Les Fêtes religieuses en Bretagne: Coutumes, légendes et superstitions
Par Ligaran et Gaëtan de Wismes
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Avis sur Les Fêtes religieuses en Bretagne
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Aperçu du livre
Les Fêtes religieuses en Bretagne - Ligaran
Avant-Propos
Il y a dix ans, je donnai au Nouvelliste de l’Ouest quelques études intitulées : Les Fêtes religieuses au point de vue historique et légendaire. De cordiaux éloges me furent adressés et l’on me pressa de réunir en brochure cette suite de monographies. L’idée me plut : je fis de cette future publication une sorte d’ouvrage à tiroirs, dans lequel s’intercalèrent sans cesse des documents butinés à droite et à gauche ; chaque fois que, dans un livre, une revue, un journal, une lettre, une conversation, je rencontre un fait nouveau, je le recueille avec soin.
Personne ne s’étonnera dès lors si la brochure s’est muée en un gros livre, qui sera édité, Dieu seul sait quand ! Mais d’ici que luise ce jour faste, il m’arrive, de temps à autre, d’extraire quelques pages de mon volumineux manuscrit : c’est ainsi que j’ai le plaisir de vous présenter un petit panorama des coutumes pittoresques, des légendes charmeuses, des croyances étranges de notre province, qui se rattachent aux principales fêtes du cycle liturgique.
Loin de moi la prétention d’épuiser le sujet. Mon seul rêve est de distraire vos esprits, las des vilenies contemporaines et fatigués par le labeur quotidien, en les promenant à travers ce paradis que l’on ne quitte jamais sans l’âpre désir d’y retourner, ce paradis qui se nomme : la Bretagne traditionnelle.
Noël
Durant plusieurs siècles, la Nativité de N.-S. fut l’objet de représentations figurées dans les rites ecclésiastiques et de jeux dramatiques hors des églises. Cet usage était foncièrement populaire et je n’en veux pour preuve que le trait suivant :
« Il se passa aux Moûtiers (petite commune de la Loire-Inférieure), en 1797, un fait assez singulier. Le 13 janvier, plusieurs citoyennes de la commune demandent à l’administration cantonale l’autorisation de jouer La Pastorale de la naissance de l’Enfant Jésus, sur un théâtre qu’elles ont dressé à la Rairie, pastorale, disent les pétitionnaires, déjà jouée avec succès à la Bernerie et même à la Rairie, dans l’ignorance où elles étaient alors qu’il fallût une permission pour jouer la Naissance du Christ, suivie du Massacre des Innocents. Le Conseil, après mûre délibération, refuse l’autorisation, dans la crainte que ce spectacle ne devienne un point de réunion où la tranquillité pourrait être troublée et aussi parce que ladite Pastorale n’est pas analogue aux circonstances. Cette démarche des citoyennes des Moûtiers excita la surveillance de l’Administration, qui prit un arrêté prohibant tous les théâtres et toutes les assemblées nocturnes. En 1804, on permit de jouer la Pastorale ».
À Nantes, ainsi que l’atteste la note ci-dessous, l’on était moins peureux qu’aux Moutiers : « 26 nivôse an IX (16 janvier 1801). – Pastorale sur la naissance de Jésus-Christ. Depuis quelque temps cette pièce est jouée partout ».
L’exécution des pastorales dans les églises n’est plus dans nos mœurs et je doute que cette coutume ressuscite. Mais le spectacle de la Nativité est d’un charme si captivant que nos compatriotes n’ont jamais cessé de le chérir et de le demander ; la plupart de nos villes bretonnes ont la joie de l’applaudir dans les salles des cercles et des pensionnats. Vous me permettrez bien de signaler, ne fût-ce que pour l’avenir, La Nativité, de M. l’abbé Jouin, le distingué curé de Paris, princièrement montée à Nantes par M. l’abbé Lequeux, le zélé vicaire de Saint-Similien : pendant une quinzaine de représentations, en 1899, 1900 et 1901, cet émouvant spectacle n’a cessé d’attirer des auditoires très nombreux dans la vaste salle de l’Externat des Enfants-Nantais.
La représentation figurée de Noël existe sous une autre forme, plus à la mode que jamais, celle des crèches. M. Max Radiguet, en son charmant ouvrage : À travers la Bretagne, raconte que, durant la semaine de la Nativité, une mise en scène qui, malgré sa monotonie, jouit de la faveur populaire, se produit dans plusieurs églises du Finistère : sur une estrade élevée, une grotte construite en guirlandes de lierre et constellée de clinquant figure une étable avec tous les personnages voulus, entre autres le nègre Melchior vêtu de satin blanc et, rangés le long des parois, des bergers et des bergères portant les divers costumes bretons en usage les jours de gala et tenant en main une houlette enrubannée ou des paniers remplis de denrées. Une barrière en avant de l’estrade contient la foule empressée. Toutes les classes sociales se coudoient à ce pieux pèlerinage, que l’on ne saurait terminer sans déposer une offrande sur le plateau pour les pauvres et sans embrasser une image peinte du Divin Sauveur, que les baisers de la multitude ont décolorée.
Notre cité nantaise a conservé l’aimable usage d’ériger dans ses innombrables sanctuaires des crèches pittoresques devant lesquelles c’est un défilé continu de bébés, ravis de contempler leur Divin Modèle, de parents joyeux de la joie de leurs enfants, de vieillards et de misérables qui viennent puiser là une leçon utile de résignation. Il n’y a pas encore bien longtemps, nos compatriotes admiraient à juste titre la crèche monumentale qui occupait l’intégralité d’une des chapelles absidiales de la basilique Saint-Nicolas, et dont l’agencement ingénieux, la multiplicité et la richesse des personnages et des accessoires faisaient une merveille ; on accourait également des quatre coins de la ville pour rendre visite à la crèche de l’établissement de Saint-Joseph, rue des Orphelins : sur une longueur d’une dizaine de mètres, s’étendait un paysage délicieux : rivière encaissée, pont rustique, collines, prairies, bosquets, et c’était une théorie complète de bergers, de paysans, de chiens, de moutons, de mages, d’éléphants, de chameaux se dirigeant vers l’endroit où l’Enfant Jésus reposait, éclairé par mille lumières discrètes, sous la garde de Marie et de Joseph, et chanté par les anges.
Depuis quelques années, la coutume est venue de placer au premier rang des crèches de nos églises un tronc surmonté d’un nègre agenouillé, vêtu d’une robe éclatante : lorsqu’une menotte ingénue laisse tomber son obole dans le tronc, le personnage exotique baisse la tête en signe de gratitude. N’est-ce point le cas de rééditer le mot fameux : « C’est vous qui êtes le nègre, continuez », puisque nos chers babys apprennent en s’amusant le devoir si doux de l’aumône.
Noël est, par excellence, la fête gaie et populaire, l’époque des réunions de famille, la date des réconciliations. « Si la joie est le caractère de toute la liturgie catholique, dit excellemment Léon Gautier, elle n’éclate nulle part aussi fraîchement que dans cette fête de la Nativité de Notre-Seigneur. Noël et joie sont deux mots synonymes. La joie pascale est immense sans doute ; elle est peut-être plus vive que la joie de Noël ; mais elle est moins fraîche ». Et, à son tour, le vicomte Walsh chante cette joie en termes lyriques : « Sous le plus misérable toit, il y a eu du bonheur quand les cloches ont annoncé que le Divin Enfant nous est né. Dans cette fête, que l’on pourrait nommer la fête des mères, des enfants et des pauvres, que d’encouragements pour tous, mais spécialement que de consolations pour ceux que le monde ne compte pas parmi ses favoris ! ».
Ce noble sentiment de l’amour des déshérités en ce jour de la Naissance du Sauveur dominait l’âme d’une de nos plus glorieuses compatriotes, la Bienheureuse Françoise d’Amboise, duchesse de Bretagne. « Pendant son séjour dans le monde, dit un vieil auteur, elle souloit (avait coutume) tous les ans habiller tout de neuf un pauvre petit enfant à la feste de Noël en l’honneur de Notre Seigneur Jésus Christ, et disoit avec une ioye spirituelle : Ce petit innocent nous représentera l’enfant Jésus cette année ».
J’aurai fréquemment l’occasion, au cours de cette monographie, de signaler des redevances féodales, car leur échéance venait d’ordinaire aux jours des fêtes religieuses, et elles offrent un côté pittoresque, instructif et amusant, qui n’est pas à négliger dans un tableau de la vie d’autrefois.
Que faut-il penser des redevances féodales ? Des historiens, dédaigneux des sources originales ou amoureux des procès de tendance, ont peint cet usage comme un ensemble odieux de mesures tyranniques qui violaient la liberté, escroquaient les biens et blessaient l’honneur des serfs de la glèbe.
De nos jours, si l’on ne veut passer pour un ignorant ou un écrivain de mauvaise foi, il est nécessaire d’abandonner un jugement aussi ridicule.
Pour nous en tenir aux redevances féodales qui seront énumérées ici, nous constaterons plusieurs caractères qui ne sont pas précisément en leur défaveur.
La dépense représentée par elles était presque nulle : c’étaient des fleurs, du pain, du vin, des gâteaux, du gibier, des volailles, des gants, des cierges, une bûche à Noël, des œufs à Pâques, de la verdure au 1er Mai, quelques fagots à la Saint-Jean.
En beaucoup d’occasions, les redevances féodales formaient des spectacles divertissants, peu pénibles pour les débiteurs et procurant un plaisir honnête à des populations entières : tels étaient les devoirs de chansons, de danses, de musique ; tels encore les jeux de soule et de quintaine – souvent à la charge des seigneurs – auxquels prenaient part tous les jeunes gens ; la plantation du mai, l’embrasement du feu de la Saint-Jean étaient salués par des cris joyeux ; pour le saut des poissonniers dans la rivière, le duel aquatique de l’oie et du chat, le cortège bruyant des ânes du sire de Retz, on devine les accès d’hilarité qu’ils provoquaient dans la foule.
Gaies et nombreuses à Noël, à Pâques, à la Pentecôte, à la Fête-Dieu, à la Saint-Jean, les redevances sont presque à l’état de mythe aux époques mélancoliques du Carême et de la Toussaint. À ce premier caractère religieux, on doit en ajouter un autre :