Bédier, Joseph (1864-1938) - Les Fabliaux Études de Littérature Populaire Et D'histoire Littéraire Du Moyen Âge. 1925 PDF
Bédier, Joseph (1864-1938) - Les Fabliaux Études de Littérature Populaire Et D'histoire Littéraire Du Moyen Âge. 1925 PDF
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FABLIAUX
TUDES
PAR
JOSEPH BDIER
De l'Acadmie franaise
- "PARIS
LIBRAIRIE ANCIENNE HONOR CHAMPION
de France
Librairiede la Socitde VHistoive
Textes
el de,1aSocitdes'Anciens
5, QUAI MALAQUA1S
^ '
1925 v
Tous droits rserv
LES FABLIAUX
LES
FABLIAUX
ETUDES
' PAR
JOSEPH BDIER
PARIS
LIBRAIRIE ANCIENNE EDOUARD CHAMPION
Librairie de la Socitde l'Histoirede France
et de la SocitdesAnciensTextes
5, QUAI MALAQUAIS
1925
Tous droits rservs
A M. GASTON PARIS
HOMMAGE
DE RECONNAISSANCE ET D'AFFECTION
AVANT-PROPOS
DE LA SECONDE DITION
Je suis
heureux de, pouvoir remercier publiquement les cri-
tiques qui ont fait ce livre, pendant cette anne 1893-I8S4,
Vhonneur de l'examiner, et Vont trait avec bienveillance et faveur :
M. F. Brunetire dans la Revue des Deux Mondes, M. J. Cou-
rye du Parc dans le Plybiblion, M. H. Gaidoz dans Mlusine,
M.Wolfgang Goliher dans la Zeitsehrift fur franzsisehe Sprache
und Literatur, M. Lucien Herr dans, la Revue universitaire,
M. Andr Lang dans la Saturday Review et dans 'Aca-
demy, M. Ernest- Langlois dans la Bibliothque de l'cole
des Chartes, M. Charles M ariens dans la Revue No-scolastique,
M. Gustave Meyer de Graz dans la Schlesische Zeitung,
M. Cli.-M arc Des Granges dans la Romania, M. C, Ploix dans
la Revue des traditions populaires, M. Paul Regnaud dans la
Revue de Philologie franaise et provenale, M. F. Torraca dans
la Rassegna bibliografica dlia letteratura italiana, M. J.-C. de
Sumichrast dans la Nation de New- York, M. Wilmotte dans
le Moyen Age.
Je sais ce que je dois chacun d'eux. Jai pu, sur leurs indi-
cations, corriger, en chaque chapitre, des erreurs de fait ; ailleurs,
. et notamment aux .chapitres I, VIII, X, ils ont provoqu de plus
profonds remaniements : ce sont des jugements hasardeux ou
errons que, grce eux, foi pu rectifier \
L 2e dition, p. 111.
LES FABLIAUX
1. V. le chapitre VIII.
BDIEB.LesFabliaux. 2
18 LES FABLIAUX
taine, tous
les conteurs passs, convoqus des points les
1 la
plus opposs de terre, du midi au septentrion et de
l'orient au couchant.
Quelle aurait t la seconde partie de ce livre si. nous
avions admis la thorie indianiste ? Considrant les fabliaux
comme une matire non proprement franaise, mais tran-
gre, il aurait fallu tudier comment l'imagination orien-
tale s'tait rfracte dans l'esprit de nos trouvres. L
aurait d tre l'effort du travail : mais, si l'hypothse
orientaliste est vaine, cette recherche et port faux. Si
nous avions admis que les contes orientaux se sont trans-
forms en fabliaux, les fabliaux en farces franaises d'une
part, d'autre part eh nouvelles italiennes, nous aurions
d tudier les transformations que les novellistes italiens
ou les auteurs comiques du xve sicle ont fait subir leurs
modles supposs. Or notre conception de l'origine des
fabliaux cartait les recherches de ce genre : les auteurs
de farces franaises et les novellistes italiens ont pris
leurs sujets non dans les fabliaux que, sauf Boccace peut-
tre, ils ignoraient aussi bien que Ptolme ignorait
l'existence de l'Amrique, mais dans la tradition orale.
Fabliaux, farces, nouvelles italiennes ne sont que les acci-
dents littraires de l'incessante vie populaire des Contes.
Il est peut-tre utile de comparer entre elles ces diverses
manifestations littraires (v. notre chapitre IX). Mais il
est permis aussi de considrer les fabliaux comme des
oeuvres non pas adoptives, mais exclusivement franaises ;
et de mme les nouvelles de Sercambi ou de Bandello,
sans se proccuper de leurs sources, comme des oeuvres
exclusivement italiennes. Cette conception est fausse
ngative, non pas.
peut-tre,
20 LES FABLIAUX
Celui qui crit ces lignes doit M. Gaston Paris plus qu'il
ne saurait dire. Il y a sept ans, parmi les disciples qui entou-
raient sa chaire, M. Gaston Paris distinguait le plus jeune,
le plus an myme, encore sur les bancs de l'cole normale.
22 LES TFJLBUrATJX
CHAPITRE PRLIMINAIRE
I
En intitulant ce livre Les Fabliaux, je ne me dissimule pas
l'excs de ma tmrit \ Toute la jeune cole romaniste dit
fableau, comme elle dit trouveur. Quiconque ose crire encore
fabliau, trouvre, fait oeuvre de raction. Il est un profane, un
schismatique tout au moins.
Certes, la seule forme franaise du mot est, en effet, fableau :
cela n'est point discutable. Le reprsentant d'un diminutif de
fabula (fabula -f ellus) doit donner fableau, comme bellus donne
beau 2.
II
1...Le dit dela-Dent- (I,, 12); est bien.une. pice morale, et le petit apologue-
qu'il renfermen'a de valeur et d'agrment qu'autant.que le pote en tire une
moralit, qui, seule, lui importe. Je sais que ce petit conte' du fvre arracheur 1
d d'ents peut vivre indpendant, sans aiicune ide d'application morale-..II.
est, par exemple,,narr pour lui-mme dans ls Contes en vers de Flix ' ' Noga-
ret, Paris,, 1.810,liv. VI,. p. 108 :
Dansun recueilchirurgical
Compos par M:.Afcteille, . -
i Je,trouveun moyeninfemaL
D'arracher lesdents merveille
Voyez aussi Sacchetti, n 166. Mais notre liste de fabliaux s'allonge-
rait dmesurment si nous y faisions entrer tous les contes' rpts' accideit--
teDement, occasionnellement, par- les trouvres. On en relverait dans les
romans d'aventure,, dans les chansons de geste,, dans les vies de saints, .par-
tout. Ce serait la confusion des genres.' Il est manifeste que la Dent
tient au genre trs dtermin audit moral. Il ressemble exactement appar-
aux
autres pomes de Huon Archevesque, surtout au dit de Larguece et de Debo-
nairel, o le forgeron de Neufbourg est remplac par Jsus-Christ en
croix. V. l'intressante, monographie de M. A. Hron,- Les .dits -d Hue '
Archevesque, Paris, 1885. La question est plus 'malaise pour le lai de
l'Oiselet, que M. G. Paris range parmi les fabliaux dans- son Tableau de. la
Liiler. fr. au m. ge, 77 (2e dition), tandis qu'il ne le mentionnait
cette place lors du 1 tirage de ce mme Tableau de la- Liitr - pas'
dans son exquise dition de cet exquis pome, il n'crit fr ,- et que,
.
e mot fabliau. Il faut plutt, je crois, ranger le lai de pas une- seule-fois.
l'Oiselet les
apologues, auprs- du dit de Wnicome et du Serpent et d'autresparmi
similaires. pomes
DEFINITION DU.GENRE 35
mles, de surnaturel. Mais, dans la terminologie d&.jongl-eurs'-
les deux mots empitent souvent l'un sur l'autre,, etc?est-.ici sur-
tout que le dpart est dlicat entre les genres. MM. de Montai-
glon et Raynaud me paraissent avoir saisi la diffrence avec
infiniment de justesse littraire.
D'abord, il est certains rcits que les jongleurs appellent des
lais : lai dvAristote, lai de fpervier, l'ai du Cort mant'el. 1, lai .
'ubere*, et qui sont de simples contes rire, mais, narrs
avec- plus de finesse, de dcence', de souci artistique-. Pourquoi
les jongleurs ne les appellent-ils pas des fabliaux ?' Parce que le
mot s'tait sali force' de dsigner tant de vilenies grivoises ; il
leur rpugnait de l'appliquer leurs contes lgants, et le nom
de lai, qui avait pris un sens assez vague 3, mais s'appliquait
toujours des pomes- de bon ton,, leur convenait, merveille.
Ces contes sont des fahlians;: plus aristocratiques,. ds fabliaux
pourtant.
Mais il reste dans la collection Montaiglon-Raynaud quelques.
contes plus lgants encore,, le Chevalier qui recouvra l'amour
de sa dame, le Vair palefroi, Guillaume au faucon, les Trois
chevaliers et le chainse. De ces quatre^ contes^ Guillaume au fau-
con est le seul qui le nom de conte rire convienne encore
vaguement ; mais il ne peut s'appliquer aucunement aux trois
autres, notamment au, conte du, Chainse,, qui. est une- Lgende
d'amour tragique. Exclurons-nous ces quatre- contes- de notre
collection ? ou modifierons-nous, pour eux quatre, notre dfini-
tion du mot fabliau, un peu troite ? Dirons-nous, par exemple,
que les fabliaux sont des contes rire en vers, et, parfois, des
nouvelles sentimentales- ? Je crois qu'il est bon de retenir ces
rares contes sentimentaux, pour montrer que des transitions
III
IV
' '
"V
1. V. l'appendice I.
2. Sauf pour les fabliaux anglo-normands. Les traits linguistiques du
franais parl en Angleterre sont si apparents que les six fabliaux attribus
par nous ce dialecte sont assurment les seuls de notre collection qui
aient t rimes sur le sol anglais.
PREMIRE PARTIE
CHAPITRE PREMIER
II
1. Romania, t. X, p. 286.
52 LES FABLIAUX
dans le pass, jusqu'aux germes des
s'enfoncent profondment
et des croyances primitives. De l, ppur les mythologues^
penses
la ncessit d'prouver la valeur des matriaux que, tous, ils
mettent en oeuvre. Quel emploi lgitime en peuvent-ils faire ?
en est la provenance S? la date ? Ce sont l questions
Quelle
ncessaires, et voil comment c'est au sein des coles mytholo-
contemporaines qu'ont germ les principales thories de
giques
l'origine des contes.
On entend bien qu' propos de nos humbles contes rire, qui
n'ont rien de mythique, nous n'aurions garde de retracer ici
l'histoire des systmes mythologiques de ce sicle. Nous n'aurions
surtout n'y tant pas tenu de trop laisser percer nos-
garde
l'une ou l'autre cole 1 : les fes
prfrences pour pour malignes
des contes, les vieilles fileuses mchantes, les follets entranent
volontiers les mortels trop curieux dans les brousses des forts
prestigieuses.
et suffisant de mettre en son
f. Mais il est ncessaire
relief, le plus brivement, le plus nettement possible, l'ide de
chaque systme. Car on ne saurait rsoudre la question de
l'origine des fabliaux, si l'on ne sait aussi rpondre au problme
plus comprhensif de l'origine des contes en gnral, et
d'ailleurs, si l'on sparait abusivement ces deux questions, il
serait oiseux de rechercher la provenance des contes rire ;
rciproquement, un mythologue ne saurait se servir en toute
confiance des matriaux du folk-lore, sans avoir lucid d'abord
la question, menue en apparence, des contes plaisants. Ces
assertions, quelque peu sibyllines, deviendront bientt fort
claires.
Les deux grands systmes aujourd'hui en conflit l'cole d
mythologie compare ou cole philologique et l'cole anthropo-
logique traitent les contes populaires en vertu de principes
opposs, selon des procds contraires.
Quels sont ces principes et ces procds ?
1. Voir, pour une orientation gnrale travers ces systmes, la trs belle
prface de Wilhelm Mannhardt au t. II des Wald-und Feidhulle, Berlin 1877
p._I-XL, complte et mise jour, en 1886, par l'introduction de M. Charles
Michel la Mythologie de M. Andrew Lang, trad. fr. de M. Parmentier ou
une ,oho tude de M. G. Meyer dans ses Essaya und Studien zur
schichle und Volkskunde, Berlin, 1885. Sprachge-
THORIE DE L'ORIGINE' ARYENNE DES CONTES 53
III
THEORIE ARYENNE
IV
LA THORIE ANTHROPOLOGIQUE
On sait quelle belle guerre est mene depuis quinze ans contre
l'cole de M. Max Mller. On lui a contest ses rsultats, ses
mthodes, ses principes. Depuis Mannhardt jusqu' M. James
Darmesteter, combien de savants l'ont abandonne, brlant ce
qu'ils avaient ador ! Combien, depuis Bergaigne jusqu' M. Barth,
ont fait effort pour dissiper l'ivresse linguistique qui nous grisait,
pour dpouiller les Vdas de leur autorit sacre, pour dmontrer
1. Ibid.,-p. 283.
58 L'ES FABLIAUX '
V
THORIE DES;CONCIDENCESACCIDENTELLES
1. Oui certes ; mais ces concidences qui ont pu faire rinventer des contes
trs simples ont prcisment la mme importance que les onomatopes pour
la comparaison de deux langues. C'est--dire que, comme les onomatopes,
elles sont trs rares et ngligeables.
2. E. Cosquin, L'origine des contes populaires europens et les thories
de M. Lang, 1891, p. 6.
3. Kaarle Krohn, Br und Fuclw, Helsingfors, 1891.
4. L. Sudre, Les Sources du roman de Renart, Paris, 1893, p. 8.
.5. J. Jacobs, Cinderella in Brilain, dans le numro de. septembre 1893
de-la revue Folk-lore.
BDIEF.LesFabliaux. 5
66 LES FABLIAUX
VI
LA THEORIE/miENTALISTE
VII
CHAPITRE II
HISTORIQUE DE LA THORIE
Elle est franaise par ses plus lointaines origines, et l'on peut
dire que, dj, elle existait en puissance aux temps reculs o
La Fontaine fit connaissance avec le sage Bidpa.
Ds 1670, le savant vque d'Avranches, Daniel Huet, disait
expressment : Il faut chercher la premire origine des romans
dans la nature de l'homme, inventif, amateur des nouveautez et
des fictions... et cette inclination est commune tous les hommes ;
mais les Orientaux en ont toujours paru plus fortement
possdez
que les autres ; et leur exemple fait une telle impression sur les
nations de l'Occident les plus polies, qu'on peut avec justice leur
HISTORIQUE DE LA THEORIE ORIENTALISTE 73
en attribuer l'invention. Quand je dis les Orientaux, j'entends
les gyptiens, les Arabes, les Perses, les Indiens et les Syriens \
Huet plaait donc l'origine des fictions dans un Orient vague
et indtermin, et cela pour des raisons plus vagues encore et
plus indtermines.
Au commencement du xvme sicle, cet Orient se limita.
gyptiens, Perses, Indiens et Syriens furent un peu sacrifis, au
profit des seuls Arabes. C'est le grand succs des Mille et une
Nuits qui.cra ce prjug. Grce aux Galland, aux Cardonne,
aux d'Herbelot, l'imagination des peuples de l'Islam passa pour
la toute-puissante cratrice des fictions. De mme que les Arabes
avaient introduit en Europe l'aubergine et l'estragon, ils y
avaient import, un beau jour, la rime et les contes.
Ainsi, ds le xvin 6 sicle, l'ide du systme Orientaliste avait
germ. Et comment ? Dans l'esprit d'rudits excellents, qui
manquait simplement le sens do ce qui est primitif et populaire,
et persuads qu'on pouvait se poser ces questions : qui a invent
les contes ? quel jour fut dcouverte la rime ? au mme titre que
celles-ci : quel jour a t invente l'imprimerie ? qui a dcou-
vert les proprits de l'aiguille aimante ? Ils commettaient
innocemment un sophisme d'humanistes et de rhteurs, analogue
celui des Grecs qui cherchaient, tymologistes navement ambi-
tieux, quel rapport unissait dans les mots le sens au son, et pour-
quoi ces deux syllabes : 'iniro, et non d'autres, servaient dsi-
gner le cheval. Les Grecs oubliaient qu' l'poque o ils se
posaient ce problme, leurs mots taient dj fort vieux, et fort
vieille leur civilisation. De mme, nos anciens orientalistes
oubliaient que l'humanit tait bien vieille dj, lorsqu'elle pro-
duisit les premiers romans que nous connaissons, et que chercher
l'origine des fictions , c'tait se poser un problme identique
celui des origines de l'esprit humain. Les plus anciennes qu'ils
connussent taient arabes, persanes, indiennes : ils proclamaient
donc que les Orientaux avaient invent les fictions. Mais ce n'est
l que la priode embryonnaire de la thorie, qui devait encore
subir, pendant la premire moiti de ce sicle, une lente incuba-
tion.
En 1816, parut le clbre ouvrage de Silvestre de Sacy : Calila
1. Trait de l'origine des romans, p. 12 de l'd. de 1711.
74 LES FABLIAUX
et Dimna-ou les Fables de Bidpa en arabe. Appliquant son esprit
l'examen des diverses rdactions de ce livre, le plus
sagace
vaste et le plus rpandu des recueils de contes orientaux; il prou-
vait que la plus ancienne forme n'en tait ni arabe, ni persane,
mais indienne.
- Parce tablit ce .fait considrable, on se
que c'est lui-qui
rclame aujourd'hui volontiers de son grand nom, bien tort, je
crois : car Silvestre de Sacy n'a pas t le fauteur, du moins,
conscient, de la thorie.
Son livre n'est, en effet, qu'un travail de bibliographe gnial.
Il s'est born dmler Pcheveau compliqu des divers remanie-
ments orientaux du Calila, et ne s'est jamais permis aucune
remarque qui outrepasst les promesses modestes de son sous- ,
titre : Mmoire sur l'origine de ce livre et sur les diverses tra-
ductions qui en ont t faites dans l'Orient. Le problme gnral
de l'origine des contes ne parat pas s'tre, un seul instant, pr-
sent son esprit, et je ne pense pas qu'on puisse trouver dans son
livre une conclusion plus gnrale que celle-ci : Je ne crains
pas d'affirmer que toutes les rgles de la saine critique assurent
l'Inde l'honneur d'avoir donn naissance ce recueil d'apo-
logues, qui fait, encore aujourd'hui, l'admiration de l'Orient et
de l'Europe elle-mme. La conclusion que je tire de tout ce que
je viens d'exposer n'est pas absolument que le Pantchatantra soit
antrieur Barzouyh, ce qui cependant est extrmement vrai-
semblable; elle n'est pas mme qu'avant Barzouyh tous les apo-
logues que celui-ci runit dans le livre de-Calila-fussent dj
rassembls, dans l'Inde, en un seul'recueil. Tout ce que je pr-
tends tablir, c'est que les originaux des aventures de Calila et
Dimna, et des autres apologues runis celui-l, avaient t effec-
tivement apports de l'Inde dans la Perse *. On le voit : nulle
tendance exagrer la porte de ces faits de pure bibliographie,
mais une prudente abstention.
Dj son lve, Loiseleur-Desiongchamps, gnralisait plus que
lui, lorsqu'il lui ddiait, en 1848, son Essai sur les fables
indiennes et sur leur introduction en Europe.
Ce mme roman de Calila, dont S. de Sacy avait class les
rdactions orientales, Loiseleur-Desiongchamps le suivait tra-
1. Calila et Dimna, p. 8.
HISTORIQUE DE LA THEORIE ORIENTALISTE 75
vers ses diffrents avatars europens ; de plus, il montrait qu'une
autre importante collection de rcits orientaux, les Fables de Seni
dabar, remontait, elle aussi, un original indien. Il ne s'arrtait
point l : vers dans la connaissance des nouvelles et des fables
des conteurs franais et italiens, il s'attachait les comparer avec
celles de ses auteurs indiens, et ne manquait pas de reconnatre;
en chacune d'elles, une imitation de Bidpa ou de Sendabar.
La vieille ide, courante depuis Huet, le proccupait : Il y
toute apparence, disait-il, que c'est en Orient, et plus particulier
rement dans l'Inde, qu'il faut'chercher l'origine de l'apologue...
Il faut remonter jusqu'au moyen ge pour trouver l'introduction
de ces fictions dans les compositions europennes. C'est un exa-
men bien curieux "faire, et l'histoire de ces recueils de contes et
de fables peut contribuer clairer cette question 1.
Vers 1840, on voit en effet se rpandre cette ide, nettement
visible chez Loiseleur-Desiongchamps, chez Robert 2, chez de
Puybusque*, chez Broekhaus'*, etc. : les contes qui se trouvent
la fois en Occident et en Orient sont issus de l'Inde, et c'est l
une vrit acquise la science par le grand Silvestre de Sacy.
Le trs prudent Silvestre de Sacy a-t-il, en effet, expos cette
opinion dans quelque mmoire que j'ignore ? Il est possible, mais
je souponne que c'est la vieille ide de l'vque d'Avranches qui
chemine sourdement, et que les disciples de Sacy croient pouvoir
lui attribuer. Il s'est produit sans doute, ici comme dans l'his-
toire de tant de systmes, ce phnomne bien .connu du grossis-
sement insensible et continu des faits primitifs mesure qu'ils
passent du premier observateur au disciple, du savant au vulga-
risateur. C'est ce que Renan dfinit si bien : Les rsultats n'ont
toute leur puret que dans les crits de celui qui les a, le pre-
mier, dcouverts. Il est difficile de dire combien les choses, en
passant de main en main, en s'cartant de leur source premire,
s'altrent et se dfaonnent, sans mauvaise volont de la part de
ceux qui les empruntent. Tel fait est pris sous un jour un peu
diffrent de celui sous lequel on le vit d'abord ; on ajoute une
1. Op. cit., p. 4, 6, 63, etc.
2. Fables indiles des XIIe, XIIIe et XIVe sicles, 1825.
3. Le comte Lucanor, apologues du xnie sicle, 1851.
4. Die Mhrchensammlung des Sri Somadeva Bhalla, Mm. We l'Ac de
Saint-Ptersbourg, 1839, p. 126, ss.
76 LES FABLIAUX -
rflexion que n'et pas faite l'auteur des travaux originaux, mais
qu'on croit pouvoir lgitimement faire. On avance une gnralit
que l'investigateur primitif ne se ft pas formule de la mme
manire. Un crivain de troisime main procdera ainsi sur son
modle, et ainsi, moins de se retremper continuellement aux
sources, la science historique est toujours inexacte et suspecte 1.
Mais que l'autorit de Silvestre de Sacy ait t justement ou
tmrairement invoque, toujours est-il que la thorie allait se
prcisant depuis le commencement du xixe sicle.
Thorie bien inoffensive encore. N'tait l'habitude livresque de
croire ncessairement plagie par Boccace toute nouvelle qui se
retrouvait la fois dans le Dcamron et dans le Calila, n'tait
cette tendance regarder les races orientales comme prdesti-
nes, par dcret spcial, inventer les fictions, les opinions de
ces savants taient aussi justes que modres. Ils se bornaient
constater l'immense succs des deux romans de Calila et de Sen-
dabar, et avanaient que les novellistes ou fabulistes' europens
leur avaient beaucoup emprunt, depuis le moyen ge. Vrits si
peu contestables qu'elles ressemblent des truismes.
C'est pourtant d'une simple gnralisation de ces modestes
propositions que devait sortir, quelques annes plus tard, un
systme envahissant, imprieux.
Non seulement les, deux grands recueils indiens, le Calila et le
Sendabar, avaient fourni cent ou deux cents contes des novel-
listes italiens, franais, espagnols, court d'invention ; mais
c'tait presque tout le trsor de nos littratures populaires euro-
pennes qui s'tait form dans l'Inde. Dans l'Inde prenait sa
source un immense fleuve charriant des fables, une sorte de
fabulosus Ilydaspes, qui avait inond le monde.
C'est un orientaliste de Goettingue, Tho dore
Benfey, qui cons-
truisit ce systme.
En 1859, parut cette introduction de 600 pages la traduction
allemande du Pantchatantra *, monument d'une prodigieuse ru-
dition, digne d'un Scaliger et d'un Estienne. Dans le premier
qui, peut-on dire, savait toutes les histoires s'est un jour '
propos d'extraire de ce prodigieux monceau de documents
quelques ides gnrales. Et tout ce que ces milliers de rcits lui
ont rvl, c'est simplement l'infaillibilit de Benfey : si bien que
sa dissertation sur l'origine des contes populaires 1 reproduit exac-
tement, sans une rserve ni une addition, et souvent dans ses
termes mmes, la prface du matre.
Aujourd'hui encore, c'est la thorie de Benfey qui domine et
triomphe. C'est elle qui est suppose, comme postulat, la base
de centaines de monographies de contes, disperses dans les
revues savantes. C'est elle qui rpand sa lumire sur la bril-
1. Max Mller, comme nous l'avons vu, admet les thories de Benfey
pour les nouvelles et les fables. Voyez diffrents de ses essays et, notamment,
l'tude intitule La migration des fables, Essais de mythologie compare,
trad. Perrot, 1873.
2. Le savant bibliothcaire de Weimar, M. R. Koehler, a t enlev la
science depuis que ces lignes ont t crites.
3. Reliques scientifiques,II, p. 17. Leon d'ouverture en Sorbonne
(1878).
SA FORME ACTUELLE 79
On les voit, ports par des traductions pehlvies, arabes, syriaques,
hbraques, latines, marcher de l'Inde jusqu'en France, o l'art
de nos conteurs du moyen ge les rajeunit et les rappelle une
vie nouvelle. Voici quelques lignes de la belle. Histoire de la
littrature anglaise de Ten Brink : C'est de l'Inde que vient le
gros (die Haaptmasse) des nouvelles du moyen ge. Elles se sont
rpandues, soit isolment, par voie orale ou par voie littraire,
soit, et plus souvent, par l'intermdiaire de grandes collec-
tions, o des contes isols sont subordonns un rcit plus
gnral, qui les environne comme d'un cadre.-Ces collections
indiennes, en passant par le persan, l'arabe, la littrature rabbi-
nique, sont parvenues en Europe, o, par l'intermdiaire du grec
ou par quelque autre canal, elles ont trouv accs dans la littra-
ture du moyen ge. Souvent modifis, renouvels, contamins
par d'autres rcits, ces cycles de nouvelles et de contes merveil-
leux conservent pourtant, dans leurs dernires transformations
europennes, les traces de leur origine orientale 1.
Tant il est vrai que la thorie s'est lentement infiltre partout,
universellement populaire, admise, par une sorte de jugement
d'habitude, de ceux-l mme qui n'en ont jamais vrifi les titres !
II
III
'
LES CONTES POPULAIRES DANS L'ANTIQUIT ET DANS. "['.
"
LE HAUT MOYEN AGE //_ ,l7 ';,.;.;'.
II
1. C'est M. Jacobs, op. cit., qui a tabli cette statistique. Voici les six fables
que Benfey attribue l'Inde : Le chacal et le lion, 29, p. 104 ; Le lion et
la souris, 130, p. 329 ; Le lion et l'lphant, 143, p. 348 ; L'homme et le
serpent, 150, p. 360 ; La montagne qui accouched'une souris, 158, p. 375 ;
enfin, 200, p. 478.
Voici, par contre, quelques exemples des jugements de Benfey en faveur
de la Grce : 105, p. 293, la fable du Makasa-Jlaka n'est,qu'une exag-
ration de Phdre, V, 3. 164, p. -384, On peut conjecturer que la fabJe
grecque des Grenouilles qui demandent un roi a donn naissance la fable
correspondante du Pantchatantra. 84, p. 241 : La fable sopique
de l'Aigle et la Tortue est incontestablement la source premire du rcit du
Pantchatantra. 191, p. 468, Cf. 17, p. 79 : La fable du Chien ui
laisse la proie pour l'ombre est visiblement une forme secondaire et dfor-
me de la belle fable grecque de Babrius, 79. Comparez les 50, 84, 121,
144 (o Benfey reste indcis), 188, etc.
2. Prface, p.- xxu.
3. O. Keller, Ueber die Geschichleder griechisclien Fabd (1861 ?), dans^
les Jahrbcher filr classische Philologie, IV, t. suppl., 1861-7, p. 309-418,/^J,
BDIER.Lesfabliaux. V v;-
98 LES FABLIAUX
nit. D'aprs Keller, les premiers inventeurs de l'apologue
ils ont,
sont, bien les Indiens ; mais, plus tard,- dgnrs,
leur tour, subi l'influence occidentale. Le stock primi-
tif des anciens apologues sopiques est venu de l'Inde et
s'esf rpandu en Occident avant Babrius l. Puis, aprs la mort
de Jsus-Christ, lorsque les invasions trangres eurent ouvert
les portes du monde oriental aux littratures d'Europe, nombre
d'apologues grecs, de formation relativement rcente, pntrrent
dans l'Inde. La gloire d'avoir invent les contes d'animaux les
plus beaux et les plus anciens reste aux Indiens, et les Grecs,
l'poque la plus brillante de leur littrature, n'ont t que leurs
tributaires. Mais, lorsque,.les jours d l'automne finissant, ceux
de l'hiver furent venus pour la littrature indienne, l'Orient
accueillit son tour les belles collections de fables grecques 2.
e) Thorie de M. Rhys-Davids. Enfin, en ces. dernires
annes, de nouveaux faits ont t apports au dbat, et M. Rhys-
Davids a comme renouvel le problme 3.
Il a mis en relief la haute antiquit des Jtakas, qui racontent
les diverses incarnations du Bouddha, et qui remonteraient
peut-tre , l'poque mme de akyamouni, soit, sans doute, au
ve sicle avant Jsus-Christ. On y trouve parfois les mmes
fables que dans l'antiquit grecque, et les contes des Jtakas
seraient le stratum archaque du.Pantchatantra. Les Jtakas ne
seraient-ils point aussi la matrice des apologues ? Benfey ne les
connaissait qu'imparfaitement. Il admettait, pour la composi-
tion des grands recueils de fables, la srie chronologique sui-
vante, en procdant du plus ancien au plus rcent : Babrius
Phdre Jtakas Pantchatantra. C'est pourquoi il crut
devoir admettre l'origine grecque des contes d'animaux et la
belle simplicit de son systme gnral s'en trouva compromise.
Aujourd'hui, on admet plus communment la srie inverse :
Jtakas Phdre Pantchatantra
Babrius, qui donne l'an-
triorit aux fables indiennes. M. Jacobs conjecture
spirituelle-
1. C'est--dire, d'aprs la date que Keller assigne l'oeuvre de
antrieurement l'an 150 avant J.-C. (V. p 390) Babrius,
2. Voyez p. 335 et p. 350.
3. Buddhist Birth-stories, or Jlaka-tales... edited
iranslated by T. W. Rhys-Davids, Londres, 1880. by V. Fausbll and
LES FABLES DANS L'ANTIQUIT 99
-ment, et non trop hardiment, que, si Benfey avait connu cette
srie, il en aurait sans doute pris acte pour renverser aussi sa
proposition et dclarer que les apologues grecs viennent de
l'Inde. Ce n'est qu'un jugement tmraire, peut-tre, s'il s'agit
de Benfey, mais non s'il s'agit de M. Rhys-Davids, qui croit
vraiment que les apologues grecs procdent des Jtakas. Aux
cinq cents fables des collections de Phdre et de Babrius, on n'a,
il est vrai, trouv que douze parallles dans les Jtakas' 1. Les
-arbres douze arbres ont cach la fort M. Rhys-Davids.
En rsum, entre ces deux extrmes, origine grecque des
apologues indiens, origine indienne des apologues grecs, il
n'est pas de position intermdiaire que n'ait occupe quelque
.savant. En trente ans, de 1851 1880, plusieurs critiques, -ga-
lement arms de science et de conscience, se posent le mme
problme, et voici, en quelques mots, leurs contradictoires solu-
tions ;
Tous les apologues communs aux deux peuples, dit Wage-
ner, viennent de l'Inde l Grce. N'y reconnaissez-vouspasle
cachet oriental ? (Or Wagener n'est pas un orientaliste, mais
un hellniste.)
Non, riposte Weber, tous ces apologues viennent de la Grce
l'Inde. Je n'y retrouve point le cachet oriental, mais comment
peut-on y mconnatre le cachet hellnique ? (Or Weber n'est
pas un hellniste, mais un orientaliste.)
Distinguons, dit Benfey : ni tous les apologues grecs ne sont
d'origine orientale, ni tous les apologues orientaux ne sont d'ori-
gine grecque. Mais il y a eu, d'un peuple l'autre, des emprunts
rciproques. Je possde une pierre de touche le principe de
l'indtermination primitive des fables qui nous permet de dis-
cerner la forme premire de chaque rcit. Sur soixante apo-
logues que j'tudie, six sont d'origine orientale, les autres sont
hellniques . ( Or Benfey n'est pas un hellniste, mais un orien-
'
taliste.)
J'admets comme vous, corrige Keller, la rciprocit des
emprunts. Mais les contes que vous dites hellniques sont gn-
ralement orientaux et inversement. Car votre pierre de touche
n'est point la bonne. J'en possde une autre le principe de
1. Cf. Jacobs, op. cit., p. 108.
^00 LES FABLIAUX -
les Indiens ont, aprs Jsus-
navet qui m'apprend que
des contes mais les.plus anciens sont
Christ, adopt grecs, que
indienne. Keller n'est pas un indianiste, mais
d'origine (Or
un hellniste.)
M. Vous vous perdez, dit-il ses
Enfin, parat Rhys-Davids.
Babrius et Bidpa. Voici les Jtakas, con-
devanciers, comparer
de akyamouni, source lointaine et commune de
temporains
Babrius et de Bidpa. C'est l qu'est la matrice des apologues.
III
IV
i. Athne, XIII, 35. Sur les rapports de ce conte avec la lgende massi-
liote du Phocen Euxne et de nombreuses lgendes -orientales et occiden- '
taes, v. Rohde, op. laud., p. 44, ss.
2. On sait que, chez le vieux Stsichore, on trouv des nouvelles-
d'amour [Bergk, fragm. 43, 44). dj
3. La comdiegrecque, Paris, 1886, t. II, p. 387.
NOUVELLES ET FABLIAUX DANS L ANTIQUIT 115
Tetrouver dans leurs intrigues, dans le Miles, Gloriosus par
exemple, de vritables contes traditionnels. : O sont, de
mme,
les lgendes erotiques alexandrines de Philtas, d'Hermsianax
de Colophon 1 ? O sont les contes sybaritiques 2 ? O, les fables
milsiennes ? Elle est perdue, cette collection de contes d'Aris-
tide de Milet que L. Cornlius Sisenna avait traduite s. Il est
perdu, ce recueil de contes milsiens que le Surna dcouvrait
dans les bagages d'un officier romaintu la bataille de Carrhes.
Si nous pouvions le lire, comme le Surna l fit lire au snat de
Sleucie, nous n'y rechercherions pas," comme lui, des tmoi-
gnages de la corruption et de la frivolit romaines, mais les
folk-loristes y reconnatraient les fabliaux de l'antiquit.
Ici encore, il suffira de quelques rapprochements.
Voici l'une des sches narrations que Parthnius adressait
Cornlius Gallus, pour qu'elles lui fournissent des canevas de
pomes. OEnone 4, sduite par Paris' sur l'Ida, lui prdit son
sort : un jour, il la dlaissera ; il sera bless dans un combat,
et, seule, elle pourra le gurir. En effet, aprs des annes,
alors que depuis longtemps OEnone a t abandonne pour
Hlne, Paris est bless par Philoctte. Il se souvient alors de
la jeune fille qui l'a aim sur l'Ida, et de sa prdiction. Il
envoie un messager pour la rechercher et la supplier de venir
son aide. Elle rpond par de violentes paroles : que Paris
demande plutt " Hlne de le gurir ! .Mais, peine le messa-
ger parti, elle regrette sa cruaut et se met en route vers celui
qu'elle aime encore. Hlas ! elle a trop tard. Sa dure rponse
a dj t rapporte Paris, qui, en apprenant qu'elle ne vien-
drait point, est mort. Elle arrive aussitt aprs et se tue sur son
corps.
J'ignore si l'on a dj remarqu la ressemblance de cette
lgende d'amour et de celle de Tristan. Thomas, Eilhart
d'Oberg, un manuscrit du roman en prose, nous racontent
ainsi la mort des deux amants : Tristan, bless d'un coup de
lance envenime, songe, que seule, son amie Yseult de Cor-
1. V., sur cette parent, l'article de M. G. Paris sur Tristan et Iseut dans
la Revue de Paris, 1894, n 3.
2. Benfey, Orient und Occident, III, 177.
3. Marie de France n'insiste pas sur le caractre incestueux de cette affec-
NOUVELLES ET FABLIAUX DANS L ANTIQUIT 117
C'est aussi le sujet de plusieurs lgendes grecques, des l-
gendes d'OEnomas et de sa fille Hippodamie ou de Sithon et
de sa fille Palln, telle que nous la rapporte Parthnius 1.
Sithon, pris de sa fille Palln (comme le pre de la Manekine,
le pre de Crescentia, etc.), a fait proclamer que celui-l seul
l'obtiendrait qui triompherait de lui en combat singulier.
Bien des prtendants ont tent cette preuve et ont pri.
Enfin, comme les forces de Sithon ont dcru et qu'il ne
peut plus entrer lui-mme en lice, il impose deux prten-
dants rivaux, Dryas et Clitos, de lutter l'un contre l'autre.
Comme Palln aime Clitos, son pre nourricier achte le
'cocher de Dryas, et obtient qu'il enlve les chevilles qui fixent
les roues de son char de combat. Dryas tombe et "Clitos le tue.
Le pre apprend l'amour et la ruse de sa fille et fait dresser un 1
bcher pour les deux amants. Mais une pluie miraculeuse teint
les flammes qui les environnent, et Sithon renonce enfin son
cruel amour '.
tion. Mais il est vident, lire son conte, qu'elle connaissait des donnes
plus violentes, qu'elle a adoucies. Parlant de l'amour infini du pre pour sa
fille, elle dit (d. Warnke, v. 29) :
Li reisn'aveitaltreretur;
Prs deli esteitnuitet jur...
Plusura malI aturnerent,
I suenmjsmel'en blasmerent...
1. Parthnius, narr. VI.
2. Pour des comparaisons avec des contes populaires modernes, v. Rohde,
p. 420. On peut aussi rapprocher un pisode du conte gyptien du Prince
prdestin (Maspro, Contes de l'ancienne Egypte, p. 33).
3. Rohde, p. 134. .
4. Rohde, p. 82.
5. Rohde, p. 53. Ajoutez aux rapprochements de Rohde que c'est aussi
le sujet d'une controverse de Snque le Rhteur (opra declamatoria, d.
'Bouillet, p. 563). V., pour d'autres lgendes, Rohde, p. 35 et p. 370.
118 LES FABLIAUX
de lgendes
d'OEsterlcy. 1 : on y verra combien de contes moraux,
d'anas sont des crivains, grecs ou latins .
erotiques, emprunts
et combien de fois les notes de l'diteur runissent, pour le
mme rcit, des noms orientaux et des noms classiques^ Polyen;
et Pierre Alphonse, les Tusculanes et le Roman de Barlaam et
de Joasaph, Ovide et les Quarante Vizirs. Mais
1. Berlin, 1872.
2. Traduction Lancereau, p. 55.
3. Dcam., IV, 2. Je ne sais si ce rapprochement a dj t indiqu : Ben-
fey ne mentionne pas le Tcit grec, non plus que Landau (Quellen des Dekg,-
mei-on,p. 293, ss."). Naturellement, pour Benfey, le conte doit tre consi-
dr, unbedenklich (p. 159), comme issu de. sources bouddhiques. Pourtant
le rcit du Dcamron diffre autant de la version du Pantchatantra de
celle d'Eschine. Eschine est-il bien l'auteur de ces lettres ? ou .que"
comme il faut plutt le croire, l'oeuvre de quelque Alexandrin ? sont-elles,
Peu nous
importe ici. Nous n'en sommes pas 200 ans prs ! (Voir, sur la question :
Castets, Eschine l'orateur, appendice.)
NOUVELLES ET FABLIAUX DA^NSL'ANTIQUIT 11-9
. Mnsiloque, "dguis en vieille, - s'est" introduit parmi les
femmes assembles pour clbrer les mystres de Grs, et pour
tirer vengeance :d'Euripide. Il dfend le pote, son gendre, par
un trange .plaidoyer o il allgue une srie de mfaits fmi-
nins dont "Euripide aurait: pu tirer parti pour ses tragdies, et
-dont, par discrtion bienveillante et pour l'honneur des femmes,
:il-:h'a souffl mot. Plusieurs des exemples de Mnsiloque se
rfraient, sans- doute, des contes rire connus des spec-
tateurs. Voici l'un d'eux : Euripide, dit Mnsiloque, n'a jamais
racont l'histoire de. cette femme qui, en faisant admirer son
mari, un manteau et en l'talant sous ses yeux, a fait vader son
amant cach ; cela, il ne l'a jamais racont, 1.
On reconnat ici le Plion'de Jean de Cond (Montaiglon-
'Raynaud, t. VI,. 156).
xv JJ.OIV_V
TCU-^EV, icw.
ox.E'ip)-/.s
Remarquez la forme condense du rcit, qui indique que les spectateurs
"reconnaissaient, au vol, une histoire connue. Le conte d'Aristophane
de
"parat bien moins concorder avec lePlion qu'avec le conte trs voisin en
Gesia Romanorum et de Pierre Alphonse (v. Gesammtab., II, p. xxxi) ;
tout casj il est plus voisin du Plion que YHitopadsa (trad. Lancereaii,
i20 LES FABLIAUX
1882, p. 54, ss.) qu'il faudrait pourtant, selon von der Hagen (op. cit.',
p. xxxn), considrer als die Grundlage de notre fabliau -(v. notre appen-
dice II). .
1. Appendix, XVI. Il est acquis la science que cet appendice est lgiti-
mement attribu Phdre.
2. Phdre, Appendix, IV. Voir, au chapitre VII, notre tude sur ce
fabliau.
3. On peut conjecturer, d'aprs les donnes de la 363e dclamation de
Qumtillien (Vesliplica pro Domina), que. le rhteur romain connaissait un
rcit analogue.
4. Phdre, Appendix, XV.
5. Salii'icon, m.
6. Apule, IX, ch. XVII.
7. Comparez le gobelet de Joseph, Gense, 44, 5. N'avez-vous la
dans pas
coupe laquelle boit mon matre, et dont il se sert pour deviner ?
Lefbure, Mlusine, IV, 38.
CONTES ANTRIEURS AU DOUZIME SIECLE 121;
grco-latines, l'eau du Styx s'carte des femmes pures, et noie
les autres *.
Ainsi, parmi les fabliaux conservs, cinq ou six au moins,
ma connaissance, sont attests dans l'antiquit classique.
C'est peu, dira-t-on.
Combien donc sont attests dans l'Orient, de l'Inde l'Arabie,,
et de la Perse la Chine ? Onze.
V
CONTES POPULAIRES DANS LE MOYEN AGE ANTRIEUR
AUX CROISADES
Ainsi les fabliaux se retrouvent presque aussi nombreux dans
l'antiquit que dans l'Orient.
Mais voici une autre assertion de l'cole orientaliste : dans te-
nant moyen ge, il n'y a pas trace de ces contes. Au xne sicle
seulement, sont traduits dans des langues occidentales des
recueils orientaux. Aussitt le got des contes se rpand en
Europe, et nous assistons la floraison littraire des fabliaux.
C'est donc sous l'influence des croisades, grce ces deux faits
concomitants ..et- troitement enchans, savoir : que, d'une
part, des contes ont t entendus eii- Orient, et oralement rappor-
ts par des croiss et des plerins ; que, d'autre' part, les livres
orientaux ont t traduits en latin, en espagnol, en franais,
c'est grce ces deux faits que les contes ont pntr d'Orient en
Occident.
Nous aurons dterminer, au chapitre suivant, quelle a t,
sur la tradition orale et sur les fabliaux, l'influence de ces recueils
traduits. Pour le moment, montrons que le moyen ge antrieur
aux croisades n'a pas plus que l'antiquit ignor des contes.
Je nomme peine les contes de Renart : car, seul, sans doute,
Robert 2 a jamais cru que le Roman de Renart dt sa naissance
au Kallah et Dimndh.
1. Sur un pisode d'un roman d'Achille Tatius, o l'hrone se tire son
honneur de l'preuve du Styx par le mme serment avec rserve mentale
qu'Yseult, v. Rohde, op. laud., p. 484. V., sur tout ce cycle, leCieco
remar-
da-
quable travail de M. Giuseppe Rua, Novelle del Mambriano del
Frrara, Turin, 1888, p. 73, ss.
2. Robert, Fables indiles des XIIe, XIIIe, XIVe sicles, I, CXXIII,
V. sur cette importante question le beau livre de M. Lopold Sudre, Les:
Sources du roman de Renart, Paris, Bouillon, 1893.
122 LES: FABLIAUX
ici sri de faits. " Le plus
Je n veux considrer qu'une
-copieux des recueils de fables du moyen ge est la collection' que
M. Hervieux nomme le Roniulus de 'Marie "de Prancc,' et qu'il
de la Bibliothque nationale K'
publie d'aprs deux manuscrits 7
2 se l'histoire-de icett
Voici comment M. G. Paris reprsente
collection, R". - ;
Une collection de fables latines a t traduite en anglo-saxom :
Gette traduction anglo-saxonne a t, postrieurement, attribue
au roi d'Angleterre Alfred, comme beaucoup d'autres ouvrages
dont il n'est point l'auteur. Ce texte anglo-saxon a t traduit
son tour : 1 en franais, ce sont les fables de Marie de France ;
~2en latin, c'est la collection R", (Le prologue nous dit, en-effet :
Deinde rex Angliae Affrus (variante: Afferus) in anglictmlin-
guam eum transferri jussit. ) -,.'
Tous ces faits peuvent s'exprimer par ce scbme :
1. Ce sont :
Les numros 40, 52, 53, 55, 59, 61, 62, 65, 67, 69, 72, 116, 117, 119,.120.
121,122, 123,. 124,.126,.132, 134v136.
2. Contes de Renart : les ns 50, 51, 60, 66. . .
3. Moralits : les nfl 54, 130.
124' LES FABLIAUX
dans les littratures populaires. Un mari a une femme contre-,
disante et acaritre. Comme il fait un jour driver un cours d'eau,
lui demandent,
pour le conduire dans une piscine, ses- ouvriers
de leur faire apporter leur.repas sur le chantier. Le mari les
adresse sa femme : mais qu'ils disent bien qu'il a refus ; c'est,
' la femme s'em-
le seul moyen qu'elle consente. Naturellement,
presse d'accorder, et apporte elle-mme des vivres aux ouvriers.
Son mari veut s'asseoir auprs d'elle, pour manger aussi. Mais
elle s'loigne de lui, mesure qu'il se rapproche, si bien qu'elle
tombe dans l'eau. Les ouvriers veulent la repcher .: Cherchez
la source du torrent, dit le mari ; car, par esprit de contradic-
tion, elle l'a certainement remont 1.
N 114. De divile qui sanguinem minuit.
M. G. Paris insiste avec raison sur la haute anciennet de ce
recueil : La traduction anglo-saxonne du Romulus anglo-latin,
sur laquelle a travaill Marie de France et qui tait, au xne
sicle, attribue Alfred le Grand, ne peut tre plus rcente que
le XIe sicle 2. C'est donc ce sicle tout au moins, et sans doute
au commencement, que remonte la collection latine, r.
Voil donc des contes, presque tous populaires, qui sont de:
vnrables contemporains de la Chanson de Roland, peut-tre du:
Saint Alexis !
M. G. Paris ajoute : On est surpris de trouver pareille
poque une oeuvre-aussi originale que l'est la partie nouvelle du,
Romulus anglo-latin. Elle doit certainement tenir dsormais une
place importante dans l'histoire de la production et de la trans-
mission des contes et des fables en Europe.
On peut tre surpris en effet de trouver ces contes en Europe, .
dans l'hypothse qu'ils dmentent.
indianiste, Mais, en dehors:
de cette hypothse, le fait n'a rien que de naturel.
Il existait donc en Europe, antrieurement aux croisades,
antrieurement aux dates o l'on prtend que les contes sont'.
CHAPITRE IV
III
1 Disciplina clericalis.
2 Discipline de clergie.
3 Chastiement cVun pre a son fils.
Pierre Alphonse, le juif compilateur de ce recueil, tait n en
1062, et fut baptis en 1106. Son livre n'a t compos qu'aprs
sa conversion, et ses sources sont le plus souvent arabes :
Libellum compegi, nous dit-il, partim ex proverbiis philoso-
phorum et suis castigationibus arabicis, partim ex animalium et
volucrum similitudinibus .
1. Canis .....
2. Gaza .-
3. Filius ..,
4. Le marchand de Venise
5. Le fils du roi qui tue la poule d'une pau-
vresse
6. Les trois voleurs qui racontent :
a. Polyphme ,.
h Les sorcires
d Le voleur tran par les sorcires.
7. Les sept cygnes Le Chevalier au cygne.
8. Inclusa
9. Ptrteus
Le
Ronian
des Sages denmee
Version (la coeli de
'Liber rtiamBS
D.Anc0Ila
BistoriaseptemBapien-Soala ,
eroUide La
Sept i"=
dans de
l'ditiontraduction
tium, p.7sap.)und
Orient B.
de-la
N. bd
8'
y' Maie
Marast
(Keller
11' iS3,1.
" M. GParis, p.GParis
1876). . (1876).III,
397.
Ocddent,
Ierjour.
Reg.Arbor. Arbor.
/?. il.
A rbor.
1.S Canis.
ap. R Arbor.
. Arbor.
R. Arbor,
1.Sap. Canis.
1.Sap.
Canis. Canis.RAper.
I.Sap. . I.Sap. I.Sap.
Canis. Canis.
Canis.
2 R.Aper.2S
R.Senescalcus.
R.Senescalcus.
jour. . ap. R.Aper. R.Aper.Aper.
Medicus.
2.Sap.
2.S.Medicus. 2.Sap.
Medicus. Puteus.R.Gaza.2.Sap.Medicus. Medicus.
2.Sap. Medicus
3 R.
jour. Aper. R.Aper. R.Gaza. 3 .
S ap. G
Tentmina.
R. aza. Gaza.
R. G aza.
3.SP. uteus. Puteus.
.3.Sap. Avis. R.Senescalcus.
3.'Sap. 3.Sap. 3.Sap.
Puteus. Puteus.
Avis.
li"
jour.R.lloma. R.S R.
apientes. .S
Sapientes. Puteus.
ap. R. S enescalcus.
Senescalcus.
R. Noverca.
4.ST. entminaTentmina
h.Sap. R.Virgilius.
Tentmina
U.Sap. Tentmina.
.S"p. Tentmina.
4.Sap. Vidua.
5" R.Gaza. R.Roma.R.Virgilius.
jour. Avis R.Virgilius.
5.Sap. Nutris..
R.Virgilius.
5.SA Avis.5.Sap.
. vis.5.Sap. Medicus.
R.Sapientes. Avis.5.Sap.
5.Sap. Avis.Alhenor.
6e R.
jour. , R.
Sapientes.Gaza. R.Senescalcus-
6.S Vidua.
ap. R.S :~R.
apientes. Spurius.
Sapientes.
etRoma.
6.SV 6.Sap.
. idua. Vidua. G.Sap. R.Filia.b'.Sap.
Amatores. 6.Sap.
Vidua. Cardamu
Noverca.
R.Virgilius.
R.Virgilius.
7jour. R.Inclusa. Noverca.
7.Sap. R.Roma.R.Filia.Hakesim
7.SI. nclusa
7.Sap. 7.Sap.
Inclusa. Vidua. Inclusa.
7..Sap. Inclusa.
-(-leVaticinium
Valicinium
Yaticinium.
L'Enjanl. Ami-
-f- Vaticinium.
Vaticinium. Valiciniu
combat eteus.
singulier Il
laloise. |
Pages
I36-37.
4Lescontes
daRoman
desSept Groupe
Sages. oriental'.
version
Sindban, Xe sicle,
syriaque, p.p.
Bathgen,
1879. ..... . e. ^
***,,. ^^p^. *,
1nts^sK^.^ducS^ M:^T;r^?^D' ^ **.(*
. V- deSunglmnn,
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J.r~l ^z^^p^6*
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Schall, 8Hmt.
Libro
Cendbete,de16s 1111e
Engnn'os;.',...
sicle,
pp.G iStig.
oroparetti, .
i"jour,
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dulion. Traces
dulion. 1.a)Les
Traces
dulion. t.a)Avis. 1.a)LesTraces
dulion. irVizir. L'cper'vier.
.
b)Avis. ,. '6)Avis. b)Avis. 6)L'Epervier. L'enfant
4) complice ; les
d eux
autres
versions
ontAvis.
j)Lefoulon
etsoufils. /)Lefoulonetsenfils. /)Lefoulon etl'enfant
complice./)Lefoulonetsonfils. f)Lefoulonson
et; fils.
s"jour,
a)Lespainsdecataplasme. dupigeon. 2.a]Les
a-a)Legrenier decataplasme.
pains e dupigeon. .a:a)Les
2.a)Lgrenier decataplasme.
pains 3eTchienne
_,a quipleurei
61 L'Epervier. '.-'.' b)Lacliienne
quipleure b.) L'Epervier. b)Lpoussire
a aucrible. 6.) L'Epervier.
/)Lasorcire en-/)LaSorcire. *
f)LaSorcire. etla'source 'j)LaSorcire. /) LaSorcire.
;, chante.
3ejour.\a)
Lechasseur
;lruche.3..-<z. Ganis... 3.a]Lcehasseur
laruche. 3.a)Canis. 3.a)Lechasseur
laruche. 3L'lphant
depain.
b)Lapoussire ..a).;A'ubere.
'au/.,.crible
passe 6)Lapoussire--au
crible. b)Lachienne..qul.ph},ure. Lapoussire
). aucrible.
dans
[manque Gendubele]. . ...
/,)Lasource
quimtamorphose. chevauch. /)Lasource
./)Lelion quimtamorphose,fjAper. /)Lasource
quimtamorphose.
jSenescalcus.
4ejour, ;'/ 4.aiL'e's decalaplasme.
pains 4.a;Senescalcus. 4-a)Senescalcus. 4.)Senescalcus seulementdans
les
^ Lelivre
des
ruses
fminines.
'.-' . textes etdeScott.
de-Bonlaq
6)Lachienne
quipleure. b)Lapoussire aucrible. i)Lacliienne quipleure. b)Ganis (deuxparties). 6)Lachienne quipleure.
f)Aper.. /)Aper. . fj Lejoaillier. /)Lelionchevauch. /).....
5ejour,
a)Canis. .' 5.a).Senescalcus. 5.a)L'homme quineritplus.5.a)Lelivr desruses 5.a)L'homme
.fminines. quineritplus. 5eLpoussire
a aucrible.
b)Aubere. . 6)L'Epervier. b) ...i..... b) .........1..i .... b)......... ;.,......
/) Lelion
chevauch, f)Absaloh. J)L'amant
aucoffre. /)Lasource quimtamorphose. /)L'amantaucoffre.
6eJour,
a)Legrenier
dupgecii. 6.a), Absalon. 6.a)Les
Rfponse amants. 6.a)Les
quatre souhaits
desaint
Martin. 6.a)Lanuit
al-Kader.. 6eLbeau-pre.
e
depain.
b)L'lphant b,Les souhaits
deSaintMartin, 6)Les souhaits
desaint
Martin. b)..i i &)
Les
Lapievoleuse. deuxpi-
L'amazone.
geons.
1./)Lapievoleuse.
2.Lafemme quicombat ses
pr-
tendants.
7e :a)Lessouhaits
"jour. d-saint7.'^^'etifarit en/femnie.
dguis 7.a)Aubere. ,7.a) ..... 7.Aubere.
Martin;
.'0)Lelivrdesyrusesfminines; bofsiis. , 'b)Larineau.
i).Les'trois 'b\
lesPoissons.)
(Syritipas.intercal, ...
S8 Leprince
: Les &
htes.rniji- 8.Leboisdesantal. 8.L es
htes 8.L es
htes '
jour. '' empoisonns. empoisonns.
. :sq'nns. "'
detrois
L'enfant ans; . detrois
L'enfant ans. detrois
L'enfant ans. Lebois
desantal.
L'enfant
dequatreans. decinq
L'enfant ans. L'enfant
decinqans. L'enfant
decinq
ans.
L'assiett.de
puces. , L-'assicleJle.,puces. 'ssitie
deiices.
Lems. lleSindban-,
incompltes'arrte
ici. .-.".
aenplus
Syntips :
LeRenard, :
(Cendubele LeRenard. LeSindiad (introLeRenard.
jymf/i.ajple
manque.) ' duction): lesinge,
lechameau,
L'enfant
voleur.
CQendubele
: . leroids
l'lphant, la
singes, I
manque.) rnr ls
tourdie,quatrefrres , j
: L'abb. ' Ahmed li.'f
Cetidu^elejeul (Scott, ,. .
vizir). I
LE DIRECTORIUM HTJMANiEV1TM 137
que par la traduction espagnole 1. On peut se demander si cette
traduction a jamais t lue par une autre personne que le prince
castillan qui elle tait ddie, et si ce groupe oriental n'est pas
rest aussi inconnu aux potes franais et allemands que s'il leur
avait fallu lire directement le texte syriaque ou le texte hbreu.
Mais, admettant
que cette traduction espagnole ait t fort
rpandue, voici ceux des contes qu'elle renferme et qui vivent
aussi d'une vie indpendante : ce sont 3 fabliaux (l'pervier,
Aubere, les Quatre souhaits saint Martin) et 1 exemple (la
Chienne qui pleure, Jacques de Vitry, CCL).
5 Le Directorium humanae vitae.
Passons une autre collection de contes orientaux, accessibles .
aux conteurs du moyen ge, au Kalilah et Dimnah. Ils ne pou-
vaient la connatre que par la traduction espagnole du xnie sicle,
publie en 1860 par M. de Gayangos, ou bien par le Directorium
humanae vitae, crit par Jean de Capoue entre 1263 et 12782.
Analysons le Directorium, en cartant les fables, et voyons
combien de contes de ce recueil sont attests au moyen ge
sous 'forme indpendante.
Contes du Directorium : Ceux de ces contes qui
se retrouvent sous forme
indpendante au moyen
ge :
CHAPITREI. De legatione Beroziae in Indiam.
1. Les voleurs et le rayon de lune
2. Le souterrain par o s'enfuit l'amant..
3. Les perles et le joueur de flte
4. Apologue de rhommequi,iuyantunlron, Jacques de vitry, nu id4.
s'accroche auxbranches d'un arbre au- Nouveau recueil de Ju-
dessus d'un puits. Le lion le. guette, binal, II, p. 113, Dit de
deux rats rongent les branches, un VUnicome et du serpent.
serpent attend sa chute au fond du
puits. L'homme, cependant, mange
paisiblement un rayon de miel trouv
dans le creux de l'arbre.
1. Libro do los Engannos et los assayamientos de las mugeres, de arvigo
en castellano transladado por el Infante don Fadrique, fijo de don Fernando
e de dona Beatris. (Comparetti, Ricerche iniorno al libro di Sindibad, 1869.)
2. Johannis de Capua Direblorium humanae vitae,.. traduction latine, du
livre de Kalilah el Dimnah, p. p. J. Derenbourg, 72e et 73e fascicules de la
Bibliothque de l'cole des Hautes ludes.
138 LES FABLIAUX
CHAPITREII. De teone et bave.
5. L'ermite vol par son disciple, et les Fabliau des Tresses ; deux
aventures qui, dans le Pantchatantra, contes des Gesammta-
se rattachent au relige ux D evasarman. benteuer, nos 31, 43.
6. Avis du Roman des Sept Sages.......
7. Le trsor cach sous un arbre et vol ;-
l'arbre pris tmoin du voL.......
8. La poussire passe au crible
9. Le fer mang par les rats et l'enfant
emport par les oiseaux
CHAPITBE iii. De inquisitioneeausaeDimnae.
10. Le manteau blanc et noir et le serviteur
infidle
11. Le mdecin qui empoisonne la fille du
roi
12. Le laboureur men en captivit avec ses .
deux femmes, l'une chaste, l'autre
impudique
13. Les deux perroquets qui parlent la
langue dmique
CHAPITREIV. De columha.
14. La souris et le dvot
15. Le ssame mond vendre contre du,
ssame non mond
CHAPITREy. De corpo et sturno.
16. Le dvot et le cerf. Un dvot a achet un . Etienne de Bourbon,
cerf pour le sacrifier. Trois voleurs n 339. Jacques de
s'espacent sur sa route, et le rencon- Vitry, XX.
trant successivement, lui demandent :
Que prtends-tu faire du chien que tu
portes ainsi ? A la troisime fois, le
dvot finit par croire qu'il est-dupe-de
quelque enchantement, et abandonne
le cerf sur la route au grand profit des
voleurs
17. La jeune femme qui se refuse son vieux
mari et le voleur ...
18. Le voleur et le dmon face humaine
qui s'associent pour voler la vache
d'un paysan,
19. Le mari cach sous le'lit. de sa femme.
La femme, voyant ses pieds qui d-
passent, fait son galant un.tel loge
de son mari, que celui-ci, attendri,
pardonne -.........
20. Un dvot possde une souris mtamor-
phose en femme. Il veut la marier G
l'poux le plus puissant qui se pourra
trouver. Il est renvoy successive-
BARLAAMET JOASAPH 139/
' ment, comme des tres de plus en
plus puissants, du soleil au chef des
nuages, de celui-ci au vent, du vent
la montagne. Mais la montagne d-
clare que la souris est plus puissante
qu'elle, car la souris peut la percer.
La jeune fille, rendue sa primitive
nature, pouse une souris mle
CHAPITREVU De Sirneo et Testiiudine. Aucun conte.
CHAPITREvu. De Heremila. Aucun conte.
21. Le dvot et le vase de miel (Per'rette). Jacques de Vitry, LI.
22. Canis du Roman des Sept Sages
CHAPITREVIII. De murilego et mure. Aucun conte.
CHAPITREIX. De rege et ave.
23. Histoire du fils du roi qui tue un petit
oiseau
CHAPITRESX, XI, XII. Aucun conte.
CHAPITREXIII. De leone et vulpe.
24. Un dvot voit, tombs au fond d'une
fosse, un singe, une vipre, un serpent,
un homme. Il jette trois fois une corde
pour sauver l'homme ; mais, les trois
fois, c'est un des animaux qui profite
de ce secours. Ils lui conseillent de ne
pas retirer l'homme, le plus mchant
des animaux. Le dvot le sauve pour-
tant. Reconnaissance des trois ani-
maux ; ingratitude de l'homme
CHAPITREXIV. De l'orfvre et du serpent. Aucun conte.
CHAPITREXV.
25. Le fils du roi, le fils du marchand et le
colporteur
CHAPITREXVI.
26. Une colombe, dlivre par un homme,
lui fait dcouvrir un trsor
CHAPITREXVII. Aucun conte. -.
FABLIAUX FORMESORIENTALES
1. Le Dit du Plion (Montaiglon-
Raynaud et Gesammtabenteuer). Disciplina clericalis.
2. Les trois bossus mnestrels ( Ge- Hisioria Septem Sapientum. Misckle
sammtabenteuer, Montaiglon- Sandabar.
Raynaud).
1. Nous cartons en effet les nos 72-90, qui sont des contes dvots ; 91-100,
qui sont des romans historiques ou d'aventures (Constantin, Eracle, Sala-
Ain, etc.). Les nos 24, 25, 26 ont leurs parallles soit dans les Fables,-
soit dans les Lais de Marie de France. Von der Hagcn eite des formes
orientales des nos 2, 16, 41, 45, 62, 63, 71, mais elles sont tires soit de
recueils inconnus en Europe au moyen ge, soit de contes orientaux
142 : , ,-;. LES FABLIAUX
3. Le lai de Vpervhr... Sept Sages orientaux.
>
4. Aubere. .'d<. Sept Sages orientaux.
5. Les Quatre souhaits saint Martin Sept Sages .orientaux.
( Gesammtabenteuer, Montai-
glon-Raynaud).
-6. es Tresses (Gesammtabenteuer, Directorium humanae vitae.
Montaiglon-Raynaud).
Ce sont, ensuite, 2 contes franais que nous ne considrons
pas comme des fabliaux, et qui se retrouvent aussi dans les
exemples des prdicateurs :
CONTESFRANAIS FORMESOBIENTALES
EXEMPLES FORMESORIENTALES
1. Les oies du frre Philippe [Jac- Barlaam.
ques de Vitry, LXXXII).
2. Le dvot et le vase de miel (Per- Directorium.
rette), Jacques de Vitry, LI.
3. La matrone d'phse (Jacques Sept Sages orientaux.
de Vitry, CCXXXII).
4. La chienne qui pleure (Jacques Disciplina clericalis et Sept Sages
de Vitry, CCV). orientaux.
-5. Le cerf pris ' pour un chien Directorium. -,
(Etienne deBourbon,n339).
modernes. Les n 1; ^ 6, 8, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 18, 19, 20, 21, 23,38, 29,
52, 33,^34, 36, 38,_40, 42, 44, 46, 49, 50, 52, 56, 5, 60, 64, 65, 66, 69, 70
n'ont, ma connaissance, d'quivalents ni dans l'Orient, s. une poque quel'
conque^ ni parmi les faliliaux franais.
FAIBLE INFLUENCE DS RECUEILS ORIENTAUX 143
Voil donc cet ocan des rivires des histoires qui aurait
inond l'Europe au moyen ge !
En opposant au grand nombre de conts que les hommes
du moyen ge pouvaient puiser dans les livres le nombre
vraiment drisoire de eeux -qu'ils paraissent y avoir pris (car
nous dmontrerons que cela mme n'est qu'une apparence),
nous avons rduit sa juste valeur l'influence des livres
asiatiques traduits au moyen ge.
Cet argument paraissait trs frappant que la vogue des
fabliaux concidt avec l'apparition de ces livres en Europe.
Maintenant nous .sommes en droit de nous demander si ces
traductions ne sont pas "un effet plutt qu'une cause. A
l'exception de la Disciplina clericalis 1, elles ne sont pas ant-
rieures la vogue des fabliaux, mais leur sont contemporaines
-ou plutt postrieures 2. Si donc nous pouvons trouver ce qui
sera fait d^s la seconde partie, de ce livre des raisons histo-
xiques, locales, qui, sans que nous sortions de France, nous per-
mettent d'expliquer la production littraire des fabliaux, nous
-comprendrons qu' la faveur de ce got pour les contes,.on ait
aussi traduit des recueils arabes ou hbreux. Quant aux exemples,
il est trop vident que les grands fondateurs des ordres religieux
populaires, saint Franois et saint Dominique, n'ont pas attendu,
pour en recommander l'usage aux prdicateurs, la traduction du
Kalilah et Dimnah.
IV
.b) Ceux de ces fabliaux dont la plus ancienne forme est orientale :
3. L'Epervier.
4. Aubere.
- LesFabliaux.
BDIEB. 10
146 LES FABLIAUX
5. Les Tresses.
6." Les Trois Bossus mnestrels.
IL Fabliaux qui se retrouent dans des recueils orientaux non.
traduits au moyen ge :
7. Le lai 'Arstote (Pcuwhatanvm et Mahktjjjtaui).
8. Le vilain asnier (Mesnewi).
9. Constant du Hamel (Mille et une Nuits).
10. Brengier (Siddi-Xur mogol).
11. Le vilain mire, (ukasaptati1). .
Ces onze fabliaux sont les seuls dont je connaisse des formes
orientales. Peut-tre est-ce peu pour difier la thorie, si l'on con-
sidre le grand nombre de fabliaux qui n'ont aucun similaire en
Orient. C'est l'erreur du prtre de Neptune : Vois, mon fils,
disait-il, tous ces tableaux votifs promis au dieu pendant la tem-
pte par des marins, qu'il a en effet sauvs, et honore Neptune !'
Mais o sont, pre, les tableaux de ceux qui ont fait le mme
voeu, et ont pri noys ?
Les orientalistes avanaient comme preuves de l'origine-
indienne des contes :
1 Que l'antiquit ne les a pas connus. Nous avons montr
qu'elle les connaissait aussi bien que l'Inde.
2 Que le moyen ge ne les a connus qu' la faveur.de rap-
ports plus intimes avec l'Orient, spcialement .grce aux Croi-
sades. - Nous avons analys un copieux recueil de contes du.
moyen ge antrieur aux Croisades.
3 Que le. moyen ge a emprunt nombre de ses. contes des-
traductions de recueils orientaux. Nous avons fait voir que-
.l'influence de ces traductions a t mdiocre, et nous prouverons
plus tard qu'elle n'a pas t seulement mdiocre, mais, peut-tre,,
nulle.
Par cette triple dmonstration, nous avons enlev la thorie
orientaliste le bnfice du sophisme qui prend pour des rapports
de cause effet de simples rapports de succession chronologique..
Achevons enfin de lui ravir cette ressource.
1. Nous nous refusons d'ores et dj faire entrer dans cette liste des.
contes comme le dit des Perdrix ou la Bourse,pleine de sens qui ne se retrou-
vent que dans l'Inde actuelle, dans la tradition orale du six" sicle. Nous,
donnons plus loin (au dbut du chapitre vu) la raison de cette exclusion.
FAIBLE INFLUENCE DES RECUEILS ORIENTAUX 147
Ces contes a formes orientales, de quel droit les dire orien-
taux d'origine ? ou mme simplement orientaux pour s'tre
propags partir -de l'Inde ? Parce -que les formes indiennes
conservs sont les plus anciennes ?
En ce cas, no,us dirons que le fabliau de Constant du Hmnel,
qui est du xnre -sicle, est la source de la Nuit Al-Kader des Mille
et une Nuits, qrd est du xv sicle. Car, si les contes des Mille- -et
une Nuits remontent parfois des recueils sanscrits, il est cer-
tain pourtant que la Nuit Al-K-ader ne faisait point partie du
roman primitif de Smdbad, que ce conte n'y est qu'un intrus,
mal propos introduit, une poque rcente, par un remanieur
arabe. En ce -cas, nous dirons encore que le dit du Plion
(Aristophane) et les Quatre souhaits saint Martin (Phdre )
sont venus d'Athnes et de Rome dans l'Inde.
Pourquoi attribuez-vous aux formes indiennes une valeur
suprieure ? Parce que vous tenez pour assur que l'Inde est
la mre des contes . Et vous le croyez, parce -que les formes
indiennes sont souvent les plus anciennes. Mais ici c'est l'inverse.
Vous ne pouvez donc plus, en aucun cas, allguer l'antriorit
des formes orientales. Cet argument se retourne contre vous,
car, pour la majorit des contes, vous ne trouvez point de
similaire oriental ; et, pour le petit nombre de contes con-
servs sous des formes orientales, les formes europennes sont
souvent plus anciennes.
Vous n'admettez pas, sans plus de discussion, que la Matrone
d'Ephse soit venue de Rome l'Inde, et vous avez raison
de ne pas l'admettre ; ni que le dit des Perdrix, qui n'est
attest dans l'Inde que sous des formes toutes modernes, soit
venu de la Gascogne ou du Portugal l'Inde, et vous avez
raison de ne point l'admettre ; mais souffrez aussi que nous
n'admettions pas que le conte de. l'pervier ou celui des Tresses
soit venu de l'Inde nos conteurs, par cette seule raison que la
forme indienne est la plus ancienne conserve.
- Et laissons une fois pour toutes, le
l, de part et d'autre,
misrable argument : Post hoc,.ergo propter hoc.
Vous ne possdez rellement qu'un seul moyen de dmontrer
de ct la question
que les contes sont indiens. Laissant enfin
de savoir o et quand apparat pour la premire fois chacun
148 LES FABLIAUX
d'eux, il faut tudier en elles-mmes les formes orientales et
occidentales de chaque conte. S'il existe des raisons logiques,
intrinsques, de considrer les formes orientales comme primi-
tives, le conte est indien.
Cela de deux manires :
D'abord, si ces contes sont indiens, si c'est pour les besoins
de la prdication bouddhiste qu'ils ont t imagins, si c'est, du
moins, parce qu'ils convenaient excellemment la morale de cette
religion qu'ils ont t recueillis dans l'Inde pour s'en couler
ensuite comme d'un vaste rservoir, ils doivent avoir conserv
quelque trace de leur destination premire, des survivances des
moeurs bouddhiques, de l'esprit indien. Relevez ces traits boud-
dhiques, indiens, et vous nous aurez convaincus.
En second lieu, si ces contes sont indiens, si partout ailleurs
ils ne sont que des htes, ils ont d, pour s'accommoder des
milieux nouveaux, souffrir certaines adaptations ; montrez que
les formes indiennes sont les plus logiques, non remanies, donc
les formes-mres. Appliquez cette mthode de l'examen des traits
correspondants et diffrents, que nous avons dfinie d'aprs
vous, et vous nous aurez convaincus.
'
C'est, en effet, la double ncessit qu'a sentie l'cole orienta-
liste. Voyons quoi ont abouti ses efforts.
TRAITS PRTENDUMENT INDIENS DANS LES CONTES 149
CHAPITRE V
procd de Benfey, ne peut-on pas dire que le nom Ivi, qui signifie cte dans
la langue de Samoa, prouve que c'est en Polynsie qu'est n le nom d'Eve,
et, par suite, que la lgende de Samoa est la source du chapitre de la Gense ?
1. Contes albanais, p. p. Aug. Dozon, Paris, Leroux, 1881, n XVI.
2. Panlcluilantra, I, p. 411.
3. Dcamron, V, 9.
154 LES FABLIAUX
crois serai guri. Elle se rsout luj
je que je promptement.
faire visite. Frederigo degli Alberighi veut la traiter honorable-
ment ; mais, dans son dnment, il ne trouve aucun mets digne
de lui tre offert. Il prend donc son bon faucon, lui tord le cou,
et le fait servir la dame. Aprs le repas, Monna expose la
requte de son fils ; mais Frederigo ne peut, plus que lui montrer
les plumes, les pattes, le bec de son oiseau favori, qu'il a tu
pour elle. A quelque temps de l, le petit malade tant mort,
Monna pousa Frederigo.
1 imagine
Voici les rapprochements que M. Marcus Landau
ce sujet. Dans une lgende bouddhique (p. p. Stanislas Julien,
Mmoires, II, 61), le Bouddha se transforme en-pigeon et se
-laisse rtir pour apaiser la faim de la famille d'un oiseleur. Dans
le Pantchatantra (liv. III, conte VII) et dans le Mahbhrata
(XII, v. 546, 2), un oiseleur a pris dans ses filets la femelle d'un
pigeon et l'emport dans, une cage. Un orage terrible ayant clatj
il se rfugie sous l'arbre o l'oiseau qu'il tenait prisonnier avait
tabli son nid. Il russit allumer du feu et invoque la protec-
tion des habitants de I'arbre,pour qu'ils l'aident trouver quelque
nourriture. La femelle captive, mue de cette prire, exhorte son
mle remplir les devoirs de l'hospitalit invoqus par le chas-
seur et le pigeon se jette de lui-mme dans le feu pour servir au
repas de son ennemi.
Et M. Landau numre d'autres lgendes o Indra prend la
forme d'une colombe, o le Bouddha se mtamorphose, pour se
sacrifier, en pigeon et en divers autres animaux. On montrait
dans l'Inde, on montre peut-tre encore aujourd'hui, les lieux o
le Bouddha s'tait- sacrifi pour sauver un. pigeon ou avait offert
son propre corps en nourriture une tigresse et ses petits
affams, ceux o il avait donn en aumne ses yeux ou sa tte.
Dans Boccace, ajoute M.
Landau, Frederigo degli Alberi-
ghi n'a rien offrir la dame aime qui le visite : il se trouve
donc dans la mme situation que le pigeon du Pantchatantra.
Il sacrifie non pas son propre
corps, mais son trsor le plus
cher, son unique faucon, et reoit en rcompense le plus grand
des biens,. l'amour de celle qu'il
aime, de mme que,, dans
II
' 1.
Laneereau, p. 242.
2. V. Benfey, I, 154, p. 368-9.
3. Laneereau, p. 177.
4. Ce personnage, qui formule d'une manire si imprvue la loi d'airain
de Lassalle, est, d'aprs M. Laneereau, la personnification de l'activit de
l'homme dans la vie prsente ; le second, Karman, personnifie les oeuvrer
accomplies dans une vie antrieure, ou, en d'autres termes, la destine .'
160. LES FABLIAUX
vers sa demeure ; mais,
regagna en un an 500 souvarnas.il se remit en route
par crainte de perdre les souvarnas, quoique trs.fatigu, il ne se reposa
hommes l'air dur, tout
pas ; comme il marchait vite, il entendit deuxderrire lui et
fait semblables aux premiers, qui venaient qui parlaient
entre eux. Ils eurent le mme dialogue que prcdemment, et quand-So-
milaka examina sa bourse, elle tait vide. Alors il voulut se pendre un
se laisser tomber, un
figuier. Mais comme, une corde au cou, il allait
homme qui tait dans les airs dit : H, h, Somilaka ! ne fais pas ainsi
acte de violence I C'est moi qui t'ai enlev ton argent ; je ne permets pas
que tu aies mm-3un vartaka de plus que la nourriture et le vtement. Va
donc vers ta maison. Au reste, je suis satisfait de ton emportement. En
Si c'est ainsi,
consquence, demande quelque faveur que tu dsires.
dit Somilaka, alors donne-moi beaucoup de richesses ! H ! rpondit
H ! dit
l'homme, que feras-tu d'une richesse dont tu ne peux jouir ?
Somilaka, bien que je ne doive pas jouir de cette fortune, puisse-t-elle
cependant m'arriver ! Car on dit : Quoique avare, quoique de basse ori-
gine et toujours fui par les honntes gens, l'homme qui a un amas de
richesses est vnr par le monde.
1. PanlchalaiUra, I, 321-323.
2. Burnouf, Introduction l'histoire du bouddhisme indien, 1876, p. 130j
TRAITS PRTENDUMENT INDIENS' DANS LES CONTES 161
cinq cents purnas. Aussi la courtisane s'imagina-t-elle que, s'il la refu-
sait, c'tait qu'il ne pouvait donner les 500 purnas. C'est pourquoi elle
envoya encore sa servante, afin de lui dire : Je ne demande pas au fils,
de mon matre un seul krchpana : je dsire seulement l'aimer. La ser-
vante s'acquitta encore.de la commission ; mais Upagupta lui
de mme : Ma soeur, il n'est pas encore temps pour toi de me rponditvoir.
Cependant, quelque temps aprs, la courtisane assassina un de ses
amants. Elle fut condamne et les bourreaux lui couprent les mains,-
les pieds, les oreilles et le ne7 et la laissrent dans le cimetire.
Upagupta entendit parler du supplice qui avait t inflig celte
femme, et aussitt cette rflexion lui vint l'esprit : cette femme a dsir
me voir jadis dans un but sensuel-: mais aujourd'hui que les mains, les'
pieds, le nez et les oreilles lui ont t coups, il est temps qu'elle me voie,
et il pronona ces stances :
c Quand son corps tait couvert de belles parures, qu'elle brillait
d'ornements de diverses espces, le mieux, pour ceux qui aspirent
l'affranchissement et qui veulent chapper la loi de la renaissance,
tait de. ne pas aller voir cette femme.
Aujourd'hui qu'elle a perdu son orgueil, son amour et sa joie, qu'elle
a t mutile par le tranchant du glaive, que son corps est rduit sa
nature propre, il est temps de.la voir.
Alors, abrit sous un parasol port par un jeune homme qui le suivait en
qualit de serviteur, il se rendit au cimetire avec une attitude recueillie.
La servante de Vsavadatt tait reste auprs de sa matresse, et elle
empchait les corbeaux d'approcher de son corps. En voyant Upagupta,
elle lui dit": Celui vers qui tu m'a" envoye plusieurs reprises, Upa-
gupta, vient de ce ct. Il vient sans doute attir par l'amour du plaisir.
Mais Vsavadatt lui rpondit : Quand il me verra prive de ma
beaut, dchire par la douleur, jete terre, toute souille de sang,
comment pourra-t-il prouver l'amour du plaisir ? .
Puis elle dit sa servante : Amie, ramasse les membres qui ont t
spars de mon corps. La servante les runit aussitt et les cacha sous
un morceau de toile. En ce moment, Upagupta survint et il se plaa
devant Vsavadatt. La courtisane, 1<V voyant ainsi debout devant elle,
lui dit : Fils de mon matre, quand mon corps tait entier, qu'il tait
l'ait pour:le plaisir, j'ai envoy plusieurs reprises ma servante vers toi,
et tu m'as rpondu : Ma soeur, il n'est pas temps pour toi de me voir.
Aujourd'hui que le glaive m'a enlev les mains, lespieds, le nez et les
oreilles, que je suis jete dans la boue et dans le sang, pourquoi viens 1tu ?
Et elle pronona les stances suivantes :
Quand mon corps tait doux comme la fleur du lotus, -qu'il tait
orn de parures et de vtements prcieux, qu'il avait tout ce qui attire
les regards, j'ai t assez malheureuse pour ne pas obtenir de te voir.
Aujourd'hui, pourquoi viens-tu .contempler un corps que les yeux
ne peuvent plus supporter de regarder, qu'ont abandonn les jeux, le
plaisir, la oie et la beaut, qui inspire l'pouvante et qui est souill de
sang et de boue ? .1
Upagupta rpondit : Je ne suis pas venu auprs de toi, ma soeur,
attir par l'amour- du plaisir :. mais je suis venu pour voir la vritable
nature des misrables objets des jouissances de l'homme. > '
.. .
Upagupta ajouta ensuite quelques maximes sur la vanit des plaisirs
BDIEE. LesFabliaux. ^
162 LES TABLIAUX
CHAPITRE VI
I
LES VERSIONS ORIENTALES - "
. . .
tudions d'abord les rdactions orientales du conte, ces formes
primitives et vnrables, d'o seraient drivs nos fabliaux et
nos versions modernes. Voici, lgrement
abrg, le rcit du
Pantchatantra] 1.
1. Pantchatantra, trad. Laneereau, p. 65, ss.
FABLIAUX ATTESTS. DANS L'ORIENT : LES TRESSES ,167
a) Le conte du Pantchatantra.
Un tisserand, avec sa femme, partait un soir de son village pour aller
iboire des liqueurs spiritueuses la ville voisine. Un religieux mendiant,
Devasarman, qui cherchait un gte, l'arrta-et lui demanda l'hospitalit. Le
tisserand dit alors sa femme : Ma chre, va la maison avec cet hte,
-lave-lui les pieds, donne-lui des aliments, un lit et les autres soins de
l'hospitalit, et reste l. Je t'apporterai beaucoup de liqueur, y Sa femme,
qui tait une libertine, rentra chez elle, donna son hte une couchette
sans matelas et toute.brise, fit toilette et sortit pour aller trouver son
amant. Aussitt arrivaenface d'elle son mari,le corps chancelant d'ivresse,
les cheveux flottants et tenant un pot de liqueur spiritueuse. Ds qu'elle
l'aperut, elle retourna bien vite, rentra dans la maison, mit bas sa toilette
et fut commo auparavant. La voyant se sauver si bien pare, le tisserand,
qui avait dj des soupons antrieurs, rentra tout irrit la maison et lui
dit. Eh ! mchante coureuse, o es-tu alle ? Nulle part.- je n'ai pas
quitt la maison et tu parles dans l'ivresse. Le mari, furieux, lui rompit
le corps de coups de bton, l'attacha un pilier avec une corde solide, et,
chancelant d'ivresse, tomba dans le sommeil. Cependant une amie de cette
femme, lorsqu'elle sut que le tisserand dormait, vint et dit ; Mon amie,
ton amant Devadatta attend l-bas ; vas-y donc vite. Comment y
pourrais-je aller, attache comme je suis ? et mon mchant mari est tout
proche. Mon amie, dit la femme du barbier, il ne se tient plus
d'ivresse, et il se rveillera quand il aura t touch par les rayons du
soleil. Je vais donc te dlivrer lie-moi ta place, et ds que tu te seras
entretenue avec. Devadatta, reviens bien vite. <Soit, dit la femme du
tisserand. Quelques instants aprs que cela fut fait, le mari se rveilla,
dgris, et offrit sa femme de la dlivrer, si elle voulait promettre de ne
plus parler un autre homme. La femme du barbier, par crainte de la-
diffrence de voix, ne rpondit rien. Il lui rpta plusieurs fois les mmes
paroles ; mais comme elle ne donnait aucune rponse, il se mit en co-
lre et lui coupa le nez. Puis il se rendormit. Cependant, le religieux
Devasarman coutait et voyait toute la scne, de sa couchette.
La femme du tisserand revint sa maison aprs- quelques instants, et
dit la femme du barbier : Te portes-tu bien ? Ce mchant ne s'est pas
lev tandis que j'tais sortie ? Except le nez, le reste du corps va
bien. Dlie-moi donc vite. Aprs que cela fut fait, le tisserand se leva
de nouveau et dit sa femme : Coureuse, mme maintenant, ne parleras-
tu pas ? faut-il que je te coupe les oreilles ? Celle-ci rpondit : .<Fi ! fi !
grand sot ! qui peut me blesser ou me dfigurer, moi femme vertueuse et
trs fidle ? Si j'ai de la vertu, que les dieux me rendent mon nez intact et.
tel qu'il tait ; mais si, par pense seulement, j'ai dsir un autre homme,
alors qu'ils me rduisent en cendres ! Lorsqu'elle eut ainsi parl, elle
dit encore son mari : H ! mchant ! regarde ! par la puissance de ma
vertu, mon nez est redevenu tel qu'il tait. Puis le tisserand prit un
tison, et comme il regardait, le nez tait tel qu'auparavant, et il y avait-
une grande mare de sang, terre. Saisi d'tonnement, il dlia sa femme,
l'enleva, la mit sur le lit et chercha l'apaiser par cent cajoleries.
Le religieux mendiant, tmoin de toute cette conduite, passa la nuit
trs phibiement. L'entremetteuse, avec son nez coup, alla sa maison,
et sur le matin, son mari, press de sortir, lui dit : Ma. chre, apporte
168 LES FABLIAUX
vite la bote rasoirs, que j'aille faire mes affaires la ville Mais la
tira un
femme, avec son nez coup, resta debout au milieu de la maison,
seul rasoir de la bote et le jeta devant lui. Le mari, saisi de colre, le
en l'air et
rejeta. Dans cette action rciproque, la coquine leva les bras
sortit de la maison pour crie* en sanglotant : Ah ! voyez ! ce mchant
m'a coup le nez. moi dont la conduite est honnte ! Les hommes du
roi arrivrent, lirent le barbier et le conduisirent aux juges qui le con-
damnrent tre empal. Mais Devasarman, le religieux mendiant, lors-
qu'il le vit conduire au supplice,, alla raconter aux juges tout ce dont il
avait t tmoin et le barbier lut remis en libert.
1. Tausend und eine Nacht, texte de Breslau, 554e et 555e Nuits, t. XIII,
p. 57, ss.
2. A. Campeggi, Novete due esposle netto slile ai G. Boccacio, Venise,
1630 ; rimprimes dans le Nopciero italiano, Venise, 1754, t. IV, p. 275,
3. Les dlices ou discours foyeux et rcratifs..., par Verboquet le Gn-
reux, Paris, 1630, p. 19.
172 LES FABLIAUX
voie bien se borne traduire le Kalilah, il fait, lui
qu'on qu'il
aussi, de l'entremetteuse la femme d'un barbier : ce qui, dans
son rcit, n'a plus aucun sens.
Annibale Campeggi prtend crire sa nouvelle nello stile
di M. Giovanni Boccacio . A cette intention, il parsme son
rcit de fleurs classiques et de rminiscences mythologiques : le
mari attache sa femme au pilier avec des liens trop diffrents
de ceux dont elle esprait que son cher amant la lierait ; et,
quand elle prie les dieux de faire briller son innocence, elle
invoque dans une longue prire, qui ferait mieux en vers latins,
Jupiter et ses foudres, Lucine, desse des saints mariages, et
Vnus trs splendide. Mais supprimez simplement du rcit les
adjectifs, il vous restera mot pour mot le texte du Kalilah.
Quant au bon Verboquet le Gnreux, on le croirait moins
rudit : il promet, au frontispice de son livre, de nous rpter
les discours joyeux et rcratifs tenus par les bons cabarets
de France . On croirait donc volontiers qu'il a en effet entendu
conter les Tresses par quelque buveur de la Pomme de Pin :
mais l'examen du texte prouve que Verboquet est, lui aussi,
un plagiaire savant. Une seule preuve, dcisive : le conte des
Tresses vient immdiatement dans son texte aprs certaine his-
toire de la vieille qui voulait empoisonner un jeune homme et
par la mesme invention fut empoisonne . Or, cette histoire,
nous la connaissons : elle prcde aussi le conte des Tresses dans
plusieurs versions du Kalilah \ Verboquet s'est donc born
'
copier la file plusieurs feuillets de ce roman, et les buveurs des
bons cabarets de France n'y sont pour rien.
Enfin, pour ce qui est de Massinger 2, on croirait d'abord
que, s'il a suivi un modle crit, les ncessits de la mise en
scne et sa trs libre imagination eussent d l'entraner
modifier son modle de cent faons. ,11 n'en est rien pourtant ;
l'imitation reste flagrante, et c'est peine si l'on peut remar-
quer, comme variantes aux donnes du Kalilah, que l'entre-
metteuse est ici une suivante, Calypso, et que le mari, Severino,
1. V., par exemple, le Directorium, d. Dereubourg, 53-54.
p.
2. Massinger, The Guardian (licensed 1633). Works ediled by
Gifford and
heuL-colonelCunningham. Seul l'acte III intresse notre conte : les quatre
autres prsentent un fouillis d'aventures qui lui sont
notamment Cervantes et maladroitement juxtaposes. trangres, empruntes
FABLIAUX ATTESTS DANS L'ORIENT : LES TRESSES 173
taillade coups de poignard les bras de l'amie complaisante
avant de lui couper le nez 1.
Voil donc quatre versions modernes, dont trois occidentales
et sans doute il en existe d'autres,
qui remontent sans
conteste des livres indiens.
Est-ce bien cela que l'on veut dmontrer, lorsqu'on soutient
que nos. contes populaires viennent de l'Inde ? Est-ce pour mener
cette conclusion qu'on cite et qu'on analyse minutieusement
ces formes ?' Si oui, la conclusion est trop aise, et la dmons-
tration trop vidente. Mais ne voit-on pas que ces versions
doivent, de toute ncessit, tre considres comme non ave-
nues ? Autant dmontrer qu'une traduction russe du Cid est
d'origine franaise : on ne trouvera pas beaucoup de contra-
dicteurs.
Le Kalilah a t traduit, nous le savons, dans toutes les
langues qui s'crivent ; dans les diverses littratures, quelques
conteurs court d'invention ont trouv commode d'emprunter
ce vaste recueil certains rcits qu'ils se sont appropris ; le
fait n'a rien d'trange, et le contraire seul pourrait nous sur-
prendre. Qu'on cite ces versions comme des preuves surabon-
dantes du succs universel des livres indiens, soit ; mais qu'on
sache et qu'on dise que ce sont l de simples plagiats, parfaite-
ment conscients.
Qu'on sache et qu'on dise, lorsqu'on cite ces formes, qu'on
ne prtend nullement ajouter quelque chose la science des
traditions populaires, mais simplement la bibliographie.
Qu'on dise qu'on a affaire . des copistes et qu'on passe.
Journal Asiatique, t. XVIII, 1851, p. 383, ss. Notre conte est aussi
publi-
en allemand la page 61 de la traduction de II. OEsterley, Baitl Palchslj
oder_die 25 Erzhlungen eines Dmon, Leipzig, 1873.
1. The Vedla Cadai, being the tamul version of a collection ancieni taies
in the sanscrit language... transated Jby B. G. of
Babington, Miscellaneous-
Iranslalions fro'm oriental languages, t. I, p. 43, 1831. ' .-.
FABLIAUX ATTESTES DANS L'ORIENT : LES TRESSES 179
toute cette aventure. Nous y voyons apparatre le mari ridicule
et crdule, conforme au type convenu dans ces
contes, et pour
qu'il paraisse mriter son malheur, il nous est prsent comme
un brutal ivrogne.
Dans les Mmoires de l'Acadmie de Saint-Ptersbourg, il dit
encore : Cette forme mogole du conte nous permet de saisir ce
fait que confirment tant de rcits d'origine indienne aujour-
d'hui rpandus sur la surface de la terre, savoir que le nojrau
du conte, qui est d'origine indienne, reste intact, tandis que
son enveloppe se modifie de mille faons, selon les besoins
moraux et les conceptions sociales des peuples qui l'accueillent.
En vrit, existe-t-il un rapport logique, une relation de cause
effet entre cette donne : une femme qui on a coup le nez
accuse son mari de ce mfait , et celle-ci : une femme, que son
mari souponne, s'chappe, la faveur de la nuit, de la chambre
conjugale et une amie y prend sa place ; le mari se trompe dans
l'obscurit, bat et mutile cette amie ; sa vraie femme rentre au
matin, le corps intact, et prouve aisment ^on mari que les
dieux l'ont justifie ? Je vois bien que les deux contes sont
juxtaposs ; mais je vois aussi que chacun d'eux peut vivre de
son existence propre. Et ce qu'il m'est impossible de concevoir,
c'est comment l'un pourrait tre le germe de l'autre. Je vois bien
que l'oiseau est virtuellement renferm dans l'oeuf ; mais que le
conte des Tresses soit virtuellement enferm dans le conte du
Vetlapaiitchavinti, c'est ce qui m'chappe.
Supposez, en effet, qu'on enferme dans des cellules tous les
conteurs passs ou futurs, en leur proposant comme canevas le
conte du" Vetla, avec charge d'en tirer tous les dveloppements
logiques qu'il contient en germe. Qu'on les enferme tous, les
bons plaisants et les subtils narrateurs, Schhrazade, Till
l'Espigle, et les aimables conteurs florentins du Dcamron, et
les Vnitiens que les' Factieuses nuits de Straparole runissent
autour de Lucrce Sforze, et les spirituels gentilshommes de la
reine de Navarre. Qu'on enferme encore avec eux les Sept Sages
de Rome, Bacillas, Caton et Malquidas, et aussi le charmant
perroquet du Touti-Nameh ; et qu'on enferme Roger Bontemps,
et ceux qui, dans.mille ans, diront encore la Matrone d'phse
aux races venir. L captivit durt-elle des sicles, et le tra-
180 LES FABLIAUX
vail de tous ces ingnieux esprits ft-il incessant, le conte des
Tresses ne germerait pas du conte du Vetla.
Il s'est simplement produit ici un phnomne qui n'est point
rare dans l'histoire des contes : une contamination. Deux contes,
primitivement trangers l'un l'autre et qui suivront d'ailleurs
des destines ultrieures distinctes, s'agrippent souvent l'un
l'autre. Ce phnomne est frquent, et nous verrons tout l'heure
que notre conte des Tresses s'est ainsi temporairement attach,
en Europe, une dizaine de contes divers. On n'a jamais imagin
de rechercher, dans tel de ces lments adventices et caducs, la
source premire du conte. Pourtant, tel rcit contamin, fran-
ais, allemand, italien, pourrait, avec autant de vraisemblance
que le Vetla, tre prsente comme l'original des Tresses. Mais
quoi ! ces contaminations taient franaises, allemandes, ita-
liennes non indiennes ! Le plus souvent, il est difficile de
savoir o, quand, pourquoi deux contes se sont ainsi souds : la
fantaisie individuelle d'un conteur, un vague trait commun dans
les deux rcits, souvent le simple dsir de dire une histoire plus
longue, le caprice de l'association des ides provoquent, ces
rapprochements. Mais, ici, ce qui est vraiment curieux et ce qui
aurait d faire rflchir Benfey, c'est que, dans le rcit du Pant-
chatantra, l'on dcouvre fort bien les intentions intimes du
narrateur : la soudure des deux contes y est visible, et les causes
de la contamination flagrantes.
On se souvient en effet que, dans le rcit du Pantchatantra,
un religieux mendiant, Devasarman, observe de sa mauvaise
couchette toutes les pripties du drame. Or, ce Devasarman,
les lecteurs du Pantchatantra le connaissent bien : cet pisode
de la vie conjugale n'tait pas la premire scne bizarre dont il
et t le tmoin ; dj on l'a suivi, avec une surprise toujours
croissante, dans une srie d'aventures entre lesquelles on ne
remarquait d'abord aucun lien. Ce lien existait pourtant, et
l'auteur rservait au religieux Devasarman de tirer de ces pi-
sodes disparates une seule et mme leon. Il lui fallait donc
trouver une sorte de mise en scne qui permt Devasarman de
raconter ses aventures et d'en tirer la morale.
C'est alors que l'auteur du Pantchatantra s'est souvenu de ce
conte du Vetla o un tmoin imprvu venait rvler des
juges
FABLIAUX ATTESTS DANS L'ORIENT : LES TRESSES 181
l'innocence d'un mari condamn. Dans le conte primitif des
Tresses nous le montrerons plus loin l'entremetteuse, une
fois chtie et blesse par le mari, devait disparatre de la scne
et ne plus nous occuper. Mais l'auteur du Pantchatantra avait
encore besoin d'elle : il fallait qu'elle accust et ft condamner
son mari, seule fin que le religieux Devasarman, sur la place
du supplice, en prsence du peuple et des juges assembls, pt
survenir, drouler la srie de ses aventures et dire aux juges :
Suspendez votre jugement, parce que ce n'est pas le larron qui
a emport ma robe, ny ce n'est les moutons qui ont tu le renard,
ny le jeune homme n'a tu la mchante femme, ny non plus ce
n'est pas le cordonnier qui a coup le nez de la chirurgienne, mais
c'est nous-mmes qui avons tir ces maux sur nous... etc. 1.
D'o la contamination du Vetla et des Tresses.
En tout cas, on voit qu'il n'y a primitivement rien de commun
entre les deux rcits. Plaute associe en une seule pice une
comdie de Diphile et une comdie de Mnandre. L.'auteur du
Pantchatantra associe deux contes populaires, le Vetla et les
Tresses. Ce sont l des faits similaires : le Vetla n'est pas plus
la source des Tresses que la comdie de Mnandre n'est la source
de Diphile.
II
1. Nouvelle XXXII.
2. Gesammtabenteuer,II, p. XLV.
3. M. des Granges, une confrence de M. G. Paris, m'a object que-
telle n'tait point ncessairement l'intention primitive du conte et que le but
des conteurs indiens n'tait pas, comme il arrive dans les fabliaux, de nous-
faire rire aux dpens du mari. Soit ; mais leur but tait, en tout cas, de-
nous mettre en garde contre la. mchancet ruse des femmes. C'est la
morale que tire expressment le bon Devasarman, tmoin invisible des ruses
de notre entremetteuse, en ces slokas attrists : Ce que Vrihaspati sait de.
sciencene l'emporterait pas sur l'intelligence d'une femme;, comment donc-
se dfendre contre elles ? Elles qui appellent le mensonge vrit et la vrit
mensonge, comment les hommes sages peuvent-ils se dfendre contre elles
ici-bas ?
Les lions la gueule redoutable et la crinire parse, les lphants sur
qui brillent les raies traces par la chaleur du rut, les hommes intelligents
et les hros dans les batailles, deviennent auprs des femmes de bien mis-
rables cratures.
Elles sont tout poison l'intrieur, et l'extrieur elles sont charmantes ;
les femmes ressemblent, dit-on, au fruit du goundj.
Le conteur tait donc singulirement malavis qui, voulant manifester-
l'habilet fminine, met en scne un couple de commres qui russissent, en
effet, duper deux heures un mari, mais deux heures seulement, et qui, l'une-.
et l'autre, expieront cruellement ce succs phmre.
FABLIAUX ATTESTES DANS L'ORIENT : LES TRESSES 185
tapage. Que fait, en l'apprenant, l'autre mari, celui qui se rap-
pelle avoir coup le nez de quelqu'un dans l'obscurit ? Le Pant-
chatantra se tait prudemment l-dessus. Il est vident que, dup
une heure, il a reconnu ds le matin la fraude et l'erreur : la
ruse de sa femme se retourne contre elle. Dans le fabliau, tout
au contraire, l'entremetteuse n'est jamais gnante ; elle a perdu
ses cheveux ? elle en sera quitte pour porter de fausses nattes
sous- son couvre-chef 1 ; nul ne se doutera de son malheur
; le
mari pourra faire en toute conscience son plerinage la Sainte
Larme de Vendme, et nous pourrons rire du bon tour qu'on lui
a jou. Il est bien probable que, dans la forme primitive du
conte, l'entremetteuse en tait quitte pour une mutilation lgre,
et le fabliau est plus voisin que le Pantchatantra de cette forme
primitive.
Mais la rdaction sanscrite souffre d'une infriorit plus carac-
tristique. La femme adultre n'y est, aucun moment, une
ruse' qui combine un plan ; c'est le hasard qui mne tous les
vnements. C'est par hasard que l'entremetteuse vient lui por-
ter un message. C'est cette entremetteuse qui lui propose de
prendre sa place au pilier : quant elle, elle reste constamment
passive ; et, lorsque le mari se rveille, elle n'a vraiment pas
grand mrite s'crier : Que les dieux me rendent mon nez !
car la premire sotte venue l'aurait dit sa place. Dans le f abliau,
au contraire, le trait de gnie de la femme consiste prcisment
prparer toute cette scne. Comme elle prvoit qu'elle sera
battue dans la nuit, elle prfre aller rejoindre son amant et
qu'une amie supporte la vole ; et ds qu'elle sait le succs de sa
ruse, quelle active habilet ! Vite, elle efface de sa chambre toute
trace de dsordre, enlve les tresses rvlatrices, les cache, met
leur place une queue de cheval et attend le rveil du mari pour
lui persuader lentement, par une srie de preuves savamment
combines, qu'il a t hant par quelque cauchemar. Laquelle de
ces deux formes est primitive ? N'est-il pas vrai que ce n'est
1.- Supposition trs peu probable. M. G. Paris veut bien me montrer encore
cette invraisemblance singulire que je n'avais pas aperue : il est trs sr,
comme on l'a vu, que le rcit du Pantchatantra est constitu par la Contamina-
tion d'un conte primitif et d'un conte du Vailapanlchavinii. Cette soudure
est si intime et si forte qu'on ne saurait bien se figurer un narrateur
travaillant post-
rieur, sur le rcit du Pantchatantra, et qui russirait en liminer
FABLIAUX ATTESTS-DANS L'ORIENT : LES TRESSES -191
reins comme le religieux chinois Hiouen-Thsang, et 'vnrer en
personne le bois de manguiers o akyamouni, aprs six ans
d'austrits, tait enfin devenu, bouddha accompli.
- Mais voici que, postrieurement notre vieux pote, le livre
bouddhiste a lui-mme accompli son exode vers nos pays occi-
dentaux. Voici le moyen ge pass et l'imprimerie invente. Ce
n'est plus seulement par des manuscrits que se transmet la tra-
duction latine de Jean de Capoue. Le livre indien est publi-
les Allemands peuvent le lire en allemand (Buch der Beispielr
1480) ; les Italiens, en italien (Doni, 1552), etc.
,:N'est-il pas prvoir que la forme indienne des Tresses, mul-
tiplie par les presses de Venise, de Francfort, trouvera dans l'a
tradition orale quelque popularit, tandis que notre fabliau,
oubli dans un unique manuscrit que des moines conservent,
niais se gardent bien de lire, attendra pour revivre que Mon le
retrouve dans le manuscrit 19152 de la Bibliothque Nationale ?
N'est-il pas prvoir que nous retrouverons quelque part ces
traits accessoires du Pantchatantra, inconnus du fabliau ?
Eh bien ! non-. Sous dix formes encore qui reprsentent la tra-
dition de- dix mille conteurs, peut-tre, nous retrouverons ce
conte, et chacune des dix formes ressemble au fabliau, jamais au
rcit sanscrit. Jamais plus nous ne reverrons l'pisode du pilier
o sont successivement attaches les deux amies et jamais plus
la sotte histoire du rasoir du Pantchatantra. Mais, partout, le
conte restera, dans sa teneur, semblable au fabliau. Gomme le
fabliau, les versions europennes nous prsentent une ruse de
femme savamment combine : c'est la coupable elle-mme qui
imagine de faire entrer son amie sa place dans la chambre con-
jugale ; l'amie est battue et perd ses tresses ; la coupable profite
du sommeil du mari pour faire chapper sa complice, rparer'le
dsordre et se justifie en montrant sa chevelure intacte. En sorte
que; si nous reprsentons la forme'orientale par w -f'a, b, c, d...,
les l-
l'pisode du barbier pour retenir seulement, retrouver et restaurer Si donc
ments primitifs. Or nulle forme occidentale ne conna.t cet pisode.
on veut toute force que le conte des Tresses vienne de l'Inde, on est rduit.
supposer qu'il a commenc son exode antrieurement la composition du
ce nous renvoie des prhistoriques ; ou,
Pantchatantra, qui temps
tout au moins, il faut admettre que le PanlchaUmlra'n'a contribu en rien
le propager.
^92 LES FABLIAUX
1. Fabliau de la Dame qui fisl intendant son mari qu'il sonfoil, MR, t. V,
121.
2. Der verkehrte Wirth, Gesammtabenteuer,t. II, XLIII, p. 337.
3. Keller, Enhlungen aus o.lid. ITss., der Pfafj mil der Snuer, p. 310.
4. Hans Sachs, Schwanck, Der Baver mil dem zopft, t. 25 de la Biblio-
thek des liierarischen Verrins in Stuttgart, t. IX de l'dition de Hans Sschs,
p. 279, Quand le mari arrive avec sa lumire et s'aperoit que <-'e<un n
que sa femme tient prisonnier, la femme clate de rire et dit : Tu n'es pas
bien malin ! Tu t'en prends ce doux anima] qui nous a longtemps servis, toi
et moi, qui nous porte du bois et de l'eau, et voici que tu veux le faire pendre
a une potence comme un voleur.' Cet ne avait des pieds et des mains
d'homme ! "Va,cher mari, tu es encore tout saoul de sommeil !
BDIEK. LesFabliaux. ls
194 -LES EABLIAUX
1. Gesammtabenteuer,II, XXXI.
2. On reconnat ici la scne amusante du fabliau des Perdrix.
FABLIAUX ATTESTS BANS L'ORIENT : LES TRESSES 197
imagination du hron pris par un coq ! Une histoire trs ana-
logue se retrouve sous forme indpendante, dans {le fabliau
des Trois femmes qui trouvrent l'anneau \ et dans un conte
2 : Une
petit-russien femme, qui avait pari de jouer un bon
tour son mari, prit la nasse dix tanches, un jour | qu'il
tait au labourage. A midi, elle lui porta son djeuner, et en
arrivant au champ qu'il labourait, elle jeta les dix tanches
intervalles rguliers dans le sillon j qu'il traait, j Lei paysan
reprit un sillon nouveau et trouva successivement les [dix
tanches, encore vives, dans le ' [sillon qu'il venait [de | creuser.
Aprs s'tre tonn du prodige, il donna pourtant les poissons
sa femme, pour qu'elle les lui servt au dner. Le soir venu,
elle lui apporta son repas, mais pas [ de poissons. J[ O sont
donc mes tanches^? Quelles tanches ?
{Mais celles que
j'ai dterres en labourant ! Es-tu fou ? o prends-tu que
les tanches vivent jamais dans les sillons ? Le paysan battit
sa femme, qui alla se plaindre au sotsky 3 et lui raconta com-
ment son mari croyait avoir tir [dix [tanches de son champ.
Le sotsky crut le paysan fou et le fit lier, tandis que la femme
allait chercher le pope qui avait [coutume d'entendre la con-
iession du bonhomme. Et tout en se confessant, celui-ci lui disait :
Petit pre, crois-moi, je les ai bien dterres I et [comme il
-entendait les tanches frtiller dans un i'seau Isous le banc : Vois,
petit pre, elles sont encore vivantes ! Le prtre le tenant de
plus en plus pour fou, le malheureux rentra [en lui-mme | et
finit par dire :-..Aprs tout, cela m'est peut-tre arriv juste-
ment ! C'est encore ce rcit, affaibli et moins intelligem-
ment rapport, que les Cent nouvelles et un mchant pote du
xvme sicle associent, comme le pote allemand, au conte des
Tresses *.
1. MR, 1,15.
2. Rudtschenko, Sudrssische Voksmrchen, Kiew, 1865, p. 165. Etudi
par Liebrecht, Germania, t. XXI, 1886, p. 385, ss.
3. Surveillant de cent mes.
4. 38e des Cent nouvelles. Ce rcit des Cent nouvelles est mis en vers dans
un recueil du xVme sicle, le Singe de La Fontaine ou Contes el nouvelles en
vers, Florence, aux dpens des hritiers de Boccace, 2e vol., 1773, p. 8.
LEFABLIAUDES TRESSES
Q
ENSEMBLETRAITS
DgS QUEBOITNCESSAIREMENT
RENFERMER VERSION
TOUTE PASSE
PRSENTE, A
OU VENIR
Un un
soir, a
mari raisons
des d'en sa
vouloir f^mme, trouve
Qellercimoyendss de l
'vader a
chambre sans
conjugale son
qye
mari
s'en AJa
f de
aveur
l une
nmie
'obscurit,se la
substitue et
coupablec 'est amie
cette qui une
reoitdure
aperoive. le Lav raie
lui
mari
L.e
prre.etion. fait
en
o utre
subir
pne mutilation \u\
(il
corporellecoupe ne?ojilest resses). coupable
lematin
retourne sa
c hambre
dajis peutej; montrer
son son
mari sans
intact,
corps ni
blessure,m d'aucune
utilatipnsorte.
Lebon
mari
selaisse
donc a
qu'ilrv
eu dieux
les
que ont )'jnjure
rpar une
faite innocente.
persuader
FABLIAUX ATTESTS DANS L'OBIENT : LES TRESSES 199
indienne du fabliau des Tresses, met en relief un phnomne
curieux : c'est l'immutabilit des contes, lorsqu'ils passent d'un
livre un autre livre ; leur puissance de transformation, au
contraire, lorsqu'ils se rptent oralement:
Tout conteur livresque copie son modle, le modifiant le
moins possible, par paresse ou. par indiffrence. Les invraisem-
blances ne le choquent pas. La Fontaine, imitant Boccace,
s'applique marquer la physionomie de ses hros, crire de
jolis vers ; les donnes du rcit lui importent mdiocrement.
Pour les narrateurs lettrs, ces menues intrigues, sont sacres^
comme les livres saints, car personne n'y tomche; Mais: on ne
touche pas aux livres saints, parce qu'on les respecte- trop ; on
ne touche pas aux contes, parce qu'on ne les prend pas assez
au srieux pour leur faire l'honneur de modifications rflchies.
A travers les versions orales, au contraire, la vie circule : c'est
que l'oubli, l'usure des pisodes et Ncessit l'ingnieuse les
transforment incessamment.
200 LES FABLIAUX
CHAPITRE VII
II
S-ERETROUVEM.T--SOWS
DES FABLIAUXQXTI
M'ON.OJGRAPHIES QUEEQVFE.
ANCIENWE
E'ORKEOKI.EKTA-LE.
Le Lai d'Aristote.
Le lai d'Aristote est l'un de ces contes qui, s'ils sont venus
de l'Inde en Europe, n'ont pu y parvenir, au xin sicle, que
par la seule tradition orale, car on ne le retrouve au moyen
ge dans aucun recueil traduit d'une langue orientale : [le
Directorium humanae vitae 'l'a laiss! tombera du cadre du
Pantchatantra. Quand Henri d'Andeli nous affirme '.comme
presque tous les auteurs de fabliaux, ses confrres, qu'il a
ou la nouvele ;de son ;lai n, nous "devons, donc l'en
croire ; mais, qui plus est, ceux qui le lui ont rapport ne
dpendaient pas davantage, immdiatement ni indirectement,
d'un livre oriental traduit dans une langue europenne. \*
Lors donc qu'on prtend que ce joli conte est d'origine
indienne, on entend que, [seule, la tradition parle l'a port
du Kachemir ou du "Npal au clerc [Henri d'Andeli.,-'Quelle
raison a-t-on de croire la ralit de cet 'exode ? Il en faut une
pour satisfaire, je ne dis pas seulement les sceptiques, mais, sim-
plement, ceux qui, par probit intellectuelle, exigent que celui
qui affirme se soit au moins proccup de savoir pourquoi il
affirme. Pourtant, il est curieux que les nombreux illustrateurs
du lai d'Aristote aient admis cette origine, sans
plus ample dis-
1. Vers 40-41.
FABLIAUX ATTESTES DANS L ORIENT I LE LAI D'ARISTOTE 205
cussion, l'ombre de la reposante [thorie orientaliste. Tous les
contes viennent de l'Inde, mme ceux dont nous ne connaissons
aucune forme indienne ; or celui-ci est conserv sous des formes
sanscrites ; donc, il vient de l'Inde, ncessairement. Cela s'entend
de soi.
Il [y faut ('pourtant une dmonstration, et il n'y en a pas
deux possibles. Si l'hypothse de l'origine orientale n'est point
un simple prjug, il faudra que les formes franaises supposent
leur base les formes indiennes. Comparons-les donc.
Le lai d'Aristote est universellement connu. Mais, comme
il est un des joyaux de notre collection, on ne nous en voudra
pas de le raconter d'aprs Henri' d'Andeli, 'pour gayer un
instant la scheresse de ces discussions.
Alexandre, le, bon roi de Grce et ':d'Egypte, '[a* subjugu
les Indes, et, honteusement, se tient coi 1 dans sa conqute.
Amour a franche seigneurie sur les rois comme sur les vilains,
et le vainqueur s'est pris d'une de ses nouvelles sujettes.
Son matre Aristote, qui sait toute clergie, le reprend au nom
de ses barons et de ses chevaliers, qu'il nglige pour muser
avec elle. Le roi lui promet dbonnairement de s'amender. Mais
peut-il oublier la beaut de l'Indienne, son , front poli, plus
clair que cristal ? Son amie s'aperoit de sa tristesse, lui en
arrache le secret. -Elle promet de se venger du vieux. matre
chenu et ple : avant le lendemain, l'beure de none', elle lui
aurait fait perdre sa dialectique et sa grammaire. Qu'Alexandre
se tienne seulement aux aguets, l'aube, derrire une fentre de
la tour qui donne sur le jardin.
En effet, au point du jour, elle descend au verger, pieds
nus, sans'avoir li sa guimpe, sa belle tresse blonde abandonne
sur son dos ; elle va travers les fleurs, relevant par coquetterie
un pan de son bliaul, et fredonnant une chansonnette :
1. Le rcit prend, partir d'ici, une direction qui ne nous intresse plus.
LE LAI D'ARISTOTE 2J9
-et si l'ingnieux ministre Bharata triomphe, c'est qu'il a tri-
ch au jeu. Le rcit est un conte pharmaceutique, qui prouve
seulement l'excellence des drogues indiennes. Puis, lorsque
'"
la jeune reine demande son poux de souffrir qu'elle le che-
'
vauche, il est bien trange qu'il ne se souvienne pas du pari
tenu par lui contre son ministre. Il est non moins invraisemblable "
'
qu'il croie au voeu stupide form par sa femme. Mais cet oubli
et cet aveuglement, mettons-les sur le compte des ravages de
l'amour, et admettons ces donnes. Il reste encore que ce conte
ne signifie rien, car il se rsume en ceci : un jeune prince, dans
toute la force de la jeunesse et des passions, trouve sa femme
tourmente d'un scrupule religieux ; elle a fait, jeune fille, un
voeu que son mari l'aurait aide accomplir, s'il n'avait t
-qu'un modeste kchatriya. Hlas ! elle a pous un roi, qui ne se
prtera pas l'preuve ! Si le jeune prince lui montre qu'elle a eu
tort de douter de lui, qu'il saura apaiser le trouble de sa con-
science et lui prouver sa tendresse aussi bien que l'et fait le
moindre de ses sujets, il fait preuve, non pas de stupide passion,
comme Aristote, mais de galanterie. Henri IV en et fait tout
autant pour Gabrielle.
Comparez cette forme au Pantchatantra : elle est mieux racon-
te, mais moins significative. Comparez le Pantchatantra au
lai d'Aristote : la forme du Pantchatantra se rsume en cette
mdiocre historiette : Deux maris, l'un trs puissant, l'autre
trs sage, supportent, pour apaiser leurs femmes, des preuves
diverses et ridicules, et se raillent l'un l'autre. O est notre
vieil Aristote du conte franais, si habile dmontrer son
lve les dangers de la passion, et qui tombe dans le pige mme
que sa dialectique enseignait si merveilleusement viter ?
L'avantage reste manifestement la forme occidentale du
conte. On peut assurer que ni l'un ni l'autre des conteurs indiens
ne la connaissait : sans quoi, ils l'eussent prfre. Il y a donc
prsomption que l'Inde l'ignorait.
Mais, nous dira-t-on, le conte indien a subi, en voyageant,
une habile revision. Le lai d'Aristote n'est qu'un heureux dve-
La thorie orienta-
loppement des donnes du Pantchatantra,
liste manie en effet une arme double tranchant, qu'il nous faut
mousser l'un aprs l'autre. Les formes orientales d'un conte
^SERIEE.LesFaiHaux. **
210 LES- FAB-LIATOC.
1. Voici les tudes que je connais sur les Souhaits saint Martin :
1 Grimm, Kinder- nd Hausmrchen, notes du conte 87 ;
2 Von der Hagen, Gesammtabenteuer,II, xxxvn ;
3 Benfey, Pantchatantra, I, p. 495 ;
4 Lang, Perraull's popular laies, Oxford, 1888, p. XLII. - L'tude de
M. Lang est conue peu prs dans le mme esprit que celle-ci,que j'avais
prpare avant de connatre son dition des contes de Perrault. La'mienne
ne fait pas double emploi pourtant avec celle du savant anglais. Ce n'est pas
que je tire vanit des quelques versions du conte que j'ajoute sa collection :
je profite de son travail, et le premier venu pourrait allonger notre double
liste. Mais l o M. A. Lang n'a voulu montrer que la difficult des pro-
blmes qui se posent, je prtends faire voir qu'ils ne sont pas seulement
difficiles, mais insolubles.
21.4 -LES :EABLIAU;X
:de faire saillir aies traits ;distittctifs dcchacune. d?.o.ur .la plus
grande::eiai;t,>de:l^ep:osition,3e.r4:ette, eh.noterons des dtails.
Voici.-qm-el-les-sont: ces;formes, en prkedant :'d,esf lusnsimples
aux plus complexes : .
A. PREMIRE FORME. M n?es.t..aacord-jgiir'>unseulsouhait
un seul homme.
Sur le conseil de sa:'femme,Thomme'torme unTceu grotesque:
celui d'avoir deux ttes et quatre bras. Mais, peine a-t-il t
exauc,des gens rru'il rencoiltre'.le'prennenf-pour-un:gnie'mal-
faisant et le tuent. . .
'Cette forme n'est -reprsente -que-par;le -seul:Pantchatantra K
B. SECONDE FORHE.,11.est accord deux .souhaits, chacun .
une- personne diffrente.
C'est la donne:d?une'fble.de Phdre. "Deux: femmes, dont
"l'une a un enfant au berceau,et dontTautre est une courtisane,
ont hichement. reu Mercure dans'leur maison. "Pour les ..payer
en proportion de leurs mrites, il accorde/ chacune un souhait
-qu'il .promet d'exaucer. La mre souhaite de voir Te ".plus tt
possible son enfant avec de.la barbe au menton.; la courtisane,
d'attirer elle tout ce qu'elle .touchera. "Mercure.s'envole et
les deuxiemmes rentrent chez,elle,: la mre trouve son enfant
dans son berceau orn,d'une.barbe magnifique ; cette'vue, la
courtisane clate de rire et porte la main son nez ; quand elle
laiss.e..retomber le bras, ^son nez suit sa .main
Traxitque ad trram nasi ,lcaigituiiiiiem'2.
C. TROISIME FORME. 'Un mme don est accorde deux
per-
sonnes : l'un tourne bien, l'autre mal.
Le Dieu P "(Bouddha), bien-Teu chez une "pauvresse, 'lui
accorde ce don qu' peine il aura quitt la demeure
hospitalire,
'1. -BerifoyTapp-ele(p.'-'WS)sm-'conte^tliibtun'o-'aes'vo'leurs'voient-auss-i
s'allonger -indfiniment- entre leurs -maiis -=unepice- d*t@equ'ils 'veulent
'faire-passer par une eritre.
'-2.l--est-.anays-par Grimai, Urider--urid>H'W'sm&rchen,Hoc.,cil. Oompa-
Tezun-coirte-?dea'Amiiiis,--p.-'p. M.^Oamqy.'MZusme,;I, col,''24:0.
S.'C-'est'Beriey (foc.cfcj^qui-rapp'lle ees--veTions-etje n'-a-pas-vcrie-ses
indications.
:4.JOn sent, Sans-tous ces--Teits,3e'-vosinage defaMes,-anlogues,comme
celle du paysan qui redemanxle a. 3upiter sa-cogne-perdue. (Cf., 'outre L
Fontaine, 'Rabelais, "2e yrlogue- du -quart -livr;) -e-ae 'les fais-pourtant-pas
^entrer-n:-igne-xie'Compte,'parce que la^domree ^essentielledemotre fabliau
y disparat : 'il-ne^'agit-plas ci<d'-un-'don^accord-aux Iicros-du conted'une avec
facult fe^^ppiliquer dlibrment tel usage-qtfl leuT-plara/mais
-prireJdtermme qu'ils dressent^ la divinit, ce qui leur attire, -selon-leurs
mrites ou leurs torts, profit ou dommage.
216 LES FABLIAUX
Le fch son tour, demande qu'une tte-
de son an. cadet,
son frre. Les-
de chien pousse sur les paules de plus jeune
fes compatissantes'annulent les trois souhaits 1. .
E. CINQUIME FORME. Trois souhaits sont accords un mari
et sa femme, qui les gchent ainsi : la femme forme le premier-
Dans sa colre, il en.
voeu, qui, ralis, parait ridicule au mari.
un ne fait qu'aggraver la situation. Le troi-
exprime second, qui
sime souhait est employ annuler les deux premiers et rta-
blir toutes choses en leur primitif tat.
Comme une sorte de justice distributive prside aux destines-
des contes, c'est cette forme, habilement machine, qui nous
apparat comme la plus vivace. Elle est reprsente par un grand,
nombre de variantes, qui se distribuent en plusieurs familles et
sous-familles.
E'.) Les souhaits sont perdus par la distraction ou la futilit
de la femme.
a) Tantt dans le Romulus et dans Marie de France :
1. La femme, qui a un os pris dans la gorge, souhaite que son
mari soit pourvu d'un bec de bcasse pour qu'il puisse l
lui retirer ;
2. Le mari en souhaite un semblable sa femme ;
3. Le troisime voeu rtablit toutes choses en l'tats.
importune Dieu de ses prires. L'Ange du mari lui est dpch pour lui
annoncer que ses requtes sont vaines, car il a obtenu dj toute la part de
bonheur qui lui revenait. Pourtant, comme l'homme insiste, l'ange lui
accorde trois souhaits : qu'il ne s'en prenne qu' lui-mme, s'ils tournent
son dsavantage. (Bemarquez ce curieux trait de fatalisme populaire.) -La
femme souhaite une belle robe, et il est curieux que le mari ne trouve lui
reprocher que son gosme : car, dit-il, tu aurais pu, du mme coup, obtenir
de belles robes pour toutes les femmes de la terre. (Ce mari est un mdiocre
psychologue, car, si la femme avait fait ainsi, o aurait t son plaisir ?)
Quand, en vertu du second souhait, la robe est entre au corps de la femme,
qui pousse des cris de douleur, les voisins s'assemblent et menacent de tuer
le mari, s'il n'emploie son troisime souhait dlivrer la coquette. Ce
dnouement rappelle celui des Arabum proverbia. Notez comme les conteurs
se sont ingnis sortir de cette difficult : dans toutes ces versions, le mari
n'a aucune raison (sauf la piti) d'employer son troisime souhait rparer
le dommage que lui-mme a voulu faire sa femme. La plus jolie imagina-
tion est celle de Fernan Caballero, qui suppose que le troisime souhait,
doit tre le rsultat d'une dlibration commune des deux poux. Mais le-
nombre des combinaisons possibles n'est pas infini, et il est concevable que
deux conteurs indpendants (celui des Arabum proverbia et le Slricker)
aient recouru peu prs au mme procd, c'est--dire l'intervention des
voisins ou des parents.
1. -C'est le premier rcit du septime sage dans le Sindbad syriaque (d.
Baethgen), dans le Syntipas grec (d. Boissonnade), dans le Libro de los
engannos (d. Comparetti) ; le deuxime rcit du sixime sage dans le Sanda-
bar hbreu (d. Sengelmann). Il se trouve aussi dans le Sindibad-Nameh.
-persan, du xiv>sicle (Asiatic Journal, 1841, t. XXXVI, p. 16). Dans les
Mille el une Nuits, c'est le 1er rcit du sixime vizir (l'homme qui dsirait
connatre la nuit Al-Kader.) ~~ Je ne connais pas la version du texte de,
Breslau, que les diteurs n'ont pas voulu traduire, comme trop indcente.
Mais on peut prendre connaissance du texte de Boulak, grce la traduction
franaise donne dans. \a-Fleur lascive orientale, Oxford, 1882, p. 132. Le
220-22
Pages1
LES DU
DIFFRENTES
VERSIONS SOUHAITS
FARLIAU
DES SAINT
MARTIN
UN
TRE
SURNATUREL
ACCORDE
AUN
OP MORTELS
LE
ULUSIEURS
DON
D'EXPRIMER
UNOP SERONT
ULUSIEURS EXAUCS.
SOUHAITS,
QUI CES
SOUHAITS
SE EN
EFFET.
RALISENT,
MAIS, TOUTE
CONTRE ET
PAR
LA
FAUTE
ATTENTE,
DE
CEUXLES
QUI ILS AUCUN
N'APPORTENT
FORMENT, APRS
EUX ILS
N'ENTRAINENT
AVANTAGE,
QUAND PAS DOMMAGE.
QUELQUE
LES QUATRE SOUHAITS SAINT MARTIN 221
E*. Formes redoubles et contrastes du conte. Un per-
sonnage surnaturel, en voyage sur la terre, accorde des htes
pauvres et' accueillants trois souhaits qui leur apportent le. bon-
heur. Des voisins avares et jaloux, qui ont mal reu le mme
voyageur, obtiennent de lui la mme faveur : ils veulent imiter
leurs voisins ; mais leurs souhaits se retournent contre eux..
Dans un conte allemand du xiv sicle 1, les htes qui ont bien
accueilli saint Pierre et saint Paul souhaitent :
1) que leur vieille maison brle ;
2) qu'elle soit remplace par une belle maison neuve ;
3) qu'ils obtiennent le royaume de Dieu.
rcit des Mille el une Nuits est trs suprieur notre fabliau et aux autres
versionsdu roman des Sept Sages.
Je puis parler, sinon du conte lui-mme qui est indcent, du moins de
l'tre surnaturel qui accorde les souhaits. Dans les Mille el une Nuits, c'est
l'ange Ezracl ; dans le Libro de los Engannos, c'est une diablesse. Peu nous
importe ici ; mais, dans les autres versions des Sept Sages, c'est un dmon
familierqui habite dans le corps d'un homme (le Syntipas Yap-peWe bizarre-
ment l'Esprit du Python), C'est, dans toutes les versions, un gnie bienfai-
sant, qui, aprs tre longtemps demeur dans le corps de l'homme, est forc,
par un autre gnie, dont il dpend, d'lire une demeure diffrente. Le roi
des dmons m'a ordonn, dit-il dans le Mischle Sandabar, .d'aller dans un
autre pays ; et c'est au moment de cette pnible sparation qu'il accorde
trois souhaits son ancien hte. On reconnat, tous, ces traits, le dbut
de la fable de La Fontaine :
Il est au Mogoldesfollets,
QuifontofficedeTalets...
L'un d'eux, aprs avoir longtemps servi les mmes matres, est envoy en
Norvge par le chef de la rpublique des Follets . - Or M. Rgnier (d.
des Grands crivains, fable VII, 6) a montr que La Fontaine a d connatre
les Parabolesde Sandabar, traduites plusieurs fois aux xvie et xvne sicles.
La Fontaine a donc emprunt son rcit au livre hbreu. A cette poque, il
n'crivait plus des contes grivois, mais des fables : il a recul devant l'obsc-
nit du rcit. Il a donc seulement conserv le cadre de son modle et invent
d'abord l'abondance (les poux s'en dgotent, comme le savetier enrichi
par le financier) ; ils demandent alors la mdiocritet la sagesse:
C'estuntrsorquin'embarrassepoint.
Je suis donc autoris considrer la version de La Fontaine comme une
simplecopie remanie des Sept Sages. C'est pourquoi je ne la rappelle qu'en
note. On voit combien est inexacte la supposition de Liebrecht (Germania,
I, 262) : La nouvelle de Philippe de Vigneullespeut tre considrecomme
intermdiaireentre le rcit de Marie de France et celui de La Fontaine.
1. Wendunmulh,d. Kirchhof,n218,1,p. 219. Cf. K. Goedeke,Schwnke
desXVI. Jarh., Leipzig, 1879, n' 34-,p. 54.
222 . SES EABMAUX
La voisin jalouseio&tientiaussitr-oi-s^onhaits,.et> erEl'abserree-
d; son mari,
l.ell s0nmaitequessa\.vieilieimaison;-brute:;;sn^rrrari,revi<ejiti..
des-champs,;.criant;:; an, feu-. ! .elle.-veut.':le> f aire-tire ; :
2i.'PuissB' s';erie-t41j.,uttitisonite santeis a-uscer-pst ! *
3. Statm qm antev...
.V.
Gbmpare-ziuiL conte: hessois:: deda Leolectron.dei.Gri-mm
Nous voil au bout- de'- ce-' dnombrement}
Je le rsume par le tableaur synopti-qHei-ci-eontfe-; na peu:
charg, mais- dont la- letufe-- efr Eihtlli^ence-sotif pui'tant.
faciles. -''%''
Ce classement de variantes, le lourd appareil scientifique qui
lcomme-tarrT de-collecteurs -
enserre cette arirsett'e^ est-ce"
de.cont.es le semblent,croire-WU.ltimaThule dmo s.recherches?''
Non-: il faut qwles03:lles" dmsion^ subdivisions eti.accoladss-i
d ce tableau synoptique signifient-quelquechose;- Ne signifinlr-
ellesaen; ?. ILf aut, avoir Ja .bonne f oLd .,s'.en;r.endre..compte etiden
le' dclarer-2-.'
1; GHmm{..nP- souhaitent :.
87,.-Dansj:.ce.:conte,-les.bi)nS:pauvres
1 L'ternit bienheureuse;
2o:Le pain- quotidien;
3 Une belle maison.
Le mauvais riche, apprenant la bonne aubaine -chue-'son-voisin-,mont ;-
cheval, rejoint le bon Dieu qui s'en-va^.obtient.deiluides trois souhaits':
1 En route, son cheval bronche*: Puisses^tu, s'crie-t-il, te rompre'He-
cou ! Ce souhait est aussitt exauc
2 IIp,oursuit.;sa,route, portant'la sell-diicheval,,et.pense tout a coup.que;..
pendant: qu^il sue.sang et eau. sur: la; grande Toute, sa.femme prend l-frais,-
commodment:assise dans sa chambre, : <c.Je voudrais, dkil, l voir assise-,
sur une. selle; ,sans pouvoir se lever !'.'drrentre, et l trouve chevauchant,,,
en;effet,;une.selle,;..
3 D la dlivre.
2. Notre: classement repose,uniquement,sur. l'examen des souhaits exprtr
ms, et non sur les rcits qui' servent de cadre l'histoire. Peu. importe( en
effet, que l'tre surnaturel qui "accord les souhaits soit tantt un voyageur-
cleste et qu'il s'appelle Mereuce; letdieav.EvsSamt:Pierre-,et saint Paul ou
le. bon Dieu ; tantt un gnie bienfaisant et reconnaissant, dmon fami-
lier, diablesse, Esprit du Python, fes danseuses,, fes, des montagnes, Anna
Fritze,.esprit d'un, arbre siiisap, etc. ;, ou bien une divinit sage et'-pr-
voyante,. Allah, l'a fe.Fortune. ; ou encore un. gnie ironique_et taqnin'
saint Martin,..le follet, le nain des.montagnes, etc. Les groupements, qu'on,
obtient considrer, ces dtails sont superficiels,. factices," sparent "ds
formes voisines, runissent ds versions, divergentes. IL nous .faut; donc
nous en tenir notre classement.'
LES QUATRE"SOUffATS?SAINT MARTIN 22$
Ce- tableau,. dress- en-, tonte- patience- et- conscience; irrtirro^
gmns4e,.- ayec:- scr-up-ulfe-:-
L'exemple choisi est-'- favorable:' : sauf" quelques-' cas' nefl 1
gsaHfes* toutes> nos? variantes, reprsentent des-momenfe dis-
tincts-de lai-foa-dMompadi. les'4iwimdk-notre eonte^no-us^ont
fourni', uns elassBmentfe'--ijKs?net:,
(S'--tahflau peuftil nous-renseigner-' sur. le-frmg- et! la-' patrie
primitivecfoeoret ?fsur,-ls loisd;soB'-.dveloppement--?
Iiitrrogeons-l:,' en ' par-t-if ds - groupes - de 3versions >ls- plhs
dtrmintepour- immxmtfer--a^nx?moins 1 complter; ' c'stnl-dire-
iaterprt"03is l tableau endhlsuntd'B'as-eivhauK
P3*G:0H8ideT0"nB--.I%ne quelconq^e-ds so-us-familles a- , c; d\_
1. Les formes B, C, E", o un dieu voyageur accorde ses htes des sou-
haits bnis ou maudits, paraissent plus intimement associes. Mais combien
de dieux paens, de saints chrtiens, se sont assis au
foyer d'htes qu'ils
rcompensaient ou punissaient, depuis le temps de Philmon et de Baucis !
2. En admettant que le conte des Sept Sages ft issu du
Pantchatantra,
comment toutes les autres formes seraient-elles issues de ces deux-l ? C'est
ce que Benfey n'explique pas.
LES QUATRE SOUHAITS SAINT MARTIN 227
"Faut-il aller plus loin encore et abstraire la quintessence du
-conte ? La forme initiale, est-elle celle qui raille
l'inintelligence
foncire des femmes (A), ou leurs vices, futilit, coquetterie,
sensualit (E') ? ou celle qui exprime la vanit de nos dsirs,
ceux de l'homme comme ceux de la femme (conte de Chdjihn-
pour) ? ou celle o le conteur n'a voulu que s'amuser de
la dconvenue comique d'un distrait (c) ? -^- ou celle o il a
exprim,' d'une manire populaire, le conflit de la prescience
-divine et de la libert humaine, en ces versions o un dieu
ironique accorde des souhaits dont il sait par avance que rien de
bon ne peut sortir ? (Phdre, le dieu F, E" ?)
Laquelle de toutes ces versions est la primitive Pour en
Juger, il nous manque l'instrument.judicatoire.
En rsum, que pouvons-nous savoir de l'origine de ce conte,
-de sa forme et de sa patrie premires ? Rien.
De sa propagation ? Nous arrivons constater simplement
que nos vingt-trois versions se groupent deux deux, trois
trois, etc., en des pays qui s'tonnent de se voir associs.
Mais la raison de ces groupements tranges nous chappe.
C'est, dira-t-on, que vous ne connaissez que vingt des
moments de l'volution d'un conte un million de fois rpt.
Soit, je suppose que nous possdons ce million de variantes.
Qu'arrivera-t-il ? Le tableau synoptique ci-dessus comprendra
quelques familles et sous-familles de plus sous lesquelles
continueront s'aligner les versions des provenances les plus
htroclites ; mais, si nous voulons, les classer selon leur succes-
sion gographique et chronologique, le pouvoir indutif d'un
Cuvier n'y suffira point. Il faudrait que l'ange Ezral ou le
dieu F de nos contes vnt, en personne, nous drouler l'his-
toire de ce million de variantes. Quel serait son rcit ? Le dbut
en serait intressant. Il nous dirait peut-tre que le premier
inventeur du conte fut Enoch, fils de Seth ; que Thubal-Gan,
pre des forgerons, a cr la forme G, et quelque Hittite la
.forme D. Mais la suite de son rcit serait fort ennuyeuse : le
mme hasard, qui distribue en quelques groupes nos 23
variantes, en distribuerait en quelques groupes de plus, avec la
.mme indiffrence, 999.977 autres. Nous verrions que le Su-
dois Pierre a cont les Souhaits ridicules l'Allemand Paul qui
228 ' LES FABLIAUX
million
les conts l'Italien JaequeSj et ainsi de suite un
de fois, sans que l'ange Ezral ni le dieu F fussent capables de
nous dire pourquoi ce n'est pas l'Italien Jacques qui l'a, le pre-
mier, cont au Sudois Pierre.
En rsum, me demandera le lecteur, n'aurait-il pas
mieux valu, au lieu de vos subtiles classifications, prendre les
fiches o les folk-lnstes runissent les variantes des Souhaits-
ridicules, les battre comme un jeu de cartes, et les numrr
au hasard ? D'accord. N'aurait-il pas mieux valu encore
ne les recueillir point ? Il se peut.
Le Lai de Tpervier
1, Si l'on nous permet d'employer encore ces formules, qui ne sont qu'en
apparence compliques, soit trois versions d'un conte :
1 w + a, b, c.
2 io + a, A, e.
3w+ x, y, z.
On est d'ordinaire fond dire que les deux premires sont associes,
puisqu'elles offrent toutes deux le mme trait a.
Il arrive pourtant souvent que c'est l une illusion, et que le rapport de
;ces trois versions doit tre ainsi tabli :
- Le conte, racont d'abord sous la forme w + a, b, c, est parvenu un
conteur qui l'a modifi ainsi : w + x, y, z, et un troisime conteur, partant
-de cette forme d'o ont disparu tous les traits accessoires primitifs, retrouve
l'un des traits a d'une version qu'il n'a jamais connue ; d'o...to + a, d, e.
230 LES FABLIAUX
Paris. Si le lecteur veut bien se reporter sa trs savante tude \
nous serons dispens de reproduire longuement ici le texte "ds
diffrhtes versions. Rduit sa forme organique, il se rsume
ainsi :
Une femme a deux amants. Un jour qu'en l'absence de
son mari elle a reu l'un d'eux, l'autre survient. Le premier
amant se dissimule devant le nouvel arrivant.
. Tandis qu'elle s'entretient avec celui-ci, le mari revient.
Elle s'en aperoit temps. Elle fait jouer Vamant qui lui
tient compagnie une scne de colre: il prend un air trs
irrit, pass devant le mari en profrant des menaces terribles e
s'en va ainsi.
Le mari, fort intrigu, demande des explications sa
femme, qui lui rpond trs simplement : L'homme qui sort
d'ici en poursuivait un autre, qui s'est rfugi chez 'nous. Je
n'ai pas voulu le trahir ; il aurait t tu. Je lui ai donn asile.
Le voici. Elle prsente alors le premier amant son mari :
voil le bonhomme rassur.
Encore une fois, nous savon que jamais l conte n'a t dit
sous cette forme schmatique. Chaque conteur le recevait du
prcdent, agrment de dtails explicatifs ou d'pisodes d'or-:
nement. Il existe pourtant des versions -qui n'offrent que ces-
seuls traits en commun avec certaines autres, ce qui est dire
qu' certains moments de son histoire, il s'est trouv dpouill
de tous les ornements dont il avait t primitivement vtu ::
nous sommes donc en droit d'extraire cette forme schmatique.
C'est la seule possession en commun des 'traits accessoires qui
groupera les versions, et ce sont en effet les seuls que M. G.
Paris considre dans son tude.
Tout auditeur ou tout lecteur du conte exigera en effet des
solutions certaines difficults du rcit. Pourquoi le premier-
amant cde-t-il la place au nouvel arrivant, au lieu de lui faire
une scne de jalousie ? Il faut que le conteur se . proccupe
d'tablir entre eux un rapport qui nous l'explique. Pourquoi
les deux amants sont-ils runis la mme heure daiis la maison
du mari ? Comment se succdent toutes ces scnes ? O se-
passent-elles exactement ? etc.
1. tomdnia^VII, i.
LE LAI DE L'PERVIER 231
Bref, tout conteur devra rpondre ces questions que les
rhteurs anciens recommandaient aux jeunes orateurs d'puiser
dans leurs narrations :
Quis ? quid ? ubi ? quibus auxiliis ? cur ? quomodo ? quando ?
Plusieurs des conteurs du Lai de Vpervier se rencontrent,
en effet, pour expliquer ici et l, de la mme faon, tel incident
et M. G. Paris fonde sur ces concidences sa classification. Voici
les trois principaux considrants des groupements qu'il tablit :
1 Deux versions indiennes, YHitopadsa et le ukasaptati,
supposent que les deux galants sont le pre et le fils. M. G. Paris
associe donc ces deux textes. De plus, comme dans toutes les
autres versions, le rapport qui unit les deux amants est moins
scandaleux comme ils matre et
sont, par exemple,
valet, ou puissant personnage et pauvre hre, etc., M. G.
Paris voit dans la version du ukasaptati la version-mre. Le
conte est indien d'origine. Les autres formes sont le produit
d'une habile revision ;... la substitution d'un esclave au fils, dans
le rle du jeune rival, a t pratique, sans doute sur le sol
indien mme, pour viter la donne incestueuse du conte pri-
mitif .
2 D'autres versions, le Sindibad, le fabliau, un conte des
Gesta Romanorum, supposent que les deux amants sont unis
par un rapport de domesticit (matre et esclave, chevalier et
cuyer). De plus, le matre seul est l'amant de la femme ; son
valet, envoy chez elle pour annoncer la venue prochaine du
matre, a t simplement l'objet d'un caprice soudain. En
consquence, M. G. Paris associe ces trois versions : les deux
rcits des Gesta Romanorum et du fabliau sont venus du Sin-
dibad, et ont t imports en Occident par la tradition orale,
soit par l'intermdiaire des Byzantins, soit l'poque des Croi-
sades.
3 Enfin tandis que la plupart des conteurs admettent
certain de les scnes successives, le
qu'un laps temps spare
ukasaptati et Pogge donnent au conte une marche plus acc-
lre. Dans la plupart des versions, le premier amant a le temps
de se cacher devant son rival, et quand le mari survient, la
femme est avertie assez tt de son approche pour pouvoir donner
ses instructions l'amant qui lui tient compagnie ; au contraire,
232 LES FABLIAUX
dans le ukasaptati et chez Pogge, les trois hommes se trouvent
presque simultanment runis. Le ukasaptati et'Pogge sont
donc associs par G. Paris : le conte indien est arriv au
novelliste italien par une voie particulire, diffrente de celle
qu'il a suivie pour aboutir tous les -autres rcits du Sindibad.
Il a pu sans doute arriver de l'Inde directement ; toutefois il
est plus probable qu'il a pass par la Perse et l'Arabie...
Ce classement de versions, dont je ne donne ici que l'essen-
tiel, est tabli avec une rigueur et une ingniosit saisis-
santes.
Pourtant est-il vraiment ncessaire que les choses se soient
ainsi passes ?
Tel de ces traits n'a-t-il pu tre invent et rinvent, plu-
sieurs reprises, par des conteurs indpendants ?
Est-il bien sr, par exemple, que la forme primitive soit
ncessairement celle o figurent un pre et son fils, et que
toutes les autres soient des attnuations de cette donne pre-
mire ? Ne pourrait-on pas se poser la mme question- pour
chacun des autres pisodes du conte ? Chacun d'eux "ne peut-il
pas avoir t dix fois rinvent ?
Si je le prtends, je puis tre assur qu'on m'en demandera
quelque preuve. L'affirmer serait substituer une impression
personnelle la saine mthode d'observation. N'y avait-il
nul moyen de fournir cette preuve ? Je crois en possder un, lgi-
time.
Un de nos plus illustres hellnistes, lorsqu'il veut expliquer
la mthode de la critique verbale et dmontrer que des copistes
indpendants peuvent commettre la mme faute au mme
endroit, a coutume de recourir une ingnieuse dmonstration
exprimentale : il propose ses tudiants de recopier tous, sur
le mme texte correct, au courant de la plume, les mmes cin-
quantes lignes de grec ; comparant ensuite entre elles les copies
ainsi obtenues, il lui arrive de relever, la mme ligne, la
mme bvue commise par deux tudiants et il cherche les rai-
sons psj^chologiques de cette commune erreur.
J'ai cru que cette exprience pourrait tre aussi
probante,
applique des contes. Il m'tait souvent arriv de tenter cette
preuve au hasard de conversations, et elle m'avait donn des
LE LAI DE L EPERVIER 233
rsultats surprenants. Je l'ai donc mthodiquement institue
pour le lai de Vpervur et, bien que nul n'ait encore os recourir
en ces matires. la mthode exprimentale, je me hasarde
rapporter ici cette tentative.
Voici comment. J'ai soumis, soit par lettres, soit oralement,
notre conte quelques amis et quelques tudiants. Je le leur
ai propos sous sa forme organique, w, telle qu'elle est donne
plus haut : Une femme a deux amants ; un jour qu'en Vab-
sence de son mari, elle a reu l'un d'eux, etc. Je leur ai
demand de se placer en prsence de ces donnes comme des
coliers devant une matire de narration dvelopper, de la
motiver, de l'orner leur gr.
Il tait ainsi possible de produire des versions artificielles.
Ces versions ainsi formes seraient-elles comparables aux ver-
sions relles recueillies par M. G. Paris ?
Il va de soi que j'ai demand mes novellistes improviss
de me donner l'assurance qu'ils ne se souvenaient point d'avoir
lu nulle part ce conte. Aucun d'eux ne le connaissait, bien qu'ils
fussent les uns et les autres des esprits fort cultivs 1 : mais ce
fait ne surprendra personne ; combien de ces historiettes ont
travers notre mmoire sans y laisser de traces ! Un seul se sou-
venait d'avoir lu une nouvelle analogue dans Boccace ; mais la
version qu'il m'a remise ne ressemblait nullement celle du
Dcamron.
Voici brivement les rsultats de cette enqute, qui sont vrai-
ment inesprs.
Le plus important des lments qui servent aux groupements
de M. G. Paris est dans le rapport qui unit les deux amants.
Mes correspondants ont imagin une srie de rapports trs varis.
Parmi leurs inventions, il en est qui ne sont pas reprsentes
dans les versions sanscrites, arabes,.allemandes, etc. ; mais la
rciproque n'est pas vraie : il n'est pas une des combinaisons
relles qui n'ait t reproduite, aprs Boccace, aprs le fabliau,
aprs Pogge, par un ou plusieurs de mes amis. Je me trompe,
1. En effet, l'on verra par la suite que la premire de ces difficults (com-
ment les cadavres se ressemblent-ils ?) dpend de la manire dont on explique
la rencontre des trois hommes dans la mme maison. La seconde question
(quel est l'homme qui se charge de les emporter ?) ne fournit pas de classe-
ment utile : ce sera ncessairement un homme un peu simple, soit un porte-
faix de profession, soit un serviteur trs dvou ses matres, soit un homme
prt tout [un Ethiopien (Sandabar), un champion, frre de la dame [His-
toria Septem Sapienlum), un portefaix (Trois Bossus, Sercambi, Vais 2), un
niais, neveu de la femme (Eslormi), un soldat (Vais, I), un porte-morts
(Slraparole), un clerc errant ivre (Trois moines de Colmar),- le niais
Gratelard (farce franaise), un manant (Contes nouveaux), un valet niais
(Keller), un faquin ivre (farce italienne)}. Quant la troisime diffi-
cult (comment l'homme se dbarrasse-t-il des cadavres?), il n'y a pas lieu
d'en tenir compte. Douze conteurs les jettent l'eau ; ce qui est, en effet, le
procd le plus naturel et dont s'accommode le mieux la rapidit du conte.
Les deux autres moyens imaginables, la mise en terre, la crmation,
plus bizarres, pourraient servir classer des versions : mais ils ne sont em-
ploys qu'une fois chacun (Historia Septem Sapienlum, Eslormi).
2. -J'appelle celte version : Vais 1. Il .ne s'agit ici, comme dans. Straparola
LES' TROIS BOSSUS MNESTRELS 241"
aimable pour les moines. Il en tua un jour deux. La femme ne
joue ici aucun rle actif..
a 1) Tous les autres conteurs supposent, au contraire, que les
-amants ont t attirs et tus par deux poux complices.
a 2) Tantt il s'agit d'un odieux guet-apens. Les deux poux,
pauvres, complotent de s'enrichir peu de frais. La femme, qui
a une voix merveilleuse, se tient sur les loges et galeries de la
maison du chemin public et, pour se monstrer et faire regar-
der , chante. Trois chevaliers se prennent ses appeaux ; elle
leur donne, pour le mme soir, moyennant promesse de nombreux
florins, trois rendez-vous successifs. Ils arrivent l'un aprs
l'autre ; le mari, cach derrire la porte, les occit. Plus tard,
- la suite d'une querelle avec son vieux mari, elle le dnonce
l'empereur, qui les fait traner tous deux la queue des chevaux
et pendre.
C'est la version de VHistoria septem Sapientium 1, et, sans
doute, du roman armnien des Sept Sages 2.
a3) Tantt au contraire, ce sont les amants qui sont odieux et
non leur meurtriers. C'est, en effet, une femme pauvre et sage
que trois moines ont perscute de leurs vaines obsessions. De
..guerre lasse, elle s'en plaint son mari, qui en tire vengeance et
et les Contes nouveaux, que de deux cadavres. Le mari confie les corps
des amiables moines un soldat, qu'on appelle le Diable. Il passe deux fois,
avec son prcieux fardeau, devant un couvent. Le veilleur l'interroge : C'est
le Diable, ^rpond-il les deux fois, qui emporte le moine du couvent. Le
veilleur donne l'alarme dans le clotre, o l'on s'aperoit qu'il manque, en
effet, deux .moines. Les autres s'enfuient, pouvants. Le Diable rencontre
l'un d'eux, mont sur un ne : Je ne m'tonne pas, lui dit-il, que tu arrives
toujours avant moi, puisque tu as quatre pattes et moi deux ; et il le jette
l'eau avec son ne.
1. Tandis que le champion, gardien de la cit et frre de la dame, est en
train de brler dans un bois le corps du dernier chevalier, il en survient un
quatrime, qui venait la ville pour jouter le jour suivant, et qui s'approche
du feu pour se chauffer. Le champion l'y jette, avec son cheval. Je ne
croispas qu'il faille associer plus intimement cette version et celle de Vais 1,
en raison de ce dtail minuscule : un cheval et un ne y prissent avec leurs
matres. C'est un trait rinvent par deux conteurs indpendants.
2. Je ne connais cette version que par l'insuffisante analyse donne par
Lerch, Orient und Occident,toc. cit., et que je traduis in extenso: Le sixime
sage raconte l'histoire de la jeune femme qui, aide de son vieux mari et
par cupidit, fait tomber dans un pige trois braves chevaliers, attirs par
ses charmes. Les deux poux sont pendus.
BDIER. LesFabliaux, le
242 LES FABLIAUX
trois rendez-vous,
profit la fois, leur fait assigner par sa femme
successifs et les assomme, ds qu'ils ont pay. On le recon-
nat, -c'-est le dbut du fabliau de <mstant du Hamel.
Cette version est reprsente par le fabliau d'Estormi, par le;
conte allemand des- Trois moines de Calmar et par la nouvelle^
de Sercambi^.
B. Les bossus.
Les versions de ce second groupe -se diversifient de deux-
manires :
c) Les bossus sont frres a mari. Un 'bossu a -pous unie-
femme riche, jeune et belle, -qu'il-surveille j'afeusement et dure-
ment. B a trois frres, bossus, comme lui, qui sont gueux, <et qu'il
dfend 'sa femme de recevoir jamais. Un j'osir, par piti, 'en
l'absence d-feson mari, elle les reoit t les hberge. Au retenir du:
jaloux, elle les cache. Quand elle veut les dlivrer, ils sont,
morts, soit de peur, 'suit par asphyxie, soit parce qu'ils taient,
ivres. Elle s'en dbarrasse .comme dans les autres versions.
Aprs avoir expdi le troisime magot, le 'portefaix -rencontre
10 mari, bossu comme ses frres : c'est lui qu'il tue.
Cette famille est reprsente par cinq'versions .le "second conte'
de Vais, Straparole, les Contes nouveaux et plaisants, les farces
franaise et italienne 2.
i. Je -note, par scmtpule d'exactitude;, plutt (que par utilit, les quelques,
divergences de es trois ontes allemand,, franais, italien. JJ).aaistous les
trois, la victime .innocente -tue. -la fin du conte est un rmoiae ,(ou^unprtre)
qui passe par hasard* Dans Je conte allemand, la scne de sduction .a feu
au confessionnal, successivement dans trois couvents, de -Frres prcheurs,
de Carmes dchausss et d'Augustins. Chez Sercambi, -cesont .trois.moines:
de l'glise Saint-Nicolas - Pise, qui importunent, l'innocente Madonna JNece,
l'un sous le porche, le second au bnitier, le troisime prs de l'autel.
Dans Eslormi, le lieu de -la sone reste indtermin. ^- Dans le fabliau, le
mari assomme les trois 'amants ds leur arrive. Dans les Gesammlaien-
teu.tr, les -amants, 'effrays .successivement par le -bruit -que mne le mari
cach, se prcipitent dans -une .cuve d'eau .-bouillaite. Dans .Sercambi, les
trois amants, .sans qu'on s'explique .pourquoi, sont arrivs la mme heure
et, aprs savoirdn ensemble, ise sont .mis au bain ; au retour du mari, ils se
rfu ien-t datas.un dduit, o l'homme, qui est tanmeui-, renferme ses jpeaux.
11 les tue en .versant sur eux un Chaudron .plein d'-eau bouillante-et de Chaux.
2. Voici l'analyse de -ces cinq versions :
Straparola : Long prambule sur les aventturEs 'des trois Jrres JJOSSUS ;
jusqu'au jjour ml'.un d'aux,, Zamb, ,p'otise .Usine la fille da marchand de
drap, son patron. Mauvais mnage qtie ,-font.les poux. Zamb jart
LES TROIS BOSSUS MNESTRELS 243
) Enfin, dans les Bossus mnestrels, il s'agit aussi de la
jeune femme d'un affreux bossu jaloux, qui hberge trois autres
bossus ; mais ce ne sont plus ses beaux-frres ; ce sont des .mnes-
trels qu'elle a fait venir pour se distraire. Le conte se poursuit
tout comme dans laprcdente version et c'est le mari lui-mme
qui va rejoindre dans la rivire les bossus ses confrres.
C'est le fabliau des Trois bossus mnestrels et le rcit du
Mischle Sandabar 1.
pour Bologne, aprs avoir, averti sa femme de se mfier de ses deux frres,
iqui lui ressemblent s'y mprendre. Au retour imprvu du mari, ils -sont
cachs dans une ange c pour eschauder -et plumer les poureeaux ; la peur,
la chaleur et l'odeur les tuent.
La farre iranaise se rsume ainsi : Scne I : Horace donne au niais Gra-
telard une lettre pour la femme du vieux bossu Trostole. Se. II. Trostole,
.appel au palais par une assignation, recommande en partant sa femme de
ne pas laisser entrer ses trois frres, bossus comme lui. Se. III. Les trois
^frres bossus, affams, viennent -mendier et la femme les hberge par piti.
Se. IV. Retour du mari. Les frres sont cachs, ivres. Trostole s'en va.
Se. V. Les bossus sont morts d'avoir trop bu. Gratelard les emporte la
rivire. -*Se. VI. Retour de Trostole, que Gratelard envoie rejoindre ses
frres. Se. VII. Gratelard vient .chercher son salaire : C'est fait ! il m',a
fallu m'y reprendre quatre fois. Quatre fois ? n'y aurait-d pas mon .mari
avec les autres ? Le dernier parlait, ma foi 1 La femme pouse Horace.
Trostole et ses trois frres reviennent et se battent.
La fane italienne, que je n'ai pas lue, doit se rattacher ce type, puisqu'il
s'y agit d'une couve de hossus .
Contes nouveaux : Le rcit est plac dans une ville d'Asie , et l'on y
parle de cadis et de caravansrails ; mais cette lurquerie parat tre
de l'imagination du .conteur franais. 11y a, comme dan' Straparola, un long
prambule sur les aventures antrieures des trois frres bossus. - Ceux-ci
meurent d'avoir trop hu. L'histoire se termine par une assez sotte inven-
tion : le bon calife Harouan-Arracchfd, se promenant par les rues, fait rele-
ver par son vizir les filets tendus dans la rivire. Les trois bossus sont ainsi
repchs. Le mari revient la vie, et le calife le tance pour sa fiert et sa
duret l'gard de ses frres.
Le conte de Vais * est trs court et assez mal motiv. Il tait trois frres
bossus, dont l'un aubergiste et mari. Un jour qu'il tait absent, ses deux
frres "burent tant dans sa cave qyCils en moururent. On ne voit pas ici
pourquoi la femme se dbarrasse subrepticement de 'leurs cadavres.
1. Dans le fabliau, trois bossus mnestrels s'invitent le soir de la Nol
chez leur jaloux confrre, qui les hberge volontiers, leur donne un bon
dner, et .les renvoie avec vingt sous pariss pour chacun, condition qu'ils
jae remettront plus les pieds chez lui :
Car,s'il "i-estoientrepris,
.11aTTOcntun.baingcruel
T>ela ti-dideevedu .chane].
La dame, qui a entendu les bossus .chanter et solacier^ profite du dpart
244 LES FABLIAUX
1 par le tableau synop-
Je rsume ce classement de versions
tique ci-contre.
II. Histoire probable du conte.
Ces diffrents groupes de versions se valent-ils, si bien qu'ils
doivent s'aligner pour nous sur un mme plan ? Nous sera-t-il
d'tablir entre eux certains de filiation ?
impossible rapports
Non : ici, comme en un certain nombre d'autres cas, quelques
observations trs simples nous permettent, je crois, de saisir cer-
tains moments de l'volution du conte.
1 Des deux formes principales les amants tus par Te mari
les bossus morts accident (B), laquelle est ne la
(A), par
premire ?
Je crois que c'est la forme B.
Les versions du groupe A, o c'est le mari qui tue les trois
sont marques, en effet, d'une vritable infriorit. A
galants,
de son grotesque mari pour les rappeler, et leur fait chanter leurs chan-
sons. Au retour du jaloux, elle les cache dans trois escrins, o ils prissent
touffs, etc. Le conte du Mischle Sandabar est trangement dfigur
et si sottement cont qu'il ne serait pas intelligible, si nous ne connaissions
pas le fabliau et les autres formes du conte. Qu'on en juge : une jolie,femme
est marie un vieillard (il n'est pas dit qu'il soit bossu) qui lui dfend de
sortir dans la rue. Elle envoie un jour sa servante chercher quelqu'un pour
la distraire. Celle-cirencontre un bossu qui joue des cymbales et de la flte
et danse. Elle le conduit sa matresse, qu'il amuse.; la femme lui donne
de beaux habits et un prsent. Le bossu fait part de cette bonne aubaine
deux de ses compagnons bossus, qu'il obtient la permission d'amener avec
lui. Ils boivent tant qu'ils tombent de leurs siges, et que la jeune femme et
la servante sont obliges de les transporter dans un logement voisin, o ils
se disputent et s'tranglent les uns les autres. Voici, textuellement, la fin
inintelligible du rcit : Elle fit appeler un thiopien, lui donna une pr-
cieuse rcompense et lui dit : Prends ce sac, jette-le dans le fleuve et re-
viens ; je te donnerai tout ce dont tu auras besoin, L'thiopien le fit jus-
qu' ce qu'il et jet l'eau, l'un aprs l'autre, tous les bossus. Nous
surprenons ici le conte dans un tat si maladif qu'il n'a jamais pu, sans
doute, tel qu'il est, en provigner aucun autre. Mais il avait t cont sous
une forme saine, l'auteur du Mischle Sandabar ou son modle arabe, et
cette forme tait ncessairement celle des Trois bossus mnestrels. C'est ici
le mme cas que pour les Quatre souhaits saint Martin: v. p. 224, note 1.
1. Il reste le lied de la Femme du pcheur, ci-dessus analys, qui se classe
malaisment, car il participe la fois des deux formes, A, B, du conte. Il
se rapproche pourtant davantage de la sous-famille d, les clercs'
puisque
errants y jouent le mme rle d'amuseurs que les bossus du fabliau. Mais
l'omission de cette circonstance qu'ils taient bossus force le conteur faire
occire la fin du conte, au lieu du mari, un prtre innocent (comme en
A).
LES TROIS BOSSUS MNESTRELS 245
1. Je ne veux pas retenir le fait que les formes-mres ne sont pas repr-
sentes seulement par le fabliau et le Sandabar (d\, mais aussi par les ver-
sions o les bossus sont frres (c). Cette forme c, nous l'avons dit, est peut-
tre la primitive, auquel cas les versions logiquement antrieures seraient
les Contes nouveaux, les farces italienne et
reprsentes par Straparola,
franaise, l'un des contes de Vais, donc par un groupe o n'entrelaaucune forme
forme orientale. Mais faisons cette concession, toute gratuite, que
premire est en effet celle du fabliau et du Sandabar.
250 LES FABLIAUX
CHAPITRE VIII
1. Je sais tel savant qui serait dispos croire l'origine assyrienne des
contes..-Ba-brius-y croyait dj :
M51of fiv,& izzi (3a<Tt);co<;
'AXEavopou,
; Z'jpcovitaXair ativ N
Eopu/vp(i~ojv
TJaavTI! vou Ty.a Bi.X^u.
o'( T.pivTLOT'
(2e prologue des Fables.)
252 - LES FABLIAUX
II
III
sants;-nousiSuspendons'notre.:jugemehtiet'mous;attend'ons;enc,or,e
annes'de travil-se 1soient coules.
que-cent
Nous::voioi:enTan'2@0O;-Pndant,tout le x:xsile,-n: va^ste
enqute a t institue sur la surface du'glbe. "Les livres sacrs
des couvents-de'Cyln'nt livr tous- leurs secrets ; un, autre
Stanislas Julien a dcouvert des "Axm'dnas ignors ;'pas'-'une
forme ancienne du conte quin'ait t; exhume des manuscrits
omdes vieux recueils'imprims.;'pas un'bourg o: l'on'n'ait cfrer-
h ce onte'vivait ; 'dans -chaque 'village on: Fa recueilli, sans
l'embellir, tel qu'il'y vivait dans-la mmoire des Conteurs. Voici
tous les-matriaux runis'dns'une seule 'main. Les svn'ts
comparent. A quelles conclusions peuvent-ils parvenir '-?
Prcismt clls'Oilsparvi-endraient:aujoUrda'hui,'en'COm-
parant untrentaine'de' variantes, c'est--dire a l'un des'as-Sui-
vants :
On dmontrera que:n variantes proviennent directement de
tellivre, et nautres de tel-'autre livre. Gesera le cas d'Annibale
Campeggi 'copiant le Kalilah, :ou de ;Tirso de Molina copiant
Mlespini,ou de La Fontaine copiant Boccace. Ces faits-rseront
intressants pour l'histoire des livrs qui auront servi d'origi-
naux. Ce sera de la bibliographie. Ce sera-aussi d l'histoire lit-
traire : il "sera toujours amusant et utile de comparer le conte
de Simone chez Boccace et chez A. de Musset. Mais on n'aura
pas travaill "zur Volkskunde.
2 Il se formera Un certain nombre de familles, 'constitues
chacune par la similitude dans plusieurs versions-(lettres ou
populaires) d'un mme trait accessoire, arbitraire.
Dix versions prsenteront le trait a.
Dix versions prsenteront le trait b.
Nous sommes en droit de comparer ces deux groupes. Que
peutrfl rsulter -de la comparaison ?
a.) Ou- bien iln'y a aucune raison imaginable, ni historique,
"ni,so.eiale,-ni morale, pour que le trait a-se trouve dans telles
versions plutt que dans telles autres. Le trait a est l'oeuvre de
la fantaisie individuelle d'un conteur
jamais inconnaissabIe=qui
s-qppo.se, la fantaisie individuelle d'un autre conteur -jamais
inconnaissable, lui .aussi, inventeur du trait ,.
C'est !e-.ca-sdu-,fabliau..des Trois- Bossus. Ilprsente des traits
RFLEXIONS -SUR'LA MTHODE 263
a, b{ c... en commun avec le Roman des-Sept Sages. Ces traits
sont: dus l'imagination,individuelle d'un conteur; Quel "fut ce
conteur ?"Comme ces-traits a, b, csont moralement, socialement,
historiquement indiffrents, je suis en droit d!en attribuer l'in-
vention au-premier inventeur du conte, que je puis supposer
avoir t umsujt de Rhamss II. DepuisRhamss II, ils-se: sont
maintenus-dans-un double:courant de traditions-,; de<sote que ces
deux versions, le Roman des Sept Sages et le fbTiaUj 1bien qu'of-
frant -en commun les; traits a, b, c..., peuvent n'avoir <eu aucun
rapport depuis la x-ix*5 dynastie-gyptienne/ Ces traits, le conteur
du Roman des Sept Sages les a-t-il invents ? ou puiss dans la
tradition orale ?"Nous'n'en: saurons, jamais' rien. Le- conteur
franais les a-t-ilprisdans le. Roman des 'Sept Sages-ou dans la
tradition orale ?Nous n'en saurons jamais rien non plus. Et si
l'on-admet, commellpeut'tre' vraisemblable, que le jongleur les
a pris dans le Roman des Sept Sages; nous 'saisissons un-moment
du conte, une cause seconde, indiffrente. Le Roman des Sept
'Sages influ-sur la tradition orale, cela est certain. -Mais le conte
pouvait vivre-sous cette forme M + a, b, e..., en France mme,
plusieurs sicles avant que le Roman des Sept'Sages et t com-
pos.
b.)'Ou bienle trait a con vient seulement aux moeurs de cer-
tains pays, aux moeursfranaises par exemple, tandis que le trait
bne convient qu'aux moeurs'allemandes. 'Nos dix versions a sont
donc franaises, nos dixversions b' sont allemandes.
Mais.le conte-est-'il venu-d'AUemagne en France ? ou deTranee
en .Allemagne ?
Si-le'trait-a est aussi'logique, aussi 'lgitime que le trait b, il
nous sera impossible d'en rien savoir.
'En-fait, c'est le cas qui se'produit le plus souvent. Cette ten-
tative de dmontrer la supriorit logique d'un trait 1sur un autre
trait correspondant-suppos trop aisment-que les-conteurs et
les auditeurs sont des sots. On surprend, en effet, souvent, sur
les: lvres des paysans, un conte altr ; l'inintelligence, les
manque de mmoire ,du narrateur l'ont'gt. Mais telle est la
force;dediffu'sion.de ces contes'que Ton, ne peut jamais dire si,
dans le mme village, la mme heure, te
pasTemme conte: sous-'un forme saine, et c'est cette forme qui
264 LES FABLIAUX
vivra. On a saisi un moment maladif du conte, non durable. Les
contes sont des organismes vivants dont un caractre remarquable.
est la longvit : le secret de cette longvit rside dans la per-
fection de leur charpente essentielle et dans leur pouvoir^d'li-
miner les parties maladives. Un conte altr ennuie, un conte
ennuyeux meurt. A vrai dire, si le trait b est mal justifi, on ne
trouvera pas dix versions pour le reproduire contre a, mais une
ou deux seulement.
Admettons pourtant que le cas se produise en effet : le trait a
des dix versions franaises est manifestement infrieur au trait
b des dix versions allemandes, et en drive.
On en conclura lgitimement que c'est au passage de l'Alle-
magne en France que le conte a pris cette forme b ; et les ver-
sions b drivent des versions a.
C'est le seul rsultat positif auquel puisse mener la mthode
comparative. Mais quelle en est l'importance ?
On atteint de la sorte une cause seconde et purement acciden-
telle. On a prouv que le conte a, un jour, pass la frontire
franco-allemande sous la forme w + b, drive de M + a. Mais
l'origine de co, c'est--dire du conte lui-mme, reste en dehors de. .
notre atteinte ; car voici dans le mme pays, en France mme, le
conte sous une troisime forme, M -f c, qui peut tre la source de
la version allemande. On peut concevoir :
1 Que le conte a t invent en France sous la forme a + c ;
2 Qu'il a pass sous cette forme en Allemagne, o un narra-
teur lui a donn, par caprice ou besoin, la forme w + b ;
3 Que cette forme M -f est revenue au pays d'origine, la
France, en se transformant en la forme u -j- a. Nous voil au
rouet.
En rsum, on peut atteindre une forme maladive, conte par
un sot ; mais son voisin peut dire le conte intelligemment, dans
le mme pays, et la forme maladive n'est.qu'un accident ph-
mre.
Si cette forme maladive peut se reconstituer, s'accommoder par
un habile remaniement aux moeurs du pays o le conte vient
d'tre introduit, on ne peut plus reconnatre que cette forme est
secondaire.
Au cas trs rare o l'on reconnat que telle forme, dans tel
REFLEXIONS SUR LA METHODE 265
pays, est adoptive, on ne peut dire que le conte mme y soit
d'adoption, et l'on ne sait s'il n'y est pas n sous une forme saine
perdue.
. Prenons un exemple encore, et le dernier.
Choisissons-le favorable : que ce soit un de ces rcits tiroirs
qui se prtent si. bien aux classements des versions, car chaque
conte peut y tre considr comme un trait accessoire trs sail-
lant.
De plus, il sera bon que le conte choisi pour cette dmonstra-
tion dernire ait t tudi avant nous par d'illustres folk-Ioristes:
la mthode comparative, manie par des savants persuads de sa.
valeur, avec toute la force de leur conviction, de leur rudition,
de leur sens critique, aura donn tous les rsultats qu'on peut
lui demander. Et, si ces rsultats sont nuls, nous saurons du
moins que la faute n'en est pas notre maladresse, mais la
mthode elle-mme.
Le fabliau des Trois dames qui trouvrent l'anneau satisfait
cette double condition : c'est un conte tiroirs, trs rpandu dans
les diverses littratures populaires. D'autre part, il a eu la bonne
fortune d'tre tudi fond, deux reprises et douze ans de
distance (1876, 1888), par deux trs minents rudits, M. Flix
Liebrecht 1 et M. Giuseppe Rua 2. De plus, M. Pio Rajna lui a
fait aussi l'honneur de contribuer l'illustrer 3.
Trois femmes ont trouv un anneau prcieux et s'en disputent
la possession. Elles remettent leur querelle un arbitre. Il
dcide qu'il adjugera la trouvaille celle des trois femmes qui
aura su jouer le meilleur tour son mari.
Tel est le cadre immuable dans lequel se succdent, mobiles,
maints rcits emprunts au cycle des ruses fminines.
L'une des femmes enivre son mari, lui fait une tonsure,
l'affuble d'un froc, le porte au couvent, et le bonhomme, dgris,
se laisse persuader qu'il est entr dans les ordres (le moine) ;
cette autre lui fait croire qu'il est malade, moribond, trpass (le
1. Dans la Germania, t. XXI, p. 385, ss., et dans son livre Zur VoVts*
kunde, 1879, p. 124-141.
2. Novelle del Mambriano i del Cieco da Ferrara, Turin, 1888, p. 104-
119.
3. Romania, t. X.
266 "LESTABLIAUX
1 ,cetteitroisime^qu'ilest-revtu;de vtements'-miervil-
mort) ;
kuxy. invisibles:pour..lui seul^et le mari -se promne-par la-"ville,
fier et nu (le nu) ;
Ou bien, elle quitte lamaison pG-ur'quelques^hstahts;'un-'ven-
dredi,^ l'heure du repas, sous'.pr'texte'de "faire-:cuire-des' pois-
sons dirais chez 'une'voisine:; elle-disparat, et pendant' une
semaine:entir.e,mneijoyeuse;vieloin de-son'mari qui la cnerlie
en vain ; le vendredi suivant, l'heure du repas, elle se procure
d'autr.es'poisso'ns 'frais, :va, trouver: sa "voisine, lui 'demande la
permission de les faire1'cuire et les- apporte tout'-chads son
mari. Il la; questionne :-d;'o'vienfclle;?'Elle~pTtend q'hVest
sortie de,1a:;maison, quelques minutes - peine, juste le temps
d?apprt'er:les.poissons;:Son'mari en.doute ? maislespoissons ne
sontrispas tout frais ? et'Ta voisine--"ne-vient-elle pas'tmoigner
que l'innoeente:femme nlapass ohez-elleque quelques mstamV2?-
Bonhomme, tu as rv ! (les poissons).
Ou:'bien'.elle 'lui' persuadevpar une l'use subtile q'ffdit se
faire denfrer: (la: dent arrache) ';
Ou. encore, comme-son mari est sorti, elle'transforme sa
maison,' de concert avec .quelques :bons drles, 'en une auberge ;
une- enseigne::pend::;la-;porte, les-'buveurs sont ttabls,Te ' vin
estvers, -et quand-le,'mari:revientjal cherche'en vain sa maison',
d'o le- chassent des "taverniers improviss (l'auberge) ;
Ou- encore, elle lui joue le bon.'tour du fabliau du 'Prtre-eV de
'
la Dame {Trois Vun sur Vautre)- ; .
Ou-celui du.prestre-qui-abevete, bien connu' par le: Poirier
enchant de Boccace et de La Fontaine. 1Etc.,'-etc. h
Comme chaque'version de ce conte n'offre pas trois 1rcits 1dif-
frents, mais qu?au, contraire le 'mme rcit reparat dans' six- ver-
sions diffrentes ^(l'auberge)' voire- dans-onze: versions -'(fe'Titoine)
o.u:rnmedaffs'.treize,(/e mort) ; comme plusieurs versions ont en
commun deux rcits et parfois trois, il est constant que les
diverses,.formes, du conte- sont unies'par eertainesi,relatons de
dpendance, dont on a tent de dcouvrir la nature.
1. Chacune de ces nouvelles-vit aussi-sous-forme indpendante, en'dehors
du cadre des Trois dames l'anneau. J'indique l'appendice II un certain
nombre de parallles pour elles' qui--se'trouvent dans notre collection- de
fabliaux : le Prtre et la dame, le Vilain de Bailleul, le Preslre qui aie^.
vle.
RFLEXIONS:.SUR;LAV.MTHODE ,'267
,Si,l?on.peut dterminer ces apports; c'est Conditiondeu-u-
nir.le, plus? possible 'de matriaux.
0.r:Fhx Liebr.e'G"ht-.-'a,'recueillietvclass,treize'versions-demotre
conte ; M. Giuseppe Rua en a retrouv trois-de plus; et: geisuis
moi-mme'-assez.heureux (bonheur.'dont-jejfais-ipeu de cas;!)pour
a}Outer':siE,':autres-iormes auxf.colleBtionsde,:ces".savants: *
Soit 32. versions-aujourd'hui; connues, entre lesquellesserpar-
tissent, apparaissant et disparaissant tOur-": tour, M nouvelles
qui peuvent-servir un-classement.
..Ge-classementitaitile but;de mes savants-devanciers. J'ai-joint
mes -humbles ^efforts faux leurs.. A'-quels rsultats -,-avons-iro.us
abouti ?
Il ne sera pas long de les rrapporter.
versions (le mort-la dent arrache) n'en montrent pas moins par leur juxta-
position que Jacques de Yitry connaissait une forme des Trois dames l'an-
neau.
18 Les Comptes du monde advenlureux, p. p. Flix Frank, Paris, 1878,
n XL1 ; xvne sicle.
19 Le Sieur d'OuviUe, d. Ristelliuber, p. 146 ; - xvne sicle.
20 Verboquet le Gnreux(d. de 1630, rimpr. par Cb. Louandre, Con-
teurs p: du XVII* sicle, II, 31) ; xvnc sicle.
21 Conte cossais, collection Campbell, n 48. (Cf. R. Koehler, Orient
und Occident, II, 686) ; moderne.
22 Nouveaux contes rire ou rcrations franaises, Amsterdam, 1741,
t. II, p. 142 ; xvme sicle.
1. M. Rua a fait effort pour dmontrer que la nouvelle de Tirso
espagnole
aurait pu influer son tour sur la nouvelle sicilienne recueillie Cerda.
2. Tirso de Molina a, il est vrai, substitu un conte (le moine) un rcit
de son modle (la dent arrache). Sa version, dit M. Rua, est une imitation
gnrale . Soit ; mais une imitation. Quant aux tentatives de M. Rua pour
retrouver les sources du Mambriano, M. Rua sait bien qu'elles n'ont
abouti. pas
RFLEXIONS SUR LA METHODE 269
mais jusqu' quel point le sont-ils ? Car, si Tirso de Molina est
un digne mule de son contemporain Lope de Vega, quelle place
occupe Verboquet le Gnreux dans l'histoire du sicle de
Louis XIV ? S'il me plaisait de tourner en vers latins le rcit
de Verboquet, et en prose allemande la nouvelle de Molina, les
futurs historiens de notre conte auraient considrer 24 versions
et non plus 22. Mais quand ils auraient dcouvert la source
de mes vers latins et de ma prose allemande, qu'auraient-ils
ajout la science des traditions populaires ? Rien.
2 En second lieu, M. Rajna a montr que des contes popu-
laires siciliens pouvaient dpendre de la nouvelle littraire du
Mambriano. Ce rsultat est plus intressant : il montre que les
livres peuvent agir sur la tradition orale. Mais c'est un fait bien
connu, que nul n'a jamais song discuter. Si un paysan con-
nat la parabole de l'Enfant prodigue, c'est apparemment que
lui ou son voisin l'a lue dans l'vangile. Pourtant, soit : nous
avons ici un exemple de plus du mlange des courants litt-
raires et oraux dans la transmission des contes populaires. Il
est surabondant ? n'importe ! qu'il soit le bienvenu !
Voil donc les deux conqutes de mes devanciers. Mais, nos
22 versions une fois rduites 19, et en ngligeant les deux
nouvelles siciliennes, comment les autres formes se classent-
elles ?
Quelle est la forme originelle ? O, quand, par qui a-t-elle t
imagine ? Comment, dans quel ordre les autres versions en
ont-elles t drives ? Par quels intermdiaires ? Suivant quelles
lois le conte s'est-il propag de peuple peuple ?
Nous l'ignorons.
Ce sont ces questions pourtant que se posaient Liebrecht et
M. Rua, au dbut de leurs recherches. C'est pour y rpondre
qu'ils ont analys ces contes, amoncel ces variantes, dispos
ces tableaux synoptiques.
J'en ai tabli un mon tour, o j'ai tch de rapprocher les
versions qui se ressemblent le plus. Je l'ai mdit et retourn
en tous sens. Que signifie-t-il ?
Peut-on dcouvrir la forme premire du conte ? Il en est
est la mieux construite : celle o les trois rcits
une, qui
sont enchans les uns aux autres, o le mari, revtu de
270' LES FABLIAUX
1 2 ' '
3 l, 5 6 7 8 9 10 11, i3,I'I,i5,16,
12, 17,18,
19
Versions
conserves
r.rmoineLemort Lenu Les
Le poissons La
L'auberge Lachandelle
Trois L'arbreLamaladie Contesnesetrouvent
qui chacun
arrache
dent l'un
sur enchant
l'autre dans
que uneseuledes
version
1Altd. Lemoine
Erzhlungen (1)Lemort
(2) Lenu(3)
.2HansFolz Lemoine
(2)Lemort
(1) Lenu(3)
3 Conte
norvgien Lem'rt
(1) Lenu(2) '."
4 Conte
islandais Lemort
(2) Lenu(1)
5 Conte
cossais Lemort
(1) Lenu(2) L'homme qui.n'est
paslui-
mme (3)
6Conte
danois. Lemort
(2) Lenu(3) Lechiendegarde
(r)
dumonde
7Comptes Lemoine
adven- (1)Lemort
(3) Laconfession unfaux
tureux. , moine(2)
8 Verboquet Lemoine (1)Lemort
(3) Laconfession unfaux
moine(3)
anonyme . Lemoine
9 Fabliau (2) Les (1)
poissons Lemari quicde
safemme
(3)
10Fabliau
deIlaisel Lemoine (2) Les
poissons
(1) Lachandelle
(3)
Liedersaal
1,1 deLassberg Les (1)
poissons Lachandelle
(3)Lsaorcire
(2)
12D'Ouville ' Lemoine (3)Lemort (r) L'auberge
(s) ..'".-'
i3Tirso
deMolina Lemoine (3)Lemort (1) L'auberge
(2) .
daFerrara
i4Cieco Lemoine
etMaies- (3) (2)Ladent
L'auberge (1.)
pini
i5Jacques
deVilry Lemort (1) Ladent
(2)
16Conte
dePaenne Lemoine (3) (2)Ladent
L'auberge (1) .
deCerda Lemoine
17Conte +le (2)Ladent
L'auberge (1) (Les dans
lesillon
' poissons (1)
'. mort
(3) .... _ femme
^La qu'on (2)
porte
iSConte
russe Lemort (3)
'
19Selle
Savi -' L'auberge
(3) Trois
l'un (2)Lamaladie
surL'arbre (1
l'autre
(1) [bis)
20Conte
deBorghetto
... . l'un
Trois, (1)Lamaladie
surL'arbre (2)
l'autre
(3) '
21Conte
deLaFontaine ',,Larbre
, , . ' ficelle
(La (3)
(2 ; . dOrlans
,,,
" /La
bourgeoise(1)
22Nouveaux
contes
rire. Trois
l'un
surL'arbre
(1) Lac handelle
(0)
l'autre
(2)
j
REFLEXIONS:SUR: LA.,.MTHODE 2H'A
neur.. que. vous poursuivez ? loi%; avouez-le courageusement,
et.n'appelez pas,, science, vos^-amuset-tes;, Maisnonpvons
recherchez, les, modes,, de. la.propagation, des, contes) et vous
prtendez dterminer, par mthode: comparativ.ei. lesdois'de
la migration et de la transformation,-de, chacun.d'eux.: Alors,
reconnaissez que votre mthode est impuissante. Ou bien,
vous rsignerez-VOSJ penser comme Faust, aprs son entretien
avec Wagner : Et dire que jamais l'esprance ne dlaisse le
cerveau qui s'attache, a de si misrables bagatelles ! D'une main
avide l'homme.fouille le. sol,,esprant, y. dcouvrir,,des trsors,
et le voil satisfait s'il vient trouver quelque- ver de terre :
Glcklich wena er. .Rg&nwrmer findet 1
Pourquoi,' en vrit, des rudits de haute valeur, .MM. Lieb-
recht et Rua, ont-ils .accord tant,, de,, sollicitude, ; cerconte; ?
Pourquoi l'admirable auteur des Origines de l'pope franaise,
M. Pio Rajna, a-t-il daign, s'en occuper, sSls devaient,,.les
unes et les autres, y perdre leur temps ?Le.mien.apeu,d,e valeur,
certes ; je le regretterais, pourtant,, si : je ;n'avais,,confiance, de
l'avoir employ, moi chtif,. mieux que ces savants, car,, ayant
appliqu leurs mthodes, j'ai le courage de conclure qu'elles sont
striles.-
-La.-jour mme,o .ce; conte.; itiroirs-' ou-nn autre quelconque,
a, t. invent^ comprenant trois, rcits -a, &,'c, ce conte, pourvu
qu'il,,ait t,racont'une:seule fois, apuprendre^ dans la bouche
du second, narrateur, Runes des iformesosuivantes :
272 LES FABLIAUX
le contemporain
Supposons que le conte ait t invent par
de Rhamss II, que nous imaginions plus haut, et qu'il l'ait
cont deux de ses amis de Memphis, on peut tablir, comme
aussi vraisemblable et aussi indmontrable que toute autre, la
filiation plaisante que voici :
IV
1. Rotez, en passant, que cette chelle est prcisment celle qui exprime
le rapport plus ou moins intime des littratures populaires aux littratures
savantes. L o elles se confondent, c'est dans l'emploi des proverbes ; elles'
-se confondent aussi dans l'usage de la nouvelle, du.conte universel, qui'peut:
tre la fois admis par un paysan et par Boccace. L o la diffrence conv-
mence se faire sentir, c'est quand il s'agit de notions scientifiques. Pour-
tant, combien de superstitions mdicales chacun de nous, mme le plus
cultiv, ne conserve-t-il pas ?
RFLEXIONS SUR LA MTHODE 283
mais non ce mme proverbe sous cette forme : Tel matre,
tel serviteur. On pourra dterminer, sans procds comparatifs
la seule inspection d'une forme quelconque, que tel proverbe
est arabe, tel autre indien ; mais le proverbe Qui trop embrasse
mal treint , ou celui-ci : Pierre qui roule n'amass pas
mousse ne sont, au point de vue de l'origine et des migrations,
susceptibles d'aucune tude scientifique *.
De mme, pour les devinettes. On ne pourra jamais dcouvrir
d'autre date pour la naissance d'une devinette que celle o a t
invent l'objet qui est le mot de l'nigme. La devinette sur le
filet poissons que M. G. Paris tudie en sa prface au recueil
de M. Rolland, peut avoir t imagine en un lieu quelconque, le
jour mme, o les mailles du premier filet ont t faonnes. Il
peut tre intressant (bien que d'un intrt infiniment restreint)
d'numrer les diffrents pays o l'on compare le battant de la
cloche un enfant qui frappe sa mre, pour distinguer les
variantes minuscules dont cette ide est susceptible. Mais, si l'on
se propose par ces rapprochements de dcouvrir o est ne cette
comparaison et par quelles voies elle s'est propage, on peut
collectionner pendant des sicles.
Pour les fabliaux, quelques-uns le plus petit nombre,
la seule inspection de leurs traits organiques et. sans aucun
procd comparatif, sont localisables, d'une manire plus ou
moins vague :
1 Quelques-uns ne peuvent appartenir qu'au moyen ge
franais :
a) comme fonds sur un jeu de mots franais (Le Vilain au
buffet, Les deux Anglais et Panel, La maie Honte, La Vieille qui
oint la palme au chevalier 2).
tude littraire
CHAPITRE IX
. Gesammla-Mnleuer,I, p. CXXV;
2. Gesam.mlabenleuer,I, XIII, Vrouwen triuwe. Le conte publi dans le
Liedersal de Lassberg, p. 117, ne diirc de celui des Gesammtahenleuer
que par des variantes de forme.
LE CHEVALIER AU CHAINSE 295
une la messe, belle entre toutes. Il la montre au bourgeois,
dont c'est prcisment la femme. Le prudhomme est si confiant
en elle qu'il offre pourtant l'hospitalit au chevalier. Mais lui,
follement pris, refuse et poursuit de ses vaines obsessions la
fidle pouse.
Rebut, il imagine de faire crier par la ville qu'il combattra,
revtu d'une simple chemise de soie, quiconque se prsentera
contre lui, arm de pied en cap. Il est frapp d'un coup de lance,
dont le fer lui demeure dans le corps. Il veut le garder dans sa
blessure : celle-l seule l'en arrachera, pour qui il a voulu tre
bless. Bien des femmes se prsentent, qu'il repousse ; seule, la
bien-aime ne vient pas.
C'est le mari lui-mme qui, sachant le secret du bless, force
sa femme le visiter. Elle s'y rend avec sa chambrire, et retire
le fer. A peine la blessure du chevalier s'est-elle referme,
qu'il ose s'introduire nuitamment dans la chambre des poux. La
dame se lve pour l'conduire ; mais il la serre si fort entre ses
bras que sa blessure se rouvre et qu'il tombe mort.. On
reconnat en cette scne le conte de Girolamo et Salvestra, du
Dcamron x, suprieurement imit par Alfred de Musset. La
femme a-la force de rapporter le cadavre du chevalier jusqu'en sa
chambre ; le lendemain, avec la permission de son mari, elle se
rend l'glise o on ensevelit le mort :
Celui dont un baiser et conserv la vie,
Le voulant voir encore, elle s'en lut...
Ce coeur, si chaste et si svre
Quand la fortune tait prospre,
Tout coup s'ouvrit au malheur.
A. peine dans l'glise entre,
De compassion et d'horreur
Elle se sentit pntre,
Et son amour s'veilla tout entier.
Le front baiss, de son manteau voile,
Traversant la triste assemble,
Jusqu' la bire il lui fallut aller.
Et l, sous le drap mortuaire
Si tt qu'elle vit son ami,
Dfaillante et poussant un cri,
Comme une soeur embrasse un frre,
Sur le cercueil elle tomba a...
1. Jemrne IV, nouv. 8. Voyez M. Landau, Quellendes Dekameron,p. 161.
2. Posies nouvelles, Sylvia.
296 LES FABLIAUX
1. Elle est reproduite dans un autre fabliau qui n'est qu'une variante de
la' Bourgeoise 'Orlans i De la dame.qui fisl battre son mari, MK, IV, 100.
2. Raynouard, Choix de posies-des troubadours, t. III, p.. 398.
30.0 LES FARLIAUX
dElonore d'Aquitaine 1. Ce public courtois et les gots plus
relevs de Ramon Vidal lui imposent d'ennoblir le fabliau;
.L'amant ne sera donc plus un clerc trop gras, mais le plus
preux des chevaliers d'Aragon, Bascol de Cotanda. Le mari
ne sera plus un bourgeois dbonnaire, mais le suzerain de
Bascol, n'Amfol de Barbastre. Sa femme, n'Alvira, deviendra
une pouse fidle et chaste. Le pote suppose que la dame est
reste pure, et qu'elle ne succombe que par dpit d'avoir t
injustement souponne 2. C'est la lgitime punition d'un jaloux :
c'est, le Castia gilos.
Notre conte gras devait subir, sur le sol d'Angleterre, un
ennoblissement plus raffin et plus trange encore.
Un conteur lgant 3 s'empare du fabliau de la Bourgeoise
d'Orlans : nous voici dans un monde non seulement cheva-
leresque, mais parfaitement moral. Le mari est sympathique,
l'amant est sympathique, la femme l'est encore plus. Le galant
est un fils de chevalier, que des revers de fortune et de famille
ont engag dans les ordres, et dont tous font l'loge, les riches
et surtout les pauvres. La nice pauvre n'est plus cette donzelle
qui, tout l'heure, vendait sa bienfaitrice pour un cotele ; ici,
elle ne la trahit plus que par jalousie d'amour. Le mari et sa
femme forment un couple charmant ; c'est un. modle de bon
mnage, attendrissant ; chaque jour, la dame va au motier et
reoit trois pauvres sa table ; quand, son mari est aux tournois,
elle reste prier pour lui :
Souvent haunta il les esturs,
Chevals cunquist, armes gaina,
Et la dame pour li pria...
Son amour nat l'glise, .o elle s'est rencontre souvent
avec le clerc en de communes dvotions. Pour qu'elle con-
sente visiter le clerc une seule fois, il faut qu'il soit tomb
malade d'amour, en prir : c'est pour viter un homicide
CHAPITRE X
1. V. 952.
L'ESPRIT DES FABLIAUX 307
digne fils d'une telle mre, Sansonnet, nous apparat son
tour, les mains belles et fines,. lac dans sa ceinture longues
franges , respirant une grce malsaine de mignon. Le pote
nous dit comment il a t lev. Les enfances de ce San-
sonnet, dont un bourgeois, un chevalier, un prtre et quelques
autres s'enorgueillissent paternellement, sont dignes de chacun
de ses nombreux pres putatifs : il fait, honneur au prtre
par
sa parfaite connaissance de son psautier, de la grammaire, par
son art chanter les conduiz et les sozhanz ; il a tant
appris par son cler sens qu'il est bon dialecticien ; il est
bien aussi le fils du chevalier, si lgamment il sait s'afichier
sur ses triers, composer des sonnets, des serventois et des
rotruenges, jouer de la citole et-de la harpe, dire des lais bre-
tons ; il est le fils du bourgeois encore, car il sait compter
mieux que personne et des vilains aussi, car il sait tricher
aux ds et boire d'autant. Voici que dj il possde les sept arts,
et quelques autres encore ; la science de vivre, c'est--dire la
science d'aimer bon profit, il croit l'avoir- apprise dans ses
livres et allgue les bons auteurs ,
...Que mot en cuide
Sansonnez savoir par Ovide.
Mais sa mre, maistresse de lecherie, lui donnera le trsor
plus prcieux de son exprience. Dans les nobles chansons de
geste, quand.un chevalier nouvellement adoub quitte le chteau
paternel et s'en va chercher les aventures par le vaste monde,
il est d'usage que sa mre lui dicte ses nouveaux devoirs, l'en-
doctrine avant le dernier adieu et le chastie. De mme Richeut
ne laissera point partir son fils sans lui enseigner sa morale
spciale : il doit toujours parler courtoisement, agir froce-
ment, toujours promettre aux femmes et leur devoir toujours .
Et le voil parti pour les pays, levant sur les femmes qu'il
affole impts et tonlieux , courtois dans les demeures
seigneuriales, ivrogne et batailleur dans les tavernes, moine
blanc Clairvaux, d'o il emporte les croix et les calices d'or,
prtre et chapelain Wincester d'o il enlve une abbesse qu'il
abandonne et qui devient jongleresse ; c'est lui qui 'porte les
messages des amants, qui fait dolentes les pouses et les jeunes
alls ; et s'il les met mal, peu lui chaut, mais qu'il gagne 1
308 LES FABLIAUX
1. Il s'en faut pourtant que Richeut ressemble de tout point aux pomes
postrieurs. Il en diffre par la nature du sujet trait, ep ce qu'il n'est pas
un conte traditionnel. L'intrigue n'y est rien ; les caractres y sont tout.
Aucune des duperies qu'imagine notre vilain couple n'est un de ces bons
tours particulirement ingnieux qui font rire par eux-mmes : rduites la
seule intrigue, les aventures de Richeut n'intresseraient personne. Aussi le
fabliau de Richeut ne se retrouve-t-il dans aucune littrature et nous n'avons
prsenter son sujet nulle remarque comparative : c'est moins un conte
qu'un tableau de moeurs. Or, pour mentionner une dernire fois la thorie
orientaliste, on sait que, selon elle, c'est l'invasion exotique des contes
orientaux qui aurait enseign nos trouvres, confins jusqu'alors dans le
monde lgendaire des hros d'pope, l'art de peindre aussi les moeurs quoti-
diennes, les.petites gens, la vie du carrefour et de la rue. Les contes indiens,
dit M. G. Paris (Les contes orientaux dans la littrature fr. du m. ., 1875),
ns de l'observation directe et ingnieuse des hommes dans toutes les condi-
tion sociales, retracent navement leur vie et leurs moeurs avec la simplicit
et l'absence d'affectation qui caractrise l'Orient. Les aventures et les senti-
ments d'un jardinier, d'un tailleur, d'un mendiant y sont exposs avec com-
plaisance et dcrits avec dtail. Les Occidentaux, quand ils reurent d'Orient
cette matire nouvelle de narrations, ne connaissaient que l'pope nationale
et le roman chevaleresque. La "posie ne s'adressait qu'aux hautes classes,
les peignait seules, et se mouvait ainsi, dans un cercle trs restreint de sen-
timents souvent conventionnels. En s'efforant d'approprier les contes orien-
taux aux moeurs europennes, les potes apprirent peu peu observer ces
moeurs pour elles-mmes et les retracer avec fidlit. Ils apprirent faire
tenir- dans le cadre de la vie relle et bourgeoise de leur temps les incidents
qu'ils avaient raconter, et en s'y appliquant ils acquirent l'art de comprendre
et d'exprimer les sentiments, les allures, le langage de la socit o ils
vivaient. Ainsi se forma peu peu cette littrature des fabliaux, qui, par une
singulire destine, a fini par tre le plus vritablement populaire de nos
anciens genres potiques, bien qu'elle ait sa cause et ses racines l'extrme
Orient. Richeut nous parat apporter un argument minuscule, significatif,
pourtant, contre cette thse. Voici que le plus ancien pome conserv qui
soit exclusivement consacr peindre les moeurs des gens du commun n'a
d'autre intrt que cette peinture mme ; celui de l'intrigue y est nul. Il
semble donc que l'volution du genre ait t celle-ci : d'abord le
got do
L'INTENTION BES CONTEURS DE FABLIAUX 309
s'amuse de ses personnages et ne leur en veut point ; qu'il est
tout joyeux de voir Richeut s'asservir un prtre, un vieux che-
valier, un bourgeois et la fille de joie rgner souverainement
sur les trois ordres, clerg, noblesse, bourgeoisie, sans comp-
ter les vilains et les pautonniers ; on sent qu'il met une gaiet
pique, une sorte d'allgresse chanter l'odysse de Sanson-
net qui, poursuivant, comme un hros de la Table Ronde, ses
entreprises et ses qutes, court triomphant travers le monde,
par l'Allemagne et la Lombardie, et de Bretagne en Irlande, et
de la Sicile Toulouse, et de Clair-vaux Saint-Gilles,
Et de ci qu'en Inde la grande
A il est !
Ces caractres, les retrouverons-nous aussi dans les fabliaux
postrieurs ? Commenons notre revue.
1. Les trois Chanoinesses, MR, III, 72, fin ; comparez MR, VI, 142 : De
trois prestres, voire de quatre Nous dit Haiseaus, por nous esbatre...
2. La Vieille qui oint la palme au chevalier, MR, V, 129.
3. Le Prestre au lardier, MR, II, 32 : Moz sans vilonie Vous vueil
recorder Afin qu'on s'en rie... -
4. MR, IV, 107.
5. Les Trois aveugles, MR, I, 4.
6. Du chevalierqui fil parler les muets, MR, VI, 14-7.
7. Le Vilain au buffet, MR, III, 80.
FABLIAUX SIMPLISTES 31.1
...Car qui bien i voudroit entendre,
Maint bon essample i porroit prendre *.
Il n'y a pas, en effet, de bourde ni d trufe si indiffrente
qu'on n'en puisse tirer quelque leon ; coutons les fabliaux,
pour rire d'abord, au besoin.pour en profiter :
Vos qui fableaus vols or...,
Volentiers les devs aprendre,
Les plusors por essample prendre,
Et les plusors por les rises
Qui de maintes genz sont ames 2.
Mais l'intention morale n'est jamais qu'accessoire. Elle ne
vient que par surcrot, et les potes y tiennent bien moins encore
que ne fait La Fontaine, dans ses fables. Pour s'instruire, n'ont-
ils pas les dits moraux, qu'ils distinguent trs soigneusement
des fabliaux 3 ? Ici, leurs vises morales sont trs humbles : fils
n'ont aucune ambition rformatrice. Le principal, c'est de rire.
Les fabliaux ne sont que rise et gabet .
Mais,les sources du rire sont trangement diverses, selon les
hommes. De quoi riait-on au xiiie sicle ?
III
FABLIAUX SIMPLISTES
IV
1. MR, V, 117.
2. MR, III, 81.
3. V. aussi Sainte-Beuve, L'esprit de malice au bon vieux temps et un
excellent article de M. Ch.-V, Langlois dans la Revue bleue (1892).
318 LES FABLIAUX
Tels sont les premiers signes que montrent les fabliaux. Ajou-
tons peu peu les traits plus spciaux, plus caractristiques du
xme sicle, qui se superposeront ceux-l, sans les contredire.
VI
FABLIAUXOBSCNES
VII .
Ils le peignent tel qu'il est, sans sympathie, mais sans haine,
tout comme les autres personnages de leur comdie humaine.
Un chevalier tournoyeur arrive dans un village et demande
Les choses tant ainsi, n'est-il pas curieux que, dans les
fabliaux, les vilains soient peine plus maltraits que les cheva-
liers ?
Allons plus loin : si quelques trs, rares fabliaux peuvent
rellement prtendre tre des satires sociales, si quelques-uns
nous montrent trs vaguement l'antagonisme des classes,
n'est-il pas remarquable que le jongleur y prenne prcisment
parti, pour qui ? pour le fort contre le faible, comme le veut
l'opinion courante que nous discutons ici ? non ; pour le serf
contre le matre.
Je cite peine Connebert \ le Vilain au buffet 3. Mais qu'on
veuille bien se rappeler Constant du Hamel 4. Trois tyranneaux
-de village, le'prvt, le forestier du seigneur, le prtre, con-
voitent la femme du vilain Constant du Hamel. Ysabeau est sage,
avenante, courtoise : elle leur rsiste. Tous trois complotent,
aprs boire, de la rduire par besoin, poverte et faim ,
d' amaigroier la rebelle et son mari :
Pelez de l, et je de !
Ainsi doit on servir vilaine !
Le prtre accuse au prne Constant d'avoir pous sa com-
mre 6. Il le chasse de l'glise et le ranonne sept livres. Le
prvt l'accuse d'avoir fractur la grange du seigneur pour voler
son froment ; il le met aux ceps, et le ranonne vingt livres.
Le forestier l'accuse d'avoir coup les chnes et les htres du
seigneur ; il emmne ses boeufs, et le ranonne cent, sous de
1. Dans un article sur les Fabliaux, Revue des Deux Mondes du 1er sep-
tembre 1893, p. 194.
334 LES FABLIAUX
Ils savent que dame Avine vit au presbytre avec toute une
mesnie d'enfants ; il n'est pas. jusqu' l'innocent prtre aux
mres que sa femme n'attende au logis'.
Cette vie familiale parat avoir t ostensible. Un prtre est
irrit contre sa prestresse : de quoi la menace-t-il ? Il lui fera
la honte, aux yeux de toutes ses ouailles, de la chasser, et il
veut que nul n'en ignore :
1. C'est le cas dans la Dame qui fist trois tours, III, 79 ; dans Celui qui
bouta la pierre, IV; 102, V, 132 ; dans le Pcheur de Pont-sur-Seine, III, 63,
dans la Sorisete, IV, 105, tous contes o le galant est l'arrire-plan, et o
il importait fort peu qu'il ft un prtre ou non.
2. Exceptions : Le Prestre qui abevete, III, 61, le Vilain de Bailleul IV,
109.
3. Le Prtre et le Chevalier, II, 34. Le boucher d'Abbeville, III, 84..
4. Le Prtre et le Chevalier, MR, II, 34, passim.
5. Ibidem.
6. Le Prestre qui eut mre a force, V, 125.
7. MR, IV, 92.
' LA SATIRE DES PRETRES ET DES MOINES 337
Ds ore vueil quel sachent tuit,
Trestuit li voisin del visnage 1...
Un seul se cache demi : pour ne pas tre
souponn,
s por coverture de la gent , il a fait de sa prtresse sa com-
mre 2 ; on sait que le fait d'avoir t compre et commre au
Ibaptme d'un enfant constituait un lien si puissant qu'il car-
tait toute ide de mariage ou de vie commune. Les vques
ne paraissent pas poursuivre trs svrement ces libres unions 3.
Certes, il faut se mfier de l'autorit historique des jon-
gleurs : ils sont des moralistes suspects, de pitres censeurs
des moeurs. Mais comme, outre des textes potiques sans
nombre 4, les actes des synodes et des conciles confirment ici
les dires des fabliaux, il nous faut bien admettre, dans le clerg
du xnie sicle, une survivance plus ou moins gnrale des
-anciennes tolrances ; un tat moral analogue celui que con-
naissent, encore aujourd'hui, certains diocses de l'Amrique
du Sud. L'opinion publique acceptait ces scandales, mais les
voyait avec une dfaveur croissante.
liane sacerdolum. Voyez encore les Carmvna burana, passim ; par exemple,
LXIV, p. 36 :
Ta, Sacerdos,faneresponde
'mamissrcnfc
-Oijjus immunde,
Qui,.frquenter .et.joeunde
Gainusoredormis,unde
"Surgens mane-miEsam dicis,
Corpus C nrst
benedicis,
Scirevelimcausamquare,etc.
"Voyez-aussila discussion entre un clerc erramt {.logicus)et un prtre [La-
tin poems,"p. 251, -v. 167) :
Et, praett iiniuineris quaefrquentas
malis,
Est tibi presbyteraplusertalis.
Dans le Songe d'Enfer de Kaoul d-e Houden, on sert la table de^
-dmons:
Bediausbestesbiencuisen paste,
Paplarsa l'ypocrisie,
Noirsmoinesa la tanoisie,
"Vieilles
pvestreesesau cive...
(d.Soheer,
T. 593).
1. Aloul, I, 24.
2. Constant du Hamel, IV- ll0.
3. Le Prtre au lardier, II, ,32.
LA SATIRE DES PRTRES ET OES MOINES 339
Un autre prtre est jet dans un pige loups 1 ; un autre
dans une cuve pleine de teinture, o il se plonge tout entier
corr s et tte, ; quand il en sort,
Il est plus teint et plus vermeil
Qu'au matinet n'est le soleil 2.
Trois prtres ont t attirs dans un guet-apens. Surpris, ils
se cachent dans un four : le mari fait choir la clef de vote, les
crase, fait jeter les cadavres dans une marnire 3. Dans un
autre fabliau, il les assomme tous trois coups de massue et le
pote recommence par trois fois, avec une minutie joyeuse, la
description des coups qu'il donne chacun, si bien que h sans
et la cervelle en vole 4 . Un moine a t tu dans une
quipe nocturne : le conteur dveloppe avec dlices la lugubre
odysse de son cadavre, qu'il promne toute la nuit, tantt jus-
qu' un tas de fumier, tantt au fond du sac d'un voleur, ou
sur le ht de l'abb, pour le hisser finalement sur un poulain,
l'cu au bras, le heaume en tte... Ce fabliau macabre, cinq
jongleurs l'ont remani en cinq, pomes distincts., dont le plus
court a 445 vers, et le plus long 1.164 : et si nous comptons les
vers de ces cinq fabliaux, nous arrivons. au total norme de
1.144 vers 5. Voici enfin Connebert*, le plus violent de
ces contes. Un forgeron outrag a clou un prtre son
-enclume. Gomme il rsiste, il lui dit :
En charit, dans prestres fous,
Se VOAIS i faites cri ne noise,
Je n'i querrai baston ne boise,
Que je orendroit ne vous fire,
Por la cervele desconfire,
De cest martel ou de mes mains !...
CHAPITRE XI
Si tel est l'esprit des fabliaux, les jongleurs ont-ils su lui trou-
ver son expression accomplie ? Les fabliaux ont-ils souffert,
comme tant de genres littraires du moyen ge, comme les
chansons de geste, comme les mystres, de cette trop frquente
impuissance verbale des crivains, qui met une si triste dispro-
portion entre l'image conue par le pote et-sa notation, entre
l'ide et le mot ? Gomme oeuvres d'art, que valent les fabliaux ?
1, MR, V, 129.
842 LES FABLIAUX
De l une potique trs rudimentaire, dont voici la rgle essfen- .
tielle et presque unique, exprime en vers nafs :
.A cui que il soit lait ne bel,
Commencier vous vueil un fablel,
Por ce qu'il m'est cont et dit
Que li fablel cort et petit
Anuient mains que li trop Ionc\
S'amuser soi-mme, amuser le passant, conter non pour faire
valoir ses talents de pote, mais pour conter, tel est le but. tre
bref, plaire vite, tel est le moyen. De l dcoulent toutes les par-
ticularits de la versification et du style des fabliaux, dfauts et
qualits.
Le vers dont le choix s'imposait presque nos trouvres tait
l'octosyllabe rimant rimes plates, puisqu'il tait comme le
mtre oblig de tout genre narratif. triqu dans les rares po-
aimable,, mais trop facile dans les fluides
pes qui l'emploient,
narrations des romans de la Table Ronde, si prosaque dans les
Lapidaires, les Computs et les Bibles qu'il semble n'tre plus qu'un
instrument parfois excellent, dans les dia-
mnmotechnique,
logues familiers des mystres, mais le plus souvent indigne de. la
majest des scnes sacres, ce mtre devait convenir excel-
lemment nos contes rapides. Aucun n'est plus facile, ni plus
lger, ni ne donne moins de frais l'apparence de ces qualits.
Nos conteurs l'ont mani ngligemment,. sans grand souci
d'en faire valoir toutes les ressources. Bien des fabliaux sont
peine rimes : Enguerand dans la Veuve, Gautier le Long dans
le Meunier d'Arleux, d'autres trouvres encore se contentent de
frquentes assonances. D'ailleurs, ils ne sont pas embarrasss' de
trouver des rimes exactes ; ils ont sous la main de si riches col-
lections de chevilles : ce est la voire, ee est la pure, ce est la
somme, se Dieu m'asi, se Dieus me consuut, se Dieu me gart,
se Dieus me voie... ! Il y a, dans les martyrologes et les Fies des
Pres, tant de saints, tant de saintes, dont les noms semblent
forms souhait pour fournir au pote embarrass toutes les
rimes dsires : par saint Orner, par saint Romacle, par saint
Herbert, par saint Honor, par saint Acheul, par sainte Elaine,
par saint Ladre d'Avalon, par saint Rmi, par saint Gile, parles
1. MR, V, 118.
2. MR, V,. 112.
344 LES FABLIAUX
et explique, disions-nous, les divers dfauts du style des fabliaux
et ses diverses qualits.
Et d'abord, ses dfauts. La matire de ces contes tant souvent
vilaine, l'esprit des fabliaux tant souvent la drision vulgaire et
plate, nos pomes se distinguent aussi, toutes les fois que le
requiert le sujet, par la vilenie, la vulgarit, la platitude du style.
Nul effort, comme chez les conteurs erotiques du xvin sicle,
pour farder, sous la coquetterie des mots, la brutalit foncire
des donnes. Mais, avec une entire bonne foi, la grossiret du
style suit la grossiret du conte. Il est pnible d'en rapporter
des exemples ; pourtant on ne saurait donner une juste ide du
style des fabliaux si l'on n'en marquait ici que les aimables qua-
lits. Voici donc, titre d'exemple malheureusement ncessaire,
un de ces pomes. Il est rest indit jusqu' ce jour ; que ce soit
notre excuse de publier ici cette pauvret 1.
1. Il est intitul dans leons. : De la femme qui cunqie sen baron. Il est
curieux que MM. A. de Montaiglon et G. Raynaud l'aient nglig, car il se
trouve la dernire page du ms. B. N., f. fi\, 12603, auquel ils ont emprunt
onze copies de fabbaux. Peut-tre l'ont-ils omis parce qu'il est ; la
incomplet
lecture en est parfois difficile, car l'humidit a dgrad cette feuille de
chemin. par-
V. 1. S'il uous siet. V. 3. Qu'il n'auint : 'n, enclise du mot en. Cf. Vie de
Si-Gilles, d.. G. Paris, v. 1676 : Certes, fo'n sui dsesprez.Mais le vers du ms.
est trop court. V. 14, quelle niuoit cose qil plaise. Peut-on conserver la
leon
LE STYLE DES FABLIAUX 345
20 Car li vilains n'i estoit mie ;
Si acolernt et baisierent.
25 Ensi sont dusqu'a eure basse,
Et celle a dit a sa.bajasse
Que trs bien garde se presist
Que ses sires ns souspresist.
Ne tarja gaires que nuis vint,
30 Et li vilains droit a l'uis vint
Si coiement que nus nel sot.
Lors se tint li valls pour sot
Quant le vilain o parler ;
Lors ne sot il quel part aler.
35 La dame est de li desevre,
Si s'est en un celier entre,
Qui mot prs de la cambre estoit.
Boins vins en toniaus.i avoit,
El celier quant la dame i vint.
40 D'un mot grant barat li souvint :
Tout maintenant par li s'espant
A terre bon vin cler et sain ;
Puis a mis la broche en se main,
45 Et son paucher dedens flchy :
Puis a a haute vois huchi :
Aidis ! Aidis ! Li vins s'en court !
A tant li vilains i acourt,
Qui demande que ce puet estre
50
Fait la dame, de vostre truie,
Que Dieus le maudie et destruie !
Par li avons eu damage !
Je ne vos tieng mie por sage,
55 Quant vous avs tel noureture :
Vous n'avs de vostre bien cure !
Mais j'i sui a boin point Venue,
S'ai fait que bien aperchue,
Car a Diu plot, soie merchi !
60 Vens avant, et bouts chi.
dit ms. ? V. 2!\ n'i est effac dans le ms. V. 22-24. Et sacbis quil sem-
rasierent [?] De faire entraus deus ensamble Chepor quoi hons a femme
asanle.
V. 25. La premire lettre du mot basseest seule lisible dans le ms. V. 26.
Baiesse. V, 36. Si sen est .1. celier. V. 38. II n'existe plus dans le ms.
que les deux premiers mots du vers : Boins vins. V. 40. On ne peut lire
dans le ms. que les deux premires lettres de so[uvinl\. V. 42. Le scribe
a pass un vers. On lit, entre les vers 39 et 40, celui-ci qui parat tre
une glose : por le vilain qil ne trouuasl. V. 50. Le scribe a omis un vers.
V. 51. Dix. V. 57, Mais ie i sui. V. 60. J'ai ajout [et].
346 LES FABLIAUX
Vostre paucher qai est plus gros,
Car de chi remuer ne m'os,
Et je querr.ai la bro.q.ue la
Ou je vi que la truie ala.
65 Lors vint avant li pasans,
L'un de ses pauchiers a mis ens,
Et cel en a le sien sachi.
Bien a le vilain ataclii
La dame, et a tout son plaisir
70 Puet elle bien avoir loissir
De son ami mettre a la voie.
Lors vint a li, si l'en envoie ;
Mais ains se sont eatrebaisi,
Car bien en furent aasi,
75 Etbienporrent, si eom moi samble,
Longement demeurer ensamble
Sans paour, qu'il n'ont, nulle garde,
Du pasant qui. son vin garde,
Qui est sains, clers et dlis.
80 Ne fust mie si bien loiis
Li vilains, s'il fust en aniaus 1
V., 79. et clers et.dlies. V. 81, ainiaus. V. 83. A partir d'ici, le ma.
dj difficile dchiffrer plus haut, devient presque illisible et je ne garantis
pas que j'aie bien lu ces vers : Ja mais par li niert li toniaus <Guerpis; se la
bTOce.ne uoit. El portais ou son.pauoh auoit Et suis...
1., Petit, de Jullevi-lle, La comdieet las moeursen France au. moyen y gBi
1886, p. 7.
LE STYLE DES FABLIAUX 347
mune ; et la langue pdantesque, prtentieuse, lourde et empha-
tique du xive sicle- ne devait plus les. avoir. Les trouvres et le
genre. profitrent de cette heureuse fortune d'tre venus en la
priode classique de la langue du moyen ge.
Ainsi et tel est bien le caractre essentiel des fabliaux
le pote ne songe qu' dire vitement et gaiement son conte,
sans prtention,, ni recherche, ni vanit littraire. De l ces
dfauts : ngligence de la versification, et du style, platitude,
grossiret. De l aussi des mrites, parfois charmants : l-
gante brivet, vrit, naturel.
La brivet est une qualit trop rare dans les oeuvres du
moyen ge pour que nous ne sachions pas gr nos conteurs
de l'avoir recherche. Il suffit de s'tre quelquefois perdu dans
les ehteaux enchants aux salles sans nombre des romans, de
Chrtien de Troyes ou dans l'inextricable fort o Obron gare.
Huon de Bordeaux, il suffit d'avoir subi les pripties sans fin
de la bataille des Aliscamps, pour estimer dans les fabliaux ces
narrations jamais bavardes. Certes, le pote est trop press
pour se soucier du pittoresque et son coloris reste ple. Ses
narrations sont trop nues, ses descriptions ecourte.es.Poui>-
tant il sait parfois s'arrter dans le verger fleuri o la jeune
Indienne du lai d'Aristote tresse en couronne des rameaux de
menthe. Ou bien, .dans la prairie ensoleille o l'hrone du
fabliau 'Aloul se promne, les pieds nus dans la rose, tandis
qu'au premier chant du. rossignol toute chose se meurt d'ai-
mer , il sait goter l'allgresse des matines printanires :
...Li douz mois fu d'avril,
Que li tens est souez et douz
Vers toute gent, etamourous :
Li rossignols la matine
Chante si cler par la ram
Que toute riens se muert d'amer ;
La dame s'est prise, a lever,
Qui longuement avoit veilli ;
Entre en est en son vergi,
Nuz piez en va par la rouse 1...
l. MR, I, 24.
348 LES FABLIAUX
naturel et la vrit. Prcisment parce qu'ils -s'effacent devant
le petit monde amusant des personnages qu'ils animent, pr-
cisment parce qu'ils ne s'attardent pas leur prter des sen-
timents" compliqus ni les faire se mouvoir dans un dcor
curieusement imagin, parce qu'ils les peignent tels qu'ils les
ont sous les yeux, ils nous donnent de trs vridiques pein-
tures de moeurs. Ils sont d'excellents historiographes de la vie
de chaque jour, soit qu'ils nous conduisent la grande.foire
de Troyes, o sont amonceles tant de richesses, hanaps d'or
et d'argent, toffes d'carlate et de soie, laines de Saint-Omer
et d Bruges, et vers laquelle chevauchent d'opulents bour-
geois, portant, comme des chevaliers, cu et lance, suivis d'un
long charroi 1 ; soit qu'ils nous dpeignent la petite ville haut
perche, endormie aux toiles, vers laquelle monte pnible-
ment un chevalier tournoieur 2, soit qu'ils nous montrent le
vilain, sa lourde bourse la ceinture, son long aiguillon la
ses deniers au retour du march aux boeufs 3
main, qui compte ;
soit qu'ils dcrivent tantt le presbytre, tantt quelque noble
fte o le seigneur, tenant table ouverte, se plat aux jeux des
mnestrels 4 :
Li quens manda les mnestrels,
Et si a fait crier entr'els
Qui la meillor truffe savroit
Dire ne fere, qu'il avroit
Sa robe d'escarlate nueve.
L'uns mnestrels a l'autre rueve
Fere son mestier, tel qu'il sot.
L'uns fet l'ivre, l'autre le sot :
Li uns chante, li autres note,
Et li autres dit la riote,
Et li autres la jenglerie ; .
Cil qui sevent de jouglerie
Vielent par devant le conte ;
Aucun i a qui fabliaus conte,
Ou il ot mainte gaberie,
Et li autres dit VErberie,
La ou il ot mainte rise.
Ces dons aimables de naturel et de
sincrit, les trouvres
1. MR, III, 67, la Bourse pleine de sens.
2. MR, II, 34, le Prtre et le Chevalier.
3. MR, V, 110, Boivin de Provins.
4. MR, III, 80, le Vilain au buffet
LE STYLE DES FABLIAUX 349
les portent dans leurs vifs dialogues \ dans la peinture des
personnages dont ils excellent saisir l'attitude, le geste. Voici
un mignon, qui muse la porte d'une bourgeoise, aux aguets,
assis sur une borne, les jambes croises :
Et en ses deus mains tornoioit
Uns blans ganz que il enformoit 2...
Voici une jeune veuve qui, aprs avoir pleur, non sans
sincrit, son mari, sent lever en elle un regain de coquetterie,
et cherche de nouvelles pousailles : comme un autour mu
Qui se va par l'air embatant,
Se va la dame dportant,
Mostrant son cors de rue en rue 3.
Voici encore une jeune femme son miroir. Chrubin entre,
qui porte un message de son matre. La dame est prcisment
occupe lier sa guimpe, ce qui tait l'une des oprations les
plus dlicates de la toilette fminine. Alors, par un joli mouve-
ment de coquetterie, elle tend son miroir au petit cuyer :
Biau sire, dit ele, a vien,
Pren cest mireor, si me tien
a devant.moi, que je le voie,
Qu'affuble bellement soie.
Cil le prent, si s'agenoilla :
Ble la vit, si Pesgarda
Que, plus l'esgarde, plus s'esprist ;
La biaut de li le sorprist
Que plus prs de li s'aproucha ;
La dame prist, si l'enbraa :
Fui, fol, dit ele, fui de ci !
Es-tu desvez ? Dame, merci !
Soufrez un poi ! Oz du musart 4!
Que plus li desfent et plus art
1. MR, III, 73, les Trois dames de Paris. Cette beuverie finit par dg-
nrer en une rpugnante scne d'ivrognerie. Ceton est rare dans les fabliaux.
On se rappelle, regarder cette lourde kermesse, que l'auteur,
de Couvin, est un Flamand. Watriquet
LE STYLE n.ES FABLIAUX : AUBEREE 353
Et la grant richece qu'il, a,
Et jure que mult s'avilla
De ce que onques crut son pre...
Mult soloit estre gens et beaus
Qui ore a le vis taint et pale.
A tout prix, il faut qu'il la voie, qu'il lui parle. Une vieille
complaisante, Aubere, couturire de son tat,
Qui de maint barat mult savoit,
CHAPITRE XII
Que l'esprit des fabliaux reprsente l'une des faces les plus signiflcatives-
de Pesprit mme du moyen ge.
I. Littrature apparente aux fabliaux.
II, Littrature en contraste avec les fabliaux.
III. Deux- tendances contradictoires se disputent la posie du xnie sicle ::
Gomment, concilier ces contraires ?
I
t
La moiti des oeuvres du xme sicle supposent le mme tat
d'esprit gnral que les fabliaux, les mmes sources d'amuse-
ment et de dlectation.
Par exemple, le mpris brutal des femmes est-il le' propre de
nos conteurs joyeux ? Est-ce pour les besoins de leurs contes
gras, pour se conformer leurs lestes donnes, qu'ils ont t
forcs de peindre, sans y entendre malice,, leurs vicieuses
hrones ? Non ; mais, bien plutt, s'ils ont extrait ces' contes
gras, et non d'autres, de la vaste mine des histoires populaires,
c'est qu'ils y voyaient d'excellentes illustrations leurs inju-
rieuses thories, qui prexistaient. Le mpris des femmes est la
cause, non l'effet. Cet article de foi : les femmes- sont des-cra-
tures infrieures, dgrades, vicieuses, voil la semence,
le ferment des fabliaux.
Ce dogme inspire et anime en effet, auprs des fabliaux, des
centaines de petites pices : le Blastenge des femmes 1, le Dit
II
1. MR, I, 35.
.2. MR, VI, 151.
3. MR, I, 3, v. 29. Ajoutons-en d'autres encore : les uns [Le Manteau mal
taill, III, 55, Vpervier,V, 115) sont encore, par leurs donnes, des contes
rire, mais traits avec le souci de la biensance, de la dlicatesse, le senti-
ment de ce que la forme ajoute la matire.- D'autres [L Pleine bourse de-
sens, III, 67, La Hous partie,!, 5 ; II, 30) rvlent mme certaines proc-
cupations morales. Ajoutons enfin les fabliaux fort honntes, mais un peu
niais, de la Folle Largesse (VI, 146), du Prudhomme qui rescoll son ' compre
de noier (I, 27). .... r
POEMES QUI FONT CONTRASTEAVEC LES FABLIAUX 365
puisque les hommes du moyen ge, aussi empchs que nous de
fixer aux genres des limites prcises, les appelaient des fabliaux.
Ils sont mi-route entre les fabliaux et les lais bretons, entre le
dit dAri-stote et Lanval. Ils sont comme trangers dans notre
collection, mais non dans la littrature du moyen ge. Eux aussi,
ils trouvent, dans la posie contemporaine, de nombreux simi-
laires.
Retournons, en effet, la mdaille. Exprimons d'un mot le con-
traste : d'un ct, les fabliaux et Renart ; de l'autre, la Table
Ronde.
Voici que s'opposent soudain la gauloiserie, la prciosit :
la drision, le rve ; la vilenie, la courtoisie ; au mpris nar-
quois des femmes, le culte de la dame et l'exaltation mystique
des compagnons d'Arthur ; aux railleries antimonacales, la puret
des lgendes pieuses ; Audigier, Girard de Vienne ; Nicolette,
Yseut ; Aubere, Guenivre ; Mabile et Alison Fenice,
nide ; Bivin de Provins et Chariot le Juif, Lancelot et
Gauvain ; l'observation railleuse de la vie commune et fami-
lire, l'envole perte d'haleine vers le pays de Ferie.
Jamais, plus que dans les fabliaux et dans la posie apparen-
te du xme sicle, on n'a rim de vilenies, et jamais, plus qu'en
ce mme xnr 9 sicle, on n'a accord de prix aux vertus de salon,
l'art de penser et de parler courtoisement. Qu'on se rappelle le
Lai de VOmbre, le Lai du Conseil, les Enseignements aux dames
de Robert de Blois.
Jamais, plus que dans les fabliaux, on n'a trait familirement
le Dieu des bonnes gens, ni ironiquement son Eglise ; et jamais
pourtant foi plus ardente n'a fait germer de plus pures, de plus
compatissantes lgendes de repentir et de misricorde. Qu'on
pense l'exquise collection des Miracles de Notre Dame de
Gautier de Coincy, le saint Franois de Sales du xme sicle.
Jamais, plus que dans les fabliaux, les hommes n'ont paru
concevoir un idal de vie rassis et commun, et jamais, plus que
dans les chansons de geste contemporaines, dans les pomes
sur la chevalerie, dans les romans d'aventure, on n'a
didactiques
imagin un idal hroque.
Jamais, plus que dans les fabliaux, on ne s'est rassasi d'une
vision raliste du monde extrieur, et jamais, plus que dans les
'
366 T'ES FABtIAUX A
CHAPITRE XIII
I. Les fabliaux naissent dans la classe bourgeoise, pour elle et par elle.
IL Pourtant, indistinction et confusion des publics : les cercles les plus
aristocratiques d'o les femmes ne sont point exclues se
plaisent aux plus grossiers fabliaux.
III. Cette confusion des publics correspond une confusion des genres :
l'esprit des fabliaux contamine les genres les plus nobles.
c'est--dire :
Au demeurant, le meilleur fils du monde.
N'est-ce pas l'esprit marotique ? n'est-ce pas l'esprit ds
fabliaux ?
Dans Aiol, pendant trois cents vers, le noble hros est pour-
suivi, son entre dans Orlans, par des troupes de lcheors, de
Il s'crie en la quittant :
Encor me semble.il que je voie
Que H ajrs arde et reflamboie
De vos festes et de vo gieu !
II
Nous savons, que l'art de dire des contes tait fort apprci
chez les grands seigneurs. C'est par ce talent que Gautier d'Au-
pais, qui sert comme guetteur et sonneur de trompe aux cr-
neaux d'un donjon, parvient se rapprocher de la fille du chte-
1. Seignor,oiezun nouveauconte.
(in, 05.)
Seignor,volezque]e vos die?...
(ni, 78.)
Seignor,se vosvolezatendre
Et un seulpetitet entendre...
a. 2-)
Cf. III, 84, v. 578 ; V, 135, etc., etc.
2. MR, IV, 97.
3. MR, VI, 140.
4. MR, III, 72. correcte.
5. MR, V, 135, v. 5. J'adopte la leon de R, qui est la seule
6. MR, 1.4.
7. MR, IIJ, 'C. v. 146.
378 XES FABLIAUX
lain, qu'il aime. Ailleurs,, le vieux comte de Ponthieu est pr-
sent au-soudan d'Aumarie comme bon joueur d'checs et bon
diseur de contes \ Gautier d'Aupais, dira-t^on, et le comte de
Ponthieu ne disaient, l'un sa noble amante, l'autre au soudan,
volontiers.
que des rcits lgants et moraux. Nous le croyons
Voici pourtant des seigneurs un peu moins dlicats ; nous
sommes en bonne compagnie, :
Chez un baron
Qui mot estoit de grant renom, ,
III
D'ailleurs, s'il est vrai de dire que les fabliaux sont l'oeuvre de
l'esprit bourgeois, les textes ne nous montrent pas qu'ils fussent
considrs comme un genre mprisable, bon pour le seul popel-
lus, pour la seule- gent menue. Ils. n'taient point, comme des
serfs, proscrits des nobles Gours ; mais, indistinctement, ils.pre^-
naient rang auprs des pomes les plus aristocratiques. Nulle
hirarchie, aucune rgle de prsance. Le roi Dolopathos tient,
une grande cour :
Chevalier, dames et danzeles,
Eseuier, valet et pueeles
Toute lor.volont fesoient ;
a X, a XX se desduisoienfc
Li Uns chante, li autres conte,
Et chansons et fabliaus reconte 1.
Le pote d'une des branches de Renart rappelle ses auditeurs;
qu'ils ont entendu, indiffremment, les nobles romans de Troie,.
de Tristan, des chansons de geste et des fabliaux :
Seigneur, o avez maint conte
Que maint conterre vous raconte, :- .
Comment Paris ravit Elaine,
Le mal qu'il en ot et la paine ;
De Tristan, que La Chievre flst,
Et fabliaus et chansons de geste 2.
La promiscuit de ces genres nous est matriellement atteste
par les manuscrits. Prenons-en un au hasard, non parmi ceux que
les jongleurs portaient dans leur escarcelle, et o il ne faut point.
s'tonner de trouver reprsents les genres les plus divers : car
le rpertoire d'un jongleur devait satisfaire, selon les hasards de
la vie errante, aux gots des auditoires les plus contrasts. Non r
- LesFabliaux.
BDrEH. I26
LES FABLIAUX
CHAPITRE XIV
POTES AMATEURS: HENRI D'ANDELI, PHILIPPE-E BEAUMAMOIR
II
POTES PROFESSIONNELS
1. LES CLERCSERRANTS
1. Voyez la Bataille des Sept arts, vers 39, 54, 60, etc.
2. Voyez Suchier, OEuvresde Ph. de Beaumanoir, t. II, p. 274 et p. 30o.
398 LES FABLIAUX
Le fahliau du Pauvre Mercier dbute ainsi :
Et le Credo au ribaut :
Uns certains clers nos Gertefle 2...
i. Mt, I, 15.
2. Mou.-iV, 145..
3. Voyez les pages intressantes de Oscar Hubatsch, die Vagantenlieder,
p. 12, ss. Mes sources sont les trois principales collections des posies de
vagants : 1) Ed. du Mril, Posies lai: indiles, Paris, !*47 ; 2) Wright, fhe
latin poelries cornmonlyattributed lo Walter Mapes, Camden Society, Londres,.
1841 (cf. Wright, Histoire de la caricature, p. 143, ss.l, et surtout, 3) les Ca-
mina burana, p. p. Schmeller, dans la Bibliothekdeslillerarischen Vereins
ni Stuttgart, t. XVI, 1847. Les deux principaux travaux que je connaisse
(sans parler de ceux qui sont plus spcialement consacrs Gautier de Lille)
sont celui de Giesebreeht, Allgem. Monalschrift fur Wiss. u. LU., 1853, et.
celui d'O. Hubatsch, Die Meinischen Vagantenlieder des Milielakers, Gr-
litz, 1870. Cf. Kaufmann, Geschichleder deutschen Universillen, t. I, 1888
p. 148. Des chants choisis des vagants ont t publis en de nombreuses-
petites ditions l'usage du grand public allemand. Kaufmann, lac. cit.r
en cite quelques-unes.
LES AUT-EtUaS: CLERCS ERRANTS -3M
sorte de franc-maonnerie obscure et puissante \ C'tait une
manire d'Internationale. Mais, comme le prouve excellem-
ment Hubatsch *, -c'est Paris, -la ville universitaire entre
toutes, qu'ils avaient leur quartier gnral. G'est de France
qu'ils se sont rpandus vers l'Angleterre, l'Aiemagne, le long
de la valle du Danube. Ils taient surtout accueillis aux tables
somptueuses du haut clerg, o ils chantaient leurs remar-
quables posies latines. Mais nos bourgeois, nos paysans
connaissaient aussi fort bien ces htes errants, spirituels et
misrables. Les blasons populaires disaient : famine de povr.e
clerc 3. On les recevait avec indulgence et dfiance, comme
des enfants terribles. Un pote loue grandement les boulangers,
dans un petit pome rim en. l'honneur de leur corporation 4, de
donner volontiers du pain aux pauvres clercs . Le charmant
Aucassin aime mieux aller en enfer qu'au ciel, parce que c'est l
qu'on rencontre ls chevaliers et les beaux clercs . On leur
demandait souvent, comme paiement de leur eot, des chansons
ou des contes ; un clerc quitte l'Universit de Paris, chass par
la laim :
Puis qu'il ne s'en sust ou prendre,
Miauz valt la laissier son prendre.
Comme il n'a goutte d'argent pour rentrer, dans son pays,
il demande l'hospitalit chez un vilain, qui lui dit : En atten-
dant que le sonper cuise,
Dan clerc, se Deus me benie,
Mainte chose avez ja oe,
Car nos dites une esriture
Ou de chanson ou d'aventure 6.
1. Voyez, par ex., Wright, op. laud., p. 69, Epislola cujusdam goliardi
anglici.
2. Op. cit., p. 16, ss. Cette provenance, en majeure partie franaise, des
Carmina burana, est gnralement admise aujourd'hui. V. Burckhard, La
Civilisation en Italie, appendice I la 3e partie de l'dition revue par
Geiger.
3. Proverbes et dictons populaires, p. p. Crapelet, Paris; 1831, p. 4i.
4. Le dit des Boulengiers {Jongleurs et trouvres), p. 141.
5. MR, V, 1.32, Le povre clerc.
392 LES FABLIAUX
Il avient aucunes fois que jugleor, enchanteor, goliardois et
autres manires de menesterieux s'assemblent aux corz des
chascuns de
princes et des barons et des riches homes, et sert
son mestier... pour avoir dons ou robes ou autres joiaus, et
chantent et content noviaus motez et noviaus diz et risies de
diverses guises \
On voit par ce texte que volontiers on confondait les goliards
et les mnestrels, et je crois qu'en effet on peut leur attribuer
un grand nombre de fabliaux. Bien plus, on pourrait discerner
leur influence sur la plupart des genres littraires du moyen ge.
Je crois que les mnestrels et jongleurs se recrutaient trs sou-
vent parmi eux, et qu'ils ont marqu de leur empreinte notre
vieille littrature. Ce n'est point l l'opinion commune. On oppose
d'ordinaire, beaucoup plus qu'il ne me parat convenir, la posie
latine dveloppe par ces clercs la posie des jongleurs en
langue vulgaire. M. Hubatsch y voit deux mondes distincts,
opposs 2. Il dit textuellement : Par le mtier, jongleurs et
goliards, c'est tout un ; ce que les uns taient pour les laques, les
autres l'taient pour le clerg. Mais le goliard, en regard du jon-
gleur, a la conscience d'tre une crature part, essentiellement
diffrente... A peu d'exceptions prs, jongleurs et mnestrels
errent dans la vie, dpouills de tout droit. Au contraire, le clerc
goliard jouit de vritables privilges ecclsiastiques, et surtout
il est conscient d'tre un lettr, muni de culture savante, par
opposition au jongleur ignorant. C'est bien l, en effet, l'opinion
gnralement reue, que M. Hubatsch rsume ainsi : Par son
caractre savant, la posie des clercs forme un contraste saisis-
sant avec la posie des laques.
Je crois ais de dmontrer, tout au rebours, que les goliards
se confondent, peu prs, avec les jongleurs : que, d'une part,
ils ont men la mme vie et rencontr dans la socit le mme
traitement ; que, d'autre part, la posie latine dveloppe par
eux explique bien des traits de notre vieille posie franaise. '
Bornons-nous ici, sur ces deux points, aux rapides indications
qui conviennent notre sujet.
D'abord, les vagants ont men la mme vie que les jongleurs
1. Cit par Wright, op. laud., p. XIV.
2. 11consacre soutenir cette opinion un chapitre de son livre,
p. 21, ss.
LES AUTEURS : CLERCS ERRANTS 393
et rencontr le mme traitement. C'est la mme existence errante,
au sortir de ces Universits, qui les munissaient de dialectique,
mais non d'un gagne-pain 1.
Ils jouissaient, dit M. Hubatsch, de privilges ecclsiastiques.
Oui certes, comme clercs, mais prcisment condition qu'ils
n'eussent rien de commun avec la famille de Golias ; les canons
des synodes et des conciles se succdent sans relche de 1223
1310 : ils ordonnent que, si un clerc est convaincu de goliardise,
aprs trois avertissements pralables, on lui rase la tte pour
faire disparatre la tonsure, et qu'il soit dpouill de tout privi-
lge clrical 2. Ds lors, que leur reste-t-il, sinon d'aller grossir
les rangs des jongleurs ? De l cette sympathie, que nous avons
marque ailleurs 3, des jongleurs pour les clercs : les clercs sont
les jeunes premiers des fabliaux. A eux les bonnes fortunes ;
eux les faveurs des bourgeoises grillardes. La langue emploie,
sans distinction, jongleur et goliardois, faisant servir, soit en
franais i, soit en latin, l'un de ces mots expliquer l'autre :
Joculatores, goliardi, vel bufones 5... Goliardia, sive histrio-
nia...
N'avons-nous point, dans notre littrature franaise, toute une
srie de petits pomes qu'on peut attribuer des goliards, o ils
dcrivent leur vie et desquels il ressort qu'ils ne formaient
qu'une sous-famille de l'espce jongleur ?
ce Isetabundus 3:
Comparez goliardois
Or i parra !
La cervose nos chantera
Allluia !
Qui que auques en boit
Si tel soit com estre doit
Res miranda !...
Bevez bel et bel et bien,
Bevez quant l'avez en poin...
Riches gens font lor bruit :
Fesom, nous, nostre dduit
Pari forma !
Benoyt soit li bon voisin
Qui nos done pain et vin
Came sumpta,
Et la dame de la maison
Qui nous fait chre real :
Ja ne puisse ele par mal
Esse ceca !
Or bevom al deerain
Per moitiez et puis par plein,
Que nous ne s-eura .de-main
Gens misera !
Amen J
Bien que le goliard vive aux dpens du clerg, sans doute il
1. Poculisaccendturanimilizcerna,
CorimbutumnectarcTolatad superna.
(Confessio
Goliae.')
2. Jongleurs el Trouvres, p. 69 ; Wright, Latin pome, p. XL ; Bai-tseh
et Horaing, La langue el la. littmlwe franaise au moyen ge, col. 6-02.
3. Wolf, Veber die Lais, Sequenzen.und Leiche, p. 439.
LES AUTEURS : CLERCS ERRANTS 395-
ne ddaigne pas de rimer des vers franais, comme les autres
jongleurs, pour la joie du menu peuple :
A tous chaus qui hent clerge,
Soit la maie honte forgie !
Por chou que li clerc me -soustiennent,
Et me joiestent et retiennent,
Pour chou h-je tous les vilains,
Qui hent clers et chapelains.
Christe, audi nos, des nous
Qu'il aient brisi les genous !
Tu, pie Pater, de coelis
Ipsos confundere elis !
Y a-t-il unediffrence entre l'idal du jongleur et celui du
goliard, lorsque les vagants nous racontent leur genre de vie
dans le Credo au ribaut 1 ou dans l'amusante pice des Ds, des
Femmes et de la Tavernes ?
Et pour citer enfin un dernier exemple, quel meilleur type de
jongleur que ce clerc qui s'est enfui de son couvent, et qui
nous explique comment il a perdu au jeu de tremerel non seule-
ment sa chape, son manteau gris, sa cotte, mais aussi tout son
bagage d'Universit, toute sa clergie , son psautier, son
missel, son antiphonaire, son Grecisme, son Doctrinal :
Mes Ovides est a Namur,
Ma philosophie a Saumur ;
A Bouvines dels Dinant,
La perdi-je Ovide le grant...
Mon Lucan et mon Juvenal
Oubliai-j Bonival-;
Estace le grant et Virgile
Perdi-je aus ds a Abevile...
Tant il est vrai que, du goliard au jongleur, il n'y a pas la
distance du lettr l'illettr, mais que, les uns et les autres, ils
sont des demi-lettrs !
Ainsi, beaucoup de clercs err-ants -trouvaient un gagne-pain
dans la menestrandie Y et notre posie dut s'en ressentir.
En effet, si nous comparons la posie latine des clercs la
1. MR, VL 139.
2. Rulebeuf, d. Kressner, p. 100.
3. Nous recueillons, l'appendice III, le peu que nous pouvons savoir de
cesjongleurs.
4. On les trouvera tous habilement groups nouveau et utiliss par
M. Lon Gautier dans l'importante tude sur les jongleurs qui occupe,
presque tout entier, le tome II de ses popes franaises.
400 ' LES FABLIAUX
1. Si bien qu'on peut crire ces quations : mnestrel (v. 39, 199, etc.) ,=
trouvre (v. 182) = ribaud = bordeor = jongleur (v. 205) = chanteur (v. 65)
= lecheor (v. 28) = pautonnier (v. 19).
2. Je cite Rutebeuf d'aprs l'dition Kressner, 1885. Voyez sur ce trouvre
le trs charmant livre de M. Cldat, dans la collection dite des Grands cri-
vains franais, Hachette, 1891.
3. Voir, passim, ses pices relatives aux croisades, que j'numre ici,
autant ordre chronologique : la Complainte de
classes, que possible, par
410 LES FABLIAUX
dication qu'il s'agit, ardente, jamais lasse. Saint-Jean-d'Acre
est menac ? l'empire latin de Constantinople tomb ? le pape
Clment IV fait prcher, comme une guerre sainte, l'expdition
de la Pouille ?.la croisade de Tunis se prpare ? A chacun de
ces vnements, qui agitent la chrtient, correspondent des
pomes de Rutebeuf, cris de dtresse, i rudes satires, appels
passionns. Aprs le dsastre de Tunis encore, alors que les
croisades sont bien finies et que cette page hroque et folle
est jamais tourne, il s'obstine, saint Louis mort, songer
le songe du moyen ge, la dlivrance des lieux saints. En quoi
il est bien du peuple x : prcieux tmoin des sentiments popu-
laires, il nous prouve que les petits furent bien de coeur avec
saint Louis, pour vouloir la croisade. Il est gnreux et hardi
comme de peuple. Nous ne sommes que prts au sicle...
Prenez la croix, Dieu vous attend !... Antioche, terre sainte qui
n'a plus de Godefroys ; Jaffa, Csare, Acre, dgarnie de ses
bannires ; Chypre, douce terre, douce le , son "me vole
vers ces saints lieux. Elle vole vers ces citadelles o quelques
harons, Geoffroy de Sargines, rart de Valry, Eudes de Nevers,
les chevaliers du Temple, maintiennent encore la croix ; elle en
rapporte ces vers, o l'on dirait entendre l'appel lointain de ces
abandonns :
H las ! prlat de Sainte Eglise,
Qui, pour garder vos cors de bise,
Ne voulez aler aus matines, .
Mes sires Giefrois de Sargines
Vous demande del la mer !...
1. Complainte de Conslantinoble.
2. Voir la Descorde de l'Universit et des Jacobins, le Dit de l'Universit
de Paris, les deux Dits de Meslre Guillaume de Saint-Amour.
3. Bien qu'il dfende ici des privilges de prtres sculiers,
en Sorbonne. professeurs
4. Voir, passim, les dux dits des Ordres de Paris, les Dits des
des Cordeliers, des Biguines, des Rgles, du Pharisien, le fabliau Jacobins,
de Frre
Denise, JcsDits d'Ypocrisie, de Sainte Eglise, etc.
LES AUTEURS : RUTEBEUF 413
Il tait navement, profondment religieux. Ce rude ennemi
des papelards et bguins est-il besoin de le remarquer,
tant ce contraste est frquent au moyen ge ?compose ses
satires anti-monacales les plus violentes au nom du Dieu triple
et un et pour le salut de sa lasse d'me chrestienne . L'Ave
Maria Rustebuef, le Dist de Nostre Dame sont d'exquises prires.
Nul, plus que lui, n'a excell tresser, comme des couronnes,
ces dlicates litanies o se complaisait notre vieille posie. Le
dvot prieur de Vicq-sur-Aisne, Gautier de Coincy lui-mme, n'a
pas rim de vers plus tendres en l'honneur de la Vierge Marie,
soeur, pouse et amie de Dieu,... verge sche et fleurie..., onde
purificatrice..., ancre, nef et rivage..., vierge pure comme la
verrire que le soleil traverse sans la briser..., chambre, cour-
tine, trne et lit du Roi de gloire..., olive, glantier et fleur
d'pine..., palme de victoire, violette non viole..., tourterelle
qui ses amours ne mue 1...
II.n'a pas ddaign non plus la gaiet des fabliaux, et ses
contes sont parmi les plus joyeux, les plus lestement trousss de
notre collection 2.
Il fut encore presque le seul des trouvres du moyen ge
une me lyrique, au sens rcent du mot : Je ne suis pas ouvrier
des mains..., je vous veux dcouvrir mon coeur,
Car ne sai autre laborage :
Du plus parfont du cuer me vient 3.
Il a su, parmi la foule des traditions potiques, lire les plus
hautes, les plus fcondes : de belles lgendes de pnitence et de
pardon, comme Sainte Marie l'Egyptienne ou le Sacristain et la
Dame du Chevalier. Il est l'obscur devancier de Dante, par sa
Voie de Paradis ; de Goethe, par son Miracle de Thophile ; il a
su raconter la vie de sainte Elisabeth de Hongrie sans tre trop
indigne de la saintet de son sujet et manier, de ses mains de
jongleur, sans le salir, le Livre des trois ancelles.
Ainsi, cet homme a t l'minent porte-parole de ses contem-
1. La Prire Rustebeuf.
2. Cf. ces vers de la Paiz Rustebeuf, v. 20 : ' '
S'ilTienta eort, chascuna
l'en chace
Par grosirnozet par vitupire.
3. Dans la Novele Complainte d''Outre-Mer, v. 251,'ss. Voir ce thme orai-'
toire repris dans la Complainte d'Huede de Nevers, V. 157, ss.
LES AUTEURS : RUTEBEUF 415-
belles aventures. Il y avait un bon chevalier, Geoffroy de Sar-
rines, type accompli du prudhomme \ qui avait offert Dieu
le corps et l'me . Joinville nous le montre dans la bataille,
dfendant des coups le corps du roi, comme un bon cuyer dfend
des mouches le hanap de son seigneur. Il tait, pour les cheva-
liers enferms dans Jaffa, leur chastel, leur tour, leur ten-
dard- . Or, Rutebeuf fait ce rve 2 que, s'il pouvait troquer son
me contre quelque autre, c'est celle de Geoffroy qu'il lirait.
Hlas ! o donc sontda targe et la lance de l'infime mnestrel^
qui ose songer cette transmigration d'mes ? Quand il a fini de
construire ce beau rve aventureux, qu'il ne se hte pas de ren-
trer dans sa tanire pauvre et gaste , o il n'y a ni bche
de chne, ni pain, ni pte :
Potiser, pour eux, c'est prcher. Ils portent une vielle monoi
-corde : c'est la corde du dit moral. Ils sont vraiment des sermon-
naires dans le sicle : ils ont du prdicateur les hautes prtentions
1. Voyez, chez Jean de Cond, les dits VI, XVI, XLVIII, LXX.
2. Dit du bon comte Guillaume, XXXII.
3. Dit des trois estais du monde, II.
4. DU de l'Aigle (XI) ; comparez le dit dou Sengler (XII), le dit de l'Oheile
Noix (II)-, *aCigogne
(XXII) ; chez Watriquet, Ylraigne elleCrapol (IV), la
(XX), etc.
5. Watriquet, le Mireoir as dames '(I).
424 LES FABLIAUX
CHAPITRE XV
CONCLUSION
F71. Nullum genus hominum est in quo non inveniatur aliquis utilis usus
contra ncessittes humanas, praeter hoc genus hominum, quod est mons-
trum, nulla virtute redemptum a vitiis, necessitatis humanae nulli usui
aptum. (Cit par L. Gautier, Les popes franaises, II, 203.)
2. De l vient de nos jours la surprise de tout lettr qui, vers dans la
connaissance des sicles classiques, aborde pour la premire fois la lecture
de nos travaux de critique littraire sur les oeuvres du moyen ge. Il n'y
trouve tudis que les sources des lgendes, leurs diffrents tats successifs,
leur remaniements. De l'organisation spciale du pote, de ses mrites ori-
ginaux, de son influence, nulles nouvelles, et pour cause.
CONCLUSION 433
sonnelle et volontaire de l'ouvrier * ; pas d'coles
potiques, c'est-
-dire nul groupement d'esprits autour d'un esprit crateur, nulle
maLrise d'un gnie souverain. Pas. de biographies de potes ;
aucun souci de la gloire personnelle ; nulle trace de ce
gran disio
dell' eccellenza, dont bientt, sous un autre ciel, Dante sera tour-
ment.
On ne leur demande que d'tre des amuseurs, et ils ne sont
rien de plus. La littrature n'est encore qu'un jeu pour les ru-
nions mondaines, un passe-temps pris en commun, et selon les
mondes, soit une littrature de salon : c'est la posie courtoise ;
soit une littrature de bons dners : ce sont les fabliaux 2.
Pourquoi les fabliaux ? Pour s'irriter, se venger ? Non, point
de haines vigoureuses. Ce sont des caricatures plaisantes, pour
rire.
Pourquoi les romans de la Table Ronde ? C'est l'imagination
qui s'amuse plaisir. Les jongleurs s'emparent des profondes
lgendes bretonnes, les travestissent la mode du jour, les
recouvrent d'un brillant et bans.! manteau de cour. Ne croyez
pas que leurs hros soient des symboles incarns ; il en est des
lgendes de la Table Ronde et du Saint Graal, comme des
mystres de la franc-maonnerie ; c'est une draperie prestigieuse
qui est cense cacher le Saint des Saints ; mais ne soulevez pas
le voile : il n'y a rien derrire. C'est la folle du logis qui vaga-
bonde, comme les chevaliers errants, l'aventure.
1. On dit d'ordinaire que la faute en est la langue, qui n'tait pas encore
suffisamment forme, fixe. Mais la langue, tait au xme sicle parfaitement
organise, harmonieuse' plus qu'aujourd'hui, non alourdie par les sons
nasaux, chantante et sonore comme le provenal ou. l'italien. Ce n'est pas
l'instrument qui manque aux ouvriers ; ce sont les ouvriers qui manquent. Le
style est oeuvre de volont et-d'individualit. Qu'est-ce que l'histoire d'une
langue, sinon l'histoire des rvolutions volontaires, des coups d'tat que
quelques hommes, Pionsard, Pascal, Racine, Victor Hugo, ont tents sur elle ?
2. On est tonn souvent de la place toute petite que les lettres tiennent
dans les proccupations des hommes d'alors : voyez saint Louis, le grand
artisan de la Sainte Chapelle. Je ne connais que deux textes qui nous ren-
sur ses gots : celui o il nous est dit qu'il faisait aux
seignent potiques
-convenances mondaines le grand sacrifice, quand, quelque festin, les jon-
eussent
gleurs avaient t introduits, d'attendre, pour dire ses grces, qu'ils
fini de chanter , l'autre, o il condamne un de ses chevaliers, surpris par lui
n train de fredonner un pome lyrique, ne chanter plus que dans^sa cha-
ds :. car le roi n'aimait pas la vanit des'chanson-
pelle hymnes pieuses
nettes .
BDIER. LesFabliaux.
434 LES FAB-LIAUX
On comprend ds lors que ces genres, si divers d'aspect,,
romans de la Table Ronde et fabliaux, aient pu coexister, car
ils ne satisfont l'un et l'autre, par des moyens divers,.qu' un
mme et unique besoin : l'amusement; Qu'ils aient plu aux
mmes hommes, ce n'est plus; qu'un fait historique curieux, qui.
nous prouve une sorte de parent entre le monde des chevaliers,,
plus grossier qu'on ne le souponnerait sous son lgane super-
ficielle, et le monde des bourgeois, plus affin qu'il ne semble-
rait, sous sa grossiret foncire ; ce n'est qu'un fait de dtail,
qui peut s'expliquer ; car, malgr la divkion des classes fo-
dales, notre race;est une. Quand un jongleur, admis-ou -tolr
par tous la faveur d'une condescendance faite de bonne humeur
et de mpris,-, chante soit dans-une haute cour, soit au perron de
l'Endit Saint-Denis, soit dans un repas de. corps de mtier,:
s'oit dans un festin de tournoi, on accepte de lui,'indiffremment,
fabliaux et
lgendes chevaleresques'; qu'il amuse, peu importe-
la manire : toute posie n'est alors qu' une rise et un ganet .
-
Mais, en mme temps, s'accomplit obscurment une" sorte'
d'volution qui s'achve au dbut du xive sicle. Lentement,:
presque inconsciemment, les jongleurs s'essayent la littrature'
rflchie. :' '' - ' : '-.
"Ce n'est pas impunment que, pendant tout le cours du
xnie sicle, ils ont exerc les qualits prime-sautires de notr!
race : dans les'fabliaux,- le don d'observation juste et fine.; dans
les romans d'aventure, la puissance d'imagination, d'une grande
hardiesse et pourtant sre d'elle-mme, mesure jusque dans le
fantastique. Ils se sont accoutums faire vivre leurs hros d'une
vie plus vraie. Certes, longtemps impuissants peindre un carac-
tre individuel, ils qnt d se contenter d'une psychologie rudi-
. mentaire, procdant par grands.partis-pris , comme dans les
vieilles chansons de geste ; longtemps ils ont d, pour distinguer
un sentiment d'un autre, .recourir l'allgorie, de mme
que les
statuaires, pour distinguer un saint d'un autre, recouraient aux
symboles et aux attributs ; longtemps, ils n'ont vu que le type,
leur conception abstraite et les procds traditionnels ou logiques
qui pouvaient servir exprimer ce type. Mais peu peu, pour
avoir rim tant de pomes lyriques, ils. se sont exercs
regar-
der en eux-mmes, dmler leur propre originalit
; pour s'tre
.- CONCLUSION 435
si longtemps plies aux contraintes de la rythmique provenale
ils ont acquis la premire notion de ce que la forme ajoute la
matire ; pour avoir si souvent, dans les pomes chevaleresques,
dcrit les conflits intimes du coeur, ils ont appris discerner
plus finement les nuances des sentiments ; pour avoir, en tant de
fabliaux,.peint les moeurs de la vie relle, ils se sont accoutums
la nature.
Alors, au dbut du xive sicle, l'ducation du public s'tanf
faite en mme temps que la leur, public et potes se trouvent
plus proches de la littrature rflchie. Les humbles jongleurs
"de la veille passent assez brusquement l'extrme oppos, aux
pires vanits des gens de lettres : aux -Rutebeuf, et aux Adam d
la Halle succdent les Guillaume de Machaut et les Eustache
'
"Deschamps. Les genres qu'ils dveloppent de prfrence sont
ceux qui mettent le mieux en relief l'originalit de l'crivain ; ils
se complaisent aux pomes-de facture savante, aux artifices des
rimes riches et des rythmes compliqus ; ils enrichissent et
alourdissent la langue par un afflux de mots latins, peine fran-
ciss ; ils ne daignent plus rimer de fabliaux : pour que l'esprit
gaulois reprenne ses droits (avec usure), il faudra attendre
Marot ; mais, dans la conscience toute nouvelle de leur dignit
d potes, ils recherchent les graves sujets historiques, les pro-
hlmes moraux, les hautes discussions politiques. Si la Renais-
sance fut si lente venir, s'il nous faut attendre encore pendant
deux sicles le souffl du gnie antique et du gnie italien, c'est
au, malheur des temps qu'il faut l'attribuer, aux grandes misres
du xive et du xve sicle, et surtout l'influence nfaste du got
flamand et de la cour de Bourgogne. Mais dj, au dbut du
xive sicle, la notion d'art est ne, grce au lent effort de nos jon-
les modestes rimeurs ele chansons de geste, les humbles
gleurs,
do fabliaux. .
conteurs
436 LES FABLIAUX
APPENDICE I
Rsum statistique
Nous avons donc conserv 147 fabliaux. A l'dition de MM. A.
de Montaiglonet G. Raynaud nous ajoutons six contes, les nos22,
26, 62, 116, 132, 147 de la liste ci-dessus. Nous en supprimons
seize pices, savoir : deux dits dialogues (I, 1, II, 53) ; une chan-
son (1,11). deux contes dvots (I, 45, VI, 141), une patenostre
(II, 42), un dbat (II, 39), neuf dits moraux ou satiriques (1,12,
II, 37, 38, 40, 41, 43, 54, III, 56, 66) \
Les fabliaux sont rpartis dans 32 manuscrits.
Cinq d'entre eux nous offrent de vritables collections. Ce
sont les mss. :
B. N., 837 qui renferme 62 copies de fabliaux
Berne, 354 41
Berlin, Hamilton, C57 '; ' 30 .
B. N., 1593 : 24
B. N., 19.152 26 _
APPENDICE'!!;
NOTES BIBLIOGRAPHIQUES
AUBERE
TRAITSORGANIQUES
TRAITS ACCESSOIRES
Sindbad. Aubere.
APPENDICE II[
Mon (t. I, p. 356) ont publi ? Rien qu'on puisse imaginer, sinon qu'en 1581,
le prsident Fauchet a attribu ce fabliau intitul Boivin Courtois d'Arras!
Pourquoi ? on l'ignore. Depuis 1585, La Croix du Maine, du Verdier, Caylus..
Legrand d'Aussy, Barbazan, Dinaux, P. Paris ont rpt, comme de juste,
l'allgation de Fauchet : car une erreur une fois exprime ne prit plus.
Pilz ne croit pas cette attribution lgitime et, de fait, il est impossible de se
figurer un seul point de contact entre ces deux pomes, ou mme d'imaginer
pourquoi Fauchet les a rapprochs, sinon par une erreur de mmoire. M. Pilz
annonce pourtant qu'il dmontrera bientt la fausset de cette attribu-
tion par la comparaison linguistique du lai de Courtois et du fabliau, de Boi-
vin. 11ne devrait pas suffire pourtant qu' la fin du xvie sicle un savant
ait commis une distraction pour que les rudits du xix^ sicle fissent ce
lapsus calami l'honneur d'une rfutation qui ne peut pas supposer moins de
huit jours de travail !
NOTES SUR LES AUTEURS DES FABLIAUX 479
le mrite en apparat mieux, si nous le comparons la trs mdiocre ver-
sion anonyme que nous avons conserve du mme conte (MR, II, Ber-
nier vivait vers la fin du xme sicle, ou le commencement du xive, comme 30).
le prouvent des irrgularits nombreuses dans la dclinaison (v.'notam-
ment v. 317, cf. Pilz, p. 17). Quant sa patrie, elle reste incertaine. V. la
longue et peu probante tude de Pilz, p. 11-16. Il veut dmontrer que
Bernier est un Picard qui crit sous l'influence du dialecte francien .
-Les traits linguistiques qu'il range sous les ns 1, 2, 4, 6, 8, 9, 10 sont plus
gnraux que le picard et le francien. Le n 3 ( nasal distingu de e nasal)
n'est pas appuy par assez d'exemples pour qu'on sache, si ce n'est pas le
hasard qui a associ des mots en a + Nas. + cons., en les distinguant de
e + Nas. + cons. Au n 5, on peut remarquer que le pote dit fils au cas
rgime : or, presque tous les textes picards disent fil. La rime lie :
mie (n 7) n'est pas limite au picard. Enfin, au n 12, l'auteur aurait d.
noter le grand nombre de rimes o s est distingue de z (42, 56, 68, etc.),
ce qui contredit l'hypothse picarde.
De quel pays tait Bernier ? Ce fabliau est de ceux dont M. Hermann
Suchier a bien voulu examiner spcialement les rimes avec moi il
; croyait,
que Bernier tait Parisien. Parisien ou Picard ? Les rimes de ce pome
sont peut-tre trop peu nombreuses pour que nous le sachions jamais
prcisment, mme quand notre connaissance des anciens dialectes sera
plus avance. D'ailleurs, ce problme ne vaut pas la grande peine qu'il
coterait tre lucid. Les fabliaux non localiss par quelque indice go- .
graphique ne pourront jamais l'tre assez prcisment pour devenir des
tmoins utiles de tel ou tel dialecte : au point de vue linguistique, la ques-
tion est donc peu importante ; au point de vue littraire, elle est peu.
prs nulle. Parisien ou Picard, Bernier restera toujours un inconnu.
Colin Malet, auteur de Jouglet (IV, 98). Il tait Artsien (v. le vers 1).
Son fabliau se distingue entre tous par une originalit : il peut revendiquer
peut-tre l'honneur d'tre le plus parfaitement ignoble de tous. Il suffi-
rait, dit J.-V. Le Clerc {Hist. litt., XXIII, 205), pour faire comprendre quel
sens nergique tait attach dans la vieille France ce mot : une vilenie.
Legrand d'Aussy ayant eu l'ide bizarre d'identifier le hros de cette
. aventure avec l'auteur du conte, M. Pilz annonce qu'il recherchera pro-
chainement si Jouglet est Colin Malet. Legrand d'Aussy et Dinaux
(v.. Pilz) attribuent encore, par pure fantaisie, ce Jouglet, dont nous
n'avons rien, le fabliau anonyme du Sot chevalier. Cela n'est pas discuter.
Courtebarbe ou Cointebarbe (ms. C), auteur des Trois aveugles de Com-
pigne (MR, I, 4). Il appartenait certainement au Beauvaisis. Peut-tre
est-il aussi l'auteur, trs digne d'estime, du fabliau du Chevalier la robe
Durand, auteur des Trois bossus (I, 2). Inconnu. Il n'y a et pas lieu de
s'arrter aux fantaisies de Dinaux, Trouvres de la Flandre du Cam-
brsis p 149
d'Oisi, auteur du Meunier d'Arleux (II, 28). Nous ne le,
Enguerrand
connaissons que par ces deux vers qui nous apprennent sa patrie et son
tat (v. 404) :
' Enguerrans,li clers,qui d'Oisi
A estet nset nourris...
Palluel et Oisi sont quatre communes espaces sur une
Estres, Arleux,
480 LES FABLIAUX
longueur d'un peu moins d'une liue et demie entre Douai et Cambrai (cL
les notes gographiques de l'dition Raynaud). .. '_
L'oeuvre d'Enguerrand est d'une technique extrmement primitive, et
grossire ; c'est un clerc qui rime comme un vilain illettr. formeAucun fabliau
ne nous est parvenu sous une forme aussi fruste, soit que la originale
ft dj aussi nglige, soit peut-tre que la transmission orale l'ait cor-
rompue. Toujours est-il que les rimes inexactes, les vers faux, les asso-
nances vagues ne s'y comptent plus. Voici quelques exemples de ces peu
prs : aplei : entendez (52).; conforter : entendez (66) ; entresait.: hui*
mais (70) ; femme : parente (80 et 124) ; cf. vers 92, 96, 98, 102, 120, 136,
152, 186, 188, 190, 200, 218, 224, 230, 248, 252, 262, 268, 288, 296,300,
304, 318, 328, 332, 354, 372, etc. -.-..-.".
Eustache d'Amiens. A rim le Boucher d'Abbeville (III, 84), Eustche -
d'Amiens n'est connu que par cette unique pice, qui nous renseigne sur
sa patrie et sur l'endroit o il a compos son fabliau.
Garin, Guerin. Cette signature est celle de six fabliaux, MR, III, 61,,86,
92 ; V, 124, 126 ; VI, 147. Avons-nous affaire ici deux noms diffrents,
Garin,- Guerin, et, si c'est un mme nom, dsigne-t-il un seul et mme
trouvre ? On ne sait. Il n'y a dans ces six fabliaux aucune indication go-
graphique, sauf dans le Chevalier qui faisait parler les muets (VI, 147),
o le hros va de Provins 'La Haye en Touraine, ce qui ne nous ren-
seigne gure, etdansZa Grue(Y, 126), o l'auteur dit avoir entendu conter
son fabliau Vercelai, devant les changes . Sur ce Vercelai, cf. le
Cong de Baude Fastoul, Mon, I, vers 265, o on lit :
. SireJehandeYregelai
A vostrecongim'enirai...
Ou bien s'agit-il de Vzelay (Yonne) ? M. Pilz (toc. cit.) annonce une
tude linguistique qui dcidera. Nous avons tudi de prs les rimes de
ces six fabliaux, ; mais cette recherche ne nous a pas conduit des rsul-
tats assez assurs pour que nous osions les communiquer ici. Disons pour-
tant qu'il n'est pas impossible que ces fabliaux aient tous t composs,
sauf la Grue, dans l'Ile-de-France, vers le milieu du xme.sicle.
Gautier, auteur.de Connebert, V, 128, et du Prtre teint, VI, 139.
Le hros de Connebert est un.prtre n Cocelestre (= Colchester, et
non Glocester, comme le veulent MM. de Montaiglon et Raynaud). Ce
n'est pas dire que Gautier soit un pote d'outre-Manche : son fabliau
ne prsente aucun trait anglo-normand. Il appartenait la classe des
jongleurs errants et nous donne quelques dtails sur sa vie malheureuse.
Il a compos ses pomes dans l'Orlanais (v. le Prtre teint, v. 1-30).
Gautier, le Long, auteur de la Veuve (II, 49). M. Foerster, la premire
page de sa prface duChevalier aus deus espes, dclare que ce Gautier est
certainement aussi l'auteur du Valet qui d'aise a malaise se met (II, 44).
M. G. Paris appuie cette affirmation (Litt. fr. au moyen ge, 2e d., p. 112).
On aurait plaisir adopter cette hypothse : ces deux pomes, qui sont des
tableaux de moeurs plutt que des contes, sont, en effet, uniques dans notre
vieille littrature, pour la finesse singulire des observations morales, trs,
ralistes et trs pessimistes. De plus, ils sont l'un et l'autre manifestement
picards,_ et si fortement imprgns de traits dialectaux qu'il est inutile d'en
faire ici une dmonstration ; l'examen le plus superficiel des rimes le
prouve ; voyez, pour le Valet, les rimes 116, 122, 184, 214, 220, 278, 302
NOTES SUR LES AUTEURS DES FABLIAUX 481
316, 325, 334, les formes no, vo aux vers 47, 62, 82, 94, 122, 128 148 les
formes vir, (100), prisomes (119), voliemes (150), prenderons
(105 H8)
averoit (209), etc., etc. (Cf. Foerster, Jahrbuch f. rom. u. engl. Phil.',
N. F., t. I, p. 304-7). Voyez, de mme, dans la Veuve, des rimes comm'-
porsiuue.: siuue (466), etc. J'ai pourtant une objection prsenter
contre l'attribution de ces deux pices un mme auteur. Le Valet est -
d'une facture infiniment plus grossire et nglige ; les rimes insuffisantes,
les vritables assonances y entrent en grande proportion. Voici le relev,
pour les 100 premiers vers seulement : il y a 18 assonances contre 32 rimes',
c'est--dire qu'un tiers des vers n'est pas rim (dos : eslainforl, G ; che-
mises : aemplies 8 ; dit : caitis 20, cf. les vers 26, 32, 38, 50, 52, 54, 56, 58,
64, 68, 74, 84, 92, 96, 102). Comparez la Veuve : ici, au contraire, les rimes
sont pures, soignes, exactes. Sur 502 vers, je ne relve que deux rimes
incompltes : estre, honeste, 240, despitis : piti-, 488. Y a-t-il lieu d'attri-
buer au mme pote deux pices d'une technique si diffrente ? Quant
l'hypothse de M. Pilz, qui voudrait identifier Gautier le Long
Gautier le Loup (MR, II, 40), il n'y a pas lieu de la prendre en considra-
tion. Nous n'avons heureusement pas nous occuper de cet obscne jon-
gleur. Une autre conjecture de M. Pilz, selon laquelle Gautier le Loup
aurait quelque rapport avec l'auteur du fabliau anonyme de la Damoiselle
qui aveine dmandoit, ne repose sur aucun fondement solide.
.Guillaume. C'est le nom que porte l'auteur d'une des versions de la
Maie honte (IV, 90). MM. de Montaiglon et Raynaud l'appellent sans rai-
son Guillaume le Normand, pour l'identifier avec l'auteur du Prtre et
d'Alison (II, 31). J.-V. Le Clerc a fait de mme avant eux. Pourtant on
accordera que deux hommes puissent s'appeler Guillaume, sans que tous
deux s'appellent Guillaume le Normand. Et ces deux personnages, ils les
ont identifis avec Guillaume le Clerc de Normandie ; sur cette attribution,
voyez l'article suivant.
Guillaume le Normand. C'est le nom que porte l'auteur du fa- liau du
Prtre et d'Alison (II, 31). Est-il, comme l'ont conjectur plusieurs sa-
vants, le mme que Guillaume le Clerc de Normandie, auteur du Bestiaire
d'amour, du Besant Dieu, des Treis moz, des Joies Nostr Dami ? Dj,
en 1869, M. G. Paris repoussait cette identification-(iecwe critique, 1869,
n 30 ; cf. Reinsch, Zls. f. rom. Phil., III, p. 200). Elle a t reprise pour-
tant par M. E. Martin, dans son dition de Fergus (1872). Mais M. Adolf
Schmidt (Romanische Sludien, IV, p. 497) a fait justice de cette hypo-
thse, en se fondant sur d'excellentes remarques giammaticales.: l'auteur
du fabliau est, selon lui, un Normand qui habitait l'Angleterre dans la
seconde moiti du xine sicle. La dissertation de M. Seeger (Halle, 1881,
cf. Zts. f. rom. Phil., VI, 184) est-une tude dialectale et mtrique des
authentiques de Guillaume le Clerc de Normandie et n'ajoute rien
posies
la dmonstration de M. Adolf Schmidt.
Haiseau. Ce n'est gure que depuis 1890 que- nous savons quelque
chose de ce jongleur. Au seul fabliau que nous possdions de lui (l'An-
le tome VI de l'd. Montaiglon a ajout trois autres contes,
neau, III, 60), l'anel au conte, 138 ;
tirs du ms de Berlin : les Trois dames qui troverent
142 le Prestre et le mouton, 144, le plus court des
les Quatre prestres, ; leur manire
fabliaux conservs. Ses pomes se distinguent entre tous par
brutale. Un vers de Haiseau nous permet de dire qu il tait
rapide fruste, en saint
Normand : une de ses hrones (VI, 138, v. 47) jure, effet, par
si
BDIER. Les Fabliaux.
482 LES FABLIAUX
Hindevert de Gournai , dont le sanctuaire ne devait pas tre connu trs
loin la ronde. La petite ville de Goumai-en-Bray possde une glise de
saint Hildevert, datant du xnfi sicle, et classe aujourd'hui parmi les
monuments historiques.
Henri d'Andeli. (Le lai d'Aristote, V, 136), V. ci-dessus, p. 387. Cf. A.U-
.gustin,. Sprachliche Untersuchung uber die Werko-Henri d'Andeli's (Ausg.
und Abh., pp. StengeL Marbourg, 1885).
Jean, auteur i'Aubere. Inconnu.
Huon le Roi est la .signature que porte le charmant fabliau du Vain
palefroi (I, 3).
Huon Piaucele est celle que portent les fabliaux 'Estormi (I, 19) et de
Sire Hain et dame Anieuse (I, 6).
Huon de Cambrai est celle de la Maie Honte (V, 120).
J.-V. Le Clerc est dispos reconnatre un seul personnage sous ces trois
noms ; nous n'aurions affaire qu' un trouvre, qui aurait aussi compos la
Senefiance de l'A, B, (Jubinal, N'ouveau recueil, II, 275), etla Description
des ordres religieux (Jubinal, OEuvresde Rutebeuf, t. I, note T, p. 441 ; cf.
Dinaux, Trouvres artsiens, I, p. 188). Ces derniers pomes sont signs
ainsi : le Roi de Cambrai. L'auteur unique de toutes ces pices s'appellerait
donc Huon Pia,ucele le Roi de Cambrai ; ce qui, au premier abord, semble
tre un nom un peu long : mais il faudrait considrer le roi comme ne fai-
sant pas partie du nom propre : ce serait le titre honorifique qu'ont port
tant de prsidents de puys et de corporations de mnestrels. Il est
videmment impossible de savoir si ces hypothses sont fondes et si un
seul trouvre est l'auteur de nos quatre fabliaux et des pomes publis
ou indits qu'numrent l'/f istoire littraire et Jubinal. Mais l'examen des
rimes des quatre fabliaux amne la conclusion qu'ils ont tous quatre
t composs dans le mme pays, qui est une province du Nord-Est de
la France et qui peut tre le Cambrsis. ..
Voici les traits linguistiques les plus caractristiques de ces pomes :
A. Le Vair palefroi.
I. Rduction de la triphthongue ie dans les mots soumis la loi de
Bartsch : engignie : compagnie (700) ; cf. 604, 860, 1166.
IL Confusion de s -et de z. Forz : trsors (12) ; cf. 24, 112, 494, 1190.
III. Distinction constante, atteste par plus de trente rimes, de a +
nasale + cons. et de e -j- nas. -f- cons. (une seule exception, peut-tre, au
v. 40). Remarquez (v. 142) la rime : anciens : sens.
IV. C picard : bouche : douce (202), cf. S7, 362, 407, 496, 600, 668,
1337.
V. No, PO, auprs de nostre, vostre (o terre, 468).
VI. L'e atone anttonique, svrement maintenu (9, 30, 118, etc.),
tombe parfois au participe pass : connu (1155) auprs de conus (5'6).
On sait que cette caducit plus rapide de l'e atone au
participe est une
particularit du dialecte artsien.
Remarquez encore les rimes siue : liue (1058), entire : dire (354),
B. Estormi.
I. On ne trouve pas dans ce fabliau de preuves de la rduction de la.
tripthongue ie ie : mais les rimes sont trop peu nombreuses (78 160
183, 215, 238, 274, 418, 448, 588) pour qu'on puisse prononcerai ce
n'est pas le seul hasard qui spare ici constamment les rimes en ie des
rimes en ie.
NOTES SUR LES AUTEURS DES FABLIAUX 483
II. Confusion de s, z. Venuz : fus (350) ; cf. 366, 482, 548 etc
III Distinction de a + nos. + tons, et de e + nas. + cons. Atteste
par plus de vingt rimes.
IV. C picard : force : porce (204 ; cf. 215.)
V. No, vo (107, 122, 442).
VI. Chute, au participe pass seulement, de -l'e atone protonique :
nonus, 389 ; aperus (566).
Remarquez en outre les rimes surtout picardes, saus Isolidos) : saus
isalvus), sone : essoine (104) ; encore : Grigoire (219) ; aprueche ; enfueclic
(400) ; et; la forme mlerai (63), qui se trouve dans Huon de Bordeaux,
pome artsien.
C. Sire Hain et darne Anieuse.
I. Trois rimes seulement en ie (32, 355, 372) ne suffisent pas iioiis
renseigner sur le phnomne I.
II. Confusion de z, s. Esperiz : requis (180, cf. 324).
III. Distinction constante de a -f nas. + cons. et de + nas. + cons.
- V. No, vo (121, 149, 160, 163). -
VI. Chute, au participe pass seulement, de l'e atone protonique ' il a
anuti toute nuit plut (v. -66).
Remarquez, en outre, les rimes hastiue ; tiue (tua) (120), caus : chaits
(260), ore : Grigore (340).
D. La Maie honte est, nous le savons, compose par Huon de Cambrai. l
est donc inutile d'numrer les rimes caractristiques. Remarquez pour-
tant : la maie quifu siue : n'ai mes talent que vo cortsiue (v. 128). La rime
maintenant : maternent serait unique en regard des cent rimes environ que
contiennent nos quatre fabliaux et o a nasal estsparde e nasal. Mais c'est
une mauvaise leon qu'ont adopte MM. de Montaiglon et Raynaud. Il faut
lire avec le ms. B : Le rot apele isnelement : Sire, fet-il, trop malement...
Jacques de Baisieux. Auteur des Trois chevaliers et du chainse (III, 71)
et du Dit de la vescie au prestre (III, 69). Voir ci-dessus, chap. XIV.
Jean Bedel ou Jean Bodel. L'auteur du fabliau des Deux chevaux (I, 13)
nous apprend dans son prologue qu'il a dj trouv huit autres fa-
bliaux ; et, par une rencontre singulire, nous possdons tous les petits
pomes auxquels il fait allusion.
Cil qui trova del Morteruel(TV,95),
Et del mortvilaindeBamuel(IV,108),
Et de Gombert et les deuxclercs<I,2T)
Queil mala trait a sonaestre,
Et de Brunain,la vache u prestre(T,10)
QueBlereamena,ce m'estvis,
Et trovale songe...(V, 131)
Et du leu queVouedut'Mon-Baro., HE,p. 53)
Et des daisenvieus cuivers(V,135)
Et de Baralet de Travers
Et de lor compaignon Haimet,(IV,97)
D'un autreablels'entremet,
Qu'ilne cuidamesentreprendre.
est le nom de ce fcond trouvre ? L'auteur continue ainsi :
Quel
Ne por meslreJelianreprendre
De Boves,qui dist bienet bel,
N'entreprentil pas oestfablel,
484 LES- FABLIAUX
Quarassssont si dit resnable;
. Mais,qui defablelfait grantfable
JS'a.pas de troversenslegier.
De ces vers, plusieurs critiques ont conclu que l'auteur de ces huit
fabliaux et de la fable du Loup et de l'Oie tait Mestre Jean de Boves.
L'abb delaRue (Bardes, t. III, p. 45) fait de lui, comme de juste, un pote
normand et dcouvre un Jean de Boves qui possdait, sous Philippe-
Auguste, de grands fiefs dans le pays de Caux. Dinaux (Trouv. artsiens,
p. 293) montre, au contraire, que le nom de Boves appartient une grande
famille de l'Artois ou du Cambrsis, et cite plusieurs personnages histo-
de notre conteur. Mais,
riques qui seraient les anctres ou les descendants
outre qu'il a pu et d exister, faute de noms de famille au moyen ge, un
nombre indfini de Jean de Boves, le titre de mestre accol celui-ci suffit ,
prouver qu'il n'appartenait pas cette grande famille des de Boves.
D'ailleurs, les huit fabliaux en question ne lui appartiennent pas.
Et cette fausse attribution repose sur un contre-sens. Dans les vers ci-
dessus, l'auteur a-t-il dit qu'il s'appelt Jean de Boves ? Non point ; mais
il s'excuse de reprendre une matire dj traite par un certain Jean de
Boves. Ce Jean de Boves est donc un trouvre, sans doute artsien, -et
contemporain de l'auteur des huit fabliaux. Il a, lui aussi, cont le rcit,
trs mdiocrement spirituel, des Deux chevaux ; mais son pome ne nous
est point parvenu ; ce n'est plus que le nom d'un inconnu.
Mais le vritable auteur des huit fabliaux, nous le connaissons : il nous
a dit son nom. Il avait compos, nous a-t-il dit tout l'heure, le Souhait
desv (V, 131) : or, la fin de ce fabliau, l'auteur dit que le hros de cette
aventure l'a raconte tout venant,
Tant que le sot JehnsBediaus,
Unsrirnoeres de fabliaus,
Et por ce qu'il li sanblaboens,
-Sil'asenblaavoeeles suens.
(7, 131,v. 209,ss.)
ETJ.-V. Le Clerc (Hist. Litt., XXIII, 115) s'est aperu de la mprise et a
rendu Jean Bedel ce qui n'appartenait pas Jean de Boves. Cette m-
prise subsiste encore dans l'dition Montaiglon-Raynaud. Tous ces fabliaux
y portent en titre l'indication : par Jean de Boves, et seul le fabliau du
Souhait desv est attribu Jean Bedel.Les diteurs disent dans leurs notes
(t. V, p. 359) : Ce Jehan Bedel est-il le mme que le trouvre artsien
Jehan Bodel ? La chose est probable. En tout cas, plutt que de refuser,
comme le fait l'Histoire littraire, Jehan de Boves la paternit des neuf
fabliaux que lui attribue le fabliau des Deux chevaux, ne peut-on admettre
que Jehan de Boves et Jehan Bedel ont trait l'un et l'autre le mme-su-
jet ? Sans doute, on doit l'admettre : Jean Bedel et Jean de Boves ont
tous deux trait le mme sujet des Deux chevaux ; mais nous ne possdons
que la version de Jean Bedel, et les huit autres fabliaux n'ont rien
faire avec Jean de Boves. Ces explications taient ncessaires,.puisque
M. Pilz (op. cit., p. 8) suit encore l'erreur de M. de Montaiglon.
Mais ce Jean Bedel, qui est-il ? ne serait-il point Jean Bodel ?
La conjecture est sduisante. Ces neuf petits pomes n'appartiendraient
pas un inconnu, un vague Guerin, un Enguerrand d'Oisi impersonnel,
mais l'original auteur du Jeu de saint Nicolas et de la chanson des Saisnes
NOTES SUR LES AUTEURS DES FABLIAUX 485-
au misrable et touchant mesel des Congs. Cette
hypothse, F Michel et
Montmerqu l'avaient dj propose (TUtrefr. au M. A., p. 669).J.-V. Le
Clerc la repousse bien vite, parce que Jehan Bodel bien
s'appellerait
modestement uns rimoieres de fabliaus . Comme si le xine sicle avait
connu la hirarchie classique des genres ! Chapelain aurait sans doute cru
dchoir crire des contes lgers, mais non Jean Bodel. Dans son tude
sur les Congs de Jehan Bodel (Rom., t. IX, p. 218), M. G. Raynaud se pose
son tour la question, et dit : La chose nous parat assez vraisemblable,,
et le scribe du ms. de Berne auquel est emprunt le fabliau dont il s'agit
n'est pas assez soigneux pour qu'on ne puisse le rendre responsable d'un
changement d'un o en un e. Mais M. G. Raynaud, qui se proposait seu-
lement de donner une dition critique des Congs, n'a pas eu examiner
autrement la question, et a cart, pour la constitution de son texte, les
renseignements linguistiques que pouvaient lui fournir les fabliaux. Cette
tude, il convient de l'entreprendre ici et, comparant la langue des huit
fabliaux de Jean Bodel celle des Congs, de nous prononcer pour ou
contre l'identification de Jean Bedel avec Jean Bodel.
Nous prenons pour base l'excellente tude de M. G. Ra}maud sur la
langue des Congs et du Jeu de saint Nicolas ; nous suivons le mme ordre
que lui et, pour chacun des traits phontiques par lui marqus, nous rem-
plaons les exemples tirs des rimes des Congs par des rimes analogues
des fabliaux ; on verra que toutes ls observations linguistiques faites sur
les Congs valent aussi pour les fabliaux. A la suite, nous numre-
rons les rimes intressantes qui n'auront pas trouv place dans ce cadre \
I. a -f i, dans la langue de Jean Bodel, est nettement distingu de
(exception : ferne = (fascint).
De mme, dans les fabliaux : B, 18, 46 ; 2 C, 98, 150, 206, etc., etc.
Une exception : asene : chane (S, 140).
II. ein se confond avec ain dans les formes masculines : frein : fain (2 C,
48), serein : premerain (2 C, 58), plein : pain (F, 16, etc.). De mme au
fminin : meine : demaine (B, 42) ; grevaine : aveine (2 C, 114).
III. Jean Bodel distingue -ana et -ania, aine et aigne. Aucun
exemple contraire dans les fabliaux.
IV. Ie n'est pas rduit ie par Jean Bodel. De mme, dans les fabliaux,
les mots comme mesnie, vie, endormie ne riment qu'entre eux (S, 205, G,
116, H, 172) et les mots comme chaucie de mme (H, 246).
Trois exceptions, dont une seule (folie : lie, V, 70) parat devoir tre
retenue. Les deux autres ne sont qu'apparentes, et nous avons des va-
riantes qui les font disparatre (carie : cangie ; variante : marie, G, 97 ;
esclignie : mie ; variantes :, endormie, amie, H, 238).
V. Le suffixe iaus ne rime pas dans les Congs avec le suffixe aus. De
mme dans les fabliaux : toitiaus : fabliaus (B, 64) ; cf. S, 210, F, 56, F,
78, etc. , douteus
7 : mor-
VI. O tonique latin aboutit eu. Teus : honteus (C, 20),
lereus (F, 128). , . . , a nasal i aa
se
VII Dans les Congs, comme dans le Jeu de saint Nicolas,
:
diffrencie nettement de e nasal. De mme dans les fabliaux phnomne
= Le Convoileux et l'envieux 2 C = les
1 Abrviations : B = Brunain, C
= de Farbu, G = Gomberl et les deux clercs, H -
deux Chevaux, F le Vilain
de Bailleul.
Barat et Haimel, S = Le Souhait desve, V = U Vilain
486 LES FABLIAUX
attest par une cinquantaine de rimes, contredit en apparence par talent :
cornant (H, 112) ; mais;on a la. variante : avant: cornant. Il ne faut pas con-
sidrer non plus tens = tempus : ans (H, 12), tens : Constanz (B, 32) la
forme tans tant commune tous les dialectes;
VIII. L'Z.devant une consonne tait videmment vocaise au temps
de Jean. BodL De mme; dans les fabliaux (teus : honteus, C, 20).
Ajoutez les rimes comme remembrance : branche (H, 60, 355, 430, 260
leon du ms. C ; 2 C, 118) ; les formes no, vo (H, 143, 178, 428, 476 ; V,
43 ; B, 10, 15 ; 2 C, 73, etc.) ; les formes atomes (H, 196), lessomes (H,
481, ms. B) ; -^ la confusion constante dans tous nos fabliaux de z, s, etc;
Gomme conclusion, je crois presque assure l'identification de Jean
Bedel et de Jean Bodel. Le trs original Jean Bodel devrait donc tenir '
une .place dans notre chapitre XIV sur les auteurs des fabliaux. Mais
nous n'avons pas considr cette identit comme assez vidente pour oser
' '
l'y faire figurer.
Jean de Cond. Voyez p. 375.
Jean le Chapelain. L'auteur du Dit du soucrelain (VI, 150) tait chevalier '
(il s'appelle Sire Jehans li chapelains, v. 5) et normand (ainsi qu'il ressort
desvrs 1-4). C'est tout ce que nous savons de ce personnage. ;
Jean le Galois d'Aubepierre, auteur de la Pleine bourse de sens (III, 67), '
Champenois.
Le maire du Hamiel, auteur, sans doute picard, du fragment intitul '
Dan Loussiet.
Milon d'Amiens (Le prtre et le chevalier, II, 34). L'examen des rimes
de ce long fabliau prouve que ce jongleur crivait dans la rgion mme
d'o il tire son nom.
Philippe de Beaumanoir (La foie Largece, VI, 146), voir ci-dessus,
chap. XIV, p. 387, ss.
Rutebeuf, v. cbdessus, chap. XIV.
; Watriquet Brassenel de Couvin, v. ci-dessus, chap. XIV ; auteur des
Trois chanoinesses de Cologne(III, 71), et des Trois dames de Paris (III, 72).
INDEX ALPHABTIQUE
DES NOMS D'AUTEURS ET DES TITRES D'OUVRAGES ET DE
CONTES CITS
AVANT-PROPOS
INTRODUCTION. ,
CHAPITRE PRELIMINAIRE
/
QU'EST-CEQU'UN FABLIAU? DNOMBREMENT, RPARTITION
CHRONOLOGIQUE ET GOGRAPHIQUE DES FABLIAUX
I. La forme du mot : fabliau ou fableau ? 25
II. Dfinition du genre ; Les fabliaux sont des contes rire en
vers ; dnombrement de nos contes fond sur cette dfinition :
leur opposition aux autres genres narratifs du moyen ge,
lais, dits, romans, etc 28
III. Qu'il s'est perdu beaucoup de fabliaux : mais ceux qui nous sont
parvenus reprsentent suffisamment le genre . 37
IV. Dates entre lesquelles ont fleuri les fabliaux : 1159-1340 40
V. Essai de rpartition gographique : que les fabliaux paraissent
avoir surtout fleuri dans la rgion picarde. 42
PREMIRE PARTIE
LA QUESTION
DEL ORIGINEET DELA PROPAGATION
DESFABLIAUX
CHAPITRE PREMIER
EN PRSENCE
IDE GNRALEDES PRINCIPAUXSYSTMES
I. Position de la question : force singulire de persistance et de "
diffusion que possdent les fabliaux et, en gnral, toutes les
traditions populaires ; d'o ce problme : comment expliquer
la prsence des mmes traditions et, plus spcialement, des
mmes contes, dans les temps et les pays les plus divers '?.. 45
II. Qu'on ne saurait sparer la question de l'origine des fabliaux du
problme plus comprhensif de l'origine des contes populaires
en gnral. C'est ce que montrera l'expos des diverses tho-
ries actuellement en conflit 51
III. Thorie aryenne de l'origine des contes : les contes populaires
. modernes renferment des dtritus d'une ancienne mythologie
aryenne
494 LES FABLIAUX
IV. Thorie anthropologique : ils renferment des survivances de
croyances, de moeurs abolies, dont l'anthropologie compare "
nous donne l'explication
V. Thories des concidences accidentelles, "*
VI. Thorie orientaliste : les contes drivent, en grande majorit,
d'une source commune, qui est l'Inde des temps historiques. 67
VII. Que cette dernire thorie seule nous intresse directement :
car, seule, elle donne une solution au problme des fabliaux ;
mais aucune des thories en prsence ne peut la ngliger : car,
vraie, elle les ruine toutes 6S
. CHAPITRE II
ET PLAND'UNE
EXPOSDE LA THORIEORIENTALISTE
CRITIQUEDE CETTETHORIE
I, Historique de la tliorie : Ses humbles commencements de Huet
Silvestre de Sacy ; ses prtentions et son succs depuis
Thodore Benfey -72
II. Ses arguments sous sa forme actuelle : Les contes, soutient-elle,
ns dans l'Inde, sont parvenus en Europe, par voie, littraire
et par voie orale, au moyen ge. Car : 1 Absence de contes
populaires dans l'antiquit ; 2 Influence an moyen ge des
grands recueils orientaux traduits en des langues europennes ;
rle des Byzantins, des Arabes, des Juifs ; 3 Survivance de
croyances indiennes ou bouddhiques dans nos contes. ; 4 Les
versions occidentales de nos contes apparaissent comme des
remaniements des formes orientales 79
III. Plan d'une rfutation, qui reprendra, dans les chapitres suivants,
chacun de ces arguments 86
CHAPITRE III
LES CONTESPOPULAIRES
DANSL'ANTIQUITET DANS
LE HAUTMOYENAGE
v CHAPITRE V
EXAMENDES TRAITSPRTENDUSINDIENSOU BOUDDHIQUES
SELONLA THORIEORIENTALISTE,
QUI SURVIVRAIENT,
EUROPENS
DANSLES CONTESPOPULAIRES
I. Quelques contes o les orientalistes ont cru reconnatre des sur-
vivances de moeurs indiennes ou de croyances bouddhiques
montrent la vanit de cette prtention : 1 les pouses rivales
dans les rcits populaires ; 2 le cycle des animaux reconnais-
sants envers l'homme ; 3 le fabliau de Berengier ; 4 un conte
albanais ; 5 la nouvelle de Frederigo degli Alberighi et de
Monna Giovanna ; 6 le Meunier, son fils et l'ne. 149
496 LES FABLIAUX
CHAPITRE VI
CHAPITRE VII
CHAPITRE VIII
SOUSQUELLESCONDITIONSDES RECHERCHESSUR L'ORIGINE
ET LA PROPAGATIONDES CONTESPOPULAIRES
SONT-ELLES
POSSIBLES?
I. L'hypothse de l'origine indienne carte, les contes procdent-
ils pourtant d'un foyer commun ? Que peut-on savoir de leur
patrie, une ou diverse, et de leurs migrations ? Direction
incertaine et hsitante des recherches contemporaines 251
IL Que les contes dont on recherche dsesprment l'origine et le
mode de propagation ne sont caractristiques d'aucun temps,
d'aucun pajjs spcial 254
III. Pour ces contes, que peut-on esprer des mthodes de compa-
raison actuellement en honneur ? Critique de ces mthodes :
leur strilit montre par un dernier exemple, tir de l'tude
du fabliau des Trois dames qui trouvrent un anneau 261
IV. Conclusions gnrales 273
V. Que ces conclusions ne sont pas purement ngatives 285
SECONDE PARTIE
TUDELITTRAIREDES FABLIALX
CHAPITRE IX
QUE CHAQUERECUEILDE CONTESET CHAQUEVERSION
D'UN CONTERVLEUN ESPRITDISTINCT,
D'UNE POQUEDISTINCTE
SIGNIFICATIF
Projet de notre seconde partie. Chaque recueil de contes a sa phy-
sionomie propre : ainsi les novellistes italiens ont tach de sang
les gauloiseries des fabliaux ; d'o un intrt dramatique suprieur. 289
Chaque version d'un mme conte exprime, avec ses mille nuances,
les ides de chaque conteur et celle des hommes qui le conteur
s'adresse.-Exemples : le fabliau du Chevalier au Chainse, du xme
sicle franais au xiv" sicle allemand, du xiv<=sicle Brantme et
Schiller, de Brantme M. Ludovic Halvy 291
tude similaire tente pour le fabliau de la Bourgeoise d'Orlans.. 299
CHAPITRE X
L'ESPRITDES FABLIAUX
I. Examen du plus ancien fabliau conserv, Richeut 304
.! II. L'intention des conteurs : un fabliau n'est qu' une rise et un ,
u
~'--/i g-abet . De quoi nat on ?
BDIER. LesFabliaux. 3
498 LES FABLIAUX
et super-
III. Fabliaux qui supposent une gaiet extrmement facile 311
ficielle
IV. Fabliaux qui n'impliquent que l'esprit gaulois : caractres
' " ' '" 313
decet esprit *'.
/ V. Fabliaux qui, outre l'esprit gaulois, supposent le mpris profond L3
des femmes ;
S25
VI. Fabliaux obscnes
- VII. Les fabliaux et l'esprit satirique. Rsum 326
CHAPITRE XI
ET LE STYLEDES FABLIAUX
LA COMPOSITION
LA VERSIFICATION,
'''
'lKi:'/:-:, CHAPITRE XII
DU XIIIe SICLE
PLACEDS FABLIAUXDANSLA LITTRATURE
Que l'esprit des fabliaux reprsente l'une des faces des plus signi-
ficatives de; l'esprit mme du moyen ge 358
I. Littrature apparente aux fabliaux 359
,- II. Littrature en contraste avec les fabliaux 364
. III. Deux tendances contradictoires se disputent la posie du xme
sicle : comment concilier ces contraires ? 368
CHAPITRE XIII
A QUELPUBLICs'ADRESSAIENT
LS FABLIAUX
I. Les fabliaux naissent dans la classe bourgeoise, pour elle et par
elle 371
II. Pourtant, indistinetion et confusion des publics : les plus aristo-
cratiques d'o les femmes ne sont point exclues se
plaisent aux plus grossiers fabliaux 376
III., Cette confusion des publics correspond une confusion des
genres : l'esprit des fabliaux contamine les genres les plus
nobles *,... 382
TABLE DES MATIRES 499
CHAPITRE XIV
LES AUTEURSDES FABLIAUX
I. Potes amateurs : Henri d'Andeli, Philippe de Beaumanoir.. 387
II. Potes professionnels : 1) les clercs errants 398
2) les jongleurs : Rutebeuf 399
3) les mnestrels attitrs la cour des grands : Jean de Cond,
Watriquet de Couvin, Jacques de Baisieux 418
CHAPITRE XV
CONCLUSION 427
APPENDICE I
Liste alphabtique de tous les pomes que nous considrons comme
des fabliaux 436
APPENDICE II
Notes bibliographiques ,...,.... 442
(CHER). IMPRIMERIE
SAINT-AMAND BUSSIRE.
rE3;^^^WI^;FRXN0AIS DU MOYEN":'AGE
" ' . r'
-, ;; "J. ''' -.--.1.-. ps.Wissus la direction de
.::. MABIOROQGES, ;Directeur;i l'cole pratique des Hautes ludes
**,_XaC/iastlatnde Vergi, pome,du xme sicle, d. par GASTON TUYNAUD, '-'3'd. revue
. par LUCIEN. FOULET ; vn-35 pages ; . j fr
'** Franois'Villon, OEUVRES,.d.. par AUGUSTE' LONGNON,''&"d."Ve'vu'par LUCIEN
, FOULET; xni-136 p. ..............v .;...
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par ftwoND "FARA'LVII-^'P'.2 fr'
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I par JEAN BEK; xm-44 pages....,. ...........;..... ..'....................
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l*. [,les. Posies :de Peire Vidal, g.d.revue par.JOSEPH,ANGLAD'E ; xii-lf'p; 9 fr'50
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3. -^ Huon-J-e Roi de Cambrai, OEuvres, t. I : Li.Abees par ehivoche, Li Ave Maria
! en' roumans.,._La Deserisson desBelegons, d. par A; LANGFORS ; xYlriS p._ 2 fr. 65
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5* Les iliansons' de Jaufr Rude), 2e d. revue par ALFRED JEANROY,; XHI-37p. 3 fr. 50
$*-Bibliographie sommaire des Chansonniers Provenaux, par "ALFRED JEANROY ; viii-89
i pages ............... ^.^...........A......... >;_,....... i....,....i.,.v. ..i.. 3 fr. 40
j7.-= Brtran de Marseille, La Vie de Sainte Enimie, pomeprovenal du xm?. sicle,
i d. par.CLOvisBRTJNEL ;.jxv-78;pages, ............... ....... ....;,... 3 fr.
8. Bibliographie sommaire des Chansonniers Franais du moyen ge, par LFBBD JEANBY ;
i vitt-79 p...... ^...........v;... ...............^...^.............. .. 3 fr. 40
8*.^- La Chanson d'spremont, chanson de ;geste du xu sicle, texte du manuscrit de
1 Wollaton Hall, 2 d. revue par L. BuANDiNjt:, J; Vy. .1-6156; xir-208 p. .......... .9 ir..
;.-r- Gautier d'Aupais, pohie courtois duxnisicle, d..par KDMOND FARL; x-32.p. 1 fr.[S5
jl*. :Petite syntaxe de l'ancien franais, par LUCIEN FOULET, 2' d. revue ; viu-304p. 10 fr.
2. -^ Le Couronnement- de Louis, -chanson de geste da'H" s., d.: par "ERNEST_.LANGI.OIS ;
i ivui-169 p. .... i.....;........... *,. <5;!r.
8. ^Chansons Satiriques et Bachiques du XIII* sicle, d. par ALFRED JAKSoy et BTHUR
f- .'LAKGFOB.S ; xiv-145 pages........ :-,........,_...,...................;.......... 7-fr. 50
jj. Les Chansons de Conon de Bthune, d.par AXELWAtLENSKLD fxxiiH39 p. 3,fr.
5*; La Ckanson~ d'A-srimont, 2e d. revue par LOTISBRNMN ; t. II, vv..6155-11376; 11^211
| pages ................. i....................V".........x .-..'<...... "10 fr.
p. Piramus t-Tisb, pome dud. xne sicle, d. par C. DEBOER; xu-55 pages ..... 3 fr.
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