Moi, René Magritte: Roman biographique
Par Michel Carly
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À propos de ce livre électronique
Un peintre mondialement célèbre se raconte. Comment a-t-il vécu affectivement ses jeunes années dans le Hainaut où il est né ? Quelles images, quels objets ont impressionné sa rétine et mûri ses futurs tableaux ? De l’enfant turbulent à l’adolescent fasciné par Fantômas, Bonnot et Edgar Poe, du dandy dadaïste au jeune surréaliste de Bruxelles, nous suivons ce singulier meneur de rêves dans ses paysages et dans la violente subversion des années 1920-1930 avant de découvrir l’artiste révélé par son imaginaire propre, nourri aux mystères d’un fantastique typiquement belge.
Une biographie fascinante présentée sous la forme d'une autobiographie fictive
CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE
- "L'auteur est passionné par le surréalisme dont l’une des figures phares, René Magritte, lui inspire aujourd’hui un émouvant récit, aussi intelligent qu’éclairant, écrit en poète autant qu’en explorateur de l’âme. Une "autobiographie" fictive, cautionnée par des sources et des témoignages "de première main", basée sur de "nouvelles archives privées", où Michel Carly se glisse dans la peau de notre compatriote devenu "l’un des dix peintres les plus renommés au monde" après avoir été si souvent incompris et raillé de son vivant par des spectateurs bornés. [...] Un livre clé qui rappelle opportunément que richissime a été l’apport belge au surréalisme. Grâce à Michel Carly, nous regarderons Magritte avec d’autres yeux. Louons-l’en." (Francis Matthys, La Libre)
À PROPOS DE L'AUTEUR
Michel Carly a mené de front son enseignement de la littérature française et une carrière de scénariste pour le cinéma publicitaire. Chercheur, écrivain et conférencier, il est aujourd'hui l'un des meilleurs spécialistes de l'oeuvre de Georges Simenon.
EXTRAIT
Dans ma tête, la Sambre au loin coule de guingois. Une pente de terril. Un ciel qui saigne sa laque, tableau abstrait noir et rouge. Suffit pour l'exotisme ! Si la suie éponge les pavés, il fait aussi soleil au pays de ma mère. La petite église Saint-Rémy, on m'a raconté. Gilly est le pays de ma mère, au pôle nord de Charleroi. Nicolas Joseph, mon grand-père paternel, celui de Pont-à-Celles, est mort au coin des corons et des ateliers. 1898, je suis né, j'allais naître. Il était tailleur d'habits. Il a transmis à mon père le sens du travail bien fait. L'haleine du fer chaud sur le drap, le parfum sur l'étoffe et la doublure. Le bruit des grands ciseaux. L'habitude de garder les épingles en bouche pour les essayages. Il taille encore les habits noirs des passants qui arpentent mes peintures.
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Avis sur Moi, René Magritte
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Aperçu du livre
Moi, René Magritte - Michel Carly
Avant-lire
Pour la première fois, Magritte se raconte comme jamais il ne s’est raconté.
Pour ce faire, l’auteur du présent ouvrage s’est glissé ici dans la peau du peintre, endossant ses émotions étouffées, sa pensée parfois déroutante, détaillant ses années d’enfance et de jeunesse, ses débuts d’artiste à Bruxelles et à Paris, son irruption dans la mouvance surréaliste. Le résultat est une « autobiographie » du peintre, unique en son genre, riche en découvertes, inédits, intimités, vérités humaines et inspirations picturales.
Cautionné par des sources et des témoignages de première main, basé sur de nouvelles archives privées, éclairé par les écrits, lettres et interviews du peintre, ce récit authentique raconte comment ce garçonnet né en Hainaut belge va devenir un des dix peintres les plus renommés au monde.
Tous les propos, considérations et autres points de vue repris dans ce récit ne trahissent en rien son état d’esprit en évolution. En restituant les trente premières années de Magritte, l’auteur respecte ce qu’en ont dit les témoins directs et ce que lui-même nous a livré… ou tu. Le lecteur sera peutêtre étonné, voire offusqué, par le peu de considération qu’il accordait à son passé, à son territoire de jeunesse. Magritte ricane et refuse quand, en 1952, un écrivain de Châtelet lui propose d’aller revoir le quartier de son enfance. On le voit ainsi s’adonner à un jeu d’amnésie volontaire, attitude qu’explique aisément le désert d’amour qu’ont été ses premières années. L’enfance de Magritte n’a guère été valorisante sur le plan affectif. Le vent indifférent qui souffle à travers ses tableaux vient du nord de son enfance. À cet égard, son attitude est ambiguë : on le voit occulter certains traits de ses jeunes années et, en même temps, revendiquer, à longueur d’interviews et de souvenirs, des émotions et engouements glanés durant cette période.
Pas mal d’écrivains ont avoué avoir tout absorbé avant l’âge de dix-huit ans. Sans le savoir, ou sans l’avouer, René Magritte n’échappe pas à cette loi de la porosité. Et c’est bien en cela que réside la portée de ce qu’il a vécu à Gilly, Châtelet, Charleroi, Soignies et Bruxelles, dans ce premier tiers bouillonnant du xxe siècle. On va voir comment l’enfant turbulent, ballotté de maisons en secrets de famille, meurtri en silence par un manque de tendresse, fasciné par le dessin et ses lectures, va finalement revêtir à Bruxelles le costume de jeune dandy, rapin dadaïste par dérision, surréaliste par amitié, magicien des objets étranges.
Tout ce que ce jeune homme enregistre, ce qui éveille ou écorne sa sensibilité, son vécu à travers un étrange réseau de signes finiront par nourrir une part majeure de son œuvre picturale. Sans vouloir naïvement imputer à ses premières années toute son inspiration de peintre, nous pensons, preuves à l’appui, qu’une récolte d’images fondatrices est impressionnée en lui au sortir de la jeunesse : romans populaires et magie du cinématographe, cimetière érotique et mystérieux, négatifs de photographe, montgolfière récurrente, bords maudits de la Sambre, homme-père en melon et costume noir, grelots des chevaux comme autant de « plantes dangereuses au bord des gouffres », rideaux tirés sur le théâtre de l’enfance, « têtes redressées contre les talus noirs sur l’avant-scène des prairies comme des coquillages nus devant la mer¹. »
Ne négligeons pas le contexte de l’entre-deux-guerres où Magritte devient un artiste en rupture au contact du dadaïsme et du surréalisme, tant à Bruxelles qu’à Paris.
Jeune étudiant à l’Académie des beaux-arts, il entend ce qu’André Breton prône dans son « Manifeste du surréalisme » de 1924 : appel à la liberté et à l’imagination, inobservance des règles, procès du réalisme, abolition de la logique. Il est donc passionnant de le suivre au fil de ces années peu connues, dans ce contexte insurrectionnel de sa jeunesse tapageuse. Nous le verrons s’engager dans toutes les avant-gardes, côtoyer d’autres agitateurs en révolte, placer poèmes et tracts sous la carcasse à dynamiter d’un monde devenu à ses yeux absurde et insupportable.
Ainsi René est-il devenu progressivement Magritte.
Pour percevoir qui il fut, seuls les faits témoignent : c’est la résolution que nous avons prise en privilégiant le récit en direct et en tournant le dos au fatras explicatif des catalogues pondéreux. Paraphrasant son cher ami Scutenaire, nous continuons à croire que la seule bonne étude parue sur Magritte est et restera son œuvre.
1. Magritte, carte à Louis Scutenaire, 18 décembre 1937.
À la mémoire d’Émile Lempereur
sans qui ce livre ne serait que feuilles mortes,
et pour sa fille Jacqueline,
compagne de vie et de curiosité.
Combien de temps me donnes-tu à vivre, toi qui passes comme un miroir dans une salle du Musée Magritte à Bruxelles ?
Paradis des Chevaux
Gilly, 10 mai 1900 – 4 avril 1904.
Dans ma tête, la Sambre au loin coule de guingois. Une pente de terril. Un ciel qui saigne sa laque, tableau abstrait noir et rouge. Suffit pour l’exotisme ! Si la suie éponge les pavés, il fait aussi soleil au pays de ma mère. La petite église Saint-Rémy, on m’a raconté. Gilly est le pays de ma mère, au pôle nord de Charleroi. Nicolas Joseph, mon grand-père paternel, celui de Pont-à-Celles, est mort au coin des corons et des ateliers. 1898, je suis né, j’allais naître. Il était tailleur d’habits. Il a transmis à mon père le sens du travail bien fait. L’haleine du fer chaud sur le drap, le parfum sur l’étoffe et la doublure. Le bruit des grands ciseaux. L’habitude de garder les épingles en bouche pour les essayages. Il taille encore les habits noirs des passants qui arpentent mes peintures.
La petite église est celle où mes parents se sont mariés, le deux mars, devant le curé Posteau. Avant, il y avait eu le bourgmestre :
— Léopold-François-Ghislain Magritte, marchand tailleur, né à Pont-à-Celles le 28 octobre 1870, acceptez-vous de prendre comme épouse Adeline-Isabelle-Régina Bertinchamps, modiste, née le 3 décembre 1871 à Gilly, ici présente…
Pauvre église aux saints de bois, à la tour de grès, aux jointures de petit granit. Les charbonnages fissurent la nef, lézardent les voûtes. Ma mère marche vers l’autel, trébuche sur le pavé crevé par les galeries des mines. Elle est déjà enceinte de moi, peut-être. Le cimetière boucle une ceinture de regrets qui glisse vers les corons. Vers les Hayettes. Vers le charbonnage des Viviers-Réunis. J’imagine les gueules noires qui montent vers la lampisterie, vers l’empire de leurs lumières. Je vois les roues des chevalets de mines posées à cru sur un ciel quelconque. Là-haut, me dit ma mère, Napoléon a observé ses soldats montant vers Waterloo. Démoli, le moulin. Remplacé par des bureaux de mines. Je me souviens de si peu, mes parents brouillent les pistes. Ils déménagent sans cesse : Gilly, Saint-Gilles, Lessines. Je nais dans cette autre ville du Hainaut wallon, huit mois après leur mariage. Et puis Lessines-Gilly. On déménage encore, comme ces paysans de Permeke qui poussent leur carriole, la vie devant