Regy, Physique Quantiue (Kane)

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septembre 05 thtre de grammont

Sarah Kane mise en scne Claude Rgy


de

mardi 20 septembre 20h45 mercredi 21 et jeudi 22 septembre 19h00 vendredi 23 et samedi 24 septembre 20h45

tarif gnral : 20 , rduit : 12,50 Location rservations Opra Comdie 04 67 99 25 00

(hors abonnement)

de Sarah Kane mise en scne Claude Rgy assistant la mise en scne Alexandre Barry texte franais Evelyne Pieiller scnographie Daniel Jeanneteau lumire Dominique Bruguire son Philippe Cachia vido Erwan Huon costumes Ann Williams assistants Alexandre Barry et Rmy Godfroy directeur technique Sallahdyn Khatir avec Isabelle Huppert Grard Watkins
Cration au Thtre des Bouffes du Nord (Paris), le 1er octobre 2002
photo Pascal Victor

Une rencontre publique exceptionnelle avec Isabelle Huppert, Claude Rgy et Grard Watkins anime par Grard Lieber aura lieu, en amont des reprsentations, en partenariat avec la Librairie Sauramps le 15 septembre 2005 19h30 dans le hall du thtre de Grammont.

Ce spectacle est accueilli avec l'aide de la Rgion Languedoc-Roussillon Septimanie et le concours de

Une production des Ateliers Contemporains et du CICT-Thtre des Bouffes du Nord. Production tourne internationale 2005 polimniA. Avec le soutien de lAFAA (Association Franaise dAction Artistique). Nous remercions tout particulirement Cartier pour son soutien exceptionnel. Avec le partenariat dAir France

Thtre des Treize Vents 4.48 Psychose

propos de 4.48 Psychose

Pice ou plutt pome car Sarah Kane, en crivant ce texte, voulait dcouvrir comment un pome pouvait quand mme tre thtral. 4.48 peut tre considr, selon les propres termes de Sarah Kane, comme, une dpression chaotique une structure apparemment brise et schizophrnique qui prsente un matriau sans commentaire et demande au public de se fabriquer sa propre rponse. Comme elle la dit pour Manque (sa pice prcdente), cette pice parle du dsespoir et du suicide. Et la raison, dit-elle, cest quelle la crite un moment o elle tait totalement dsespre. Il semble aussi que, depuis Manque, le rythme prdomine sur le sens. Il semble, pour ses deux dernires uvres Manque et 4.48 Psychose, quelle ait senti le rythme de luvre avant de savoir quoi crire. Grce au rythme et la composition le choix des mots donc des sons quand le sens arrive, cest plusieurs sens la fois. Dans lconomie de chaque ligne est dissimul un dispositif concentr assez semblable un explosif. Grce quoi Sarah Kane peut crire dans 4.48 : Rien quun mot sur une page et il y a le thtre. Elimination du spectaculaire. Stricte conomie de la langue. Travail sur la langue. Pour crire, pour trouver en elle le noyau de cette transmission immdiate, elle dit simplement quelle simmerge dans lcriture . Et nous, coutant ou

lisant, pour recevoir en nous de ltre immdiat, pour devenir sensibles au-del mme de la comprhension, pour nous ouvrir des correspondances non exprimes entre des sphres apparemment trangres, nous devons aussi nous laisser faire, tre immergs dans lcriture. Car, dit Sarah Kane, il y a bien plus important que le contenu de la pice, cest la forme. Tout art de qualit est subversif, dans sa forme ou dans son contenu. Et lart le plus grand est subversif dans sa forme et dans son contenu. Et souvent, la forme est llment qui fait le plus injure ceux qui veulent imposer la censure. Beckett, Barker, Pinter, Bond, ils ont tous t critiqus non tant pour le contenu de leur uvre que parce quils utilisaient des formes non naturalistes qui se drobaient une interprtation simpliste () La forme et le contenu tentent dtre une seule et mme chose la forme est le sens. Cest un peu une rvolution, une rvolte contre linflation du sens, contre une vision troite abusive de la notion de sens. Cest une indication, en tout cas, sur comment lire, comment couter, comment finalement apprhender labsolue nouveaut de cette criture qui fait entendre, ml aux cris qui se font en nous, lcho des cris stridents du monde. Cest simple parce quimmdiat. Dans Manque Sarah Kane a crit : Dieu je voudrais avoir la musique mais tout ce que jai cest les mots . Quelle se rassure, sa musique et ses mots foncent droit sur nous.
Claude Rgy

Thtre des Treize Vents 4.48 Psychose

Je viens de me mettre au travail sur une nouvelle pice (4.48 Psychosis) dans laquelle il sagit de la division entre la conscience et le corps. Pour moi, la folie est lie cette dchirure, et lon na de chance de retrouver ce que lon appelle son bon sens que si lon se raccroche soi-mme du point de vue spirituel, corporel, motionnel. Sarah Kane

Je suis en train dcrire une pice intitule 4.48 PSYCHOSIS. Elle offre des similitudes avec CRAVE (Manque), tout en tant diffrente. La pice parle dune dpression psychotique. Et de ce qui arrive lesprit dune personne quand disparaissent compltement les barrires distinguant la ralit des diverses formes de limagination. Si bien que vous ne faites plus la diffrence entre votre vie veille et votre vie rve. En outre, vous ne savez plus ce qui est intressant dans la psychose vous ne savez plus o vous vous arrtez et o commence le monde. Donc par exemple, si jtais psychotique, je ne ferais littralement pas la diffrence entre moi-mme, cette table et Dan (son interlocuteur). Tout ferait partie dun continuum. Et diverses frontires commencent seffondrer. Formellement, je tente galement de faire seffondrer quelques frontires pour continuer faire en sorte que la forme et le contenu ne fassent quun. Ce qui savre tre extrmement difficile et je ne compte dire personne comment je my prends. Ce que jai pu commencer avec CRAVE, je le pousse ici un cran plus loin. Et pour moi se dessine une ligne trs claire qui part de BLASTED (Anantis), en passant par PHAEDRAS LOVE (LAmour de Phdre), pour aboutir CLEANSED (Purifis), CRAVE (Manque) et cette dernire pice (4.48 Psychose). O cela va-t-il ensuite, je ne sais trop.
Sarah Kane
Conversation avec des tudiants, novembre 1998

Sarah Kane

lments biographiques
Jai dabord commenc comme actrice. Je suis alle luniversit et jai tudi le thtre. Aprs deux ou trois spectacles, jai dcid que je naimais pas beaucoup les metteurs en scne. Et je suis donc devenue metteur en scne. Et en tant que metteur en scne, javais besoin de textes et jai dcid dcrire mes propres pices.
entretien avec Johan Thielemans, dcembre 1998

Dur croire, je sais, mais jai t une chrtienne fervente (). Jusqu dix-sept ans, jai sincrement cru ne pas avoir craindre la mort, que le jugement dernier se produirait de mon vivant, que je naurais jamais mourir physiquement. Jai commis le pch irrmissible de savoir que Dieu existe et de dcider consciemment de le rejeter. Jai cru en Dieu mais pas dans le style de vie quexige le christianisme. Jai connu un tas de chrtiens dont je pensais quils taient fondamentalement mauvais et un tas de non-chrtiens dont je pensais quils taient absolument magnifiques, et je ne pouvais pas comprendre a, aussi ai-je pris la dcision consciente de rejeter Dieu, et, peu peu, ma foi sest effondre. Selon la Bible, je suis prsent absolument damne. Cest la question pose dans Phdre : si vous ntes pas sr de lexistence de Dieu, soit vous protgez vos fesses et vous vivez votre vie prcautionneusement, au cas o , comme le fait le prtre, soit vous vivez votre vie comme vous voulez la vivre. Sil y a un Dieu et quil ne peut pas accepter cette honntet, alors, bon, tant pis.
Interview de David Benedict, 1996

Dans un passage de Fragments dun discours amoureux, Roland Barthes dit que la situation dun amoureux malheureux est comparable celle dun prisonnier Dachau. Au dbut, jtais intrigue par cette comparaison, je trouvais que les souffrances de lamour ne pouvaient en aucun cas tre aussi terribles que celles que lon endure dans un camp de concentration. Puis jai rflchi, et jai mieux compris ce que Barthes voulait dire. Il parle de la perte de soi. Quand on se perd soi-mme, quest-ce qui reste encore quelquun ?
Entretien avec Nils Tabert, fvrier 1998
In Playspotting, Die Londoner Theaterszene der 90. Rowohlt 1998 Texte franais Alexis Baatsch

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Jai t stupfaite de ces clameurs dpouvante qui ont clat propos de mes pices, parce quen fin de compte il ne sagit pas de brutalit ou de cruaut : elles sont l, sans plus, quand on crit et quen dpit de Sarah Kane est ne le 3 fvrier 1971 Brentwood dans le comt dEssex. Tout dabord comdienne, elle tudie le thtre lUniversit de Bristol, puis lUniversit de Birmingham et devient metteur en scne et crivain. En 1995, elle crit sa premire pice Blasted (Anantis) qui est aussitt cre au Royal Court Theatre de Londres. Sarah Kane parvient immdiatement la clbrit, faisant les gros titres de la presse britannique. Les critiques taient, pour la plupart, trs ngatives et la rumeur a couru que la censure pourrait tre rintroduite en Angleterre. Sarah Kane sest suicide Londres le 20 fvrier 1999 laissant une cinquime pice, 4.48 Psychosis, cre lt 2000 au Royal Court Theatre. toute la violence qui existe on veut continuer aimer et esprer. Pour moi Manque, o il ny a mme pas un commencement de violence physique, et qui est un texte trs silencieux, est le texte le plus dsespr. () Plus fortement que dans les pices qui ont prcd, la violence est mtaphorique dans Purifis. Puis je me suis rapproche dune orientation plus potique. Cest sur Manque que cest le plus manifeste. Ctait drle quand jai termin mon travail sur Manque, je navais aucune ide de la manire dont mon

Sarah Kane

l'uvre

travail allait se poursuivre, tout cela tait si minimal, cela dpassait tellement la question de la langue, dans quelle direction allais-je enfin pouvoir faire quelque chose ? Et puis je me suis mise, il y a quelques semaines, un nouveau texte : il ny a mme pas encore de personnages A peine peut-on parler dune tradition de ce genre dans le thtre britannique ! Bien sr, si les gens connaissaient Artaud ou Heiner Mller, ils verraient clairement le rapport, mais dans le contexte britannique, cest probable quon pense : quest ce que cest que cette merde ? Et a sera probablement la raction ce nouveau texte, une fois quil sera termin. (ce nouveau texte sera son dernier texte : 4.48 Psychosis)
Entretien avec Nils Tabert, fvrier 1998
In Playspotting, Die Londoner Theaterszene der 90. Rowohlt 1998 Texte franais Alexis Baatsch

Il y a cinq pices. La premire, Blasted (Anantis) a t cre au Royal Court Theatre Upstairs en 1995. La deuxime, Phaedras Love (Lamour de Phdre), a t cre au Gate Theatre en 1996. En avril 1998, Cleansed (Purifis) a t cre au Royal Court Downstairs, et en septembre de cette mme anne, Crave (Manque) est produite par Paines Plough and Bright Ltd au Thtre dEdimbourg, puis reprise au Royal Court Theatre Londres, et en tourne internationale. La dernire pice de Kane, 4.48 Psychosis, a t cre en juin 2000 au Royal Court Jerwood Theatre Upstairs. Sarah Kane a mis en scne sa deuxime pice Phaedras Love (LAmour de Phdre) au Gate Theatre de Londres, puis Woyzeck de Georg Bchner en octobre 1997. Elle a crit un scnario, Skin (Peau), ralis par Channel Four et prsent lautomne 1995.

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Claude Rgy

- biographie

Metteur en scne, Contemporains.

directeur

des

Ateliers

Dcouvreur dcritures contemporaines, trangres et franaises, il est lun des premiers avoir mis en scne des uvres de Marguerite Duras (1960), Nathalie Sarraute (1972), Harold Pinter (1965), James Saunders (1966), Tom Stoppard (1967), Edward Bond (1971), David Storey (1972), Peter Handke (1973), Botho Strauss (1980), Wallace Stevens (1987), Victor Slavkine (1991), Gregory Motton (1992), Charles Reznikoff (1998), Jon Fosse (1999), David Harrower (2000). Il a galement travaill pour la Comdie Franaise (Ivanov dAnton Tchekhov en 1985, Huis clos de Jean-Paul Sartre en 1990) et pour lopra (au Thtre du Chtelet, Passaggio de Luciano Berio en 1985 et Les Matres-chanteurs de Nuremberg en 1990, lOpra de Paris-Bastille, Jeanne dArc au bcher de Paul Claudel et Arthur Honegger en 1991). Ces dernires annes, aprs Paroles du Sage, texte biblique de LEcclsiaste traduit par le linguiste Henri Meschonnic, en 1995, et La Mort de Tintagiles de Maurice Maeterlinck, en 1997, il met en scne Holocauste, sur un pome de lAmricain Charles Reznikoff, au Thtre National de la Colline ainsi quen tourne en France et Bruxelles durant toute lanne 1998. Puis, pendant la saison 1999/2000, deux crations se sont succdes au Thtre Nanterre Amandiers : Quelquun va venir du Norvgien Jon Fosse (Festival dAutomne Paris) et Des couteaux dans les poules du jeune Ecossais David Harrower. En janvier 2001 a lieu la premire reprsentation de Melancholia - thtre, extraits du roman de Jon Fosse, prsent au Thtre National de la Colline Paris, puis en tourne Caen, Rennes et Belfort. La mme anne, le KunstenFestival des Arts lui confie la mise en scne dune uvre musicale, Carnet dun disparu de Los Janacek, cre en mai Bruxelles, puis prsente au Festival International dArt Lyrique dAix-en-Provence, au Thtre Nanterre Amandiers / Thtre&Musique et au Carr SaintVincent dOrlans.
Thtre des Treize Vents 4.48 Psychose

4.48 Psychose, le dernier texte de la jeune anglaise Sarah Kane, a t cr en octobre 2002, avec Isabelle Huppert, au Thtre des Bouffes du Nord, avant de tourner Caen, Grone, Genve, Lorient, Lisbonne, Anvers, Lyon, Rennes, Sao Paulo. En octobre 2003, il cre une nouvelle pice de Jon Fosse, Variations sur la mort, au Thtre National de la Colline, dans le cadre du Festival dAutomne Paris. Le Grand Prix National du Thtre a t dcern Claude Rgy en 1991, et le Grand Prix des Arts de la Scne de la Ville de Paris en 1994. Publications : Espaces perdus Plon - 1991, rdition Les Solitaires Intempestifs - 1998 LOrdre des morts Les Solitaires Intempestifs - 1999 L'Etat d'incertitude Les Solitaires Intempestifs - 2002 Commentaire dramaturgique : La Mort de Tintagiles, Maurice Maeterlinck collection "Rpliques" - Babel / Actes Sud 1997 Co-traductions : avec Simone Sentz-Michel Ivanov, Anton Tchekhov Edition dramaturgique / Comdie Franaise 1984 avec Arnaud Rykner La terrible voix de Satan, Gregory Motton - Bourgois 1994 Filmographie : comme ralisateur: Nathalie Sarraute conversations avec Claude Rgy La Sept / INA 1989 A propos de son travail : Mmoire du Thtre Claude Rgy - INA 1997 Claude Rgy le passeur, ralisation Elisabeth Coronel et Arnaud de Mzamat, Abacaris films / La Sept ARTE 1997 Claude Rgy, Par les Abimes, ralisation Alexandre Barry, ARTE

Isabelle Huppert

lments biographiques

Ne le 16 mars 1955 Paris, Isabelle Huppert sait trs tt ce qu'elle veut faire de sa vie. A 14 ans, elle suit des cours d'art dramatique au Conservatoire de Paris et monte sur scne pour jouer de petits rles. A 16 ans, elle se voit proposer son premier rle dans Faustine et le bel t de Nina Companeez, aux cts d'Isabelle Adjani. Du jour au lendemain, les deux jeunes filles sont catapultes en haut de l'affiche. En parallle, elle tudie la littrature russe la facult de Clichy et joue dans quinze films. Dans Les Valseuses, elle apparat aux cts de Grard Depardieu et Patrick Dewaere. C'est le rle d'une introvertie, dans La Dentellire de Claude Goretta, qui lui apporte la conscration, nous sommes en 1977. Elle aura incarn bon nombre des rles fminins les plus intressants de son temps, des portraits de femmes tourmentes, de Marie dans Une Affaire de femmes de Chabrol, Dominique, la clibataire battante dans l'cole de la chair, de Benot Jacquot, o elle est une femme qui s'prend perdument du beau Quentin (Vincent Martinez) et qui l'entretient. Petit jeu de la sduction bien connu, mais o les rles sont inverss. La comdienne, dont la clbrit est dsormais mondiale, participe aussi rgulirement des projets plus difficiles, comme Amateur, film indpendant de Hal Hartley, dans lequel elle campe, aux cts de Martin Donovan, une vieille fille nymphomane, ou deux films de Godard : Sauve qui peut (la vie) et Passion. Elle n'hsite pas non plus jouer dans des films plus sulfureux, comme La femme de mon pote de Bertrand Blier ou Coup de Torchon de Bertrand Tavernier, incarnant des femmes dchires entre envie, danger, plaisir, douleur et passion.

Cinma
In America (2004) de Jerzi Skolimowski Ma mre (2003) de Christophe Honor avec Louis Garrel Le Temps du Loup (2002) de Michael Hanecke avec Batrice Dalle Deux (2001) de Werner Schroeter avec Bulle Ogier La Vie Promise (2001) de Olivier Dahan avec Maud Forget 8 Femmes (2001) de Franois Ozon avec Catherine Deneuve La Pianiste (2000) de Michael Hanecke avec Benot Magimel La Comdie de lInnocence (2000) de Raoul Ruiz avec Jeanne Balibar Merci pour le Chocolat (2000) de Claude Chabrol avec Jacques Dutronc Les Destines Sentimentales (2000) de Olivier Assayas avec Charles Berling et Emmanuelle Bart

Thtre
4.48 Psychose de Sarah Kane, mise en scne Claude Rgy, thtre des Bouffes du Nord Paris Mde d'Euripide, mise en scne Jacques Lassalle, Festival d'Avignon, Thtre de l'Odon, tourne Mary Stuart de Schiller, mise en scne Howard David, Royal National Theatre de Londres Thtre des Bouffes du Nord Orlando de Virginia Woolf, mise en scne Bob Wilson, Thtre de Vidy-Lausanne, Thtre de l'Odon Jeanne au bcher de Paul Claudel, mise en scne Claude Rgy, Opra Bastille Mesure pour mesure de William Shakespeare, mise en scne Peter Zadek, Thtre de l'Europe-Odon Un mois la campagne de Tourgueniev, mise en scne Bernard Murat, Thtre Edouard VII On ne badine pas avec lamour de Musset, mise en scne Caroline Huppert, Thtre des Bouffes du Nord.

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Grard Watkins
acteur, auteur, et metteur-en-scne

Il est n Londres en 1965. De pre anglais, Peter Watkins, cinaste, et de mre franaise, Franoise Watkins, institutrice. Il a pass une partie de son enfance ltranger, New York, Los Angeles, au Nouveau Mexique, Oslo, et Stockholm. Il vit en France depuis 1973. Aprs une sance de travail lge de dix ans avec Peter Brook au Lyce International de St-Germainen-Laye, il narrtera pas de faire et crire du thtre. Il crit Dead End, pice en un acte, quil met en scne lge de 14 ans. Scorches, quil met en scne en 1984, dure plus de trois heures et runit dix-sept acteurs. Aprs 3 ans dtudes au C.N.S.A.D, vient Barcelone ou lEtranger Est Mort, (lecture publique au Thtre de Nanterre Amandiers en 1990), suivi de La Capitale Secrte, cre au Thtre de Gennevilliers et lADC Quimper en 1995. La Tour, prsentation publique au Studio Thtre de La Comdie Franaise pour les dix ans de la Fondation Beaumarchais. Suivez-Moi, cre au thtre Grard Philipe de St-Denis en 1999. Dans La Fort Lointaine au Thtre Le Colombier en automne 2001. En 2004 il met en scne l'Espace Nautique de Saint-Ouen Icne dont il est galement l'auteur, et en signe la ralisation audiovisuelle. Il a obtenu deux bourses de cration du Centre National du Livre, trois aides la cration de la DMDTS, et est laurat de la Fondation Beaumarchais. Acteur, il a jou dans plus de trente productions de thtre, avec des metteurs en scnes comme JeanLouis Martinelli, Lars Noren, Claude Rgy, Bernard Sobel, Jean-Pierre Vincent, ainsi quavec Elizabeth Chailloux, Michel Didym, Marc Franois, Philipe Lanton, Yvon Lapous, sur des textes de Babel, Bchner Fichet, Grabbe, Hamsun, Ibsen, Kane, Koltes, Lagarce, Motton, Noren, ONeill, Ostrovsky, Pirandello, Shakespeare, Williams. Il vient d'interprter Ian dans Anantis, une pice de Sarah Kane mise en scne par Daniel Jeanneteau, cre au TNS Strasbourg, reprise au TGP SaintDenis et en tourne. En 2006, il jouera l'Odon dans Le Roi Lear mis en scne par Andr Engels. Il a jou dans une demi-douzaine de films, dont La Commune de Paris de Peter Watkins, Le Loup de la Cte Ouest, de Hugo Santiago, et Jeux dEnfants de Yann Sammuel. Egalement guitariste, chanteur et auteurcompositeur, il prpare un album intitul The Tower.

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Extrait de presse Transmettre l'intime


4.48 Psychose Entretien avec Isabelle Huppert
Claude Rgy m'a racont que vous ne lui aviez jamais formellement dit oui pour ce rle et que vous aviez rpondu par un geste qui avouait une sorte de fatalisme. Etait-ce une rencontre invitable pour vous ? Certaines aventures obissent une ncessit, s'imposent comme une vidence. Mais ce geste signifie peut-tre aussi qu'on ne peut rpondre parce qu'on ne sait pas o cela va nous emmener. Avec ce texte de Sarah Kane et accompagne par Claude Rgy, j'avais l'intuition, qui se vrifie jour aprs jour, que la pice me conduirait dans des rgions inhabituelles du thtre. Pourquoi ? Le texte est quasiment un monologue, mme si je ne suis pas seule sur le plateau. Grard Watkins m'accompagne, mais notre relation est trs particulire : nous ne nous voyons jamais, il est comme une prsence qui m'enveloppe. Ce dispositif et ces paroles monologues crent d'emble une tonalit singulire, qui dborde les codes familiers de l'art dramatique. Curieusement, j'ai trouv trs rapidement des repres dans cet espace atypique, parce que la pice m'a traverse de faon immdiate, trs intime, alors qu'elle n'voque pas forcment des situations et des sentiments que je connais. Elle parle de la mort, du suicide, de la maladie mentale mais aussi du rapport la vie, d'une exigence de vie, de la difficult de vivre... L'criture de Sarah Kane ne ressemble aucune autre. Elle associe une langue potique avec un vocabulaire extrmement concis, rel, comme lorsqu'elle numre le nom des mdicaments qu'elle avale. La prose, le vers, la scansion sont mls, jouent sur les sonorits, les rythmes, les silences... comme dans la chanson. C'est un texte musical. Elle disait d'ailleurs que, face tout ce que la musique peut librer dans l'imaginaire, elle se sentait impuissante avec les mots, qu'elle trouvait contraignants et limits. En fait, son criture allie une grande libert de style et une construction trs prcise, trs pense pour l'acteur aussi. Elle parvient indiquer le fond par la forme. Les sons, les cadences, la prsence ou non de ponctuation... Tout est porteur de sens, mme la typographie. Par exemple, selon qu'elle dispose des chiffres de faon clate, comme sur une carte du ciel, ou selon qu'elle les aligne en colonne, le sens change. Comment pntrer dans ce texte o n'existe pas de personnage au sens classique mais o une voix nous parle depuis un au-del indfinissable ? La pice invite plonger au plus profond de soi et donne formidablement la possibilit de transmettre de l'intime - ce que cherche tout acteur. Un crin comme les Bouffes du Nord favorise cette proximit car je ne suis pas oblige de forcer sur ma voix pour que les spectateurs m'entendent. Mais, au risque de me contredire, le texte permet ensuite, et peut-tre mme estce ncessaire, d'imaginer un personnage, Sarah Kane, tout simplement... Pour me protger derrire une autre identit, qui ne serait pas moi... Pour carter la tentation de se laisser
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compltement envahir par ces mots, viter de glisser vers cette zone dangereuse o ils pourraient nous entraner. Cette parole se faonne dans les contradictions : colre autodestructive et dsir de vivre s'entrechoquent en permanence. Rveille-t-elle la part de violence qu'on a en soi ? Pas plus que pour la plupart des autres rles. Je crois depuis longtemps qu'tre actrice c'est se confronter sa propre violence. Ici, la brutalit est dans les mots, dans ce qu'on sait du destin de Sarah Kane, mais elle n'explose jamais vraiment. C'est une violence qui la consume, mais sans agressivit ni haine. Avec de l'autodrision et de l'ironie, qui crent une certaine distance. Quand elle rpond au docteur qui lui demande si elle a des projets : Prendre une overdose, me trancher les veines et puis me pendre , cela ne manque pas d'humour. Comment imaginez-vous Sarah Kane aprs vous tre immerge dans cette uvre testamentaire si intime ? Comme quelqu'un avec une grande exigence et un fort apptit de vie mais aussi une norme difficult vivre, s'aimer, savoir qui elle tait. Vous croyez qu'il est possible de natre dans le mauvais corps ? , demande-t-elle. Elle dteste son apparence de femme, se trouve trop grosse, moche, dvalorise... Elle parle beaucoup de son corps. C'est trs fminin. Sarah Kane ne cesse de chercher son identit. On sent son androgynie. Dans 4.48 Psychose, tantt elle aime une femme, tantt un homme. Son besoin physique parat n'tre jamais en accord avec son esprit. Sarah Kane est aussi d'une extrme sensibilit notre poque. Dans sa douleur, elle endosse la souffrance du monde, c'est comme une brlure en elle. C'est en cela que son thtre est aussi politique. Elle prouve trs violemment la dissonance des rapports humains, l'absurdit des conflits qui dchirent la plante, l'injustice qui fragmente la socit... toute cette haine qui empche l'harmonie. Elle s'en sent presque responsable, elle s'identifie la maladie du monde. Elle va jusqu' se prendre pour Dieu par moments. Ces accents mystiques traversent son criture. On sent galement un besoin d'amour qui la dchire, une recherche perdue de sa part manquante... Oui, la figure d'un amour inaccessible flotte dans toute la pice. On peut penser aussi que, durant son sjour l'hpital, elle est vraiment tombe amoureuse du docteur, et qu'elle n'a pas support cet amour rest sans rponse pour elle. Cette hypothse ne suffit certes pas expliquer sa souffrance, car sa dtresse et son manque puisent leurs racines bien au-del. Parfois, les histoires d'amour malheureuses viennent simplement se loger dans un cur dj fissur. Comment, en tant que femme, abordez-vous l'androgynie qui mane du texte ?
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Je m'y suis dj confronte avec Orlando, mis en scne par Bob Wilson, mais dans ses aspects ludiques, pas dans ce qu'elle peut rvler de douloureux. Au cinma, je l'ai plutt vcu comme une ralit objective, c'est--dire que, souvent, les rles que j'ai interprts ne rpondaient pas au parangon de la fminit telle qu'on l'entend habituellement, sauf rcemment dans La Vie promise, d'Olivier Dahan. Je ne me sens pas toujours correspondre l'image classique de la Femme . Je crois que souvent j'exprime quelque chose de plus indfini... une identit physique o affleure une part masculine. La Pianiste de Michael Haneke est le seul film o j'ai, d'une certaine manire, abord la souffrance d'tre dans cet entre-deux sexuel. Bien sr, les situations sont trs diffrentes. La pianiste n'affiche pas physiquement son androgynie. Cependant, dans son comportement, elle est un peu comme une mutante, c'est--dire que, maladroitement, elle agit un peu la faon d'un homme : elle fixe les rgles du jeu, non par volont de pouvoir ou dsir de sduction, mais par peur de ne pas tre aime comme elle voudrait. A sa faon, elle explore ce no man's land entre l'homme et la femme. Sarah Kane aussi. Sa sexualit incertaine n'est peut-tre qu'une consquence de la peur de ne pas tre aime comme elle voudrait. Elle ne sait pas si elle veut se comporter comme une femme ou comme un homme. Dans la pice, corps et esprit apparaissent irrmdiablement spars. Comment traduire cela sur le plateau ? Le corps et l'me ne peuvent jamais tre maris , dit-elle. Cette dichotomie est une manifestation de la psychose qui trouble son cerveau. C'est un tat que je ne connais pas mais je peux en transmettre les effets. Sur scne, je le transforme en une sensation de douleur. Et puis le thtre permet justement de saisir cette division mentale : parce que l'acte est prsent charnellement, il peut donner l'impression, motionnellement, physiquement que son corps est l et sa pense ailleurs. Avec Claude Rgy, l'acteur apparat plus comme un mdiateur entre l'criture et le spectateur que comme un interprte incarnant un personnage. Cette conception oblige sans doute se dpouiller de toute posture dans le jeu ? Oui, son projet est d'affranchir l'acteur de toute tentative ou ncessit de thtralit. Il ne convoque pas l'acteur chez l'acteur mais la personne. C'est--dire ? Au thtre, on fait trop souvent appel des codes de comportements, des contenances, des postures censs exprimer un caractre ou des sentiments. On se sent souvent limit dans ce projet, dans ce mensonge. Et donc, mme quand j'interprte un rle comme Mde, qui exige de composer un personnage, je cherche en moi-mme, avec mes moyens, et j'essaie de trouver des attitudes qui m'appartiennent. Avec Claude Rgy, c'est ce que j'appelle l'tat zro du jeu. C'est dans cette condition qu'on devient mdiateur car on procure de la sensation pure ; aucune figure ne s'interpose alors entre l'acteur et ceux qui reoivent le texte. C'est la fois trs intime et trs difficile, parce qu'au thtre on est toujours tent de s'abriter derrire des poses. Il faut trouver constamment la note la plus personnelle, la plus juste, tre en relation totale avec soi, ce qui demande une grande concentration et une grande disponibilit.

Ds qu'on perd cette liaison intrieure, ds qu'on se laisse distraire, on est vite pris dans une espce de petite musique, on s'enferme dans des postures. Pour revenir soi, il faut oublier qu'on est un-acteur-qui-joue-une-pice-au-thtre, autrement dit tablir un lien de ralit avec le public, raviver sans cesse la sensation d'tre au milieu des gens, se demander ce que cela signifie d'tre l, dans cet espace donn, devant ces spectateurs-l. Paradoxalement, Claude Rgy parvient dthtraliser la reprsentation en faisant prendre conscience l'acteur de sa position au sein du thtre chaque instant. Or, on oublie trs souvent cette donne de ralit alors qu'elle est essentielle. Quand vous dites je cherche avec mes moyens , quels sont-ils ? Mes moyens, c'est moi, ce que je suis... ma capacit projeter mon intriorit. Bien sr, je possde des techniques, je sais moduler ma voix, canaliser mon nergie... Claude Rgy sait que l'art dramatique ne se rduit pas cet exercice-l, qu'il peut permettre cette confrontation plus personnelle avec soi-mme. Il a compris depuis longtemps que le thtre peut tre porteur d'autres choses. Vous avez finalement peu jou au thtre... Oui, mais je me suis trouve dans des aventures particulires, que ce soit avec Bob Wilson avec qui j'ai fait Orlando de Virginia Woolf, avec Peter Zadek (Mesure pour Mesure de Shakespeare l'Odon), avec Claude Rgy dj dans Jeanne au bcher de Claudel l'Opra-Bastille ou en jouant Marie Stuart de Schiller au National Theater de Londres, ou Mde dans la cour d'Honneur du Palais des Papes, sous la direction de Jacques Lassalle. Auparavant, j'avais mes dbuts jou une pice adorable de Jean-Jacques Varoujean, Viendra-t-il un autre t ?, puis j'avais travaill avec Robert Hossein Reims. Aprs, j'ai jou aux Bouffes du Nord On ne badine pas avec l'amour de Musset sous la direction de ma sur Caroline. Plus tard, j'ai renou avec le thtre avec Un mois la campagne de Tourgueniev, mis en scne par Bernard Murat. Donc, finalement, j'ai pas mal jou au thtre quand mme ! Est-ce pour vous un plaisir diffrent que de jouer au cinma ? Au thtre, le plaisir surgit dans la douleur. Pour l'atteindre, il faut passer par un vritable chemin de croix ! Peut-tre moins maintenant... A chaque fois, on se demande pourquoi on y retourne ! Sans doute parce que c'est magique, parce qu'on traverse des sensations qu'on ne peut prouver nulle part ailleurs, parce qu'on sait qu'au plus profond de la souffrance il y a le plaisir annonc. Oui, c'est pour a qu'on y retourne... Qu'est-ce qui est douloureux ? Etre devant 500 personnes et recommencer chaque soir est une situation objectivement difficile. De mme que les contraintes formelles qu'impose le thtre. Mais j'imagine que cela procure un certain... soulagement. Jouer libre le bouillonnement intime qui nous agite, laisse s'exprimer les autres soi-mme qu'on rprime dans sa vie. a permet de crier en silence...
Propos recueillis par Gwnola David THEATRES octobre 2002

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Entre non dsir de vivre et non dsir de mourir


Entretien avec Claude Rgy "La pense n'avance pas autrement que par des avances. (...) Je pense souvent ce peut-tre. On est devant un mur. Chercher le moment o cesse la foi en la ralit. (...) Il s'agit de travailler sur tout ce qu'un corps met qui n'est pas forcment visible et qui ne passe pas forcment par l'change direct. (...) Des particules suspendues nous attendent. Nous respirons les forces du vide. (...) Il y a l'autre nous-mmes... Et il y a l'autre que nous-mmes."
Claude Rgy, L'Etat d'incertitude, ditions les Solitaires Intempestifs, 2002

Pourquoi avez-vous choisi 4.48 Psychose plutt que Purifis dont vous parlez beaucoup dans votre dernier ouvrage, L'tat d'incertitude 1 ? Parce que c'est la dernire uvre de Sarah Kane, que ses autres pices ont t souvent montes et que j'aime m'aventurer sur des terres encore vierges. D'autre part, lorsque j'ai lu le texte, j'ai ressenti l'urgence de faire entendre cette parole qui m'a normment frapp. J'ai alors repouss d'un an le projet sur lequel je travaillais. De quelle manire cette parole vous-a-t-elle touch ? Quand quelque chose frappe, a frappe partout. Il ne faut pas distinguer le corps, la sensibilit, l'esprit. La vritable intelligence se compose de tous ces modes de perception runis. Le plus saisissant dans 4.48 Psychose est que Sarah Kane se place dans une interzone que nous ne connaissons pas, mais dont pourtant nous sentons plus ou moins consciemment l'existence en nous-mmes. Elle se situe dans un entre-deux, entre le non dsir de vivre et le non dsir de mourir, entre l'homme et la femme. L'hermaphrodisme fuse d'ailleurs de toutes ses uvres. Elle est dans l'indfini de son identit sexuelle, dans l'indtermin de son dsir, au milieu de ce vide. Et elle nous parle depuis cette sphre inexplore qui frle des tats identifiables sans jamais s'y rduire. Dans cette cavit inconnue, tout rsonne avec un sens nouveau. Quelles limites Sarah Kane repousse-t-elle ? En fait, Sarah Kane abolit les limites, entre la vie et la mort, entre le masculin et le fminin. Cet effondrement des frontires apparat trs clairement dans Purifis : le frre meurt d'une overdose dans la premire scne mais rapparat la troisime, la sur change de sexe la fin... Cette interchangeabilit brouille les dmarcations habituelles. Dans 4.48 Psychose, la rversibilit est galement permanente. Ds lors que vous abattez ces deux frontires, vous ne pouvez maintenir celle entre le bien et le mal, ni, par extension, toutes les autres. C'est donc toute la construction de la socit qui s'croule. Jean Baudrillard a d'ailleurs soulign que le pouvoir se logeait dans la division des contraires. En introduisant une sparation entre le corps et l'me, entre la vie et la mort, l'Eglise a pu rgner pendant des sicles sur ces sujets. Pour moi, l'effondrement des frontires entre des lments officiellement opposs est un acte violemment subversif. J'avais dj fait cette analyse partir de La Mort de Tintagiles de Maeterlinck que j'ai mis en scne en 1996. Il n'y a rien de plus rvolutionnaire que de briser les catgories sur lesquelles la socit fonctionne.

Sarah Kane semble pourtant chercher sans cesse retrouver une unit perdue... C'est une femme trs contradictoire et c'est ce qui la rend passionnante, et vraie. Cette qute trouve peut-tre ses origines dans sa ferveur religieuse. Elle a en effet t trs chrtienne jusqu' 17 ans. Lorsqu'elle a perdu la foi, elle s'est cru damne et a vcu dans un sentiment de culpabilit, qui se sent d'ailleurs dans tous ses crits. Elle a beaucoup lu la Bible, la cite souvent, et sans doute d'autres textes religieux anciens. Elle en est reste trs imprgne. Or, dans Le Zohar, livre fondamental de la Cabale, les tres taient bisexus. Les parties mle et femelle ont ensuite t spares pour la reproduction de l'espce humaine. L'amour peut donc s'interprter comme une recherche de cette unit perdue. Dans l'histoire occidentale, cet amour a longtemps t focalis sur le divin et le grand Un, assimil Dieu. Mais pour moi, la multiplicit contradictoire qui mane de l'uvre de Sarah Kane, reflet de sa propre pluralit, est beaucoup plus riche que le principe d'unit que nous ont lgu la philosophie grecque, puis le catholicisme, et qui ne sait pas saisir la vie telle qu'elle palpite en nous. La complexit et la contradiction sont plus proches de l'tat vritable de l'tre. Sarah Kane branle galement la limite entre rel et imaginaire ? Elle travaille partir d'un tat psychotique o cette frontire disparat, syndrome courant de la schizophrnie. Elle peut se projeter et porter son amour sur plusieurs personnes de sexe diffrent, mortes ou vivantes. La femme aime qu'elle voque reprsente presque une vision mystique qu'on ne peut apprhender, ni rencontrer. Sarah Kane avouait qu'elle-mme ne s'tait jamais rencontre. Cette figure inaccessible n'est peut-tre que la projection d'elle-mme. Par moment, elle ne diffrencie plus ses rves de la ralit, ni sa conscience de son corps, ni son tre des objets qui l'entourent. Elle joint mme les extrmes quand elle dit : J'cris pour les morts, pour ceux qui ne sont pas ns. Son imaginaire surabondant cre un labyrinthe o elle se cogne et se perd sans cesse. De mme, elle abolit la frontire entre la forme et le fond. La forme est le fond , dit-elle. Elle pousse ici un cran plus loin la recherche amorce dans Manque. 4.48 Psychose me semble l'aboutissement d'une volution qu'elle a suivie aprs Purifis vers un thtre fond uniquement sur la puissance dramaturgique du texte. Purifis constitue d'ailleurs plusieurs gards sa pice centrale et aide clairer les deux prcdentes comme les deux suivantes. Sarah Kane y livre en effet tous les thmes rcurrents de son uvre. 4.48 Psychose est crit comme un pome, sans didascalies, juxtaposant dans une apparente incohrence monologues intrieurs, fragments de

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rpliques, bribes de conversations, sries de mots, chiffres... La forme fait sens, non seulement par la musicalit de l'criture, mais galement par la disposition du texte sur la page, les retours la ligne, les annotations droite, les espaces...

"Rien qu'un mot sur une page et le thtre est l."


Sarah Kane
Cette corrlation entre la forme et le contenu pose de grands problmes de traduction. Tout d'abord parce que l'anglais est plus concis que le franais. Comment restituer le sens que portent les rythmes et les sonorits ? Ensuite parce que l'anglais utilise beaucoup d'accords neutres, ce qui renvoie l'hermaphrodisme de Sarah Kane. Comment conserver cette ambigut ? Vous avez souvent traduit les textes trangers que vous avez mis en scne. Est-ce une faon de pntrer dans la gense de l'criture, de marteler les mots pour en apprhender tous les sens ? Ce travail me permet de sonder la langue, d'en sentir les sonorits, les rythmes, la respiration. J'ai fini par me rendre compte que le fait de choisir souvent des pices trangres ne relevait pas simplement du hasard, mais que j'aimais me trouver dans cet hermaphrodisme linguistique , autrement dit me situer entre deux langues, ni tout fait dans l'une, ni tout fait dans l'autre. Traduire en franchouillant les mots n'est pas un procd satisfaisant pour moi. Il faut qu'on entende en filigrane la texture de la langue originelle, quitte se faire accuser d'inventer des nologismes ! Lorsque je traduis, j'ai une perception de la phrase dans la langue trangre, du sens qu'elle porte, des vibrations, des connotations, de la mmoire, des sons, des rythmes... qu'elle dgage. Tout cela reste suspendu dans l'air. Il faut trouver des quivalents sonores et syntaxiques en franais. En captant cette matire vivante qui s'chappe des mots, la traduction dmontre que la vie de l'criture dpasse les simples signes couchs sur le papier. D'ailleurs, beaucoup de versions franaises sont pleines de contresens, notamment celles de Ibsen, Strindberg, Dostoevski ou Kafka. Or, malgr tout, l'essence de leurs uvres nous parvient. L'art d'crire est de savoir crer de la vie, et non de se contenter de jolies formules littraires. C'est cette matire vivante, en suspens, dont les acteurs se servent et qui donne la vie d'une reprsentation. Votre dmarche ne tend-elle pas justement saisir cet audel du texte, l o le sens ne se rduit pas seulement aux signes, cet au-del des images, l o elles ne reprsentent pas qu'elles-mmes ? Bien sr, j'ai senti assez tt la ncessit d'aller fouiller derrire la signification immdiate et je n'ai cess de dvelopper cette recherche. Maintenant, je mne presque un travail de laboratoire pour montrer cette vie de l'criture. Comme dit Sarah Kane : Rien qu'un mot sur une page et le thtre est l. A condition
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qu'on ne l'ensevelisse pas sous la mise en scne, l'criture constitue un lment dramatique en soi, c'est--dire qu'elle transmet des sensations et cre des images. Lorsqu'on entend un texte, l'esprit gnre des flux d'images. La mise en scne doit rester minimaliste pour ne pas formater la vision des spectateurs, et empcher le libre dveloppement de leur imaginaire partir de ce qu'ils entendent et voient. La multiplicit des impressions et des penses qui surgissent de l'coute d'un texte est infinie. Le langage est plein de trous, d'quivoques, de sous-entendus. C'est dans ces carts-l que tout se passe. Ce qu'on lit n'est pas la matire du livre, mais se compose en majorit de nos propres projections mentales. D'ailleurs, personne ne lit le mme livre. De mme, lorsqu'on se replonge dans un ouvrage quelques annes aprs, on a le sentiment que ce n'est pas tout fait le mme, parce qu'on est soi-mme un peu autre. C'est en ce sens que je dis que ce qu'on entend et voit est au-del du texte crit, au-del de l'image apparente. L'absence de reprsentation libre la force cratrice de l'criture. Il ne s'agit donc pas de fabriquer de belles images plastiques contempler mais de concevoir celles qui permettront, comme un tremplin, l'imagination de glisser, de drailler mme ; autrement dit il s'agit de faire en sorte que le texte fasse voir. Autrement dit, montrer l'invisible ? Merleau-Ponty m'a fait dcouvrir une ralit vidente : l'invisible fait partie de notre faon de voir. L'il humain ne peut jamais embrasser dans un seul regard la totalit d'un objet. Il ne peut en capter qu'une face la fois. Cela signifie qu'il faut intgrer cette donne, maintenir une part cache et tenter de l'imaginer partir de celle que l'on voit. Cette conception va l'encontre de la notion de reprsentation telle qu'on l'entend classiquement. Oui, le personnage, tout comme l'incarnation, la psychologie, les dcors, les costumes, la sparation scne-salle... tout ce vocabulaire et ces mthodes trs ancrs dans la vie thtrale me paraissent inadapts pour traiter la littrature contemporaine. D'ailleurs, si mon thtre est ce qu'il est aujourd'hui, ce n'est pas que je l'ai dcid a priori. C'est parce que je me suis consacr aux textes contemporains, et que cette pratique m'a conduit l. A force de s'y frotter, on dcle des points communs qui transcendent les diffrences entre auteurs, on sent le besoin d'inventer un traitement diffrent. Mes ides sur le thtre se sont forges dans ce long travail sur les critures contemporaines. Duras et Sarraute ont bien sr influenc ma rflexion, et des crivains comme Peter Handke, Jon Fosse, David Harrower ou Sarah Kane me confortent dans mon approche. Cette volution dramaturgique rsulte aussi de la perte de l'illusion du thtre message, la fin de la croyance que certains dtiennent une vrit, politique ou autre, qu'ils doivent l'enseigner au cours de la reprsentation un public ignorant, pour lui montrer le droit chemin. De mon point de vue, ce schma est totalement prim, mme si beaucoup continuent de penser que la transmission de cette vrit fonde la ncessit de leur mtier. Cela dit, ces considrations ne concernent que ma recherche. D'autres approches sont possibles. Pourquoi avez-vous ressenti cette ncessit d'inventer de nouvelles formes ? Je ne sais pas... peut-tre ai-je tent de nouvelles expriences
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uniquement par esprit de contradiction ! En fait, je crois que toute recherche artistique tente de franchir des limites, que ce franchissement inpuisable est le sel de la vie. Toute mon existence, j'ai essay, avec des acteurs et un texte, de repousser les frontires dans l'espace du thtre. J'ai cherch comment on peut faire autre chose que ce que l'on voit tout le temps. Se risquer passer l o personne n'est encore all, ne pas se contenter de copier des formes dj explores, ne pas se satisfaire d'arpenter toujours les mmes chemins, sont des exigences intransigeantes pour moi. Sinon, ce n'est pas la peine... Cependant, j'ai ressenti le besoin de concevoir de nouvelles formes parce que je me suis rendu peu peu compte que le cadre habituel de la reprsentation, et notamment la traditionnelle coupure scne/salle, empchait les spectateurs de percevoir tout ce qu'un texte et des acteurs peuvent dgager. Dans beaucoup de lieux, l'architecture induit un faux rapport l'image, parce que les places sont situes trop loin ou trop haut ou de ct, comme dans les salles l'italienne ou mme dans ces gigantesques thtres btonns qui ont t construits un peu partout en France. La taille de ces quipements et leur configuration sont inadaptes pour accueillir des spectacles de recherche. Cette inadquation vient sans doute aussi de l'volution du regard des spectateurs, habitus au gros plan par le cinma, la sculpture et surtout la tlvision. Les gens ont besoin de proximit, d'un contact intime. Mettre le spectacle dans une bote o l'on voit s'agiter de loin de petits personnages, ne permet pas cette rencontre. Il faut casser le cadre de scne et crer un espace qui laisse se dployer librement l'imaginaire, aussi bien chez ceux qui assument le texte que chez ceux qui l'coutent. L, dans ce lieu mental, les spectateurs peuvent devenir participants de la reprsentation. Vous voquez dans vos crits la physique quantique. En quoi a-t-elle modifi votre apprhension du rel ? Cette thorie dmontre que le rel, au sens o nous l'entendons, n'existe pas, c'est--dire que nous ne possdons pas les moyens matriels de le saisir, ne serait-ce que parce que ce qui est examin est modifi par la prsence mme de l'observateur. Les physiciens supposent que les particules virtuelles possdent une ralit, parce qu'ils parviennent en dceler les traces. Mais ils n'ont aucune preuve formelle de leur existence. Ils parlent de prsomption d'existence. Cela signifie donc l'inverse, qu'on ne peut pas conclure l'inexistence de cette ralit parce que dans l'tat actuel des mthodes d'observation, nous ne pouvons pas la voir. Cette conception ouvre de formidables champs d'investigations thtrales. La physique quantique renverse compltement le matrialisme scientifique classique. Toutes les certitudes s'croulent. La science moderne devient imprcise. Souvent d'ailleurs, les physiciens font rfrence la posie pour parler de ces notions. Car les potes sont justement ceux qui, avec l'imperfection du langage, parviennent faire entendre ce qu'on n'arrive pas vraiment dire, j'ai dcouvert cette pense au moment o je m'apercevais que je travaillais sur des choses que je ne savais pas dfinir prcisment mais dont je pressentais l'existence. Cela m'a encourag approfondir ma dmarche. Si on abandonne le postulat d'un rel intangible, ce que d'ailleurs les philosophies anciennes et orientales avaient fait, cela veut dire que c'est notre perception qui devient la matrice de ralits multiples. J'ai galement appris que le vide n'est pas vide, qu'il est rempli de particules. L'astrophysicien Michel Cass parle
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mme de l'nergie du vide. Travailler sur le vide du plateau et le laisser manifester son nergie travers les acteurs, voil qui rvolutionne radicalement l'activit des acteurs, mot qui, tymologiquement, vient de action ! Comment traduire sur le plateau le choc que vous avez ressenti au moment de la premire lecture ? Le processus d'laboration d'un spectacle obit beaucoup l'instinct. La vraie justesse est celle de la sensibilit. Aprs avoir vcu pendant des mois avec le texte, l'avoir traduit, avoir rflchi, cherch, on possde tout une substance en soi. Les comdiens, le scnographe, le concepteur des lumires ont eux aussi leur perception. Ces matriaux se rencontrent sur le plateau, se confrontent, s'ajustent, et d'un coup, on sent par instinct que a sonne juste. Le texte donne beaucoup d'indications. Quand on le viole, qu'on passe ct ou qu'on le dtourne, la parole sonne faux. On revient trs souvent sur les mmes lignes, les mmes scnes. Il n'y a pas de but atteindre. Le spectacle nat de ttonnements et se construit peu peu. Il se modifie sans cesse, mme lorsque les reprsentations ont commenc. Car le public fait partie de la cration, puisqu'il y mle ses propres fantasmes. Pourquoi avez-vous choisi Isabelle Huppert pour porter cette parole ? J'ai trs vite pens elle. Lorsqu'elle avait jou Jeanne au bcher sous ma direction, j'avais vu que je pouvais vraiment travailler avec elle, parce qu'elle cherche aller ailleurs, parce qu'elle est en demande d'autre chose. Isabelle Huppert possde une invention personnelle et un instinct miraculeux qui me fascinent. Il me semblait aussi qu'elle pouvait se tenir sur la bordure entre une grande intelligence, une lucidit extrme, et l'abandon total l'animalit et la folie. Elle a cette aptitude extraordinaire puiser dans son inconscient tout en gardant l'acuit de la conscience. Dans vos spectacles, l'inconscient parat d'ailleurs flotter sur le plateau... L'criture recle toujours une norme part d'inconscient qui s'chappe du geste de l'auteur, et qu'il faut transmettre sur le plateau. Je n'aborde jamais une pice rationnellement, en essayant de l'illustrer, de la clarifier, en recourant des sentiments reconnaissables, des humeurs... Je dteste les cris, les dclamations, l'agitation. Je cherche au contraire maintenir cette masse d'inconscient qui fuse du texte et la faire rejoindre l'inconscient des spectateurs. Pour que cette rencontre ait lieu, la mise en scne doit se faire trs discrte, laisser passer tout ce qui veut passer, afin que les spectateurs puissent se laisser envahir par la matire vivante de l'criture, inventer et rejoindre l'auteur lui-mme. Le public ne peut recevoir cette parole et crer sa propre fiction que s'il est trs disponible et que ses sens sont en veil. Parler trs bas, plonger le spectacle dans l'ombre, c'est une manire de favoriser cette mise en conscience, c'est faire bouger les seuils de perception et, peut-tre, faire entendre autrement. Quel espace scnique avez-vous conu ? Ce spectacle marque une rupture avec les prcdents pour lesquels j'avais conu des espaces scne-salle trs intimistes, afin justement de supprimer la discontinuit entre
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plateau et public. Le thtre des Bouffes du Nord est plus vaste, et constitue dj un dcor un soi. Il ne faut surtout rien y ajouter. Les comdiens voluent sur le proscenium, presque au milieu des spectateurs. Derrire eux, un rideau de tulle mtallique, opaque ou translucide selon l'clairage, masque ou dcouvre la cage de scne vide, que j'utilise comme une caisse de rsonance, pour crer cet au-del du texte et des images dont nous parlions. Des projections sur les murs viennent brouiller la lisibilit de l'architecture du thtre, ce qui rend le lieu presque immatriel, comme un espace mental. En fait, c'est toujours la mme tentative : prouver que la matire existe et qu'en mme temps elle n'existe pas, montrer qu'une autre matire existe mais qu'elle n'est pas visible. Cette matire impalpable, c'est tout l'univers de la cration, de l'imaginaire. Il est beaucoup plus vaste que le monde saisissable, et sans doute plus vrai, parce que ce qu'il exprime est plus proche de la vrit de l'tre.
Propos recueillis par Gwnola David 1. ditions Les Solitaires Intempestifs, septembre 2002.

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