaste contrée qui s’étendait des Alpes aux Pyrénées et de la mer Méditerranée jusqu’aux rives lointaines de l’Océan. Ce nom lui venait de la principale nation qui l’habitait, celle des Gaulois ou Celtes, Galli, Celtœ. Celte ou Gaulois étaient d’ailleurs à ce moment deux termes synonymes. Les Celtes s’appelaient ainsi dans leur langue ; les Romains leur donnaient volontiers le nom de Gaulois, comme ils donnaient aux Hellènes celui de Grecs, comme nous donnons aux Deutschen celui d’Allemands.
La Gaule ne formait pas à cette époque un seul État ; elle n’était même pas habitée tout entière par des peuples appartenant à la même race. À côté des Gaulois, qui lui donnaient son nom, d’autres populations moins importantes y étaient établies. – Au Sud-Ouest, entre la Garonne et les Pyrénées, étaient les Aquitains, Aquitani : ils passaient pour ressembler aux Ibères, leurs voisins, qui peuplaient une grande partie de l’Espagne, et qui avaient valu à la presqu’île son nom d’Ibérie. – Au Sud-Est, le long de la Méditerranée, on rencontrait les Ligures, qui s’étendaient aussi sur les côtes italiennes jusqu’à l’embouchure de l’Arno. Ibères et Ligures avaient autrefois possédé une bien plus grande partie de la Gaule ; mais les Celtes les avaient refoulés au Midi, il y avait deux ou trois siècles à peine. – Du côté du Rhin, les Gaulois avaient jadis débordé dans les grandes plaines de l’Allemagne du Nord. En ce moment ils se trouvaient rejetés en deçà du fleuve par les Germains, leurs voisins immédiats et souvent leurs ennemis : le pays que nous appelons l’Alsace avait été conquis par ces derniers, sans doute depuis peu de temps. Le Rhin n’avait jamais servi de barrière entre les deux races. Toutefois, la nature avait fait de ce fleuve la frontière véritable de la Gaule, et dès que les géographes grecs ou romains s’occuperont de cette contrée, c’est le Rhin qu’ils lui assigneront comme limite orientale.
2
Anciennes destinées des Gaulois
La grande nation qui occupait le centre de la Gaule avait autrefois étendu son empire bien au-delà des bornes de ce pays. Elle avait été, quelques siècles auparavant, la principale nation conquérante de l’occident et du nord de l’Europe. Sous la suprématie de sa peuplade la plus centrale, les Bituriges (qui habitaient le pays de Bourges), elle avait vu sa domination rayonner au loin par le monde : de grandes migrations d’hommes étaient parties de la Gaule, portant la terreur du nom celtique aux Grecs et aux Romains et aux autres barbares. En Espagne s’était formée la population mixte des Celtibères ; les îles Britanniques étaient devenues à peu près gauloises ; en Italie, une seconde Gaule, Gallia Cisalpina, s’était créée dans la vallée du Pô, et les Celles, vainqueurs des Romains à la bataille de l’Allia (390 av. J.-C.), ne s’étaient arrêtés qu’au pied du Capitole. D’autres avaient occupé la vallée du Danube ; on en avait vu piller la Grèce, et, plus loin encore, les Gaulois avaient fondé en Asie un petit État que les Grecs appelaient la Galatie. Au-delà du Rhin, ils s’étaient répandus jusqu’aux bords de la Vistule. Rien des grandes villes européennes doivent leur origine aux Celtes : Cracovie en Pologne, Vienne en Autriche, Coïmbre en Portugal, York en Angleterre, Milan en Italie ont des noms qui viennent du gaulois : ce sont des fondations d’hommes de notre pays et de notre race.
Cette immense étendue de terres s’était jadis appelée « la Celtique ». Mais peu à peu les Gaulois avaient vu leur empire se démembrer et leur nom se limiter à la Galatie asiatique, à la Gaule Cisalpine et à la Gaule Transalpine. Puis, sur tous ces points, ils durent reculer, et toujours devant les Romains. Au IIe siècle, les Romains achevèrent la conquête de la Cisalpine, écrasèrent les Galates et, vers l’an 125, pénétrèrent en conquérants dans la Gaule Transalpine.
3
Principales peuplades gauloises
Les Celtes de la Gaule n’étaient pas encore arrivés à l’unité politique. On distinguait chez eux deux groupes de peuples qui ne parlaient pas le même dialecte et n’avaient ni les mêmes mœurs, ni les mêmes usages : les Gaulois proprement dits, entre la Garonne, la Seine et la Marne ; et les Belges, Belgœ, entre la Marne elle Rhin. Ces derniers, arrivés sans doute plus récemment en Gaule, étaient plus guerriers et plus sauvages que les autres Celtes.
Gaulois et Belges comprenaient environ quatre-vingts peuplades, gentes. Chacune d’elles, établie à demeure sur un territoire bien délimité, avait ses villes, sa constitution, ses magistrats et son indépendance ; elle formait un véritable État politique, une nation autonome. C’est à ces petites nations gauloises que la France doit ses premières cités et ses plus anciennes divisions géographiques : elles sont l’origine de nos provinces, de nos pays et de nos grandes villes, qui pour la plupart conservent encore le nom de ces peuplades.
Les principales étaient les Bituriges, Bituriges (Bourges et le Berry), les Éduens, Ædui (Autun), les Arvernes, Arverni (Auvergne), les Séquanes, Sequani (Besançon), les Helvètes, Helvetii (Suisse), au centre de la Gaule ; au Nord-Est, les Rèmes, Remi (Reims), les Trévires, Treveri (Trèves), les Nerviens, Nervii (Hainaut); au Sud-Ouest, les Santons, Santones (Saintes et Saintonge), les Pictous, Pictones (Poitiers et Poitou). La petite peuplade des Parisiens, Parisii, fort peu importante en ce temps-là, avait pour principale ville Lutèce, Lutetia, dans une île de la Seine : plus tard, Lutèce prendra le nom du peuple qui l’a habitée. Au Sud, les Volques, Volcœ, s’étendaient des Pyrénées au Rhône ; les Allobroges, Allobroges, du Rhône aux Alpes. Au Nord-Ouest, les nations comprises entre la Loire et la Seine formaient, sous le nom d’Armorique, Armorica, une confédération particulière. Les autres peuplades se groupaient d’ordinaire autour des États les plus forts, comme les Arvernes, les Éduens ou les Séquanes, et ces ligues étaient en lutte incessante l’une contre l’autre. Comme il n’y avait aucune nation assez puissante pour imposer longtemps sa suprématie à ses voisines et à ses rivales, la Gaule était, au IIe siècle, en pleine anarchie.
Monnaie d’urgent attribuée aux Volques.
Monnaie des Allobroges (chamois et roue). Monnaie des Allobroges (hippocampe).
Monnaie d’or attribuée aux Arvernes.
4
Institutions politiques
L’anarchie se retrouvait à l’intérieur de chacun de ces petits États. Les querelles politiques y maintenaient la discorde dans les villes, dans les campagnes, dans les familles même. Le gouvernement était à peu près partout aristocratique ; le pouvoir appartenait à un sénat nombreux, composé sans doute des hommes les plus riches et les plus influents. Il élisait un chef suprême, annuel ou viager, qui s’appelait assez souvent, semble-t-il, « le juge », vergobret en gaulois. Ce magistral avait à peu près les mêmes droits que les premiers consuls de Rome, qui, eux aussi, s’étaient nommés des juges, judices.
Dans beaucoup de peuplades il s’était formé un parti démocratique autour de quelques chefs plus riches et plus ambitieux : ce parti tenait l’aristocratie en échec et amenait parfois la création d’une royauté populaire. Toutes les nations gauloises se trouvaient dans un état de crise et de transformation politique assez semblable à celui qui précéda, à Rome et à Athènes, l’établissement définitif du régime républicain. La puissance effective était partout entre les mains de quelques nobles, riches en terres et en clients.
5
Les druides
Le clergé était, avec la noblesse, la classe dominante. La Gaule possédait un corps de prêtres appelés « druides », qui tenaient la première place dans la vie publique et sociale des nations. Les druides dirigeaient la religion officielle et le culte privé. Ils instruisaient la jeunesse et lui apprenaient, nous dit César, « le cours des astres, la grandeur du monde et des terres, la force et la puissance des dieux. Ils lui enseignaient surtout que l’âme ne meurt point, mais qu’après