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Le Sourire du chien: Thriller
Le Sourire du chien: Thriller
Le Sourire du chien: Thriller
Livre électronique706 pages13 heures

Le Sourire du chien: Thriller

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À propos de ce livre électronique

Un journaliste américain et sa jeune épouse bulgare arrivent en Bulgarie pour quelque temps. Alors que John tente de s’adapter au pays, les médias font état d’une série de meurtres atroces d’historiens, tous perpétrés dans d’anciens sanctuaires thraces. Tandis que l’enthousiasme de sa femme pour les retrouvailles avec famille et amis s’estompe, John trompe l’ennui en engageant Maya, une archéologue-journaliste, dans l’idée de le guider autour des scènes de meurtre. Aimantés par une attraction croissante, ils traversent un pays singulier marqué non seulement par les rituels d’une civilisation ancienne et ses sanctuaires en pierre, mais aussi par les séquelles traumatiques de la chute du régime communiste.

Bientôt, les deux journalistes se retrouvent plongés dans une enquête haletante sur des assassinats sadiques où des rituels de sang datant de l’époque thrace, des petits et grands chasseurs de trésors, la cosmologie, une sinistre secte secrète et les théories de Mircea Eliade se mélangent. Dans une société post-totalitaire où les apparences sont trompeuses, John et Maya commencent à entrevoir que la seule chose plus dangereuse qu’un serial killer en liberté est la vigueur de la mafia bulgare des années 2010.

Le Sourire du Chien est un thriller littéraire audacieux, atmosphérique et élégant, qui entrelace brillamment l’archéologie, la philosophie, le crime organisé et le chaos moral de l’Europe d’aujourd’hui.

CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE

« Le Sourire du chien, c’est un peu Fred Vargas et un roman de voyage en un seul livre, c’est surtout un vrai concentré de Balkans. » Bertrand Guillot

« Malgré son titre nom espiègle, ne vous y trompez pas, Le Sourire du Chien est un roman qui combine dynamique du thriller et sensibilité sociale… L’auteur, Dimana Trankova, mêle dans cette histoire sa profession, son hobby et sa formation universitaire : elle est journaliste, globe-trotter passionnée et archéologue de formation. Tous ces fils retiennent de manière unique le lecteur dans les rets du roman… jusqu’à la dernière page. » Dama.bg

« Le Sourire du Chien est un thriller archéologique stimulant et dynamique qui mêle histoire antique et contemporaine, médias, philosophie et politique, chaos moral de la Bulgarie au XXIe siècle. » Goodreads.com

« une leçon d’écriture » Lira.bg

« C’est un roman sur l’avenir. Écrit avant l’apparition de mots comme post-vérité et avant que l’édification de murs autour d’États et de civilisations ne devienne à la mode. Un livre sur les anciennes et nouvelles terreurs du néo-totalitarisme et sur la fragilité des relations humaines dans des situations extrêmes. » Mediapool.bg

À PROPOS DE L'AUTEURE

Dimana Trankova est une archéologue de formation et une journaliste par vocation née en 1980. Elle a publié plus d’un millier d’articles sur le voyage, la politique, l’histoire et l’archéologie en Bulgarie. Elle a aussi coécrit de nombreux guides à succès et dirigé deux magazines de voyage. Le Sourire du Chien est son premier roman.
LangueFrançais
ÉditeurIntervalles
Date de sortie20 avr. 2020
ISBN9782369561682
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    Aperçu du livre

    Le Sourire du chien - Dimana Trankova

    1882

    PROLOGUE

    Les couches de roche se sont formées successivement, les plus anciennes demeurant au fond et les plus récentes à la surface.

    Principe de la superposition en stratigraphie

    Nicolas Steno, Dissertationis prodromus, 1669

    L’homme sur le rocher n’aurait jamais supposé pouvoir poser une telle question dans une situation analogue. Mais, comme il n’aurait jamais supposé se retrouver dans une situation analogue, il la posa tout de même.

    — Un couteau ordinaire ?

    Il avait la bouche sèche. Il aurait tout donné pour un verre d’eau.

    — Ce n’est pas un couteau ordinaire, dit l’autre. Il est en fer. L’homme sur le rocher ne voyait pas son visage, mais il percevait son souffle chaud chaque fois que l’autre s’approchait et déchirait sa chair avec son couteau ordinaire.

    L’homme sur le rocher tremblait de douleur et d’outrage, à cause du froid de la montagne, du vide que laisse la dignité perdue. Au début, lorsque tout devint clair, il avait cessé de parler, en partie par vanité et en partie parce qu’il ne voulait pas que l’autre flaire sa peur et s’acharne encore plus. Mais ils avaient passé trop de temps ensemble tous les deux sur le rocher. Trop de questions avaient été posées sans recevoir de réponses. Trop de sang avait coulé. Son odeur lourde se mêlait à celle du contenu de la vessie et des intestins de l’homme sur le rocher et le poussait à regretter de ne pas en savoir plus, de ne pas pouvoir en dire plus, de ne pas pouvoir faire quelque chose qui le libère de cette odeur, le ramène en arrière, qui conjure tout ou le corrige.

    Il regarda en direction des étoiles, s’imagina leur lent mouvement circulaire. Le vent lécha son corps et il le vit presque le pousser et le faire rouler sur la surface du rocher comme un cocon abandonné, le soulever et le porter au-dessus de la montagne, vers la Voie lactée. Il savait qu’il allait mourir. Il avait peur et regrettait que sa fin soit aussi indécente. Oui, indécente. Quel cadavre hideux il ferait, avec ces plaies sur le visage. Quelle chose hideuse. Scandaleuse. Il imagina les titres et les nouvelles, les commentaires en dessous, il imagina les physionomies choquées et secrètement réjouies de ses anciens collègues, il imagina deux d’entre eux en train de se pousser du coude à l’enterrement – il savait exactement lesquels – et de se chuchoter : « Tu te rends compte, le tuer avec un banal couteau en fer ? »

    « Tu délires », se dit l’homme sur le rocher, mais l’outrage était trop fort. Il décolla ses lèvres fendillées et dit :

    — Toi. Tu offres une victime en sacrifice.

    — J’offre.

    — À Elle.

    — À Elle.

    — Pour ce sacrifice il te faut quelque chose d’une matière sacrée.

    — Le fer est une matière sacrée.

    — Non. Ça n’en est pas une. Le silex est sacré. Le bronze. L’or. Pas le fer.

    Une fraction de seconde, il crut que ce qu’il disait était vrai, que l’autre réfléchirait, prendrait conscience de son erreur et le laisserait partir. Ce serait merveilleux. Mais l’autre se contenta de rire.

    — Sottises, dit-il. Il se pencha au-dessus de lui, sa silhouette cacha le ciel étoilé. L’homme sur le rocher se sentit abandonné.

    — Tu n’estimes pas à sa juste valeur ce qui t’est donné. Le fer est le métal le plus sacré au monde.

    — Les Anciens croyaient qu’il protège des forces maléfiques, chuchota l’homme sur le rocher. C’était vrai. Jadis, il y avait longtemps, pas une naissance, pas une veille mortuaire ne se faisaient sans la protection magique d’un couteau, d’un peigne, d’un clou en fer, censés protéger la vie du nouveau-né et la mort du défunt. L’homme sur le rocher fut étonné par la légèreté de ses pensées, il ravala la douleur et s’imposa de parler plus distinctement. – Mais si le fer était sacré, ce n’était pas dû au métal. C’est grâce aux gens qu’il était sacré. Aux hommes qui lui donnent sa forme.

    — C’est moi qui ai donné sa forme à ce couteau, dit l’autre. Et pas seulement à lui. Mais ce qui le rend sacré, c’est seulement le fer. Tu comprends ?

    — Non.

    L’autre soupira.

    — Les Anciens savaient que le fer était sacré bien avant de connaître son existence, avant même de devenir des hommes, dit-il. Ils savaient qu’il faisait partie d’eux et de tout ce qui est vivant, et qu’il est divin. Tu comprends maintenant ?

    — Non, dit l’homme sur le rocher dans un gargouillement. Il n’avait pas senti le moment où l’autre avait fait un pas en arrière et levé la main. Le poing lui écrasa la bouche, cassa une dent et l’étrangla de sang.

    — Quel goût ça a ? demanda l’autre.

    L’homme sur le rocher se tourna avec peine, il recracha le sang et la salive.

    — De métal.

    — De quel métal ? hurla l’autre.

    — De fer, chuchota l’homme sur le rocher.

    — De fer. Le sang a un goût de fer, le fer a un goût de sang. La voix devint rêveuse. Imagine-les un peu, nos antiques aïeux. De quelle manière ils reconnaissaient l’odeur et le goût du fer. Par le sang des animaux et des gens qu’ils offraient en sacrifice, par le cycle des femmes. Ils vénéraient le sang parce qu’ils savaient qu’il signifie la vie, suffisamment de nourriture pour les gens et les divinités, il signifie la naissance de nouveaux enfants. Et lorsque, un jour, ils ont forgé le premier fer, en le voyant, en le reniflant et en le goûtant, ils ont compris qu’ils avaient découvert le métal des dieux, qu’ils avaient déchiffré les arcanes de la vie et de la mort. Ensuite, bien sûr, ils ont oublié. Mais c’est humain, et les dieux sont enclins à pardonner.

    L’homme sur le rocher entendit l’autre s’éloigner et la voix lui parvint à distance, mêlée au vent.

    — As-tu vu une source à forte teneur en fer ? Le fer dans l’eau est lourd et il se dépose sur les feuilles, les branches, les pierres. Il est de couleur rouille mais, tout autour, ça sent le sang. Tu peux imaginer, jadis, la peur qu’avaient les hommes de se rendre à la source, leur peur de son odeur, car elle leur disait que, tout près, guettait un ennemi. Ou un prédateur. Ou Dieu.

    L’homme sur le rocher ne répondit pas. Il regardait les étoiles et tremblait, il se demandait pourquoi il avait froid et pourquoi il entendait le clapotis de l’eau. Il se sentit triste.

    Une voix rauque lui murmura à l’oreille.

    — Il y a longtemps qu’Elle n’a pas bu de sang et Elle a soif. Pourtant, je suis prêt à le lui refuser. Je suis prêt à arrêter et à t’emmener quelque part où tu trouveras de l’aide. Tes blessures sont plus légères que tu ne le crois. Est-ce que tu veux vivre ?

    — Oui, je le veux !

    — Bon. Dis-moi où il est.

    — Je ne sais pas !

    — Mais tu as dit que tu savais. Tu as écrit tellement d’articles. Tu as répondu à ma proposition et tu es venu jusqu’ici. C’est toi qui as insisté pour que je renvoie les autres.

    L’homme sur le rocher ne répondit pas. Quoi qu’il dise, désormais, la situation ne ferait qu’empirer.

    — Tu ne crois pas, dit l’autre tranquillement. Tu as prêté serment, mais tu ne crois pas.

    — Si, je crois, insista l’homme sur le rocher.

    — Non, tu ne crois pas, répondit l’autre. Mais cela n’a plus d’importance. Il suffit que tu saches où il est. Parle. Il se pencha vers lui et, l’espace d’une seconde, l’homme sur le rocher pensa qu’il allait le caresser, l’embrasser. – Parle.

    L’homme sur le rocher ne répondit pas. Il ne pouvait pas répondre.

    — Parle ! hurla l’autre et il planta le couteau, il le tourna, et l’homme sur le rocher perdit presque connaissance sous la douleur et la puanteur car, cette fois, la lame déchira le péritoine.

    — J’ai menti ! Arrête !

    — Pourquoi ? Parle !

    Il continuait de tourner et la conscience de l’homme sur le rocher, embrumée par la douleur, lui peignit un tableau effrayant : l’inconnu fouillait dans ses viscères non pas avec son couteau, mais avec ses ongles et ses dents, il déchirait ses organes en faisait une boule et lorsque cette boule serait suffisamment grosse, il la lancerait en l’air, vers les étoiles, puis il se précipiterait pour l’attraper et le jeu le ferait rire aux éclats.

    — Je croyais que toi, tu avais appris quelque chose, qu’on peut le retrouver. Je t’en supplie, arrête.

    — Tu as bluffé ? L’autre arrêta, la douleur demeura.

    — Comment peux-tu être aussi con ?

    — C’est Gabriella qui a eu l’idée, chuchota l’homme sur le rocher.

    — Tu es sûr ? demanda l’autre avec une curiosité enfantine.

    — Oui. C’est elle, la coupable.

    — Ce n’est pas très galant de ta part, tu sais. On aurait attendu de toi que tu la protèges jusqu’au dernier soupir.

    — Demande-lui. Elle sait. Elle m’a menti. Elle a menti.

    L’autre ne dit rien. L’homme sur le rocher perdit connaissance, mais il revint à lui lorsque deux mains l’attrapèrent et que la douleur se déchaîna de plus belle. Les étoiles semblèrent se rapprocher. Les mains étaient agréablement chaudes et il en émanait de la force, comme celles de son père, naguère, avant qu’on ne l’emmène et que tout le monde ne commence à lui dire, à lui, le garçon qui deviendrait l’homme sur le rocher, ce qu’il devait au Parti.

    Mais les mains qui le portaient, maintenant, n’étaient pas celles de son père.

    — Dette, dit l’homme qui n’était plus sur le rocher. Je sais.

    — Quelle dette ? marmonna l’homme aux mains fortes et ensanglantées. Que sais-tu ?

    Mais l’homme qui n’était plus sur le rocher ne pouvait plus parler. Il ne faisait que trembler et trembler encore.

    — Tu as peur, dit l’homme aux mains fortes. Il ne faut pas. Je vais t’emmener directement auprès d’Elle, là où il n’y a ni douleur ni affliction, et où il n’y a pas de mensonges. En échange de ce service, je t’ordonne de lui dire que la chasse a commencé.

    Les muscles des mains se tendirent, elles tremblotèrent et lancèrent leur fardeau. « Non, les étoiles ne sont pas devenues plus proches », remarqua l’homme dans les airs. Puis il tomba. Dans les ténèbres.

    PREMIÈRE PARTIE

    Lorsque l’art s’empare violemment d’un individu, il l’attire en arrière aux conceptions des époques où l’art florissait avec le plus de force. L’artiste s’engage de plus en plus dans la vénération des excitations soudaines, croit aux dieux et aux démons, anime la nature, prend la science en haine, devient mobile dans ses tendances, comme les hommes de l’Antiquité, et souhaite un bouleversement de toutes les conditions qui ne sont pas favorables à l’art. […] Ainsi finit par se produire un violent antagonisme entre lui et les hommes du même âge de son époque, et l’artiste est condamné à une fin troublée ; ainsi, d’après les récits des anciens, Homère et Eschyle finirent par vivre et mourir dans la mélancolie.

    Nietzsche, Humain trop humain¹


    1. Traduction par Alexandre-Marie Desrousseaux. Société du Mercure de France, 1906 [septième édition] (Œuvres complètes de Frédéric Nietzsche, vol. 5, 183-246).

    CHAPITRE 1

    21 juin

    — But de votre visite ? demanda la préposée à la police aux frontières dans sa cabine vitrée.

    Son visage était vert sous la lumière artificielle.

    — Le plaisir.

    John déglutit la salive acide laissée par la bière qu’il avait bue dans l’avion.

    La femme le regarda avec une perplexité réelle.

    — Lune de miel. En quelque sorte, dit-il, et il pesta contre lui-même d’être là à se justifier.

    Il regarda vers la queue de ressortissants de l’UE, mais Emilia avait les yeux rivés sur l’homme imposant, devant elle, et elle ne le remarqua pas.

    — Bienvenue !

    La femme verte tamponna avec indifférence son passeport.

    — Vous pouvez rester sans interruption sur le territoire de notre pays pendant trois mois. Et n’oubliez pas de vous enregistrer à la police.

    — Merci.

    John sourit, ne reçut rien en retour, prit son bagage à main et franchit la ligne invisible qui, à l’aéroport de Sofia, délimitait la frontière de la République de Bulgarie. Il extirpa de sa poche le dernier chewing-gum à la menthe et le fourra dans sa bouche. « Encore un peu, se dit-il, encore un peu, seulement. »

    — Fut un temps, quand on n’était pas dans l’UE, on faisait la queue, et maintenant qu’on est dans l’UE, on fait toujours la queue, lança Emilia entre ses dents en le rejoignant, et elle se dirigea rapidement vers le hall des bagages.

    Elle trouva une place commode près du tapis roulant et lui fit signe de la rejoindre avec le chariot.

    C’était la première fois qu’il la voyait aussi nerveuse. Il lui sourit mais son petit visage rougi se rembrunit, elle ôta de son front une mèche de cheveux devenue d’un blond sombre sous l’effet de l’humidité et se tourna vers le tapis roulant.

    Lorsque leurs bagages apparurent enfin, Emilia se précipita vers le tapis roulant, extirpa la première valise, la laissa tomber sur le chariot, attendit à peine la seconde et poussa le chariot vers la sortie. Arrivée devant la porte, elle s’arrêta et chercha du regard John, sans prêter attention aux autres passagers. « Elle a fait le tour du monde pour rentrer chez elle, se dit-il, et maintenant, elle a peur de faire le dernier pas. »

    — Allez, viens, Em’s.

    Il prit sa place derrière le chariot.

    Le bourdonnement de la foule, dans le hall d’accueil, et les conversations prononcées dans sa langue maternelle lui donnèrent le vertige, et Emilia eut peur que le mur formé par la foule ne s’écroule et ne l’ensevelisse. Elle distingua trois visages qui lui souriaient à travers les larmes, fondit en larmes elle aussi, laissa en plan son mari et se précipita vers l’extrémité de la zone entourée d’un cordon pour se jeter dans les bras de sa mère.

    John s’arrêta avec le chariot près du groupe des quatre qui riaient, pleuraient et parlaient en même temps. Il les connaissait par Skype mais, en chair et en os, c’était différent. Ivann, son frère, était plus grand et plus corpulent qu’il ne se l’était imaginé. Il fut le premier à se détacher de sa famille et à lui tendre la main.

    — Bienvenue ! Je suis heureux que nous fassions connaissance en personne !

    Il avait une forte poigne.

    — Moi aussi, dit John. Ça fait longtemps qu’il tardait à Emilia de vous revoir. Je peux vous attendre dehors ? Je suis prêt à tuer quelqu’un pour une cigarette.

    * * *

    — Tu n’as pas grossi du tout, je ne sais pas comment tu fais. Les Siméonov, du cinquième, leur fille, celle qui est comme un mannequin d’Auschwitz, même elle, elle a grossi là-bas. Qu’est-ce qu’il y a, « maman » ? Ici, c’est comme ça qu’on parle. Tout le monde veut te voir, mais je leur ai dit : « Non, Emi va être fatiguée, le voyage est tellement long, laissez-les se reposer quelques jours. » Tu ne vas pas reconnaître la petite Katy, elle a un nouvel ami, mais personne ne l’a encore jamais vu. Mais ça, tu le sais déjà. Puisqu’on se parle sur Skype.

    Sa mère se tut.

    Tous gardèrent le silence. Emilia était assise, serrée entre ses parents, sur le siège arrière de la nouvelle Škoda de son frère, et elle regardait la circulation sur le boulevard, les lumières des rues, les centres commerciaux, les grands panneaux publicitaires. La plupart n’existaient pas la dernière fois qu’elle était passée par là.

    — Tu es déjà venu ici, hein ? dit Ivann.

    — C’était il y a longtemps et pour peu de temps. Une nuit, répondit John.

    — Tu te rappelles quelque chose ?

    — Presque rien.

    — Bon, cette fois tu auras plus de temps, dit Ivann.

    Il déboucha sur un large boulevard et, après encore quelques bâtiments rutilants et panneaux publicitaires, il entra dans un quartier peuplé de hauts immeubles d’habitation datant de l’ère du socialisme réel, de centres commerciaux et de magasins construits à l’ère de l’économie de marché.

    Ils s’arrêtèrent devant un immeuble qui ressemblait à tous les autres. La famille descendit. Tout en se bousculant, en s’excusant, en discutant qui prendrait quoi, on extirpa les bagages. Emilia et ses parents montèrent dans l’ascenseur, tandis que John se retrouvait avec Ivann et les valises sur un étroit palier à l’odeur familière de plats cuisinés, d’humidité et de chats.

    — Ça, ce n’était pas la peine de le prendre. Ivann montra le blouson de cuir dans les mains de John. – Emi ne t’a pas dit qu’ici, l’été est chaud ?

    John eut un petit rire. Il était fatigué, il avait envie de se coucher et de dormir.

    — On l’a acheté en quittant Bangkok. Parce qu’il n’était pas cher. Et qu’Emi en avait marre de voir mon vieux blouson.

    Ivann éclata de rire. L’ascenseur arriva. Il ressemblait à celui qu’il avait pris durant son court séjour, auparavant.

    Lorsqu’ils furent arrivés au sixième étage, le cérémonial de l’accueil continuait. La voix de la mère retentissait dans la cage d’escalier, le père s’affairait dans l’étroit couloir, tandis que dans le salon les attendaient la femme d’Ivann et leurs deux enfants qui n’avaient jamais vu leur tante en chair et en os et croyaient qu’elle vivait dans Skype.

    * * *

    — C’est donc vrai, dit Emilia. Tout paraît plus petit que dans les souvenirs.

    Ils étaient allongés dans l’obscurité de son ancienne chambre. La soirée, qui devait se terminer vite, s’était prolongée et n’avait pris fin qu’au moment où les adultes constatèrent que les enfants s’étaient endormis sur le divan. Ils avaient tous trop mangé et trop bu.

    — Tu t’y feras, marmonna-t-il.

    — Ha ha, répondit-elle.

    Un instant plus tard, il se détendit, sa respiration profonde la rassura un peu. Emilia essuya ses larmes, se leva et se dirigea vers la cuisine sans allumer dans le couloir. Elle pouvait encore trouver le chemin dans l’obscurité.

    — Emi, c’est toi ?

    La voix de sa mère, qui lui parvenait de la chambre de ses parents, était étouffée.

    — Oui, c’est moi.

    — Qu’y a-t-il ?

    — Rien. J’ai soif.

    — Prends de l’eau minérale. Papa est allé la chercher ce matin aux Bains².

    — D’accord.

    Elle continua à avancer, entra dans la salle de séjour puis dans la cuisine et se versa de l’eau du robinet. Elle avait toujours le même goût. Emilia sourit.


    2. En Bulgarie, on croit beaucoup aux vertus de l’eau minérale coulant des nombreuses sources. À Sofia, on va la chercher aux anciens bains de la ville, très beau monument construit au début du XXe siècle à l’emplacement des anciens bains turcs. Il abrite maintenant des expositions.

    CHAPITRE 2

    22 juin

    Elle se réveilla à l’idée qu’elle avait commis une erreur terrible, irréversible. Elle avait chaud. John dormait. De loin, à travers plusieurs portes et pièces, lui parvenaient la voix étouffée de la télévision et l’odeur de beignets.

    Elle se leva, réveilla John et se rendit dans la salle de bains.

    Tout en prenant sa douche, elle examina de nouveau le résultat de la rénovation effectuée en son absence et, de nouveau, elle n’en fut pas satisfaite. L’odeur de moisi de naguère lui manquait et les nouveaux carreaux bleus lui semblaient sans âme, sans passé.

    Elle contempla l’ovale troublé de son visage dans le miroir embué et se rappela l’origine de sa sensation d’avoir commis une erreur fatale. Elle s’était réveillée avec elle des jours durant après être arrivée aux États-Unis. « Donc, ça me passera », se dit-elle. Elle arrêta l’eau, s’enveloppa dans un nouveau drap de bain qu’elle voyait pour la première fois, et retourna dans leur chambre en laissant des traces mouillées sur son passage.

    Le drap de bain donnait l’impression de glisser et il n’était pas très absorbant. Elle réveilla John une seconde fois et, s’étant assurée qu’il n’allait pas se rendormir, elle rejoignit ses parents. Le goût des beignets était celui d’avant, le café était toujours le même et, en regardant son père qui sortait sur la terrasse pour fumer une cigarette, Emilia s’interrogea avec étonnement sur les causes de son désespoir matinal.

    — On a décidé, finalement, de voir tout le monde ce soir, dit sa mère en jetant un coup d’œil à John qui entrait justement dans la pièce et les saluait dans son bulgare déformé. J’espère que ce ne sera pas un problème.

    — Bien sûr que non.

    Emilia ravala sa peur soudaine, elle se lécha les doigts et alla chercher les cadeaux qu’ils avaient achetés pour la famille.

    * * *

    — Allez, viens ! Son beau-père lui donna une bourrade à l’épaule.

    — Où est-ce que tu vas l’emmener maintenant, voyons, Guéorgui ? le rembarra la belle-mère. Elle pelait des tomates pour la salade et leur jus faisait briller ses mains. – Fiche-lui la paix, à ce garçon.

    — Toi, ne te mêle pas de ça. Son beau-père fit un signe de tête à Ivann qui observait la scène avec un sourire forcé. – Allez, tu viens toi aussi.

    John hésita un instant. Il n’était pas certain d’avoir bien compris, mais il se traîna à leur suite. Ils s’entassèrent tous les trois dans l’ascenseur et descendirent sans dire un mot. Guéorgui les conduisit jusqu’à une lourde porte métallique couverte de vestiges d’anciennes petites annonces, de nouveaux graffitis et d’une inscription en rouge : « Abri ». Il tourna la clef, alluma et descendit l’escalier en ciment.

    Des toiles d’araignées baroques pendaient aux murs. Ça sentait la sciure de bois, la rouille et le chou fermenté depuis longtemps. De temps à autre, ils passaient devant des objets inutiles entassés là. Il faisait froid.

    — Vanio³, toi, tu vas simplement traduire. Guéorgui s’arrêta devant une porte et se mit à fouiller parmi un tas de clefs attachées. – Tu n’as pas à intervenir.

    — Bien.

    La voix d’Ivann retentit dans le couloir humide.

    Guéorgui tourna la clef et les fit entrer dans une cave remplie de meubles inutiles. Il se dirigea vers une petite penderie vétuste, l’ouvrit et s’écarta d’un geste théâtral, découvrant des étagères remplies de bouteilles de tailles diverses.

    — Quand je me suis marié, avec mon cousin de Stara Zagora on s’est promis de distiller ensemble chaque année de l’eau-de-vie et de laisser à chaque fois deux bouteilles de la récolte, dit Guéorgui, et Ivann traduisit en anglais. Pour des occasions particulières.

    Guéorgui sortit une bouteille à l’étiquette Ballantine’s pâlie et la montra aux jeunes gens.

    — Celle-ci, on l’a distillée l’année de la naissance d’Emi. La première bouteille, on va la boire au mariage.

    Guéorgui ferma la petite porte, se tourna vers John et le regarda fixement.

    John ne s’était pas encore accoutumé à l’habitude des Bulgares de ne pas regarder leur interlocuteur droit dans les yeux, mais il se sentit gêné par le regard insistant de son beau-père.

    — Vous êtes allés vite en besogne tous les deux, commença Guéorgui sans s’inquiéter de savoir si son fils traduisait ou non. Je ne sais pas si c’est normal chez vous, mais chez nous, ça ne l’est pas. Vous marier comme ça, sans même qu’on se soit rencontrés, qu’on ait fait connaissance.

    Il allait dire autre chose mais il s’arrêta.

    John pensa qu’il allait évoquer ses parents à lui, mais le vieil homme se contenta d’un geste de la main.

    — Peu importe, dit Guéorgui. Ce qui est fait est fait. Si je te raconte tout ça, c’est pour que tu comprennes pourquoi j’insiste pour l’église.

    — Okay.

    John fourra les mains dans les poches de son jean. Il avait froid.

    — J’ai entendu dire que tu n’étais pas emballé. J’espère que tu n’es pas musulman ?

    — En principe, je suis catholique. J’étais catholique.

    — Je ne comprends pas.

    Guéorgui regarda Ivann.

    — C’est ce qu’il a dit, confirma Ivann.

    — Ma famille est catholique. Moi, je suis athée, dit John. Malheureusement, la seule façon de rompre officiellement avec le Pape, c’est de changer de religion. Maintenant, pour Emi, je suis orthodoxe.

    Les sourcils de Guéorgui se froncèrent.

    — Pourquoi tu es athée ?

    — C’est mon intime conviction.

    — Regarde-moi ça, comment il parle, déclara Guéorgui en s’adressant à son fils. Quand je pense que je vous ai fait baptiser en catimini.

    — Il n’est pas d’ici, rétorqua Ivann. Là-bas c’est différent.

    — Je regrette, dit John.

    Son beau-père le regarda avec l’air de vouloir demander : « Qu’est-ce que tu regrettes, d’être athée ou le fait que, sous le communisme, on ne nous permettait pas d’être chrétiens ? »

    — Ton acte de baptême, tu l’as avec toi ?

    — Oui.

    — Bon.

    Guéorgui tenait la bouteille dans ses bras comme on porte un bébé.

    — Pour Ivann aussi vous avez mis de côté de la rakia⁴ ? demanda John lorsque le silence devint insupportable.

    Il eut l’impression qu’Ivann allait pouffer de rire à tout moment.

    — Oui. Sauf que la sienne, ça fait longtemps qu’on l’a bue, répondit son beau-père.

    Il se tut un instant. Lorsqu’il reprit la parole, il prononça les mots lentement, avec gravité, et inconsciemment Ivann suivit son rythme.

    — Toi et moi, nous ne nous connaissons pas. On n’a pas pris de verre ensemble, on ne s’est pas parlé. Si Dieu nous prête vie et santé, on apprendra à se connaître. Mais il y a une chose que je veux te dire dès maintenant. Les vieilles mains caressèrent la bouteille. – Lorsqu’on fonde une famille, ce n’est pas pour divorcer quand on en a assez.

    — Je suis d’accord, dit John lorsque la traduction d’Ivann fut finie.

    — Tu en es sûr ?

    Le vieil homme le scruta.

    — Oui.

    — Bien, dit le père, et il sortit.

    L’ascenseur tressautait tandis qu’ils montaient.

    — Et la seconde bouteille, elle est pour quoi ? demanda John tout en regardant la petite annonce pour des services de serrurerie express. Quelqu’un l’avait égratignée avec un objet pointu.

    — Pour le premier enfant d’Emi, dit-il en le regardant comme s’il savait déjà tout.

    * * *

    « Ne bois pas autant », se dit John en guise d’avertissement, et il se resservit de la salade.

    — C’est bon, n’est-ce pas ? fit remarquer l’une des tantes. Ça n’a pas un goût de plastique comme chez vous.

    — C’est très bon.

    Il avait suffisamment bu pour se ficher royalement de son bulgare.

    — Tu te débrouilles bien. En cas de besoin, je traduirai.

    La cousine Katia sourit en face de lui et il la remercia, même si quelque chose en elle (le regard ? le décolleté ? le sourire ?) lui disait de faire attention.

    — Merci, bredouilla-t-il en lançant un regard à Emilia, mais elle était trop occupée à expliquer quelque chose en lien avec les loyers.

    — C’est vraiment bien tombé que vous vous soyez mariés maintenant, justement.

    Katia piqua un morceau de côtelette.

    — Je ne comprends pas, répondit John.

    — Vous vous êtes mariés juste avant que son visa n’expire. Katia appuya sa fourchette contre son assiette. – Et comme elle n’a pas réussi à se trouver un travail stable, elle aurait sûrement eu du mal à rester aux États-Unis, et je me suis dit qu’elle avait une sacrée chance…

    — Katia, pourquoi tu ne manges pas ? Ça ne te plaît pas ? intervint Maria, la mère d’Emilia. Et de quoi vous parlez ?

    — Du fait que John a commencé à apprendre le bulgare, répondit Katia sans le quitter des yeux.

    — On a fait un pari, mais apparemment je vais perdre, dit-il en bulgare et, ne sachant pas que dire ou faire de plus, il s’excusa et se rendit sur la terrasse.

    Ivann s’y trouvait déjà. Le dos tourné à la lumière et au brouhaha du salon, il était appuyé contre le garde-corps, le visage exposé à la brise nocturne envoyée par le mont Vitocha en direction d’une Sofia au bord de l’asphyxie.

    — Ça y est, ils t’ont rendu fou ? demanda-t-il.

    — Presque.

    John fouilla ses poches à la recherche d’un briquet.

    — C’est compréhensible. Ivann lui tendit le sien. – Ils s’y attendaient, mais c’est quand même bouleversant pour eux.

    — À quoi ils s’attendaient ?

    — Lorsque Emi est partie, les parents à la fois voulaient qu’elle reste là-bas et y fasse sa vie, et à la fois espéraient qu’elle reviendrait ici et y ferait sa vie. Comme moi, par exemple.

    — Toi aussi, tu as fait tes études à l’étranger ?

    John s’appuya au garde-corps près d’Ivann. La brise était agréable ; derrière les fenêtres des immeubles d’en face, on distinguait les silhouettes d’autres personnes qui menaient d’autres conversations.

    — Non, répondit Ivann. De mon temps, ce n’était pas aussi facile.

    — Je suppose que, bientôt, tu vas m’appeler pour qu’on se parle et tu vas me saouler pour comprendre si je prendrai soin de ta sœur ou si je vais me mettre à la frapper et à la tromper.

    Ivann se redressa, écrasa son mégot dans le cendrier qui débordait, avant de déclarer :

    — Dans d’autres circonstances, après ce que tu viens de dire, tu aurais à en découdre avec un frère très agressif.

    — Désolé. Parfois, je me crois très spirituel, marmonna John en titubant lorsque Ivann lui donna une bourrade à l’épaule.

    — Quand tu te seras habitué, on en reparlera, dit le frère en rentrant dans le salon.

    * * *

    — Non, on n’attend pas de bébé, répondit Emilia pour la quinzième fois environ, mais elle voyait bien que sa mère et les autres ne la croyaient pas. C’est toujours comme ça lorsqu’on dit la vérité, surtout lorsque cette vérité ne nous plaît pas.

    — Je ne suis pas enceinte, répéta-t-elle au cas où.

    — C’était pas sympa de votre part de l’annoncer sur Internet, dit Katia. Vous auriez pu passer devant le maire ici. Du moins, moi, c’est ce que j’aurais fait.

    Emilia ravala une réponse fielleuse.

    — Bah, on va se marier à l’église, non ? répondit-elle à la place. Ici. Je vais même porter une robe blanche.

    — Oui, mais ce n’est pas une vraie robe de mariée, fit remarquer Katia.

    — Quand on en sera à ton mariage, on regardera de vraies robes de mariées. Okay ?

    — Allons, allons, ce n’est pas si important, les interrompit Maria.

    — Okay ?! Seigneur Jésus, répliqua Katia avec un grand rire tout en se versant du vin.

    — Combien de temps vous pensez rester ? demanda sa tante.

    — On n’a pas encore décidé. On va se reposer un peu ici, et après on verra.

    — Vous ne pouvez pas faire ça. C’est irresponsable, dit sa mère, et les femmes âgées hochèrent la tête⁵ en signe de désapprobation.

    « Non, se souvint Emilia, ce signe de tête, ce n’est pas de la désapprobation. C’est de l’approbation. »

    — Ce sont de mauvaises années, il faut être plus sérieux.

    — John gagne un peu d’argent avec son blog et, de temps à autre, on fait des trucs qui rapportent des honoraires. On se débrouille. Emilia s’arrêta, elle ne voulait pas hausser le ton. Elle sourit. – On peut se permettre un peu de vacances.

    Elle négligea les regards sceptiques des vieilles femmes et chercha John du regard. Il n’était pas là. « Il doit être sur la terrasse », se dit-elle, mais la lumière dans la pièce était trop forte pour qu’elle le voie. La terreur du matin revint, et toutes les décisions qu’elle avait prises naguère lui parurent infantiles et irréfléchies.

    Elle se leva et alla voir ce que faisaient ses neveux.


    3. Diminutif du prénom Ivann.

    4. Eau-de-vie, soit de prune, soit de raisin.

    5. En Bulgarie, les mouvements de tête pour signifier « oui » et « non » sont inversés.

    CHAPITRE 3

    23 juin

    — On dirait qu’on a tué le Président, fit remarquer John en essayant d’enlever ses tennis dans l’étroit couloir sans se cogner contre Emilia et sans lâcher les lourds sacs de courses qu’ils avaient remplis au supermarché du coin.

    Le couloir répercutait la voix pleine d’angoisse du téléviseur, mais les mots se heurtaient les uns aux autres et on n’y comprenait rien.

    — Quel Président ? Le nôtre ou le vôtre ? demanda Emilia en fermant la porte à clef.

    — Le vôtre.

    — Ils ont l’air trop angoissé. Emilia prit sa part des courses et se dirigea vers la salle à manger. Ce doit être le Premier ministre, lança-t-elle avant de sourire, car John avait éclaté de rire.

    Lorsqu’elle entra dans la pièce, elle vit son père assis dans son fauteuil préféré, une cigarette non allumée à la main, une tasse de café fumant oubliée sur la table près de lui. Sa mère était debout à côté de lui et froissait machinalement le torchon de cuisine avec lequel elle s’était essuyé les mains avant qu’ils ne tombent sur les infos.

    — Les touristes qui ont fait cette sinistre découverte sont sous le choc, mais nous faisons tout notre possible pour leur parler, déclara la journaliste bouleversée.

    Elle se trouvait sur une montagne, derrière elle on pouvait voir un rocher très haut.

    — Stassy, où en est l’enquête ? demanda un jeune présentateur avec l’intonation d’un agent des pompes funèbres quinquagénaire.

    — Comme vous pouvez le voir, le lieu du crime a été isolé. Une partie des forces de l’ordre est à la recherche d’indices.

    La caméra délaissa le visage de la journaliste pour montrer une clairière pierreuse et des hommes furetant autour d’eux, comme s’ils étaient à la recherche de clefs perdues.

    — Les agents de la police criminelle, qui ont désiré demeurer dans l’anonymat, ont découvert que la victime ne résidait pas dans les villages environnants, déclara la journaliste derrière la caméra.

    — Merci, Stassy, mais nous venons tout juste de recevoir une information officielle. Le présentateur occupa l’écran tout entier et prononça en s’appliquant :

    — La victime est Peter Vassilev, professeur d’histoire. Peter Vassilev est un spécialiste respecté, connu de l’opinion publique pour ses théories novatrices concernant l’histoire la plus ancienne des territoires bulgares.

    — C’est bien la première fois que j’entends ce nom, marmonna Maria.

    — Un rappel, avant de continuer avec les autres nouvelles du jour, reprit le présentateur. Le corps du professeur Peter Vassilev a été découvert sur le sanctuaire rocheux de Belintach, empalé. Le sanctuaire thrace de Belintach est l’un des lieux touristiques les plus renommés de la région d’Assenovgrad, il a quatre mille ans. Nous continuons à suivre les événements de très près. Restez avec nous pour les détails et les commentaires.

    — C’est vraiment n’importe quoi. Guéorgui diminua le son et dit à John et à Emilia qui se tenaient encore sur le pas de la porte : – On vous ressemble, maintenant, mais seulement pour ce qui est mauvais ! Quand est-ce qu’on a vu une chose pareille, avant, hein ?

    Il renifla et sortit sur la terrasse.

    Les informations qui suivirent n’étaient pas aussi intéressantes.

    — C’est terrible, marmonna Maria sans arrêter de faire des allers et retours pour ranger ce qu’ils avaient acheté. Des enfants seraient allés se promener à cet endroit que c’est la première fois que j’en entends parler, et ils l’auraient trouvé là-bas, ce professeur, empalé à dix pieux. Dix, vous vous rendez compte ?

    — Qui t’a dit qu’il y en avait dix ?

    Guéorgui revint de la terrasse avec un reste de nuage de fumée de cigarette.

    — Ben combien y en a d’après toi ?

    — Comment veux-tu que je sache ? Ils l’ont pas dit.

    — Si, ils l’ont dit. Dix.

    — Non, ils ne l’ont pas dit. Arrête d’inventer.

    — Je n’invente pas, rétorqua sa femme d’un ton sifflant, et elle se rendit dans la cuisine.

    Guéorgui s’affala dans son fauteuil, marmonna quelque chose et se mit à zapper pour voir si sur une autre chaîne on n’en dirait pas plus, mais, à part la météo, il ne tomba sur rien d’intéressant. La carte de la Bulgarie était recouverte d’images avec des soleils et des températures dangereusement élevées, mais, étant donné que la guerre froide entre Guéorgui et Maria se prolongeait, John et Emilia sortirent se promener.

    * * *

    « C’est bizarre », se disait John, tandis qu’ils suivaient l’itinéraire touristique habituel au centre-ville, en sueur. Ils croisaient des touristes en groupes ou solitaires qui regardaient les monuments pittoresques et essayaient de se cacher du soleil par des chapeaux à larges bords, des lunettes de soleil et des ombrelles. « C’est bizarre de voir une ville sous un soleil de plomb, de se promener dans ses rues et de croiser ses habitants après l’avoir déjà vue une fois durant une nuit seulement. »

    Ces deux Sofia n’avaient rien à voir l’une avec l’autre.

    La dernière fois, il n’avait pas vu grand-chose, la ville et les gens n’étaient pour lui qu’une petite partie d’une série de villes et de gens, et pourtant cette nuit-là avait pris place durablement dans sa mémoire. Sofia avait alors l’air d’un lieu à l’ambiance légère, mais sensiblement hors du temps. Il ne pouvait même pas dire pourquoi exactement. Peut-être était-ce à cause du vieux tramway ou du manque de magasins appartenant à des chaînes étrangères, ou encore de l’attrait innocent des jeunes femmes pour les vêtements sexy. Pendant qu’ils tanguaient dans le tramway en regardant les gens éteints dans les rues, Mike avait avoué prendre tout à coup conscience que Starbucks pouvait vous manquer.

    Maintenant, tout était différent. Les chaînes à la mode et Starbucks étaient là. Sur la moitié des vitrines des magasins on pouvait lire OUTLET et SALE, ainsi que « À vendre » et « À louer ». Les filles étaient habillées comme presque toutes les autres filles ailleurs dans le monde.

    Alors qu’ils rentraient, avec Emilia, en direction du quartier suffocant, John se dit qu’il préférait Sofia telle qu’il l’avait vue, ou telle qu’il ne l’avait pas vue, la première fois. Il ne le dit pas à Emilia et s’efforça de l’oublier. De toute façon, il ne s’était pas passé grand-chose cette fois-là.

    CHAPITRE 4

    24 juin

    À l’est, le ciel s’éclaircissait, mais l’étoile du berger, Zornitsa, était toujours là, belle, éclatante. La forêt, autour du chemin pierreux, exhalait une odeur d’humidité et les coqs, dans le village voisin, se mirent à pousser leurs cocoricos.

    Il prit appui contre l’un des pics rocheux et regarda le ciel. Il était bleu indigo, d’une couleur profonde et attirante, une couleur qui lui donnait envie de sauter et de plonger dedans.

    Mais il ne pouvait pas sauter. Pas maintenant, quand la déception avait un goût amer dans sa bouche et que, assailli par le doute, il se demandait pourquoi Elle l’avait conduit sur cette voie, une voie tortueuse et trompeuse qui ne menait nulle part.

    Il regarda vers le milieu du cercle et vers la masse stupide qui y gisait. L’aversion le fit regarder à nouveau le ciel.

    La nuit s’en allait, elle s’éclipsait. L’indigo vira au verdâtre, le verdâtre devint jaune. Les oiseaux diurnes s’éveillèrent. Après leur timide gazouillis on entendit un hululement. Un petit-duc.

    — Tu es encore éveillé ? demanda-t-il au petit-duc, et il éclata de rire car il comprit qu’Elle lui envoyait un signe.

    Elle ne l’avait pas abandonné. Il ne l’avait tout simplement pas comprise. Les gens interprètent souvent les signes suivant leurs désirs. Il s’était trompé et maintenant, Elle l’orientait avec douceur, comme une mère. Car, si l’on marche vers Elle, même si l’on se dirige vers le bas, le chemin mène vers le haut.

    — Merci, dit-il au ciel, qui était bleu à l’ouest et jaune à l’est ; au rocher froid ; à la forêt dans laquelle chantaient une grive, une fauvette et un rossignol ; et aux hommes qui, mille ans auparavant, avaient érigé ce cercle de pierres.

    Il se détacha du rocher et alla au milieu du cercle. Il se pencha, toucha la masse. Le corps chaud, immobilisé, frémit sous ses doigts. Il commençait à s’accoutumer à cette réaction, elle commençait à lui plaire.

    — Parle. C’est ta dernière chance, expliqua-t-il à voix basse, mais la masse se contenta de renâcler et il comprit, non sans satisfaction, qu’elle n’avait jamais été en mesure de dire quoi que ce soit de sensé. D’accord, dit-il tranquillement. Dans ce cas, va vers Elle pour la faire renaître.

    Il se redressa, regarda autour de lui le rocher plat et en pente, et se demanda une fois de plus comment les anciens avaient bien pu le faire. Il soupira. « Les anciens maîtrisaient tant de manières de prendre le sang des victimes, se dit-il. Par exemple, Ulysse a creusé une fosse sacrificielle dans l’Hadès avec son glaive. Or nous, nous avons perdu ce savoir – et pourquoi ? »

    Il se tourna vers l’ouest et dit à la nuit perdue :

    — Pardonne-moi, car ce ne sera pas de la manière à laquelle tu es habituée. Je fais ce que je peux.

    Le petit-duc se fit de nouveau entendre, et il se réjouit car il vit qu’Elle était raisonnable.

    Il traîna la masse jusqu’au bout de la dalle de pierre en pente et sourit, car la chose s’agenouilla docilement et ferma les yeux lorsqu’il saisit les courtes mèches ébouriffées et les tira en arrière, exposant la gorge blanche et grasse à la lumière voilée. Il examina le visage, avec des spirales de sang sur les joues et des lèvres formant un arc résigné vers le bas.

    — N’aie pas peur, chuchota-t-il, et il lui planta le couteau dans la gorge.

    Si l’esprit de la chose était résigné, son corps résista. Il lutta instinctivement, de manière animale, et se mit à trembler lorsque le couteau transperça la peau, pénétra dans la chair relâchée du cou, coupa les muscles et les tendons et rompit la jugulaire. Le sang jaillit par vagues et inonda les pierres, de la trachée coupée l’air s’échappa par râles.

    Les convulsions cessèrent, la fontaine de sang se transforma en courant épais, formant une flaque qui s’élargissait.

    L’odeur lourde de métal se mêla à l’haleine mouillée de la forêt.

    Il ferma les yeux, plongea les doigts dans la flaque chaude et les lécha. Il les plongea de nouveau et fit tout le tour du cercle, offrant du sang à chacune des pierres qui s’y trouvaient. Puis il partit, tandis que les coqs lointains annonçaient au monde la naissance du jour nouveau.

    CHAPITRE 5

    25 juin

    — Ah ! Ce n’est pas si loin, dit John.

    — Quoi ? Emilia secoua ses pieds étendus sur la chaise libre.

    Ils étaient assis dans l’un des cafés qui avaient poussé sur le boulevard Vitocha durant ces dernières années⁶.

    — La rédaction de cette revue, avec la version anglaise. Ils ont publié des récits de voyage sur ces deux endroits, répondit-il tout en examinant sur son smartphone la carte de la ville. Sur le sanctuaire de Belintach et sur le cercle de pierres de Dolni Glavanak.

    — Tu veux écrire quelque chose sur eux ?

    Emilia prit le verre de John et aspira bruyamment les dernières gouttes de mojito : elle savait que c’était un bruit qui l’énervait.

    — C’est une histoire intéressante. Deux historiens égorgés, le professeur Peter Vassilev et la directrice d’un musée, Gabriella Khristova. Durant les derniers jours, John avait entendu leurs noms tant de fois qu’il les prononça même avec un accent bulgare. – Jusqu’à présent, on n’avait jamais vu ici de meurtres de ce genre, n’est-ce pas ?

    Emilia renifla et laissa son verre sur la table en fer forgé artificiellement patiné.

    — En fait, on en a eu ici, des meurtres de ce genre, au point que tu pourrais en faire des séries télévisées et les vendre à la chaîne HBO, dit-elle. On fait exploser une voiture devant la rédaction de journaux en vue pour faciliter la tâche des reporters. Explosion contrôlée dans un ascenseur. Des prêtres entrent dans un café et ouvrent le feu.

    John la regarda enfin.

    — Et des meurtres rituels, il y en a eu ?

    — Je crois que non, reconnut-elle. Mais le ministre de l’Intérieur a bien dit, je crois, qu’il n’y avait peut-être pas de lien entre eux ?

    — À mon avis, il y en a un.

    — Tu crois que quelqu’un aura envie de lire un article sur deux meurtres rituels ?

    — Pourquoi pas. John laissa son smartphone sur la table. Si je le fais correctement.

    — Je ne sais pas. Emilia haussa ses épaules arrondies. Je croyais qu’on allait se reposer. Je croyais que tu croyais qu’on allait se reposer.

    Il se pencha vers elle.

    — Em’s, un peu d’argent supplémentaire ne sera pas superflu.

    — Je sais, je sais. Quand même, tu n’as pas la flemme ? Moi, je l’ai tellement. Emilia s’étira et ses seins esquissèrent un mouvement amène sous son tee-shirt. – Toi aussi, tu as la flemme, avoue. Tu ne t’es pas rasé depuis qu’on est arrivés. Et il va te servir à quoi, ce magazine ?

    — Je vais leur demander de m’aider à trouver l’information. Je pense aller là-bas faire des photos. Le rédacteur en chef m’a déjà répondu. John regarda l’heure et fit signe à la serveuse d’apporter l’addition. – On doit y être dans une demi-heure.

    — Aujourd’hui, c’est samedi, rétorqua Emilia en regardant tristement le mojito que la serveuse déposait sur la table voisine.

    — Ils travaillent.

    — Vous auriez pu voir ça la semaine prochaine.

    — Quand tu demandes à quelqu’un de t’aider, tu ne peux pas vraiment poser de conditions, fit remarquer John. Si tu veux, ne viens pas.

    — Où ? À la rédaction ou sur les lieux des crimes ?

    — Aux deux.

    — Bien sûr que je vais venir. Fais voir l’adresse. Emilia prit le smartphone de John et regarda les coordonnées indiquées dans le mail. Le rédacteur en chef était un homme. — Ils te demanderont sûrement de l’argent.

    Il plissa ses yeux vairs, laissa de l’argent sur la table, mit ses lunettes de soleil et se leva. Alors seulement il prononça :

    — Je trouverai un moyen.

    Emilia aspira bruyamment les dernières gouttes de son verre, mais le mojito n’était plus qu’un pâle souvenir au milieu de l’eau trouble. Elle enfila ses sandales et se dirigea vers son mari qui l’attendait au point d’intersection entre l’ombre du bâtiment massif qui s’élevait au-dessus d’eux et le soleil éclatant. Ce dernier les accompagna, avec de courtes interruptions, jusqu’à la rédaction du journal.

    * * *

    La rédaction occupait les appartements réunis au premier étage d’un immeuble d’habitation. Une jeune secrétaire en tennis leur ouvrit avant de les conduire dans un long couloir rempli de vieux numéros de revues ficelés par paquets.

    La jeune femme leur fit prendre place sur des chaises bon marché dans un ancien vestibule, elle leur apporta de l’eau puis s’assit à sa place et commença à écrire quelque chose sur l’ordinateur. Par-delà plusieurs portes dépourvues d’inscriptions, on entendait des conversations étouffées, des gens passaient de temps à autre et faisaient semblant de ne pas remarquer les deux inconnus. « Une rédaction comme les autres », se dit John en ravalant sa nostalgie.

    Le téléphone de la secrétaire se mit à sonner, elle décrocha, dit « D’accord », annonça à John que M. Tomov allait le recevoir et lui indiqua l’une des portes anonymes.

    — Je vais t’attendre ici, dit Emilia en ouvrant le dernier numéro de la revue.

    Le rédacteur en chef avait un accent britannique. Les stores étaient baissés à cause du soleil, les lampes allumées.

    — Merci de me consacrer un peu de temps, déclara John après qu’ils se furent salués.

    — On a l’habitude. Mais je ne peux pas vous accorder beaucoup d’attention, nous bouclons un numéro. Eh bien ?

    John raconta brièvement son arrivée, son travail en free-lance et les meurtres.

    — Je veux aller sur place, parler avec les gens, mais je ne connais pas le pays, on a peu d’informations et je n’ai pas de temps à perdre.

    Tomov hocha la tête.

    — Quelle aide exactement demandez-vous ?

    — Prendre pour informateur l’auteur des carnets de voyage à Belintach et Dolni Glavanak.

    Tomov tira vers lui un téléphone fixe, composa un numéro de poste, mais personne ne répondit. Il fit une grimace, raccrocha et composa un autre numéro.

    — Elle est avec vous, Maya ? Dis-lui de venir. Il reposa brutalement le combiné, s’appuya contre le dos de la chaise. – Si elle est d’accord, je n’ai rien contre. Mais à certaines conditions. Votre travail ne doit pas faire obstacle au mien. Et ce que vous faites ne doit pas ternir la réputation de la revue.

    — Naturellement.

    — Bien.

    Tomov tira une cigarette du paquet qui se trouvait sur son bureau, l’alluma et fit un signe de tête encourageant à John. Ce dernier hésita un instant, mais il se dit qu’il n’y aurait peut-être pas de problème, en effet, et il alluma aussi une cigarette.

    — Si vous recherchez des collaborateurs, je peux… commença-t-il.

    — Non. On n’a plus de budget pour les pigistes.

    — À cause de la crise, c’est ça ? demanda John.

    — Aha.

    Quelqu’un frappa. Tomov cria : « Oui ! » La porte s’ouvrit.

    — On en est où avec le numéro ? demanda Tomov.

    — Les maquettistes jurent d’être prêts d’ici neuf heures, répondit une femme en bulgare.

    John ne la vit pas, parce qu’il tournait le dos à la porte.

    — On verra bien si on est prêts, rétorqua Tomov. Ben, entre.

    John se leva et sourit à la jeune femme qui dit « Salut » d’un ton hésitant, s’essuya une main contre son jean et la tendit.

    — Maya, dit-elle.

    Elle avait une main étroite qui lui laissa la sensation de quelque chose de connu.

    — John, répondit-il.

    Maya s’assit sur la chaise voisine, elle s’écarta légèrement de John et écouta ses explications, la tête penchée de côté. Elle avait les yeux foncés. Il ne pouvait pas dire de quelle couleur exactement ils étaient, mais il eut envie qu’ils soient noirs.

    — Est-ce que ces meurtres ont vraiment un lien entre eux ? demanda-t-elle, lorsqu’il eut terminé.

    — C’est ce que je crois, dit John. Maya regarda Tomov.

    — Il n’a pas l’intention d’aller jusqu’au Pôle Nord, répondit le rédacteur en chef à la question que, de toute façon, elle ne posa pas. Il s’agit d’un voyage et d’un peu de logistique.

    — Je pensais prendre un congé, dit Maya. Me reposer.

    — Prends-le, personne ne t’en empêche.

    Tomov prit un Post-it jaune collé sur son bureau, il le lut d’un air stupéfait, le plia en deux et le rangea dans la poche de sa chemise.

    — Mais comme ça, tu te feras un peu d’argent.

    Maya se lécha les lèvres.

    — Bien, dit-elle.

    — Bien. Pour les détails, parlez-en dans ton bureau, ajouta Tomov.

    John suivit Maya dans l’entrée, ils passèrent devant Emilia, plongée dans sa lecture, qui ne les vit pas, et se dirigèrent vers un bureau désert, meublé de quelques tables de travail qui disparaissaient sous les feuilles imprimées, tasses à café et autres objets générés par ceux qui travaillent dans des bureaux. Sur le rebord de la fenêtre, un ficus benjamina chétif se mourait, déshydraté.

    Maya prit place à son bureau, John s’affala sur une chaise vide.

    — Comment tu vois les choses dans le temps ? demanda-t-elle.

    Ses cheveux avaient un éclat de couleur rouille dans la faible lumière provenant de la fenêtre.

    — Je me calerai sur toi. Mais le plus tôt sera le mieux.

    — Le 27 et le 28, j’ai déjà pris des engagements que je diffère depuis plusieurs fois déjà, dit-elle en vérifiant dans son ordinateur. Elle le regarda.

    — Demain, si tu veux ? Ou bien tu n’es pas pressé à ce point ?

    — Est-ce qu’on peut voir les deux endroits en un seul jour ?

    — En faisant un effort, on peut.

    — Super. Va pour demain, dans ce cas.

    Elle se mit à rire.

    — Tu as une voiture ?

    — Je pensais prendre la voiture des parents de ma femme. Je ne leur en ai pas encore parlé, mais je suppose que…

    — C’est elle ? La jeune femme dehors ? demanda Maya en faisant un signe de tête en direction de la porte.

    — Ah ! Oui. Oui. C’est elle.

    — Dans ce cas, voyons ça ensemble.

    Cette proposition l’effraya, mais il se dit ensuite que c’était peut-être mieux ainsi.

    — Mieux vaut y aller avec ma voiture. C’est moi qui conduirai, déclara Maya, tandis qu’il se dirigeait vers la porte. La clim’ ne marche pas, mais tant qu’on roule, on ne le sent pas trop.

    Il s’arrêta, la regarda.

    — Tu es sûre ?

    — Comme ça, ce sera plus facile pour tout le monde.

    Les manches courtes de son chemisier blanc laissaient paraître de fins bras musclés légèrement hâlés.

    Il hocha la tête et appela Emilia. Cette dernière entra, elle vit Maya et refusa de s’asseoir. Elle s’appuya contre le mur, les bras croisés sur la poitrine.

    — Ce n’est pas possible, trancha-t-elle en entendant leurs projets pour le lendemain.

    — Pourquoi ? demanda John étonné, mais aussitôt, il se souvint.

    — Demain

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