DR Héau - Covid, Mon Journal de Bord
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19 mars : face-à-face
J'avais finalement choisi de rester. Je m’étais informé et protégé pour cela. Mais
j’appréhendais ce face-à-face, présence imperceptible, immatérielle d'un danger
immédiat sans contour. Évanescent… mais terrifiant ! L'angoisse était là, mais vite
oubliée dans l'action. Sauf la peur d’oublier le geste indispensable de distanciation,
de prévention donc, il fallait toujours un geste posé et totalement complet. Tant de
concentration à produire, et puis tant d’énergie incalculable fallut-il développer ! Tant
de fatigue, ajoutez à cela ces réveils répétés a 2h, 4h30, etc. Combien de fois ce
virus a interrompu nos nuits !
20 mars : abandonné
Je pensais, et je n’étais pas tout seul, que les soignants, libéraux et fonctionnaires,
(sauf à Malakoff où les dispensaires se fermèrent aux soins non urgents, hormis un
seul proposant la vidéo consultation, devenu en un jour spécialisé pour le Covid,
donc effrayant et à fuir comme les léproseries ou les malades du Sida), les gars et
les filles de la première ligne, généralistes sans prime, Monsieur le président, avaient
été abandonnés et éclipsés par tous ces chiffres journaliers fournis par la presse et
des experts de tout poil, chiffres impudiques et odieux car insoutenables : le nombre
de morts comptabilisés avec ou sans les EPHAD, le nombre de patients réanimés à
l’hôpital, des pourcentages divers à donner le vertige, le tri des patients dans les
hôpitaux selon leur âge, le manque de lits hospitaliers et de respirateurs (cruel mais
tellement imputable à nos politiques !) ou encore le flux tendu sur les médicaments
en réanimation hospitalière… Ce fut la panique instillée à chaque heure ! Et cela va
durer pendant tout le confinement et puis après…
Et toutes ces personnalités politiques qui ne sont pas descendues dans l’arène pour
nous soutenir ! Dans ma commune, je n'ai rien entendu ou senti comme
reconnaissance, malgré les applaudissements du soir (espoir pourtant !). Je n'ai vu
aucune bataille de politiques locaux pour nous aider à obtenir du matériel, alors que
nous risquions nos vies… Je n'ai senti aucune attention humaine, hormis du mépris,
devant mes colères dues aux laisser- aller. Après le temps des soignants si exposés,
il faudra bien que soit exigé le temps des justifications de tous les politiques et de leur
commune gestion…
Il y eut, en revanche, tant de patients exceptionnels, si encourageants, simples et
magnifiquement reconnaissants ! Ah ! Cette énergie qui me regonflait tous les matins
en « kiffant » les mots de reconnaissance collés sur mes fenêtres… Ou
encore l’encouragement quotidien de cette femme, pleine d'attention, qui en prenant
de mes nouvelles, m'apportait un thé avec un gâteau, tous les jours à 16h ! Et puis
tous ces soutiens de patients au téléphone ou de collègues soignants dans la rue,
dans le quartier à la pharmacie. Merci cent mille fois ! Ce sont eux qui furent notre
soutien pendant toutes ces heures si difficiles.