Variations Entre Macro - Et Micro-Syntaxe
Variations Entre Macro - Et Micro-Syntaxe
Variations Entre Macro - Et Micro-Syntaxe
L'analyse de l'oral,
Atti dell'Incontro Internationale, Dipartimento di Italianistica, Firenze, 23-24 aprile 1999,
Roma, Bulzoni Editore, 2003, 111-131.
Marie-Jos Bguelin
Universits de Neuchtel et de Fribourg 1
1
1.3. Dans le prsent article, nous tudierons certaines grammaticalisations qui
interviennent aux chelons suprieurs de la structure linguistique, affectant
des units de dimension propositionnelle ou clausale. En effet, il est bien
connu que dans l'histoire des langues, certaines subordonnes ont pour origine
des clauses indpendantes, la parataxe venant alimenter l'hypotaxe:
Le latin laisse entrevoir encore dans certains tours l'ancienne autonomie des
propositions : des constructions comme caue cadas "prends garde de tomber", uolo
facias "je veux que tu fasses" signifiaient proprement "prends garde, tu pourrais
tomber", "fais-le, je le veux". Les subjonctifs cadas, facias se justifiaient par eux-
mmes comme marquant la possibilit ou la volont, et ils taient simplement
juxtaposs. De cet tat, qui est celui de la parataxe [...], il subsiste des traces dans
les formules; et la langue parle ne s'en est jamais entirement dpartie. (Ernout &
Thomas 1964: 291)
2.2. Comme d'autres linguistes soucieux de rendre compte des donnes orales
autant que des donnes crites, nous sommes convaincus que la "phrase"
orthographique traditionnelle n'est pas une notion scientifique fiable, et
qu'elle ne fournit qu'une approximation floue et instable des articulations
linguistiques fonctionnelles. La phrase, dont les inconsistances ont t
dnonces et illustres sous diffrents angles dans nos prcdents travaux
2Cf. Berrendonner & Reichler-Bguelin, 1989, 1995 et 1997; Berrendonner, 1990 ,
1992, et ici mme; Bguelin 1998; Bguelin (dir.) 2000.
2
(note 2), n'est donc pas, pour nous, un outil opratoire quand il s'agit de
segmenter les squences discursives, notamment celles qui mettent en jeu une
syntagmatique de type non rectionnel (incises, appositions ou dtachements
non rgis, etc.)
2.2.1. Afin de fonder une nouvelle thorie des units, nous avons mis
l'hypothse que le discours prsente deux ordres de combinatoire superposs,
irrductibles l'un l'autre, que nous avons appels respectivement micro-
syntaxe et macro-syntaxe 3 .
3 Ce faisant, nous avons adapt nos propres besoins la terminologie introduite par
Claire Blanche-Benveniste et les chercheurs du GARS (Blanche-Benveniste et al.,
1990).
3
assortie des infrences auxquelles elle donne lieu, opre dans le savoir partag
des rvisions, des ajouts, des transformations, etc., et produit un nouvel tat
provisoire de M. La macro-syntaxe a pour proprit remarquable d'intgrer
des entits smiotiques de nature htrogne : nonciations, mais aussi gestes,
mimiques, percepts, connaissances rsultant d'une comptence logique ou
encyclopdique... Cette pluricodicit fondamentale engendre des
discontinuits smantiques dans la chane parle. L'apparition des
nonciations n'obit pas, ds lors, des implications d'occurrences entre
segments, mais des contraintes d'ordre smantique et pragmatique : ainsi
l'nonciation d'une clause donne est-elle soumise une contrainte de
pertinence ou d'approprit, impliquant la prexistence d'un certain tat de M
(cf. Sperber & Wilson, 1986).
2.2.4. Les nonciations minimales mais aussi les autres units de mme
fonction s'articulent entre elles au sein de mini-programmes discursifs,
caractriss par la prsence, en finale, d'un intonme conclusif, et que nous
nommons priodes. On peut concevoir la priode comme un programme
nonciatif complet, ralisant une intention communicative du locuteur. D'un
point de vue conversationnel, l'intonme conclusif qui achve la priode
correspond une "place transitionnelle" au moins virtuelle dans
l'organisation des tours de parole. La structuration interne des diffrents types
de priode, signale prosodiquement, se laisse dcrire en termes de
programmes praxlogiques ou de schmas d'action.
3.1. tant donn l'espace qui nous est imparti, nous n'irons pas plus loin ici
dans la prsentation de ce cadre thorique. Les principes d'analyse qui en
rsultent ont t mis l'preuve dans une tude sur les constructions
segmentes qui illustre bien notre mthode de segmentation, valable tant les
productions orales que pour les productions crites 4 .
4
Bally 5 ), on peut distinguer, derrire un schma intonatif identique, trois types
bien distincts : (I) les couples de clauses ou priodes binaires o A et Z ne
sont pas connexes d'un point de vue rectionnel, le terme A tant libre par
rapport son contexte syntaxique (cf. le nominativus pendens de la
grammaire latine); (II) les clauses disloques, o A est un SP extrapos,
manifestement slectionn et rgi partir de Z; enfin (III) les structures
hybrides, issues d'une contamination de I et II: celles-ci prsentent la fois un
terme A pourvu d'un indice rectionnel, et un pronom clitique occupant la
place d'argument auprs du verbe contenu dans Z 6 : Exemples:
5 Qui dcrit A comme le "thme" et Z comme le "propos": cf. Bally, 1944 : 62. Voir
aussi sur ces structures Cresti 1999, Blasco-Dulbecco 1999.
6 Ce type, rprouv par la norme comme prsentant un plonasme grammatical, est
nanmoins bien attest.
5
3.3. De l'exemple des dislocations, nous retiendrons avant tout que la
segmentation en units maximales de la micro-syntaxe n'aboutit pas toujours
un rsultat univoque. Il existe aussi bon nombre de structures ambigus,
interprtables soit comme couple de clauses adjacentes, entretenant une
relation de type macro-syntaxique7 , soit, au contraire, comme rsultat d'un
ramnagement informationnel interne la clause.
4.1. La coalescence concerne deux clauses qui viennent se souder pour n'en
former plus qu'une. On peut dceler un tel processus discret sans doute
derrire le changement de rang syntaxique de il y a construit avec une
squence indiquant un laps de temps:
6
grammaticale comme "hypotaxe asyndtique" (Arriv et al., 1986). Le
changement de rang syntaxique de C2 est facilit par l'affaiblissement de
l'articulation prosodique, une intonation "lie" venant remplacer une
intonation "segmente".
9 Cf. Bally 1944 : 59, et ci-dessous 7.3.; d'autres exemples comparables sont
comments dans Bguelin 1998 : 241-242. On ngligera ici le problme de savoir si
C1 et C2 constituent, au rang suprieur, une ou deux priodes, les deux cas tant a
priori possibles.
7
4.2. Quant au dgroupage, il affecte une clause qui se scinde en deux par une
sorte de scissiparit. C'est le cas de certaines subordonnes, qui finissent par
chapper la sphre de la rection verbale pour s'manciper syntaxiquement
autant que pragmatiquement. Comparer le statut de la squence quand + p,
rgie par le premier verbe en (6), voluant vers le statut d'nonciation
autonome en (6') et (6'') :
8
4.2.2. Alors que les grammaticalisations rsultant de coalescences sont
nombreuses, il est plus difficile d'attester l'existence du dgroupage, non en
tant que tel, mais en tant que phnomne prtant grammaticalisation. Les
raisons n'en seront pas creuses davantage ici. Reste qu'on peut faire le mme
constat au niveau morphologique o mutatis mutandis coalescence et
dgroupage dveloppent ingalement leurs effets. Historiquement, beaucoup
de suffixes de drivation rsultent en effet de coalescences : cf. le franais -
ariat, qui forme vedett-ariat, interprt-ariat partir de vedette, interprte, et
qui rsulte du figement de deux suffixes -ar + iat, clairement identifiables par
exemple dans secrtariat, fonctionnariat :
9
contraire se limiter cette phase, et rester stable pendant de longs sicles. Les
destins potentiels d'une mtanalyse "micro- / macro-" sont en gros les
suivants:
L'ordre des mots ne s'est fig qu'au XVIIe sicle. Auparavant il tait possible
de ne pas mettre en tte l'adverbe du premier terme :
(11) Je suis plus insolent, moins je le veux parestre (Malleville < Goosse-
Grevisse 948)
10
deux lments ont cess d'tre autonomes 12 . Il existe cependant aussi des
corrlatives du mme genre qui ne s'impliquent pas strictement. On peut
encore avoir, l'tat libre, dans des variantes un peu archasantes du franais :
Mais on trouve aussi des couples de clauses symtriques formant des priodes
binaires, candidates la coalescence :
Les exemples figurant sous (13) montrent bien comment se cre une routine
macro-syntaxique susceptible d'alimenter les cas de valences siamoises. Au
dpart, deux assertions de quantit indpendantes, mais symtriquement
construites, qui sont susceptibles d'apparatre, de quelque manire, comme
interdpendantes 13 . De cette interdpendance contenu non spcifi est
infre, par surinterprtation, une corrlation quantitative stricte, c'est--dire
une co-variation entre les quantits prdiques. Dans le cas de autant, qui a
valeur anaphorique-dictique, chacune des deux occurrences est comprise
comme rfrant l'autre 14 . Construites sur un schme syntaxique identique,
les deux clauses concernes peuvent ds lors se solidariser au point de devenir
des constituants de rang identique, ncessairement coprsents au sein d'une
seule et mme clause.
6.2. Peut-tre. Une volution trs ancienne du statut de clause vers celui
d'adverbe est fournie par peut-tre, qui a connu une "transfonctionalisation"
12 Comparer Tu veux plus, tu peux moins, qui raliserait au contraire deux actes
nonciatifs successifs. Mme signalisation syntaxique du caractre micro- de la
structure quand le constituant initial commence par peine : peine suis-je dans la
rue, voil qu'un orage clate. (Daudet < Robert).
13 Cf. (11), qui rappelle les exemples classiques de coordination asyndtique comme
N'y touchez pas, il est bris, Bally, 1944 : 56.
14 Autrement dit, dans C1 comme dans C2, le domaine d'interprtation de
l'anaphorique est rabattu sur la clause adjacente, un phnomne de double pointage
voluant vers un phnomne d'anaphore-cataphore lie.
11
au moyen ge dj. Le terme est attest en 1120 avec un pronom dmonstratif
(put cel estre, quivalent vraisemblable de notre a se peut), puis sous les
formes puet estre (1160), et enfin peut-estre au dbut du XVe sicle. Ds la
fin du XIIe, l'ancienne clause impersonnelle est atteste comme adverbe de
modalit, sans jamais perdre, toutefois, la possibilit d'apparatre en isolation
en tant que "mot-phrase". De nos jours, peut-tre connat des emplois
plusieurs rangs de la structure (comme clause indpendante (14a), comme
prfixe modalisateur (14b), comme modificateur du prdicat ou de l'adjectif
(14c et d...) :
S'il n'est pas question d'entreprendre ici une investigation historique dtaille,
il est cependant permis de faire des hypothses sur les types de mtanalyse
qui ont dtermin le destin de peut-tre. Ainsi, les emplois adverbiaux comme
(14c) trouvent vraisemblablement leur source dans des cas o peut-tre
non encore dmotiv, c'est--dire ayant une pleine valeur verbale et un sujet
pronominal zro fonction de dictique-anaphorique libre jouait le rle de
clause parenthtique, insre dans une clause d'accueil (cf. 7.2.) La
coalescence qui a eu lieu suppose la fois la perte d'un marquage
parenthtique et l'volution du sujet zro vers un statut arfrentiel.
Cependant, on peut relever qu'une clause du type Il m'crira peut-tre reste en
permanence candidate un redgroupage (cf. 5.1.- 5.3.) : Il m'crira. Peut-
tre.
12
Ici encore, l'volution smantique du dmonstratif fonction de pointeur vers
un pronom vide, arfrentiel, joue un rle essentiel dans la coalescence
constate.
(16) (N'importe de quel ct vient le vent,)C1 (il est ncessaire d'en avoir pour
contenir les voiles.)C2 (Crvecoeur < TLF)
(17) (Il ne sera jamais qu'un courtisan,)C1 (n'importe de qui,)C2 (pourvu que
ce soit un puissant du jour)C3 (Chateaubriand < Goosse-Grevisse 373)
Le cas est plus ambigu dans les exemples suivants, o une coalescence a dj
pu avoir lieu, mais o les deux analyses (18') et (18'') sont encore
thoriquement possibles :
13
des ex. 3-5). L'entrinement de cette espce de raccourci syntagmatique est
prouv quand l'ancienne clause en n'importe... se met fonctionner comme
SN en position sujet ou comme rgime d'une prposition :
(21) Fonde-t-elle des hpitaux? elle y joint des missions, afin que les pauvres
soient nourris, et soient vangliss tout ensemble. (Flchier, 120)
tait-il question d'avoir de l'honneur, j'en avais; fallait-il tre fourbe, j'en
soupirais, mais j'allais mon train. (Marivaux, La Fausse Suivante I, 1)
14
confirmation, question dlibrative ou fictive), puis, sans attendre la rponse
suppose vidente, enchaner sur une assertion qui en dcoule. L'explication
par une ancienne interrogative est rendue plausible non tant par les faits de
ponctuation, toujours plus ou moins alatoires 16 , que par le caractre bien
vivant du procd rhtorique mis en jeu. Ainsi, comme le relve Sandfeld, la
premire squence de (23) a toutes les caractristiques d'une "vraie question",
laquelle l'interlocuteur pourrait fort bien apporter lui-mme la rponse :
Il n'en reste pas moins que cette mme squence surtout si l'on nglige la
ponctuation pourrait aussi s'interprter comme une conditionnelle inverse.
On tient l le type d'emploi prtant une mtanalyse, pralable oblig de
toute coalescence. Autre indice en faveur de l'explication traditionnelle : le
fait que l'on puisse trouver, en pareille position, des variantes non inverses
de question clairement corrles, en l'occurrence, avec des hypothtiques :
(24) Moi, je suis toujours au beau fixe. Il pleut? Je ne veux pas savoir qu'il
pleut. Et s'il y avait le dluge, j'attendrais l'arche de No et je sauterais
dedans. (Fleg < Sandfeld 1997 : 357-8)
16 Au XVIIe sicle, chez Flchier, le point d'interrogation peut en effet signaler une
monte mlodique et non une valeur modale; la grammaticalisation peut donc tre
dj en cours.
17 La mme chose arrive certaines squences [P imprative] + [Q]: Fais un pas, je
t'assomme! (Hugo < Goosse-Grevisse 1079).
15
parfois un que initial, etc. L'implantation dans la langue d'une coalescence
acheve sur ces structures n'empche pas toutefois la routine [P?] + [Q] de
rester vivante, et d'tre sujette un renouvellement formel, comme le
montrent les exemples (23) et (24).
7. COALESCENCES EN COURS
(28) ils n'ont franchement rien fait pour me faciliter les choses
16
La seconde explication repose sur le fait qu'une squence telle que (27) puisse
tre rinterprte comme une clause unique avec un constituant extrapos (cf.
ex. 2, 3.2.) : (28) serait alors la contrepartie non marque d'noncs du type
de (27), ressentis comme micro-.
Le second (II) o il n'est pas verbe constructeur, mais sert installer un type
particulier de dispositif syntaxique. Ce dispositif permet l'extraposition d'un
sujet, ou, plus librement, de n'importe quel autre constituant s'il est combin
l'oprateur de restriction (ne)... que 18 :
17
y a qu'ici qu'on se runit (< Jeanjean 1979 : 133)
(32) il y a quand mme des livres qu'il n'y a pas dans ta bibliothque
(oral < Blanche-Benveniste 1983 : 97)
7.3.2.2. En fait, une structure comme (33) est syntaxiquement ambigu et peut
faire l'objet de plusieurs interprtations en fonction de l'tat de l'information
partage et en fonction de critres intonatifs :
(33') <dans ce lot> [il y a ceux des livres qui t'intressent] (1 clause,
interprtation IA)
(33'') <dans ce lot> [il y a les livres] [lesquels t'intressent] (2 clauses,
interprtation IB)
Au sens II en revanche, l'nonc n'est plus reu que comme une organisation
particulire d'un contenu propositionnel les livres t'intressent : d'une part, le
prfixe il y a n'a plus de valeur locative concrte, il est devenu un oprateur
d'organisation de la proposition; d'autre part la squence qui t'intressent
cesse d'y tre interprte comme une relative, ce que rvle l'absence de
flexion casuelle du que dans les exemples avec ne... que 19 :
19 Comparer le cas de c'est... qui, c'est... que tudi par Rouget & Salze 1986.
18
(33''') [il y a les livres qui t'intressent] = les livres t'intressent + extraposition
du sujet (1 clause, interprtation II)
19
8.1. Pour qu'une mtanalyse macro- / micro- s'installe sur une squence
initialement macro-, il faut qu'en termes de schma d'action aussi bien que
d'un point de vue formel, une connexit particulire s'installe entre les clauses
concernes. Tel est cas, par exemple, lorsqu'une clause est ressentie soit
comme prparation de la suivante, soit comme "addition" la prcdente 21 :
21 Cf. Berrendonner, ici mme; voir aussi la notion d'acte directeur et d'acte
subordonn chez Roulet et al. 1985.
20
8.3. Aux facteurs pragmatiques et smantico-syntaxiques dgags ci-dessus
vient s'ajouter tantt l'ambigut, tantt l'effacement des contours
prosodiques. On a vu au dbut de cette tude ( 3.2.) que le schme AZ de
Bally est fonctionnel au niveau macro- comme au niveau micro-syntaxique :
il peut soit marquer une suite de clauses [prparation] + [assertion] (ex. 37),
soit signaler l'extraposition d'un sujet ou d'un constituant rgi au sein d'une
seule et mme clause (ex. 38) :
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