ENS Dictionnairedelargumentaion PDF
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de l’argumentation
Une introduction
aux études d’argumentation
Christian Plantin
E NS ÉDITIONS
COLLECTION L ANGAGES
Dictionnaire
de l’argumentation
Une introduction
aux études d’argumentation
Christian Plantin
ENS ÉDITIONS
2016
Cet ouvrage a été publié avec le soutien du Laboratoire ICAR,
Interactions, Corpus, Apprentissages, Représentations,
UMR 5191, CNRS, Lyon 2, ENS de Lyon
Tous droits de représentation, de traduction et d’adaptation réservés pour tous pays. Toute représentation ou
reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’éditeur, est illi-
cite et constitue une contrefaçon. Les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective sont interdites.
© ENS ÉDITIONS 2016
École normale supérieure de Lyon
15 parvis René Descartes
BP 7000
69342 Lyon cedex 07
ISBN 978-2-84788-416-6
Remerciements
À tous les participants aux séminaires sur l’argumentation, un grand merci pour leurs cri-
tiques, leurs questions parfois imprévisibles, et leur attention exigeante.
Avant-propos
Cet ouvrage a été rendu possible grâce aux travaux de Jean-Claude Anscombre,
Anthony Blair, Oswald Ducrot, Frans van Eemeren, Jean-Blaise Grize, Rob
Grootendorst, Charles L. Hamblin, Lucie Olbrechts-Tyteca, Chaïm Perelman, Ste-
phen E. Toulmin, Douglas Walton, John Woods. Ils ont reconceptualisé le domaine
de l’argumentation, l’ont reconnecté aux champs scientifiques et philosophiques
contemporains, ont introduit de nouvelles notions et ouvert de nouvelles perspec-
tives, dont l’exploration est loin d’être achevée.
Aristote, Cicéron, Quintilien ont fondé la tradition d’observation des pratiques
langagières argumentatives et d’étude de l’argumentation. La distance historique et
culturelle qui nous sépare d’eux fait parfois obstacle à leur lecture. Sous l’influence
sans doute des grands courants américains d’étude de la rhétorique et de l’argu-
mentation, j’ai lu et intégré leurs œuvres en tant qu’elles sont porteuses de propo-
sitions théoriques et des schémas d’analyse à discuter en relation avec les travaux
contemporains.
On n’échappe pas aux postulats théoriques. La vision générale mise en œuvre dans
cet ouvrage me semble – largement a posteriori – être la suivante ; elle ne revendique
aucune originalité.
L’argumentation est abordée comme une activité langagière, et, plus fondamenta-
lement, comme une activité sémiotique ayant ses racines dans l’exercice ordinaire du
langage. La parole ordinaire a d’abord une existence orale et dialoguée. L’argumenta-
tion étudie particulièrement l’organisation anti-phonique de la parole, où le pour est
toujours lié au contre, – avec retour révisant le pour, et ainsi de suite. L’argumentation
est irréductiblement dialogue et monologue ; elle construit et révise des cadrages,
8 ♦ Avant-propos
Répondre à ces questions n’est pas forcément difficile sur un cas isolé. Mais les
difficultés surgissent avec la pluralité des définitions d’un même terme, et la pluralité
des termes répondant à une même définition, et elles s’aggravent lorsque ces défi-
nitions fonctionnent dans un chatoyant continuum stylistique où il n’est d’ailleurs
pas interdit de trouver un certain plaisir. Le cas des argumentations dites a pari,
a simili, par analogie, sans parler de per analogiam, pourrait être un exemple d’une
telle situation. Si l’on veut non seulement admirer mais aussi comprendre, on doit
se résoudre à renoncer parfois à telle ou telle nuance conceptuelle, et à considérer
que telle étiquette est un simple synonyme de telle autre.
Une seconde difficulté est celle de la cohérence des définitions entre elles ; pour
rester dans le domaine de l’analogie, on rencontre cette question lorsqu’on ajoute aux
termes précédents la règle de justice et le précédent. Sans prétendre donner au champ
notionnel de l’argumentation la solidité d’une structure telle qu’on pouvait la rêver
aux temps du structuralisme, il faut également se situer sur le plan des rapports
entre les notions, qu’on est en train de définir.
Pour résoudre la première difficulté, on prend le risque de la simplification
arbitraire ; pour résoudre la seconde, on prend celui d’imposer à ces notions une
organisation trop rigide. Si on échoue sur les deux plans, on aura simplement aggravé
le mal auquel on prétendait porter remède.
Il est donc possible que bien des affirmations de cet ouvrage soient mises dans
le rôle des fameuses “propositions martyres” qui sont là non pas pour clore le débat,
mais pour l’alimenter, et parfois pour le provoquer : j’en serais ravi.
Ce dictionnaire réunit un ensemble de termes relativement techniques qui forment
un vocabulaire partagé des études d’argumentation. D’argumentation, à topique en
passant par charge de la preuve, leur degré de technicité est très différent. Certains
termes correspondent à des termes courants, utilisés avec un sens particulier en
théorie de l’argumentation ; seul ce sens figure dans le dictionnaire. Sous l’entrée
“Pragmatique, arg.”, on ne trouvera pas de considérations générales sur la pragmatique
comme philosophie ou branche de la linguistique, mais seulement une définition
de l’argument pragmatique.
Ce dictionnaire situe l’argumentation dans le cadre de l’étude de la parole sous
ses deux facettes, énonciative et interactionnelle, soit dans le cadre de l’étude du dis-
cours, telle qu’elle est élaborée par exemple dans le Dictionnaire d’analyse du discours
de Patrick Charaudeau et Dominique Maingueneau (Seuil, 2002) ; c’est d’ailleurs à
leur exemple que je dois l’idée de la présente entreprise.
De nombreux dictionnaires ou lexiques de logique et de rhétorique définissent cer-
tains termes relevant de la théorie de l’argumentation, par exemple le Compendio
de lógica : argumentación y retórica de L. Vega Reñon et P. Olmos Gómez (2011). À
ma connaissance, il n’existe guère d’autres dictionnaires de l’argumentation, à part
le Sztuka argumentacji – Slownik terminologiczny [Art d’argumenter – Dictionnaire
10 ♦ Avant-propos
On pourra trouver étrange qu’une entrée soit consacrée à telle ou telle forme
mineure : c’est parce qu’elle est moins mineure qu’ignorée, et qu’elle a pleinement
sa place dans ce qu’on peut considérer comme le système conceptuel des études
d’argumentation.
On trouve évidemment dans ce dictionnaire des étiquettes latines : leur place
est discutée à l’article consacré aux Noms latins des arguments.
Conventions
1. Les entrées
Les entrées sont classées par ordre alphabétique. Lorsque cet ordre dispersait des
entrées ayant trait à une même thématique, elles sont regroupées et ordonnées sous
cette thématique. Par exemple les entrées consacrées à l’analogie sont les suivantes :
Analogie (I) : La pensée analogique
Analogie (II) : Le mot et le concept
Analogie (III) : Analogie catégorielle (arg.)
Analogie (IV) : Analogie structurelle (arg.)
Mais les entrées Métaphore, Comparaison, Proportion figurent à leur place alpha-
bétique.
2. Termes latins
Les noms latins des arguments usités sont à leur ordre alphabétique. Les noms latins
des arguments peu usités figurent en entrées secondaires.
Les entrées latines sont suivies d’une traduction, parfois accompagnée d’un bref
commentaire de leur forme et de leur sens. Ces indications sont tirées principalement
du Dictionnaire illustré latin-français de F. Gaffiot, 1934.
5. Flèches : ►, →
La flèche < ► > indique un renvoi (voir Renvois).
La flèche < → > est utilisée avec diverses fonctions, par exemple pour indiquer :
— l’implication logique : < A → B > se lit “A implique B”
— la relation d’argument à conclusion, sans préjuger d’aucune identité entre impli-
cation logique et enchaînement argumentatif.
Accent ► Paronymie
< V. >
Dans le corps d’un article, ou en fin d’article, l’indication < V. > renvoie à une entrée
ou à une suite d’entrées où l’on trouvera des informations complémentaires sur des
termes liés à l’entrée concernée. Cette indication permet de suivre le développement
de familles de notions. Par exemple, la mention :
V. Comparaison ; A fortiori.
Conventions ♦ 15
invite à consulter les entrées < Comparaison > et < A fortiori >. Les différents termes
figurant sous une même indication de renvoi ne sont pas ordonnés.
Le mot utilisé dans le renvoi peut renvoyer à une famille d’entrées. Par exemple
< V. Contraires > renvoie aux entrées :
Contraires et contradictoires
Contraires : Argumentation, arg.
Il n’est pas possible de marquer tous les renvois qui seraient mécaniquement néces-
saires ; cela impliquerait par exemple que toutes les occurrences des mots argument
ou argumentation soient accompagnées d’un renvoi aux entrées correspondantes.
7. Astérisques < * >
Placé avant un mot ou un énoncé, l’astérisque signifie que ce mot ou cet énoncé
ne sont pas en usage, semblent difficilement acceptables intuitivement, dans un
contexte général.
Placé avant l’énoncé conclusion d’un syllogisme, l’astérisque signifie que cette conclu-
sion ne découle pas des prémisses.
8. Indications bibliographiques
Les citations sont faites sous la forme (Cosnier 1994, p. 12).
Afin de ne pas écraser les références sur les dix dernières années, les dates de première
parution du texte cité sont indiquées entre crochets. La page citée renvoie au texte
tel qu’il est référencé en bibliographie. Par exemple,
(Perelman et Olbrechts-Tyteca [1958], p. 5)
< C >
La lettre < C > est couramment utilisée pour désigner la conclusion d’une argu-
mentation. La théorie de l’argumentation dans la langue utilise pour cela la lettre
< r > ; cet usage est respecté dans les citations et les entrées touchant à cette théorie.
A cohærentia ► Cohérence
A comparatione, arg.
BB Lat. comparatio, “comparaison”.
L’étiquette “argument a comparatione” renvoie à deux types d’argument :
1. Le plus souvent, à l’argument par la comparaison, V. Comparaison ; A fortiori.
2. Parfois à l’argument a pari, V. A pari.
A conjugata, arg.
BB Lat. conjugatus, “apparenté, de la même famille”.
Trois types d’argument sont fondés sur le fait que deux termes sont “apparentés”,
terme auquel on donne plusieurs significations :
1. Apparentement étymologique, V. Étymologie.
2. Apparentement morpho-lexical, V. Mots dérivés.
3. Rapport de ressemblance phonique ou graphique, V. Paronymie.
A contrario, arg.
BB Lat. contrarius, “contraire”. On trouve aussi la formulation explicite
“argument a contario sensu”, argument “par le sens contraire” ; ainsi que la
construction avec la préposition ex : “complecti ex contrario” : “conclure par
les contraires” (Cicéron, cité dans Dicolat, art. Complector).
18 ♦ A fortiori, arg.
Cette étiquette est utilisée en français avec le sens de “retournement”, pour désigner
les différentes formes d’argumentation par les contraires. V. Contraires.
A fortiori, arg.
BB Lat. a fortiori ratione, “à plus forte raison” ; lat. ratio, “raison” ; fortis “fort”
(“vaillant…”) au comparatif de supériorité.
(ii) “D’autant moins”, “du plus petit au plus grand” (a minori ad maius) ; “qui ne peut
pas le moins ne peut certainement pas le plus”. Cette forme permet les inférences
du moins vers le plus :
Si quelqu’un ne peut pas porter un fardeau de 30 kg, il peut d’autant moins
porter un fardeau de 100 kg.
Si l’on n’a pas le droit de frapper, on n’a pas le droit de tuer.
Ce schéma peut être spécifié dans un thème ou dans un domaine discursif. Au topos
formel “à plus forte raison”, spécifié dans le genre discours de consolation, correspond
la forme semi-abstraite :
L’idée que la mort devrait épargner les jeunes gens est plus acceptable (plus
normale…) que la mort devrait épargner les gens âgés ; or vous savez qu’autour
de vous bien des jeunes gens sont morts ; acceptez donc la mort.
Cette forme est sous-jacente à l’énoncé “d’autres sont morts bien plus jeunes”, supposé
inciter les mourants âgés à la résignation et consoler les vivants de la perte d’un
proche âgé.
« Qui frappe son père frappe ses voisins, […] parce que les hommes frappent
moins leurs pères que leurs voisins. » (Rhét., II, 23, 1397b15 ; trad. Chiron, p. 381)
Ce topos “puisqu’il frappe son père, il est bien capable de frapper ses voisins” est
utilisé dans la situation suivante. Quelqu’un a été agressé. Qui est le coupable ? On
sait que, dans le voisinage de la victime, quelqu’un a commis des violences sur son
père. Le topos fait peser sur lui le soupçon d’être également coupable de violences
sur son voisin. Non seulement il a des antécédents violents, mais d’une violence plus
grave. Conclusion : il est suspect, il doit être interrogé par la police.
Dans l’argumentation légale musulmane, l’argumentation “bi-l-awla” correspond
exactement à l’argumentation “à plus forte raison”. Le problème est discuté à partir du
verset 24 de la sourate 17 du Coran, traitant du respect que l’enfant doit à ses parents :
« Ne leur dis pas “pfff !” » (trad. J. Dichy)
L’interdiction porte sur une forme de réplique minimale, qui permet à l’enfant de
rejeter d’un haussement d’épaule les observations de ses parents, c’est-à-dire de “faire
fi” de leurs paroles, ou bien de leur obéir à contrecœur, en poussant un soupir d’exas-
pération. Par le principe a fortiori, l’interdiction est étendue à tous les comportements
irrévérencieux : “puisqu’il est interdit même de dire ‘pff !’ à ses parents, il est à plus forte
raison interdit de leur répondre impoliment, de se mettre en colère contre eux, de les
frapper…”. Le point d’appui du raisonnement est le point le plus bas dans l’échelle,
l’epsilon de l’irrespect. Il n’a pas échappé aux commentateurs que la déduction a
fortiori est parfois un cas de déduction sémantique (Khallâf [1942], p. 216).
Les règles de l’exégèse talmudique ont été fixées par différents auteurs, depuis Hillel
au ier siècle. L’Encyclopædia Judaïca, à l’article “Hermeneutics” énumère les treize
règles de Rabbi Ishmaël (E. C., art. Hermeneutics). La première est précisément la
règle qal va-homer “à plus forte raison” (de la “mineure” (qal) à la “majeure” homer).
Elle intervient dans le calcul du licite et de l’illicite.
Cette règle permet de répondre à des problèmes comme les conditions d’exé-
cution du sacrifice de pâques (pessah). Il semble que la situation soit la suivante. La
Bible demande que pessah soit offert à pâques. Certaines actions sont interdites le
jour du shabbat. Que faut-il faire lorsque pâques tombe le jour du shabbat ? Le calcul
“à plus forte raison” apporte la réponse : le sacrifice tamid est offert tous les jours ;
il est offert durant le shabbat. Or pessah est plus important que tamid (preuve : si on
ne respecte pas tamid, on n’encourt pas de sanctions ; si on ne respecte pas pessah, la
sanction est grave et explicite). Puisque ne pas célébrer pessah est plus grave que ne
pas célébrer tamid, puisque tamid est licite lorsque pâques tombe le jour du shabbat,
il est donc à plus forte raison licite de procéder au sacrifice pessah lorsque pâques
tombe le jour du shabbat.
20 ♦ A fortiori, arg.
Ces échelles à parangon sont efficaces pour rejeter une plainte : “Tu dis que tu as
été condamné à tort (que ce qui t’arrive est injuste…), c’est vrai et je te crois. Le Christ est
l’Innocent par excellence. Or le Christ a accepté une mort injuste. Tu dois donc accepter
cette injustice, et la mort qui t’attend”. Le passage suivant contient une argumentation
correspondant à ce sous-topos du topos a fortiori :
A pari, arg.
BB Lat. a pari ; a pari ratione : par, “chose égale” ; a pari ratione “pour la même
raison”.
Or les caniches ne sont pas des retrievers. La propriété “être un retriever” ne peut
leur être transférée : c’est qu’il ne s’agit pas d’une propriété générique, attachée au
genre chien, mais d’une propriété partagée seulement par certaines espèces de chiens,
dont ne font pas partie les caniches. Les prédicats de catégorie subordonnée (espèces)
intègrent tous les prédicats de la catégorie superordonnée (genre) : si les labradors
sont des chiens, alors tout ce qui peut être dit des chiens peut être dit des labradors ;
mais certaines choses sont vraies des labradors qui ne sont pas vraies de tous les
chiens, par exemple “sont des retrievers” .
On ne peut transférer des propriétés d’espèce à espèce qu’à condition qu’il s’agisse
de propriétés génériques, ce qui suppose qu’on dispose d’une typologie bien faite,
A pari, arg. ♦ 23
et, pour que l’argument soit recevable, qu’on soit d’accord sur elle, V. Taxinomie et
catégories.
Dans la situation initiale qui conclut à la nécessité de punir plus sévèrement le crime
de matricide en alignant son châtiment sur celui du parricide, on peut argumenter
a contrario pour le maintien du status quo :
Les hommes et les femmes ne sont pas des êtres “du même genre”.
Autrement dit, celui qui argumente a contrario pense que d’une façon générale,
assassiner sa mère est tout de même moins grave qu’assassiner son père. Dans une
société où les rapports de genres sont égalitaires, on rejettera a contrario pour régler
les questions mettant en jeu les rapports hommes / femmes. Par contre, la question
de savoir s’il faut aligner les hommes sur la condition des femmes ou les femmes sur
la condition des hommes reste ouverte : soit les filles sont aussi soumises au service
civil obligatoire, soit plus personne n’en fait.
C’est la présence d’une question argumentative localisée qui brise cette symétrie.
Question : Les C sont-ils M ?
Argument : Les A sont M, et sont du même genre que les C.
La différence entre A et C est négligeable.
Réfutation : La différence entre A et C est fondamentale.
Les parents utilisent une argumentation a contrario : “les garçons sortent, et les filles
ne sortent pas”. Leur ontologie est la suivante :
genre : adolescent
espèce : {garçon, fille}
différence : Masculin / Féminin : la différence de genre est construite comme
spécifique.
Par une argumentation par la définition, “sortir le soir” apparaît comme une licence
attachée à l’espèce “garçon”, elle fait partie de sa définition, V. Définition. La propriété
ne peut être transférée, car c’est non pas une propriété générique, mais une différence
liée à l’espèce en tant que telle. L’argumentation a pari fondée sur le genre commun
est donc bloquée.
Si a contrario radicalise les oppositions catégorielles, a pari les efface. Il y a donc
une solution pour les filles. Il leur suffit d’effacer la différence, et de reconstruire
sous le genre une catégorie unique, qui permettra de revendiquer l’application de la
règle de justice, et pour cela elles doivent :
(i) Construire une nouvelle catégorie, “comme les garçons” effaçant la différence
genrée, incluant indifféremment garçons et filles, alignant les filles sur les garçons :
Les garçons et les filles reçoivent la même éducation ; ils ont accès aux mêmes
médias ; ils font du judo ; l’école a les mêmes exigences vis-à-vis d’eux ; ils
partagent les mêmes tâches à la maison…
Dans le langage courant, a priori équivaut à “à première vue, avant toute analyse
approfondie”.
2. Argumentation a posteriori
L’argumentation a posteriori part de données d’expérience et remonte à leur cause
ou à leur essence. L’argumentation de l’effet à la cause, l’argumentation fondée sur
l’exploitation d’un indice, d’un exemple, et d’une façon générale l’abduction, sont des
cas d’argumentation a posteriori. V. Conséquence ; Indice ; Exemple ; Abduction.
3. Argumentation a priori
Rousseau, au moment de s’interroger sur l’origine de l’inégalité parmi les hommes,
marque la distinction entre ce que serait une recherche d’ordre historique (a poste-
riori) et ses propres réflexions a priori :
« Commençons donc par écarter tous les faits, car ils ne touchent point à
la question. Il ne faut pas prendre les Recherches, dans lesquelles on peut
entrer sur ce Sujet, pour des vérités historiques, mais seulement pour des
raisonnements hypothétiques et conditionnels ; plus propres à éclairer
la Nature des choses qu’à montrer la véritable origine, et semblables à
ceux que font tous les jours nos Physiciens sur la formation du monde. »
Jean-Jacques Rousseau, Discours sur l’origine et les fondements de
l’inégalité parmi les hommes [1755], Œuvres complètes, t. III, édition
de B. Gagnebin et M. Raymond, Paris, Gallimard (La Pléiade),
1964, p. 132-133. (Ponctuation originelle.)
A repugnantibus, arg.
BB Lat. a repugnantibus, du lat. repugnans (PPrst/Subst), “contradic-
toire ; résistant, contraire, incompatible”. Le sens de “répugnant” est éga-
lement dérivé de cette base, mais ce n’est pas ce sens qui est utilisé en argu-
mentation : l’argument a repugnantibus n’est pas l’argument du dégoût ; et
la réfutation par les conséquences désagréables correspondrait plutôt à la
réfutation ad incommodum.
1. Dans les Topiques de Cicéron, le lieu a repugnantibus est le lieu des choses logi-
quement contradictoires (Cicéron, Top., XII, 53-58, p. 83-85). Ce lieu est repris par
Boèce ; Stump traduit a repugantibus par “ from incompatibles” (Boèce = Boethius
[1978], p. 64). V. Contradiction ; Contraires.
2. Bossuet définit l’argumentation a repugnantibus comme une mise en contradiction
de l’acte et des discours : « votre conduite ne convient pas avec vos discours » ([1677],
p. 140), ce qui correspond à la troisième forme d’argument ad hominem, V. Ad hominem.
A simili, arg.
BB Lat. similis, “ressemblant, identique” ; on trouve aussi arg. per analogiam :
“ressemblance, analogie”.
Telle qu’elle est définie ici, l’argumentation a simili correspond aux argumenta-
tions par analogie, a pari, ainsi qu’à l’application de la règle de justice ; la terminologie
paraît ici très redondante. Comme le montre la clause d’extension « d’un animal
tout aussi incommode », elle est fondée sur les mécanismes d’analogie catégorielle
ou de relation générique. V. A pari ; Analogie ; Règle de Justice ; Genre ; Taxinomie et
catégories.
30 ♦ Ab —, ad —, ex
Le latin est une langue à déclinaisons ; selon l’usage, les mots latins sont cités au cas
sujet. Lorsque ces mots entrent dans des locutions prépositionnelles, la préposition
leur impose un cas précis, marqué par une variation morphologique en fin de mot.
Parfois, le mot latin argumentum remplace argument. Les trois prépositions les
plus utilisées sont ab ; ex ; ad :
— la préposition ab (a devant consonne) signifie “à partir de, tiré de” :
Ab —, ad —, ex ♦ 31
Les étiquettes en ex sont les moins nombreuses. On trouve également les prépositions :
per : argument per analogiam, V. Analogie.
in : argument in contrarium, V. Contraire.
pro : argument pro subjecta materia, V. Sujet en question.
Les types d’arguments désignés par chacune de ces étiquettes sont hétérogènes.
Nombre d’étiquettes en ad ont été introduites à l’époque moderne, pour désigner
des contenus parfois très précis ; elles servent notamment à désigner des appels à
l’émotion ou à une position subjective, alors que étiquettes ab et ex ne sont jamais
utilisées dans ce sens.
Les entrées — On trouvera un inventaire des étiquettes latines, regroupées sous
forme de tableaux, selon la préposition qui les introduit sous les entrées suivantes :
V. Argument a (ou ab) : “argument a contrario”
V. Argument ad : “argument ad hominem”
V. Argument e (ou ex) : “argument ex concessis”
repris tels quels par les auteurs modernes. Les entrées correspondant aux typologies
utilisées par ces auteurs donnent des exemples de ce qu’était cette terminologie
première. V. Typologies (I).
V. Topique juridique.
Ab exemplo, arg.
BB Lat. exemplum, “exemple”.
L’étiquette ab exemplo est utilisée en droit pour désigner un argument qui interprète
la loi :
— en fonction d’un cas précédent, V. Précédent ;
— conformément à une interprétation traditionnelle, à « la doctrine généralement
admise » (Tarello, in Perelman 1979, p. 59).
Abduction ♦ 33
Abduction
BB Lat. abductio “action d’emmener”, par un mouvement dirigé vers l’exté-
rieur (v. infra, sens 2).
Bien qu’incertaine, la seconde prémisse est tout de même moins douteuse que la
conclusion “la vertu peut s’enseigner” : elle peut donc servir d’argument pour cette
conclusion. On retrouve ce montage dans des discours comme :
Il faut enseigner la citoyenneté, ce n’est au fond qu’un ensemble de savoirs et de
pratiques sociales ; or les savoirs, ça s’enseigne et toutes les compétences pratiques
peuvent s’améliorer par l’enseignement.
Absurde, arg.
BB Lat. absurdus, “absurde”. On trouve les étiquettes argument ad absur-
dum, ab absurdo, ex absurdo. On parle également de reductio ad absurdum,
“réduction à l’absurde”, sous différentes formes : réduction à l’impossible
(reductio ad impossibile), au faux (reductio ad falsum), au ridicule (reductio ad
ridiculum), à l’indésirable (reductio ad incommodum).
L’argumentation par l’absurde repose sur la mise en contradiction. C’est une forme
de preuve indirecte renvoyant à une famille d’arguments qui conclut au rejet d’une
proposition sur la base des conséquences insoutenables qu’entraînerait son adoption.
L’opération générale de réduction à l’absurde correspond au mécanisme suivant :
1. On part d’une proposition (d’une hypothèse).
2. On en déduit des conséquences, quelles qu’elles soient, causales ou logiques.
3. On constate qu’une de ces conséquences est “absurde”, pour une raison quelconque.
4. On rejette la proposition (l’hypothèse) de départ.
Absurde ♦ 35
On démontre ainsi par l’absurde que “la racine de 2 (le nombre dont le carré est 2,
noté √2) n’est pas un nombre rationnel” (proposition A).
1. On suppose que le nombre correspondant à √2 est rationnel (proposition
non-A).
2. Par définition, un nombre rationnel peut s’écrire sous la forme d’une fraction
p/q, où p et q sont premiers entre eux (n’admettent que 1 comme diviseur
commun).
36 ♦ Accent
3. √2 = p/q donc p2 = 2q2 ; donc p2 est pair ; or on sait que si le carré est pair, la
racine est paire. Donc p est pair.
4. Si le carré de p est pair, il peut s’écrire : p = 2k, et son carré p2 = 4k 2 ;
5. Or p2 = 2q2 (voir (3)).
6. Donc 2q2 = 4k 2 ; q2 = 2k 2 . Donc le carré de q est pair, donc q est pair.
7. p et q sont pairs ; donc ils admettent 2 pour diviseur commun, ce qui est
contradictoire avec l’hypothèse de départ.
8. Conclusion : l’hypothèse exprimée en (1) est fausse, et “√2 n’est pas un nombre
rationnel” (proposition A).
La démonstration par l’absurde est une façon indirecte de démontrer une pro-
position : on n’a pas démontré que A est vraie, mais seulement que sa contradic-
toire est fausse. Ce raisonnement n’est pas admis par tous les spécialistes : « Si les
mathématiciens classiques tiennent pour valide la preuve par l’absurde, les intui-
tionnistes la récusent : pour démontrer a, disent-ils, il ne suffit pas d’établir que
non-(non-a) » (Vax 1982, art. Absurde). On voit qu’on peut discuter du caractère
démonstratif d’une démonstration.
La réfutation pragmatique par les conséquences négatives s’oppose à une mesure en
montrant qu’elle aura des conséquences négatives non prévues par la personne qui
propose cette mesure, et qui l’emportent sur ses éventuels avantages. On se rapproche
de la démonstration par l’absurde si on peut montrer que la mesure aura des effets
diamétralement opposés à ceux qu’elle se propose, et qu’en fait elle accroîtra le mal
qu’elle veut combattre, V. Pragmatique.
L’argumentation par l’absurde n’est pas une argumentation par l’ignorance. L’ar-
gumentation par l’ignorance affirme que P est vraie parce qu’on a échoué à démontrer
non-P. L’argumentation par l’absurde affirme que P est vraie parce qu’on a démontré
que la proposition non-P est fausse, et que, de P ou de sa contradictoire non-P, une seule
peut être vraie. Elle correspond à une argumentation au cas par cas dans une situation
où le nombre de cas est réduit à deux : la proposition est vraie ou sa contradictoire
est vraie ; or la contradictoire est fausse.
V. Pragmatique ; Apagogique ; Contradiction ; IGNORANCE.
Accent ► Paronymie
Accident (fal.)
La fallacie de l’accident est une fallacie indépendante du discours, V. Fallacieux (III).
Le terme accident est pris dans son acception philosophique, qui oppose l’accident
à l’essence. Un être est caractérisé par un ensemble de traits essentiels qui déterminent
sa place dans une taxinomie, traits génériques exprimant son genre et différence
caractérisant son espèce, V. Taxinomie et Catégorie. À la différence de “être un mam-
mifère”, qui est vrai en permanence de tous les chiens, le prédicat accidentel “être
Accord ♦ 37
fatigué” peut être vrai d’un chien à un certain moment et cesser de l’être à un autre.
Du point de vue de la technique de la définition, le défaut correspondant consiste à
définir l’être par un trait qui ne lui appartient qu’accidentellement ; “être au milieu
du chemin” n’est pas un trait susceptible de définir un chien ou une pierre ; “ faire la
sieste” n’est pas un trait définitoire de “après-midi”, V. Raisonnement à deux termes.
Séparée de la stricte ontologie aristotélicienne, la différence essence / accident
correspond à l’opposition entre traits centraux et traits périphériques, et, dans la vie
quotidienne à l’opposition entre l’important et l’accessoire. La politique se définit
comme une science ; on détermine la valeur qu’il convient de lui accorder à partir
de l’examen de la valeur de ses traits essentiels constitutifs. Dans le régime démo-
cratique classique, un politicien peut être honnête ou malhonnête sans cesser pour
autant d’être un politicien. La malhonnêteté lui est accidentelle. Si l’on caractérise
l’activité politique comme une activité intrinsèquement malhonnête, alors on commet
une fallacie d’accident.
Les argumentations fondées sur la différence dite essentielle entre deux caté-
gories d’êtres (“les garçons peuvent sortir le soir, donc les filles ne sortent pas parce
qu’elles sont des filles”) sont réfutées en dégradant la différence essentielle au rang
d’accident, V. A pari.
Accord
L’argumentation considère l’accord sous différents statuts.
— D’une façon générale, les situations argumentatives dialogiques se caractérisent
par une préférence pour le désaccord, qui les différencie des situations d’interactions
consensuelles, régies par le principe de préférence pour l’accord, V. Désaccord conver-
sationnel et désaccord argumentatif ; Politesse argumentative.
— L’existence d’accords préalables sur certains éléments de forme et de fond est
parfois considérée comme une condition nécessaire d’une pratique fructueuse de
l’argumentation. Ces accords peuvent être posés ou recherchés soit entre les parte-
naires de l’adresse rhétorique, l’orateur et l’auditoire, soit entre les partenaires d’une
interaction argumentative, V. Conditions de discussion.
— On considère également parfois que la production d’un accord constitue le but de
l’adresse ou de l’interaction argumentatives. L’argumentation gère la distance entre
consensus posé et consensus visé. V. Persuader, convaincre ; Persuasion.
— Le consensus peut enfin être exploité, comme argument, dans des argumentations
qui justifient une proposition en soutenant qu’elle fait l’objet d’un consensus général,
auquel tout le monde adhère, sauf évidemment d’éventuels opposants à sa position,
qui se désignent ainsi comme “hors de la communauté” et se trouvent ainsi récusés
sans qu’il soit besoin de prendre la peine de les réfuter, V. Consensus.
38 ♦ « Accords préalables »
Ad hominem, arg.
BB Lat. homo, “être humain”.
L’argumentation ad hominem est définie par Locke comme une technique de dis-
cussion consistant à : « presser un homme par les conséquences qui découlent de ses
propres principes, ou de ce qu’il accorde lui-même. C’est un argument déjà connu
sous le titre d’argument ad hominem » ([1690], p. 573). Principe peut se prendre au
sens m oral ou au sens intellectuel de “donnée”. Dans les deux cas, il s’agit d’argu-
menter dans le système de croyances et de valeurs de l’opposant (V. Croyances de
l’auditoire), pour en dégager une contradiction. Locke rejette cette forme d’argu-
mentation comme fallacieuse, dans la mesure où elle est fondée sur la structure de
croyance d’un individu particulier et non pas sur la vérité absolue de la thèse en débat.
Elle ne produit aucune connaissance substantielle sur le monde, V. Typologies (II).
À propos de cette définition de Locke, Leibniz note que « l’argument ad hominem
a cet effet qu’il montre que l’une ou l’autre assertion est fausse, et que l’adversaire s’est
trompé, de quelque manière qu’on le prenne » (Leibniz [1765], p. 437) ; il reconnaît
ainsi l’intérêt à cette forme d’argumentation dans le cadre d’une discussion.
L’argumentation ad hominem est un jeu développant et réarticulant les actes,
les croyances ou les paroles de l’interlocuteurs afin de le jeter dans l’embarras et
de l’amener à réviser son discours et ses positions. Cette argumentation n’a rien
d’émotionnel, à la différence de l’attaque personnelle (ad personam, dite en anglais
“abusive ad hominem”, ang. abusive, “grossier, injurieux”), qui s’accompagne forcément
d’une décharge émotionnelle. V. Attaque personnelle.
La réfutation sur le fond utilise les formes standards, qui sacrifient la première
position :
— Les circonstances ont changé, il faut suivre son temps.
— J’ai développé mon système.
— J’ai changé, l’homme sot est celui qui ne change jamais, vous préférez les psycho-
rigides ?
(ii) L’argumentation ad hominem demande une personne sans contradiction. Par une
manœuvre classique en théorie des stases, le destinataire peut choisir de revendiquer
ce qu’on lui reproche, et faire de la contradiction un système de pensée, V. Stase ;
Contradiction :
Supposons en outre que ce partisan du retrait admette, ou qu’on l’ait amené à ad-
mettre les données A, B, et C :
Objection : — Mais vous admettez que (A) les troupes Syldaves sont mal formées,
et (B) que les troubles en Syldavie risquent de s’étendre, il existe un risque réel de
contagion à toute la région. Vous conviendrez que cette extension menace notre sécurité
(C) ; et personne ne nie que nous devons intervenir si notre sécurité est menacée. Donc,
vous devez admettre que nous devons rester en Syldavie.
Schématisation : — L’opposant soutient donc que non-P, ici “Nous devons
nous retirer de Syldavie”. Par ailleurs, il admet également que sont vraies les
propositions {A, B, C}. De ces propositions et de principes de déduction dont
il dit qu’ils sont admis par l’opposant, le proposant déduit qu’“il faut intervenir
en Syldavie”, soit non-(non-P).
Peut-on dire que l’opposant doit maintenant admettre qu’il faut intervenir en Syl-
davie ? Évidemment non ; le proposant a simplement montré par son objection que
l’opposant ne pouvait pas soutenir à la fois {A, B, C} et non-P.
Réactions à la réfutation ad hominem sur les croyances — Le proposant peut
choisir de réduire cette objection en arguant que A, B, C sont des reformulations
abusives de ses croyances. Il soutient alors que son analyse de la situation syldave
est bien plus complexe que ces trois affirmations caricaturales.
S’il accepte cette représentation de son discours, alors il doit réformer une ou
plusieurs de ces propositions, par exemple rejeter l’idée que les troubles en Syldavie
puissent s’étendre à toute la région. La seule chose exigible de l’opposant est qu’il
révise son système de croyances {A, B, C}, qu’il le modifie ou le clarifie, ou qu’il
renonce à en déduire non-P ; et c’est dans cette voie que l’argument ad hominem
veut l’entraîner.
La partie d’ad hominem peut se dérouler sur plusieurs coups :
Question : Doit-on interdire la chasse ?
Proposant : — Oui. Les chasseurs tuent des animaux par plaisir !
Opposant : — Et vous, vous mangez bien de la viande ?
Le proposant peut rétorquer qu’il y a une différence décisive : le chasseur tue par
plaisir, le boucher par nécessité ; l’opposant réfute cette réfutation en arguant qu’il
n’y a pas nécessité de manger de la viande, alors qu’il y a nécessité à se faire plaisir.
Ad hominem, arg. ♦ 41
Réactions à mise en contradiction des paroles avec les prescriptions et des pra-
tiques — Le prêcheur de vertu à qui l’on fait observer que ses pratiques ne sou-
tiennent pas ses conseils peut répondre qu’il a une personnalité divisée :
C’est vrai, je suis pécheur, mais c’est du fond de la noirceur qu’on sent le mieux la
nécessité de la lumière.
C’est normal, c’est toujours le cordonnier qui est le plus mal chaussé.
Néanmoins, cette forme d’argumentation reste redoutée des prêcheurs, qui doivent
d’abord “prêcher d’exemples” ; l’interlocuteur répliquera “Ce que tu dis est sans doute
juste et vrai, mais je ne veux pas l’entendre de ta bouche”, V. Exemple, Exemplum.
Ad incommodum, arg.
BB Lat. incommodum, “inconvénient”.
L’argument ad incommodum est défini par Bossuet comme « l’argument qui jette
dans l’inconvénient » ([1677], p. 131). Bossuet s’en sert pour réfuter les doctrines de ses
opposants : le développement de telles doctrines a des conséquences « pernicieuses »,
elles conduisent à l’indifférence religieuse, ou sont simplement vaines, « sans fruits ».
L’argument ad incommodum est une forme d’argumentation par l’absurde. V. Absurde.
« S’il n’y avoit point d’autorité politique à laquelle on obéit sans résis-
tance, les hommes se dévoreraient les uns les autres ; et s’il n’y avoit point
d’autorité ecclésiastique à laquelle les particuliers fussent obligés de sou-
mettre leur jugement, il y auroit autant de religions que de têtes. Or
est-il qu’il est faux qu’on doive souffrir, ni que les hommes se dévorent
les uns les autres, ni qu’il y ait autant de religions que de têtes. Donc, il
faut admettre nécessairement une autorité politique à laquelle on obéisse
sans résistance, et une autorité ecclésiastique à laquelle les particuliers
soumettent leur jugement. »
Jacques-Bénigne Bossuet, Logique du Dauphin [1677], Paris,
Éditions universitaires, 1990, p. 131. (Orthographe originelle.)
Ad populum, arg.
BB Lat. populus, “peuple”. L’expression latine ad populum est usitée. On la
traduit par “appel au peuple”, et par “argument populiste”.
Ad quietem ► Tranquillité
Ambiguïté
BB En latin, ambigere a le sens de « discuter, être en controverse ; être en
procès » (Gaffiot [1934], art. Ambigo). Pour parler du « point en litige »,
Cicéron utilise l’expression « id de quo ambiguitur », “ce à propos de quoi on
diverge [ambiguitur]”.
Ambiguïté syntaxique
BB Le mot grec amphibologie est composé de amphi- “des deux côtés” ; bolos
“le fait de jeter, action de lancer de tous côtés” ; logos, “mot”. Un discours
amphibologique (ou amphibolique) est un discours qui “part dans deux
directions opposées”.
Le non moins célèbre énoncé “l’instituteur dit l’inspecteur est un âne” est syntaxique-
ment ambigu : il admet deux structures dont la différence est marquée à l’oral par
l’intonation de phrase, et à l’écrit par la ponctuation :
L’instituteur, dit l’inspecteur, est un âne.
L’instituteur dit : “L’inspecteur est un âne”.
46 ♦ Amphibolie
La fallacie d’amphibolie est une fallacie d’ambiguïté, liée au discours, V. Fallacies (III).
L’ambiguïté syntaxique, actuellement analysée dans une perspective g rammaticale,
est discutée par Aristote dans la perspective d’une grammaire de l’argumentation.
Le discours scientifique n’admet pas d’énoncé ambigu si ses diverses significations
sont plausibles dans le champ scientifique concerné (si l’une n’est pas plausible, l’am-
biguïté est inoffensive).
La plupart des exemples cités en relation avec la fallacie d’amphibolie sont forgés.
Dans le texte suivant de saint Augustin, la question de la bonne lecture est cruciale
pour la conception orthodoxe de la Trinité, qui affirme l’égalité divine du Père, du
Fils et du Saint Esprit (le Verbe). La lecture qui attribue une syntaxe de coordination
à l’énoncé examiné aboutit à nier l’identité du Verbe et de Dieu ; c’est une lecture
hérétique, elle doit donc être rectifiée :
Cette forme de pensée analogique postule que toutes les plantes ont des proprié-
tés médicinales cachées. La plante porte une signature qui est une représentation
de la partie du corps humain qu’elle peut soigner. Cette signature ou « sympathie
analogique » est un signifiant motivé, une « ressemblance » avec la partie du corps
concernée. C’est un signe que Dieu lui-même a imposé, de façon non arbitraire, sur
les plantes afin de les mettre à notre service. Une plante où l’on trouve une ressem-
blance avec les yeux, par exemple la forme des paupières, guérit le mal des yeux.
Puisque le coing a la signature des cheveux, il est bon pour les cheveux. Dans les
termes d’Oswald Crollius (Traicté des signatures ou vraye et vive anatomie du grand
et petit monde [1609], Milan, Archè, 1976, orthographe originelle) :
Donnée : « Ce poil folet qui vient autour des coings […] représente en quelque
façon les cheveux. » (p. 41)
Conclusion : « Aussi la decoction d’iceux fait croistre les cheveux, lesquels sont
tombés par la verole ou outre maladie semblable. » (p. 41)
Loi de passage : La vertu curative des plantes « se recognoist plutost par la
signature ou sympathie analogique, & mutuelle des membres du corps humain,
à ces plantes-là qu’en quelque autre chose que ce soit ». (p. 8)
Garantie : « Dieu a donné comme un truchement à chaque plante afin que sa vertu
naturelle (mais cachée dans son silence) puisse être cogneuë & descouverte. Ce
truchement ne peut estre autre que la signature externe, c’est-à-dire ressemblance
de forme & figure, vrais indices de la bonté, essence & perfection d’icelles. » (p. 23)
met en jeu un terme comparé X et un terme comparant Y, l’un et l’autre étant sus-
ceptibles de recevoir le même prédicat gradable M, on a une analogie de comparaison :
“X est aussi M que Y” : Pierre est aussi beau que Paul.
La comparaison peut jouer sur la position respective des deux termes relativement
à deux prédicats gradables, M et N :
“X est aussi M que Y est N” : Pierre est aussi paresseux que Paul est travailleur.
Un énoncé marqué par un adverbe peut être mis en relation d’analogie avec tout un
discours antérieur D0 :
D0. De même, même chose, également … pareil, idem pour… P1
D’une façon générale, les indicateurs d’analogie ne font qu’engager un travail interpré-
tatif toujours considérable. Même comme n’est pas un indicateur univoque d’analogie.
Au sens de alors que, il dénote une relation de simultanéité temporelle :
Comme je descendais, j’ai croisé Pierre ;
Les indicateurs fonctionnent après coup ; ce n’est que quand on a bien saisi l’analogie
qu’on est à même d’interpréter correctement tel morphème ou telle construction
comme un indicateur, une balise, un signal, un indice d’analogie.
Elle peut également l’être par des énoncés mis en parallèles, sans aucun mot indi-
cateur :
Au football, on joue l’adversaire ou le ballon, parfois les deux. En argumentation, on
se focalise sur l’objet du débat ou sur la relation aux opposants.
r éponse à cette question doit tenir compte de la structure des familles dérivation-
nelles auxquelles ces mots appartiennent ; les données sémantico-lexicales s’orga-
nisent selon le tableau suivant :
La série comprend deux verbes, (se) ressembler et comparer ; on peut considérer que
(ne pas) ressembler est le résultatif de comparer :
H (agent humain) compare A et B ; après examen, il conclut que :
A et B (ne) se ressemblent (pas), A (ne) ressemble (pas) à B.
Cette contrainte a pour effet de faire des adjectifs ressemblant, semblable, similaire,
analogue des quasi-synonymes, ainsi que les trois substantifs dérivés ressemblance,
similarité, similitude. Ces données conduisent à faire de la paire {analogie, ressembler}
les termes pivots (termes couvrants) du discours sur l’analogie. On fait généralement
correspondre une notion à un terme substantif ; en fait la notion se dit sous diverses
formes lexicales, verbe, adjectif ou substantif ; or il se trouve que le mot analogie n’a
pas de verbe correspondant, et le concept doit trouver son verbe ailleurs : ce sera
ressembler.
Métaphore, comparaison, proportion, similitude… exploitent l’analogie, sous
différentes formes et définitions.
S’il y a des analogies entre la Grèce et Rome, c’est parce que Rome a imité la Grèce.
(d’après Paul Veyne)
— d’une cause commune :
A crée, engendre, produit, cause… B ↔ B ressemble à A.
— l’œuvre d’un même auteur :
Les pyramides aztèques et mayas font partie des grandes merveilles de l’humanité.
Qui a bien pu les construire ? Certainement pas ces pauvres indiens qui vivent à
leur ombre. Des extra-terrestres ? L’hypothèse n’est pas sérieuse non plus. Mais ces
pyramides font penser aux pyramides égyptiennes… bon sang, mais c’est bien sûr :
c’est donc qu’en des temps immémoriaux, bien avant Christophe Colomb, de hardis
navigateurs égyptiens ont franchi l’Atlantique et sont venus s’installer au Mexique.
Les formes argumentatives liées à l’analogie et connues sous leur nom latin renvoient
aux entrées :
argument per analogiam V. Analogie.
argument a comparatione V. Comparaison.
argument a simili V. A simili ; Analogie ; Comparaison ; A pari.
argument ab exemplo V. Exemple ; Précédent.
logues, similaires ou semblables. Ils sont comparables par leurs autres propriétés non
catégorielles. Les œufs de poule sont tous semblables en tant qu’œufs de poule ; un
œuf est identique à un autre œuf ; il est comparable à tous les autres œufs pour sa
fraîcheur, sa grosseur, sa couleur, etc. V. Comparaison.
Analogie circonstancielle — Si l’individu X possède les traits (x, y, z, t), il est sem-
blable à tous les individus qui possèdent un quelconque de ces traits, qu’il s’agisse
d’un trait essentiel ou accidentel. Les parties communes aux descriptions de deux
objets définissent le point de vue pour lequel ils sont équivalents.
Si l’on élargit la notion d’appartenance à une classe, on dira que deux êtres sont
analogues si leurs descriptions contiennent des parties communes, que cette descrip-
tion corresponde ou non à l’ensemble de leurs traits essentiels. En d’autres termes,
l’identité de description produit une catégorie, le sens de l’opération dépendant de
l’intérêt de la catégorie créée. On pourrait parler d’analogie circonstancielle. Alice et
le serpent sont identiques du point de vue de la catégorie “être au long cou qui mange
des œufs de pigeon”, V. Définition.
D’un jugement global d’analogie entre deux êtres, porté sur la base des traits par-
tagés w, x, y… on conclut que, si le possède le trait z, alors l’autre doit forcément le
posséder. En d’autres termes, l’analogie est poussée dans la direction de l’identité.
— Comme une déduction :
O est analogue à P.
P possède la propriété x.
Conclusion : O possède probablement la propriété x.
O est analogue à P en ce qu’ils possèdent le trait x.
O et P appartiennent à la même catégorie C.
Conclusion : Donc ils possèdent probablement d’autres, voire toutes, les propriétés
de cette catégorie C.
Ce qui revient à dire que le prédicat “analogue à” est interprété comme un affaiblis-
sement de “identique à” ; l’analogie est vue comme une identité affaiblie.
La déduction et l’induction sont considérées comme des formes valides de raisonne-
ment. La raison d’être de la discussion sur la possibilité de ramener l’analogie à de
54 ♦ Analogie (III)
« Il existe des papillons jaune citron ; il existe également des Chinois
jaune citron. En un sens, on peut définir le papillon : Chinois nain ailé
d’Europe centrale. Papillons et Chinois passent pour des symboles de
la volupté. On entrevoit ici pour la première fois la possibilité d’une
concordance, jamais étudiée encore, entre la grande période de la faune
lépidoptère et la civilisation chinoise. Que le papillon ait des ailes et pas
le Chinois n’est qu’un phénomène superficiel. Un zoologue eût-il com-
pris ne fût-ce qu’une infime partie des dernières et des plus profondes
découvertes de la technique, ce ne serait pas à moi d’examiner en premier
la signification du fait que les papillons n’ont pas inventé la poudre :
précisément parce que les Chinois les ont devancés. La prédilection
suicidaire de certaines espèces nocturnes pour les lampes allumées est
Analogie (IV) ♦ 55
1. Terminologie
L’analogie structurelle met en relation deux domaines complexes articulant chacun
un nombre indéfini et illimité d’objets et de relations entre ces objets. Elle com-
bine analogie catégorielle (propriété des objets) et analogie proportionnelle (propriété
des relations). On pourrait également parler d’analogie de forme (les domaines ont
même forme), ou emprunter aux mathématiques le terme d’isomorphisme. V. Analogie
catégorielle ; Analogie de proportion.
On parle d’analogie matérielle pour désigner la relation entre deux objets dont
un est la réplique de l’autre. La notion couvre des phénomènes différents, comme la
relation entre une maquette et l’original, ou la relation entre un prototype et l’objet
à réaliser. Les raisonnements faits sur la maquette ou le prototype sont directement
transposables sur l’original.
On peut distinguer deux types de situations, correspondant à deux affirmations dis-
tinctes mettant en jeu l’analogie structurelle. Les parenthèses rappellent qu’il s’agit
ici non pas d’individus mais de domaines complexes.
(i) {A} et {B} sont analogues — Dans le premier cas, il s’agit de comparer les deux
domaines {A} et {B} afin de déterminer s’il existe ou non une analogie entre eux,
56 ♦ Analogie (IV)
C’est une analogie didactique. Il s’agit de faire comprendre ce qu’est l’atome à partir
de ce qu’est le système solaire. L’asymétrie des domaines est évidente. Le domaine
Ressource, le système solaire, est bien connu, depuis longtemps. Le domaine Ciblé
est nouveau, mal compris, énigmatique. L’analogie explicative conserve ses mérites
pédagogiques même si elle est partielle. On peut toujours comparer les deux sys-
tèmes afin de mettre en évidence les limites de la comparaison, V. Réfutation des
analogies.
L’analogie a valeur explicative dans la situation suivante :
1. Dans le domaine {∏}, la proposition π n’est pas comprise.
2. Dans un domaine {R}, il n’y a pas de débat sur p : elle est comprise.
3. {∏} est isomorphe de {R} (analogie structurelle, systémique).
4. La position de π dans {∏} est identique à celle de p dans {R}.
5. π est un peu mieux comprise.
On établit une relation d’analogie entre deux faits, on intègre (situe) l’inconnu
sur la base du connu. Comme l’explication causale, l’explication par analogie jette
des ponts, brise l’insularité des faits. V. Réfutation des analogies.
« Il n’y a pas de tabula rasa. Nous sommes comme des marins en pleine
mer, qui doivent rebâtir leur bateau sans jamais pouvoir l’amener sur un
dock pour le démonter et le reconstruire avec de meilleurs éléments. »
Otto Neurath, “Protokollsätze”, Erkenntnis 3 (1932/3), p. 206.
Cité dans Ansgar Beckermann, “Zur Inkohärenz und Irrelevanz des
Wissensbegriffs”, Zeitschrift für philosophische Forschung 55, 2001, p. 585.
L’analogie peut se traduire mot à mot : “il n’y a pas de fondement ultime des connais-
sances, à partir desquels nous puissions, sans aucun présupposé, montrer qu’elles
sont valides”. Cette ressource est extrêmement puissante ; l’image pourrait aussi
bien s’appliquer à la vie relationnelle : “il n’y a pas de ‘bonne explication’ qui permette
de reconstruire une relation endommagée et de repartir de zéro”.
La ressource ne doit pas nécessairement préexister à l’analogie ; l’analogie peut
créer ex nihilo une ressource dont l’évidence s’impose instantanément à l’intuition,
comme celle proposée par Heisenberg en 1955 où le comparant est « un bateau
construit avec une si grande quantité d’acier et de fer que la boussole de son compas,
au lieu d’indiquer le Nord, ne s’oriente que vers la masse de fer du bateau ». Le danger
dont il est question à la première ligne est celui dans lequel se trouvait l’humanité
au moment de la Guerre froide.
Différences (ruptures d’analogie) :
Analogie (IV) ♦ 61
Le fait que l’analogie soit partielle interdit toute transposition d’une connaissance
acquise sur un domaine dans l’autre domaine.
Analogie retournée — La même analogie conduit à des résultats incompatibles
avec la conclusion qu’on prétend en tirer (« disanalogy », Shelley, ibid.). À partir du
même domaine Ressource, on peut parvenir à des conclusions incompatibles.
Ce mode de réfutation est particulièrement efficace, car il se place sur le terrain
de l’adversaire. L’opposant “pousse plus loin” l’analogie avancée dans le discours de
proposition, afin de la retourner pour la mettre au service de son propre discours
d’opposition. Il admet que tel domaine Cible admet bien tel domaine Ressource ;
en focalisant sur un aspect de la Ressource inaperçu du proposant, il en tire une
conclusion au service de son contre-discours. Cette stratégie est exploitée pour la
réfutation des métaphores argumentatives.
Argument : — Ce domaine se situe au cœur de notre discipline.
Réfutation : — C ’est vrai. Mais une discipline a aussi besoin d’yeux pour y
voir clair, de jambes pour avancer, des mains pour agir, et
même d’un cerveau pour penser.
Autre réfutation — C ’est vrai. Mais le cœur peut très bien continuer à battre
conservé dans un bocal.
Les deux parties filent la même métaphore. Cette forme d’analogie a la force d’une ré-
futation ad hominem, sur les croyances de l’interlocuteur : “tu es ton propre réfutateur”.
Contre-analogie — Comme pour toute argumentation, à une argumentation par
l’analogie, on peut opposer une contre-argumentation, c’est-à-dire une argumentation
dont la conclusion est contradictoire avec la conclusion originelle. Cette contre-
argumentation peut être de type quelconque, notamment une autre argumentation
par analogie, tirée d’un autre domaine ressource. On parle alors de contre-analogie.
Argument : — L’université est (comme) une entreprise, donc…
Réfutation : — Non, c’est (comme) une garderie, une abbaye…
62 ♦ Antanaclase, Antimétabole, Antiparastase
Antithèse
En rhétorique des figures, l’antithèse est définie comme une opposition entre deux
termes (mots ou syntagmes) de sens opposés, entrant dans des constructions syn-
taxiques parallèles. Une application du topos des contraires se matérialise discursi-
vement par une antithèse, V. Contraires.
(D2) Il est soumis avec les forts et dur avec les faibles.
Alors que, dans (D1), “dur avec les faibles”, second membre du topos, reste sous enten-
du, (D2) correspond à une actualisation complète du topos. Mais les deux discours
reposent sur les mêmes mécanismes, l’argumentation est “valide” dans la mesure où
le portrait est “vrai” ; l’un et l’autre sont “convaincants”. Les ressorts de la description
et de l’argumentation, de la figure et de l’argument sont les mêmes.
Antonomase ► Imitation — Parangon — Modèle
Apagogique, arg.
BB L’adjectif apagogique provient d’un mot grec signifiant “détourné”. Le
mot est surtout utilisé en droit.
L’argument apagogique est une forme d’argument par l’absurde. Il affirme que les
interprétations déraisonnables de la loi doivent être rejetées : « L’argument apago-
gique suppose que le législateur est raisonnable, et qu’il n’aurait pas pu admettre
une interprétation de la loi qui conduirait à des conséquences illogiques ou iniques »
(Perelman 1979, p. 58). Il revient à l’argument psychologique, en présupposant que le
législateur est rationnel et bienveillant, V. Absurde ; Topique juridique.
Avec les arguments par analogie, a contrario et a fortiori, l’argument apagogique
est l’un des quatre types d’arguments prévalents en droit (d’après Alexy 1989, cité
dans Kloosterhuis 1995, p. 140).
Le demandeur tient pour acquis qu’on le lui aurait promis, s’il avait demandé avant
l’acte, et qu’en conséquence on le lui doit comme si on le lui avait promis : “Quand
on a bien fait, on mérite une récompense” ; sous-topos du topos “Toute peine mérite
salaire”. Tout se passe comme si la définition du mot exploit avait intégré le topos
“mérite une récompense” :
L1 : — Si tu fais, tu auras…
L2 : — J’ai fait et bien fait, donc tu me donnes…
Ce topos est une revendication de cohérence : “vous nous accusez d’incohérence !”. Il est
donc à rapprocher de l’argument ad hominem positif (argument ex datis). Il semble
présupposer une forme de gradualité : “si on s’est battu pour retrouver sa patrie, à plus
forte raison on se battra pour ne pas en être chassé”.
Ce topos est désigné par l’expression : « les mêmes hommes ne choisissent pas
toujours les mêmes choses après et avant » ; c’est ce que dit l’accusateur, non pas ce
que répondent les accusés. V. Ad hominem ; Cohérence ; A fortiori.
Les deux sens de argument orientent vers des approches analytiques différentes.
L’ouvrage de Grimshaw, Conflict talk. Sociolinguistic investigations on arguments in
conversation (1990), traite des disputes, et non de l’argumentation.
L’adjectif anglais argumentative — Le problème devient aigu lorsqu’on rapproche
l’adjectif anglais argumentative de l’adjectif français argumentatif, et de son dérivé
nominal argumentativité.
En français, ces mots sont dérivés de argument et ne peuvent signifier que “relatif à
la construction d’une (bonne) raison qui viendra soutenir une conclusion”. Argument,
argumentatif, argumentativité sont toujours en relation avec argumentation.
En anglais argumentative est du côté de argue with— about—. Le dictionnaire
Collins traduit argumentative par “ergoteur” (Collins, art. Argumentative). Le terme
est également employé en relation avec to argue_1, mais un risque d ’incompréhension
66 ♦ Argument, argumentation
1. Argüer
Il y a en français deux verbes arguer. L’un relève du vocabulaire spécialisé de l’orfèvre-
rie, et signifie “passer des lingots à l’argue”, l’argue étant un « appareil permettant
d’obtenir des fils d’or et d’argent par tirage à froid » (http://www.privals.fr, consulté
le 20 septembre 2013). Il s’écrit sans tréma.
L’autre verbe argüer concerne l’argumentation et s’écrit, en principe, avec un
tréma. Sur le plan strictement morphologique, argüer est le verbe de base et argument
son dérivé en -ment :
(il) charge � (un) chargement
(il) argue � (un) argument
et argumenter un verbe refait sur argument :
(un) argument � (il) argumente
2. Argutie
Au verbe argüer correspond le substantif argutie ; une argutie est un argument dont
on ne reconnaît pas la validité :
Ces gens-là ne sont que les agents d’une subversion dont la fin leur échappe mais dont
ils exécutent les consignes et rabâchent les arguties.
Argument — Conclusion
1. Argument
BB Dans la Rhétorique, Aristote emploie le terme pistis, traduit par “preuve”
ou “argument”. Le latin utilise le mot argumentum, “argument, preuve”. En
français, d’après Rey, le mot “argument” n’est devenu courant qu’au xxe siècle
« avec des applications particulières à la publicité et à la vente » (Rey [1992],
art. Argument).
Le mot argument est utilisé dans trois domaines, avec des acceptions différentes.
1. En logique, l’argument d’une fonction correspond à un terme désignatif ; on retrouve
cet usage en grammaire.
2. En littérature, il désigne un discours abrégeant un autre discours.
3. En théorie de l’argumentation, il se définit comme un énoncé légitimant une conclusion.
1.2 En littérature
L’argument d’une pièce de théâtre ou d’un roman correspond au schéma, au résumé ou
au fil directeur de l’intrigue. Ce sens du mot argument est morphologiquement isolé.
En particulier, les mots argumenter, argumentation, morphologiquement dérivés de
argument, n’ont pas d’acception correspondante. Par ailleurs, avec cette acception,
argument ne s’oppose pas à conclusion.
1.3 En argumentation
Argument ~ argumentation — Argument est souvent pris au sens de “argumen-
tation” : “il faut que le meilleur argument l’emporte”. Le Dictionnaire de l’Académie de
1762 définit argument comme un « raisonnement », et, secondairement, argumentation
comme la « manière de faire des arguments » ; il donne en exemple prémonitoire le
syntagme « Traité de l’argumentation » (DAF, art. Argument ; Argumentation, consulté
le 20 septembre 2013).
Prémisses, données, arguments — Les termes de prémisse et de donnée sont parfois
utilisés au sens de argument.
En logique, on oppose les prémisses du syllogisme à sa conclusion. Les prémisses sont
des propositions exprimant des jugements susceptibles d’être vrais ou faux. La conclu-
sion est une proposition distincte des prémisses et dérivée par combinaison des
prémisses. Une prémisse ne constitue pas un argument, mais plutôt une composante
d’un argument, construit par la combinaison des deux prémisses, V. Convergence.
Toulmin dérive sa conclusion d’une donnée (ang. data), souvent traduit pas “argu-
ment” (V. Modèle de Toulmin). Dans d’autres contextes, les deux termes ne sont pas
interchangeables : on parle des données d’un problème, non pas des arguments d’un
problème. Les données sont constituées par un ensemble de faits indiscutables (banque
de données) sur lesquels porte le problème. Elles n’ont pas d’orientation argumenta-
tive, c’est l’existence d’une loi (de passage) qui leur en confère une.
Typologie des arguments, arguments éthotiques, pathémiques et logiques : V. Types
et typologies ; Preuve et arts de la preuve.
Lecture du tableau : le tiret doit être remplacé par le mot ou l’expression contenu dans chaque case de la
colonne correspondante. Par exemple, la ligne 1 se lit “l’argument est un énoncé consensuel (ou présenté
comme tel par l’argumentateur), alors que la conclusion est un énoncé dissenssuel, contesté, disputé (ou
présenté comme tel par l’argumentateur)”.
V. Justification et délibération.
— Une convention ; l’énoncé argument fait l’objet d’un accord explicite entre les
partenaires dans le cadre d’une dispute dialectique par exemple :
Nous sommes d’accord pour considérer que la Syldavie ne sortira jamais de la zone
euro.
70 ♦ Argument
— Un choix du locuteur (de l’orateur), qui prend ses données parmi celles qui sont
admises par son interlocuteur (son auditoire), V. Ex datis.
— Un simple constat de fait ; l’énoncé n’est mis en cause ni par l’adversaire, ni par
le public.
L’accord des interlocuteurs sur les énoncés stables, susceptibles de servir de support
à la conclusion, n’est pas forcément assuré, celui de l’adversaire encore moins. Le
choix de ce qui sera retenu pour argument est donc une affaire de stratégie de discours,
adoptée en fonction des circonstances, V. STRATÉGIE.
Contestation de l’argument — Si l’argument est contesté, il doit alors être lui-même
légitimé. Au cours de cette nouvelle opération, il a le statut de conclusion avancée par
un locuteur et soutenue par une série d’arguments, qui sont des sous-arguments par
rapport à la conclusion primitive, V. Convergence ; Épichérème. Si l’accord ne se réalise
sur aucun énoncé, la régression peut être infinie et la dispute éternelle.
3.1 Point de vue
(i) On parle de point de vue en théorie du texte littéraire ; dans cette acception, point
de vue ne s’oppose pas à argument.
De l’autre côté de la haie, j’aperçus un jardinier.
De l’autre côté de la haie, on apercevait une route.
Dans un cas, le locuteur est hors du jardin, dans l’autre il est dans le jardin.
(ii) Dans le domaine socio-politique, point de vue a le sens de “opinion”, justifié
éventuellement par des arguments.
(iii) En argumentation, le terme est utilisé pour traduire l’anglais point of view et
standpoint. Un point de vue correspond à une ou plusieurs propositions. L’expres-
sion s’utilise pour désigner l’ensemble du discours composé du point de vue et des
bonnes raisons qui le soutiennent. Le programme pragma-dialectique est orienté
vers la réduction des différences de points de vue : on ne parle pas, dans ce cadre de
réduire la différence des conclusions.
Une affirmation constitue un point de vue si elle est ramenée à une source, alors
que la vérité absolue est indépendante de toute source, ou n’a de source qu’universelle.
Les points de vue sont nécessairement multiples et différents alors que la vérité est
supposée être une. La notion de point de vue structure le discours selon la méta-
phore de la visualisation d’un paysage qui serait le tout du réel, dont un point de vue
découperait une tranche. Le point de vue exclut la plus grande partie de la réalité
géographique et la restructure selon des effets de perspective qui n’ont de réalité
Argumentaire ♦ 71
que par rapport à un foyer par définition instable. En ce sens, le point de vue est
critiquable car il fonctionne comme une œillère ; ou louable, car il protège de l ’illusion
objectiviste produite par le consensus, ainsi que de la paranoïa du savoir absolu.
Le point de vue est un point de départ obligé ; les points de vue sont comparables
et évaluables ; on peut définir un “meilleur point de vue” ; on peut changer de point de
vue, multiplier les points de vue, on ne peut pas être sans point de vue. Il est possible
d’éliminer les différences de point de vue en éliminant les sujets, la pluralité des voix,
et en décontextualisant le discours. On produit par ces manœuvres le point de vue
du Tout, celui de l’argumentateur narrateur omniscient, objectif.
3.2 Conclusion
(i) La conclusion argumentative est distincte de la conclusion clôture du discours. La
conclusion argumentative peut être énoncée en divers points du discours, dans son
ouverture comme dans sa clôture, dans son introduction comme dans sa conclusion.
(ii) La conclusion est définie par opposition à l’argument (voir Tableau supra). Dans
un texte argumentatif monologal, la conclusion est l’affirmation en fonction de
laquelle s’organise le discours ; vers laquelle il converge ; dans laquelle se matérialise
son orientation. La conclusion est l’ultime résidu que l’on obtient dans la conden-
sation de texte.
(iii) La conclusion est plus ou moins détachable des arguments. Une fois qu’on a
conclu que “Harry est sujet britannique” (V. Modèle de Toulmin), on peut en principe agir
en fonction de cette proposition, mais, dans la mesure où l’affirmation est lestée d’un
modal, les conclusions qui en sont dérivées restent toujours révisables. Le principe
“on tire et on oublie” [fire and forget] ne vaut pas en argumentation, c’est-à-dire que
la conclusion n’est jamais détachable du discours qui a servi à la produire.
(iv) Un énoncé devient une proposition-conclusion dans la configuration dialogale
suivante :
— Il est avancé par un locuteur.
— Il n’est pas ratifié par le destinataire.
— Il est maintenu par le locuteur.
régissant cette présentation. Pour qu’un énoncé E1 puisse être donné comme
argument en faveur d’un énoncé E2, il ne suffit pas en effet que E1 donne des
raisons d’acquiescer à E2. La structure linguistique de E1 doit de plus satisfaire
à certaines conditions pour qu’il soit apte à constituer, dans un discours, un
argument pour E2. » (Anscombre et Ducrot 1983, p. 8)
Cette approche amène à une redéfinition de la notion de topos, comme lien séman-
tique entre deux prédicats, V. Orientation. En situant l’argumentation au niveau des
contraintes caractérisant la sémantique de l’énoncé, Anscombre et Ducrot procèdent
à une généralisation de la notion d’argumentation non plus dans le discours, à la
Grize, mais dans la langue.
V. orientation ; Échelle argumentative ; marqueur.
tous par un simple calcul. Dans le premier cas, outre ces tâches de clarification et de
calcul toujours présentes, interviennent des points de vue (des positions discursives,
des systèmes de valeurs, des intérêts) qui peuvent être radicalement incompatibles.
Aucune des positions ne peut être éliminée totalement, il reste toujours un pari,
donc un risque : je choisis A tout en craignant que le bon choix ne soit B ; je défends
mon parti, tout en sachant que le juge ou l’avenir donneront peut-être raison à mon
adversaire.
Globalement, on définit donc le champ de l’argumentation comme un champ de
questions-carrefours, V. Argumentation (III).
forme
de la langue
généralisée
forme de tout
discours
logique
Monologique
classique
discursive
argumentation
monologale
Activité
rhétorique
langagière Dialogique
du “bien dire”
cognitive
localisée
sans rhétorique
structure de la
d’échange persuasion
discursive logiques
dialogale dialogales
avec
structure
d’échange
interactions
82 ♦ Argumentation (III)
On voit que autrement dit, connecteur de reformulation, peut introduire une conclusion.
La conclusion c’est ce qui donne sens à l’énoncé ; seule la saisie de la conclusion
caractérise une authentique compréhension de l’énoncé. Cette définition permet
d’inscrire dans la langue le sens en discours.
Argument, conclusion, topos — On considère généralement que le lien argument–
conclusion est assuré par un topos, souvent implicite ; la cohérence de l ’enchaînement :
84 ♦ Argumentation (IV)
On dit parfois qu’il y a plus dans l’argument que dans la conclusion, dans la mesure où
l’argument est plus assuré que la conclusion, qui n’est qu’une projection hypothétique
de l’argument. On peut aussi dire qu’il y a moins, dans la mesure où la conclusion
ne fait pas que développer analytiquement l’argument, elle est le produit de cet
argument enrichi et structuré par sa combinaison avec un principe général ou topos.
Argument, conclusion, topos, modalisateur — Cette combinaison correspond au
modèle de Toulmin, qui articule la cellule argumentative monologique autour de
cinq éléments, la donnée (l’argument), la conclusion, la loi de passage (ou topos), elle-
même accrochée à un Support, et enfin un Modalisateur qui renvoie aux conditions
de réfutation de l’argumentation ([1958], chap. 3). V. Modèle de Toulmin.
Dans ce cas, l’argument est inclu dans le mot (Empson [1940]) ; l’énoncé est auto-
argumenté, il exprime un point de vue complet, qui se donne pour évident.
Argumentation (V) ♦ 85
La prémisse étaye la conclusion, mais il est possible que cette prémisse soit vraie et
que la conclusion soit fausse. Une conclusion tirée des connaissances disponibles
en To peut être correcte et ne plus l’être en T1 si entre-temps nos connaissances se
sont accrues.
Les antécédents de la théorie du raisonnement révisable sont recherchés, comme
ceux de l’argumentation, dans les Topiques d’Aristote et dans le raisonnement dialec-
tique. La restriction “à défaut d’information” correspond exactement à la composante
“modale” de Toulmin ; les intuitions de base sont les mêmes. V. Modèle de Toulmin.
Le raisonnement défaisable traite des problèmes comme le suivant. On sait que :
Les oiseaux volent ;
les oiseaux ont les muscles des ailes très développés.
Pioupiou est un oiseau.
Pioupiou ne vole pas.
86 ♦ Argumentation (V)
Dans ces conditions, peut-on déduire que Pioupiou a les muscles des ailes très déve-
loppés ? Il y a un lien entre la capacité de voler et le fait d’avoir les muscles des ailes
très développés. Ce lien pousse à suspendre l’inférence “Pioupiou a les muscles des
ailes très développés” en fonction d’une autre information disponible dans le contexte,
“Pioupiou ne vole pas”. En d’autres termes, la conclusion “il a les muscles des ailes très
développés” est déductible non pas de “Pioupiou est un oiseau” mais “Pioupiou est un
oiseau qui vole”.
Les conditions de réfutabilité d’une conclusion C affirmée dans le cadre d’un
raisonnement défaisable correspondent :
— d’une part, à l’existence de bons arguments pour une conclusion incompa-
tible avec C [dits rebutting defeaters], c’est-à-dire à l’existence d’une solide contre-
argumentation ;
— et d’autre part à l’existence de bonnes raisons de penser que la loi de passage
invoquée habituellement dans l’argumentation ne s’applique pas [dits undercutting
defeaters, Koons 2005] au cas envisagé. V. Réfutation.
Tweety vole
ζ : η
θ
ζ : prérequis : on sait que ζ ;
η : justification : η est compatible avec l’information disponible ;
θ : conclusion.
Cette schématisation exploite les mêmes concepts que ceux mis en jeu dans le schéma
de Toulmin ; on peut en effet l’écrire :
C (Conclusion, Claim)
Argumentation (VI) ♦ 87
Ces titres sont les plus connus d’une impressionnante constellation d’ouvrages qui
tous contribuent à définir la nouvelle thématique de l’argumentation.
— Pour un point de vue non rhétorique sur la persuasion :
Vance Packard, 1957, The Hidden Persuaders [trad. fr. 1958, La persuasion
clandestine].
— Pour le droit :
Theodor Viehweg, 1953, Topik und Jurisprudenz [Topique et jurisprudence].
Howard Kahane, 1971, Logic and Contemporary Rhetoric : The Use of Reason in
Everyday Life.
Ralph H. Johnson et J. Antony Blair, 1977, Logical Self Defense.
Ralph H. Johnson, 1996, The Rise of Informal Logic.
J. Anthony Blair et Ralph H. Johnson, 1980, Informal Logic : The First International
Symposium.
Douglas Walton, Chris Reed, Fabrizio Macagno, 2008, Argumentation Schemes.
J. Anthony Blair, 2012, Groundwork in the Theory of Argumentation.
Schéma 1
Argumentation (VI) ♦ 93
un terme spécifique. C’est le cas par exemple de la sociologie, science des sociétés, prise
en charge par les sociologues. La situation est déjà plus compliquée avec économie, le
terme désignant à la fois l’économie réelle (production et consommation des biens
et des services ; en anglais, economy) et l’économie comme science étudiant cet objet
(en anglais economics) ; les spécialistes sont appelés économistes (anglais economists).
Le terme argumentation désigne à la fois l’objet de l’étude et l’étude elle-même,
ou “théorie de l’argumentation”. Un ouvrage intitulé Argumentation peut très bien
n’en contenir aucune, de même que, selon la plaisanterie traditionnelle, on peut
ouvrir un ouvrage intitulé Fallacies sans craindre que ce titre ne soit une description
adéquate du contenu.
L’apparition spectaculaire d’ouvrages titrant sur le mot argumentation masque une
réalité plus profonde, liée au changement de statut de la logique. Au fond, on parle
actuellement d’argumentation pour désigner un domaine ou un ouvrage théorisant ce
domaine parce que le mot logique n’est plus disponible depuis la révolution formelle de
la fin du xixe siècle. Tous les anciens ouvrages intitulés Logique, reprenant la l ogique
aristotélicienne considérée comme art de penser, sont réellement des théories, des
traités de l’argumentation. Mais, depuis la mathématisation de la logique à la fin
du xixe siècle (Auroux 1995), l’intitulé Logique ne peut convenir qu’à un ouvrage de
logique formelle. Font exception de rares ouvrages comme les Éléments de logique
classique de Chenique (1975, t. I : L’art de penser et de juger ; t. II : L’art de raisonner),
ou surtout la Petite Logique de Maritain ([1923]), qui est peut-être un des derniers
ouvrages en français proposant sous l’intitulé simple Logique un art de penser (néo-)
aristotélicien. Cette logique est en un sens la première de la série de logiques “non
formelles”, “substantielles”, “naturelles”… qui ont fleuri à la fin du siècle dernier ; c’est
un traité de l’argumentation comme théorie de la pensée naturelle, en langue naturelle.
On reste donc avec un problème de la dénomination du champ par un terme
unique non ambigu ; on pourrait, en suivant l’exemple de la polémologie et de la didac-
tologie penser à argumentologie. Quant au nom des spécialistes de l’argumentation,
la même logique appellerait argumentologue, figure bien distincte de l’argumentateur.
Les termes risquent d’apparaître inutilement jargonnants, voire ridicules, alors qu’ils
seraient bien nécessaires. Quoi qu’il en soit, le dernier mot restera à l’usage et per-
sonne ne semble en ressentir actuellement un besoin urgent. Le terme argumentology
ne figure pas dans les monumentaux et fondamentaux Proceedings on the Fourth
International Conference of the International Society for Study of Argumentation de
1999 ; une seule occurrence en 2003, une également en 2007 ; il n’y a aucune occur-
rence d’argumentologue ou d’un nom dérivé pour le spécialiste (Eemeren et al. éd.
1999, 2003, 2007).
94 ♦ Argumentativité, degrés et formes
1. La construction
La préposition ab (a) connaît deux formes ; en général, a s’emploie devant consonne et
ab devant voyelle. En latin classique, cette préposition se construit avec un substantif
complément au cas ablatif. Elle n’introduit pas de compléments de nom, mais uni-
quement des circonstanciels qui indiquent la provenance, l’origine, l’éloignement, la
séparation ; à la base de ces constructions, il y a donc un verbe ellipsé. Les textes latins
désignent les formes argumentatives par des expressions de ce type, par exemple
Cicéron écrit dans les Topiques :
cum autem a genere ducetur argumentum
« lorsque c’est le genre qui doit fournir un argument » (Top., IX, 39 ; p. 79)
genere est le cas ablatif du substantif genus, “genre”. La construction est argumentum
[ducetur] a genere, soit, avec ellipse du verbe “argument [fourni par le, tiré] du genre”.
De même, la rhétorique À Herennius dit que, pour amplifier l’accusation :
primus locus sumitur ab auctoritate
« le premier lieu [primus locus] se tire [sumitur] de l’autorité [ab auctoritate] »
(À Her., II, 48 ; p. 80-81)
auctoritate est le cas ablatif du substantif auctoritas. La construction est : “lieu [tiré] de
l’autorité”.
« — À mon simple point de vue, répondait mon oncle Toby, ce sont là,
pour parler net, autant de meurtres. Les commette qui voudra.
— Voilà où gît votre erreur, répliquait mon père, car en foro scientiæ, il
n’y a rien qu’on puisse appeler meurtre : il y a, mon frère, la mort.
À quoi mon oncle Toby n’opposait jamais d’autre argument que le sif-
flotement de douze mesures de Lillabullero. Telle était, le lecteur doit
l’apprendre, la soupape ordinaire de ses passions chaque fois qu’il était
choqué ou surpris, mais particulièrement lorsqu’il se trouvait nez à nez
avec une absurdité ! […] Je décide donc et ordonne strictement par les
présentes que ledit argument soit désormais reconnu et défini par le nom
et le titre d’Argumentum Fistulatorium et aucun autre. »
Laurence Sterne, Vie et Opinions de Tristram Shandy, gentilhomme,
trad. française de Ch. Mauron, Paris, Robert Laffont, 1946. Cité
d’après l’édition de poche 10 x 18, 1975, p. 95-96.
Lillibullero est une célèbre marche irlandaise. La fistula est une flûte de Pan (Gaffiot
[1934], art. Fistula). Le comportement de l’oncle Toby correspond exactement à celui
que décrit l’expression française faire fi : faire fi, c’est faire pfff !, qui se prolonge natu-
rellement en un sifflotement « dénotant un comportement indifférent ou insolent »
(TLFi, art. Siffloter). V. Destruction du discours.
Origine de ces étiquettes — Certaines de ces appellations ont été définies et uti-
lisées par Locke et par Bentham, V. Typologies (II).
Locke a défini les arguments
ad hominem ad verecundiam ad ignorantiam ad judicium
(ii) Arguments faisant appel à un système limité de croyances, à des croyances per-
sonnelles, non universelles, contestables…
ad imaginationem ad incommodum
ad superstitionem ad ignorantiam
ad fidem ad consequentiam
ad socordiam ad hominem
ad vertiginem
Les catégories (i) et (ii) rassemblent des arguments, souvent considérés comme falla-
cieux, dans la mesure où ils expriment la subjectivité de l’argumentateur. En d’autres
termes, elles sont le reflet, dans la théorie de l’argumentation, des composantes
éthotiques et pathémiques de la rhétorique, V. Personne ; Éthos ; Pathos ; Émotion.
ex concesso lat. concedere, “céder, concéder, se ranger à l’avis de” — ang. arg. from
(pl. ex concessis) the consensus of the nations ; from traditional wisdom
e concessu V. Croyances de l’auditoire
gentium
e contrario lat. contrarius, “contraire” — ang. arg. from the contrary
[généralement : V. Contraires ; A contrario
a contrario]
Assentiment
Perelman et Olbrechts-Tyteca mènent la discussion des effets de l’argumentation sur
la base de l’opposition de persuader à convaincre, cependant la définition fonctionnelle
de l’argumentation proposée à l’ouverture du Traité, n’utilise pas ces termes, mais
parle d’adhésion des esprits et d’assentiment. L’argumentation y est vue comme une
activité double, qui vise à « provoquer ou accroître l’adhésion des esprits » à des thèses
qu’on doit d’abord « [présenter] à leur assentiment » (Perelman et Olbrechts-Tyteca
[1958], p. 5). Le mot assentiment rappelle le titre de l’ouvrage de Newman, Grammaire
de l’assentiment (A Grammar of Assent, [1870]). La notion d’assentiment relève de la
théorie stoïcienne de la connaissance, où elle est définie comme un acte volontaire de
l’âme qui se produit toutes les fois qu’elle reçoit une impression vraie, ce qui suppose
une harmonie entre la volonté et la vérité : “l’âme veut le vrai”, la vérité est index sui, sa
propre marque ; la marque de l’impression vraie est l’assentiment qu’on lui accorde. Le
scepticisme rejette cette harmonie entre représentation vraie et assentiment ; le vrai
n’est pas capable de s’auto-certifier, c’est-à-dire qu’on peut donner son assentiment à
des représentations fausses. La suspension, ou l’abstention, de l’assentiment, est au
fondement de la méthode sceptique permettant d’obtenir la tranquillité (ataraxie).
« Ainsi la voie sceptique est appelée […] “aporétique”, […] soit du fait qu’à propos de
tout elle est dans l’aporie et la recherche, soit du fait qu’elle est incapable de dire s’il
faut donner son assentiment ou le refuser » (Sextus Empiricus, Esq. pyrrh., I, 2, 7 ;
p. 55). L’assentiment peut être accordé ou refusé par un acte de la volonté :
« Pour moi, je suis convaincu que c’est la plus énergique des actions que de
lutter contre les sensations, de résister aux conjectures, de retenir son ju-
gement [assensus] sur la pente de l’affirmation et je crois avec Clitomaque
que Carnéade accomplit un véritable travail d’Hercule en purgeant notre
esprit d’un monstre des plus terribles, je veux dire de cette affirmation
[assenssus], qui précède la lumière et vient de la légèreté. »
Cicéron, Premiers Académiques, II, 34, Œuvres complètes de
Attaque personnelle ♦ 103
Association ► Dissociation
Attaque personnelle
BB Lat. argument ad personam ; le substantif latin persona désigne le masque
de l’acteur, qui correspond à son rôle, et non pas l’identité personnelle de
l’individu. À l’inverse, dans l’expression “attaque ad personam”, le mot per-
sonne renvoie au support de la dignité humaine, et aux interdits qui pro-
tègent l’individu, l’être humain unique.
La réfutation proprement dite porte sur les positions prises par l’adversaire,
alors que l’attaque personnelle est une stratégie de contournement métonymique des
positions de l’adversaire ; pour éliminer les dires, on disqualifie le locuteur.
Attaque ouverte et couverte — L’insulte est la forme la plus simple d’attaque ad
personam : “Monsieur, vous n’êtes qu’un malappris malhonnête !”. La déontologie de
l’interaction, et d’abord les règles de politesse, interdisent qu’on insulte son interlo-
cuteur, fût-il un adversaire, V. Règle ; Politesse. De façon générale l’attaque person-
nelle est une façon de pourrir le débat. Ironiser sur l’adversaire hors de propos, faire
allusion à lui en des termes négatifs, peut contribuer à lui faire perdre son sang-froid,
brouiller son discours, le pousser à se placer lui-même sur le terrain personnel et à
répondre sur le même ton, et le public sera tenté de renvoyer les pugilistes dos à dos.
L’attaque personnelle peut aussi porter sur la vie privée de l’adversaire : “vous feriez
mieux de vous occuper de vos enfants !” dit, dans un débat politique, à un adversaire
dont les enfants ont des problèmes, est une attaque personnelle que tout le monde
réprouve. Elle peut être portée de façon plus subtile en introduisant la question de
la politique familiale dans le débat, en soulignant la nécessité pour les parents de
s’occuper en priorité de leurs enfants ; la rumeur pourvoira aux prémisses man-
quantes. V. Enthymème.
Degrés de pertinence de l’attaque — Selon qu’elle est ou non liée à la question
débattue, l’attaque personnelle est plus ou moins pertinente. Considérons les des-
criptions négatives de l’adversaire faites dans le cadre de la question argumentative
“Faut-il intervenir en Syldavie ?”.
Proposant : — Il faut intervenir en Syldavie de toute urgence !
Opposant : 1. — Arrête tes idioties !
2. — Pauvre imbécile manipulé par les médias !
3. — Pauvre imbécile, il y a huit jours tu étais incapable de localiser
la Syldavie sur une carte !
Dans le cas (1) et (2), on a affaire à des attaques sur la personne jusqu’à plus ample
informé gratuites, c’est-à-dire sans liaison avec la question argumentative. Mais dans
le cas (3), rien n’est clair ; l’opposant fournit un argument invalidant l’interlocuteur,
au moins dans le cadre du présent débat. L’attaque n’est pas dénuée de pertinence.
Il faudrait pouvoir faire une différence entre traiter quelqu’un d’imbécile et appeler
imbécile un imbécile, mais ce n’est pas possible, tous les insulteurs diront qu’ils ne
font que décrire l’insulté ; d’où la prohibition générale de l’insulte.
Auditoire ► Orateur
Autophagie ► Rétorsion
Autorité, arg. ♦ 105
Autorité, arg.
1. Auctoritas
Le terme, et par là même certains éléments de la problématique de l’autorité nous
viennent du latin. L’étymologie du mot autorité a été établie par Benveniste (1969) :
le mot provient du latin augere, qui, dans la langue classique signifie “augmenter”.
Auctor, auctoritas ne sont pas formés sur ce sens classique, mais sur « [le] sens premier
de augeo “faire sortir, promouvoir” » (Benveniste 1969, p. 150 ; augeo est la 1re pers. du
singulier du présent de l’indicatif de augere) :
« Dans ses plus anciens emplois, augeo indique non le fait d’accroître ce qui
existe, mais l’acte de produire hors de son propre sein ; acte créateur qui fait
surgir quelque chose d’un milieu nourricier et qui est le privilège des dieux ou
des grandes forces naturelles, non des hommes. » (Ibid., p. 149)
L’auctoritas est détenue par le père, le prêtre, le juge ; elle donne une base commune
à la vie familiale, religieuse et juridique :
« L’auctoritas apparaît comme l’autorité d’une personne qui sert de fondement à
un acte juridique. Celui-ci n’a de valeur et d’efficacité que par l’auctoritas. […] Le
pater donne son auctoritas au mariage de son fils. Dans la vie religieuse, l’auctoritas
du prêtre délimite le domaine du sacré, et trace la frontière du profane. Dans
la vie juridique, l’auctoritas délimite le domaine du légitime, le sépare de ce qui
n’est pas le droit. » (Ellul [1961], p. 248-249)
Parler d’argument d’autorité n’a pas beaucoup de sens dans une telle vision des choses,
puisque l’auctor n’appuie pas de son dire une réalité, mais crée la réalité par son dire.
Les emplois latins, dont sont issus les emplois français, relèvent tous du sens fon-
dationnel de autorité. Le français a distendu le lien auteur–autorité ; un auteur peut
106 ♦ Autorité, arg.
n’avoir aucune autorité, et le détenteur d’une autorité n’est pas forcément un auteur.
Avec autoritaire et autoritarisme, il a développé une ligne lexicale stigmatisant l’autorité.
Le concept d’autorité est redéfini et discuté dans tous les champs des sciences
humaines, en relation avec la soumission et en opposition avec la ou les libertés.
Des études majeures sur le thème de l’autorité, du pouvoir et du totalitarisme ont
marqué le siècle dernier : en psychologie particulièrement depuis les retentissantes
expériences de Stanley Milgram sur la « soumission à l’autorité » (1974) ; en philo-
sophie, avec l’étude de la « personnalité autoritaire » de Theodor Adorno ([1950]),
ou l’étude du “système totalitaire” d’Hannah Arendt ([1951], 1972) ; ou en sociologie
avec Max Weber ([1921]), dont les distinctions entre les différentes sources d’autorité
et de légitimité sont passées dans la pensée commune : autorité traditionnelle, cha-
rismatique, et rationnelle-légale. La problématique de l’autorité engage l’étude du
discours dans une réflexion pluridisciplinaire sur les plans épistémique (conditions
d’acceptabilité non vériconditionnelles des énoncés) ; de l’influence sociale (gestion
des pouvoirs du discours) ; interpersonnel (manifestations et effets sur l’interaction
des positions d’autorité relatives des interactants).
Dans le champ de la rhétorique argumentative, la notion d’autorité est envisagée
dans son rapport à la parole : Qu’est-ce qu’un appel à l’autorité ? Comment fonctionne
l’énoncé fondé sur une autorité, évoquant ou invoquant une autorité ? Quels sont les
types de réponses critiques suscitées par ce genre de discours ? Dans la mesure où
elle se réclame de la raison et de l’examen libre, l’argumentation est antithétique de
l’autorité et de la violence, même si elles se prévalent de l’autorité légale et légitime.
Mais la parole argumentée est une parole totalement ambivalente : en tant que dis-
cours d’affirmation forte, elle prétend persuader, agir sur l’esprit d’autrui, changer
ses représentations au nom de la raison, c’est-à-dire faire autorité ; en tant que parole
critique, elle dénonce les discours d’autorité prononcés sous les dehors de l’universalité
de la raison et du consensus de la communauté.
Les études d’argumentation n’ont guère développé de pensée propre sur la
relation de la parole argumentative à l’autorité en tant qu’exercice du pouvoir et de
la violence, légitimes ou non ; mettre au premier plan la vérité ou la démocratie des
opinions n’autorise pas à mettre entre parenthèses ces données fondamentales des
sociétés humaines, V. Accords ; Rôles ; Persuasion. On invoque l’idéal de persuasion
et de consensus rationnels servi par l’argumentation, mais il faut tenir compte du
fait que la décision incombe au pouvoir légal en tant que tel.
On remarque que le sens du mot jugement évolue au fil des exemples du jugement
intellectuel jusqu’au jugement judiciaire.
Sur cette base, les rhétoriques ultérieures énumèrent les autorités susceptibles
d’être appelées à la rescousse pour affermir la position d’une partie. Dans le domaine
judiciaire, la rhétorique À Herennius propose dix « formules » (topoi) pour « amplifier
l’accusation » ; la première est tirée « de l’autorité, quand nous rappelons quel intérêt
les dieux immortels, nos ancêtres, les rois, les cités, les nations, les hommes les plus
sages, le sénat, ont pris à la chose – et surtout quelle sanction a été prévue par les
lois en ces matières » (À Her., II, 48 ; p. 81). Il s’agit d’autorités susceptibles d’appuyer
toute forme de discours, bien distinctes du précédent judiciaire.
Quintilien, pour la même situation judiciaire, considère comme autorisé « ce
qui a été regardé comme exprimant l’opinion des nations, des peuples, des sages,
des citoyens distingués, des poètes illustres. Même les maximes courantes et les
idées reçues par la croyance populaire ne seront pas sans utilité. » (Quintilien, I. O.,
V, 11, 36-37 ; p. 173). Ce magasin des autorités sera largement repris, avec quelques
ajustements, “dieux” doit en particulier être mis au singulier :
— autorité des Livres, de la tradition, des ancêtres (ad antiquitatem) ; l’argument
du Progrès s’oppose à cette forme d’autorité.
— des vers célèbres, des proverbes, des fables, des paraboles… V. Exemplum.
— des Chinois, des Américains…
— autorité des médias, des professionnels, des savants, des professeurs…
— vérités sorties de la bouche des enfants, des riches, des pauvres, des paysans du
Danube… V. Richesse et pauvreté.
— autorité du grand nombre, prestige du consensus majoritaire, d’un groupe par-
ticulier… V. Consensus ; Doxa.
Ces formes d’autorité sont cumulables : l’autorité scientifique du Maître est parfois
mâtinée de l’autorité charismatique du gourou.
Dans nos sociétés les normes et les règlements sont une source d’autorité essen-
tielle. Les règles du lieu, sont parfois informelles, mais il n’y a pas de lieu d’échange
sans règle, V. Règles ; les règles plus générales sont les normes légales du groupe social
et les normes internationales qui peuvent les dominer.
On peut distinguer les formes suivantes d’appel à l’autorité.
— L’autorité invoquée est celle qui est mise en œuvre dans l’argument d’autorité,
dont certaines formes sont spécifiées en fonction de la nature de la source (ad anti-
quitatem, ad numerum…), voir infra.
— L’autorité peut également être auto-attribuée, incarnée et manifestée dans le
discours de l’orateur, V. Éthos ; Modestie.
108 ♦ Autorité, arg.
L’ordre porte sur le faire, non pas sur la croyance. I fait P bon gré, mal gré. Il se
peut qu’il ait été convaincu de la justesse de son châtiment par les bonnes raisons que
lui a données le juge, mais cette condition psychologique n’est pas nécessaire ; A doit
seulement se plier à la décision du juge. On ne peut pas demander à tout le monde
de partager la théorie du châtiment rédempteur, et de consentir à sa condamnation,
même démocratique. La demande émanant de l’autorité disposant du pouvoir et éven-
tuellement de la force ne peut porter que sur du faire : si le contrôleur du chemin de
fer me demande de montrer mon billet, j’obtempère ; son autorité est inscrite dans le
règlement de la SNCF ; mes croyances et opinions sur la SNCF ne sont pas pertinentes.
L’autorité ne peut pas intimer à quelqu’un de croire quelque chose ; mais la
croyance s’incarnant dans des paroles et des comportements, faire faire est à la limite
indiscernable de faire croire : “mettez-vous à genoux et alors vous croirez”.
Ou, simplement “A dit que P”, lorsque le contexte établit clairement que A est une
autorité, et que, par ailleurs, L lui-même défend P, ou une position coorientée avec
P. L’exemple prototypique fondant cette catégorie est celui de Pythagore cité par
ses disciples : “il l’a dit lui-même” (“ipse dixit !”) donc c’est vrai. Il faut rappeler que
Pythagore n’est pour rien dans l’affaire ; c’est le locuteur qui use de lui comme d’une
autorité. L’autorité peut également justifier des façons de faire comme des croyances,
ou combiner les deux :
L : — Le Maître a dit que la pitié est un vice.
L : — C’est comme ça qu’ils tiennent leur fourchette, à Paris.
L : — Je ne donne jamais d’argent aux SDF, j’ai vu dans un livre que ça ne leur
rendait pas service.
Autorité auto-fondée et hétéro-fondée — Dans le cas de l’autorité montrée, la
source faisant autorité est identique au locuteur ; c’est une autorité si l’on peut
dire,“auto-autorisée” ou auto-fondée. Ce qui est dit est cru ou obéi parce que c’est telle
personne qui le dit, V. Éthos. Dans le cas de l’argument d’autorité classique, le locuteur
légitime son propos en le référant à une source tenue pour légitimante, préexistante,
différente du locuteur. L’autorité est hétéro-fondée, citée, et non plus montrée. Il y a
alors hétérogénéité des sources énonciatives, et non plus homogénéité, comme dans
le cas précédent. L’étude du fonctionnement de l’autorité dans le discours se situe
ainsi dans le cadre plus général de celle de la reprise discursive.
Autorité évoquée — L’analyse de l’étayage du discours par l’autorité d’un autre dis-
cours, qui lui est hétérogène, doit prendre en compte le fait que la citation n’est pas
toujours directe et ouverte ; le locuteur peut aussi procéder par allusion connotant
un discours “autorisé”, dominant, prestigieux ou expert. Si j’insère dans mes paroles
les expressions “ formation discursive”, “appareil idéologique d’état” ; “grand Autre”… je
laisse entendre mes accointances, ou ma connivence, avec, respectivement, la pensée
de Michel Foucault, d’Althusser, de Lacan, etc. Ces expressions connotent des dis-
cours qui peuvent jouir, et cesser de jouir, d’un certain prestige.
La citation d’une autorité à l’appui d’une proposition a un retentissement étho-
tique Si, comme le dit Oreste, “tous les Grecs vous parlent par ma voix”, le locuteur
fait plus que citer, il représente. Il n’est pas certain que l’auto-citation confère une
grande autorité au locuteur, mais citer une autorité prestigieuse est une façon de se
construire un éthos ; c’est parler par la voix du Maître, faire entendre Sa voix, donc,
en fin de compte s’identifier à Lui et recadrer l’échange en conséquence.
La philosophie de l’argumentation privilégie un idéal poppérien d’exposition à
la réfutation : il est parfaitement légitime d’argumenter par l’autorité, si l’argumen-
tation est explicitée, si l’on sait exactement qui a dit quoi. Cette exigence rationnelle
d’explicitation s’oppose à la stratégie rhétorique de construction d’un éthos impo-
sant, qui procède par enfouissement de l’autorité dans le discours (présupposition,
implicitation), la dérobant ainsi à la réfutation.
Autorité, arg. ♦ 111
— A n’est pas un expert, il est dépassé, il se trompe, il s’est souvent trompé ; il est
intéressé, manipulé, il est payé pour dire ce qu’il dit, vendu ; on glisse vers l’attaque
personnelle (ad personam) : A n’est pas un expert mais un bouffon.
On peut distinguer deux stratégies à l’œuvre en relation avec l’autorité : les argu-
mentations qui établissent une autorité et les argumentations qui exploitent l’auto-
rité. Cette opposition a une valeur générale, elle s’applique également au cas des
argumentations qui établissent / exploitent une relation causale ou une définition.
Le premier discours contre l’autorité, s’attaque à l’exploitation qui est faite de l’au-
torité, alors que le second discours s’en prend à l’autorité elle-même. Il s’ensuit que
le discours (ii) contre l’autorité repose sur un discours qui définit ce qu’est l’autorité
experte légitime : “A parle dans son domaine de compétence, il est au fait de l’état de la
question, son système est cohérent, il dispose de preuves directes, tous les experts sérieux
sont d’accord avec lui, il a déjà fait telle prédiction juste”.
(iii) Contre la personne qui plie devant l’autorité — Le cadrage dialogal invite à
focaliser non plus sur l’énoncé d’autorité, mais sur la relation d’autorité, c’est-à-dire,
à déplacer le problème de l’autorité critiquable du locuteur vers la pusillanimité de
l’interlocuteur, non moins fallacieuse. Locke parle de fallacie de modestie, ad verecun-
diam, pour reporter la critique de l’autorité sur celui qui accepte l’autorité, V. Modestie.
(iv) Contre-argumentation — On peut enfin opposer à P des arguments de meilleure
qualité, des arguments sur le fond, tirés non pas de l’autorité mais de la raison scien-
tifique, ou du savoir historique, déclarés par nature supérieurs à l’appel à l’autorité.
Si X est du même camp que L1, la réfutation combine autorité et ad hominem, V. Ad
hominem. L’autorité positive peut aussi être utilisée pour détruire non plus le contenu
de ce qui est dit, mais la prétention à l’autorité et donc la compétence de la personne
qui tient le discours :
L1 : — P !
L2 : — C’est exactement ce que dit Perelman ! Ça, on le sait depuis Aristote !
H est une personne, un parti rejeté dans la communauté de parole à laquelle appar-
Autorité, arg. ♦ 113
tiennent L2, les tiers arbitres de l’échange et possiblement L1 lui-même ; H est une
anti-autorité. Le lien de l’énoncé à l’autorité positive est fait par le proposant ; ici,
c’est l’opposant qui relie l’énoncé qu’il conteste à l’autorité négative. Hitler occupe le
sommet de la catégorie graduée des personnes dont il est impossible de reprendre
les termes : on parle de reductio ad Hitlerum pour désigner ce cas d’autorité négative,
dont l’invocation met un terme à toute argumentation.
Biais langagier
L’holographie est une technique qui permet de représenter en deux dimensions des
phénomènes tridimensionnels. Métaphoriquement, on peut dire que certains mots
sont des hologrammes du discours, ils ont la propriété de représenter la totalité du
discours argumentatif dans lequel ils entrent : la ligne du discours est condensée en un
118 ♦ Biais langagier
seul de ses points, le mot. Dans un contexte de débat sur l’avortement, si l’un parle de
bébé et l’autre de fœtus, on sait déjà que le premier est probablement contre et l’autre
plutôt en faveur de l’avortement. Le mot est chargé [ang. loaded] de la conclusion vers
laquelle il oriente. On considère généralement que le mot désigne une réalité et que
l’énoncé en dit quelque chose ; or ici, le mécanisme de désignation inclut lui-même une
prédication. V. Orientation.
Parler d’un bébé, c’est désigner un humain, et inférer qu’on doit développer vis-
à-vis de lui toutes les attitudes qu’on a vis-à-vis d’un « enfant en bas âge » ; alors que
fœtus désigne un « produit de la conception des Vertébrés au cours du développement
prénatal, après le stade embryonnaire, lorsqu’il commence à se former et à présenter
les caractères distinctifs de l’espèce ». Bébé a des « emplois affectifs », ce qui n’est pas
le cas de fœtus (TLFi, art. Fœtus ; Bébé).
1. Le phénomène
Soit les énoncés (1) “Pierre est serviable” et (2) “Pierre est servile”. Ces deux énoncés
décrivent-ils deux comportements, ou bien une seule et même attitude ? Les deux
positions peuvent être soutenues.
(i) Ils décrivent deux comportements. Aider sa grand-mère à découper le poulet,
ce serait être serviable ; proposer à son chef de porter son unique petite valise serait
servile. En conséquence, à chaque type de comportement est attachée une valeur
différente, positive pour la serviabilité, négative pour la servilité ; pour déterminer
la nature du comportement de Pierre, on doit scruter la réalité.
(ii) On peut aussi considérer que ces deux mots décrivent un seul comportement,
mais font intervenir deux points de vue sur ce comportement, c’est-à-dire deux
subjectivités, deux émotions ou deux jugements de valeur. Je juge positivement ce
comportement, et je dis : Pierre est serviable ; je le juge négativement, alors Pierre
est servile. La réalité ne dit rien sur la serviabilité ni sur la servilité. L’origine de la
distinction n’est pas dans la réalité mais dans la forme de la perception structurante
des locuteurs.
Tout ce que l’on peut dire à propos des énoncés (1) et (2), c’est qu’ils créent chez
l’auditeur des attentes de discours opposées. Serviable oriente vers “ je le veux bien
pour ami”, alors que servile annonce “ je ne veux pas entendre parler de ce type” ; celui qui
cherche des amis serviles ne cherche pas de “vrais amis”, V. Morphème argumentatif.
Les désignations antithétiques — L’opposition qu’exploitent les dis-
cours / contre-discours est parfois reflétée dans la morphologie des mots, comme
dans le cas précédent (V. Antithèse ; Dérivés) :
politicien / politique
scientifique / scientiste
D’une façon générale, les parties utilisent des termes différents pour désigner les
êtres au centre du débat : vous êtes le persécuteur, je suis la victime ; il est le mauvais
Biais langagier ♦ 119
riche, je suis le pauvre-mais-honnête, votre approche est scientiste alors que la mienne est
scientifique. Cette opposition peut se manifester dans des constructions complexes,
susceptibles de s’amplifier monologiquement en totalités autonomes :
La chasse au faisan est un sport de gentlemen !
La chasse au faisan est un massacre commis par des brutes avinées !
Si j’entends parler, sous nos latitudes, d’un animal fréquentant les humains, aux
yeux étincelants, amateur de souris… j’en conclurai qu’il s’agit d’un chat. Cette opé-
ration de catégorisation ne pose pas trop de problèmes pour les plantes, les animaux
et autres espèces naturelles. Les choses sont plus compliquées en argumentation, dans
la mesure où elle a affaire à des êtres et des situations dont la désignation n’est pas
un préalable au débat mais l’enjeu même du débat. Faut-il parler de bébé médicament,
de bébé sauveur, ou de bébé docteur pour désigner un enfant dont on sait, avant la
conception, que le corps pourra soigner son frère ou sa sœur ? Selon quels critères
puis-je catégoriser tel individu comme terroriste ou comme résistant ? Le résistant est-
il un terroriste qui a réussi, et le terroriste le résistant d’une cause perdue ? Tel acte
doit-il être catégorisé comme un acte de terrorisme (lâche) ou un acte de résistance
(héroïque) ? Dira-t-on que tout le monde a les mains sales et que tout dépend du
camp auquel appartient le locuteur, ou qu’il y a des critères universels permettant
de trancher, comme “viser des civils innocents, des enfants” ? V. Catégorisation.
L’argument par division est un autre nom de l’argument au cas par cas :
« Le pneu a éclaté parce qu’il était usé, parce qu’il y avait des clous sur la route,
ou parce qu’il y avait malfaçon. Or le pneu venait d’être acheté, on n’a retrouvé
aucun clou dans le pneu. Donc il y avait malfaçon. » (Perelman 1977, p. 65)
L’étiquette argumentation par division est donc homonymique : elle peut renvoyer
soit à l’argumentation par composition et division, soit à l’argumentation au cas par
cas, V. Composition et division.
122 ♦ Catégorisation
Catégorisation
On parle de catégorisation pour désigner l’opération légitimant le rattachement d’un
individu à une catégorie désignée par un nom, que ce nom soit un terme du lexique
courant ou un terme relevant d’une taxinomie scientifiquement contrôlée. On
pourrait également parler d’opération fondant la nomination ou la désignation, pour
couvrir les aspects cognitifs et linguistique de l’attribution d’un nom à un individu.
L’exemple classique illustrant le schéma de Toulmin est un exemple de catégorisation
administrative d’un être : l’individu Harry est catégorisé comme citoyen britannique
sur la base du critère être né aux Bermudes, V. Modèle de Toulmin. Le mécanisme de
la catégorisation constitue la première étape d’une argumentation par la définition,
V. Définition. En droit, la catégorisation correspond à la qualification d’un acte, opé-
ration essentielle qui détermine les lois qui lui sont applicables, V. Stase.
mal les êtres ; “avoir un long cou” n’est ni une différence spécifique ni une caracté-
ristique propre du serpent ; la girafe, le héron… sont également des animaux à long
cou. Mais rien ne dit que le pigeon catégorise réellement Alice comme un serpent.
Du point de vue du pigeon, le long cou est un indice de dangerosité et il est prudent
de s’exclamer “serpent !” comme on crie “au loup !” pour signaler un danger.
L’attaque fait apparaître des discours définitoires, plus ou moins complets, qui jus-
tifient le jugement porté sur le cas envisagé. V. Analogie catégorielle.
La législation française prévoit l’attribution automatique de la nationalité fran-
çaise aux enfants nés en France de parents étrangers et y résidant (en gros). Elle est
susceptible de créer deux catégories d’enfants à l’intérieur d’une même famille de
parents étrangers venus en France : d’une part, les “enfants nés en France” opposés
aux “enfants nés à l’étranger et ayant suivi leurs parents en France”. Du point de vue de
la loi, la différence spécifique est donc le lieu de naissance. Mais cette différence peut
tomber en désuétude ou faire l’objet d’une contestation active. On peut la contester
126 ♦ Cause
Cause
En théorie de l’argumentation, on utilise la notion de “cause” en deux sens différents :
1. États de cause — Le mot cause est pris au sens judiciaire de “affaire”, type de
question à laquelle doit répondre le tribunal. En ce sens, le mot n’admet pas les dérivés
causal, causalité, etc. V. Stase ; Question.
2. Cause — Dans le processus de causalité. V. Causalité ; Pragmatique ; A priori, A
posteriori.
Causalité (I)
d’une complexité au moins égale. Si l’on considère le champ des synonymes de cause
proposé par le DES (art. Cause ; Causer), on relève que :
— la cause est principe, origine, base, fondement ; déclencheur, départ, moteur ; ressort,
facteur ; moyen, occasion, prétexte ;
— l’humain agissant comme cause est agent, artisan, auteur, créateur, inspirateur,
instigateur, promoteur… ; ses buts, finalités, intentions, mobiles, motifs… valent comme
des causes ;
— métaphoriquement, la cause est pensée comme une étincelle, un ferment, un germe,
une origine, une semence, une source.
Des relations de type causal sont associées à des verbes très généraux comme :
— amener, apporter, attirer, créer, donner, donner lieu à, faire, former, procurer, sou-
lever…
— une série est plus spécifique : être cause de, avoir pour effet, être à l’origine de,
entraîner, créer, produire, provoquer, déterminer…
— la série allumer, engendrer, faire naître, déclencher, exciter, fomenter, inspirer, occa-
sionner, motiver, susciter est métaphorique, organique, et liée à des agents humains.
Toutes les fois qu’une séquence thématise un de ces termes, elle peut développer une
relation de la famille causale.
Comme la relation logique d’implication, la relation causale est notée par des
conjonctions :
parce que, puisque… : Conséquence + Relateur + Cause ;
donc ; quand ; si… alors… : Cause + Relateur + Conséquence :
Quand, si… on chauffe le fer, il se dilate.
2. Cause / Précédent / Antécédent
Dans le monde physique, la cause précède l’effet, mais des événements se succèdent
sans avoir forcément de lien causal ; précéder ne signifie pas causer. On distingue
les trois séries, temporelle, causale, logique :
série temporelle antérieur postérieur
série causale cause effet, conséquence
série logique antécédent conséquent, conséquence
Tu parles de la naissance des dieux, tu affirmes donc qu’à une certaine époque, les
dieux n’existaient pas.
On a affaire ici non pas à une conséquence causale mais à une conséquence logique,
c’est-à-dire opérant à partir des seules ressources du langage, V. Conséquence ; Inférence.
L’investigation causale part d’un fait saillant, comme “les abeilles disparaissent”,
“le climat change”, dont on recherche la cause ; en général, plusieurs faits sont évoqués
comme des causes possibles, qui fonctionnent comme des explications du phénomène.
On aboutit ainsi à une stase de causalité, qui se manifeste par la confrontation de ces
deux hypothèses :
L1 : — C’est l’augmentation de l’activité solaire qui provoque le changement du climat.
L2 : — C’est l’émission croissante de gaz à effet de serre qui provoque le changement
du climat.
Ces causes explicatives s’intègrent elles-mêmes à de plus vastes théories sur l’équilibre
climatique du globe terrestre ; à travers de telles affirmations causales locales, ce sont
des conceptions du monde physique et social qui s’affrontent.
L’affirmation d’une relation causale repose donc sur le montage d’expérimenta-
tions et sur le report d’observations cruciales. La détermination des causes se fait
selon une méthodologie dépendant du domaine. L’expérimentation causale, faisant
intervenir l’observation et l’expérience ordinaires. Je souffre d’une allergie. Quel
est l’allergène possible ? Hier je suis allé à la piscine et j’ai mangé des fraises. Deux
candidats possibles au statut de cause allergisante, les fraises ou les produits d’en-
tretien pour la piscine. Vérification : manger des fraises sans se baigner, se baigner
sans manger de fraises. Si je n’ai pas de chance, je dois approfondir l’enquête, et avoir
recours à un spécialiste, qui procèdera fondamentalement de la même manière. Si
j’ai de la chance, l’allergie se manifeste dans un cas et pas dans l’autre, et j’ai trouvé
l’allergène. Comme l’état de crise allergique est indésirable, je raisonne pragmati-
quement par la conséquence négative, et j’élimine la cause : ce genre de récit est le
report d’une expérimentation causale.
“Fumer donne le cancer” : en toute rigueur, l’existence positive d’une telle relation
ne peut être montrée ou démontrée ; on ne peut que la considérer comme un “reste”,
persistant lorsque toutes les autres possibilités ont été exclues. L’imputation causale
est révisable. Pour pouvoir affirmer que tel lien entre deux faits est effectivement
de type causal, il faut répondre au discours “contre l’existence d’une relation de
causalité”, dont les grands traits sont les suivants.
(i) Le prétendu effet n’existe pas — Les faits ne sont pas clairement établis : on
réfute l’affirmation causale “l’emploi des pesticides est la cause de la disparition des
abeilles” en montrant que les abeilles disparaissent peut-être de telle zone, mais qu’à
l’échelle de la région, il y en a toujours autant ; elles n’ont pas disparu, elles se sont
déplacées. C’est le fameux cas de la dent d’or de Fontenelle : on recherche la cause
d’un effet qui n’existe pas.
La police : — S’il n’avait pas été malade avant, il ne serait pas décédé. La police
n’est pas responsable.
En cas de forte pollution, les autorités municipales s’excusent de la même façon
auprès des personnes souffrant d’affections respiratoires : “les gens normaux n’ont
pas de problème”.
(vi) C’est l’effet qui nourrit la cause : le feed back est une sorte de cercle vicieux cau-
sal : la fusion atomique fait monter la température et l’élévation de la température
accélère la fusion. Dans le domaine social, ce genre de mécanisme est invoqué pour
rejeter une proposition d’action particulière, arguant qu’elle va non pas combattre
mais aggraver ce qu’elle prétend combattre :
L1 : — Pour combattre la récession, il faut renforcer / réduire les services publics.
L2 : — Mais le renforcement / la réduction des services publics vont renforcer la
récession.
On peut toujours réfuter une mesure en affirmant qu’elle aura telles et telles consé-
quences indésirables (certaines) qui l’emportent sur ses (prétendus) avantages, V. Prag-
matique. Dans le cas présent la réfutation est radicale, l’effet pervers étant non pas
un quelconque effet latéral inaperçu de l’auteur de la proposition, mais exactement
l’inverse de l’effet qu’il en attend. C’est un cas d’inversion pure et simple de la causalité
(voir infra), fréquent dans le discours polémique.
(vii) Dans le cas des prophéties autoréalisatrices, l’annonce d’un événement est
cause de l’événement :
L1_1 : — En vérité, je vous le dis : il va y avoir une pénurie alimentaire !
donc les gens se ruent dans les magasins et il y a pénurie alimentaire.
L1_2 : — Alors, je vous l’avais bien dit !
L2 : — Si vous n’aviez pas semé la panique, il n’y aurait pas eu de pénurie.
La prophétie autoréalisatrice est voisine de la manipulation : “Nous allons certaine-
ment vers la guerre, donc nous devons réarmer et conscientiser la population. — Main-
tenant, nous sommes les plus forts, et notre peuple est derrière nous. Nous pouvons faire
la guerre”.
(viii) Conversion de la cause et de l’effet. Le retournement de la cause et de l’ef-
fet est une forme de réfutation utilisée dans l’argumentation ordinaire sur les affaires
humaines. On prend acte de l’existence d’une relation entre deux faits qui varient de
façon concomitante. Pour rendre compte de cette concomitance, les uns affirment
que la causalité va de A vers B, les autres de B vers A ; les protagonistes défendent
les propositions converses < A est cause de B > et < B est cause de A >.
Pleure-t-on parce qu’on est triste ou est-on triste parce qu’on pleure ? L’agression
provoque-t-elle la peur ou la peur l’agression ?
L1 : — J’ai peur des chiens, ils mordent !
L2 : — Non, ils mordent parce qu’ils sentent que tu as peur.
Causalité (II) ♦ 133
Dans le premier cas, les responsables et les coupables sont le mordeur ou le persé-
cuteur, dans la seconde, le mordu ou le persécuté. Les célibataires se suicident plus
que les gens mariés : ont-ils des problèmes parce qu’ils sont célibataires, ou sont-ils
célibataires parce qu’ils ont des problèmes ?
Cette forme de réfutation par permutation de la cause et de l’effet est simple et
radicale, lorsqu’elle peut s’appliquer, ce qui n’est pas possible par exemple dans le
cas des abeilles et des pesticides. C’est sans doute pour cette raison qu’elle est parti-
culièrement prisée de l’argumentation causale ordinaire, illustrant ainsi la force de
tous les topoi jouant sur la permutation des termes. Il est plus excitant de soutenir
que c’est la politique qui détermine la morale, ou que c’est la morale qui détermine la
politique, que il n’y a pas de lien entre morale et politique. V. Converse.
(ix) Causalité, subjectivité, responsabilités : “Vous découpez mal la chaîne cau-
sale” — L’expression de la problématique causale sous la forme < A est cause de
B > est une simplification qui peut être excessive. Toute cause est elle-même cau-
sée — sauf Dieu, qui serait à la fois sa propre cause et cause de tout ce qui s’ensuit.
Le phénomène agissant comme cause peut être lui-même construit comme l’effet
d’une cause plus profonde, et ses effets sont de nouvelles causes pour de nouveaux
effets. On n’a donc pas affaire à un lien entre deux termes, mais à une véritable chaîne
causale, de longueur potentiellement infinie. On lisait en première page de L’Équipe
du lundi 17 avril 1988 :
L’horreur !
Quatre-vingt quatorze personnes ont trouvé la mort, samedi, dans le stade de
Sheffield, où devait se dérouler la demi-finale de la Cup Liverpool-Nottingham.
Les réponses apportées par le journal à sa propre question relèvent, la première, d’une
causalité large, les suivantes d’une causalité étroite. Le journal Libération affirme
une causalité large :
94 morts dans la tribune du stade de Sheffield
L’odieux du stade
Écrasés par la pression d’autres supporters, les victimes qui étaient venues assister
au match de foot Liverpool-Nottingham Forest ont payé un tribut dramatique
au sport-roi du pays de Thatcher.
134 ♦ Causalité (III)
Le journal L’Humanité combine des causes locales et des causes dites “plus profondes” :
Après le drame de Sheffield, Liverpool en deuil
Le dernier stade de l’horreur
9. morts et 170 blessés, au moins, tel est l’effroyable bilan de la catastrophe
de Hillsborough. Les victimes sont, dans leur grande majorité, des enfants et
des adolescents de milieux populaires, venus supporter debout leur équipe. La
vétusté et le caractère ségrégatif des stades, la mainmise de l’argent sur le monde
du football sont au banc des accusés. La destruction du tissu industriel et la
désorganisation des loisirs qui en résulte ont leur part de responsabilité dans la
transformation du sport et du jeu en activité à hauts risques.
L’examen de la chaîne causale mobilise des spécialistes sur chacun de ses segments :
policiers et juges sur les causalités et responsabilités étroites, sociologues, écono-
mistes, politiciens et historiens sur les causalités et responsabilités longues, journa-
listes sur les deux. En résumé, quelle est la cause ? La fragilité de la cage thoracique
des victimes, la mauvaise qualité des soins reçus, la lenteur des services de secours,
l’impéritie des services de police, la vétusté du stade, l’avidité financière des orga-
nisateurs, la folie des supporters, les mouvements sociaux, le chômage, l’exclusion
sociale, le système capitaliste… ? Désigner la cause, c’est désigner un responsable à
l’action, ou à la vindicte, publiques. En outre, par le phénomène de causalité multiple,
les chaînes causales s’entremêlent et les “fils causaux” s’enchevêtrent en un “tissu
des causes”. L’argumentation, à partir de ce tissu, tire des “ fils causaux”, et pose des
causes en coupant ces fils en certains points. Ces points sont déterminés en fonction
des intérêts et du programme d’action de l’argumentateur, qui peut ainsi trouver
des responsables et des coupables.
L’argumentateur est tout entier dans le découpage de la chaîne causale qu’il opère, et
dans la cause qu’il isole. Il serait donc illusoire de considérer que les argumentations
s’appuyant sur des liens de causalité sont tout de même plus rigoureuses et moins
subjectives que les argumentations s’appuyant, par exemple, sur l’analogie.
Cercle vicieux
On utilise également l’expression pétition de principe (lat. petitio principii). Dans cette
expression, pétition signifie “demande” : Tricot considère que « la version pétition de
principe que nous ne pouvons qu’adopter est d’ailleurs vicieuse : ce qu’on demande
d’accorder, n’est non pas un principe mais la conclusion à prouver » (note à Aristote,
Top., VIII, 13, 162a30 ; note 2, p. 359). On peut cependant comprendre que l’argu-
mentateur demande qu’on lui accorde, à titre, ou sous la forme d’argument ou de
principe, ce qui est en question, c’est-à-dire la conclusion elle-même.
Le cercle vicieux est une fallacie indépendante du discours, V. Fallacieux. C’est
un raisonnement prétendant prouver une chose par elle-même, en donnant comme
argument pour une conclusion cette conclusion elle-même, d’où l’image du cercle.
Sa forme schématique est :
A, puisque A.
A, donc A.
Il existe différentes formes de cercle vicieux (Aristote, Top., VIII, 13 163a15-30 ; p. 359 sv.).
Répétition — Dans le cas le plus évident, on a affaire à une répétition, l’énoncé
pris comme argument répète la conclusion. Dans le discours ordinaire, lorsque c’est
strictement le même énoncé qui est répété :
Tu dois le faire parce que tu dois le faire. C’est comme ça parce que c’est pas autrement.
malgré le format < P parce que P >, on n’a pas affaire à une pétition de principe
précisément parce qu’il ne s’agit pas de justification mais de refus de justification.
Reformulation — Dans les cas courant, il y a cercle vicieux lorsque la conclusion
est une reformulation paraphrastique de l’argument :
J’aime le lait parce que c’est bon.
Heureusement que j’aime le lait, si je ne l’aimais pas je n’en boirais pas, et ce serait
dommage parce que c’est si bon.
136 ♦ Cercle vicieux
Quand on postule le résultat même qu’on doit démontrer, « c’est là une faute qui
échappe difficilement à l’attention, mais elle est plus difficile à déceler dans le cas
de synonymes, ou d’un terme et d’une expression ayant la même signification ».
(Aristote, Top., VIII, 13, 162b35 ; p. 360).
Dans la théorie de l’argumentation dans la langue, la notion d’orientation intro-
duit de façon systématique une forme de biais qui n’est pas différent de la pétition
de principe ; dire “Pierre est intelligent, il pourra résoudre ce problème” présente des
allures déductives, alors que le prédicat “est intelligent” contient dans sa définition le
prédicat “peut résoudre les problèmes”. La problématique de l’argumentation comme
inférence évolue vers celle de la dérivation d’une reformulation, qui peut avoir valeur
d’explicitation. La pétition de principe n’est fallacieuse que dans la mesure où c’est
strictement le même terme qui est répété, V. Biais ; Orientation argumentative.
Gœthe a défendu l’idée que, dans toute argumentation, l’argument n’est qu’une
variation de la conclusion ; d’où il s’ensuit que la rationalité argumentative n’est que
vaine rationalisation :
« Il vaut toujours mieux exprimer tout simplement son opinion que
de l’appuyer sur des preuves, car les preuves ne sont que les variations
de l’opinion, et nos adversaires n’écoutent volontiers ni le thème ni les
variations. »
Goethe, Maximes et Réflexions, en ligne : [http://textes.libres.free.
fr/francais/johann-wolfgang-von-goethe_les-affinites-electives.
htm], consulté le 20 septembre 2013.
Lois générale ad hoc — Les Topiques signalent le cas fréquent où l’on postule sous
forme de loi universelle ce qui est en question dans un cas particulier (Aristote, Top.
VIII, 12, 163a1 ; p. 360) :
Les politiciens sont menteurs. Donc ce politicien est menteur.
Ce politicien est corrompu, puisque les politiciens sont corrompus.
L2 peut ajouter que L1 ne reconnaît pas d’autres faits tout aussi surprenants ; à quoi
ce dernier répond que :
L1 : — Ces autres faits sont des miracles opérés par le démon pour tromper les gens.
Incertitude égale — Le terme diallèle est utilisé par les sceptiques, avec une signi-
fication identique à “cercle vicieux” :
« Le mode du diallèle arrive quand ce qui sert à assurer la chose sur laquelle
porte la recherche a besoin de cette chose pour emporter la conviction ; alors,
n’étant pas capables de prendre l’un pour établir l’autre, nous suspendons notre
assentiment sur les deux. » (Sextus Empiricus, Esq. pyr., I, 15, 169 ; p. 143)
Charge de la preuve
BB On utilise parfois l’expression latine “onus probandi”, lat. onus “charge,
fardeau” ; probandi, de probare “rendre croyable, faire accepter, prouver”.
Ang. burden of proof.
« Selon ce point de vue, celui qui défend une vérité nouvelle devrait être
légalement tenu de s’avancer comme celui qui proposait une nouvelle loi
à la ville de Locres : avec une corde au cou et prêt à être garrotté, si, après
l’avoir écouté, l’assemblée, n’adoptait pas immédiatement ses propositions.
Ceux qui traitent ainsi leurs bienfaiteurs ne doivent pas tenir leurs bien-
faits en grande estime. Il me semble que cette vision les choses est propre
à ceux qui pensent qu’autrefois on a pu rechercher des vérités nouvelles,
mais que maintenant nous en sommes suffisamment pourvus. »
John Stuart Mill, On Liberty [1859], Harmondsworth, Penguin
Classics, 1987, p. 88-89.
138 ♦ Châtiments et récompenses
Ce principe est définitoire du rôle de proposant, qui est celui des partenaires qui
supporte la charge de la preuve. Il fournit également une définition de la doxa : un
“endoxon” (une proposition de la doxa), plus qu’une croyance “probable”, est une
croyance sur laquelle ne pèse pas la charge de la preuve, et qui est, en conséquence,
considérée comme “normale”.
En droit, l’attribution de la charge de la preuve détermine légalement qui doit
prouver quoi, et elle fonde l’appel aux précédents.
De nombreuses stratégies de débat s’interprètent par la volonté d’inverser la
charge de la preuve, de la rejeter sur l’adversaire : elle cesse alors d’être une caracté-
ristique préalable du débat pour devenir un enjeu du débat. La stabilisation de la
charge de la preuve apparaît en fin de compte comme une convention acceptée par
les participants, dans un échange dialectique au sens historique du terme, ou comme
un prérogative institutionnelle, imposée aux participants par le tiers.
La charge de la preuve pèse sur l’innovation, c’est-à-dire sur celui qui conteste un
proposition admise comme sur celui qui avance une proposition nouvelle. Dans l’un
et l’autre cas, ils doivent fournir de bonnes raisons ; lorsque Descartes met en doute
toutes ses croyances, il justifie cette opération radicale par l’hypothèse du Malin
Génie (Descartes [1641]), V. Règles.
On pourrait également se demander si, dans certains domaines, la charge de la
preuve n’est pas inversée : “c’est nouveau, ça vient de sortir !” est un argument en faveur
du produit dont il s’agit. On a besoin de bonnes raisons pour ne pas suivre la mode.
Charge de la preuve et initiative — Hamblin a redéfini la charge de la preuve dans
un jeu de langage comme la détermination du joueur à qui revient l’initiative du
premier coup. Cette définition peut être transposée aux interactions plurilocuteurs
fortement argumentatives, où l’on constate que le premier tour de parole est très
généralement alloué à la personne qui fait la proposition qui sera discutée. Ainsi, dans
un débat sur la légalisation de la drogue, l’animateur adresse la première question à
un partisan, et non pas à un opposant à la légalisation.
La charge de la preuve est relative à une question et à une proposition. Si l’oppo-
sant avance une contre-proposition, il supporte normalement la charge de la preuve
sur ce point.
La charge de la preuve peut varier avec le groupe ou le site sur lesquels a lieu le
débat. Si la doxa du groupe est qu’aucun interdit ne doit frapper la consommation
de la drogue, alors, dans ce groupe, c’est le partisan de l’interdit qui doit prouver.
Châtiments et récompenses
Le philosophe chinois Han-Fei propose une théorie du pouvoir comme usage expert
des « deux manipules » (Han-Fei, Tao), qui sont les deux intérêts matériels motivant
les actions humaines, les châtiments et les récompenses, hors de tout souci de rationa-
lité ou de valeur d’un autre type, comme la justice. La gestion des actions humaines
Chaudron, arg. ♦ 139
Chaudron, arg.
Dans L’interprétation des rêves [1900], à propos de l’interprétation du rêve de l’injec-
tion faite à Irma, Freud rappelle l’histoire du chaudron pour désigner une défense
incohérente avançant des justifications incompatibles :
« Tout ce plaidoyer – car ce rêve n’est rien d’autre qu’un plaidoyer – rappelle la
défense de cet homme à qui son voisin reprochait de lui avoir rendu un chaudron
en mauvais état : “Premièrement, je te l’ai rendu en bon état ; deuxièmement,
ton chaudron était déjà percé quand je te l’ai emprunté ; troisièmement, je ne
t’ai jamais emprunté de chaudron”. Tout est parfait ; il suffit que l’un de ces trois
moyens de défense soit jugé valide, pour que l’on doive acquitter cet homme. »
(Freud [1900], p. 92)
140 ♦ Circonstances
Le voisin cumule toutes les répliques défensives possibles (V. Stase), sans se soucier
du fait que, cumulées sur un même fait, elles sont contradictoires :
Circonstances
La fallacie d’omission des circonstances est classée comme une fallacie hors du dis-
cours ; elle survient « quand une expression employée particulièrement est prise
comme employée absolument » (Aristote, R. S., 5, 166b35 ; p. 15) et inversement.
Cette fallacie consiste à négliger dans l’analyse des données contextuelles perti-
nentes. Lorsqu’il s’agit de la reprise d’un discours, cette stratégie peut correspondre
à une radicalisation des affirmations de l’adversaire. On dit alors que la fallacie traite
comme une affirmation absolue ce qui avait été affirmé sous réserve, dans un contexte
particulier, avec des intentions bien précises.
Pour que la réfutation soit valide, il faut qu’elle porte exactement sur l’expression
qui a été avancée, en tenant compte des réserves qui ont été exprimées. La fallacie
est particulièrement vicieuse lorsqu’elle fait prendre en charge à un locuteur ce qu’il
Circonstances ♦ 141
avait fait dire à un énonciateur auquel il ne s’identifiait pas, autrement dit, on lui fait
prendre en charge ce qu’il n’avait admis qu’à titre de concession :
Michel Rocard : — La France ne peut pas accueillir toute la misère du monde, mais
elle doit en prendre sa part.
Reprise : — Comme l’a dit M. Rocard, “La France ne peut pas accueillir toute la
misère du monde”.
Comme les circonstances peuvent rendre vraie ou fausse une affirmation empi-
rique, il est toujours possible d’ironiser, V. Ironie ; Accident :
L1 : — Il fait beau (dit le matin, alors qu’il fait beau).
L2 : — Ah ah ! et toi qui dis qu’il fait beau (dit le soir, alors qu’il pleut).
Pour établir un fait douteux, on doit « chercher les circonstances qui ont précédé le
fait, qui l’ont accompagné, qui l’ont suivi » (Cicéron, Top., XI, 51 ; p. 83) : on trouve
ainsi « le rendez-vous […] l’ombre d’un corps […] la pâleur […] et autres indices du
trouble et du remords » (ibid., XI, 53 ; p. 83). Bossuet est également intéressé par le
travail du détective :
« Il est sorti en murmurant… : c’est argumenter par ce qui précède ; on l’a vu se
couler derrière un buisson… voilà ce qui accompagne. […] une joie maligne, qu’il
tâchait de tenir cachée, a paru sur son visage avec je ne sais quoi d’alarmé : voilà ce
qui suit. » ([1677], p. 140)
Les indices sont de trois types, selon qu’ils précèdent, accompagnent ou suivent
l’action. Ces indices peuvent être “antérieurs, concomitants ou postérieurs” au fait
(ante rem, cum re, post rem, Cicéron, Top., p. 82-83) ; Bossuet parle « [d’]adjoincts ou
conjoincts ; antecedens ; consequens » ([1677], p. 140).
Cohérence, arg.
L’expression fondamentale de la cohérence argumentative est la non-contradiction,
V. Non-contradiction ; Absurde. Ce principe fondamental pour l’argumentation
ordinaire a fait l’objet d’une élaboration spéciale en droit.
L’accusation devra prouver que L2 avait l’intention d’assassiner aussi l’autre héritier
ou trouver d’autres mobiles. La défense part de la ligne d’action proposée par l’accu-
sation pour montrer que ses actes n’entrent pas dans ce scénario ; le récit accusatoire
comporte des failles ou des contradictions. C’est un cas particulier d’argumentation
ad hominem.
L’argument de l’accusation incohérente exploite le principe de rationalité comme
adéquation d’une conduite à un objectif. L’accusé peut réfuter le récit accusatoire
en montrant que, d’après ce récit, il aurait agi de manière non pas incohérente, mais
chaotique, maladroite, peu rusée :
Vous dites que je suis l’assassin. Mais il a été prouvé que, juste avant le crime, j’ai
passé une heure au café en face du domicile de la victime, tout le monde m’a vu. Ce
n’est pas une conduite cohérente de la part d’un assassin que de s’afficher ainsi sur
les lieux de son crime.
144 ♦ Comparaison, arg.
Toutes les faiblesses relevées dans le scénario de l’accusation peuvent alors servir à
disculper l’assassin.
Le principe de cohérence des lois et le principe de stabilité du sujet de la loi portent
sur la cohérence du système légal. L’argument de l’incohérence ou de l’inconséquence
du récit exploite les ressources de la rationalité narrative : tous les récits d’excuse,
tous les récits mêlés à de l’argumentation sont vulnérables à ce type de réfutation.
Réciproquement, l’argument est vraisemblable parce que l’histoire est plausible et
parce que le locuteur sait la raconter.
Ces formes d’incohérence correspondent aux stratégies relevées dans les topoi
no 25 et no 27 de la Rhétorique d’Aristote (Rhét., II, 23, 1400a35-b1 ; 1400b5-20 ; trad.
Chiron, p. 400 ; p. 399). V. Typologies (I).
Comparaison, arg.
L’étiquette argument par la comparaison (a comparatione) est utilisée dans plusieurs
sens différents, correspondant à l’argumentation a fortiori, à l’argumentation a pari,
ainsi qu’à l’argumentation par analogie structurelle.
Complétude, arg.
BB Argument a completudine, lat. completudo, “complétude”.
En droit, l’argument de la complétude suppose que le système du droit est complet,
c’est-à-dire qu’il n’y a pas de vide juridique (de lacune dans la législation, de silence
du législateur). En conséquence, tous les cas soumis au juge peuvent être rapportés
à une loi ou à une interprétation fondée de la loi. Le principe de complétude est
corrélatif de l’obligation de juger : le juge ne peut pas s’excuser en arguant de trous
dans le dispositif légal. Il suppose que tous les actes humains sont qualifiables par
la loi comme interdits, permis ou obligatoires.
À travers ce principe est posé le problème du traitement des lacunes en droit,
qui apparaissent en fonction de l’évolution de la société (Tarello 1972, cité dans
Perelman 1977, p. 55). Un méta-principe comme le suivant permet de clore le système
de jugement :
« Dans les matières civiles, le juge, à défaut de loi précise, est obligé de
procéder conformément à l’équité ; pour décider suivant l’équité, il faut
recourir à la loi naturelle et à la raison, ou aux usages reçus, dans le silence
de la loi primitive. »
Fortuné Anthoine de Saint Joseph, Concordance entre
les codes civils étrangers et le Code Napoléon, 2e édition, t. II,
Paris, Cotillon, 1856, p. 460.
Composition et division
BB Lat. fallacia compositionis ; ang. composition of words, division of words.
La fallacie de composition et division fait partie de l’ensemble des fallacies “en dépen-
dance du discours” (vs fallacies indépendantes du discours) : c’est une fallacie de mots,
non pas de choses ou de méthode, V. Fallacieux (III). Elle est traitée dans les Réfutations
Sophistiques (p. 11-12) et dans la Rhétorique (II, 24 ; p. 128).
L’étiquette argumentation par la division est parfois utilisée pour désigner l’ar-
gumentation au cas par cas, V. Cas par cas.
(i) Équivalents : les énoncés (1) et (3) d’une part, (2) et (4) d’autre part sont en gros
équivalents, même si on peut se demander si (1) n’implique pas que Pierre et Paul
sont venus ensemble, alors que (3) pas forcément.
Dans ce cas, on dit que la composition et la division sont possibles. La coordina-
tion des syntagmes permet d’éviter la répétition. Les deux énoncés sont en relation
de paraphrase.
Dans le second énoncé se marier équivaut à “s’épouser, se sont pris pour époux”. Si
quelqu’un parle de ses enfants, la coutume étant ce qu’elle est, la composition n’est
pas trompeuse. En l’absence d’information de ce type, la composition produit un
nouveau sens, elle introduit une ambiguïté.
— L’opération de division peut donner naissance à un discours dénué de sens :
Le drapeau est rouge et noir.
� * Le drapeau est rouge et le drapeau est noir.
B est entre A et C.
�* B est entre A et B est entre C.
L’étude des systèmes paraphrastiques, c’est-à-dire les conditions de transformation
d’un énoncé en un autre énoncé ayant le même sens, est un objet d’étude de la
grammaire contemporaine. Parfois une opération syntaxique appliquée à un énoncé
produit un énoncé paraphrasant le premier, et parfois, la même opération appliquée
à un autre énoncé ayant apparemment la même structure que le premier, produit
un énoncé n’ayant aucun sens ou un sens et des conditions de vérité différents de
ceux de l’énoncé de départ.
Composition et division ♦ 147
L’interlocuteur est désorienté, et tout le monde trouve cela très drôle (Platon, Euth.,
XXIV, 298a-299d ; p. 141-142). V. Sophisme.
Sous l’intitulé “paralogisme de composition et division”, Aristote analyse, dans
les Réfutations sophistiques et dans la Rhétorique, ce petit jeu sophistique non pas
sur le plan de la grammaire, mais celui de la logique. Le problème s’étend à tout le
discours : dans quelles conditions des jugements portés sur des énoncés pris isolé-
ment se composent-ils lorsqu’on passe à un discours où ces énoncés s’enchaînent ?
(i) La fallacie de composition est illustrée par plusieurs exemples. Leur traduction
française est un peu raide, mais elle laisse deviner la généralité du problème, vu
sous l’angle de l’interprétation. Soit l’énoncé : « il est possible qu’un homme écrive,
tout en n’écrivant pas » (R. S., 4, 166a20 ; p. 11). Cet énoncé est susceptible de deux
interprétations.
— L’interprétation 1 “compose” le sens :
on peut en même temps écrire et ne pas écrire (ibid.), au sens de :
on peut (écrire et ne pas écrire),
ce qui est une absurdité : la composition du sens est fallacieuse.
— L’interprétation 2 “divise” le sens :
quand on n’écrit pas on a la capacité d’écrire (ibid.), au sens de :
on peut (savoir écrire) et/mais (ne pas être en train d’écrire),
ce qui est correct. Dans certaines circonstances, une personne qui peut écrire (nous
dirions “sait”) ne le peut pas matériellement, par exemple si elle a les mains liées. Le
modal pouvoir est ambigu entre “avoir la capacité de” et “avoir la possibilité d’exercer
cette capacité”. L’exemple suivant met encore en jeu la modalité pouvoir, cette fois
dans sa relation au temps : on peut beaucoup de choses, mais pas tout à la fois.
148 ♦ Composition et division
Considérons l’énoncé « si on peut porter une seule chose, on peut en porter plusieurs »
(R. S., 4, 166a30 ; p. 11) :
(1) (je peux porter la table) et (je peux porter l’armoire)
ce qui n’est pas forcément le cas : si on s’engage par contrat à porter la table et l’ar-
moire, on ne s’engage pas forcément à les porter ensemble.
(ii) La fallacie de division est illustrée par l’exemple « cinq est égal à trois et deux »
(d’après R. S., 4, 166a30, p. 12) :
— L’interprétation (1) divise le sens, c’est-à-dire décompose l’énoncé en deux pro-
positions coordonnées, ce qui est absurde et fallacieux :
(cinq est égal à trois) et (cinq est égal à deux)
Exemple : « Il est juste que celle qui a tué son mari… meure, et il est juste aussi, assuré-
ment que le fils venge son père ; ces deux actions ont donc été accomplies justement ;
mais peut-être que, réunies, elles cessent d’être justes » (Rhét., II, 24, 1401a35-b5 ; trad.
Chiron, p. 407). Le problème se pose concrètement s’il s’agit d’Oreste, Clytemnestre
et Agamemnon : un fils (Oreste) a-t-il le droit d’assassiner sa mère (Clytemnestre),
lorsque celle-ci a assassiné son père (Agamemnon) ? L’effet de composition produit
une stase dramatique, c’est-à-dire une situation argumentative. Oreste argue que
la composition est licite, ses accusateurs qu’elle est fallacieuse. Cette technique de
décomposition d’une action douteuse en une suite d’actes louables, ou au moins
innocents est argumentativement très productive : voler, ce n’est jamais que prendre
le sac qui se trouve là, le déplacer ailleurs et négliger de le remettre à la même place.
La division bloque l’évaluation globale.
La Rhétorique présente un second exemple où on voit clairement que les fallacie
et argument sont bien l’avers et le revers d’une même médaille :
Composition et division ♦ 149
« Puisque deux fois une quantité rend malade, on ne peut affirmer qu’une fois
cette quantité soit bonne pour la santé ; car il est absurde que si deux sont des
biens, un soit un mal. Utilisé ainsi, l’argument est réfutatif ; mais comme il suit
il est démonstratif : … car il n’est pas possible que si un est un bien, deux soient
des maux. C’est un lieu complètement paralogique. » (Rhét., II, 24, 1401a30 ;
trad. Chiron, p. 406)
Par division, c’est l’argument des abstinents, par composition celui des permissifs.
Les partisans de la prohibition partent d’un accord sur le fait que “vider beaucoup de
verres rend malade”, et ils divisent :
Vider (1 + 1 + 1 + …) verre rend malade.
Donc vider 1 verre rend malade et vider 1 verre rend malade et vider 1 verre rend
malade …
Les permissifs partent d’un autre accord : “boire un verre est bon pour la santé”, et
ils composent.
Concession
Concession négociée — Par la concession négociée, l’argumentateur modifie sa
position en diminuant ses exigences ou en accordant à l’adversaire des points contro-
versés. Du point de vue stratégique, il recule en bon ordre. La concession est un
moment essentiel de la négociation, entendue comme discussion sur un différend
ouvert et tendant à l’établissement d’un accord.
À la différence de la réfutation, en faisant des concessions, le locuteur reconnaît
une certaine validité à un discours soutenant un point de vue différent du sien, tout
en maintenant ses propres conclusions. Il peut estimer :
— qu’il dispose d’arguments plus forts ou plus nombreux que ceux de son opposant ;
— qu’il a des arguments d’un autre ordre, auxquels il ne veut pas renoncer ;
— qu’il n’a aucun argument à opposer mais qu’il maintient son point de vue envers
et contre tout et tous, selon la formule “ je sais bien mais quand même”.
Dans l’interaction, la concession apparaît comme un pas fait vers l’adversaire ;
elle est constitutive d’un éthos positif (ouverture, écoute de l’autre).
La concession peut être ironique, V. Épitrope.
Concession langagière — En grammaire, les constructions concessives monolo-
giques coordonnent deux discours “D1 — connecteur concessif — D2” d’orientations
argumentatives opposées tout en ayant pour orientation globale celle du second
membre D2 : “certes D1 mais D2” ; “Bien que D1, D2” ; “ j’admets, je comprends D1 mais
je maintiens D2”. D1 reprend ou reformule le discours d’un opposant réel, ou évoque
le discours d’un opposant fictif ; D2 réaffirme la position du locuteur.
Les relations sociales sont extrêmement tendues dans l’entreprise, nous devons
néanmoins continuer les restructurations d’effectifs.
On peut superposer les deux formes de concession, en rationalisant la concession
langagière. On dira alors que si l’on concède au sens langagier, c’est parce qu’on s’est
livré à une pesée des arguments propres et de ceux de l’opposant. Mais, comme le
langage a la propriété de donner pour vrai ce qu’il signifie, la concession langagière
produit automatiquement un effet de concession négociée, que ce soit ou non le cas.
Ceci ne signifie pas qu’il soit impossible de concéder, ou que toute concession soit
un pur acte de langage. Ce type d’indécidabilité n’existe que si l’on reste au niveau de
l’énoncé concessif. La concession négociée ne peut être étudiée que sur une séquence
interactive ou intertextuelle longue.
Conclusion ► Argument — Conclusion
Conditions de discussion
Le Traité de l’argumentation insiste sur la nécessité « d’accords préalables » à l’argu-
mentation, et sur leur variété :
« Pour qu’il y ait argumentation, il faut que, à un moment donné, une commu-
nauté des esprits effective se réalise. Il faut que l’on soit d’accord tout d’abord
et en principe, sur la formation de cette communauté intellectuelle et, ensuite,
sur le fait de débattre ensemble d’une question déterminée. » (Perelman et Ol-
brechts-Tyteca [1958], p. 18)
Deux types différents d’accords sont mentionnés ici, et, comme le texte le souligne,
aucun de ces accords ne va de soi.
« Si toute l’humanité sauf une personne était d’un seul et même avis, il ne
serait pas plus justifié pour l’humanité de faire taire cette personne qu’il
ne le serait pour cette personne de faire taire l’humanité. »
John Stuart Mill, On Liberty [1859], Harmondsworth, Penguin
Classics, 1987, p. 76.
V. Normes ; Règles.
« Il est permis de dire le vrai, mais il ne convient pas de le dire devant
n’importe qui, à n’importe quel moment et de n’importe quelle manière. »
Désiré Érasme, Du libre arbitre. In Luther, Du serf arbitre [1525], Suivi
de D. Érasme, Du libre arbitre [1524]. Présentation, trad. et notes par
Georges Lagarrigue, Paris, Gallimard, 2001, p. 470.
porte ici sur les conditions faisant qu’un énoncé avancé dans un débat peut compter
comme un argument : condition de vérité, qui est fondamentale dans un raison-
nement (V. Évidence) ; condition de pertinence de l’énoncé vrai pour la conclusion
défendue ; condition de pertinence de la conclusion (défendue par un énoncé vrai et
pertinent) pour le débat lui-même, V. Pertinence.
Lorsqu’on se trouve devant l’impossibilité de déterminer si un énoncé est vrai,
pertinent pour une conclusion elle-même pertinente pour un débat, on invoque
un régime général d’acceptation par les parties, acceptation que l’on interprète
généralement comme accord des parties. Mais, en pratique, cet accord est difficile
à obtenir ; les disputants se voient venir, et savent très bien qu’accepter l’argument
c’est déjà accepter la conclusion, d’où la tendance à préférer le désaccord de principe,
et d’abord sur les faits. Dans la théorie, la notion d’accord joue le rôle d’un deus ex
machina qui permet de se passer de la notion de vérité, et de faire passer un énoncé
du statut d’argument pour l’un à celui d’argument pour l’autre, et enfin pour la dis-
cussion en cours. Ce recours à la notion d’accord est fondé sur un argument par les
conséquences indésirables, l’absence d’accord condamnerait le débat au “désaccord
profond”. Si le destin du débat est laissé aux participants, cette absence d’accord
peut en effet aboutir à un effondrement de la discussion (Doury 1997). En pratique,
il faut prendre en compte deux faits, d’une part que les points d’accord et de désac-
cord peuvent faire l’objet d’une négociation permanente pendant l’argumentation ; et
d’autre part, que l’absence d’accord ne fait pas obstacle à l’argumentation : l’exercice
du pouvoir, qui peut être légitime, permet de se passer d’accord ; la décision du juge,
et plus largement celle du tiers, peut se faire sur la base d’un argument rejeté par
l’une des parties. V. Rôles argumentatifs.
D’une façon générale, plus l’on charge la barque des accords, plus on rapproche
la pratique de l’argumentation de la simple déduction : si l’on est d’accord sur les
bases, il suffit d’arranger convenablement les accords pour que la conclusion en
découle. Cette vision aboutit à aligner l’argumentation sur la démonstration logique
élémentaire. Or l’argumentation est une manière langagière de traiter les différents
dans un régime de désaccord et d’incertitude généralisés. Il y a une incompatibilité
décisive des intérêts matériels en jeu : on peut en effet partager le gâteau, mais ce
qui est mangé par l’un ne peut l’être par l’autre. Le désaccord profond relève du
régime argumentatif ordinaire, V. Évidence ; Désaccord conversationnel et désaccord
argumentatif.
Affirmation
d’une
connaissance
obtenue
Inférence immédiate
Indirectement, comme
conclusion d’une
inférence “illative”, ou
raisonnement
Déduction
Induction
Analogie
L’inférence est “illative” (Peirce). Elle permet d’acquérir des connaissances nouvelles
à partir de vérités déjà admises. Elle correspond à la problématique de la démons-
tration syllogistique comme à celle de l’argumentation qui est présentée comme sa
“contrepartie” rhétorique.
Consensus — Dissensus
1. Consensus
1.2 Argument du consensus
L’argument du consensus couvre une famille d’arguments qui fondent la vérité d’une
proposition sur le fait qu’il y a consensus à son sujet, ou qui permettent de rejeter
une proposition qui s’oppose au consensus. Le locuteur allègue que les données sur
lesquelles il fonde son argumentation font l’objet d’un consensus de tous les hommes
et de tous les temps, et qu’en ne s’y ralliant pas, son interlocuteur s’exclurait de cette
communauté. Ces arguments ont la forme générale :
On a toujours pensé, désiré, fait… comme ça.
Donc achetez (désirez, faites…) comme ça.
Tout le monde aime le produit Untel.
2. Dissensus
Les approches les plus courantes de la rhétorique argumentative focalisent sur la
persuasion, l’adhésion, la communion, le consensus, la co-construction… ; ces termes
sonnent comme des impératifs moraux : “la différence, c’est mal, l’identique, c’est
bien”, il faudrait être bien méchant pour ne pas être d’accord avec le principe de
l’accord. La mise au premier plan de la persuasion et du consensus laisse croire que
l’unanimité serait l’état normal et sain de la société et des groupes, opposable à l’état
pathologique que serait l’état de controverse et de polémique, en bref de dissensus.
Le TLFi ne donne pas le mot dissensus : cette forme régulière, calquée sur le latin,
de la famille de dissentiment, correspond à l’antonyme indispensable à consensus.
« La contentio est une guerre que l’on mène avec les mots. Ce peut être la
guerre défensive de celui qui, têtu, refuse sans raison de changer d’avis.
Mais il s’agit le plus souvent d’une guerre d’agression qui peut prendre de
nombreuses formes : une attaque verbale inutile contre le prochain, non
pour chercher la vérité mais pour manifester son agressivité (Aymon) ;
une querelle de mots qui, délaissant toute vérité, engendre le litige et va
jusqu’au blasphème (Isidore) ; une argumentation raffinée et malveillante
qui s’oppose à la vérité écoutée pour satisfaire un irrépressible désir de
victoire (Glossa ordinaria) ; une altercation méchante, litigieuse et vio-
lente avec quelqu’un (Vincent de Beauvais) ; une attaque contre la vérité
conduite en s’appuyant sur la force du clamor (Glossa ordinaria, Pierre
Lombard). Souvent cependant la contentio apparaît dans les textes sans
être définie, comme si la connotation d’antagonisme verbal violent atta-
chée au terme suffisait à indiquer le danger qu’il faut éviter et le péché
qu’il faut condamner. »
Carla Casagrande et Silvana Vecchio, Les péchés de la langue.
Discipline et éthique de la parole dans la culture médiévale [1987],
Paris, Le Cerf, 1991, p. 213-214).
La contentio est un péché de “second niveau”, dérivée d’un péché capital, essentielle-
ment l’orgueil (« filiation de la vaine gloire », ibid.), mode d’expression de la colère et
Consensus ♦ 159
l’homme et son père, entre la fille et sa mère, entre la belle-fille et sa belle-mère ; 36. et
l’homme aura pour ennemis les gens de sa maison » (Matthieu 10.34-36).
L’approche langagière de l’argumentation s’intéresse à la façon dont sont gérés
discursivement les conflits d’intérêts et les différences d’opinion. L’argumentation
donne des mots aux conflits, c’est une méthode de gestion non seulement des dif-
férents mais des différences, parfois en les réduisant, parfois en les faisant croître et
se multiplier.
Dans un contexte social, idéologique ou scientifique marqué par le consensus,
le premier moment dans la génération d’une question argumentative est de créer un
discours “alternatif ”, s’opposant au consensus. Comme les situations de consensus
n’ont pas besoin de justification, les discours alternatifs doivent être puissamment
justifiés pour devenir audibles dans la sphère pertinente : c’est une noble tâche pour
la théorie de l’argumentation que de réfléchir aux conditions dans lesquelles elle peut
contribuer à la construction de ces discours de dissensus, c’est-à-dire à l’émergence
des différences d’opinion.
La mise au premier plan du consensus suppose que l’unanimité serait l’état
normal et surtout souhaitable de la société et des groupes. S’il n’y a pas unanimité,
il y a une majorité dans le vrai et une minorité fallacieuse, qui a résisté au pouvoir
de persuasion de l’orateur et a refusé de reconnaître la défaite que lui a infligée le
dialecticien. Il ne lui reste plus qu’à faire sécession ou à émigrer vers un monde
nouveau. On peut faire l’hypothèse que la coexistence d’opinions contradictoires
représente l’état normal, ni pathologique ni transitoire, que ce soit dans le domaine
socio-politique ou dans celui des idées ; le désaccord profond est la règle, V. Désac-
cord. La démocratie ne vit pas de l’élimination des différences, et le vote n’élimine
pas la minorité ; les choses sont plus complexes. Comme l’a écrit très heureusement
un correspondant du quotidien espagnol El País, « il ne s’agit pas de convaincre mais
de vivre ensemble » ([No se trata de convencer sino de convivir] A. Ortega, La razón
razonable, El País, 25-09-2006) : le problème n’est pas de convaincre l’autre, mais de
vivre avec lui. L’argumentation est une façon de gérer ces différences, en les éliminant
ou en les faisant prospérer pour le bien de tous.
Il s’ensuit que la théorie de l’argumentation peut rester agnostique sur la question
de la persuasion et du consensus. Le débat profond est banal, tous les débats sérieux
comportent des éléments de radicalité, c’est précisément en cela qu’ils se différen-
cient de la clarification : argumenter, ce n’est pas seulement dissiper un malentendu.
Conséquence, arg.
BB Ad consequentiam, lat. consequentia, “suite, succession”.
Dans la littérature argumentative, conséquence est pris tantôt au sens causal de effet,
tantôt au sens logique de conséquent, V. Causalité (I).
Conséquence, arg. ♦ 161
Exemple :
Pierre affirme que le pouvoir est un bien.
Or tout le monde est d’accord pour dire que le pouvoir corrompt.
Or la corruption est un mal.
Or le bien est incompatible avec le mal.
Pour être un bien, le pouvoir devrait exclure la corruption.
Ce topos met en contradiction les dires avec les conséquences de ces mêmes dires ;
il correspond à : Tu affirmes les contraires. Cette forme de réfutation est celle qui est
exploitée dans l’échange dialectique philosophique.
Du point de vue langagier, tout l’art est dans la construction de non-P. En fait,
ce qui est dit par le proposant, c’est quelque chose comme S est X ; son opposant
construit X comme non-P, par une série de paraphrases argumentatives, V. Ad homi-
nem ; Contraires ; Absurde ; Dialectique.
L’argumentation par les conséquences est parfois désignée en latin comme argumenta-
tion quia “parce que”, en opposition à l’argumentation par la cause, ou propter quid “à
cause de quoi”, V. A priori, A posteriori.
Contradiction
1. En dialogue, la contradiction est une situation où deux interlocuteurs produisent
des tours de parole anti-orientés. La contradiction apparaît avec le refus de ratifi-
cation. Elle peut se résoudre par une série de procédés d’ajustements, ou elle peut
être thématisée et donner naissance à une situation argumentative. V. Désaccord ;
Question ; Stase ; Négation ; Réfutation ; Contre-argumentation.
2. Les relations de contradiction et de contrariété sont définies en logique. Elles
sont à la base de nombreuses opérations argumentatives.
— Relations de contradiction et de contrariété : V. Contraires et contradictoires.
— Principe de non-contradiction : V. Non-contradiction ; Ad hominem ; cohérence.
— Argumentation par l’absurde : V. Absurde.
— Argumentation par les contraires : V. Contraires ; Loi de négation.
Contraire et contradictoire
Les propriétés de contrariété et de contradiction sont définies au niveau des pro-
positions non analysées.
Contraire et contradictoire ♦ 163
P Q P contraire de Q
V V F
V F V
F V V
F F V
“Avoir les cheveux blancs” et “avoir les cheveux roux” sont des propositions contraires :
un même sujet ne peut pas avoir à la fois les cheveux blancs et roux (on passe sur le
cas des racines de cheveux mal teintes) ; et il peut avoir les cheveux bruns.
Propositions contradictoires — Deux propositions P et Q sont contradictoires si et
seulement si elles ne peuvent être ni simultanément vraies ni simultanément fausses ;
autrement dit, l’une d’elle est vraie, et l’autre est fausse :
P Q P contradictoire de Q
V V F
V F V
F V V
F F F
Eh bien ! c’est cette règle vulgaire qu’on paraît n’avoir pas même soup-
çonnée dans les inconcevables interprétations qu’on nous donne depuis
trois semaines de l’Encyclique et du Syllabus.
Le Pape condamne cette proposition : “Il est permis de refuser l’obéissance
aux princes légitimes” (Prop. 63).
On affecte d’en conclure que, d’après le Pape, le refus d’obéissance n’est
jamais permis, et qu’il faut toujours courber la tête sous la volonté des
princes. C’est aller d’un bond à la dernière extrémité de la contraire et
faire consacrer par le vicaire de Jésus-Christ le despotisme le plus brutal,
et l’obéissance servile à tous les caprices des rois. C’est l’extinction de la
plus noble des libertés, la sainte liberté des âmes. Et voilà ce qu’on fait
affirmer au Pape ! »
Félix Dupanloup, évêque d’Orléans, « La convention
du 15 septembre et l’Encyclique du 8 décembre [1864] », 1865.
Cité dans Pie IX, Quanta cura et Syllabus,
Paris, Pauvert (Libertés), 1967, p. 104-105.
condamnation. Si on admet que quelque chose de déconseillé est quelque chose qu’on
ne fait pas sans bonne raison, il est évident que l’on ne désobéit pas au prince légitime
sans quelque bonne raison.
Contraires, arg.
Le topos des contraires est le premier dans la liste des topoi rhétoriques d’Aristote :
« Un lieu des enthymèmes démonstratifs se tire des contraires : il faut exami-
ner si le contraire d’un sujet a un prédicat contraire à celui du premier ; réfuter
dans la négative, confirmer dans l’affirmative. » (Rhét., II, 23, 231397a7 ; trad.
Dufour, p. 115)
En d’autres termes, si < A est B > est douteux, on doit regarder ce qu’il en est
de < non-A > : le topos peut servir à la confirmation :
Si non-A est non-B, c’est que A est B ;
comme à la réfutation :
Si non-A n’est pas non-B, c’est que A n’est pas B.
— Confirmation :
Question : Si le courage est une vertu ?
Regardons si le contraire du courage (la lâcheté) est un vice. C’est bien entendu
le cas. Donc on déduit que le courage est bien une vertu.
Argumentation : “Le courage est (bien) une vertu, puisque la lâcheté est
(indiscutablement) un vice”.
C’est dans cette fonction de confirmation que le topos des contraires sert à l’ampli-
fication oratoire ou poétique.
— Réfutation :
Question : Si l’agréable est bon ?
Regardons ce qu’il en est du désagréable, est-il (toujours) mauvais ? Non, car
l’huile de foie de morue est désagréable, mais elle est bonne pour la santé.
Donc on en déduit que l’agréable n’est pas toujours bon, et celui qui soutient la
proposition “l’agréable est bon” est réfuté.
Argumentation : “Ce qui est agréable n’est pas toujours bon, puisque ce qui est
désagréable n’est pas toujours mauvais”.
non-P � non-Q > (V. Déduction) ; une condition suffisante est prise pour nécessaire
et suffisante :
S’il pleut, les tomates seront belles.
Donc s’il ne pleut pas, les tomates seront gâtées ?
Non, il suffit d’irriguer correctement au moment voulu.
L’argumentation prend appui sur le schéma < A est B >, “si un être x est A, alors
il est B” et remplace dans ce schéma A et B par leurs négations respectives : “donc
si un être est non-x il est non-B”. Le problème est que la notion de négation d’un
prédicat est claire, la notion de négation d’un nom ne l’est pas : une bouteille et un
train sont des non-licornes. Comme il s’agit d’énoncés du langage ordinaire, pris en
situation, les notions de contraire et de contradictoire sont discutables, mais celui qui
voudra les discuter donnera prise à l’accusation de tenter d’échapper à la discussion
par des “querelles sémantiques”.
L’application du topos des contraires est un réflexe sémantique. Il y a une pensée
par les contraires, un peu comme il y a une pensée par analogie. Il existe cependant
des cas où ce réflexe peut, ou doit, être inhibé : lorsque le texte est déclaré parfait tel
qu’il est, on ne peut rien lui ajouter, ni par les contraires, ni d’ailleurs par analogie.
Si la prière dit “paix aux gens qui t’aiment”, faut-il ou non appliquer le topos des
contraires, qui dirait “guerre à ceux qui ne t’aiment pas” ?
Certains exemples livrent des conclusions banales : le topos des contraires per-
met, dans le domaine philosophique visant à établir une exacte définition des mots,
de conclure que « être tempérant est bon, attendu qu’être intempérant est nuisible » ; l’opé-
ration semble évidente (vide, irréfutable). Au service d’une argumentation p olitique,
il fonde des argumentations comme :
« Si la guerre est cause des maux présents, c’est avec la paix qu’il faut les réparer. »
Ceux qui nous ont plongé dans la crise ne sont peut-être pas les mieux placés pour
nous en sortir : si A casse, c’est quelqu’un d’autre (non-A) qui répare.
La conclusion est déjà moins évidente : on pourrait soutenir que ce n’est pas la paix,
mais la victoire totale qui va tout réparer. Les conclusions ne sont pas triviales dans
les deux exemples suivants, dont Aristote illustre le premier de ses topoi :
« S’il n’est pas juste de se laisser aller à la colère envers qui nous a fait du mal
contre son gré, celui qui nous a fait du bien parce qu’il y était forcé n’a droit à
aucune reconnaissance. »
« Mais si les mensonges débités aux mortels les peuvent persuader, tu dois aussi
admettre le contraire : combien de vérités ne trouvent chez eux aucune créance ! »
(Aristote, Rhét., II, 23, 1397a10-15 ; trad. Dufour, p. 115)
Cicéron considère l’enthymème par les contraires comme l’enthymème par excel-
lence. V. Enthymème.
Contraires, arg. ♦ 167
1. A contrario
L’argumentation par les contraires correspond à l’argumentation a contrario : “Si
une règle concerne explicitement une catégorie d’êtres, alors elle ne s’applique pas
aux êtres qui ne font pas partie de cette catégorie”.
En droit, l’argument a contrario est défini comme
« “un procédé discursif d’après lequel, une proposition juridique étant donnée,
qui affirme une obligation (ou une autre qualification normative) d’un sujet (ou
d’une classe de sujets), faute d’une autre disposition expresse, on doit exclure la
validité d’une proposition juridique différente, qui affirme cette même obligation
(ou une autre qualification normative) à l’égard de tout autre sujet (ou classe
de sujets)” (Tarello 1972, p. 104). C’est ainsi que si une disposition oblige tous
les jeunes gens, ayant atteint l’âge de 20 ans, à accomplir leur service militaire,
on en conclura, a contrario, que les jeunes filles ne sont pas soumises à la même
obligation. » (Perelman 1979, p. 55)
Si une disposition est prévue pour les êtres appartenant à une catégorie, alors
elle ne s’applique pas aux êtres appartenant à une autre catégorie. Une mesure n’est
applicable que dans le domaine strictement prévu, à tous les êtres prévus et seulement
à eux. C’est une application de la règle de Quantité de Grice, qui demande que l’on
fournisse la quantité d’information nécessaire, ni plus ni moins.
Cette règle suppose que le système du droit est bien fait et stable. Dans une
période d’évolution de la société et de révision du droit, on opposera à l’argumenta-
tion a contrario l’argumentation a pari. Dire que les femmes sont engagées dans un
processus de conquête de l’égalité avec les hommes, c’est dire qu’elles refuseront qu’on
définisse leur statut a contrario par rapport à celui des hommes, et qu’elles exigent que
les lois soient appliquées a pari, c’est-à-dire qu’elles concluront qu’elles aussi doivent
pouvoir faire leur service militaire. Contrairement à ce qu’on dit parfois, il n’y a pas
de paradoxe dans le fait qu’il soit possible d’appliquer a pari / a contrario, dans une
même situation ; cela ne fait que refléter la dualité des positions politiques possibles
sur les questions sociales. Le paradoxe n’apparaît que si on veut faire fonctionner le
règlement comme un système logique immuable, a-social et a-historique. V. A pari.
Exemple :
1. Thèse : Pierre a les cheveux blancs.
2. Constat : Pierre a les cheveux noirs.
3. Règle : “noir” et “blanc” sont des contraires (ils ne sont pas simultanément
vrais, mais peuvent être simultanément faux, si Pierre a les cheveux roux).
4. Règle des contraires, voir supra.
5. Pierre n’a pas les cheveux blancs.
La présence constatée d’un contraire permet d’éliminer tous les autres termes de la
famille de contraires à laquelle il appartient. Cet argument a une portée immense,
il constitue sans doute le régime de réfutation standard. On réfute l’affirmation
de l’adversaire en exhibant un cas montrant que la proposition contraire est vraie.
La condition d’appartenance à la même famille de contraires est nécessaire : on
ne réfute pas “Marie a un chat” (thèse) en affirmant, sur la base d’un constat, que
“Marie a un lapin”.
La même procédure fonctionne également sur les contradictoires. Dans le régime
sexuel du xixe siècle, on réfute “Marie est un homme”, en constatant que Marie est
une femme. On réfute l’un en montrant que son contradictoire est vrai. De même si
deux termes sont dans la relation de possession / privation, autre forme de contraires :
on m’accuse d’avoir, dans ma colère, arraché l’oreille de quelqu’un ; je demande à ce
quelqu’un de venir devant le tribunal pour montrer qu’il a bien ses deux oreilles.
Cette argumentation est d’une importance fondamentale, car elle définit le régime
poppérien de la réfutation : la théorie dit que X, mais on constate que non-X ;
autrement dit les prédictions faites par la théorie sont fausses. Ce topos intervient
dans tous les domaines du discours pratique. Mais, au moins dans le domaine des
sciences humaines, le constat du contraire est moins concluant qu’il n’y paraît avec
l’exemple précédent. La théorie affirme, directement ou indirectement que P. Or
le bon sens, l’intuition linguistique, poussent plutôt à “constater” Q, quelque chose
de contradictoire avec P. Que faire pour sortir du dilemme ? Plusieurs solutions se
proposent.
— Rejeter la théorie, mais c’est une solution coûteuse et douloureuse.
— Minorer le fait gênant, en l’opposant à la masse des faits qui confirment la théorie,
ou du moins que la théorie permet d’expliquer ou de coordonner.
— Réformer l’intuition, et décider que la théorie est géniale, précisément parce
qu’elle nous fait voir les choses “autrement”, de façon plus riche et plus profonde, et
qu’en fait P est une sorte de structure profonde de l’intuition élémentaire exprimée
par Q. En d’autres termes, on peut résister à la réfutation en choisissant de réformer
les hypothèses internes (la théorie) ou les hypothèses externes (ce qui compte pour
un fait).
Contre-argumentation ♦ 169
Pour qu’une déclaration apporte une réelle information, il faut que, dans la situation
considérée, on puisse donner l’information contraire : “tout le monde est d’accord,
comment ne pas être d’accord” :
Contre-argumentation
Il y a contre-argumentation lorsque, à l’affirmation d’une position argumentée, l’in-
terlocuteur réplique par l’affirmation d’une autre position également argumentée.
Il apporte des arguments allant dans le sens d’une conclusion en contradiction avec
la première ; il fait une contre-proposition argumentée :
L1 : — Construisons la nouvelle école ici, les terrains sont moins chers.
L2 : — Si on la construit là-bas, les élèves auront moins de transport.
On peut considérer que si l’opposant se borne à faire une contre-proposition, “Il faut
la construire là-bas”, on a toujours une contre-argumentation, dans la mesure où on
suppose qu’il tient des arguments en réserve.
La structure argumentation / contre-argumentation peut correspondre au stade
émergent d’une question argumentative particulière, mais, de façon générale, elle
caractérise une position relative (un footing au sens de Goffman) des participants :
la contre-argumentation correspond aux moments où les partenaires présentent et
argumentent deux positions incompatibles, ce qui peut se produire n’importe quand
dans une situation argumentative concrète.
170 ♦ Contre-proposition
« Jusqu’ici, à mon sens, non seulement [Putnam] n’a pas justifié ses
p ositions, mais il n’est pas parvenu à préciser ce que sont ces positions.
Le fait que même un philosophe de son envergure n’y parvienne pas nous
autorise peut-être à conclure que… »
Noam Chomsky, « Discussion sur les commentaires de Putnam »,
Théorie du langage, théorie de l’apprentissage,
Massimo Piattelli-Palmarini éd., Paris, Le Seuil, 1979, p. 461.
Contre-proposition ► Contre-argumentation
Convergence
Deux ou plusieurs arguments sont convergents lorsqu’ils soutiennent indépendam-
ment la même conclusion ; on dit aussi argumentation convergente. On a affaire à
un cumul d’arguments, qui, pris séparément, peuvent être relativement faibles, peu
concluants, mais qui, pris en bloc, se renforcent (deux raisons valent mieux qu’une) :
“Mon ordinateur commence à vieillir, il y a des promotions sur ma marque favorite,
je viens de toucher une prime, j’achète !”. Chacun des arguments est orienté vers la
conclusion “J’achète !”.
Convergence ♦ 171
Argument_1
Conclusion
Argument_2
Donnée_1
Argument_1
Loi de passage _1
Conclusion
Donnée_2
Argument_2
Loi de passage_2
Le locuteur considère que l’argument_1 est suffisant pour la conclusion, mais qu’il
ajoute en plus, pour faire bonne mesure, l’argument_2. (Ducrot et al. 1980, p. 193-232).
Réfutation point par point — Pour réfuter la conclusion d’une argumentation
convergente, on doit réfuter chacun des arguments qui soutiennent cette conclu-
sion ; à une argumentation convergente on répond ainsi par une réfutation point par
point ; c’est une argumentation au cas par cas, limitée aux cas qui ont été avancés par
l’adversaire, V. Cas par cas.
— Le proposant avance une série d’arguments qui convergent vers la même conclu-
sion. Il considère ses arguments comme des « preuves » ;
172 ♦ Convergence
— l’opposant répond à chacune de ces arguments, qu’il considère comme des « pseu-
do-arguments » ou des « “arguments” ».
Convergence — Liaison — Série
Dans une argumentation organisée sous la forme “Argument–Conclusion”, la conclu-
sion est exprimée généralement par un seul énoncé ou par un bref discours conclusif.
Le discours environnant, orienté vers cette conclusion, peut connaître un dévelop-
pement considérable. La distinction entre argumentations liées, convergentes et en
série porte sur la structure qu’il convient d’attribuer à ce discours. On distingue trois
modes de structuration élémentaires, selon que le discours orienté vers la conclusion
est composé :
— de plusieurs arguments co-orientés, V. Convergence ;
— de plusieurs énoncés, dont la combinaison produit un argument, V. Liaison ;
— de plusieurs argumentations, dont la conclusion de l’une est prise comme argu-
ment par la suivante, V. Série.
Converse
En logique, deux propositions sont converses si elles permutent leurs sujets et leurs
prédicats ; les deux propositions sont de la forme :
< A préd B > et < B préd A >
La proposition converse d’une proposition vraie n’est pas forcément vraie, V. Logique
classique (II).
En grammaire, le mécanisme de la conversion peut s’appliquer à des structures
autres que propositionnelles ; elle opère également sur d’autres structures :
< N1 de N2 > et < N2 de N1 >
Corrélatifs, arg. ♦ 173
ou sur le groupe < Adj + Nom > : “mieux vaut une fin effroyable qu’un effroi sans fin” ;
cette conversion correspond à l’antimétabole, V. Orientation argumentative.
On peut contre-argumenter de façon radicale une proposition soutenant sa converse,
V. Causalité (II) ; Analogie :
De même une stratégie radicale de défense consiste en une conversion des rôles
d’accusateur et d’accusé : “le coupable est celui qui m’accuse !”, V. Réciprocité ; Stase.
La réplique enfantine “c’est celui qui le dit qui y est” convertit l’accusation :
L1 : — C’est toi qui a volé l’orange !
L2 : — Non, c’est toi, parce que c’est celui qui le dit qui y est.
Le fait que L1 accuse L2 est utilisé par L2 comme un argument pour accuser L1.
Corrélatifs, arg.
Termes corrélatifs (relatifs, réciproques) — Père et fils sont des termes corrélatifs ;
ils entrent dans des relations d’inférences immédiates : “si A est le père de B, alors B
est le fils de A”. Dans cet exemple traditionnel, fils a le sens de “enfant”, terme non
marqué représentant la paire “fils ou fille”.
D’une façon générale, dire que deux termes A et B sont dans une relation de
corrélation pour les relations R1 et R2, c’est dire que :
A_R1_B ↔ B_R2_A
Ces termes relatifs sont définis l’un par l’autre ; père de est défini comme “homme
ayant E1 et E2 pour enfants” ; enfant de comme “garçon ou fille de P”.
Les termes corrélatifs sont parfois considérés comme une variété de contraires :
« les relatifs sont [des opposés] par définition » ; ils sont « ontologiquement simul-
tanés » (Hamelin [1905], p. 133).
Topos des corrélatifs — Les opérations sur les corrélatifs correspondent au topos
no 3 de la Rhétorique d’Aristote : « à propos des impôts : s’il n’est pas honteux pour
nous de les vendre, il ne l’est pas non plus pour nous de les acheter » (Rhét., II, 23,
1397a25 ; trad. Chiron, p. 381) :
S’il est permis d’acheter 2 g de hashich, alors il est permis de vendre 2 g de hashich.
174 ♦ Critique
Ces inférences ont des limites, la vente de drogue est poursuivie, alors que la posses-
sion de drogue en petite quantité est tolérée. Le principe suivant traite deux paires
de corrélatifs savoir / apprendre, commander / obéir par le topos des contraires :
Si tu veux savoir commander, tu dois d’abord apprendre à obéir.
Critique — Rationalités — Rationalisation
1. Rationalités
L’argumentation est fréquemment vue comme l’instrument de la rationalité dans les
affaires humaines. On peut distinguer plusieurs formes de rationalités.
La rationalité comme adéquation d’une conduite à un objectif couvre toutes les
formes d’action guidées par un script, une recette ou un plan préétabli. Si l’on veut
réussir une crème anglaise, il est plus rationnel de verser le lait chaud sur les œufs que
de mettre les œufs dans le lait chaud, la crème sera plus homogène. Ce principe de
rationalité se confond avec l’exigence de non-contradiction (principe de consistance
ou de cohérence) entre conduite et objectif. Il est exploité par toutes les formes de
réfutation qui décèlent une contradiction chez l’adversaire, V. Ad hominem ; Cohérence.
Comme il est normal de courir plusieurs lièvres à la fois, c’est-à-dire de poursuivre
plusieurs objectifs, la rationalité résultante est perpétuellement déstabilisée.
Cette forme de rationalité est compatible avec le crime ; Sade est un excellent
argumentateur. D’où la possibilité de rationalités délirantes et despotiques au service
de buts de même nature.
Rationalité liée à un domaine — La rationalité dépend des domaines. Un com-
portement à composante langagière, est dit rationnel s’il est conforme aux pratiques
reconnues dans un domaine, un domaine technique, un paradigme scientifique, une
tradition de pensée, V. Règles.
Rationalité démocratique — C’est une qualité des sociétés et des groupes disposant
d’institutions et de lieux où l’information est accessible, où fonctionne l’examen libre
et contradictoire des positions et des oppositions, dans la perspective d’une prise de
décision effective ; où il existe un droit de réponse, dans un format identique à celui
de l’attaque, et où la sécurité des opposants est assurée. C’est une forme de société
où les détenteurs du pouvoir et de la violence légales sont amenés à rendre compte
de l’usage qu’ils en font.
On considère parfois que la rationalité est gouvernée par des règles ; on voit que, si
on tente de formuler sous forme de règles les conditions précédentes, elles devront
être de nature très différente.
Critique ♦ 175
Un discours est plus rationnel s’il a été critiqué. Son degré de rationalité augmente
avec le nombre de rencontres contradictoires auxquelles il a été soumis et dont il
est sorti vivant, toujours tenable. Cette notion est perelmanienne : la rationalité de
l’argumentation augmente avec le nombre et surtout la qualité des auditoires inté-
ressés et compétents qui l’acceptent. Comme le dit Bachelard, il n’y a pas de vérité,
il n’y a que des erreurs rectifiées ou en cours de rectification.
La pratique de l’argumentation dialoguée, en face à face ou à distance, peut être
considérée comme l’exercice de la fonction critique du langage. Critiquer ne veut pas
dire “dénigrer” ni “rejeter”, mais “porter un jugement”, positif ou négatif , sur une
activité quelconque. L’observation des données montre que les partenaires engagés
dans une argumentation passent leur temps à évaluer, les arguments des autres
(Finocchiaro 1994, p. 21). La parole argumentative est évaluée dans un méta-discours,
produit aussi bien en face à face qu’à distance, dans l’espace et dans le temps. Toute
approche du discours argumentatif soucieuse d’adéquation empirique doit prendre
en compte cette dimension critique, à un moment ou à un autre.
La nouvelle rhétorique pose la question critique à deux niveaux. D’une part, à
la suite de la rhétorique ancienne, elle accorde toute leur place aux mécanismes de
réfutation, qui constituent une critique de premier niveau. En second lieu, elle situe
la question de l’évaluation comme celle de l’appréciation critique des auditoires,
et l’inscrit dans le passage de persuader à convaincre (V. Persuasion) ; l’évaluation
des arguments est le fait des participants à l’adresse rhétorique. C’est un contraste
considérable avec les visions qui confient l’évaluation aux soins d’un juge rationnel,
qui, dans la pratique se confond avec l’analyste.
Les modèles du dialogue mettent l’activité critique au centre de leurs préoccu-
pations. La pragma-dialectique et la logique informelle développent une critique de
l’argumentation fondée sur la notion de fallacie. Pour déceler les fallacies, la prag-
ma-dialectique utilise un système de règles ; la logique informelle utilise plutôt la
technique des questions critiques, V. Fallacieux ; Règles.
Divers termes sont employés pour caractériser négativement le contenu du dis-
cours invalidé par la critique :
— Un paralogisme est essentiellement un syllogisme non valide, V. Paralogisme.
— Alors que le paralogisme est de l’ordre de l’erreur, le sophisme relève de la trom-
perie intentionnelle, V. Sophisme.
— La notion de raisonnement et de discours fallacieux (lat. fallacia, ang. fallacy), dès
son origine, couvre un ensemble de difficultés que l’on rencontre dans la construction
d’un discours prétendant dire et transmettre le vrai. L’origine de ces difficultés se
trouve soit dans les particularités structurelles du langage (fallacies liées au langage),
soit dans l’application correcte d’une méthode à des objets naturels (fallacies hors
du langage).
V. Paralogisme ; Sophisme ; Fallacieux ; Norme ; Règles ; Évaluation.
Critique ♦ 177
Critique du débat
Cependant, le débat n’est pas la pratique innocente et miraculeuse capable de résoudre
tous les problèmes de l’éducation, de la société et des développements inégaux. L’em-
pire du débat, particulièrement du débat médiatique, est la cible d’un argumentaire
critique qui comprend notamment les points suivants.
— Le recours au débat peut n’être qu’un artifice de présentation. Pour introduire
un sujet quelconque, un personnage historique ou un événement politique, on montre
qu’il est le point focal de deux discours antagonistes ; les choses ne seraient intéres-
santes que dans la mesure où elles irradient un peu de chaleur polémique.
— “Laisser ouvert un débat” est une manière de ne pas prendre ses responsabili-
tés, pour un journaliste, de ne pas s’aliéner ses lecteurs et pour un conférencier, c’est
une topos de clôture commode qui permet de passer sans conflit la parole à la salle.
— La posture dubitative et interrogative est parfois très confortable. Elle permet
notamment de dire impunément des choses contradictoires. En pratique, le débat
est parfois un lieu “où tout le monde dit le contraire de tout”.
— Le débat est un lieu potentiellement sophistique, où trouvent à s’employer
toutes les techniques de manipulation. Dès que les enjeux deviennent réellement
importants, apparaissent les spécialistes du débat, vis-à-vis desquels le citoyen
ordinaire qui ne consacre pas toute sa vie à tel débat précis, a parfois du mal à faire
valoir ses intérêts.
— Devenant une fin en soi, le débat se spectacularise, et perd tout lien avec la
recherche de la vérité, de l’accord, de l’approfondissement des différences ou de la
clarification des positions en présence. Les différences sont un fond de commerce.
— Débattre et discuter peut être une profession, un hobby, un péché mignon.
Débat ♦ 181
Le Moyen Âge avait trouvé un nom pour ce péché, le péché de contentio, péché des
moines dialecticiens orgueilleux, péché typique d’intellectuels, et en particulier du
premier d’entre eux, Abélard. v. Consensus.
— Promouvoir le débat, c’est promouvoir une forme potentiellement agressive de
l’argumentation. Dans les termes de la théorie des faces et de la politesse linguistique,
le débat entraîne une mise en jeu importante de la face propre et de celle de l’autre.
Le terme même de confrontation des points de vue, dans une situation de face à face,
peut impliquer une forme de rupture des relations avec les autres participants. Tout
débat un tant soit peu significatif divise le groupe. Une opinion doit prévaloir contre
l’autre. Un ensemble de participants va se trouver en position basse, l’autre en position
haute. En fait, le débat ne rompt pas avec la violence symbolique, mais la déplace et
l’entretient.
— Les débats produisent d’abondantes conclusions, et permettent parfois d’y voir
plus clair. Mais lorsque le débat exclut le pouvoir pour atteindre la rationalité, le
changement d’opinion et le consensus sont sans conséquences pratiques. Pour qu’il
produise des décisions, il ne suffit pas d’invoquer la mystérieuse catalyse opérée par la
volonté, les émotions et les valeurs qui transformeraient les persuasions en action. La
décision est une forme d’exercice d’un pouvoir défini par sa capacité d’exécution, et
pour cela disposant de possibilité de violence, violence physique, mais aussi violence
de la loi, violence de la mise en pratique de ceci, qui heurte tous les partisans du cela,
réfutés mais non convaincus.
— L’espace du débat est, en principe, un espace égalitaire et libre ; en un sens il est
négateur des rapports de force externes, au moins il les suspend. Mais chaque lieu
a ses règles. Dans tout débat il y a un régulateur, ou une “fonction régulatrice” qui
impose des normes formelles ou substantielles. Bon gré, mal gré, ces “règles du lieu”
doivent être acceptées de tous. La première d’entre elle, est la forme de régulation des
tours de parole est un élément essentiel du “contrat de débat”. Le débat présuppose
la démocratie autant qu’il la promeut.
— Considéré comme une activité pédagogique, le débat rencontre aussi ses limites.
Certaines cultures répugnent à l’affrontement ouvert, qu’elles considèrent comme
assez grossier. Dans de telles cultures, vouloir par exemple mettre des élèves dans
des positions de débatteurs, les obliger à entrer dans le jeu du différend, c’est leur
faire violence. D’autre part, le débat en classe obéit à un principe d’externalisation
des opinions, qui ne peut se faire que moyennant un principe de sincérité. Mais dire
en public ce que l’on pense et à quel camp on se rattache n’est pas forcément une
activité sans conséquence sous toutes les latitudes.
La salle de classe peut ressembler à un lieu de dialogue idéal sur les sujets où les
consciences sont libres. C’est un lieu favorable pour se construire une opinion infor-
mée, où on peut même envisager de changer d’opinion. Mais dès qu’interviennent les
questions de connaissances, il faut gérer le fait que le changement de représentation
doit se faire obligatoirement dans le sens de l’acquisition des connaissances. Il y a
un saut du débat à l’apprentissage ; c’est le professeur qui détermine la conclusion.
182 ♦ Déduction, arg.
Le débat n’est pas une panacée mais une ressource ; la mise en débat est une décision
qui appelle elle-même une justification.
V. Dialectique.
Déduction, arg.
Le mot déduction correspond au mot grec apodeixis ; la connaissance dite apodictique
est celle qui est produite au moyen d’une déduction valide. Descartes définit la
déduction comme
« toute conclusion nécessaire tirée d’autres choses connues avec certitude. […] on
sait la plupart des choses d’une manière certaine sans qu’elles soient évidentes,
pourvu seulement qu’on les déduise de principe vrais et connus, au moyen d’un
mouvement continu et sans aucune interruption de la pensée qui voit nettement
par intuition chaque chose en particulier » (Descartes [1628], p. 16).
Le raisonnement liant les deux prémisses à la conclusion dans le syllogisme est une
forme de déduction, qui est fréquemment prise pour norme de l’argumentation
valide.
D’une façon générale, la déduction valide est une opération qui relie, par des
règles valides, un ensemble de prémisses (axiomes, hypothèses, propositions vraies)
à une conclusion. La déduction correcte constitue une démonstration.
Le raisonnement axiomatique déduit les conséquences de propositions ayant le
statut de postulats. Le raisonnement hypothético-déductif part d’une hypothèse, dont
il explore les conséquences et les confronte à la réalité du monde par l’expérimenta-
tion. Ce même type de procédure est mis en œuvre dans des formes argumentatives,
comme l’argumentation par la définition, qui développe les conséquences de la défi-
nition d’un terme, ou les diverses formes d’argumentation par l’absurde, V. Définition
(III) ; Absurde.
B se déduit de A — La déduction est une chaîne d’opérations reliant des expressions
bien formées au moyen d’une règle. Par exemple la règle du modus ponens permet de
déduire B des deux prémisses < A � B > et < A > :
A�B
A
B
Déduction, arg. ♦ 183
L’implication est vraie lorsque l’antécédent est faux (que le conséquent soit vrai ou
faux). La déduction opère à partir de deux prémisses, et pour que la déduction soit
valide, ces deux prémisses doivent être vraies. L’expression
((A � B) & A) � B
A � B A est une condition suffisante pour B S’il pleut, l’herbe est mouillée
A cette condition suffisante est réalisée Il pleut
A � B B est une condition nécessaire pour A s’il pleut, l’herbe est mouillée
Non-B cette condition nécessaire n’est pas réalisée l’herbe n’est pas mouillée
A � B A est une condition suffisante pour B s’il pleut, l’herbe est mouillée
non-A cette condition suffisante n’est pas il ne pleut pas
réalisée
*donc non-B *donc B n’est pas réalisée *donc l’herbe n’est pas mouillée
A � B B est une condition nécessaire pour A s’il pleut, l’herbe est mouillée
B cette condition nécessaire est réalisée l’herbe est mouillée
Dans le premier cas, une condition suffisante pour que l’herbe soit mouillée (la pluie)
a été indûment considérée comme nécessaire ; dans le second cas, une condition
nécessaire pour (qu’on puisse dire que) il pleut (à savoir : l’herbe est mouillée) a été
indûment considérée comme suffisante.
Définition (I)
Définir le sens d’un mot ou d’une expression, c’est lui attribuer une signification, c’est-
à-dire lui associer un discours ayant le même sens. La définition établit une relation
d’équivalence sémantique entre un terme, le défini (definiendum, “ce qu’il faut définir”,
l’entrée du dictionnaire) et un discours (le definiens “ce qui définit”). Le definiens est par-
fois appelé définition (par métonymie du mot signifiant le tout pour signifier la partie),
Oncle : “Frère de la mère ou du père”
[definiendum] : [definiens]
Selon la nature de X, ces demandes expriment une recherche sur le sens, le savoir
substantiel, les usages… attachés au terme X :
— Qu’est-ce qu’un poisson ? Qu’est-ce qu’une démocratie ? Qu’est-ce qu’un parent
isolé ? Qu’est-ce qu’une personne cultivée ? Qu’est-ce qu’un citoyen français ?
La définition du poisson comme espèce animale fait appel aux ressources des sciences
naturelles, celles de démocratie, de citoyen et de citoyenneté, aux sciences et aux idéaux
politiques et idéologiques, celle de parent isolé aux lois et décrets en vigueur, et
l’idée vague de personne cultivée mélangera un peu tous les domaines des arts et des
lettres. Les progrès dans la connaissance, les changements historiques entraînent
des m odifications dans la définition de chacun de ces termes.
186 ♦ Définition (I)
Pour Littré, les deux sens fondamentaux du mot masse, et non plus du concept
physique, sont « 1° Amas de parties qui font un corps ensemble. […]. 2° Il se dit aussi
d’un seul corps [compact]. Une masse de plomb » (Littré, art. Masse).
Les argumentations établissant une définition de choses sont liées à des d omaines.
Il a fallu un congrès d’astronomie pour redéfinir le terme planète, et mettre fin à la
controverse sur le statut de Pluton.
Définition (I) ♦ 189
Définition lexicale — Le sens des mots du langage ordinaire n’est pas un fantôme
abstrait qui les habiterait ; c’est l’ensemble ouvert des discours et des pratiques asso-
ciées aux mots. Le dictionnaire les condense et fournit une introduction à leur usage.
La définition lexicale est la définition que l’on trouve dans les dictionnaires de
langue, par opposition aux dictionnaires encyclopédiques. Le dictionnaire de langue
doit satisfaire à des conditions multiples : recueillir tous les mots d’une langue (ou
d’un lexique particulier, ou d’une époque particulière), ainsi que les expressions
figées ; fournir une description de leurs significations, de leurs usages en parole, de
leurs emplois figurés stéréotypés ; préciser les constructions syntaxiques dans les-
quelles se manifestent leurs diverses significations ; les situer dans les divers “champs”
auxquels ils appartiennent, c’est-à-dire préciser leurs relations avec leurs (quasi-)
synonymes et leurs antonymes sur le plan sémantique ainsi que leurs position dans
leurs familles dérivationnelles sur le plan morphologique, etc. En présentant ainsi le
terme dans ses associations linguistiques essentielles, légitimées par l’institution du
dictionnaire, la définition lexicale constitue un énorme stock de “permis d’inférer”,
V. Définition (III).
Le savoir des mots (définition lexicale) et le savoir des choses (définition encyclo-
pédique) sont en principe bien distincts, mais en fait, pour les termes ayant reçu une
définition encyclopédique, ils sont inextricablement liés. “Le baromètre baisse, le temps
se gâte” : la déduction est-elle opérée en référence à une loi physique météorologique
(un savoir) faisant intervenir les variations de pression atmosphérique, ou l’inférence
est-elle inscrite dans le sens du mot lui-même ? Connaître le sens fonctionnel du mot
baromètre, c’est savoir que “quand ça baisse, le temps se gâte”.
Tous les mots sont dignes d’une définition lexicale mais toutes les choses ou les
pratiques qu’ils désignent ne sont pas de dignes objets du savoir scientifique, seule-
ment celles qui ont “beaucoup d’être”. La frontière entre les deux catégories est mou-
vante et tributaire de l’état de la recherche ; la conversation, jugée jadis chose futile et
insaisissable, a été conceptualisée de façon fructueuse par l’analyse conversationnelle
et l’ethnométhodologie : ces sciences ont donné de l’être à leur objet.
190 ♦ Définition (I)
Une définition (un definiens) est un riche ensemble de propositions sur “ce que sont
les D”. Appeler un être “D”, c’est lui imposer les discours de définition accompagnant
ce nom ainsi que les scripts d’action, les devoirs et les obligations attachés “aux D”.
Autrement dit, la définition (le definiens) de “ce qu’est un D” est un stock de permis
d’inférer applicables aux êtres et objets appelés D.
Il s’ensuit que pour qu’on puisse parler d’argumentation par la définition, il
faut que le mode de définition soit discursif ; on ne peut pas parler en ce sens d’une
argumentation par la définition s’il s’agit d’une définition ostensive, V. Définition (I).
La catégorisation correspond à une modélisation locale de la personne, rendue ainsi
exploitable dans une argumentation par la définition : “c’est un anglais, donc on peut
jusqu’à plus ample informé penser qu’il prend du thé”, et on rectifie au fur et à mesure
que sont reçues de nouvelles informations. On n’est pas du tout dans le cadre d’une
“quasi-logique”, mais dans celui d’une argumentation révisable.
Définition (III) ♦ 193
Si les critères catégoriels sont définis dans un cadre scientifique rigoureux, alors
l’argumentation par la définition est un moment essentiel d’une démarche scienti-
fique. De même, s’ils sont donnés dans un cadre légal stable, ils fondent l’application
d’un syllogisme juridique et livrent des résultats “ justes”, routiniers et consensuels.
Le syllogisme juridique est un exemple d’argumentation par la définition juridique
d’un acte.
194 ♦ Définition (III)
C’est un conflit sur une structure de définition : quels sont les traits essentiels (cen-
traux) et les traits accidentels (périphériques) qui caractérisent l’état démocratique ?
Une stase de catégorisation peut aboutir à une stase de définition. Conformément
à son rôle, le tiers transforme en question les deux discours en conflit ; soit la stase
de catégorisation suivante, V. Catégorisation :
Quelqu’un est mort. L’un parle d’un accident, l’autre d’un meurtre ;
Des informations confidentielles ont été divulguées. S’agit-il d’une trahison ou
d’un dysfonctionnement grave du service ?
Il entame une enquête lui permettant de préciser ce qui s’est passé, et si les choses
ne sont pas claires, il doit revenir aux définitions légales :
Qu’est-ce qu’un meurtre ? Qu’est-ce qu’un accident ?
Quand y a-t-il trahison ? Dysfonctionnement grave ?
À partir de “X est riche”, on peut donc déduire, selon ce qu’on pourrait appeler
“l’analytique lexicale” :
Donc il a de la fortune, il possède des biens en abondance, il a beaucoup d’argent.
Toutes les inférences ne sont pas analytiques ; certaines relèvent de la doxa, et figurent
dans les citations, comme si les auteurs de dictionnaires ne voulaient pas tout à fait
les prendre en charge :
Pourquoi n’est-elle pas riche ? Parce que son père n’a pas volé. Qu’est-ce qu’être riche
au fond ? C’est avoir dans sa poche ce avec quoi le voisin se serait acheté un paletot
s’il n’avait pas eu la sottise de se le laisser prendre (Mallarmé, Corresp., 1862, p. 55).
(TLFi, ibid.)
Cet énoncé légitime le topos “la richesse c’est le vol”. D’autres légitiment le topos “il
est riche, donc il est méprisant” ou “il est riche, donc il est méprisable” :
— Les (fils de) riches méprisent les gens :
Que suis-je à vos yeux ? Le « précepteur » ainsi que me désignait avec mépris ce petit
Anglais, ce fils de riche (Mauriac, Asmodée, 1938, IV, 13, p. 176). (TLFi, ibid.)
Ces permis d’inférer viennent s’ajouter aux permis d’inférer posés dans d’autres
types de définitions, également utilisés dans la définition lexicale, dont la nature est
syncrétique, V. Définition (I).
La catégorie “est un bon travail scolaire” a été redéfinie de telle sorte qu’elle puisse
s’appliquer au fils, sans considérer ce qu’est, “sur le fond”, un bon travail scolaire.
La notion de définition persuasive a été introduite par Stevenson ([1938]) dans
les termes suivants :
« Dans une définition persuasive [persuasive definition] le terme défini est un
terme ordinaire, dont le sens est à la fois descriptif et fortement émotif [emotive].
Le but de la définition est d’altérer le sens descriptif du terme, souvent en lui
conférant une précision plus grande dans les limites de son flou usuel. En re-
vanche, cette définition n’apporte aucun changement substantiel au sens émotif
du terme. Et cette définition est utilisée, consciemment ou inconsciemment, pour
induire, par le jeu des significations émotive et descriptive, une réorientation des
attitudes des gens. » (Stevenson [1938], p. 210-211)
Il s’agit donc d’un terme « émotionnellement chargé » ; quoi que cette expression
puisse signifier exactement, les mots exprimant des valeurs entrent certainement
dans cette catégorie. La redéfinition émotionnelle d’un mot lui conserve toute cette
charge. Le concept de définition persuasive ne concerne donc pas les redéfinitions
scientifiques où ce contenu émotionnel est supprimé. Le dictionnaire définit le mot
larme à l’aide de termes comme « affliction, douleur, peine, souffrance » ([www.
larousse.fr/dictionnaires/francais/larme], consulté le 24 septembre 2014) : c’est
indiscutablement un mot fortement émotif. Sa définition “objective” scientifique
est du type suivant :
« Un liquide sécrété par les glandes lacrymales à raison de 1 ml par heure dans les
circonstances normales. La composition des larmes est proche de celle du liquide
céphalo-rachidien, elles contiennent du sel et des antiseptiques : les lysozymes et
les lactotransferrines. Les larmes sont destinées à protéger la [muqueuse conjonc-
tive] et la cornée ; elles permettent de chasser par écoulement, les corps étrangers
(poussières) qui ont pénétré dans l’œil et d’aseptiser le milieu oculaire en contact
avec l’air. » ([www.vulgaris-medical.com], consulté le 24 septembre 2014)
Cette définition ne sera pas dite “persuasive”, alors qu’on pourrait comprendre que
pour rendre une définition indiscutable, donc radicalement “persuasive”, il suffit de
la limiter à son contenu scientifique.
Pour rendre une définition persuasive, au sens de Stevenson, il faut au contraire
redéfinir son contenu descriptif, et garder intacte sa force émotionnelle, qui ne
s’appliquera donc plus au contenu primitif, mais au contenu redéfini. Stevenson
donne l’exemple suivant. L1 et L2 discutent à propos d’une connaissance commune :
— L1 relève chez cette personne un certain nombre de lacunes (éducation, conver-
sation, références littéraires, subtilité d’esprit) et en conclut « il n’a aucune culture ».
— L2 décrit cet ami sous un certain nombre de traits favorables (imagination,
sensibilité, originalité) et en conclut « c’est un homme d’une culture bien plus profonde
que celle de la plupart d’entre nous, qui avons pu bénéficier d’une éducation supérieure. »
D’une part, L1 et L2 sont d’accord pour donner au mot culture et au jugement
“X est une personne cultivée” une orientation émotionnelle positive (valorisation de
198 ♦ Démonstration et argumentation
la culture). D’autre part, le mot a un sens descriptif vague. L2 découpe dans cet
ensemble descriptif une définition possible, et montre que l’ami commun possède
ces traits caractéristiques. Stevenson analyse comme suit l’objectif argumentatif de
L2 : « le but [de L2] est de réorienter [redirect] l’attitude de L1, car il pense que L1
n’est pas suffisamment sensible aux mérites de leur ami ».
Il semble que la manœuvre soit la suivante : (a) L2 souhaite valoriser son ami ;
(b) il redéfinit culture en fonction de qualités que possède son ami ; (c) et il conclut
que son ami est cultivé ; (d) et l’ami bénéficie ainsi de l’opinion positive associée à
l’idée de culture et de personne cultivée. Le point (b) est crucial : c’est là que se trouve
l’acte argumentatif ; (d) présuppose que l’orientation positive (le contenu émotif) est
indépendant du contenu cognitif, et qu’il n’est pas altéré par la redéfinition.
De façon assez surprenante, Stevenson attribue à L2 seulement une définition
persuasive. Mais il apparaît que L1 a, non moins que L2, donné une définition per-
suasive de culture (“références littéraires”, etc., voir supra), qui lui permettait d’exclure
l’ami commun de toute culture. L1 cherche à influencer L2 autant que L2 cherche
à influencer L1.
Une définition persuasive est donc une redéfinition du contenu descriptif d’un
terme non pas à partir de considérations générales objectives, mais en vue de son
application à un cas singulier. C’est ce qui la rend fallacieuse.
Ce scénario suppose que l’orientation argumentative (appelée ici « contenu affec-
tif ») est indépendante du contenu cognitif, et qu’elle est insensible à la modification
de ce dernier. On doit donc attacher cette orientation directement au signifiant.
Cette théorie implique un dédoublement du signifié. Par cette division du sens
qu’elle pratique, la définition persuasive se rapproche des procédés de distinguo et
de dissociation. V. Distinguo ; Dissociation ; Orientation.
Démonstration et argumentation
Étymologiquement, démontrer est lié à montrer ; les deux verbes sont restés syno-
nymes dans certains contextes : “dans ce qui suit, je montrerai (= démontrerai) que…”.
L’usage ordinaire utilise démonstration avec le sens de manifestation : on se livre à
des démonstrations d’amitié, et on donne des preuves d’amour. Ces emplois rappellent
que la démonstration, même dans ses emplois les plus abstraits, garde un lien avec
le visuel : si la preuve fait toucher du doigt et goûter, la démonstration fait voir ; seule
l’argumentation semble inséparable du discours.
En rhétorique, le mot démonstration est utilisé dans deux sens totalement différents.
— La démonstration est une présentation d’un événement ou d’un état de choses
sous forme de tableau, dont l’auditeur ou le lecteur est le spectateur. Cette figure
est encore appelée évidence (Lausberg [1960], § 810).
— Le genre démonstratif est un autre nom du genre généralement appelé épidictique
ou laudatif, à côté des genres délibératif et judiciaire (Lausberg [1960], § 239).
Démonstration et argumentation ♦ 199
Dans l’œuvre d’Aristote, l’argumentation est caractérisée par ses différences avec la
démonstration logique ; en argumentation, les prémisses et les règles de l’argumentation
relèvent de l’opinion alors qu’elles sont certaines lorsqu’il s’agit de démonstration. Par un
réflexe suiviste d’un modèle aristotélicien simplifié, l’argumentation a été constamment
rapportée à la démonstration logique (à l’argumentation-démonstration), et non pas aux
pratiques scientifiques ou médicales auxquelles elle est cependant le plus liée, de par sa
nature substantielle et son rapport aux données (argumentation-preuve). Par exemple,
la notion essentielle de question argumentative correspond à la notion médicale de stase,
désignant un état de blocage des discours comme des humeurs, v. Stase.
La rupture du lien entre l’argumentation d’une part, et, d’autre part, les arts et
les sciences faisant appel à l’observation, à la manipulation d’objets, à l’expérience,
aux chiffres, aux schémas et aux tracés, s’accompagne d’une référence hypnotique à
la déduction logique élémentaire. Cette forme de calcul, qui sert de modèle, et par-
fois de repoussoir aux études d’argumentation, rend par exemple impossible toute
réflexion sur ce qui est négligeable dans une situation donnée, notion essentielle pour
l’argumentation comme pour d’autres sciences naturelles.
Cet antagonisme démonstration / argumentation, dont les origines sont pro-
fondes et qui fonctionne maintenant comme un lieu commun, a été considérablement
renforcé par la nouvelle rhétorique, ainsi que par les positions non référentialistes
de la théorie de l’argumentation dans la langue.
Dépassement ► Direction
est une invitation faite à des individus de se montrer à la hauteur de leur concept.
A contrario, on dira :
Il ne faut pas que les règlements tatillons empêchent les entrepreneurs d’entreprendre.
à une même famille dérivationnelle sont exploitées par des formes d’antanaclase,
V. Orientation :
Puisque c’est un communal, les animaux peuvent y pâturer en commun. Mais cela
signifie-t-il que tous les troupeaux peuvent y pâturer simultanément ou successi-
vement ?
Lieu des dérivations — Le topos no 2 de la Rhétorique d’Aristote définit le « lieu des
dérivations » comme suit :
« Un autre [topos] se tire des flexions grammaticales semblables ; car les déri-
vés fléchis doivent pouvoir pareillement recevoir ou ne pas recevoir un même
prédicat ; par exemple le juste n’est pas toujours bon ; car alors le “ justement” le
serait toujours, tandis qu’en réalité être mis à mort “ justement” n’est pas chose
désirable. » (Rhét., II, 23, 1397a20 ; trad. Dufour, p. 115)
C’est une argumentation au sujet d’une définition dans le cas présent, une argu-
mentation qui permet d’exclure un prédicat (“— est bon, désirable”) de la définition
du (substantif) juste : “Si tu trouves que le juste est désirable, alors tu trouves qu’être mis
à mort justement est désirable”.
Argument par « l’étymologie » — L’argument des dérivés est parfois désigné
comme “argument tiré de l’étymologie”, V. Étymologie. Par exemple, sous l’intitulé
« du lieu de l’étymologie », Dupleix traite des dérivations synchroniques du type
oiseau � oiseleur, et des inférences analytiques comme « il est docteur, par conséquent
Désaccord conversationnel et désaccord argumentatif ♦ 207
Donner des raisons pour accepter une invitation est presque insultant :
L1 : — Passe donc dîner demain soir !
L2 : — D’accord, avec plaisir, ça m’évitera de cuisiner et j’en profiterai pour
descendre la poubelle.
Cette préférence pour l’accord n’est pas un fait psychologique, mais une régularité
observationnelle. Elle correspond au principe de coopération de Grice, ainsi qu’à
des observations de Ducrot sur l’effet polémique produit par les enchaînements
qui ne respectent pas la “suite idéale” c’est-à-dire celle qui conserve les présupposés,
V. Présupposition.
n’est pas forcément une controverse ou une polémique, au sens où le débat radical
peut très bien rester paisible. Il est au-delà de la controverse ou de la polémique
en ce qu’il met en jeu les principes ou des valeurs incompatibles ; le différend qui
l’organise serait caractérisé par une différence métaphysique plutôt qu’un conflit
épistémique. Autrement dit, si le débat radical n’avance pas, ce n’est pas la faute à
l’excessive implication (involvment) des participants, mais bien parce que la réalité
n’arrive pas à exercer une pression suffisante sur les discours orientés par ces intérêts
ou valeurs inconciliables. On en a tiré la conséquence que l’existence de tels débats
était un défi lui-même « radical and shocking » (Turner et Campolo 2005, p. 1) à
l’entreprise argumentative elle-même :
« Si tel était le cas, que deviendrait la discipline ? Et, plus important sans doute,
comment pourrait-on traiter les désaccords radicaux ? Du coup, c’est tout le
champ et ses réalisations qui semblent être menacés. » (ibid.), V. Dissensus.
Destruction du discours
Les formes standards de réfutation reposent sur ce qui est dit, sur l’examen de la
teneur du discours rejeté, ou sur des considérations liées à la personne qui le tient.
Bien ou mal, la réfutation est alors argumentée, V. Réfutation.
Dans une situation de confrontation en face à face, le discours peut être détruit
par des manœuvres portant non plus sur le dit mais sur le dire, sur la façon dont il
est exprimé. La destruction la plus radicale est celle qu’exprime le comportement
interactionnel, le refus d’entendre, physiquement et intellectuellement, le discours
de l’autre. Elle recherche le K. O. verbal (Windisch 1987).
Après une interruption, F reprend son argumentation, en agitant son bras de bas
en haut et de haut en bas :
quand tu fais ça il y aura l’air après puisque tsais quand tu fais un mouvement
de vitesse comme ça c’est pareil il y a l’air je suis sûr mais là pour l’instant on
répond pas encore ça mais
et intéressants les discours avec lesquels on est d’accord. Il ne s’agit pas simplement
d’une question psychologique ou de “mauvaise foi”. Ce fait a une pertinence cognitive :
le discours avec lequel on est d’accord est mieux connu ; ses principes profonds étant
bien admis, il est plus facile de récupérer les contenus ellipsés et les liens manquants ;
ses variations sont mieux tolérées ; il est mieux mémorisé, etc. Réciproquement, il
est relativement naturel d’appliquer au discours de l’opposant ce type de stratégie
de destruction, en niant que les conditions minimales d’intercompréhension soient
satisfaites.
D’autres formes sont à la limite de la destruction et de la réfutation proposi-
tionnelle, V. Réfutation.
Dialectique
BB Dialectique et dialogue ont la même étymologie = dia + legein “à travers”
+ “dire”. Ce préfixe dia- est différent du préfixe di- signifiant “deux”. Éty-
mologiquement, un dialogue n’est pas une conversation à deux personnes
(qui pourrait être désignée comme un dilogue) ; la condition n’est pas sur le
nombre de personnes entre lesquelles la parole circule, mais sur le fait qu’elle
circule. Cependant, la notion historique de dialectique renvoie bien à un
dialogue réglé mettant aux prises deux partenaires.
Cette autorité de l’opinion n’est pas une question de tout ou rien. Elle est dérivée de
l’autorité des différents groupes sociaux, selon une gradation qui va du quantitatif
au qualitatif, de l’opinion du genre humain (le consensus universel) à l’autorité de
« l’opinion éclairée » jusqu’à celle d’une personne illustre, V. Doxa.
En établissant ce continuum, Aristote valorise les différents ordres d’endoxa ; on
est loin des problématiques de la doxa comme cliché ou stéréotype vus comme du “prêt-
à-penser” donc, de façon tout aussi mécanique, du “prêt-à-dénoncer”. Les endoxa sont
des idées “dignes d’être discutées”. Elles définissent a contrario ce qu’est une thèse :
« Une thèse est un jugement contraire à l’opinion courante, émis par quelque
philosophe notable […] <j’ajoute notable> car ce serait une sottise que de se
préoccuper des opinions contraires aux opinions courantes professées par le
premier venu » (Aristote, Top., I, 11, 104a15-25 ; p. 26) ;
en d’autres termes, « si c’était le premier venu qui émettait des paradoxes, il serait
absurde d’y prêter attention » (Aristote, Top. Brunschwig, I, 1, 100b20 ; p. 17). L’au-
torité entrant dans le débat est clairement référencée socialement.
Il est remarquable de voir ainsi la diversité et la mise en compétition des autori-
tés — et non pas l’appel à l’autorité — mis à la base du débat intellectuel. L’autorité
n’est pas là pour clore la discussion mais pour l’ouvrir : dire qu’une proposition est
soutenue par une autorité, ce n’est pas dire qu’elle est vraie, mais qu’elle est discutable.
Dialectique ♦ 213
Dilemme
Un dilemme est une schématisation d’une situation sous la forme d’une alternative
dont les deux termes sont également désagréables. Utilisé comme stratégie argu-
mentative, le dilemme est un mode de réfutation au cas par cas, consistant à acculer
son adversaire en montrant que toutes les lignes de défense qu’il pourrait adopter
conduisent à la même conclusion et qu’elle lui est défavorable :
Direction, arg. ♦ 215
— Ou vous étiez au courant de ce qui se tramait dans vos services, et vous êtes
complice, au moins passif, de ce qui est arrivé, et vous devez démissionner.
— Ou vous n’étiez pas au courant, alors vous ne contrôlez pas vos services, et vous
devez démissionner.
— Donc vous devez démissionner.
On parle de faux dilemme lorsqu’on considère que le dilemme est mal construit,
et qu’il radicalise artificiellement une opposition plus complexe ; cette opposition
est reconstruite de façon à faire apparaître un troisième terme, une porte de sortie,
V. Cas par cas.
Direction, arg.
L’argument de la direction est défini par Perelman et Olbrechts-Tyteca comme un
argument « fondé sur la structure du réel » :
« L’argument de la direction consiste essentiellement dans la mise en garde contre
l’usage du procédé des étapes : si vous cédez cette fois-ci, vous devrez céder un
peu plus la prochaine fois, et Dieu sait où vous allez vous arrêter. » (Perelman
et Olbrechts-Tyteca [1958], p. 379)
Dissensus ► Consensus — Dissensus
Dissociation
La notion de dissociation a été introduite par Perelman et Olbrechts-Tyteca. Le
Traité de l’argumentation schématise le champ de l’argumentation par une grande
opposition entre « techniques argumentatives » de liaison, qui portent sur des énon-
cés, et correspondent aux diverses formes d’argumentation, et les procédés de dissocia-
tion, qui portent sur des notions ([1958], 3e partie). La dissociation est définie comme
la scission d’une notion élémentaire, opérée par l’argumentateur pour échapper à
une contradiction ([1958], p. 550-609). La notion problématique est désignée par un
terme T. La dissociation la fait éclater en deux notions, désignées respectivement
par un Terme_1 et un Terme_2.
Selon cette définition, la dissociation n’est pas un type d’argument, mais une
stratégie de résistance à la contradiction, qu’elle soit portée dialogalement par un
contradicteur ou évoquée polyphoniquement :
X : — Mon vieux, c’est ça la démocratie !
Y : — Il y a démocratie et démocratie.
L’exemple proposé est celui de Kant, pour qui les sciences naturelles postulent un
déterminisme universel ; or la morale postule la liberté de l’individu ; d’où la nécessité
de dissocier la réalité (notion confuse) en réalité phénoménale, où règnent le détermi-
nisme et réalité nouménale, où l’individu pourrait exercer sa liberté.
La dissociation entre Terme_1 et Terme_2 s’accompagne d’une évaluation des
termes ainsi distingués, l’un des termes est valorisé (la réalité), l’autre dévalorisé
(l’apparence) :
« Alors que le statut primitif de ce qui s’offre comme objet de départ de la dis-
sociation est indécis et indéterminé, la dissociation en termes I et II valorisera
les aspects conformes au terme II et dévalorisera les aspects qui s’y opposent.
Le terme I, l’apparence, dans le sens étroit de ce mot, n’est qu’illusion et erreur. »
(1977, p. 141)
Dissociation ♦ 217
L2 réfute L1 par la production d’un cas contraire. L1_2 reconnaît que Hans est
Allemand et qu’il ne boit pas de bière.
La dissociation opère un remaniement catégoriel ; la catégorie “être Allemand” est
scindée en deux, les vrais allemands et les autres. Ce remaniement peut être ou non
justifié ; L1 aurait pu dire :
L1_3 : — Mais lui c’est pas un vrai Allemand, il a été élevé aux États-Unis.
Distinguo
BB Lat. distinguo, “ je distingue”, 1re personne du singulier du présent de
l’indicatif du verbe latin distinguere, “séparer, diviser ; distinguer”. Le terme
est souvent mis en italiques.
L’opposant dit :
— je ne dis rien de la mineure, “tout homme est pécheur” ;
— dans la majeure, “aucun pécheur n’entrera au ciel”, je distingue, distinguo :
– en tant que pécheur, je suis d’accord (concedo), “aucun homme en état de péché
n’entrera au ciel”,
– en tant que pécheur pardonné, je le nie (nego).
Le distinguo porte non pas deux significations du mot pécheur, mais deux catégories
de pécheurs.
— Donc je nie (nego) la conclusion.
L’opposant objecte donc que le syllogisme est paralogique, car la mineure est ambi-
guë, vraie en un certain sens et fausse dans un autre sens.
Le distinguo est une figure traditionnellement raillée comme sentant la scolastique :
Thomas Diafoirus est aussi brutal que pédant : il n’a pas à tenir compte de la volonté
d’Angélique pour la posséder ; mais, à part cela, il fait tout ce qu’elle veut. Le distinguo
est l’instrument de la lutte contre les ambiguïtés fallacieuses, mais lorsqu’il introduit
des distinctions dans une expression parfaitement claire, il est lui-même instrument
de confusion fallacieuse.
L’appel au distinguo peut être contré par un troisième tour de parole du type “as-
sez, ça suffit avec les distinguos scolastiques !”, “pas de querelle sémantique s’il te plaît !”. En
monologue, des formes de distinguo sont à l’œuvre dans le raffinement de définition.
V. Définition.
Doute
Le déclencheur de l’activité argumentative est la mise en doute d’un point de vue,
V. Désaccord.
Doxa ♦ 221
— Sur le plan argumentatif, douter, c’est être dans un état de “suspension de l’as-
sentiment” vis-à-vis d’une proposition, qu’on veuille la rejeter ou qu’on la considère
comme incertaine, V. Assentiment.
— Du point de vue langagier, dans les termes de la théorie de la polyphonie
ducrotienne, cette suspension de l’assentiment se manifeste par la non-prise en charge
par le locuteur de la proposition qu’il énonce, par la non-identification du locuteur
à l’énonciateur.
— Du point de vue psychologique, le doute peut s’accompagner d’un état d’inconfort
psychologique du type “inquiétude”.
Le dialogue externalise ces diverses opérations en leur donnant une forme lan-
gagière et une configuration micro-sociale. La mise en doute est un acte réactif d’un
interlocuteur qui refuse de ratifier un tour de parole ou qui s’y oppose ouvertement.
Cette situation interactionnelle oblige l’interlocuteur à argumenter, c’est-à-dire à
développer un discours de justification d’une affirmation qui, peut-être pour lui,
allait de soi auparavant, V. Désaccord.
L’argumentation est une activité coûteuse, du point de vue cognitif comme du
point de vue interactionnel ; on peut ne s’y engager que contraint par la résistance
de l’autre à l’opinion qu’on expose. Symétriquement, le doute ne peut rester gratuit ;
l’opposant doit, de son côté, justifier ses réserves, en développant ses bonnes raisons
de douter, soit en apportant des arguments orientés vers un autre point de vue, soit
en réfutant les bonnes raisons données en soutien à la proposition originelle.
Dans la distribution des rôles argumentatifs, le doute est porté par le tiers,
V. Rôles.
Descartes rejette « toutes les connaissances qui ne sont que probables et [déclare] qu’il
faut se fier seulement à ce qui est parfaitement connu et dont on ne peut douter »,
et reconstruit un système de croyances certaines sur la base de la seule certitude du
cogito « je pense, donc je suis ». Cette forme de doute s’oppose au doute sceptique :
« Le doute cartésien ne consiste pas à flotter, incertain, entre l’affirmation et
la négation ; il démontre au contraire, avec évidence, que ce que la pensée met
en doute est faux, ou insuffisamment évident pour être affirmé vrai. Le doute
sceptique considère l’incertitude comme l’état normal de la pensée, au lieu que
Descartes le considère comme une maladie dont il entreprend de nous guérir.
Même lorsqu’il reprend les arguments des sceptiques, c’est donc dans un esprit
tout opposé au leur. » (Étienne Gilson, dans Descartes, Discours de la méthode,
texte et commentaire par É. Gilson, Paris, Vrin, 1970, note 1, p. 85)
Doxa
Le mot doxa est calqué sur un mot du grec ancien, où il désigne l’opinion, la réputation,
ce qui se dit des choses ou des gens. La doxa correspond au sens commun, c’est-à-
dire à un ensemble de représentations socialement prédominantes, floues, parfois
222 ♦ Doxa
contradictoires, dont la vérité est incertaine, considérées le plus souvent dans leur
formulation linguistique courante. Le mot partage le sens dépréciatif de cliché ou
un lieu commun. On donne parfois à doxa le sens de “idéologie”, ou de “dogme”, par-
ticulièrement lorsqu’on veut la remettre en question (Amossy 1991 ; Nicolas 2007).
Le mot doxa a donné naissance aux adjectifs doxique et doxal.
Aristote définit les endoxa (sg. endoxon) comme les opinions communes d’une com-
munauté, utilisées dans les raisonnements dialectiques et rhétoriques :
« Sont des idées admises [endoxa] […], les opinions partagées par tous les
hommes, ou par presque tous, ou par ceux qui présentent l’opinion éclairée, et
pour ces derniers par tous, ou par presque tous, ou par les plus connus et les
mieux admis comme autorités. » (Aristote, Top. Brunschwig, I,1, 100b20 ; p. 2).
Une idée endoxale est donc une idée appuyée sur une forme d’autorité sociale : auto-
rité du nombre, des experts, des personnes socialement en évidence. V. Dialectique.
Le latin traduit l’adjectif dérivé endoxos “endoxal” par probabilis, “probable”. En
français, on utilise parfois le mot endoxal, qui a l’avantage de former un couple
antonymique avec paradoxal.
Les endoxa sont la cible de la critique philosophique adressée au sens commun.
Cette critique atteint en conséquence les déductions fondées sur des contenus et des
techniques vraisemblables, c’est-à-dire sur le système endoxon / topos sur lequel est
fondée l’argumentation, dialectique ou rhétorique. Pourtant, fondamentalement,
dire d’une proposition qu’elle est endoxale n’a rien de péjoratif :
« On sait assez la confiance qu’Aristote accorde, fût-ce sous réserve d’examen,
aux représentations collectives et à la vocation naturelle de l’humanité envers le
vrai. » (Brunschwig, Préface à Aristote, Top. Brunschwig, p. xxv)
Les trois arguments sont co-orientés vers la conclusion “c’est une vraie existentialiste”.
On a affaire à une argumentation convergente, construite sur le cumul de traits
empruntés au stéréotype de ce que sont et font les existentialistes. V. Catégorisation.
Le terme de classe est pris au sens d’ensemble non ordonné et non hiérarchisé d’élé-
ments. Rien ne dit que “ fréquenter les Deux Magots” soit considéré par le locuteur L
comme un argument plus ou moins fort que “lire Simone de Beauvoir”.
Échelle argumentative — Deux énoncés p et q appartiennent à une même échelle
argumentative pour un locuteur donné dans une situation donnée, si :
— ce locuteur considère que p et q sont tous les deux arguments pour une même
conclusion r (ils appartiennent donc à la classe argumentative de r) ;
— et s’il considère que l’un de ces arguments est plus fort que l’autre ([1973], p. 18).
L’échelle suivante représente une situation où q est plus fort que p pour la conclusion r.
224 ♦ Ecthèse
p q
L’échelle suivante schématise le cas où le locuteur considère que lire Simone de Beau-
voir est un argument plus fort que fréquenter les Deux Magots pour la conclusion être
une vraie existentialiste :
o q
r
il fait il fait il fait
frais froid glacial
Le fonctionnement sémantique des échelles argumentatives est réglée par quatre lois :
Loi de négation, Loi d’inversion, Loi d’abaissement, Loi de faiblesse, V. Lois de discours.
V. Morphème argumentatif.
Ecthèse ► Exemple
Émergence de l’argumentation
Du rôle d’interlocuteur peut émerger celui d’opposant, celui qui porte la contradic-
tion. Avec cette émergence se constitue la situation argumentative, où deux discours
sont en concurrence explicite sur un même thème.
L1 : — Si on regarde ensemble le débat, faudrait savoir un peu où on en est, nous
on vote pour Untel.
L2 : — Ah ben nous c’est pas franchement ça.
Énantiose — Le terme d’énantiose, utilisé par la rhétorique des figures, est particu-
lièrement apte à désigner ce moment transitionnel, où l’opposition se construit, sans
être encore ratifiée par les participants. L’adjectif grec enantios a les sens suivants :
1. qui est en face de […] : rivages qui se font vis-à-vis ; choses qui s’offrent au
regard de qn.
2. avec idée d’hostilité, qui se tient en face de : l’ennemi lit. ceux qui sont en
face ; ou en gén. la partie adverse, l’adversaire.
3. opposé, contraire à : [to enantion] le parti opposé (Bailly [1901], art.
[enantios]).
Si l’on suit strictement le dictionnaire, dans son premier sens, l’adj. enantios désigne
celui qui est en face – l’interlocuteur. L’idée d’hostilité apparaît dans un second
temps, et, par une dérivation métonymique du porteur de l’opposition pour l’oppo-
sition elle-même : la tradition utilise également le terme pour désigner l’opposant
(adversarius) dans une rencontre rhétorique argumentative (Lausberg [1960], § 274).
Le terme énantiose peut encore désigner toutes sortes d’opposition. Dupriez
l’utilise pour désigner des oppositions comme « bien / mal ; pair / impair ; un / mul-
tiple » (Dupriez 1984, art. Énantiose), qui sont caractéristiques du premier stade de
développement de la situation argumentative, le diptyque, parfois manichéen, de
l’argumentation antagoniste.
La palette sémantique du terme énantiose couvre donc la dynamique d’émergence
et de première stabilisation de la situation argumentative :
Celui qui est en face > avec hostilité > l’opposant > l’antithèse argumentative,
discours / contre-discours.
1. L’émotion
Un syndrome — L’émotion est un syndrome, une synthèse temporaire d’états de
divers ordres :
— un état de conscience, ayant une réalité psychologique, le sentiment, l’éprouvé ;
— un état neuro-physiologique, perceptible ou non par le sujet lui-même (rougeur
associée à la honte, poussée d’adrénaline accompagnant la colère) ;
— un état mimo-posturo-gestuel, comme la configuration spécifique des traits du
visage, de la posture du corps accompagnant chaque émotion, et une attitude, comme
la réaction de fuite inséparable de la peur ;
— un état cognitif, déterminant une perception de la réalité.
La direction de la causalité entre ces composantes est discutée : le sens commun
veut que ce soit l’état psychique qui détermine les modifications neuro-physiologiques
et attitudinales (“Il pleure parce qu’il est triste”), mais on a montré que, si l’on met un
226 ♦ Émotion
teurs ; leurs faces sociales sont potentiellement menacées, ainsi que leurs relations à
l’autre ; leurs représentations du monde sont déstabilisées ainsi que leurs identités
personnelles fondées sur ces représentations.
Argumentation des émotions — La situation liée à l’émotion ne détermine pas
causalement l’émotion, comme le montre l’existence d’injonctions émotionnelles :
Indignez-vous ! (Stéphane Hessel)
En refusant de s’aligner sur L1, L2 ouvre un débat, elle doit expliquer pourquoi elle
n’est pas d’accord, exposer ses raisons d’avoir peur : elle doit argumenter son émotion,
et s’exposer à une réfutation par L1. Le cas de l’émotion n’est pas différent de celui de
n’importe quel point de vue mis en cause (Plantin 2011).
Comme pour l’argumentation générale, on peut distinguer les cas où l’argumen-
tation de l’émotion est explicite, et ceux où elle est implicite, et où on a affaire à une
orientation vers telle émotion, qui n’est pas nommée.
Dans les deux cas, le point de départ de l’émotion est dans la perception que
les participants se font de la situation ; situation formatée et émotion forment un
tout, ce qui explique que pour justifier son émotion on doit expliciter le formatage
de la situation. Ce formatage s’effectue selon un système d’axes, qui déterminent la
nature et l’intensité de l’émotion, en fonction du caractère plus ou moins prévisible
et agréable de la situation, de son origine, de sa distance, des possibilités de contrôle,
des normes et valeurs de la personne émotionnée, etc. (Scherer [1984], p. 107 ; p. 115).
La Rhétorique d’Aristote contient une excellente description de la structure théma-
tique des discours construisant l’émotion, autrement dit des topoi de l’émotion.
Cet ouvrage n’est pas un traité de psychologie, ni une recherche d’émotions de base
universelles, mais bien un traité sur ce que le discours peut faire avec les émotions : la
parole ne peut pas faire tonner, mais elle peut émouvoir. Il ne s’agit pas de typifier une
émotion mais de construire ou de détruire par le discours une poussée émotionnelle,
dans un groupe particulier. Il ne s’agit pas de dire ce que sont la colère ou le calme,
mais de voir comment on construit un discours susceptible de mettre en colère ou de
calmer. C’est pourquoi il est préférable d’utiliser non pas des substantifs mais des
prédicats d’action pour parler des émotions dans une perspective argumentative :
— mettre en colère et calmer la colère ;
— inspirer des sentiments d’amitié, rompre les liens de l’amitié, inspirer la
colère et la haine ;
— faire peur et rassurer ;
— faire honte et combattre, braver, la honte ;
228 ♦ Émotion
La locution “nous ne pourrons pas dire que nous ne savions pas” exploite par anticipation
le sentiment de honte.
Émotion ♦ 229
Ce scénario montre que la colère n’est pas définie en isolation, comme une réponse
brute à la piqûre d’un stimulus. Quoique considérée comme une émotion de base,
elle apparaît comme la résultante complexe d’une combinatoire où entrent d’autres
émotions, comme l’humiliation ou le mépris.
Il s’ensuit que, pour mettre B en colère contre A, il faut construire un discours
montrant à B que A le méprise, le brime, l’outrage, injustement. La rationalité, le
caractère moralement justifié de la colère dépend de la bonne construction de cette
injustice. Elle est pleinement rationnelle et pleinement émotionnelle ; ou plutôt,
la distinction n’a pas de sens. Une fois qu’il a été mis en colère sur la base de cette
schématisation de la situation, les mécanismes de la vengeance, le désir de (se) faire
justice, sont supposés se déclencher automatiquement.
La colère n’est pas la haine. L’appel à la haine est un péché (“aimez-vous, au
moins supportez-vous les uns des autres”), alors que la colère peut être justifiée. Le cas
des discours d’appel à la haine est exemplaire. Le logicien, en tant que tel n’a rien à
dire sur les discours de haine ; ce n’est pas l’affaire professionnelle du “logicien” de
décider si un discours de haine doit être rejeté comme “fallacieux”, mais bien celle
de tous les gens concernés par ce discours : l’anthropologue, le citoyen, le militant,
le moraliste, le politiste et le juge.
Contre-discours : calmer la colère — Si le discours peut mettre en colère, il peut aussi
calmer. Le discours rhétorique est double, et non pas duplice : deux positions s’af-
frontent, incarnées dans deux personnes, tenant deux discours construisant deux
émotions. Pour calmer A, on développera un discours contre la colère en développant
Enthymème ♦ 231
le tissu de topoi suivant ; au terme de l’opération, on aura montré que sa colère n’est
pas raisonnable :
Le comportement de B n’est pas méprisant, moqueur, injurieux, outrageant ;
ou alors, B plaisantait ; il a dû agir ainsi involontairement, ce n’était pas son
intention ; d’ailleurs il se comporte comme ça aussi vis-à-vis de lui-même ; il se
repent, il a des remords ; il a été puni ; c’était il y a longtemps, et la situation a
bien changé.
Enthymème
Le mot grec correspondant au mot français enthymème (dérivé adjectif enthyméma-
tique) signifie (Bailly [1901], art. [enthymema]) :
1. pensée, réflexion
2. invention, particulièrement stratagème de guerre
3. raisonnement, conseil, avertissement […]
4. raison, motif.
Le sens général de “pensée, réflexion” reste vivant dans toute la rhétorique ancienne :
« Non que toute pensée ne puisse à bon droit recevoir le nom d’enthymème » (Cicéron,
Top., XIII, 55 ; p. 84) ; Quintilien signale l’acception « tout ce qui est conçu dans
l’esprit », pour la mettre de côté (I. O., V, 10, 1 ; p. 127).
La notion d’enthymème a été définie dans la tradition rhétorique argumenta-
tive selon quatre orientations principales :
(i) comme une forme de syllogisme :
— syllogisme fondé sur le vraisemblable ou sur un indice ;
— syllogisme tronqué ;
(ii) comme la contrepartie du syllogisme ;
(iii) dans la relation rhétorique :
— comme manifestation de la coopération avec l’auditoire ;
— comme actualisation d’un topos ;
(iv) comme une formule.
linguistique : “une mère, ça aime son enfant”. La conclusion est vraisemblable, c’est-à-
dire valide par défaut, jusqu’à plus ample information sur la personnalité de Marie.
— D’autre part, l’enthymème est défini comme un syllogisme fondé sur le signe.
Le mot signe a ici le sens de “indice” ; alors que le signe au sens linguistique est arbi-
traire par rapport au phénomène qu’il désigne, l’indice fait partie du phénomène. Un
signe-indice est une proposition comme (a) “cette femme a du lait”, (b) “cette femme
est pâle”, (c) “Pittacus est honnête”. Les trois enthymèmes suivants sont fondés sur
ces indices :
(a) Cette femme a enfanté, puisqu’elle a du lait ;
(b) Cette femme a enfanté, puisqu’elle est pâle ;
(c) Les sages sont honnêtes puisque Pittacus est honnête.
ou la conclusion :
Les hommes sont faillibles, considère que tu es homme !
— Si les observations de départ, telles qu’elles sont rapportées dans l’indice sont
exactes, l’enthymème (a) livre une conclusion vraie, car il correspond à une forme
valide de syllogisme, reposant sur une prémisse majeure vraie, omise dans l’en-
thymème :“toute femme ayant du lait a enfanté ; cette femme a du lait ; donc elle a
enfanté”. Cet enthymème fait preuve.
— L’enthymème (b) ne fait pas preuve, car une conséquence nécessaire de l’accou-
chement, la pâleur, a été considérée comme suffisante. Sa transposition syllogistique
est trompeuse par l’introduction de la prémisse fausse, omise dans l’enthymème,
“toute femme pâle a enfanté” ; la pâleur peut avoir d’autres causes que l’enfantement.
— De même, la reconstruction syllogistique du troisième enthymème fait intervenir
la prémisse “Pittacus est sage” pour tirer la loi générale “les sages sont honnêtes”. Cette
inférence n’est pas valide, les prémisses n’autorisent à déduire que “certains sages sont
honnêtes”. Cet enthymème est en fait un exemple, une généralisation à partir d’un
seul cas, en d’autres termes une induction rhétorique.
D’une façon générale, l’adéquation de la transposition syllogistique de ces dis-
cours est discutable, V. Déduction : on ne raisonne pas forcément syllogistiquement
à partir d’un indice, on peut aussi raisonner au cas par cas. On commet une fallacie
de négligence des circonstances pertinentes en traitant des discours ordinaires liés au
contexte comme des fragments de discours produits par un système logique, qui,
eux, sont effectivement libres de tout contexte.
En outre, la lecture syllogistique ne rend pas compte de l’orientation vers la
conclusion qui est donnée par le signe. La pâleur oriente vers l’accouchement, crée
le soupçon, comme l’honnêteté de Pittacus pointe vers celle de tous les sages.
Épichérème
BB Cicéron utilise le terme latin ratiocinatio pour désigner l’épichérème.
La notion d’épichérème a reçu au moins trois définitions distinctes.
— Si l’on regroupe les prémisses et leurs preuves, on peut soutenir que l’épichérème
reste un raisonnement à trois termes :
(Prémisse 1 et sa preuve) — (Prémisse 2 et sa preuve) — Conclusion
Épitrope
Littré définit l’épitrope comme une « figure de rhétorique, qui consiste à accorder
quelque chose qu’on pourrait contester, afin de donner plus d’autorité à ce qu’on veut
persuader » (Littré, art. Épitrope), V. Concession.
Dans les conditions ordinaires, on réfute tout ce que l’on peut, et on concède
le reste. Il s’ensuit que “Pierre concède P” sous-entend que Pierre n’est pas capable
de réfuter P. Si le locuteur concède une proposition contestable, on conclut qu’il
238 ♦ Étape et amorçage
argumente mal. S’il concède quelque chose qu’il pourrait de toute évidence rejeter,
son discours prend une forme ironique :
[P est évidemment faux]
L : — P, d’accord, mais / pourtant Q
À propos d’un écrivain dont on vient de discuter des qualités de style de manière
plutôt négative :
Je veux bien qu’il soit un bon styliste, mais il n’a aucun sens de l’intrigue.
Étape et amorçage
La stratégie du développement par étapes est définie comme suit par Perelman et
Olbrechts-Tyteca :
« On constate que, bien souvent, il y a intérêt à ne pas confronter l’interlocuteur
avec tout l’intervalle qui sépare la situation actuelle de la fin ultime, mais à diviser
cet intervalle en sections, en plaçant des jalons intermédiaires, en indiquant des
fins partielles, dont la réalisation ne provoque pas une aussi forte opposition. »
([1958], p. 379), V. Pente glissante.
tion est louable – qu’Abraham utilise dans son argumentation avec l’Éternel pour le
convaincre de retenir sa colère vengeresse envers Sodome. La direction est inversée,
elle va non pas de peu à beaucoup mais de quelques-uns à très peu :
Étayage
La notion d’étayage, développée en logique naturelle, est définie comme
« une fonction discursive consistant, pour un segment de discours donné (dont
la dimension peut varier de l’énoncé simple à un groupe d’énoncés présentant
une certaine homogénéité fonctionnelle), à accréditer, rendre plus vraisemblable,
renforcer, etc. le contenu asserté dans un autre segment du même discours ».
(Apothéloz et Miéville 1989, p. 70)
L’étude des organisations raisonnées est un instrument pour l’étude des repré-
sentations, définie comme « un réseau de contenus articulés entre eux » (Grize 1990,
p. 119-120). Il faut souligner que, pour la logique naturelle, ce qui est raisonné ne se
limite pas à la combinaison d’énoncés mais inclut tout le processus dynamique de
structuration de l’énoncé, qu’il soit argument ou conclusion, V. Schématisation.
C’est ce terme qui est employé en rhétorique pour désigner « [l’]impression morale
(produite par un orateur) » (ibid.).
À côté de ce substantif éthos, existent en grec :
— êthopoiia, substantif : « peinture de mœurs ou de caractère » ;
— êthicos :
a/ Comme adjectif, il se dit de ce « qui concerne les mœurs, moral, par opposition
à … intellectuel. Arist. Nic, 1,13,20 », mais aussi de ce qui concerne les « mœurs
oratoires » (ibid., art. êthicos).
b/ Comme nom, il désigne la philosophie morale.
mores, et, de là, vient que la section de la philosophie nommée [éthique] a été
dite moralis. » (I. O., VI, 2, 8 ; p. 25)
Sensus — Cette difficulté se manifeste encore par le choix possible du terme sensus
pour traduire éthos en latin :
« Sensus est un de ces termes vagues par lesquels les Latins essaient de rendre ce
que la rhétorique grecque désigne par [éthos]. […] Il se distingue de dolor, lequel
répond à [pathos] (Cicéron, De Or. III, 25, 96). » (Courbaud, note à Cicéron, De
l’or. II, XLIII, 184 ; note 2, p. 80)
Le substantif sensus, dans des acceptions dérivées de son sens de base (« 1. action
sentir, de s’apercevoir »), signifie « 4. [au sens moral] sentiment », et « 5. [au sens
intellectuel] manière de voir » (Gaffiot [1934], art. Sensus). Afficher un bon éthos, c’est
donc afficher son bon sentiment moral et intellectuel, manifester du sensus communis,
du sens commun, conforme aux façons de penser de la foule, de l’humanité (ibid.).
Le bon orateur prend la figure globale de l’homme de bon sens.
Éthos (II)
Le mot éthos est calqué sur le mot correspondant du grec ancien, qui sert à désigner
différentes formes d’habitude, V. Éthos (I).
L’éthos de l’orateur est le produit d’une stratégie discursive qui construit d’une
autorité complexe reposant sur trois composantes :
« Les raisons pour lesquelles les orateurs sont en eux-mêmes crédibles sont
au nombre de trois, car il y a trois motifs pour lesquels nous accordons notre
confiance en dehors des démonstrations : ce sont : la prudence (phronèsis), la
vertu (aretè) et la bienveillance (eunoia) » (Rhét., II, 1, 1378a5 ; trad. Chiron, p. 261).
Éthos (II) ♦ 243
La traduction anglaise de Rhys Roberts propose « good sense, good moral cha-
racter and good will » (Aristotle, Rhet.) Autrement dit, l’orateur détient une autorité
persuasive parce qu’il est (ou paraît) intelligent (informé, avisé, il a un bon logos) ; parce
qu’il est honnête ; parce qu’il nous veut du bien, il est bien disposé à notre égard, il est
avec nous. Cette autorité combine expertise, moralité et douceur en un sentiment
unique de confiance ; l’éthos a une structure pathémique, V. Pathos.
Comme le dit Groucho Marx, « si tu parviens à avoir l’air sincère, c’est bon » [Sin-
cerity - If you can fake that, you’ve got it made]. L’orateur n’échappe pas au « paradoxe
du comédien » ; il peut toujours être suspecté de mensonge sur ses compétences, ses
vertus, ses intentions. Pour créer la confiance, l’orateur doit se donner les moyens
« paraître prudent et bon (spoudaios) » (Rhét., II, 1, 1378a15 ; trad. Chiron, p. 262). Le
mot, paraître et non pas être, paraîtra suspect : au-delà du reproche constant fait
à la rhétorique de donner les moyens aux incompétents, menteurs et escrocs, de
tromper leur public, il s’agit pour elle de faire en sorte que celui qui est compétent et
honnête le paraisse. L’art du paraître n’est pas moins nécessaire aux honnêtes gens
qu’aux crapules.
L’éthos aristotélicien est un éthos intra-communautaire recherchant la conviction
en se coulant dans l’autorité du consensus majoritaire. Il existe d’autres postures
éthotiques mises en œuvre par des rhétoriques de rupture établissant des autorités
minoritaires : “ je suis différent de vous tous… j’apporte une nouvelle parole… oui c’est
une folie”.
L’éthos de l’orateur est un éthos professionnel. Toutes les professions ont leur
éthos, par exemple le garçon du café d’autrefois affichait un ensemble de vertus
propres : amabilité, sens du contact et de la réplique, efficacité, virtuosité dans la
façon de remplir exactement le verre sans verser une goutte sur la table, etc.
judicieuse simplement parce qu’elles sont portées par une personne prestigieuse ou
une instance de pouvoir.
3.3. Une facette construite par « ce que l’orateur dit de lui-même »
Ducrot introduit un troisième élément, intra-discursif : « Ce que l’orateur pourrait
dire de lui-même en tant qu’objet de l’énonciation » (1984, p. 201). Le locuteur théma-
tise sa personne : “Moi aussi j’ai dû travailler pour gagner ma vie”, mais ces éléments
explicites d’auto-portrait sont bien distincts de ce qu’il peut révéler indirectement
sur lui-même. Ce n’est pas la même chose d’avoir un accent et de dire “Oui, j’ai un
accent et j’en suis fier”.
En situation argumentative, les participants valorisent systématiquement leurs
personnes et leurs actes, afin de se légitimer. Les exigences de cette situation priment
sur les principes de politesse linguistique, notamment sur le “principe de modestie”,
V. Politesse argumentative.
explicite
personne de discours
implicite
personne
image, réputation
sonne donne d’elle-même à partir de son discours ordinaire (Kallmeyer 1996), son
identité discursive. Ce processus de généralisation est typique de certaines théories
modernes de l’argumentation, comme celle de l’argumentation dans la langue ou
de la logique naturelle.
Cette généralisation de l’éthos s’accompagne de sa naturalisation, au risque d’ou-
blier que, comme le pathos et le logos, l’éthos est une ressource stratégique à la disposi-
tion du sujet parlant ; on perd l’élément fonctionnel, spécifique de l’éthos rhétorique.
Par les manœuvres éthotiques, l’orateur tente de se représenter discursivement de
façon à orienter les inférences auxquelles se livrera forcément l’auditoire. Le concept
cesse d’être une catégorie de l’action rhétorique pour devenir une catégorie descrip-
tive, applicable à toute forme de discours.
Les indices discursifs susceptibles de fournir les bases d’inférences sur la per-
sonne du locuteur sont non seulement d’ordre linguistique, mais aussi bien de type
encyclopédique. Les uns et les autres sont exploitables à l’infini, les seules restrictions
sont celles des connaissances du récepteur-interprétant ; la personne du locuteur est
dans l’œil et dans l’oreille du récepteur. L’auteur parle des régimes totalitaires : donc
il se réclame d’Arendt (intertextualité) ; il parle des totalitarismes nazis et staliniens
mais pas de totalitarismes nazis et communistes : donc il a des penchants commu-
nistes (suspicion d’une stratégie de la “part du feu”). Les connaissances sur les pra-
tiques langagières peuvent fournir matière à déduction : il utilise le passé simple ; il
vouvoie sa femme ; donc c’est quelqu’un de très vieille France. La rhétorique de l’éthos
se propose d’exploiter ces inférences comme support du discours ; le problème est de
borner ces déductions, et de définir la spécificité du programme de reconstruction
de l’éthos de l’orateur par rapport aux programmes, par exemple, de stylistique, de
psychanalyse ou de sémiotique du texte.
L’analyste de l’éthos doit décider quelles méthode il se donne pour cette recons-
truction de la dimension stratégique de la présentation de soi dans des situations
d’argumentation, reconstruction qui n’échappe pas aux risques de l’interprétation
infinie. L’éthos n’est pas l’ego, et étudier le discours argumentatif ce n’est pas psy-
chanalyser le locuteur.
L’éthos, c’est l’homme, – et l’homme, c’est le style ; V. Éthos (II). Si l’on cherche une
méthode systématique pour étudier l’éthos, on rencontre la tradition stylistique.
Quintilien note ainsi l’efficacité d’un “effet de style” lié au choix du vocabulaire qui
doit être considéré comme un effet éthotique : « Les mots archaïques n’ont pas seu-
lement pour eux des garants importants ; ils apportent au style une certaine majesté
qui n’est pas sans charme : ils ont en effet, l’autorité du temps […] » (Quintilien, I.
O., I, 6, 39 ; p. 115). L’autorité du mot énoncé est constitutive de l’éthos de l’énoncia-
teur. L’être de langage « effet du discours lui-même » est construit à partir de traits
248 ♦ Éthos (III)
tégie langagière, V. Stratégie ; c’est une donnée qui a des incidences pour l’éthique
du discours. Les figures servent la construction de l’éthos, donc l’argumentation en
général. On mesure la distance avec les rhétoriques post-ramusiennes où l’invention
est divorcée de l’élocution.
Évaluation et évaluateur
D’une façon générale, évaluer un discours argumentatif c’est porter sur ce discours un
“ jugement de valeur” positif ou négatif justifié, V. Valeur. L’activité d’évaluation est
une activité argumentative qui peut être elle-même aussi fallacieuse ou bien fondée
que le jugement qu’elle approuve ou condamne.
les trains ne partant jamais en avance. Si elle veut échapper à l’arbitraire, l’évaluation
doit préciser son échelle de référence, mettre en jeu des critères explicites adaptés,
et accepter d’être elle-même critiquée.
Évaluation binaire et évaluation graduelle — L’évaluation peut être binaire, l’argu-
mentation sera acceptée ou refusée, bonne ou mauvaise ; soit graduelle, elle sera alors
située sur une échelle de qualité comme plus ou moins bonne ou mauvaise.
— L’évaluation binaire classe les argumentations en valides et non valides. Cette
évaluation est appliquée selon les critères de la logique formelle. Elle nécessite la
traduction de l’argumentation produite en langage ordinaire dans un langage logique.
C’est cette traduction, exprimant l’essence, la caractérisation logique, de l’argumen-
tation qui est évaluée, cette évaluation étant ensuite reportée sur le discours originel,
V. Logique classique (IV).
— L’évaluation peut aussi se faire en terme de degré de validité. C’est l’approche
qui est adoptée en particulier dans le cadre de la logique informelle. Quand elle
Évaluation et évaluateur ♦ 251
porte sur des argumentations types, l’évaluation permet de conclure que tel type
est valide à telle et telle conditions. Un ensemble des questions critiques donnent la
forme générale des conditions de validité d’un argument.
Traduction :
« Voyons maintenant la position de l’observateur [onlooker], et plus préci-
sément celle du logicien qui s’intéresse à l’analyse et, peut-être à l’évalua-
tion de ce qui se passe. S’il dit “les prémisses de Smith sont vraies” ou “l’ar-
gumentation de Jones est invalide”, il prend part au dialogue exactement
comme s’il était un participant ; mais, à moins qu’il ne soit engagé dans un
dialogue de second niveau avec d’autres observateurs, sa formulation ne
dit rien d’autre que “ j’accepte les prémisses de Smith” ou “ je ne suis pas d’ac-
cord avec l’argumentation de Jones”. Les logiciens ont bien entendu le droit
de donner leur avis, mais il y a quelque chose de répugnant [repugnant] à
l’idée que la logique est au service de l’expression des jugements d’accep-
tation ou de rejet des affirmations et des argumentations. Le logicien ne
se situe ni en dehors ni au-dessus de l’argumentation pratique [practical
argumentation] et il n’en est pas nécessairement l’évaluateur. Il n’est ni un
juge ni une cour d’appel, et ce genre de juge ou de cours n’existent pas. Il
est, au plus, un avocat bien entraîné. Il s’ensuit que ce n’est pas l’affaire
du logicien de se prononcer ni sur la vérité d’une affirmation [statement],
ni sur la validité d’une argumentation [argument]. »
« Puisque nous utilisons une métaphore juridique, il serait intéressant
de faire une analogie avec ce qui se passe en droit. Si un membre d’une
association privée, par exemple un club ou une société anonyme, se plaint
que les responsables ou l’administration n’ont pas respecté telle règle
ou telle disposition statutaire de l’association, le tribunal refusera en
général de s’en saisir. En pratique, on dira au plaignant “plaignez-vous à
votre organisation. Vous avez tous les pouvoirs nécessaires pour convoquer
les assemblées, engager des procédures d’annulation, voter des motions de
censure, et démettre vos dirigeants. Nous n’interviendrons à votre demande
que s’il y a une infraction, par exemple une fraude”. C’est à cela que devrait
ressembler l’attitude du logicien vis-à-vis des argumentations authen-
tiques [actual argument]. »
sont compatibles avec le programme que Marc Bloch propose aux historiens, com-
prendre, non pas juger.
Évidence
Une évidence est une forme de certitude immédiate se donnant pour un savoir acquis
par une perception directe (Dumoncel 1990). Par extension, un énoncé évident est
un énoncé qui se passe de justification, V. Mépris.
Le terme d’aperception est utilisé pour désigner cette forme de connaissance produite
par une perception consciente, accompagnée de réflexion. La connaissance par aper-
ception s’oppose à la connaissance par inférence, donc à la connaissance acquise au
moyen d’une argumentation, qui est un type d’inférence. On distingue trois formes
d’aperception, c’est-à-dire trois sources de l’évidence :
— l’évidence de la révélation d’une autre réalité transcendante.
— l’évidence perceptuelle, sensible, de la réalité ;
— l’évidence de l’intuition intellectuelle.
On peut légitimer ou refuser de légitimer une affirmation en invoquant l’une de ces
trois sources, V. Argument–Conclusion.
À la certitude liée à l’aperception correspond la certitude manifestée dans l’af-
firmation :
« L’affirmation pure et simple, dégagée de tout raisonnement et de toute preuve,
est un des plus sûrs moyens de faire pénétrer une idée dans l’esprit des foules. Plus
l’affirmation est concise, plus elle est dépourvue de toute apparence de preuves
et de démonstration, plus elle a d’autorité. Les livres religieux et les codes de
tous les âges on toujours procédé par simple affirmation. Les hommes d’État
appelés à défendre une cause politique quelconque, les industriels propageant
leurs produits par l’annonce, savent la valeur de l’affirmation. » (Le Bon [1895],
p. 70), V. Répétition.
Cette intuition est celle qui nous fait admettre comme hors de doute que par
un point pris hors d’une droite on peut mener une parallèle à cette droite, et une
seule ; ou que le carré de tout nombre négatif est positif. Ces certitudes ont été
remises en cause par la construction des nombres imaginaires et des géométries
non euclidiennes.
Évidence ♦ 257
4. Conséquences
Conflit des sources d’évidence — Il semble que les données les plus incontestables
soient celles de l’évidence sensible. Mais le texte suivant montre que la certitude issue
de l’évidence sensible peut être moindre que celle émanant de l’autorité du texte
sacré. On remarquera que le commentaire de l’auteur, dans le second paragraphe,
ratifie cette hiérarchie.
pas sous mes pas”, V. Dialectique. L’évidence peut être vue comme posant une frontière
à l’argumentabilité généralisée.
Évidentialité
Le substantif évidentialité est un calque de l’anglais evidentiality, formé à partir de
evidential (= US : evidentiary), et de evidence, “preuve”. Pour désigner le même phé-
nomène, on emploie également le mot français médiativité. Le terme évidentialité est
un anglicisme ; la problématique de l’évidentialité comme marquage de la source du
savoir n’a rien à voir avec la problématique de l’évidence comme croyance pouvant se
passer de preuve, V. Évidence.
L’évidentialité est un ensemble de procédés langagiers au moyen desquels le
locuteur indique comment il a obtenu l’information véhiculée par son énoncé, quelles
sont les sources de l’information qu’il transmet. Les systèmes évidentiels distinguent
notamment les informations provenant de l’expérience sensorielle propre (auditive,
visuelle), les informations obtenues par inférence, et par les dires de quelqu’un d’autre ;
certains sont plus complexes.
Dans certaines langues, l’évidentialité est une catégorie grammaticale spécifique.
De même qu’en français l’événement rapporté l’est nécessairement selon ses coor-
données temporelles-aspectuelles, dans ces langues, le locuteur doit obligatoirement
indiquer si l’information qu’il rapporte a été obtenue par les sens, par ouï-dire ou
par inférence. Les marques grammaticales de l’évidentialité forment un système
propre, distinct du système des modaux ainsi que du système temporel-aspectuel.
Dans d’autres langues, les marqueurs d’évidentialité sont optionnels. En fran-
çais, la catégorie d’évidentialité n’est pas grammaticalisée. Elle peut être portée par
certains usages considérés comme marginaux du système des temps :
— Pierre aurait été retardé : le conditionnel permet de marquer une information
comme fondée sur un ouï-dire.
— Pierre aura été retardé : le futur renvoyant à un événement passé signale que
l’affirmation repose sur une inférence, c’est-à-dire qu’elle a le statut d’une conclusion.
Les modaux introducteurs de complétives sont porteurs de nuances évidentielles
(exemples adaptés de Ducrot, 1975) :
— Je crois que, on dirait que Pierre a reçu ma lettre : la conclusion repose sur une
inférence fondée sur une donnée prise dans le contexte ; par exemple, le comporte-
ment constaté de Pierre s’explique bien à partir de certaines informations contenues
dans la lettre.
— Je pense qu’il a reçu ma lettre : l’inférence repose simplement sur les délais normaux
d’acheminement du courrier.
L’évidentialité est une façon de mettre l’argumentation “dans la langue”. Elle
pousse à concevoir l’argumentation comme un continuum relevant parfois de la
sémantique du discours et parfois la sémantique de la langue.
Ex datis ♦ 259
Ex concessis
BB Lat. concedere, “céder, concéder, se ranger à l’avis de”.
— lat. arg. ex concessis ; concessus, “concession, consentement” ; ang. arg.
from the consensus of the nations ;
— lat. arg. ex concessu gentium, lat. gens, “race, peuple” ; idem.
Ex datis
BB — Lat. ex datis, du lat. datum, “don, présent”.
— Argument ad auditorem, du lat. auditor, “celui qui écoute”, étiquette
est utilisée par Schopenhauer ([1864] , p. 43).
L’argumentation ex datis prend pour données non pas des faits d’expérience, mais ce
qui a été admis, “donné”, ou concédé par l’interlocuteur, l’auditoire ou l’adversaire ; on
raisonne « à partir de ce qui a été accordé » (Chenique 1975, p. 322) ; l’argumentation
ex datis est parfois dite ex concessis (ibid.). Comme l’argumentation ad hominem,
l’argumentation ex datis est fondée sur les croyances de l’auditoire, mais alors que
ad hominem exploite ces croyances à des fins de réfutation, ex datis l’exploite à des
fins de confirmation. Si la connaissance du caractère de l’auditoire est si importante
pour la rhétorique argumentative, c’est en particulier parce qu’elle lui fournit un
grand réservoir de prémisses ex datis, V. Éthos (IV).
Si le cadre de l’échange n’admet pas la révision des croyances, ces données ne
peuvent pas être remises en question, et les conclusions qu’elles permettent d’at-
teindre sont irréfutables par le partenaire, dans le cadre de cette discussion. Sur ces
données, l’argument conclut positivement : “d’ailleurs, tu le dis toi-même !”. Soit la
question : “ faut-il intervenir militairement en Syldavie ?” :
Vous admettez que les troupes Syldaves sont mal formées et qu’elles risquent d’être
dépassées par les événements (A), et que les troubles en Syldavie peuvent s’étendre
à la région existe (B). Nous sommes d’accord que cette extension menacerait notre
sécurité (C) ; et personne ne nie que nous devons intervenir si notre sécurité est menacée
(D). Donc, vous êtes d’accord avec moi, venez nous rejoindre, rangez-vous donc dans
le camp des gens qui sont en faveur de notre présence en Syldavie. V. Ad hominem.
260 ♦ Ex datis
Cette stratégie d’argumentation a quelque chose à voir avec l’aveu ; c’est une maïeu-
tique : elle fait accoucher une personne de la vérité de ses croyances, de la conclusion
qu’elle n’ose pas, ou qu’il est incapable de formuler parce qu’elle ne maîtrise pas l’art
de combiner les énoncés pour en tirer les inférences nécessaires.
L’argument ex concessis peut être délicat à manier, car, par ambiguïté ou confu-
sion entretenue entre le locuteur et l’énonciateur, on peut attribuer au locuteur des
croyances qu’il ne manie qu’ex concessis. Le risque est bien repéré dans le domaine
de l’argumentation religieuse ; un auteur qui se présente comme orthodoxe ayant
entrepris de réfuter les hérétiques peut dissimuler son accord avec les thèses qu’il
combat en prétendant ne les manipuler qu’ex concessis.
En philosophie, Kant a proposé une distinction entre connaissance ex datis fondée
sur l’expérience, et connaissance ex principiis déduite des premiers principes. L’his-
toire est le prototype de connaissance ex datis, la philosophie et les mathématiques
les prototypes de connaissance ex principiis ; la connaissance ex datis ne serait qu’une
compilation de données. Dans le prolongement de l’acception kantienne, on pour-
rait penser que l’argumentation ex datis repose sur des données d’expérience, “sur
le fond, sur les choses elles-mêmes” ; cette interprétation ferait de ex datis une sorte
d’équivalent de ad rem, mais tel n’est pas le cas. L’usage de l’expression ex datis en
argumentation est distinct de son usage en philosophie.
Critique de l’argumentation ex datis
Cette forme d’argumentation appelle deux critiques de principe, une critique fon-
dationniste d’une part, et une critique déontologique.
Selon les principes fondationnistes, pour être valide, une inférence doit être
fondée sur des prémisses vraies, sur des vérités relevant d’un savoir absolu ; or les
prémisses de l’argumentation ex datis reposent seulement sur des croyances. Pour
cette raison elle est dite fallacieuse : il ne s’agit pas du fait que l’argument soit exté-
rieurement formaté pour ce public, mais du fait, plus fondamental que l’argument
ne vaut que pour ce public. Toute argumentation rhétorique est contestable du point
de vue fondationniste.
Du point de vue déontologique, on remarque que, par opposition à un locuteur
qui argumente sur le vrai ou sur ce qu’il croit tel, les affirmations correspondant aux
croyances de l’auditoire ne sont pas nécessairement approuvées et prises en charge
par le locuteur lui-même. Lorsque l’orateur est mieux informé que son auditoire,
c’est-à-dire, s’il sait que P est vrai (ou faux), mais que ses auditeurs croient que P est
faux (ou vrai) ; s’il dispose d’une information sûre que les auditeurs ignorent ; et s’il
se limite à prendre en compte ce que croit l’auditoire, alors, dire qu’il argumente ex
datis, ex concessis, ad auditorem… c’est tout simplement dire qu’il ment et manipule
son auditoire. V. Conditions de discussion ; Manipulation.
Exagération ♦ 261
Exagération
1. Exagération
Le coup de l’exagération est mentionné par Aristote. Il y a exagération (deinôsei) lorsque
« sans avoir montré que la personne a ou non commis l’acte, on amplifie (auxèsèi)
cet acte. Cela donne l’impression soit que l’accusé n’a pas accompli l’acte quand
c’est lui qui amplifie, soit qu’il a commis l’acte, quand c’est l’accusateur. » (Rhét.,
II, 24, 1401b1-10 ; trad. Chiron, p. 407)
« Jugeons tous les actes criminels. Quel que soit le niveau de conscience
de l’auteur. Et pourquoi pas un chien ? L’actualité fournit une tragique
occasion de faire encore progresser la justice. […] Et pourquoi le c yclone
qui a récemment ravagé les Antilles, faisant plusieurs victimes et d’im-
menses dégâts matériels, échapperait-il aux foudres de la justice ? »
L. M. Horeau, « Flagrants délirants »,
Le Canard Enchaîné, 29 août 2007, p. 1.
Exemple, arg.
Le mot exemple a deux sens :
1. Manière d’être ou de faire digne d’être imitée. Ce sens est celui de donner,
prendre en exemple, suivre l’exemple.
2. Un item quelconque d’une série d’éléments équivalents, un cas parmi d’autres.
Un exemple est un spécimen, un cas quelconque.
Le mot exemplaire, en tant qu’adjectif a le premier sens (un comportement exem-
plaire), et en tant que substantif, le second (le second exemplaire a disparu).
Outre les formes spécifiques d’argumentation décrites ci-dessous, plusieurs
formes d’argumentation sont liées à l’exemple : V. Exemplum ; Imitation, parangons
et modèles ; Ab exemplo.
scientifique
discours enthymème
rhétorique
exemple comparaison
[paradeigma] [parabolè]
sur des faits inventés
fable
[logoi]
L’argumentation par l’exemple fondé sur des faits réels passés est illustrée par
une forme d’induction aboutissant à la conclusion « il faut se préparer à combattre
Exemple, arg. ♦ 263
contre le Grand Roi et ne pas le laisser faire main basse sur l’Égypte », sur la base
de deux expériences passées fâcheuses pour les Grecs :
« Dans le passé, Darius ne passa pas en Grèce avant de s’être emparé de l’Égypte.
Quand il l’eut prise, il traversa ; Xerxès à son tour ne lança pas son offensive avant
d’avoir pris l’Égypte. Quand il l’eut prise, il traversa. » (Rhét., II, 20, 1393a30-b5 ;
trad. Chiron, p. 357-358)
Il ne s’agit pas d’induction, dans le mesure où le but n’est pas d’établir une loi g énérale
“tous les conquérants qui s’emparent de l’Égypte passent ensuite en Europe”. Le raison-
nement est orienté vers une action particulière, “attaquons préventivement le Grand
Roi”. On est peut-être proche du raisonnement à deux termes, V. Raisonnement à
deux termes.
Comparaison — Aristote donne comme exemple de « parabole » une analogie, tirée
des discours de Socrate, contre le tirage au sort des magistrats, comme si on tirait
au sort les athlètes ou, « parmi les matelots, celui qui doit tenir le gouvernail […] et
non le plus compétent » (Rhét., II, 20, 1393b5-25 ; trad. Chiron, p. 359). V. Analogie (IV).
Fable —Aristote donne comme exemple la fable du cheval qui voulait se venger du
cerf, et, ce faisant, s’est rendu esclave de l’homme, avec une application aux anciens
sauveurs de la patrie qui se transforment en tyrans (Rhét., II, 20, 1393a30 ; trad. Chi-
ron, p. 359-360 ; voir La Fontaine, « Le cheval s’étant voulu venger du cerf », Fables,
Livre 4, 13). V. Exemplum.
S’il veut reconstruire le système d’une langue, le linguiste doit s’assurer que son
informateur n’est pas bègue ou affecté d’un autre défaut de langage.
Exemplum
2. L’exemplum
L’exemplum (plur. exempla) est un instrument de prédication qui s’est particulière-
ment développé par les ordres mendiants, dominicains et franciscains, à partir du
début du xiiie siècle. Structurellement, l’exemplum est une forme de récit, exploitant
les ressources de la fable. Le genre est légitimé par l’exemple même du Christ qui a
prêché par paraboles. Les exempla présentent des modèles et d’action, à suivre ou
à éviter.
L’exemplum est « un récit bref donné comme véridique et destiné à être inséré
dans un discours (en général un sermon) pour convaincre un auditoire par une leçon
salutaire » (Brémond et al. 1982, p. 37-38). Brémond distingue deux formes d’exempla :
— exemplum métaphorique : « le récit ne cite plus alors un échantillon de la règle,
mais un fait qui lui ressemble » :
268 ♦ Exemplum
Explication
En épistémologie, l’explication est définie par ses caractéristiques conceptuelles,
dépendant des domaines scientifiques concernés.
Dans la langue courante, les mots “expliquer” et “explication” renvoient à des scé-
narios, à des types de discours et d’interactions extrêmement divers. Par l’analyse
des accounts (justifications, explications), l’ethnométhodologie se propose de saisir
l’intelligibilité des actions et des interactions ordinaires.
La linguistique textuelle fait de la séquence explicative un des types de séquences
de base (Adam 1996, p. 33), généralement en opposition avec la narration, la descrip-
tion et l’argumentation. Les relations entre types sont complexes : l’argumentation
justificative (vs délibérative) explique une décision en termes de bonnes raisons.
— L’explication fonctionnelle :
— Pourquoi le cœur bat-il ? — Pour faire circuler le sang
— Pourquoi la religion ? — Pour assurer la cohésion sociale
— Pourquoi les oranges ont-elles des tranches et le chocolat des carreaux ?
— Pour être plus commodément divisées entre les enfants
humains (L1, L2…), qui, par des discours renvoient au discours explicatif (explanans)
(S) ou au phénomène à expliquer (explanandum) (M).
— L’explication est désignée comme une séquence interactionnelle tendant à la
dispute dans “L1 et L2 s’expliquent (au sujet de M)” : “Viens, on va s’expliquer tous les
deux” est une ouverture d’interaction animée, voire violente.
— C’est une séquence interactionnelle conceptuelle dans “L1 explique M à L2”.
— C’est une séquence monologique conceptuelle avec effacement des traces d’énon-
ciation dans “S explique M (S s’explique par M)”.
Le tout se combine : “L1 affirme à L2 que S explique M”.
Dans l’usage ordinaire, le mot explication désigne des segments de discours ou des
séquences interactives succédant à des questions de nature extrêmement diverses,
produites par quelqu’un
— qui n’a pas compris quelque chose :
“explique-moi le sens de ce mot” : demande de définition, de paraphrase, de
traduction ou d’interprétation) ;
“explique-moi ce qui s’est passé” : demande de récit ;
“explique-moi pourquoi la lune change de forme apparente” : demande de théorie,
de schémas et d’images.
— ou qui ne sait pas comment faire :
“Explique-moi comment ça marche” : demande de produire une notice explicative,
un mode d’emploi, une démonstration pratique ; la structure de l’explication
fournie sera aussi diverse que le type d’activité en cause.
La question de l’unicité du concept d’explication se pose donc, ainsi que celle des
discours explicatifs et de l’activité interactionnelle appelée explication. Le besoin
d’explication naît d’un blocage, dans le sentiment de surprise (nouveauté, anomalie).
Compte comme explication tout ce qui fait disparaître cette surprise.
En ethnométhodologie — L’ethnométhodologie (Garfinkel 1967) accorde une im-
portance centrale à l’analyse des explications (to account : “s’expliquer, expliquer que,
(se) justifier, donner des raisons”) dans les interactions ordinaires, et cela à deux
niveaux. D’une part, au niveau de l’explication explicite [overt explanation] « par la-
quelle les acteurs sociaux rendent compte de ce qu’ils sont en train de faire en termes
de raisons, de motifs ou de causes » (Heritage 1987, p. 26). D’autre part à un second
niveau, implicite, ce même genre d’accounts, d’explications, est « inscrit dans l’action
et l’interaction sociale » (ibid.) où il assure en flux continu l’intelligibilité mutuelle des
actions, sur fond d’un ensemble de scripts d’actions, d’attentes sociales ou de normes
morales pratiques. Ces explications sont dites situées dans la mesure où elles font
intervenir des considérations relevant de contextes particuliers.
Du point de vue de l’analyse conversationnelle, les explications ou justifications
“ouvertes” interviennent en particulier comme réparations, lorsqu’un premier tour de
parole est suivi d’une suite non préférée, par exemple lorsqu’une invitation est refusée,
Explication ♦ 271
le refus est accompagné d’une justification (“ je ne pourrai pas venir, j’ai du travail”).
Ce genre d’explication ou de bonne raison est exigé par une norme sociale, comme on
peut le voir par le tour conflictuel pris par l’interaction lorsque l’explication n’est pas
fournie (Pomerantz 1984).
Séquence explicative — On dit souvent que la séquence explicative est initiée par la
question “Pourquoi les choses sont-elles ainsi ?”, mais on peut remonter bien en amont,
en s’intéressant à l’émergence de la demande d’explication. On définit alors l’expli-
cation de manière générale comme une activité cognitive, langagière, interaction-
nelle, déclenchée par le sentiment ou l’expression d’un doute, d’une ignorance, d’un
trouble dans le cours normal de l’action, ou d’un simple malaise intellectuel, d’un
« mental discomfort » (Wittgenstein 1974, p. 26). L’explication est ce discours ou
cette interaction qui satisfont un besoin cognitif, apaisent un doute et produisent
un sentiment de compréhension et d’intercompréhension.
Le processus interactionnel d’explication à contenu cognitif peut être schématisé
comme une succession de stades, où le succès de l’acte d’explication est conditionné
par une demande et une ratification venues du profane.
(i) L1 a un doute, une inquiétude, un blocage… au sujet de M.
(ii) L1 demande une explication auprès de L2.
(iii) L2 fournit l’explication.
(iv) L1 ratifie cette explication.
Selon ce schéma, l’explication est un acte de discours subordonné à un acte principal
qui est la demande d’explication. Dans le cadre scolaire, il est possible que l’explication
scolaire soit produite directement, sans être appuyée sur une demande d’explication.
Expression
Le terme expression est utilisé dans la théorie aristotélicienne des fallacies dans
quatre acceptions bien distinctes. Les deux premières viennent de la Rhétorique, les
deux dernières des Réfutations sophistiques.
1. Pseudo-déduction
Un discours est dit fallacieux par l’expression lorsqu’il a une forme démonstrative
sans avoir rien de démonstratif. Il peut prendre cette forme par exemple grâce à la
présence d’un connecteur conclusif, “A donc B”. S’il n’y a aucun lien entre les seg-
ments A et B reliés par ce connecteur, on a un enthymème apparent, fallacieux par
la forme de l’expression. On énonce une conclusion « sans pour autant avoir opéré
une véritable déduction » (Rhét., II, 24, 1401a1 ; trad. Chiron, p. 404), sans qu’il y
ait eu une réelle argumentation. On trouve d’abondants exemples de ce type dans
Candide de Voltaire ainsi que dans les dissertations bardées de connecteurs, dont
l’élève espère qu’ils vont bien finir par produire une argumentation.
2. Homonymie
On parle également de fallacie d’expression pour désigner le paralogisme par ho-
monymie, V. Homonymie.
3. L’anglais fallacy
L’anglais fallacy (pl. fallacies) est beaucoup plus usité que les mots français sophisme
ou paralogisme. Il présente au moins deux significations :
— d’une part, le sens très général de “croyance erronée, idée fausse” [« a wrong belief:
a false or mistaken idea » Webster, art. Fallacy] ;
Fallacieux (II) ♦ 279
Hamblin ajoute que certaines de ces fallacies « ont reçu des noms spécifiques, alors
il ne s’agit absolument pas de fallacies au sens logique mais simplement de croyances
erronées » (ibid., p. 48) (voir infra). En ce dernier sens, le mot correspond à un “faux
concept” ; il est lui-même trompeur, V. Expression.
Fallacy_2 — Dans ce second sens, le mot fallacy désigne une contrefaçon argumen-
tative, pour reprendre un titre de Fearnside et Holther, Fallacies : the counterfeit
of argument (1959, cité dans Hamblin 1970, p. 11) : « Selon pratiquement toutes les
définitions depuis Aristote jusqu’à nos jours, une argumentation fallacieuse, est une
argumentation qui semble valide mais qui ne l’est pas » (ibid., p. 12). Cette définition
reçue soulève plusieurs problèmes.
— Le premier problème est celui de ce que signifie semble valide : « À cause de
son apparence psychologique, le mot semble a souvent été négligé par les logiciens,
confortés dans leur croyance que l’étude des fallacies ne les concerne pas » (ibid.,
p. 253). Depuis Frege les logiciens formalistes ont en effet “dépsychologisé” la logique,
lorsqu’elle s’est axiomatisée et a cessé d’être une théorie de la pensée, V. Logique (I). De
son point de vue, la vérité est une, et si l’erreur est multiple, c’est précisément parce
qu’elle est liée à la psychologie ; il n’y a pas de théorie logique de l’erreur. En somme
Fallacieux (II) ♦ 281
pour faire triompher la vérité, ses intérêts, ses émotions, pour renforcer son ego,
pour passer le temps… On peut également ne pas être intéressé à le résoudre, mais
plutôt à l’approfondir ; par exemple lorsque la question est émergente on peut trouver
plus intéressant, voire plus rationnel, de bien poser le problème et d’approfondir le
différend plutôt que de s’acharner à vouloir le faire disparaître.
« Un des instruments les plus efficaces contre les fallacies est la condensation par
laquelle on extrait la substance de l’argumentation d’une masse de verbiage [a
mass of verbiage]. Mais cette technique a aussi ses dangers : elle peut conduire à
une simplification excessive, en d’autres termes au paralogisme a dicto secundum
quid, qui omet certains traits pertinents de l’argumentation examinée. Quand
nous suspectons une fallacy, nous devons d’abord dégager exactement l’argu-
mentation ; et, en général, la meilleure façon de faire est d’en extraire d’abord
les caractéristiques principales, puis de tenir compte de toutes les subtilités et
de toutes les restrictions pertinentes. » (Mackie 1967, p. 179)
– ce sur quoi tout le monde est bien d’accord, restent seulement les détails de la
mise en pratique.
Les argumentations communes sont menées en langue naturelle, accusée de
travestir la logique, en lui ajoutant du verbiage insignifiant, V. Verbiage. Elle est le
vecteur de l’erreur et du camouflage de la rhétorique des intérêts autres que celui
pour la vérité. L’analyse des arguments et l’élimination des fallacies supposent son
contournement. La fée argumentation doit se dépouiller les oripeaux langagiers
de la sorcière rhétorique. À quoi on peut objecter que la langue naturelle est à l’ar-
gumentation naturelle ce que la résistance de l’air est au vol de la colombe légère :
« C’est ainsi que la colombe légère, pourrait croire lorsqu’elle fend d’un vol rapide
et libre l’air dont elle sent la résistance, qu’elle volerait encore plus rapidement
dans le vide. » (Kant [1781], p. 43)
(portant sur des thèses déterminées) qui seraient sophistiques, mais “des réfutations
des sophistes, des réfutations des argumentations des sophistes”. L’objet de l’ouvrage
est l’analyse des réfutations telles que les pratiquent les sophistes, c’est-à-dire “com-
ment les sophistes réfutent”. Aristote y distingue deux classes de paralogismes, les
paralogismes liés au langage et les paralogismes hors du langage. Par “langage”, il faut
entendre langage utilisé dans le raisonnement, le discours contrôlé du raisonnement
dialectique, V. Dialectique.
La Rhétorique énumère dix « lieux des enthymèmes apparents » (Rhét., II, 24,
1400b35-01a5 ; trad. Chiron, p. 403-412), sans reprendre la distinction “lié ou non
lié” au langage ; on peut cependant y voir des « paralogismes dus aux procédés de
raisonnement », (Rhét. Dufour, II, 24, note 1 à 1401b1 ; trad. Dufour, p. 127).
Première colonne : Les paralogismes des Réfutations Sophistiques dans la traduction Tricot.
Seconde colonne : Terme latin encore usité — Terme anglais — Entrée correspondante.
288 ♦ Fallacieux (IV)
Ces sophismes peuvent être mis en relation avec les types aristotéliciens correspon-
dants. Les fallacies liées au discours sont regroupées sous les rubriques (6), Composition
et division, et (8) qui renvoie aux phénomènes d’homonymie, amphibolie, accentua-
tion, forme du discours. Quant aux fallacies hors du discours, la liste ne mentionne
pas la fallacie de plusieurs questions ; la fallacie « en raison de la conséquence » est
sans doute fusionnée avec la cause. Elle ajoute deux nouveaux types, fallacie de
dénombrement imparfait, et la fallacie d’induction défectueuse, V. Fallacieux (III).
celles « qui décident tout par un principe fort general & fort commode, qui est qu’ils
ont raison, qu’ils connaissent la vérité ; d’où il ne leur est pas difficile de conclure,
que ceux qui ne sont pas de leurs sentimens se trompent : en effet, la conclusion est
nécessaire » (p. 263). La prétention à la vérité de la personne autoritaire lui apporte
une certitude immédiate (dans le domaine profane comme dans le domaine sacré),
alors qu’il faudrait une argumentation, V. Autorité.
(4) « L’habile homme » — Selon le syllogisme de l’habile homme, « si cela étoit, je ne
serois pas un habile homme, or je suis un habile homme, donc, cela n’est pas » (p. 264).
Ce sophisme est une spécification du précédent : « Quoi ? si le sang, disoient-ils, avoit
une revolution circulaire dans le corps […] j’aurois ignoré des choses importantes
dans l’Anatomie […]. Il faut donc que cela ne soit pas » (p. 264). L’orgueil amène au
rejet de la découverte, qui aurait dû rendre humble tous les orgueilleux qui ne l’ont pas
faite, et qui auraient pu la faire. C’est, à la lettre, la fallacie d’orgueil, ad superbiam.
(5) « Ceux qui ont raison, & ceux qui ont tort parlent presque le même lan-
gage » — Tout est dans le presque. « Il n’y a presque point de plaideurs qui ne s’en-
tr’accusent d’allonger les procès, & de couvrir la verité par des adresses artificieuses
(*) ; & ainsi ceux qui ont raison, & ceux qui ont tort parlent presque le même langage,
& font les mêmes plaintes, & s’attribuent les uns aux autres les mêmes défauts »
((*) : des artifices ; p. 261-262). De ce constat dérive une recommandation, à l’adresse
« des personnes sages et judicieuses », que l’on peut désigner comme une Première
Règle : « [établir suffisamment] la verité & la justice de la cause qu’ils soutiennent »
(p. 265), avant de passer à la méta-discussion critique sur la façon de discuter de
leurs opposants.
(6) « La contradiction maligne et envieuse » — « C’est un autre que moi qui l’a dit,
cela est donc faux : ce n’est pas moi qui ai fait ce Livre, il est donc mauvais. C’est la
source de l’esprit de contradiction si ordinaire parmi les hommes, & qui les portent,
quand ils entendent ou lisent quelque chose d’autrui, à considérer peu les raisons
qui les pourraient persuader, & à ne songer qu’à celles qu’ils croient pouvoir oppo-
ser » (p. 266). De ce constat dérive une nouvelle recommandation sur la façon de
se comporter vis-à-vis de ses opposants, soit une Deuxième Règle : « n’irriter que le
moins qu’on peut leur envie & leur jalousie en parlant de soi », et « se cacher dans la
presse(*) », c’est-à-dire ne pas se singulariser ((*) : la foule ; p. 266).
(7) « Les contredisans » ; « l’esprit de dispute » — « Ainsi, à moins qu’on ne se soit
accoûtumé par un long exercice à se posséder parfaitement, il est difficile qu’on ne
perde de vûe la vérité dans les disputes, parce qu’il n’y a gueres d’activité qui excite
plus les passions » (p. 270), et qui rend les disputes interminables (ibid.).
D’où la recommandation adressée aux disputeurs, Troisième Règle : « Ils n’ac-
cuseront jamais leurs adversaires d’opiniatreté, de temerité, de manquer de sens
commun, avant que de l’avoir bien prouvé. Ils ne diront point, s’ils ne l’ont fait voir
auparavant, qu’ils tombent en des absurdités & des extravagances insupportables :
car les autres en diront autant de leur côté » ; on prendra soin « de ne tomber pas
soi-même le premier dans ces defauts » (p. 271). La pratique est dénoncée non pas
Fallacieux (IV) ♦ 291
comme violation d’un principe logique mais par une petite comédie de mœurs où
est mis en scène un dialogue de sourds (p. 270-271) ; c’est non pas à la logique, mais
au théâtre, qui peut induire une prise de distance par rapport au vice dénoncé, qu’est
confiée l’éducation au débat.
(8) « Les complaisans » — « Car comme les contredisans prennent pour vrai le
contraire de ce qu’on leur dit, les complaisans semblent prendre pour vrai tout ce
qu’on leur dit ; & cette accoûtumance corrompt premièrement leurs discours, &
ensuite leur esprit ». Ce sophisme d’acceptation sans examen, au moins de refus de
prendre position, correspond exactement à la fallacie ad verecundiam de Locke ; il
blâme ceux qui « au milieu de la contestation se mutinent à se taire, affectant un
orgueilleux mépris ou une sottement modeste fuite de contention », c’est-à-dire de la
dispute (p. 270-271 ; nous soulignons). V. Modestie.
(9) « Défendre son sentiment et non pas la vérité » — L’attachement à son sentiment
fait que « l’on ne regarde plus dans les raisons dont on se sert si elles sont vraies ou
fausses ; mais si elles peuvent servir à persuader ce que l’on soutient ; l’on emploie
toute sorte d’arguments bons et mauvais, afin qu’il y en ait pour tout le monde »
(p. 272). C’est en somme ce que disait déjà le sophisme (1), avec la précision que non
seulement la justification du pré-jugé remplace l’argumentation du vrai, mais que
ces causes jugées bonnes s’accommodent parfaitement d’être soutenues de mauvais
arguments, ce dont le locuteur peut d’ailleurs être pleinement conscient.
Pour clore cette section, la Logique formule une nouvelle recommandation, qui cor-
respond à une sorte de Règle préliminaire : « n’avoir pour fin que la verité, & n’examiner
avec tant de soin les raisonnemens, que l’engagement même ne puisse pas tromper »
(p. 274) ; certes, mais c’est précisément ce que diront d’eux-mêmes chacuns des dis-
puteurs. À travers cette recommandation on peut lire l’échec pratique de l’entreprise
de dénonciation des sophismes.
— Les idoles de la caverne [idols of the den] sont le produit de l’éducation et de l’his-
toire de chaque individu, c’est-à-dire des préjugés ou de fausses évidences, V. Évidence.
— Les idoles de la place publique [idols of the market-place] sont les mots eux-
mêmes, qui souffrent d’ambiguïté et imposent à la pensée de fausses apparences.
Ils submergent l’entendement, engendrent des mondes imaginaires et poussent à
de vaines controverses ; ils sont « une merveilleuse obstruction de l’esprit », V. Fal-
lacieux (III).
— Les idoles du théâtre [idols of the theater] correspondent aux représentations
erronées véhiculées par les systèmes philosophiques, qui sont la mise en scène de
mondes imaginaires (Bacon [1620], § 39-44 ; p. 17-20).
Dans cette énumération, il s’agit à la fois d’inférences fallacieuses, et de fallacies
substantielles.
Fausse piste
La stratégie de la fausse piste est une stratégie de diversion, d’évitement de la question.
Elle correspond à la red herring fallacy en anglais. Le red herring est le hareng fumé, qui
devient plus ou moins rouge au cours du traitement ; on dit qu’il était utilisé par les
fugitifs pour lancer les chiens sur une fausse piste. L’expression, très usitée en anglais,
est utilisée au sens figuré pour désigner quelque chose permettant de « distraire l’at-
tention de la question fondamentale » (OED, art. Red Herring). Un red herring est un
distracteur faisant dévier la discussion vers d’autres pistes, V. Pertinence.
Figure
Le terme figure est utilisé en rhétorique, en syllogistique et en théorie des fallacies.
Foi, arg.
BB L’argument de la foi ou appel à la foi est souvent désigné par son nom
latin, argument ad fidem, du latin fides, “foi”.
des cas précédents. Dans ces deux cas, l’argumentation sur la foi est fondée sur des
arguments postulés comme vrais parce que tirés du corpus des vérités révélées.
— Face aux incroyants, l’argumentation est essentiellement ad hominem, on montre
par l’argumentation que leurs croyances sont contradictoires (Trottman 1999, p. 148-151).
On voit que le Docteur Angélique n’excluait pas du champ de l’argumentation
les situations de désaccord profond, V. Désaccord.
Fond, arg.
BB Argument ad rem, lat. res, “réalité, chose ; point de discussion, question”.
Ang. argument addressed to the thing ; to the point ; dealing with the matter at
hand.
Les arguments sur le fond sont les arguments relatifs aux faits pertinents, centraux pour
la question traitée ; ils s’opposent aux arguments périphériques. Dans une perspective
normative, les arguments sur le fond sont seuls retenus pour la discussion, ce qui
ne signifie pas qu’ils soient automatiquement validés ; leur force et leur valeur font
l’objet de discussion. Par exemple, une partie peut avancer un précédent, ce qui porte
clairement sur le fond ; mais ce précédent peut être critiqué et finalement rejeté : cet
argument sur le fond est finalement déclaré non valide pour la discussion en cours.
Le critère de pertinence est lui-même un objet du débat. C’est une des fonctions
du tiers de produire et d’affirmer des critères de pertinence éventuellement contre
l’avis des parties, V. Pertinence.
Les arguments périphériques exploitent des indices accidentellement associés à
l’action (V. Indice ; Circonstances) ou opèrent un trope argumentatif, par exemple
de la qualité de la personne à celle de l’action, V. Éthos ; Personne. Les arguments
périphériques ne sont pas des preuves indirectes ; la preuve indirecte correspond à un
raisonnement par l’absurde, V. Absurde.
Dans les Essais philosophiques sur l’entendement humain (1690), Locke distingue quatre
types d’arguments
« dont les hommes ont accoutumé de se servir en raisonnant avec les autres
hommes, pour les entraîner dans leurs propres sentiments, ou du moins pour
les tenir dans une espèce de respect qui les empêche de contredire ».
Les trois premiers, l’argument ad ignorantiam, l’argument ad hominem et l’argument
ad verecundiam, sont déclarés fallacieux (Locke [1690], p. 573-574), V. Typologies (II) ;
Ignorance ; Ad hominem ; Modestie. Seul est considéré comme valide l’argument ad
judicium, ou argument sur le fond des choses. Cet argument
296 ♦ Fond, arg.
Force
Le terme force est utilisé en théorie de l’argumentation dans trois sens différents.
« Certes, nous avons été, nous sommes, submergés par la force méca-
nique, terrestre et aérienne, de l’ennemi.
Infiniment plus que leur nombre, ce sont les chars, les avions, la tactique
des Allemands qui nous font reculer. Ce sont les chars, les avions, la
tactique des Allemands qui ont surpris nos chefs au point de les amener
là où ils en sont aujourd’hui.
Mais le dernier mot est-il dit ? L’espérance doit-elle disparaître ? La défaite
est-elle définitive ? Non !
[…]
Quoi qu’il arrive, la flamme de la résistance française ne doit pas
s’éteindre et ne s’éteindra pas. »
Charles de Gaulle, Texte de l’appel du 18 juin 1940, [http://www.
charles-de-gaulle.org/pages/l-homme/dossiers-thematiques/1940-
1944-la-seconde-guerre-mondiale/l-appel-du-18-juin/documents/l-
appel-du-18-juin-1940.php], consulté le 20 septembre 2013.
Argument naturaliste — En droit, l’argument naturaliste renvoie à l’hypothèse d’un
législateur impuissant parce qu’il est impossible de légiférer dans certains domaines,
ou d’un juge qui renonce à faire appliquer la loi, dans certaines occasions, V. Topique
juridique.
L’argument naturaliste est également exploité dans le domaine de la loi reli-
gieuse, Luther l’utilise à propos de l’interdiction du mariage des prêtres dans l’église
catholique romaine :
« Le pape n’a pas pouvoir pour prononcer pareille interdiction, pas plus
qu’il n’a pouvoir pour interdire le boire, le manger et les issues naturelles,
ou pour défendre de grossir. Aussi personne n’est-il tenu à observer ses
prescriptions. »
Martin Luther, À la noblesse chrétienne de la nation allemande,
sur l’amendement de l’état de chrétien [1520]. Les grands écrits
réformateurs, trad. par M. Gravier, Paris, GF-Flammarion, p. 158.
A priori, l’argument naturaliste n’a pas grand-chose à voir avec la fallacie naturaliste
qui valorise systématiquement le naturel, V. Fallacieux (II). On pourrait cependant
les rapprocher, dans la mesure où l’accusation de fallacie naturaliste pourrait servir
à réfuter l’argument de la force des choses.
Gaspillage, arg.
L’argument du gaspillage est défini comme suit par Perelman et Olbrechts-Tyteca :
« L’argument du gaspillage consiste à dire que, puisque l’on a déjà commencé
une œuvre, accepté des sacrifices qui seraient perdus en cas de renoncement
à l’entreprise, il faut poursuivre dans la même direction. C’est la justification
fournie par le banquier qui continue à prêter à son débiteur insolvable espérant,
en fin de compte, le renflouer. C’est l’une des raisons qui, selon sainte Thérèse,
incitent à faire oraison, même en période de “sécheresse”. On abandonnerait tout,
écrit-elle, si ce n’était “que l’on se souvient que cela donne agrément et plaisir au
seigneur du jardin, que l’on prend garde à ne pas perdre tout le service accompli
et aussi au bénéfice que l’on espère du grand effort de lancer souvent le seau dans
le puits et de le retirer sans eau”. » (Perelman et Olbrechts-Tyteca [1958], p. 375).
La définition de ce que le Traité appelle ici un moyen est une « technique dis-
cursive » (ibid., p. 5), ou un topos, c’est-à-dire une schématisation d’ordre linguisti-
co-cognitif, V. Topos inférentiel. Le Traité introduit le topos du gaspillage par une
définition suivie de deux illustrations dans le passage : « puisque l’on a déjà com-
mencé une œuvre, accepté des sacrifices qui seraient perdus en cas de renoncement
à l’entreprise, il faut poursuivre dans la même direction » (ibid.) Les agents sont
impersonnels (« on ») ; les situations très générales (« commencé, œuvre, entreprise,
sacrifices, direction »). Ce topos met en relation :
— une situation initiale complexe, l’argument (a) : on a commencé une œuvre, en vue
d’un bénéfice ; (b) cette œuvre est difficile ; (c) on n’a rien obtenu ; (d) il est possible
et on est tenté d’arrêter ; (e) si on arrête on perd tout (avec une application du topos
des contraires : cesser et tout perdre / continuer et tout gagner) ;
302 ♦ Gaspillage, arg.
« Battre en retraite équivaut à reconnaître que tous nos gars sont morts pour
rien ! » tranche l’un [des fans de John McCain(*)], le soldat Carl Broberg,
rentré au pays. »
(*) candidat à l’investiture républicaine pour l’élection présidentielle
américaine de 2008
Marianne, 1er-10 mars 2008, p. 59.
Les éléments clés du topos sont dispersés de manière discontinue dans ce second
exemple (passages soulignés par nous) :
« Il [le philosophe Alain] ne croit pas à la guerre du droit. Il est favorable
dès la fin de 1914 à une paix de compromis, et il suit d’ailleurs de très près,
à travers la Tribune de Genève que lui envoie le ménage Halévy, tout ce
qui ressemble à une amorce de négociation, si fragile qu’en soit la trace.
Mais il ne se fait guère d’illusions : précisément parce qu’elle est si affreuse,
si meurtrière, si aveugle, si entière, la guerre est très difficile à terminer. Elle
n’appartient pas, ou plus, à cette catégorie de conflits armés que des
princes cyniques peuvent arrêter s’ils jugent que le coût en dépasse les
gains possibles, et que le jeu n’en vaut plus la chandelle. Elle est dirigée
par des patriotes, d’honnêtes gens élus par le peuple, enfermés chaque
jour davantage dans les suites des décisions de juillet 1914. Les souffrances
ont été si dures, les morts si nombreuses que personne n’ose agir comme si elles
n’avaient pas été nécessaires. Et comment s’avancer, sans se désigner comme
traître ? Plus la guerre dure, plus elle va durer. Elle tue la démocratie, dont
elle reçoit pourtant ce qui perpétue son cours. »
François Furet, Le Passé d’une illusion. Essai sur l’idée communiste
au xxe siècle, Paris, Robert Laffont / Calmann-Lévy, 1995, p. 65.
Genre, arg. ♦ 303
L’argument de la généralité de la loi pose que la loi n’admet pas de déviation : “nous
ne devons pas faire de distinction là où la loi n’en fait pas” (selon l’adage latin : ubi
lex non distinguit, non nobis est distinguere).
Si le règlement prévoit, en termes généraux que “l’usage du téléphone portable est
interdit pendant le cours”, alors son application est générale. Les excuses qui tentent
d’en restreindre la portée en disant que le règlement vaut surtout “pour les plus petites
classes”, ou qu’il ne vaut pas lorsqu’il s’agit de “gérer son compte en banque”, ou “pour
ceux qui ont eu une bonne note” ne sont pas recevables. Le règlement n’admet pas
d’exceptions.
Genre, arg.
Genre peut être pris :
1. au sens de la théorie du gender ;
2. au sens de la théorie des catégories.
« Chacun peut se prévaloir de tous les droits et de toutes les libertés pro-
clamés dans la présente Déclaration, sans distinction aucune, notamment
de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d’opinion politique
ou de toute autre opinion, d’origine nationale ou sociale, de fortune, de
naissance ou de toute autre situation. »
Déclaration universelle des droits de l’homme, art. 2, § 1,
[http://www.un.org/fr/documents/udhr/],
consulté le 20 septembre 2013.
Les poules et les oies sont mentionnées seulement comme exemple prototypiques
de la catégorie “animaux de basse-cour”. On peut discuter si un paon est un animal
de basse-cour. A contrario, l’absence de provision générique limite l’application de
la mesure aux êtres explicitement cités :
On doit payer l’impôt sur les poules et les oies.
Conclusion : Donc même pas sur les canards.
Genre, arg. ♦ 305
V. Topique juridique.
Historique ► Intention du législateur, arg.
Homonymie (fal.)
La fallacie d’homonymie est une fallacie d’ambiguïté, liée au discours, V. Fallacieux
(III).
Deux signes sont homonymes lorsqu’ils ont le même signifiant et des signifiés
totalement différents. En français le signifiant bac correspond à trois mots homo-
nymes (1. Récipient ; 2. Bateau ; 3. Baccalauréat) et à divers acronymes (BAC, bri-
gade anti-criminelle, etc). On distingue l’homographie (même graphie, prononciation
différente : couvent (“maison d’une communauté religieuse” ; et couvent, 3e personne
du pluriel du verbe couver) et l’homophonie (même prononciation, graphie identique
[bac] ou non [fils et fils]).
Paralogisme et sophismes d’homonymie — Dans la théorie du raisonnement syl-
logistique, un syllogisme fallacieux par homonymie n’est pas à trois mais à quatre
termes, l’un des termes étant pris dans deux sens différents, V. Paralogisme syllo-
gistique.
Le dialogue de Platon, l’Euthydème, fournit un exemple de la pratique sophistique
utilisant l’homonymie. Euthydème le sophiste, personnage éponyme de ce dialogue,
démontre successivement les propositions contradictoires : « ce sont les savants qui
apprennent » / « ce sont les ignorants qui apprennent » (Euth., V, 275c-276c ; p. 114).
308 ♦ Homonymie (fal.)
Il est difficile de trouver quoi que ce soit à redire aux conclusions de L1. Il n’a pas dit que
sa proposition était la seule valable, ni que son hypothèse devrait être tenue pour vraie.
Il n’est plus ici question d’argument. Si on considère que “on n’a pas prouvé que
non-P”, est équivalent à “non-(non-P)” on conclut que P, par application du prin-
cipe du tiers exclu. Mais les deux non ne sont pas de même nature : “non-P n’est
pas prouvée” ne veut pas dire “non-P est faux” ; il y a confusion entre ce qui est vrai
(ordre de l’aléthique) et de ce qui est connaissable (ordre de l’épistémique), V. Absurde.
Je suis innocent puisque vous êtes incapables de prouver que je suis coupable.
Tu es coupable puisque tu es incapable de prouver ton innocence.
Admettre P pour vrai en l’absence de preuve de non-P est une décision qui revient
à l’institution habilitée à discuter et à décider dans le domaine concerné. Dans le
domaine judiciaire, la présomption d’innocence fait porter la charge de la preuve sur
l’accusation, et fait bénéficier l’accusé de l’ignorance. Dans le débat sur la toxicité
de nouveaux produits, où il s’agit également de gérer des savoirs insuffisants, la
présomption d’innocuité serait :
Il est possible que le produit ait des effets toxiques, mais ce n’est pas prouvé.
Donc il n’a pas d’effets toxiques.
Imitation — Parangon — Modèle
Les parangons et “grands analogues” — Dans le raisonnement politique, certains
événements jouent le rôle de parangons : Munich et la défaite diplomatique des démo-
craties face à la volonté expansionniste nazie, le déroulement de la Seconde Guerre
mondiale, le génocide des juifs, des tziganes et des homosexuels sont autant de grands
analogues qui servent d’anti-modèles pour penser tous les conflits actuels. Pour les
Américains, le Vietnam est le grand analogue appelé à la rescousse lorsqu’il s’agit de
s’opposer à de possibles interventions militaires à l’étranger. Les parangons servent
de “modèles”, permettant de comprendre les événements nouveaux ; ils fonctionnent
en cela sur le principe du précédent, V. Précédent ; Exemple.
L’événement grand analogue met en scène des personnages source d’antonomase
(figure par laquelle un membre de la catégorie est désigné par le nom du parangon de
cette catégorie) : un Daladier ou un Chamberlain est une personne qui capitule devant
un dictateur au lieu de le combattre, comme se sont conduits à Munich Edouard
Daladier ou Neville Chamberlain vis-à-vis de Hitler.
Le modèle, personne ou événement, crée une catégorie par analogie, V. Catégo-
risation ; Analogie (III).
Donner l’exemple — Pour amener quelqu’un à faire quelque chose, on peut pro-
céder argumentativement, c’est-à-dire lui exposer discursivement toutes les bonnes
raisons de le faire. On peut en particulier argumenter par le modèle, en lui donnant
en exemple des gens importants qui l’ont fait (variante de l’argumentation d’autorité),
soit réels, soit imaginaires, V. Exemplum. On opère ainsi un déplacement métonymique
de l’action vers l’auteur de l’action.
On peut également donner l’exemple, et faire soi-même ce qu’on souhaite que
l’autre fasse. Il ne s’agit plus de dire, mais de montrer, de s’instituer soi-même comme
norme. On ne peut alors parler d’argumentation par l’exemple que de façon métapho-
rique, comme on parle d’argumentation par la force pour ouvrir avec un tournevis
une boîte de conserve récalcitrante. L’argumentation par l’exemple donné joue sur
les mécanismes non verbaux de l’imitation sociale, l’entraînement, l’identification,
l’empathie. La séduction est également une force qui pousse une personne à s’aligner
sur un modèle et à se distancier d’un contre-modèle. L’argumentation éthotique n’est
Indice ♦ 313
Indicateur ► Marqueur
Indice
BB En rhétorique, le mot grec semeion est traduit par “indice”, et par “signe”.
Un indice est une donnée perceptuelle directe, matériellement liée, plus ou moins
nécessairement à un état de chose non accessible perceptuellement : si je vois de la
fumée (indice), je peux inférer qu’il y a du feu, en vertu du principe “il n’y a pas de
fumée sans feu”. L’indice est un fait certain, et « nous tenons pour certain d’abord ce
que perçoivent les sens, par exemple, ce que nous voyons, ce que nous entendons,
tels les indices [signa] » (Quintilien, V, 10, 12). En lui-même l’indice est irréfutable.
On emploie parfois le mot signe au sens de indice.
— L’indice est probable, ou contingent (semeion), s’il est lié à plusieurs états de
choses ; le syllogisme associé n’est pas valide :
Loi (majeure) Les femmes qui ont enfanté sont pâles (si E, alors P).
Signe (mineure) Cette femme est pâle.
Conclusion Cette femme a enfanté.
314 ♦ Indice
Une condition nécessaire est prise pour suffisante : on peut être pâle par complexion,
ou parce qu’on est malade. L’indice apporte non pas une preuve mais seulement un
élément de preuve (judiciaire).
Induction
L’induction est un des trois modes d’inférence classiques, V. Induction ; Déduction ;
Analogie. L’induction va du particulier au général ; elle généralise à tous les cas des
constatations faites sur un nombre restreint de cas ; si ce cas est unique, on a affaire
à un exemple, V. Exemple.
Je plonge la main dans le sac et j’en retire un grain d’avoine.
Je plonge une 2e fois la main dans le sac, et j’en retire un 2e grain d’avoine.
… Je plonge une 294e fois la main dans le sac, et j’en retire un 294e grain d’avoine.
Pour conclure avec certitude, il faudrait examiner grain à grain tout le volume restant ;
mais cela prendrait beaucoup de temps. Je procède à un arbitrage entre le degré de
certitude atteint et la durée de la tâche, en utilisant l’induction, je décide de gagner
du temps et je conclus :
J’ai affaire à un sac d’avoine.
L’induction repose sur l’analogie catégorielle : « c’est par la production de cas indi-
viduels présentant une similitude que nous nous sentons autorisés à induire l’uni-
versel » (Aristote, Top. Brunschwig, I, 18, 10 ; p. 32). Les grains tirés sont “analogues”
au sens où, même s’ils sont plus ou moins beaux, ils appartiennent tous à la même
catégorie “être un grain d’avoine”, V. Analogie (III).
Induction de la partie représentative au tout — L’induction permet d’inférer, en
intension, une proposition portant sur le tout à partir du fait qu’on a constaté qu’elle
était vraie sur une partie, qui peut être quelconque ou représentative. Si la partie exa-
minée est quelconque et petite, les risques d’erreur sont grands. Ils se réduisent si
la partie est représentative. Soit E un échantillon représentatif de la population P :
x % de E a voté pour le parti A
y % de E a voté pour le parti B
…(idem pour chaque parti)…
conclusion :
x % de P a voté pour le parti A
y % de P a voté pour le parti B
…(idem pour chaque parti)
Selon que l’échantillon est ou non réellement représentatif, que les gens ont ou non
donné des réponses fantaisistes, la conclusion varie du quasi certain au vaguement
probable, V. Tout et Partie.
Induction sur un trait essentiel — La généralisation sur une propriété accidentelle
d’un être est hasardeuse, mais sur une propriété essentielle, elle est sûre :
Ceci est un passeport syldave normal.
Ce passeport mentionne l’appartenance religieuse.
Donc les passeports syldaves mentionnent l’appartenance religieuse.
V. Exemple ; ecthèse.
Réfutation d’un induction — On réfute une conclusion obtenue par induction
en montrant qu’elle procède d’une généralisation hâtive, reposant sur l’examen d’un
nombre de cas insuffisants ; pour cela, on exhibe des exemplaires de la collection
qui ne possèdent pas la propriété.
« On n’a peut-être pas assez remarqué combien est toujours dérisoire-
ment petit le nombre de ces exemples tirés de l’histoire sur lesquels on
assied une “loi” qui prétend valoir pour toute l’évolution, passée et future,
de l’humanité. Celui-ci (Vico) proclame que l’histoire est une suite d’al-
ternances entre une période de progrès et une période de régression ; il
en donne deux exemples ; celui-ci (Saint-Simon) qu’elle est une succession
d’oscillations entre une époque organique et une époque critique ; il en
318 ♦ Inférence
donne deux exemples ; un troisième (Marx) qu’elle est une suite de régimes
économiques dont chacun élimine son prédécesseur par la violence ; il
en donne un exemple ! »
Julien Benda, La trahison des clercs [1927], Paris,
Grasset, 1975, p. 224-225 (italiques dans le texte).
On remarquera que le principe général affirmé par Benda « le nombre de ces
exemples tirés de l’histoire sur lesquels on assied une “loi” qui prétend valoir pour
toute l’évolution, passée et future, de l’humanité est toujours dérisoirement petit »
est lui-même appuyé sur trois exemples.
Inférence
La notion d’inférence est une notion primitive, définie comme « la dérivation
d’une proposition (la conclusion) à partir d’un ensemble d’autres propositions (les
prémisses) » (Brody 1967, p. 66-67). Elle permet d’établir une vérité nouvelle sur la
base de vérités déjà connues ou admises. On distingue deux formes d’inférence,
l’inférence immédiate et l’inférence proprement dite.
— L’inférence proprement dite part de plusieurs propositions. La logique tradi-
tionnelle distingue l’inférence déductive ou déduction et l’inférence inductive, ou
induction ; elle traite à la marge la question de l’analogie, à laquelle elle reconnaît
simplement une valeur heuristique. V. Déduction ; Induction ; Analogie.
— Dans le cas de l’inférence immédiate, la conclusion est dérivée à partir d’une seule
proposition, V. Logique (II).
d éduction seule peut apporter un savoir scientifique substantiel (science étant pris
au sens aristotélicien du terme).
Dans des argumentations comme “c’est notre devoir, nous devons donc le faire”, la
proposition introduite par donc, “nous devons le faire” est tirée analytiquement de
l’argument “c’est notre devoir”. Si l’on peut parler ici de conclusion, c’est de conclusion
“immédiate” qu’il s’agit. Plus largement, l’inférence analytique est une inférence où
la conclusion est inscrite dans l’argument, l’argumentation développe les contenus
sémantiques de l’argument, ainsi, à partir de “Pierre a cessé de fumer”, je peux déduire
que, dans le passé “Pierre fumait” : “si tu dis que Pierre a cessé de fumer, tu affirmes que
Pierre fumait autrefois”.
Tu parles de la naissance des dieux, donc tu affirmes qu’à une certaine époque, les
dieux n’existaient pas.
La naissance est définie comme le « point de départ de l’existence » (TLFi, art. Nais-
sance). La conclusion ne reproduit pas directement la définition du mot, elle est
obtenue au terme d’une étape supplémentaire, développant le sens de “point de
départ” ; pour cette raison, la conclusion peut rester inaperçue ; on n’est plus dans le
domaine de l’inférence immédiate, mais dans celui de la conséquence logique, exploi-
tant en plusieurs étapes les seules ressources du langage.
320 ♦ Inférence
C’est l’intervention d’une loi sociale, externe au discours et à la langue, qui permet
d’effectuer le passage de “nier l’existence des dieux” à “subir un châtiment”. Parfois, les
deux types de loi se mélangent :
Tu es un impie, l’impiété est punie de mort, tu dois mourir.
Il est difficile de dire dans quelle mesure le sens même du mot impie a intégré sa loi de
passage “l’impiété est punie de mort” ; il y a en tout cas un fort lien à la réalité sociale :
si je souhaite réformer la législation, ma révolte n’est pas une révolte sémantique.
V. Causalité (I) ; Définition ; Modèle de Toulmin ; Topos.
— Suite inférée :
S’il était presque à l’heure cette fois, c’est qu’il était encore une fois en retard : punition
renforcée !
Sur l’énoncé Pierre n’a pas lu tous les romans de Balzac, la suite idéale est :
(a) il ne pourra pas te donner les informations que tu cherches,
alors que sur “Il a lu quelques romans de Balzac”, la suite idéale est :
(b) il pourra peut-être te donner l’information que tu cherches.
Intention du législateur, arg. ♦ 321
Mais les locuteurs à qui l’on demande à qui ils s’adresseraient pour avoir l’informa-
tion cherchée, à celui qui n’a pas lu tous les romans ou à celui qui en a lu quelques-uns,
choisissent celui qui ne les a pas lus tous (Ducrot 1980, p. 7-11).
Il y a plusieurs calculs inférentiels possibles : si on dit qu’il ne les a pas lus tous,
c’est qu’il en a lu au moins beaucoup ; ou que la négation montre qu’on pourrait penser
qu’il les a lus tous.
Interaction, Dialogue
Les approches traditionnelles de l’argumentation sont de type énonciatif. Les
approches interactionnelles de l’argumentation, liées au développement des études
d’interactions verbales (en français Kerbrat-Orecchioni 1990-1992-1994 ; Vion 1992 ;
Traverso 2000), sont apparues à partir des années 1980 aux États-Unis (Cox et
Willard 1982 ; Jacobs et Jackson 1982 ; Eemeren et al. 1987). Il y a de l’énonciatif et de
l’interactionnel dans l’argumentation, et il est assez vain d’opposer ces deux aspects ;
l’activité argumentative est irréductiblement biface, V. Argumentation (I).
Dans l’usage ordinaire, le mot dialogue a une orientation positive quasi prescriptive :
le dialogue est bon, il faut dialoguer ; les philosophies du dialogue ont une couleur
humaniste marquée ; les personnalités ouvertes au dialogue s’opposent aux fonda-
mentalistes, fermés au dialogue. Entre deux parties, dialoguer signifier se concerter, et
pratiquement “négocier” ; rompre le dialogue ouvre un espace à la violence. En ce sens,
comme en témoigne le titre de l’ouvrage de Tannen, The argument culture : Moving
from debate to dialogue (1998), il est possible d’opposer le débat un peu vif — argument
en anglais — au dialogue, et voir un progrès dans la transition de l’un à l’autre.
Les approches formelles de l’argumentation en relation avec le dialogue sont
apparues avec les logiques dialogiques de la seconde moitié du xxe siècle. Elles cor-
respondent aux logiques dialectiques de type aristotélicien, V. Dialectique ; Logiques
du dialogue.
et qui le disent autant qu’il ne les dit. Dans le cas de l’argumentation, ces rapports
d’intertextualité sont spécifiquement pris en compte à travers la notion de script
argumentatif, V. Script.
Pour les théories qui mettent au premier plan les rapports discours / contre-discours
les notions de polyphonie et d’intertextualité sont appliquées à l’étude du corpus
constitué pour l’étude d’une question argumentative
particulière.
Dialogue, débat, conseil — Le conseil (une forme de consultation) se noue autour
d’une question traitée entre un ou plusieurs conseilleurs et un conseillé. Dans le
conseil, le concept de tiers passe au premier plan, V. Rôles. La situation est marquée
par le doute partagé et la confiance, par opposition à la certitude et l’antagonisme qui
caractérisent l’interaction polémique. Contrairement au débat, il n’y a pas égalité
de principe des partenaires vis-à-vis de la question : les deux partenaires n’ont pas
le même pouvoir de décision sur la question débattue, leurs investissements dans
cette question ne sont pas de même nature. Le caractère privé du conseil l’éloigne
également du débat et le rapproche du dialogue.
Interprétation, arg.
La notion d’interprétation renvoie :
— Au processus général de compréhension, V. Interprétation, exégèse, herméneutique.
— En rhétorique argumentative on parle d’interprétation pour désigner :
1. une forme de question argumentative
2. une figure de répétition
3. un topos de la famille du topos des mobiles et motifs, V. Mobiles et motifs.
un exemple emprunté à Sénèque dit l’Ancien (ou le Rhéteur). Sénèque l’Ancien est
l’auteur d’un recueil de Controverses, recueil de cas judiciaires plus ou moins imagi-
naires, traités par différents rhéteurs de son époque (Ier siècle), dans le cadre d’une
sorte de concours d’éloquence judiciaire.
Perelman et Olbrechts-Tyteca prennent pour exemple le premier cas de ce recueil
([1958] p. 233). Le sujet proposé à une bonne vingtaine d’experts orateurs est une
histoire ingénieuse de fils qui a nourri son oncle malgré l’interdiction de son père ; puis,
la roue de la fortune ayant tourné, c’est le père qui se trouve dans la difficulté, et le
fils, cette fois, nourrit son père malgré l’interdiction de son oncle. Le malheureux fils se
trouve ainsi chassé successivement par le père et par l’oncle. Dans le passage suivant,
il se justifie devant son père d’avoir nourri son oncle ; ses avocats parlent en son nom.
Les interventions des deux avocats sont co-orientées ; le premier, Fuscus Arellius,
plaide sur un ordre donné à contrecœur ou sur une mauvaise interprétation de
l’ordre ; le second, Cestius, va plus loin, il attribue au père une intention contraire
à ses paroles. En théorie des stases, cette situation a trait à la qualification de l’acte
“et même plus, au fond, vous souhaitiez que je vous désobéisse. Vous devriez plutôt me
féliciter”, V. Stase.
Perelman et Olbrechts-Tyteca voient dans ces interventions une « figure argu-
mentative » ([1958], p. 233). Il s’agit de la mise en œuvre d’un topos de la famille des
mobiles privés et publics. Le jeu ici porte sur la substitution du vouloir privé (réel),
au vouloir publiquement affirmé, conforme aux valeurs sociales, V. Mobiles et Motifs.
La discussion de cet exemple met en jeu l’analyse du serment comme acte perfor-
matif. L’interprétation est un instrument de réfutation et de défense qui, de façon
intéressante, s’oppose à une accusation reposant sur une analyse performative de
l’acte de serment.
Austin et l’honneur d’Hippolyte — Austin illustre sa découverte de la performa-
tivité d’un exemple emprunté à l’Hippolyte d’Euripide. Le serment est valide dès
que la langue a dit, quoi que l’esprit, un simple acteur de second plan, ait pu penser :
Interprétation, arg. ♦ 327
« Mais il nous arrive souvent d’avoir l’impression que le sérieux des mots
leur vient de ce qu’ils ont été prononcés seulement comme le signe exté-
rieur et visible d’un acte intérieur et spirituel – signe commode dont le
rôle serait de conserver les traces de l’acte ou d’en informer les autres. Dès
lors, le pas est vite franchi qui mène à croire ou à supposer, sans s’en rendre
compte, que dans bien des cas l’énonciation extérieure est la description,
vraie ou fausse, d’un événement intérieur. On trouvera l’expression clas-
sique de cette idée dans Hippolyte (v. 612) où Hippolyte dit […], c’est-à-
dire “ma langue prêta serment, mais non pas mon cœur” (ou mon esprit
ou quelque autre artiste dans les coulisses [backstage artist]). C’est ainsi
que “ je promets de…” m’oblige : enregistre mon acceptation spirituelle
de chaînes non moins spirituelles.
Il est réconfortant de remarquer, dans ce dernier exemple, comment
l’excès de profondeur – ou plutôt de solennité – fraye tout de suite la
voie à l’immoralité. »
John L. Austin, How to do things with words [1962],
Quand dire c’est faire, Paris, Le Seuil, 1970, p. 44.
La réplique citée est tirée de l’Hippolyte d’Euripide (I, 612). Nous sommes dans un
contexte argumentatif, comme c’est souvent le cas dans le drame classique. Phèdre
aime le chaste Hippolyte, qui ne se rend compte de rien. Afin de tenter « [d’]arran-
ger » les affaires de sa maîtresse, la Nourrice lui fait part de l’amour de Phèdre. En
réponse, Hippolyte l’accable d’injures, hurle, on l’entend à travers la porte (v. 575),
mais indistinctement (v. 585) ; puis il « sort du palais » et prend à témoin les dieux
élémentaires « Ô Terre-Mère, et toi, rayonnement du soleil ! quels infâmes discours ont
frappé mon oreille ! ». La nourrice lui demande de se « taire » ; c’est alors qu’elle lui
rappelle son serment :
N — Ces propos mon enfant n’étaient pas faits pour tous.
H — Ce qui est bien, il vaut mieux le dire en public.
N — Mon enfant, ne va pas mépriser ton serment.
H — Ma langue l’a juré, mais non pas ma conscience.
Hippolyte sauvera son honneur en n’agissant pas dans le sens de son argument ; il
tiendra son serment en ne disant rien à Thésée : « C’est ma piété qui te sauve, femme.
Si je n’avais été surpris sans défense par des serments sacrés, jamais je ne me serais tenu
de tout conter à mon père » (v. 656). La toute-puissance de la formule est donc bien
respectée, mais pour des raisons religieuses, et non pas austiniennes ; ce sont les lois
des dieux, et non pas celles du langage qu’entend respecter Hippolyte.
Le serment d’Hippolyte, du moins dans cette traduction française, parle non pas
d’événement intérieur mais de « conscience », qui n’est pas forcément un backstage artist
quelconque pour Hippolyte. Quoi qu’il en soit, l’essentiel est ailleurs : le serment
Hippolyte n’a rien d’ordinaire, c’est un serment très spécial, cataphorique, celui de
ne rien révéler de ce qui allait lui être dit. Le serment préliminaire, à contenu vide, a
la forme des serments conditionnels explicites ou sous-entendu : “ je te le promets sauf
328 ♦ Interprétation, arg.
Au sens philologique et historique, l’exégèse est une activité critique ayant pour
objet un texte de la tradition pris dans ses conditions matérielles de production :
conditions linguistiques (grammaire, lexique), conditions rhétoriques (genre),
contexte historique et institutionnel, genèse de l’œuvre dans ses liens avec la vie
et le milieu de l’auteur. Idéalement, l’exégèse établit un état du texte, en dégage
le ou les sens, contribuant ainsi à trancher entre des interprétations en conflit ou
330 ♦ Interprétation, exégèse, herméneutique
interpréter, sous la forme précise qu’il a dans le texte. Une fois posé cet énoncé, la
mécanique langagière est la même. Si l’on considère, dans sa plus grande généralité,
la relation “argument — conclusion”, on dira que la conclusion c’est ce qu’a en vue le
locuteur lorsqu’il énonce l’argument, et que le sens de l’argument, c’est la conclusion.
Sous cette formulation, la relation argumentative n’est pas différente de la relation
interprétative : la conclusion c’est ce qui donne sens à l’énoncé ; seule la saisie de la
conclusion caractérise une authentique compréhension de l’énoncé. Ce qui revient à
considérer que le sens fait toujours défaut à l’énoncé, qui ne trouvera son sens qu’un
énoncé plus loin, V. Orientation.
L’interprétation est légitime dans la mesure où elle s’appuie sur des principes
qui correspondent à des lois de passage admises dans la communauté interprétative
concernée, communauté des juristes ou des théologiens par exemple :
Intitulé, arg.
BB Arg. a rubrica ; le mot latin rubrica est de la famille de rubor « rougeur,
couleur rouge ». Rubrica signifie “terre rouge, rubrique” ; dans les recueils
de lois « les titres de chapitres étaient écrits en couleur rouge. » (Gaffiot
[1934], art. Rubrica).
Inutilité, arg.
BB Arg. ab inutilitate (legis) ; lat. utilitas “utilité, intérêt”, lex “loi” ; argument
de l’inutilité (de la loi). Angl. arg. from superfluity.
Supposons que le règlement interdise aux candidats de voter sur les questions qui
les concernent. Peuvent-ils participer aux séances de discussion sur ces questions ?
Faut-il préciser dans un article du règlement que leur présence dans l’assemblée est
autorisée ?
— Argumentation par l’inutilité du règlement : Oui, ils peuvent participer. Non, on
n’a pas besoin d’établir une nouvelle règle précisant qu’ils peuvent participer. En effet,
pour voter il faut faire partie de l’assemblée ; si on vous interdit de voter, c’est bien
parce que vous faites partie de l’assemblée ; si vous ne faisiez pas partie de l’assemblée,
alors il ne servirait à rien de vous interdire de voter. La précision est donc inutile.
— Argument “ce qui va sans dire va encore mieux en l’explicitant” : “les personnes
concernées ne prennent pas part au vote, mais participent à la séance de discussion
sur les questions les concernant” ; le nouveau règlement est plus clair, au prix d’une
légère redondance.
Principe d’économie et textes sacrés — Ce principe d’économie vaut pour les textes
sacrés. Considérons le problème de l’application du topos des contraires à une pres-
cription de la forme : “Ne faites pas cela dans telles et telles conditions”. Dans les cas
ordinaires, on conclut que : “Hors de ces conditions, vous pouvez le faire”. La discussion
a été menée dans le cas du Coran. Dans certains passages, on constate que parfois
le texte mentionne explicitement le cas contraire (Coran, 4-23), selon le schéma :
Ne faites pas cela dans telles et telles conditions. Hors de ces conditions, faites-le.
Alors que dans d’autres cas, le cas contraire n’est pas explicité :
Ne faites pas cela dans telles et telles conditions !
Dans ce second cas, peut-on “compléter” par le topos des contraires ? Si on se donne
la latitude d’ajouter au texte “Hors de ces conditions, faites-le !”, comme on le fait dans
les cas courants, on rend inutile la précision littérale apportée dans le premier cas.
Si l’on postule que le texte sacré est parfait, où rien n’est inutile ou superflu, alors
on n’a pas de droit de conclure quoi que ce soit sur ce qu’il convient de faire ou de ne
pas faire lorsque les conditions telles et telles ne sont pas remplies.
Ironie
L’ironie est une stratégie de destruction du discours, qui ridiculise un discours pré-
tendant tenir la position haute, en s’appuyant sur une évidence contextuellement
irréfutable.
Au point de départ de l’ironie, il y a un discours D0 hégémonique. Un discours
hégémonique est un discours considéré comme vrai dans un groupe, ayant le pouvoir
d’orienter ou de légitimer les actions du groupe et dans un rapport conflictuel avec
un discours minoritaire. Dans une situation S0, le participant L1, le futur ironisé,
cible de l’ironiste L2, a tenu un certain discours D0 avec lequel le futur ironiste
334 ♦ Ironie
Dans une situation ultérieure S1, l’ironiste reprend des éléments de ce discours
premier alors que les circonstances rendent ce discours intenable. Plus tard, alors
qu’ils sont perdus sur un à pic, l’ironiste dit :
L2_x : — Pas de problème, je connais la balade, ça passe facile !
Vous a produit une suite non préférée, il y a donc eu débat entre les protagonistes
en S0. Le (futur) ironiste a perdu ce débat. L’évidence de la présence de Pierre est
donnée par Je mieux que comme un argument concluant, comme une “vraie preuve”,
supposée “clouer le bec” et donner une bonne leçon à Vous.
Mais le fait ne fait pas preuve. Il n’y a pas de raison d’arrêter l’analyse en ce point.
L’ironie est surtout étudiée en prenant pour objet l’énonciation ironique, alors que
c’est un phénomène séquentiel, connaissant deux issues, l’une où l’ironie est heureuse,
l’autre où elle est malheureuse. Je constate bien que Pierre est effectivement présent,
mais cela ne prouve pas qu’il soit venu le voir ; vous peut répliquer :
— Non, Pierre n’est pas venu te voir. Il est venu voir ta sœur.
Avec son appel à l’évidence, l’ironie se situe à l’extrême bord de l’argumentation. Elle
continue à fonctionner dans des situations dramatiques où l’argumentation est vaine
ou impossible. Les remarques suivantes ont été écrites sous le régime dictatorial, de
la Tchécoslovaquie d’avant 1989 :
La position intermédiaire est valorisée : “la vertu est dans l’entre-deux” (lat. in medio
jacet virtus) :
Ni téméraire, ni lâche, simplement courageux.
Justice, règle de —
Perelman et Olbrechts-Tyteca introduisent la règle de justice comme un principe
argumentatif fondamental : « tous les êtres d’une même catégorie doivent être traités
de la même façon » et citent quelques-unes des catégories qui, historiquement ont
réglé la répartition des biens, c’est-à-dire la façon de partager le gâteau : « à chacun
selon son mérite ; à chacun selon sa naissance ; à chacun selon ses besoins » (Perelman
[1963], p. 26). La règle fonde les revendications :
à travail égal, salaire égal
à rendement égal, salaire égal
D’autres catégories sont envisageables, qui montrent bien que la règle de justice peut
très bien servir l’injustice :
à chacun selon son sexe
à chacun selon la couleur de sa peau
« Le général Baclay, c’était aussi un drôle de numéro matricule. Mais une
drôle de femme, très juste à sa façon. Elle fusillait de la même manière
femme et homme, tous les voleurs, que ça ait volé une aiguille ou un
bœuf. Un voleur c’est un voleur et ça les fusillait tous. C’était équitable. »
Ahmadou Kourouma, Allah n’est pas obligé,
Paris, Le Seuil, 2000, p. 111.
— En outre, la règle de justice est supposée s’appliquer de façon linéaire, à tous les
membres du groupe, mais les règles concrètes incluent des bornes, des seuils et des
principes de lissage. Pour l’impôt, la règle “à chacun selon son revenu” s’applique à
partir d’un certain revenu ; elle est non linéaire, elle admet des seuils.
La règle de justice est définie par, et engendre, deux types de problèmes :
— conflits d’appartenance : définition d’une catégorie (qui est mathématicien ?),
et conflit de catégorisation : l’individu X fait-il bien partie de la tribu (est-il un vrai
mathématicien) ?
— conflits de hiérarchisation : définition d’une métrique (les critères d’excellence en
mathématique) et conflit de hiérarchisation de l’individu dans la catégorie (comment
évaluer le travail de notre collègue X ?).
En vertu du principe “qui favorise défavorise”, la règle de justice, crée obligatoi-
rement d’innombrables sentiments d’injustice. Si les biens sont répartis selon les
mérites, ils ne le sont pas selon la naissance ni selon les besoins. Elle ne peut être dite
“de justice” qu’en tant qu’elle s’oppose à l’arbitraire du principe “à chacun selon mon
bon plaisir”. C’est une règle d’exclusion de l’arbitraire, non pas de l’injustice.
La règle de justice n’est dite “ juste” que parce que la catégorie et la relation d’ordre
ont été définies en faisant abstraction des cas à juger : “C’est juste parce que la règle
existait avant votre cas”. Cette “ justice” est formellement juste parce qu’elle permet
l’application du “syllogisme juridique”.
Justification et délibération
On délibère sur une question argumentative dont on ne connaît pas la réponse et on
justifie une réponse déjà donnée à une question argumentative. La délibération se
fait dans le doute, la justification sur une base de décision déjà prise. La différence
justification/délibération est établie sur la mode de construction de la conclusion :
— de l’argument à la conclusion, les arguments déterminent la conclusion ; la
décision est à prendre, et je délibère pour la construire :
Question : Dois-je démissionner ?
[Délibération : je pèse le pour et le contre]
La réponse énonce la conclusion : Je démissionne
délibérative
argumentation
justificative
mesure où elle s’appuie sur une loi de passage [warrant] ; ce schéma présente donc
une structure liée, V. Modèle de Toulmin. Schématisation de l’argumentation liée :
Prémisse_1
Argument � Conclusion
Prémisse_2
Toutes ces argumentations sont recevables ; “Pierre est intelligent” et “Pierre présente
bien” sont co-orientés vers la même conclusion.
— Si ce qui reste ne constitue plus une argumentation, on a affaire à une argumen-
tation liée :
(1) Il a plu et il a gelé, il doit y avoir du verglas.
(2) Il a plu, il doit y avoir du verglas ?!
(3) Il a gelé, il doit y avoir du verglas ?!
La première argumentation est recevable telle quelle, les autres non, sauf considé-
ration du contexte, c’est-à-dire ajout de prémisses manquantes.
L’utilité et la praticabilité de la distinction convergent/lié a été mise en cause (God-
du 2007). Walton considère que l’intérêt de faire cette distinction est de l’ordre de
la réfutation : dans le cas de l’argumentation liée, il suffit de montrer que l’une des
prémisses est fausse ou inadmissible ; dans le cas d’argumentations convergentes,
pour réfuter la conclusion, on doit réfuter chaque argument (Walton 1996, p. 175). Il
est possible de concéder un argument dans le cas de l’argumentation convergente, on
ne peut pas renoncer à une prémisse dans le cas de l’argumentation liée.
Fondamentalement, il s’agit de déterminer si on a affaire à une ou plusieurs bonnes
raisons, de structurer le flux verbal en déterminant quels sont les blocs de cohérence
discursive qui viennent étayer une conclusion.
Lieu commun
Dans le vocabulaire général, l’expression lieu commun est synonyme de cliché, ils ont la
même orientation dépréciative. Elle est également utilisée comme équivalent de topos :
1. En théorie de l’argumentation, l’expression lieu commun correspond au latin l ocus
communis, qui traduit le grec topos. Souvent réduite à lieu (locus, pl. loci) elle est
utilisée, particulièrement dans les textes anciens ou modernes, au sens de “topos
inférentiel”.
2. En analyse littéraire, un lieu commun est un “topos substantiel”, au sens de Cur-
tius [1948].
V. Topos.
1. Définitions
Le cadre aristotélicien — Aristote n’utilise pas le terme logique dans ses écrits
logiques rassemblés dans Les Premiers et les Seconds analytiques : « le comporte-
ment analytique démonstratif (raisonnement, discours) correspondrait à l’acception
actuelle du terme logique » (Kotarbinski [1964], p. 5). Les Seconds analytiques défi-
nissent ce qu’est le savoir scientifique : « ce que nous appelons ici savoir, c’est connaître
par le moyen de la démonstration. Par démonstration j’entends le syllogisme scienti-
fique » ; il s’ensuit qu’« il est nécessaire que la science démonstrative parte de prémisses
qui soient vraies, premières, immédiates, plus connues que la conclusion, antérieures
à elle, et dont elles sont les causes » (Aristote, S. A., I, 2, 15-25 ; p. 8).
Dans une note à ce passage, Tricot précise que « syllogisme est le genre, scientifique
(producteur de science) la différence spécifique qui sépare la démonstration des syl-
logismes dialectiques et rhétoriques » (ibid., note 3). Le syllogisme scientifique produit
du catégorique, le syllogisme dialectique du probable, et le syllogisme rhétorique du
persuasif. C’est dans ce cadre que se comprend la position de la persuasion dans la
rhétorique d’Aristote, V. Persuasion.
La théorie logique d’Aristote est fondée sur une théorie du sens et de la vérité,
une théorie des relations entre les quatre formes d’une proposition générale, et d’une
théorie du syllogisme, V. Logique classique (II) ; Logique classique (III).
Logique néo-thomiste — Thomas d’Aquin reprend la définition aristotélicienne
et définit la logique comme « l’art qui nous fait procéder avec ordre, facilement et
sans erreur dans l’acte même de la raison » (cité et traduit par Tricot [1928], p. 16).
Cette définition est fondamentale pour la tradition néo-thomiste, notamment pour
Maritain qui condense en définissant la logique comme : « l’art qui dirige l’acte
même de la raison » (Maritain [1923], p. 1 ; majuscules dans le texte), définition
reprise par Chenique, dans les Éléments de logique classique (1975).
Logique et raisonnement — Dans une perspective proche, l’objet de la logique peut
être déplacé de la raison au raisonnement : la « logique formelle » est alors définie
comme « une science qui détermine quelles sont les formes correctes (ou valides) de
raisonnement » (Dopp 1967, p. 11 ; italiques dans le texte).
Logique et inférence — Les logiciens mathématiciens définissent la logique comme
« la discipline qui traite de l’inférence correcte » (Vax 1982, art. Logique) : « la logique
a pour objet les principes de l’inférence valide » (Kneale et Kneale [1962], p. 1) ; ou,
d’une façon très générale, des formes valides de la déduction : « la logique a la fonction
importante de dire qu’est-ce qui s’ensuit de quoi » (Kleene [1967], p. 11).
Logique (I) ♦ 345
— Comme processus mental, l’argumentation est définie dans le cadre d’une théorie
des trois “opérations de l’esprit”, l’appréhension, le jugement et le raisonnement :
– par l’appréhension, l’esprit saisit un concept, puis le délimite (“homme”, “certains
hommes”, …) ;
– par le jugement, il affirme ou il nie quelque chose de ce concept, pour aboutir
à une proposition (‘l’homme est mortel’) ; ce jugement est vrai ou faux.
– par le raisonnement, il enchaîne ces propositions, de façon à enchaîner les vérités
et de progresser du connu à l’inconnu.
— Sur le plan discursif, ces opérations cognitives correspondent respectivement :
– à l’ancrage langagier du concept, au moyen d’un terme, et à la question de la
référence ;
– à la construction de l’énoncé, par une prédication faite sur ce concept ;
– à l’enchaînement des propositions ou argumentation, par lesquelles sont pro-
duites des propositions nouvelles (les conclusions) à partir de propositions déjà
connues (les prémisses).
L’argumentation sur le plan discursif correspond ainsi au raisonnement sur le
plan cognitif. Les règles de l’argumentation correcte sont données par la théorie
du syllogisme. La théorie des discours fallacieux (raisonnements vicieux, fallacies,
paralogismes, sophismes) en forme la contrepartie.
Cette vision de la logique comme théorie du raisonnement discursif a été dés-
tabilisée, à l’époque moderne, par l’émergence du raisonnement expérimental, fondé
sur l’observation, la mesure, la prédiction et l’expérimentation réglée par le calcul
mathématique ; et, à l’époque contemporaine, par l’intégration de la logique aux
mathématiques.
3.3 Mathématisation de la logique
La logique est par nature formelle : elle s’intéresse non pas au contenu (à la substance,
à l’objet particulier…) des raisonnements ou des inférences, mais à leur forme. Elle
a été formalisée, au sens d’axiomatisée et mathématisée, à l’époque contemporaine.
La publication de la Begriffschrift (“Écriture du concept”) par Frege, en 1879, marque
le point à partir duquel la logique ne peut plus être vue comme un “art de penser“,
mais comme un “art de calculer”, une branche des mathématiques.
Au début du xxe siècle, la logique classique est gagnée par le « crépuscule des
évidences » :
« On passe de la logique aux logiques qu’on construira à volonté. Et à son tour,
cette pluralité de logiques retire son privilège à la logique classique, qui n’est plus
qu’un système parmi d’autres, comme eux simple architecture formelle dont la
validité ne dépend que de sa cohérence interne. » (Blanché 1970, p. 70 ; p. 71-72)
3.4 Le néo-thomisme
La problématique de l’argumentation logique comme méthode de pensée s’est main-
tenue en théologie, comme partie importante du cursus philosophique néo-thomiste.
En 1879 (date également de la publication de la Begriffschrift de Frege), le pape Léon
XIII publie l’encyclique Aeterni Patris, qui établit Thomas d’Aquin et son interpré-
tation de l’aristotélisme comme une sorte de philosophie officielle de l’église catho-
lique, promouvant ainsi une vision de la logique comme fondement de la pensée au
moment précis où cette orientation était scientifiquement dépassée.
Il existe certainement un lien entre cette décision et le fait qu’on peut trouver
des développements substantiels relatifs à la logique traditionnelle, comme d’inté-
ressantes considérations sur les types d’arguments et sur les sophismes dans des
manuels de philosophie d’inspiration néo-thomiste pour l’éducation religieuse à un
niveau supérieur. D’importants traités, comme la Petite logique de Maritain ([1923]),
témoignent de cet intérêt pour la logique comme philosophie de la cognition n aturelle
dans le cadre général du néo-thomisme, ainsi que du refus des conceptions forma-
listes de la logique.
348 ♦ Logique (I)
1. Terme
Termes — La logique distingue les termes catégorématiques et syncatégorématiques.
Cette distinction est parfois reprise en grammaire pour opposer les mots dits pleins
(verbes, substantifs, adjectifs, adverbes) et les mots dits vides (mots de liaison, par-
ticules discursives).
Les termes syncatégorématiques sont dits n’avoir pas de signification propre ; les
connecteurs logiques < & > (et), ou < V > (ou), < � > (si… alors…) sont des termes
syncatégorématiques. Ils n’ont pas de valeur de vérité, et leur sens se limite à leur
fonction, qui est de construire des propositions complexes en combinant des pro-
positions elles-mêmes simples ou complexes.
Les termes catégorématiques fonctionnent comme noms d’individu ou de concept
(prédicat). Employé sans autre précision, le mot terme renvoie à un terme catégo-
rématique.
Individus et syntagmes référentiels — Du point de vue langagier, les individus
(êtres, objets, événements…) sont désignés par des termes ou des syntagmes nominaux
référentiels, qui sont :
— les noms propres (“Pierre”), attachés de façon stable à des individus ;
— les pronoms (“ceci”). L’ancrage référentiel de pronoms comme “l’autre”, “le premier”,
“le suivant” repose à la fois sur des manœuvres de monstration et sur des éléments
de description définie récupérables dans le contexte ;
— les expressions définies (“l’homme au chapeau vert”). Le substantif commun, tête
de la description définie, peut compter, parmi ses déterminants, des adjectifs, des
compléments prépositionnels et des relatives : l’homme assis, l’homme à la barbe
blanche, l’homme qui fait semblant de regarder ailleurs.
Les individus sont notés ‘a’, ‘b’… Un individu quelconque est noté ‘x’ ‘y’, ou sim-
plement par une place vide, “ — ”.
Prédicats — La théorie actancielle fait du verbe le pivot de la phrase, auquel se
rattachent ses actants, ou compléments essentiels, sujet, complément direct, com-
pléments indirects. Cette vision de la phrase peut s’exprimer également dans une
schématisation inspirée de la théorie des fonctions : la fonction correspond au verbe ;
elle peut avoir plusieurs arguments (au sens de “places”, V. Argument), correspondant
aux actants de la théorie grammaticale.
Les énoncés peuvent ainsi être schématisés simplement selon la valence (le
nombre de compléments) de leur pivot, le verbe :
350 ♦ Logique classique (II)
Dans un prédicat à plusieurs places, une ou plusieurs places vides peuvent être occu-
pées par un syntagme référentiel. Le schéma actantiel est alors dit partiellement saturé,
ce qui produit un nouveau prédicat, par exemple ou “Paul donne —”, “— donne — à
Jean”, “Pierre donne — à Jean”.
Un même objet peut être rattaché à une infinité de prédicats. Le même objet peut
satisfaire le prédicat “— est une voiture” ; “— est un moyen de transport” ; “— est un
objet qu’on peut acheter” ; “— est un facteur de pollution”… Le discours peut en créer
sans cesse de nouveaux, en fonction des intérêts des locuteurs, comme “— s’est pro-
mené le 10 juin 1999” ; “— est une voiture disponible pour samedi prochain”.
V. Converse.
Distribution d’un terme — Un terme est dit distribué s’il dit quelque chose de tous
les individus de l’ensemble de référence. Sinon, il n’est pas distribué.
Les termes précédés du quantificateur tous sont distribués ; les termes quantifiés
par certains, quelques, beaucoup, presque tous … ne sont pas distribués. Par exemple,
dans une proposition affirmative universelle A, “Tous les Athéniens sont des poètes” :
— le terme sujet Athénien est distribué ;
— le terme poète est non distribué : la proposition A dit seulement que “certains
poètes sont Athéniens”.
La notion de distribution est exploitée pour l’établissement des règles d’évalua-
tion du syllogisme, V. Paralogismes.
Le présupposé d’existence — Certaines expressions ont la forme d’un terme mais ne
réfèrent à rien, comme “la licorne” ou “l’actuel roi de France”. Or, P étant un prédicat
quelconque, on ne souhaite pas dire d’êtres qui n’existent pas que < tous sont P >,
< aucun n’est P >, ni que < certains sont P > ou < ne sont pas des P >. On présup-
pose donc que l’univers de référence du terme sujet n’est pas vide. V. Présupposition.
352 ♦ Logique classique (II)
Dans le premier cas, l’inférence immédiate correspond à une équivalence, mais pas
dans le second.
Le carré logique exprime un ensemble d’inférences immédiates entre les proposi-
tions analysées de la forme sujet – prédicat en fonction de leur qualité, affirmative
ou négative, et de la quantité de leur sujet (A, E, I, O, voir supra).
I subcontraires O
Certains S sont P Certains S ne sont pas P
Une proposition est la subalterne d’une autre, qui est sa superalterne, si et seulement si :
— si la superalterne est vraie, la subalterne est vraie ; inférence immédiate :
Tout S est P, donc certains S sont P.
Conclusion t — T Tous les t sont T Tous les Grecs sont raisonnables
Ce mode est connu sous le nom de Barbara, où la voyelle A marque qu’il s’agit d’une
universelle dans la majeure, la mineure et la conclusion.
A or tout S est M,
E donc aucun S n’est P
“M et P n’ont aucun élément commun ; or S est inclus dans M ; donc S et P n’ont
aucun élément commun.”
(4) syllogisme de forme E – I – O
E aucun M n’est P,
I or quelque S est M,
O donc quelque S n’est pas P
“Aucun M n’est dans P ; or certains S sont dans M ; donc certains M ne sont pas
dans P.”
Ce type de syllogisme sert à réfuter les propositions universelles, du type “les cygnes
sont blancs” : “Ceci est un cygne ; ceci est noir ; or, appliqués à un même sujet, “être
noir” et “être blanc” sont des prédicats contraires ; donc il est faux que tous les cygnes
soient blancs”, V. Contraires.
Une prémisse est à sujet concret, une à sujet général — Les syllogismes opérant
l’instanciation d’une universelle sont des exemples de tels syllogismes. Ils permettent
d’attribuer à un individu les propriétés de la classe à laquelle il appartient : “les x
sont B ; ceci est un x ; ceci est B”, V. Modèle de Toulmin.
ou moins celles d’un syllogisme, et qui convergent vers une conclusion affirmée
catégoriquement. Le sens n’a alors plus rien à voir avec la syllogistique, V. Expression.
Le fameux syllogisme “Tout ce qui est rare est cher, un cheval bon marché est une
chose rare, donc un cheval bon marché est cher” est construit sur deux prémisses contra-
dictoires, il est donc normal que la conclusion soit absurde.
P ¬P
V F
F V
La première ligne dit que si P est vrai, ¬P est fausse ; la seconde dit que si P est fausse,
¬P est vraie. Cette table exprime le principe du tiers exclu.
Les connecteurs binaires portent sur deux propositions. Il existe théoriquement
16 connecteurs binaires. On utilise les connecteurs binaires suivants :
~ connecteur d’équivalence des propositions
→ connecteur implicatif, implication, lu “si — alors —”
& connecteur conjonctif, conjonction lu “et”
V connecteur disjonctif, disjonction, lu “ou”,
W connecteur disjonctif exclusif, disjonction exclusive, lu “ou exclusif ”
En logique, toutes les propositions vraies sont équivalentes entre elles, toutes les
propositions fausses sont équivalentes entre elles, quelle que soit leur signification.
On est très loin de l’équivalence linguistique, de la paraphrase et de la reformulation,
qui demandent la préservation du sens.
3. Conjonction < & >
La conjonction < P & Q >, lue “P et Q” est vraie si et seulement si P et vraie et Q
est vraie. C’est ce qu’exprime la table de vérité suivante :
P Q P & Q
V V V
V F F
F V F
F F F
Le connecteur logique < & > impose seulement que les propositions qu’il conjoint
soient vraies. Or cette propriété est commune à de très nombreux termes, à et comme
à mais, or, pourtant… et à tous les concessifs :
Logique classique (IV) ♦ 359
« Les circonstances qui rendent vrais les énoncés sont toujours les mêmes, savoir
la vérité simultanée des deux composants, et cela que l’on utilise et, mais ou
bien que. L’utilisation de l’un de ces mots plutôt que d’un autre peut modifier
le caractère naturel de l’expression et ainsi fournir incidemment un indice sur
ce qui se passe dans l’esprit du locuteur, elle demeure néanmoins incapable de
faire la différence entre la vérité et la fausseté du composé. La différence de
signification entre et, mais et bien que est rhétorique et non logique. La notation
logique, étrangère aux distinctions rhétoriques, exprime la conjonction de ma-
nière uniforme. » (Quine [1950], p. 55-56)
En d’autres termes, la théorie logique ne dispose pas des concepts adéquats pour
traiter des phénomènes d’orientation argumentative ; elle n’a d’ailleurs aucune obli-
gation de ce côté. Quant à la stratégie argumentative de Quine, elle consiste à se
débarrasser du problème en le minorant et en le délégant à la rhétorique, vue comme
une vaste poubelle à problèmes non résolus.
La conjonction et elle-même, loin d’être un mot “vide”, sensible aux seules
conditions de vérité, impose à son contexte des conditions sémantiques subtiles par
exemple, la sensibilité à la successivité temporelle. Si < P & Q > est vraie, alors <
Q & P > l’est aussi ; mais les énoncés suivants ne contiennent pas les mêmes infor-
mations ; il ne s’agit plus de rhétorique, quel que soit le sens que l’on donne à ce mot :
Ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants.
Ils eurent beaucoup d’enfants et se marièrent.
On pourrait considérer que, dans certaines conditions où et porte sur des événements,
son analyse logique introduit une troisième proposition “et les événements se sont suc-
cédé dans cet ordre”. En outre, l’usage de la conjonction et obéit à des contraintes sur
les termes coordonnés, V. Composition et division.
P Q P V Q
V V V
V F V
F V V
F F F
La disjonction exclusive < P W Q > est vraie si et seulement si l’une seulement des
deux propositions qu’elle conjoint est vraie ; dans tous les autres cas, elle est fausse.
C’est ce qu’exprime la table de vérité suivante :
360 ♦ Logique classique (IV)
P Q P W Q
V V F
V F V
F V V
F F F
P Q P � Q
V V V (1) Le vrai implique le vrai
V F F (2) Le vrai n’implique pas le faux
F V V (3) Le faux implique le vrai Le faux implique
F F V (4) Le faux implique le faux n’importe quoi
A � B
A est une condition suffisante pour B,
B est une condition nécessaire A.
Dire que s’il pleut, la route est mouillée, c’est dire qu’il suffit qu’il pleuve pour que
la route soit mouillée, et que, nécessairement, la route est mouillée quand il pleut.
L’argumentation au cas par cas utilise la disjonction inclusive, V. Cas par cas.
Syllogisme hypothétique (ou syllogisme conditionnel) — C’est une loi logique
que “si l’implication est vraie et l’antécédent vrai, alors le conséquent est vrai” ; cette
loi est notée :
[(P � Q) & P] � Q
On peut également l’écrire sous forme d’une déduction en trois étapes ; on parle
alors de syllogisme hypothétique :
P � Q S’il pleut, le sol est mouillé.
p Il pleut.
donc Q Le sol est mouillé.
En revanche, l’expression suivante n’est pas une loi logique ; elle correspond à la
fallacie d’affirmation du conséquent :
[(P � Q) & Q] � P
362 ♦ Logique classique (IV)
Comme dans le cas des syllogismes invalides, parler ici de “paralogisme” est sans
intérêt, il s’agit simplement d’une erreur de calcul, V. Paralogisme.
Le syllogisme conjonctif est un syllogisme dont la majeure nie une conjonction ;
elle a la forme < non(P&Q) >. La mineure affirme l’une des deux propositions. La
conclusion exclut l’autre (figure dite ponendo – tollens).
Dans l’écriture de l’implication :
[non-(P & Q) & P] � non-Q
Si le suspect affirme qu’il était à Londres et qu’on l’a vu à Bordeaux, alors il ment.
Le syllogisme disjonctif est un syllogisme dont la majeure est la négation d’une
disjonction (W, ou exclusif) :
[(P W Q) & P] � non-Q
Si je ne trouve pas mon nom sur la liste des reçus, c’est que je suis collé.
Toutes ces déductions sont courantes dans la parole ordinaire, où leur évidence
fait qu’elles passent inaperçues. L’erreur serait de ne pas les prendre en compte
sous prétexte que, puisque ces argumentations sont valides, elles ne sont pas des
argumentations. V. Probable, vraisemblable, vrai.
de et, non pas comme un problème grammatical, mais comme un problème logique,
dans le cadre de la théorie des fallacies, V. Composition et division.
Cette méthode s’accompagne d’exercices qui peuvent être purement formels, mais
aussi recevoir des « applications au langage usuel » pour « l’analyse d’arguments », y
compris « d’arguments incomplets » (Kleene [1967], p. 67-80). Ces exercices portent
sur l’évaluation de raisonnements comme le suivant :
« Je vous paierai pour votre installation de TV (P) seulement si elle marche
(M). Or votre installation ne marche pas (non M) . Donc je ne vous paierai pas
(non P). » (Ibid. p., 67)
Logiques du dialogue
Dans la seconde moitié du xxe siècle, ont été construits différents systèmes visant à
donner une représentation formelle du dialogue argumentatif :
— Lorenzen et « l’école d’Erlangen » ont proposé une logique dialogique (dialogische
Logik, dialog logic) ;
— Barth et Martens ont développé une dialectique formelle (formal dialectic) ;
— Hintikka s’est intéressé à la construction d’un type de dialogue spécifique, le
dialogue de recherche de l’information (information-seeking dialogs) ;
— Walton parle d’une façon générale de jeux dialogiques (dialog games) ;
— à côté d’un exposé et d’une critique de ce qu’il a appelé le « traitement standard
des fallacies », Hamblin (1970) a proposé une dialectique formelle (formal dialectics).
La logique dialogique de Lorenzen et de l’école d’Erlangen est une référence
fondamentale pour le courant pragma-dialectique. Deux aspects de ces travaux
peuvent être distingués, d’une part une contribution à la logique formelle, d’autre
part l’extension de ce modèle à la définition du dialogue rationnel.
La contribution logique consiste en une méthode de définition des connecteurs logiques
non plus par la méthode traditionnelle des tables de vérité mais au moyen de mou-
vements permis ou défendus dans un “ jeu dialogique”. Considérons par exemple le
connecteur < & >, “et” ; il peut être défini par la méthode des tables de vérité, V. Logique
classique (IV). La méthode des jeux dialogiques le définit par la partie suivante :
Proposant : P&Q
Opposant : Attaque P
Proposant : Défend P
364 ♦ Logiques du dialogue
Si le proposant défend P avec succès, il gagne (cette manche). Sinon, le jeu est fini, il
a perdu la partie (si P est fausse, alors la conjonction < P & Q > est fausse).
Si le proposant a gagné sur P, le jeu peut continuer : l’opposant peut attaquer Q.
Proposant : P&Q
Opposant : Attaque Q
Proposant : Défend Q
Lois de discours
Ducrot a proposé quatre lois régissant le fonctionnement de la négation et la relation
de l’argument à la conclusion, dans le discours ordinaire, V. Échelle argumentative.
« Une loi de discours que nous appelons Loi de faiblesse veut que si une phrase p
est fondamentalement un argument pour r, et si par ailleurs, lorsque certaines
conditions (en particulier contextuelles) sont rassemblées, elle apparaît comme
un argument faible (pour r), elle devient alors un argument pour non-r. » (Ans-
combre et Ducrot 1983, p. 66)
C’est un grand chasseur : il a même tué un pigeon l’an dernier.
Il faut en particulier que l’argument faible soit présenté isolément, et non pas en
conjonction avec des arguments concluants. Le fait d’avancer un argument faible pour
une conclusion et de s’en contenter est interprété par la loi d’exhaustivité de Grice
comme étant non seulement faible, mais le meilleur possible, ce qui entraîne son rejet.
Il ne s’agit donc pas d’une transformation immédiate, au sens logique, V. Logique (II).
non-p
non-r
Cette loi de négation correspond au topos des contraires. Dans un système logique
où rien n’est ambigu ni sous-entendu, la loi de négation correspond à un paralogisme
de l’implication, le paralogisme de négation de l’antécédent, V. Contraires.
L’exemple suivant combine loi de faiblesse et loi de négation ; un argument faible
pour une conclusion s’inverse en argument fort pour la conclusion opposée.
On peut comprendre que, d’après l’auteur, l’association Human Rights Watch approuve
généralement les décisions allant dans le sens des intérêts des États-Unis. En temps
normal, le fait qu’ils approuvent une décision est un argument faible pour la conclusion
“la sentence est juste”. Dans le cas présent, le fait que même l’association ait condamné
la décision (comme d’autres personnes ou associations, elles plus enclines à critiquer
les États-Unis) est un argument fort pour la conclusion “la sentence est injuste”.
Symétriquement une réfutation faible de r renforce r. Cette stratégie entre dans
le cadre général des paradoxes de l’argumentation, V. Paradoxes.
p p'
r
non-p' non-p
non-r
L’argument le plus faible pour la qualification est “il a le baccalauréat” ; sa négation “il
n’a pas le baccalauréat” est l’argument le plus fort pour son manque de qualification.
Les échelles argumentatives lues à rebours correspondent à l’argument a fortiori :
“Il n’est pas bachelier, a fortiori il n’est pas licencié”.
« Que saurait-on dire autre chose, sinon que tout cela a été controuvé
pour abuser le simple peuple ? Et de fait, les cafards, tant prêtres que
moines, confessent bien qu’ainsi est, en les appelant pias fraudes, c’est-
à-dire des tromperies honnêtes pour émouvoir le peuple à dévotion. »
Jean Calvin, Traité des reliques [1543]. In Œuvres choisies.
Édition présentée, établie et choisie par O. Millet, Paris, Gallimard
(Folio), 1995, p. 199.
Un cas limite est celui où le manipulateur dissimule simplement son but inte-
ractionnel. On vend une grosse encyclopédie à des gens ravis par cet achat ; mais ils
savent à peine lire, ils n’ont aucun usage de ce type d’ouvrage, et, de toute façon, ils
n’ont pas les moyens de payer les traites (Lorenzo-Basson 2004). Il y a manipulation
parce que le vendeur réussit le tour de force de maintenir dans l’arrière conscience des
acheteurs la nature réelle de la rencontre, une interaction de vente (ϕ) avec ses aspects
financiers, et de la faire paraître comme une conversation ordinaire (ϕ_leurre).
« Je dois avouer que ce qu’on appelle les milieux cultivés de l’Europe
occidentale et d’Amérique sont incapables de comprendre ni la situation
actuelle des forces, ni le rapport réel des forces. Ces milieux doivent être
considérés comme sourds-muets. »
« Dire la vérité est un préjugé bourgeois mesquin tandis que le mensonge
est souvent justifié par les objectifs. »
Cité dans V. Volkoff, La désinformation, arme de guerre,
Lausanne, L’Âge d’Homme, 2004, p. 35.
« En temps de guerre, la vérité est si précieuse qu’il faut toujours l’entourer
d’une garde du corps de mensonges. [In wartime, truth is so precious that
she should always be attended by a bodyguard of lies.] »
« La vérité est irréfutable [incontrovertible], l’ignorance peut s’en moquer,
la panique peut la détester, la méchanceté peut la détruire, mais elle est
là. »
Source : http://quotations.about.com/cs/winstonchurchill/a/
bls_churchill.htm (consulté le 20 septembre 2013)
Manipulation ♦ 373
et un tel juge ou une telle cour d’appel n’existent pas » ([[The logician] is not a judge or
a court of appeal, and there is no such judge or court]) (1970, p. 244). La dénonciation ne
peut se faire qu’au nom d’une vision de la réalité, en d’autres termes, elle est l’affaire
des participants informés eux-mêmes, V. Évaluations et évaluateurs.
« je pense que:: toutes ces personnes- et puis aux personnes aussi qui
sont venues donc pendant les trente glorieuses on leur doit quand même
une certaine forme de respect. »
Corpus « Débat sur l’immigration – TP d’étudiants », Base Clapi.
[http://clapi.univ-lyon2.fr/V3_Feuilleter.php ?num_corpus=35],
consulté le 30 septembre 2013.
Personne n’a jamais douté que « ces personnes » soient « venues pendant les trente
glorieuses » ; le raisonnement est ici que puisque elles sont venues pendant les trente
glorieuses elles ont donc droit au respect en tant que travailleurs. En fait, donc rappelle
un énoncé qui est, fonctionnellement, non pas une conclusion mais une composante
d’un discours-argument.
Marqueur d’argument, marqueur de conclusion ♦ 377
« Moi j’avais d=mandé madame LOC doit s’en rappeler’ j’avais d=mandé
si v=voulez’ ◊ euh: donc euh: quatre vingt francs si v=voulez’ pour arriver
à mille trente, par mois, c=qui m=paraissait très raisonnable, FORT très
raisonnable’ ◊ vu l’appartement’ et vu son emplacement’ ◊ vous savez
qu’un F3 disons tout d=même au deuxième étage’ ◊ relativement confor-
table’ je parle pas des façades qui vont être à faire ça c=t aut- chose’ on
va les faire c=tte année, p=tet=pas c=tte année’ mais l’année prochaine,
VITE bon, ◊ et bien j=demandais mille trente francs, comme dernier’
pour éviter’ le lapsus’ qui avait été commis’ par ma s=crétaire »
Corpus « Négociation sur les loyers - commission de conciliation »,
Base Clapi, [http://clapi.univ-lyon2.fr/V3_Feuilleter.php?num_
corpus=13], consulté le 29 septembre 2013.
« Au galop de quatre chevaux, elle était emportée depuis huit jours vers
un pays nouveau, d’où ils ne reviendraient plus. Ils allaient, ils allaient,
les bras enlacés, sans parler. Souvent, du haut d’une montagne, ils aper-
cevaient tout à coup quelque cité splendide avec des dômes, des ponts, des
navires, des forêts de citronniers et des cathédrales de marbre blanc, dont
les clochers aigus portaient des nids de cigognes. On marchait au pas à
cause des grandes dalles, et il y avait par terre des bouquets de fleurs que
vous offraient des femmes habillées en corset rouge. On entendait sonner
des cloches, hennir des mulets, avec les murmures des guitares et le bruit
des fontaines, dont la vapeur s’envolant rafraîchissait des tas de fruits,
disposés en pyramides au pied des statues pâles, qui souriaient sous les
jets d’eau. Et puis ils arrivaient, un soir, dans un village de p êcheurs, où
des filets bruns séchaient au vent, le long de la falaise et des cabanes. C’est
là qu’ils s’arrêtaient pour vivre : ils habiteraient une maison basse à toit
plat, ombragée d’un palmier, au fond d’un golfe, au bord de la mer. Ils se
promèneraient en gondole, ils se balanceraient en hamac ; et leur exis-
tence serait facile et large comme leurs vêtements de soie, toute chaude
et étoilée comme les nuits douces qu’ils contempleraient. Cependant,
sur l’immensité de cet avenir qu’elle se faisait apparaître, rien de parti-
culier ne surgissait : les jours, tous magnifiques, se ressemblaient comme
des flots ; et cela se balançait à l’horizon infini, harmonieux, bleuâtre et
couvert de soleil. Mais l’enfant se mettait à tousser dans son berceau,
ou bien Bovary ronflait plus fort, et Emma ne s’endormait que le matin,
quand l’aube blanchissait les carreaux et que déjà, le petit Justin sur la
place ouvrait la pharmacie. »
Gustave Flaubert, Madame Bovary, 1856, 2e partie,
chap. 12. Cité d’après le Livre de poche, 1961, p. 236-237.
Ces deux mais n’ont rien d’argumentatif, ils marquent la frontière textuelle où se
produit un basculement des isotopies.
Mais inverseur d’orientation argumentative — Lorsque le contexte est claire-
ment argumentatif, mais devient inverseur d’orientation argumentative, avec des
sous-fonctions différenciées. Les suites non préférées demandent des justifications :
L1 : — Encore un peu de bortsch ?
L2_1 : — C’est très appétissant, mais je n’en reprendrai pas.
L2_2 : — C’est très appétissant, mais je me suis déjà servi deux fois.
“C’est très appétissant” est orienté vers une réponse-conclusion positive “J’en reprends ;
mais introduit, en L2_1 la réponse-conclusion opposée, et, en L2_2, un argument
380 ♦ Marqueur d’argument, marqueur de conclusion
L’enchaînement par donc n’est pas possible : “Les uns veulent aller dans les bois, mais
les autres à la plage. Donc nous irons à la plage”. On peut seulement enchaîner par
quelque chose comme “on ne sait pas que faire” ; “ faudra en parler à la réunion de ce soir”.
Mais indicateur de dissociation argumentative, V. Dissociation
L1 : — Je croyais que vous vouliez une réforme ?
L2 : — Nous voulons une réforme, mais une vraie réforme.
Le verbe argumenter n’est pas un prédicat connecteur, mais un simple verbe d’activité
de parole. D étant un discours descriptif d’un état de chose, on ne dit pas “D argu-
mente pour telle conclusion” au sens de “D plaide pour telle conclusion”.
Constructions cadratives marquant une argumentation — Tous les termes pleins
servant à parler des argumentations peuvent servir d’indicateurs de structuration et
de fonction argumentative. Cette classe d’indicateurs nominaux correspond à l’en-
semble du lexique ordinaire de l’argumentation : (contre-)argument, (contre-)conclusion
(point de vue…), prémisse, objection, réfutation, …
— c’est / voici ma conclusion, une conséquence, une objection sérieuse, un argument
à prendre en considération…
— le discours D1 (Argument) est donné comme une bonne raison d’admettre, de
faire… est énoncé, dit pour, en vue de, dans l’intention de faire accepter, faire, dire,
ressentir… D2 (Conclusion)
— la conclusion, la prémisse, l’objection selon laquelle… ; à l’encontre de ce point
de vue…
En résumé, si on peut dire à coup sûr que “construisons l’école ici, les terrains sont
moins chers” est une argumentation complète, c’est fondamentalement parce qu’on
peut la paraphraser de façon satisfaisante par :
Une bonne raison pour construire ici, c’est que les terrains y sont moins chers.
Le fait que les terrains sont moins chers ici légitime la décision d’y construire l’école.
Menace, arg.
BB On trouve parfois “argument ad metum”, du lat. metus “crainte, peur” ;
ang. argument from fear, appeal to fear ; scare tactics.
La perspective d’un danger plus ou moins imminent constitue une menace. La m enace
peut être liée au monde matériel (l’orage menace), ou mettre en jeu des h umains (Pierre
menace Paul). Dans les deux cas, la personne menacée ressent une émotion plus ou
moins forte, de l’ordre de la peur, et cherche à échapper ou à contrôler la menace. Les
discours de la menace sont de deux types, selon que le locuteur se présente comme
rapportant des menaces extérieures ou comme lui-même menaçant. L’énoncé “X
menace Y” admet deux lectures selon l’agentivité de X :
— X est non-humain, l’interprétation est causale “l’orage menace les récoltes” ; “tu es
sous la menace d’un cancer” ;
— X et Y sont humains, l’interprétation est agentive, “la bourse ou la vie” :
X annonce à Y un dommage D0 possible pour Y.
La réalisation de ce dommage dépend de X (agent du dommage).
Ce dommage peut être suspendu si Y réalise telle chose D1, demandée par X,
et que X ne ferait pas spontanément, de bon gré.
D1 est moins grave que D0 : il est raisonnable de donner sa bourse pour sauver
sa vie.
Ces deux lectures jouent dans l’opposition terrifier / terroriser : terrifier est non agentif
(un visage terrifiant, non intentionnel) ; terroriser est agentif (faire régner la terreur
intentionnellement). Dans tous les cas, Y (Humain) a peur.
La menace est un des deux instruments de gestion des sociétés telles qu’elles sont :
“que les bons se réjouissent et que les méchants tremblent”. Elle est à la base des politiques
militaires de dissuasion, V. Châtiments et récompenses.
la menace est causale, sans objet et sans contrôle (“tout fout le camp”) le discours de
la menace devient le discours de l’inquiétude diffuse, de la peur, de l’angoisse, voire
de l’affolement.
Lorsque la source de la menace est un humain, l’appel à la peur a été abondam-
ment désignée métonymiquement par l’instrument de la menace, source de la peur :
fr. arg. par la menace lat. arg. ad metum, “peur” angl. arg. from threat
— du bâton — ad baculum ; baculum, “bâton” — from the stick
— de la prison — ad carcerem ; carcer, “prison” — from prison
— de la foudre — ad fulmen ; lat. fulmen, “foudre ; thunderbolt argument
(métaph.) (métaph.) violence”
— du portefeuille ad crumenam ; lat. crumena, “bourse” arg. to the purse
Mépris, arg.
BB On trouve parfois l’étiquette latine métaphorique “argument ad lapi-
dem”, du lat. lapis, “pierre” ; ang. argument by dismissal.
« À un moment, les choses ont si mal tourné que chacune des deux
parties s’est retrouvée en train de dupliquer les attaques de l’autre et de
les diffuser par milliers de copies, sans commentaires. Chacun estimait
que la rhétorique de l’autre était devenue si absurde qu’elle se dénonçait
elle-même [as if the other side’s rhetoric was self-damning, so absurd had it
become] »
W. C. Booth, Modern Dogma and the rhetoric of assent, Chicago,
The University of Chicago Press, 1974, p. 9.
Métaphore, analogie, modèle ♦ 385
L’opposant ne peut pas entendre une telle forme de disqualification, qui est des-
tinée aux tiers. L’émotion affichée est le mépris, pouvant aller jusqu’à l’indignation.
Du point de vue de l’éthos, l’auteur de ce coup prête le flanc à l’accusation d’arro-
gance. Utilisé dans les formes particulièrement polémiques de l’argumentation, il
nie l’existence de tout accord entre les discutants, V. conditions de discussion.
Soit une situation de troubles, décrite d’un côté comme l’œuvre de quelques factieux
hors-la-loi, et de l’autre comme un soulèvement populaire. Les premiers décident
d’organiser un grand défilé militaire pour impressionner l’adversaire. L’argument
de la mesure proportionnée permet des calculs qui mettent en échec cette stratégie
psychologique :
La conclusion est fondée sur le topos : “on ne tire pas au canon contre des mouches”.
On retrouve ce paradoxe dans le cas d’une réfutation forte d’une position déclarée
faible, V. Paradoxes de l’argumentation.
La mesure proportionnée est une forme d’argument sur la mesure juste, qui peut
également être définie comme la mesure intermédiaire (V. Juste milieu).
Le travail du rêve est le processus par lequel le contenu latent d’un rêve est recouvert
par son contenu manifeste, par déplacement, distorsion, condensation et symbo-
Métaphore, analogie, modèle ♦ 387
Les structures syntaxiques de ces deux énoncés sont identiques. Le second permet à
l’interlocuteur de visualiser l’aspect des congères perpendiculaires à la route, et de s’ap-
procher du sens du mot congère ; elle lui donne le trait /ondulation/. La première est plus
profonde, elle ouvre la voie à une théorie. Elle introduit une analogie de proportion :
neige : congère :: sable : dune
Elle suggère que l’analogie peut être expliquée par l’action du vent sur, respecti-
vement, les particules de neige et les grains de sable. On est ainsi sur la voie de la
construction d’un modèle physico-mathématique couvrant les deux phénomènes.
À partir de deux phénomènes bien distincts au départ (on peut savoir ce qu’est une
dune sans savoir ce qu’est une congère), on finit par une identification : leur être réel,
physico-mathématique, est le même.
L’établissement d’une analogie peut ainsi être considéré comme la première étape
vers l’affirmation d’une identité en profondeur. Cette dynamique, ou ces glissements,
de l’analogie explicative vers l’identité est au centre d’une classe de disputes autour de
l’analogie, qui s’inscrivent parfaitement dans le cadre d’une vision de la métaphore
non seulement comme modèle mais comme essence authentique du phénomène
métaphorisé-analogisé.
suivie, dans ce même numéro, d’une réponse des auteurs.) Les rats-taupes sont des
rats, donc des mammifères, glabres, qui vivent en “groupes” ou en “communautés” (la
différence est pertinente) où ils manifestent des comportements qui peuvent rappeler
ceux que l’on observe chez les insectes sociaux, comme les fourmis ou les abeilles.
Or ce type de comportement n’avait jamais été observé chez les mammifères ; les
rats-taupes seraient ainsi les premiers mammifères chez qui l’on puisse observer ce
type de “comportement social”.
Mais, en parlant de “comportement social” ou de “communauté”, utilise-t-on un
simple lexique analogique-métaphorique, une métaphore pédagogique, explicative,
ou bien est-on engagé dans une problématique de l’identification de ces structures de
comportement animal à des structures existant dans des sociétés humaines ? Suggère-
t-on, comme dans le cas des dunes et des congères, que les deux phénomènes ont les
mêmes fondements, biologiques en l’occurrence ? Sommes-nous des rats-taupes un
peu perfectionnés ? En d’autres termes, est-on sur la voie d’une explication génétique,
sociobiologique, des sociétés humaines ? Sommes-nous passés subrepticement de
l’analogie à l’identification ?
Par une stratégie de “métaphore glissante” on aboutit ainsi, à renverser les rap-
ports Cible / Ressource, et c’est maintenant l’ancienne Cible (les rats-taupes) qui va
modéliser la Ressource (la société humaine).
Pour dénoncer cette assimilation, le contradicteur effectue un relevé scrupuleux
des termes relevant du domaine ressource, le lexique social humain :
Dans leur réponse à cette critique, les auteurs de l’article posent des limites à
l’identification des deux domaines :
« G. Le Pape soutient également que notre langage introduit des com-
paraisons abusives entre les caractères comportementaux communs
aux rats-taupes et aux insectes sociaux. Cette assertion nous surprend,
notamment lorsqu’il écrit “[…] les ressemblances [entre rats-taupes
glabres et insectes sociaux] sont traitées comme des homologies vraies.”
Notre article est clair sur ce point : nous croyons que les comportements
des rats-taupes glabres et des insectes eusociaux ont des points communs
frappants. Toutefois, nous ne voyons pas en quoi le langage utilisé pour
décrire ces ressemblances suggère qu’une origine commune de ces diffé-
rents animaux en constituerait la base évolutive. »
S. Braude et E. Lacey, La Recherche, oct. 1992.
390 ♦ Métonymie et synecdoque
Le risque couru dans cette affaire est l’oubli de l’analogie ; or « l’analogie n’est
jamais plus contraignante que lorsqu’elle s’abolit et a cessé d’être perçue comme ana-
logie. Devenue invisible, elle se confond avec l’ordre des choses » (Gadoffre 1980, p. 6).
Métonymie et synecdoque
Traditionnellement, on distingue une rhétorique des tropes, qui serait une rhétorique
à la fois sémantique et ornementale, et une rhétorique des topoi qui serait une rhé-
torique argumentative. Les mécanismes linguistiques en jeu dans les deux cas sont
cependant les mêmes. Un trope est défini comme « [une figure par laquelle] on fait
prendre à un mot une signification qui n’est pas précisément la signification propre
de ce mot » (Dumarsais [1730], p. 69). Parallèlement, la définition de l’argumentation
pourrait être reformulée comme une “figure” par laquelle on fait prendre à un énoncé
(la conclusion) la valeur de croyance accordée à un autre (l’argument).
Les figures de synecdoque et de métonymie se prêtent au même rapprochement.
Dans le cas de la métonymie, il existe un signe S/C1 (de signifiant S et de contenu
C1). Ce signifiant S peut servir à désigner un contenu C0, en relation “de contiguï-
té” avec C1, et cela qu’il existe ou non un signifiant S1 désignant ordinairement C0
(autrement dit qu’il s’agisse de figure ou de catachrèse). En fonction de la nature
de la relation existant entre les contenus C0 et C1, on distingue traditionnellement
différents types de métonymies : métonymie de la cause, de l’effet, du contenant,
du nom de lieu où est fabriqué l’objet… Les mécanismes permettant d’enchaîner
argumentativement des énoncés ne sont pas différents des mécanismes permettant
de désigner métonymiquement. La loi de passage argumentative correspond à l’im-
plicite de la désignation, c’est elle qui sert à désigner la figure. On peut le constater
sur les exemples suivants.
— La métonymie de l’effet est fondée sur une relation causale (C0 cause de C1), le
signifiant S désignant l’effet C1 est mis pour la cause C0. Dans l’argumentation par les
conséquences, on transfère à la cause le jugement de valeur porté sur les conséquences,
V. Cause ; Pragmatique.
— À la métonymie qui désigne l’œuvre par le nom de l’auteur correspond l’argumen-
tation qui attribue à l’œuvre le jugement déjà porté sur son auteur (“L’auteur de ce
livre a soutenu l’ancien dictateur”). Les mécanismes de ce transfert ont été étudiés du
point de vue argumentatif dans Perelman (1952), V. Personne.
— Aux synecdoques partie - tout et tout - partie correspondent les argumentations
de la partie vers le tout et du tout vers la partie. Dans “trouver un toit”, toit renvoie à
“habitation” ; de même, l’argumentation “le toit est en mauvais état, la maison ne doit
pas être bien entretenue” transfère au tout le prédicat attaché à la partie, V. Tout et
partie ; Composition et division.
— L’antonomase se rattache à l’analogie, V. Analogie.
— La synecdoque du genre permet de désigner par le nom du genre une des espèces
Mobiles et motifs ♦ 391
qui lui sont subordonnées (“l’animal” pour “le lion”). De même, l’argumentation par
le genre attribue à l’espèce les prédicats du genre : “cet être est un animal, donc il est
mortel”. On retrouve sous cette argumentation elliptique toute la problématique du
syllogisme articulée à celle d’une catégorisation d’êtres naturels sous la forme d’une
arborescence, V. Taxinomie et catégorie ; Catégorisation.
L’argumentation suivante a été avancée en défense de Paul Touvier, chef de la
Milice à Lyon pendant l’Occupation et condamné à la Libération. Il s’agit d’un extrait
d’une lettre adressée par le R. P. Blaise Arminjon, S. J., au président de la République,
Georges Pompidou, en date du 5 décembre 1970, afin d’appuyer le recours en grâce
de Paul Touvier.
Une analyse à la Toulmin lui est applicable, la loi de passage étant fournie par
le topos biblique « on reconnaît un arbre à ses fruits ». Mais faut-il parler de loi de
passage ? On pourrait aussi bien décrire le transfert des valeurs par un mécanisme
de métonymie. Parler de « la conduite de Touvier depuis vingt-cinq ans » c’est dési-
gner métonymiquement Touvier ; dire que cette conduite est « admirable », c’est dire
métonymiquement que Touvier est admirable. De même, une évaluation positive
portée sur l’acte, « l’éducation que Touvier a donnée à ses enfants » est « admirable »,
se transfère métonymiquement sur l’auteur de l’acte, le père, forcément tout aussi
admirable. On exprime le même phénomène en parlant de loi de passage exploitant
la causalité ou de métonymie de la cause.
Mobiles et motifs
La volonté, les désirs, les motifs et mobiles, les raisons d’agir… de la personne sont
interprétés comme des causes, dont les actions sont des effets ou des conséquences.
Réciproquement, les actions sont évaluées et interprétées en fonction de leurs mobiles
et motifs, V. Causalité, I.
comme procès, est l’acte par lequel sont prises ces décisions, et, comme produit,
l’ensemble des motifs invoqués. La famille lexicale :
motif (N) ; (il) motive (V) ; motivé (PP/Adj) ; motivation (N déverbal)
est formée sur un sens différent de motiver, “susciter chez quelqu’un un très grand
désir de faire quelque chose”.
Mobile — Le substantif mobile a le sens passif de “qu’on peut déplacer, qui se déplace”
et, dans le domaine psychique, le sens actif de “qui peut mettre en mouvement” : un
mobile est un déterminant de l’action.
On attribue au mobile un rôle causal dans le domaine psychique. Dans la psy-
chologie classique, les mobiles essentiels sont de l’ordre de la satisfaction des désirs
élémentaires. Par opposition au motif, le mobile est plutôt inavouable ou inconscient ;
les mobiles ne peuvent pas servir à motiver une décision. Un motif caché est proche
du mobile. La paire mobile / motif constitue ainsi une paire topique : on accuse par
les mobiles, on réfute en substituant des motifs aux mobiles.
comme à la défense :
L1 : — Tu as fait cela !
L2 : — Je n’avais aucune raison de le faire, j’avais même des raisons de ne pas le faire.
Modèle de Toulmin
1. Le modèle
Exemple de cellule argumentative — Pour Toulmin, le passage suivant est un dis-
cours argumentatif élémentaire complet ([1958], p. 99) :
394 ♦ Modèle de Toulmin
« Harry est né aux Bermudes ; or les gens qui sont nés aux Bermudes sont en
général citoyens britanniques, en vertu des lois et décrets sur la nationalité bri-
tannique ; donc Harry est probablement citoyen britannique ; à moins que ses
parents n’aient été étrangers, ou qu’il n’ait changé de nationalité. »
en vertu
des lois et décrets suivants…
Ce schéma se trouve dans le chapitre intitulé « The lay out of arguments » ; le terme
lay out signifie « plan, structure ». On parle ainsi du modèle ou du schéma de Toul-
min : les deux usages semblent acceptables.
Interprétation dialogale — Ce modèle s’applique au discours continu, au monologue.
Deux éléments permettent de le considérer comme la transposition monologuée d’un
dialogue.
D’une part, le mécanisme de la justification est déclenché par l’intervention
d’un “challenger” (opposant) : « Lorsque nous faisons une assertion [assertion], nous
nous engageons de ce fait même [thereby] à la position [claim] qu’elle exprime. Si cette
position est mise en cause [if this claim is challenged], nous devons être en mesure de la
fonder [establish], c’est-à-dire de montrer qu’elle est justifiable [justifiable]. Comment
faire pour cela ? » ([1958], p. 97 ; nous soulignons).
D’autre part, le modalisateur, pointant vers de possibles objections, représente la
trace d’un contre-discours. Il introduit dans le modèle un second élément dialogique.
La représentation sous forme de structure dialoguée permet de bien séparer les deux
niveaux du dialogue et du monologue.
Question : — Quelle est la nationalité de Harry ?
Modèle de Toulmin ♦ 395
en vertu de
Support
En version originale :
Data so, Qualifier, Claim
since unless
Warrant Rebuttal
on account of
Backing
Les concepts clés Data, Claim, Warrant, Backing, Qualifier et Rebuttal, peuvent être
traduits de façons très diverses. Leur sens en anglais est le suivant :
Donnée : “Harry est né aux Bermudes”. Le terme anglais est data, qui signifie :
« quelque chose que l’on sait ou que l’on suppose être vrai ; faits ou chiffres dont on
peut tirer une conclusion ; information » (Webster, art. Data).
Conclusion : “Harry est citoyen britannique”. Le terme anglais claim est « une reven-
dication [demand] de quelque chose que l’on considère, à tort ou à raison, comme
396 ♦ Modèle de Toulmin
son dû » (Webster, art. Claim), on le traduit par “conclusion”. Il signifie également
“affirmation, demande, revendication” de quelque chose dans un contexte de contes-
tation « to lay claim to sth: [+ position, throne] prétendre à qch [+ land, right, title]
revendiquer qch” (Collins, art. Claim).
Loi de passage : “puisque les gens nés aux Bermudes sont généralement citoyens britan-
niques”. Le terme anglais est warrant, qui signifie notamment : « 1. Autorisation ou
approbation [sanction] donnée par un supérieur ou une loi ; 2. Justification ou bonne
raison [reasonable ground] pour une action, un comportement, une affirmation ou une
croyance » (Webster, art. Warrant). Traduction : “mandat, garantie, justification”.
Support : “Étant donné les statuts et décrets suivants…”. Le terme anglais est backing,
“renforcement, support, appui, aval” : « 1. quelque chose placé à l’arrière pour soutenir
ou renforcer ; 2. soutien ou aide apportée à une personne ou à une cause ; soutien
[endorsement] » (Webster, art. Backing).
Modalisateur : qui correspond à un adverbe et renvoie à la Restriction. Le terme
anglais est qualifier. To qualify signifie notamment « 4. Modifier ; restreindre ;
limiter, rendre moins catégorique [positive] (une affirmation) ; 5. Atténuer, adoucir
(un châtiment) » (Webster, art. Qualify). “Modalisateur, modal, restriction” sont les
traductions traditionnelles. “Adoucisseur” ou “mitigateur” n’expriment pas le lien
précis aux contre-discours.
Réfutation : “à moins que ses deux parents n’aient été étrangers ou qu’il n’ait été natura-
lisé américain” . Le terme anglais est rebuttal ; to rebut signifie : « contredire, réfuter,
s’opposer, particulièrement d’une façon formelle, par un argument ou une preuve »
(Webster, art. Rebut). Sa traduction stricte est “réfutation” (Collins, art. Rebuttal) ;
il s’agit d’une réfutation potentielle. Le modèle de Toulmin est poppérien en ce qu’il
prévoit de possibles réfutations. En facilitant ainsi le travail de l’opposant, il réin-
troduit de la coopération dans une situation de dissenssus, V. Coopération ; Règles.
2. Corollaires
Une régression à l’infini ? — Supposons qu’il s’agisse non pas des Bermudes mais
des îles Falkland (nom anglais) / îles Malvinas (nom argentin). On doit alors rajouter
sous le backing « en vertu des lois et décrets sur la nationalité britannique » un fonde-
ment sur la force, « en vertu du résultat des combats de 1823 », puisque les Malouines
ont été conquises sur l’Argentine en 1823, et que l’Argentine ne reconnaît pas cet
état de fait. En fondant la loi de passage sur une garantie, on entame une régression
potentielle à l’infini (la garantie doit elle aussi être garantie). La même régression
pourrait s’observer sur l’argument, qui peut demander lui-même à être étayé. Cette
problématique rejoint celle du sorite et de l’épichérème, V. Sorite, Épichérème.
Un modèle nomologique — Mettre ainsi un syllogisme au fondement de l’activité
argumentative explique peut-être la faveur dont jouit le modèle de Toulmin auprès
des scientifiques intéressés par l’argumentation. L’exemple suivant tiré des Usages
de l’argumentation, moins souvent cité que le précédent, correspond à l’expression
Modèle de Toulmin ♦ 397
d’une prédiction scientifique fondée sur un calcul faisant intervenir des lois issues
de l’expérience et de l’observation ([1958], p. 184) :
Donnée : La position observée du soleil, de la lune et de la terre jusqu’au 6 sept. 1956.
Loi : Les lois sur la dynamique des planètes.
Support de la loi : L’ensemble de l’expérience [totality of experience] sur lequel
sont fondées ces lois, jusqu’au 6 sept. 1956.
Conclusion : Le moment précis où surviendra la prochaine éclipse de lune après
le 6 sept. 1956.
La prémisse à sujet général est remplacée par une gamme de lois physiques. L’ab-
sence de contre-discours (Modal + Rebuttal) dans cet exemple est caractéristique
du passage au domaine scientifique.
Un syllogisme juridique catégorisant — L’exemple choisi par Toulmin pour illus-
trer son schéma correspond au syllogisme juridique :
Loi de passage : Les gens nés aux Bermudes sont sujets britanniques.
Argument : Harry est né aux Bermudes.
Conclusion : Donc Harry est sujet britannique.
Ce syllogisme articule une prémisse à sujet général (la loi de passage), à une prémisse
à sujet concret (ou proposition singulière, l’argument) pour en déduire une proposi-
tion à sujet concret (la conclusion). Il correspond à une démarche de catégorisation,
faisant entrer un individu dans une classe, dont il devra assumer les droits, devoirs et
stéréotypes, c’est-à-dire tous les prédicats définitoires. Cet exemple attire justement
l’attention sur l’importance de la catégorisation et de la déduction intra-catégorielle
dans l’activité argumentative ordinaire, V. Catégorisation. Le passage suivant a la
même structure :
Tout automobiliste franchissant la ligne jaune se met en contravention, X a
franchi la ligne jaune, donc X est en contravention – à moins qu’il ne s’agisse
d’une voiture des pompiers en mission, d’un cortège officiel…, ou encore que des
travaux ou un danger pressant…, ne vous aient obligé à franchir la ligne jaune.
Ehninger et Brockriede ([1960]) ont souligné que la notion de loi de passage pou-
vait couvrir des relations autres que de catégorisation, par exemple la généralisation :
« Dans les trois régions où elles ont été testées, la création de zones franches n’a
pas eu d’influences sur le développement économique ; donc la création d’une
zone franche dans une quatrième région n’aura probablement pas d’influence
sur son développement économique. »
Le schéma de Toulmin est parfaitement compatible avec une approche par types
d’arguments, V. Typologies (III). Chacun de ces types sera par ailleurs la cible d’ob-
jections et de contre-discours (Qualifier / Rebuttal) spécifiques.
Un modèle de la cellule argumentative — Ce modèle est à mettre en parallèle avec
d’autres visions de la cellule argumentative, V. Épichérème.
Modestie, arg.
BB On utilise l’étiquette latine “argument ad verecundiam, lat. verecundia
“modestie”.
L’argument de la modestie est invoqué par celui qui s’incline devant l’autorité et le
prestige de quelqu’un qu’il estime lui être supérieur ; c’est typiquement une démarche
de soumission à l’éthos. Il est donc le symétrique de l’argument d’autorité, raison
pour laquelle on traduit parfois argument ad verecundiam par argument d’autorité
(ang. appeal to, argument from authority). L’éthos fonctionnalise la personne et ses
émotions. Pour le locuteur argumentant, il ne s’agit pas de partager avec les autres
une forme de jouissance de soi, comme peut-être en littérature, mais de tenir les
autres sous son emprise afin de les orienter vers une décision.
Locke a proposé une critique radicale de cet usage de l’éthos sous le nom d’ar-
gument ad verecundiam ; cet argument consiste à
« citer les opinions des personnes qui par leur esprit, par leur savoir, par l’émi-
nence de leur rang, par leur puissance, ou par quelque autre raison, se sont fait
un nom et ont établi leur réputation sur l’estime commune avec une espèce
d’autorité. Lorsque les hommes sont élevés à quelque dignité, on croit qu’il ne
sied pas bien à d’autres de les contredire en quoi que ce soit, et que c’est blesser
la modestie de mettre en question l’autorité de ceux qui en sont déjà en posses-
sion. Lorsqu’un homme ne se rend pas promptement à des décisions d’auteurs
approuvés que les autres embrassent avec soumission et avec respect, on est porté
à le censurer comme un homme trop plein de vanité ; et l’on regarde comme l’effet
d’une grande insolence qu’un homme ose établir un sentiment particulier et le
soutenir contre le torrent de l’antiquité, ou le mettre en opposition avec celui
Modestie, arg. ♦ 399
L’autorité est acceptée comme un fait, le problème est la possibilité qui est ou non
donnée de la mettre en cause ; elle n’est fallacieuse que si elle prétend se soustraire au
dialogue, faire taire et non pas répondre à son contre-discours. On en conclut que
ce qui est fallacieux ou non, c’est le dialogue. Il est impossible de dire si un énoncé
comme “Le Maître l’a dit !” est ou non fallacieux, tout dépend de sa position dans
le dialogue. S’il s’agit d’un énoncé d’ouverture, il ne l’est pas. S’il s’agit d’un énoncé
de fermeture d’interaction – magister locutus est, Le Maître a parlé, sous entendu :
il faut se taire –, il l’est.
Morphème argumentatif
La notion de morphème argumentatif a été développée par Anscombre et Ducrot
dans la théorie de l’argumentation dans la langue. Un morphème (une expression)
est dit argumentatif si son introduction dans un énoncé ne modifie en rien la valeur
référentielle, factuelle, de cet énoncé mais modifie sa valeur argumentative, c’est-
à-dire les conclusions qu’il est possible d’atteindre à partir de cet énoncé (ses suites
discursives possibles, les énoncés par lesquels on peut enchaîner sur cet énoncé),
V. Orientation.
La notion a été appliquée à la description linguistique de mots “vides” ou “opé-
rateurs argumentatifs ” comme peu / un peu, ainsi qu’à de mots “pleins” comme le
couple “serviable / servile”.
Pour bien des gastronomes, les pâtes au fromage ne constituent pas l’ingrédient
essentiel d’un bon repas, mais pour bien des enfants, c’est le cas.
Trop — La théorie des échelles est régie par un principe < plus (argument), plus
(conclusion) > : plus on est haut sur l’échelle, plus on est proche de la conclusion.
Mais ce principe conduit à un paradoxe :
Quand l’eau est à vingt-deux degrés, tu te baignes ; quand elle est à vingt-cinq c’est
mieux, et à trente encore mieux, plus l’eau est chaude, mieux c’est : donc tu devrais
essayer dans la bouilloire.
Et parfois la renforce :
L1 : — C’est cher, trop cher, je ne l’achète pas.
Ces phénomènes ont reçu un traitement dans la théorie des blocs sémantiques (Carel
1995).
402 ♦ Morphème argumentatif
Cette co-orientation de < P > et < presque P > ne vaut pas toujours pour certains
prédicats qui marquent le franchissement d’un seuil. Si le scénario est celui du trans-
port d’un grand malade, l’infirmier peut dire à l’ambulancier : “dépêche-toi, il est
presque mort”, mais pas, avec la même intention de soins : “dépêche-toi, il est mort”. Si
le scénario est celui d’un assassinat un peu laborieux, l’assassin à l’œuvre peut dire
à son complice, “dépêche-toi, il est presque mort, et tu n’as toujours rien trouvé pour le
découper correctement”.
La permutation presque / à peine inverse l’orientation argumentative des énoncés
dans lesquels ils entrent :
Tu es presque guéri, tu peux bien venir à notre soirée !
Je suis à peine guéri, je ne peux pas aller à votre soirée.
L’argument du sens strict s’oppose à l’effacement des seuils produits par presque et
à peine, V. Sens strict.
Peu / un peu — Ces deux adverbes donnent aux prédicats qu’ils modalisent des
orientations argumentatives opposées :
Pierre a un peu mangé, son état s’améliore.
Pierre a peu mangé, son état ne s’améliore pas.
“Pierre a un peu mangé” est orienté comme “il a mangé”, alors que “Pierre a peu mangé”
est orienté comme “il n’a pas mangé”. La substitution d’un morphème à un autre ne
porte pas sur la quantité de nourriture (un peu serait plus que peu), mais purement
sur l’orientation donnée à une quantité qui est fondamentalement la même.
Proche est un modalisateur réalisant : “c’est un proche parent” est orienté comme
“c’est un parent”, pour des conclusions comme “ils se connaissent bien”. Sur l’échelle
argumentative déterminée par ces deux énoncés, le premier a une force supérieure
au second, ce qui est marqué par l’emploi possible de même :
— soit orienté vers “ils se fréquentent”, comme “c’est un parent, mais éloigné”, mais
avec une force moindre :
Ils se fréquentent
Négation
On distingue la négation de phrase et la négation de mot.
Elle est également vérifiée pour les mots à préfixe négatif sans terme positif en
contrepartie (voir supra).
3. Dénégation
Le caractère dialogique de la négation est systématiquement exploité en psychana-
lyse, où l’énoncé négatif est considéré comme un énoncé négocié entre conscient et
inconscient :
« La façon dont nos patients présentent les idées qui leur viennent à l’es-
prit pendant le travail analytique nous donne l’occasion de faire quelques
observations intéressantes. “Vous allez penser maintenant que je veux dire
quelque chose d’offensant, mais je n’ai vraiment pas cette intention.” Nous
comprenons que c’est là le refus, par projection, d’une idée qui vient de
surgir. Ou bien : “Vous demandez qui peut être cette personne dans le rêve.
Ce n’est certes pas ma mère. ” Nous rectifions : c’est donc bien sa mère.
Nous prenons la liberté, lors de l’interprétation, de faire abstraction de
la négation et d’extraire le pur contenu de l’idée. C’est comme si le patient
avait dit : “C’est certes ma mère qui m’est venue à l’esprit à propos de cette
personne, mais je n’ai pas envie d’admettre cette idée.”»
« Un contenu de représentation ou de pensée refoulé peut donc se frayer
un passage à la conscience, à condition qu’il puisse être dénié. La déné-
gation est une façon de prendre connaissance du refoulé, c’est en fait
408 ♦ Négation de l’antécédent
déjà une levée du refoulement, mais bien sûr, ce n’est pas l’acceptation
du refoulé. On voit comment la fonction intellectuelle se sépare ici du
processus affectif. »
Freud, « La Dénégation », Die Verneinung, 1925.
En ligne : [http://www.khristophoros.net/verneinung.html],
consulté le 20 septembre 2013.
Du fait que l’opposant s’appelle Noir, on déduit qu’il a l’âme noire, et on le soupçonne
de noirs desseins ; s’il est pris dans une mauvaise affaire, c’est sur lui que pèsera la
charge de la preuve.
Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon église.
Dr Lenfant, pédiatre.
Le fait de s’appeler Pierre, donc d’être comme la pierre, est une raison pour construire
quelque chose dont Pierre est le fondement. Du fait que quelqu’un s’appelle Lenfant,
on déduit qu’il a un rapport essentiel aux enfants, et qu’il est donc normal qu’il
devienne pédiatre, instituteur… ou encore qu’il ait un caractère enfantin : le nom
propre est ici un aptonyme, qui renforce l’adéquation de la personne à sa tâche ou
confirme l’attribution d’un trait de caractère.
Searle, SARL (Derrida)
Le fait d’avoir un nom prononçable comme le sigle SARL est un indice du caractère
commercial des entreprises de la personne.
La remotivation du nom propre, dont le porteur est considéré comme la chose
signifiée par le nom commun homonyme ramène la personne au statut de chose, ce
qui peut être plus ou moins flatteur. Aggravé par les ressources infinies de la paro-
nymie, tous les noms propres donnent lieu à ce type d’exploitation, particulièrement
dans les cours de récréation “Morand, fainéant”.
V. Étymologie, Homonymie, Paronymie.
Non-contradiction
Le principe de non-contradiction (on dit parfois, avec le même sens, principe de contra-
diction) interdit d’affirmer des choses contradictoires, une chose et son contraire.
En d’autres termes :
— la conjonction < P et non-P > exprime une contradiction, et, en tant que telle,
est nécessairement fausse ;
— la disjonction < P ou non-P > est nécessairement vraie.
L’une des deux propositions < P > et < non-P > est obligatoirement vraie, les deux ne
peuvent pas être vraies simultanément. La même chose ne peut pas être et ne pas être.
Ce principe est considéré par la logique classique comme une loi de la pensée et comme
un axiome par certaines logiques contemporaines. Un système logique respectant le
principe de non-contradiction ne contient pas d’antinomies, il est dit consistant.
La mise en œuvre du principe de non-contradiction suppose que les affirmations
dont on juge qu’elles sont contradictoires soient susceptibles d’être vraies ou fausses,
et non pas “plus ou moins vraies, (donc) plus ou moins fausses”.
410 ♦ Normes
Normes
Le mot norme a deux acceptions principales.
(i) La norme des statisticiens, la moyenne :
« En France, l’âge moyen du premier rapport sexuel est 16,8 ans. 27 % des
jeunes ont une activité sexuelle avant 16 ans. Dans une vie, les Français(es)
ont, en moyenne, 16,7 partenaires. Seuls 10 % se contenteront du même
toute la vie. En moyenne, nos contemporains effectuent 121 galipettes
par an. »
Source : [http://www.uniondesfamilles.org/sexualite_
en_chiffres.htm], consulté le 20 septembre 2013.
Objection
Du point de vue des contenus, l’objection peut être définie comme l’expression d’une
opposition argumentative du type de la réfutation, mais plus locale, moins radicale,
par le biais d’un contre-argument faible : réfuter, c’est abattre, objecter c’est seule-
ment faire obstacle. Mais l’objection et la réfutation ont essentiellement des statuts
interactionnels différents.
— D’une part, objecter c’est présenter un argument n’allant pas dans le sens de la
conclusion de l’interlocuteur, par exemple en soulignant une conséquence négative
de la proposition de l’interlocuteur : “mais si on construit la nouvelle école ici, les élèves
auront des déplacements trop longs”. Celui qui objecte se situe dans la problématique
de l’autre discours, qu’il admet comme hypothèse de travail.
— D’autre part, alors que celui qui réfute prétend clore le débat, celui qui objecte
maintient le dialogue ouvert ; ce dernier présente son argument comme en quête de
réponse, et se présente lui-même comme accessible à un éventuel rejet de sa propre
argumentation.
L’éthos et les états émotionnels affichés lors de ces deux opérations ne sont pas
les mêmes : à la réfutation sont associées agressivité et fermeture ; à l’objection, esprit
de mesure, dialogue et ouverture.
Lorsqu’un locuteur propose un discours et fait allusion à un possible contre-
discours, il désigne ce contre-discours non pas comme une réfutation mais comme
412 ♦ Objet de discours
une objection : “On pourrait objecter que, bien que, …” (reprise du contre-discours).
V. Réfutation ; Concession ; Prolepse.
Objet de discours
La notion d’objet de discours est dérivée de celles de schématisation et de faisceau d’objet,
utilisées en logique naturelle, V. Schématisation.
Le faisceau d’un objet est défini comme ce qui a « affaire avec » l’objet considéré
(Grize 1990, p. 78), un
« ensemble d’aspects normalement attaché à l’objet. Ses éléments sont de trois es-
pèces : des propriétés, des relations et des schèmes d’action. Ainsi dans le faisceau
de “la rose” on a des propriétés comme ‘être rouge’ […], des relations comme […]
“être plus belle que”, des schèmes d’action comme “se faner” […] » (ibid., p. 78-79).
sur lesquels il y a opposition. De même que les affirmations non contredites valent
les affirmations vraies, les objets de discours non divisés ou “pacifiques” valent les
objets réels ; l’étude de l’argumentation est contrastive ; elle porte d’abord sur les
objets construits par les discours en opposition sur une question donnée.
Opposition (figures)
La rhétorique des figures propose un ensemble très riche de notions et d’observations
sur le thème de l’opposition discours / contre-discours, fondamental dans la situation
argumentative ; les figures suivantes renvoient, à divers titres, à la confrontation
dialogale comme à sa représentation dans le discours monologué :
adynaton, antanaclase, antéoccupation, antimétabole, antiparastase, antithèse,
apodioxis, astéisme, cohabitation, commutation, contraires, discordance, dilemme,
distinguo (distinction), dubitation, énantiose, épitrope, euphémisme, interrogation,
inversion, ironie, inversion, opposition, oxymore, métathèse, paradiastole, paradoxe,
prolepse, réversion, subjection…
Cette liste, certainement redondante et non exhaustive, est proposée dans l’ordre
a lphabétique. Chacun de ces termes n’apparaît pas forcément dans toutes les
t ypologies des figures, et si un terme apparaît dans une typologie, il peut être situé
en des positions très différentes, en fonction des principes de classement adoptés.
En outre, dans chaque typologie « chaque catégorie de figure est définie par son
marquage dominant, tout en présentant des traits secondaires non négligeables »
(Bonhomme 1998, p. 14), qui seront peut-être mis en avant dans une autre typologie.
Chacun de ces classements a sa logique, et chacune de ces logiques a ses limites.
La même observation s’applique au regroupement suivant, qui se propose d’ordonner
les figures de la contradiction dialogique, en les rapportant aux moments clés du
développement de la situation argumentative. Ce procédé permet également d’évo-
quer, par attraction, d’autres figures possibles, principalement celles qui ont trait
au traitement monologique de la question, et quelques figures qui apparaissent au
terme du développement du processus argumentatif.
Ouvrir une situation argumentative — V. Émergence de l’opposition.
S’approprier la question, pour la traiter monologiquement par des figures dites
de communication, interrogation (interrogatio) subjection (subjectio), dubitation (du-
bitatio), V. Question.
414 ♦ Opposition (figures)
probablement que toutes ces manœuvres sont fallacieuses, ce qui ne fait que renforcer
la nécessité première de les situer et de les décrire : avant de juger, il faut comprendre.
Orateur — Auditoire
l’a montré Goffman (1987, p. 133-186), au point que les politiques jugent plus prudent
de déterminer eux-mêmes la composition de leurs plateaux de télévision.
L’orateur constitue fondamentalement son auditoire par la demande qu’il lui
prête : “ôte-moi d’un doute”. Il s’estime capable de combler ce doute par l’apport de
la vérité, de la représentation, de la thèse qui sont les siennes. Il se produit comme
homme de bien (vir bonus) qui connaît le vrai, sincère, et apte à conduire les âmes,
V. Éthos. L’auditoire rhétorique est, en conséquence, à la fois humilié et magnifié. Il
est humilié, car il est défini par son ignorance et ses insuffisances ; sa représentation
des choses et son opinion sont considérées soit comme erronées, soit comme inexis-
tantes, soit encore comme faiblement ancrées et instables. Typiquement, l’orateur
s’adresse aux indécis, et laisse de côté les opposants déterminés, ceux qui ne doutent
pas, et sont déjà ralliés à une thèse qui n’est pas la sienne. Mais, dans le cadre de la
nouvelle rhétorique au moins, l’auditoire est également magnifié en instance critique,
sur le long chemin qui mène à l’universel. Il est donc mis en position haute ou basse,
mais jamais en position égalitaire de partenaire ; pour cela, il faut considérer non plus
un, mais deux, discours, c’est-à-dire deux positions en confrontation. Ce n’est pas la
voie de l’orateur, qui veut moins partager que faire partager son opinion.
idéal monologique). Comprendre ce que signifie l’énoncé “il fait beau”, ce n’est pas le
référer à un état du monde, mais aux intentions affichées par le locuteur, c’est-à-dire
“allons à la plage”. Le sens de E1, c’est E2. Le sens est ici défini comme la cause finale
de l’énoncé ; l’AdL réactualise ainsi une terminologie ancienne, où l’on désignait la
conclusion d’un syllogisme comme son intention. Cela rend compte du fait qu’un
connecteur de reformulation comme c’est-à-dire puisse introduire une conclusion :
L1 : — Ce restaurant est cher.
L2 : — C’est-à-dire que tu ne veux pas qu’on y aille ?
Il s’ensuit que, si le même segment S est suivi dans une première occurrence
du segment Sa et dans une seconde occurrence du segment Sb, contradictoire, in-
compatible avec Sa, alors S n’a pas la même signification dans ces deux occurrences.
Puisqu’on peut dire “il fait chaud (S), restons à la maison (Sa)” aussi bien que “il fait
chaud (S), allons nous promener (Sb)”, c’est qu’ « il ne s’agit pas de la même chaleur dans
les deux cas » (Ducrot 1988, p. 55). C’est une nouvelle définition de l’homonymie. Par
des considérations analogues, Anscombre conclut qu’il y a deux verbes acheter, cor-
respondant aux sens de “plus c’est cher, plus j’achète” et “moins c’est cher, plus j’achète”
(Anscombre 1995, p. 45).
Inversement, on peut penser que doit s’établir une forme d’équivalence entre
énoncés orientés vers la même conclusion : si le même segment S est précédé, dans
une première occurrence du segment Sa, et dans une seconde occurrence du segment
Sb, différent de Sa, alors Sa et Sb ont la même signification : “il fait chaud (Sa), restons
à la maison (S)” vs “ j’ai du travail (Sb), restons à la maison (S)”. C’est une nouvelle
définition de la synonymie, relativement à une même conclusion.
Enfin, « si le segment S1 n’a de sens qu’à partir du segment S2, alors la séquence
S1 + S2 constitue un seul énoncé » (Ducrot 1988, p. 51). On pourrait sans doute dire
un seul signe, S1 devenant une sorte de signifiant de S2. Cette conclusion ramène
l’ordre propre du discours à celui de l’énoncé, voire du signe.
Cette théorie a développé ses analyses dans trois directions principales : les
expressions argumentatives ; les connecteurs argumentatifs ; les topoi. V. Morphème ar-
gumentatif ; Balise argumentative ; Marqueur de fonction argumentative.
est susceptible d’être évalué et d’être déclaré valide ou fallacieux. Pour la théorie
sémantique, l’idée d’une évaluation critique des argumentations n’a de sens que
sur le plan grammatical, où l’on se borne à constater que telle suite est ou n’est pas
grammaticalement admissible. Dans cette théorie, la force de la contrainte argu-
mentative est entièrement une question de langage. Elle n’est pas différente de celle
de la cohérence du discours. Rejeter un argument, c’est briser le fil du discours
idéal. Cette position redéfinit la notion d’argumentation ; Anscombre parle ainsi
d’argumentation « en notre sens » (1995b, p. 16).
Le point essentiel sur lequel s’opposent le point de vue « sémantique », qui est
celui de Ducrot, et ce qu’il appelle la vision « traditionnelle ou naïve » de l’argumen-
tation (Ducrot 1988, p. 72-76) est celui des orientations argumentatives. Cette vision
dite traditionnelle correspond bien à celle que représente le modèle de Toulmin :
— elle distingue deux énoncés, deux segments linguistiques, l’argument et la conclu-
sion ;
— chacun de ces énoncés, pourvu d’une signification autonome, désigne des faits
distincts, ils sont donc évaluables indépendamment, l’énoncé argument renvoie à
un fait F1 et l’énoncé conclusion renvoie à un fait différent, F2. Le point essentiel est
que F1 et F2 sont des faits bien définis, constatables indépendamment l’un de l’autre.
— il existe une relation d’implication, une loi physique, extra-linguistique, unissant
ces deux faits (Ducrot 1988, p. 75).
Cette conception peut se schématiser comme suit. Les flèches en pointillé allant
du plan du discours au plan de la réalité matérialisent le processus de signification.
Argument Conclusion
[énoncé] [énoncé]
Loi Plan du Discours
[énoncé]
Loi naturelle
Plan de la Réalité
Fait F1 Fait F2
Cette conception est dite « naïve » dans la mesure où elle postule que le langage est
un médium transparent et inerte, pur reflet de la réalité, ce qui n’est pas le cas du
langage naturel (Récanati 1979) ; ces conditions ne sont réalisées que pour des lan-
gages contrôlés comme les langages des sciences, en relation avec une réalité qu’ils
construisent autant qu’ils la désignent.
À l’opposé de cette vision, la théorie de l’argumentation dans la langue met
l’accent sur les contraintes inter-énoncés d’origine proprement langagière. Ces
contraintes sont particulièrement visibles sur des enchaînements immédiatement
420 ♦ Orientation (II)
analytiques, comme “cette proposition est absurde, donc il faut la rejeter”. De par le
sens même des mots, dire qu’une proposition est absurde, c’est dire “il faut la rejeter” ;
cette conclusion apparente est une pseudo-conclusion, car elle ne fait qu’exprimer
le definiens du mot absurde, « qui ne devrait pas exister », comme en témoigne le
dictionnaire :
A.− [En parlant d’une manifestation de l’activité humaine : parole, jugement,
croyance, comportement, action] Qui est manifestement et immédiatement
senti comme contraire à la raison au sens commun ; parfois quasi-synonyme de
impossible au sens de « qui ne peut ou ne devrait pas exister ». (TLFi, art. Absurde)
Le langage n’est pas inerte. L’invocation d’un réel absurde pour soutenir la conclusion
“il faut la rejeter” est, en effet, une naïveté, qui ignore l’existence de la dynamique
propre au langage. Pour la théorie de l’argumentation dans la langue, le langage
commet systématiquement la fallacie de pétition de principe.
“Il est déprimé” justifie la décision de ne pas sortir ; justement admet la vérité de cet
argument, mais l’oriente vers la conclusion opposée : Pierre devrait plutôt sortir
(Ducrot 1982).
Le discours de l’inversion s’appuie sur la lettre de ce que dit l’adversaire et lui
rétorque : “Ton discours ne dit pas ce que tu veux lui faire dire ; il dit même le contraire ; tu
es ton propre réfutateur”. L’inversion s’approprie le dire de l’interlocuteur et le réoriente
vers une conclusion opposée à la conclusion primitive. Elle oppose à l’interlocuteur
son propre dire, et porte ainsi atteinte à sa face conversationnelle. Ce procédé est plus
proche des stratégies de destruction du discours que des stratégies de réfutation orien-
tées vers le contenu, V. Destruction, Objection, Réfutation. La rhétorique classique a
repéré de nombreux phénomènes de retournement du même ordre, comme l’ironie :
Tout est possible avec la SNCF, ça c’est le meilleur slogan que vous ayez trouvé — Dit
par une voyageuse à un contrôleur alors que le train est arrêté en pleine campagne
depuis deux heures.
Le slogan est orienté vers “la SNCF est capable du l’incroyablement positif ” ; les cir-
constances montrent que “la SNCF est capable du l’incroyablement négatif ”, V. Ironie.
Orientation (II) ♦ 421
Certaines de ces stratégies sont désignées par des termes maintenant peu parlants :
— Retournement opéré sur un terme : antanaclase.
— Retournement opéré sur une expression : antimétabole.
— Retournement de la qualification d’un acte : antiparastase.
— Retournement par substitution d’un terme ou d’une description d’une réalité :
paradiastole.
Le premier énoncé est accusatoire “vous méritez une lourde condamnation !” ; le second
introduit un argument qui inverse cette orientation “ce que j’ai fait est un acte de
courage”, V. STASE ; MOBILES ET MOTIFS.
Cette forme de contre-argumentation donne d’un même fait deux orientations
opposées. Dans l’antanaclase, il y a une feinte d’acceptation et un retournement
implicite. Dans l’antiparastase, le renversement d’orientation est explicite.
Paradiastole — Le terme paradiastole est un calque d’un mot grec composé sur
une base exprimant les idées d’expansion et de distinction. Dans le monologue, la
paradiastole « [établit] un système de nuancements ou de distinctions précisantes,
en général développées sur des parallélismes de phrase » (Molinié 1992, art. Paradias-
tole). On retrouve la même idée dans le terme latin distinguo, qui désigne une figure
du même type. Les exemples de paradiastole sont donnés sous la forme d’énoncés,
opérant des raffinements de définition d’un même concept ou de distinction de
concepts proches entre deux mots souvent rapprochés et qui, du point de vue du
locuteur, doivent être distingués : “la tristesse ce n’est pas la dépression”.
Orientation (II) ♦ 423
La langue a lexicalisé sous forme de deux termes, serviable et servile, les désignations
antiorientées appliquées à une même forme de comportement, V. Morphème argumen-
tatif ; le discours produit sans cesse des paires antiorientées qui ont exactement le
même fonctionnement argumentatif :
Et l’on voit les amants vanter toujours leur choix ; […]
La trop grande parleuse est d’agréable humeur,
La muette garde une honnête pudeur.
Molière, Le Misanthrope, II, 4 ; cité dans Douay 1993, p. 233.
L’opposition est entre l’être de la personne (une trop grande parleuse, une bavarde),
et ce qu’en dit son amant (“elle est d’agréable humeur”). On voit sur cet exemple que
cette situation se généralise au discours, où la paradiastole n’opère plus strictement
entre deux termes, mais entre deux discours ; il y a traduction d’un point de vue
dans un autre.
L1 : — Il est courageux.
L2 : — Je ne dirais pas cela. Il sait affronter le danger, d’accord, mais il me semble
que pour être vraiment courageux il faut aussi avoir un système de valeurs…
L’adéquation d’un terme à son objet est contestée dans un discours plus ou moins
ample. Sous sa forme la plus radicale, on a une opposition terme à terme :
L1 : — Il est courageux.
L2 : — Je n’appelle pas ça du courage mais de l’inconscience.
Paradiastole ► Orientation (II) : Inversion d’orientation
argumentative
C’est pourquoi Thomas d’Aquin discutant la question « Faut-il disputer de la foi avec
les infidèles ? » relève l’objection « On mène une dispute par des arguments. Mais un
argument c’est “une raison qui fait croire des choses douteuses”. Comme les vérités
de foi sont très certaines, elles n’ont pas à être mises en doute. Il n’y a donc pas à en
disputer publiquement. » (Somme, Part. 2, Quest. 10, Art. 7, Faut-il disputer de la foi
avec les infidèles ?)
S’il y a argumentation, c’est qu’il y a question, débat, donc contre-discours attesté
ou envisageable, doute jeté sur l’une et l’autre des positions en présence : le fait qu’on
argumente dans une telle situation explique l’existence d’un paradoxe de l’argu-
mentation : contester une position, c’est à la fois accepter que la sienne soit mise en
doute et légitimer un peu la position que l’on attaque. Cela explique que le premier
moment dans le processus de légitimation d’une position nouvelle soit de produire
un débat à son sujet, et, pour cela, de trouver des contradicteurs.
Ici, Garaudy revendique la position de tiers. Il peut même dire que le président
commet un sophisme d’argumentation sur l’ignorance (dire qu’on n’a pas prouvé P,
n’est pas dire que non-P). La réfutation ne saurait s’en tenir au discursif local, mais
doit prendre en compte les savoirs contextuels : ici l’affirmation est fausse, parce
que le travail historique et scientifique est fait, on est exactement dans la situation
de l’in-disputabilité aristotélicienne.
Paradoxes de l’argumentation et de la réfutation ♦ 427
« J’ai longtemps hésité avant […] d’écrire ces pages sur le prétendu révi-
sionnisme, à propos d’un ouvrage dont les éditeurs nous disent sans rire :
“les arguments de Faurisson sont sérieux. Il faut y répondre”. Les raisons
de ne pas parler étaient multiples, mais de valeur inégale. […] Enfin,
répondre, n’était-ce pas accréditer l’idée qu’il y avait effectivement débat,
et donner de la publicité à un homme qui en est passionnément avide ? […]
C’est la dernière objection qui est en réalité la plus grave. […] Il est vrai
aussi que tenter de débattre serait admettre l’inadmissible argument des
deux « écoles historiques », la « révisionniste » et « l’exterminationniste. »
Il y aurait, comme ose l’écrire un tract d’octobre 1980 […] les « partisans
de l’existence des “chambres à gaz” homicides » et les autres, comme il y
a des partisans de la chronologie haute ou de la chronologie basse pour
les tyrans de Corinthe. […]
Du jour où R. Faurisson, universitaire dûment habilité, enseignant dans
une grande université, a pu s’exprimer dans Le Monde, quitte à s’y voir
immédiatement réfuté, la question cessait d’être marginale pour devenir
centrale, et ceux qui n’avaient pas une connaissance directe des événe-
ments en question, les jeunes notamment, étaient en droit de demander
si on voulait leur cacher quelque chose. D’où la décision prise par Les
Temps modernes et par Esprit de répondre.
Répondre comment, puisque la discussion est impossible ? En procédant
comme on fait avec un sophiste, c’est-à-dire avec un homme qui ressemble
à celui qui dit le vrai, et dont il faut démonter pièce à pièce les arguments
pour démasquer le faux-semblant. »
Pierre Vidal-Naquet, « Un Eichmann de papier »,
Les assassins de la mémoire, Paris, La Découverte, 1987, p. 11-13.
Paralogismes syllogistiques
La notion de paralogisme (l’adj. paralogique existe, mais est peu usité) est définie
dans le cadre de la logique classique. Les paralogismes syllogistiques ou paralogismes
proprement dits sont des syllogismes non valides, non concluants. Ces paralogismes
de déduction sont des « argumentations ayant la forme d’un syllogisme traditionnel
et qui violent l’une ou l’autre des règles bien connues du syllogisme » (Hamblin 1970,
p. 44). V. Logique classique (II) et (III) ; Fallacieux.
(iii) “Si une prémisse est négative, la conclusion doit être négative” :
Aucun M n’est P La prémisse mineure est négative.
or Certains S sont M,
donc Certains S ne sont pas P La conclusion est négative.
Ce syllogisme respecte la règle (iii) et les autres règles du syllogisme (cf (v)), sa conclu-
sion est valide.
(iv) “Dans un syllogisme valide, le moyen terme doit être distribué au moins une fois” :
Aucun M n’est P M est distribué (universel).
or Tout S est M,
donc Aucun S n’est P La conclusion est valide.
2. Paralogismes
Un paralogisme est un syllogisme qui ne respecte pas une ou plusieurs des règles
précédentes. Sur les 256 modes du syllogisme, 19 modes sont valides ; il y a donc
237 manières d’être fallacieux pour un syllogisme. La question de savoir s’il “a l’air”
concluant ou non est sans pertinence ; en fait, pour avoir l’air concluant, il lui suffit
d’avoir l’air d’un syllogisme. Le terme de paralogisme ne désigne rien d’autre qu’une
erreur de calcul syllogistique.
Les formes de paralogismes syllogistiques sont les suivantes. La première forme
correspond au paralogisme d’homonymie, les autres correspondent à des répartitions
inadéquates des qualités et des quantités.
(1) Paralogisme des quatre termes.
(2) Paralogisme de conclusion à partir de deux prémisses négatives.
(3) Paralogisme de conclusion positive à partir d’une prémisse négative.
(4) Paralogisme du moyen terme non distribué.
(5) Paralogisme de conclusion universelle à partir d’une majeure particulière.
(6) Paralogisme de conclusion universelle à partir d’une mineure particulière.
430 ♦ Paralogismes syllogistiques
Exemples :
— Le paralogisme suivant comprend quatre termes :
Les métaux sont des corps simples.
Le bronze est un métal.
Le bronze n’est pas un corps simple mais un alliage. Dans la prémisse mineure le mot
métal est dit du bronze parce qu’il a un “air de famille” avec les métaux proprement
dits, comme le fer, on peut le fondre et le mouler. Dans la prémisse majeure, métal est
employé avec son sens propre. On a donc affaire à deux homonymes ; le syllogisme
est à quatre termes ; V. Homonymie.
— Le paralogisme suivant conclut à partir de deux prémisses négatives :
Certains B ne sont pas C Certains riches ne sont pas arrogants.
Aucun A n’est B Aucun poète n’est riche.
* donc Aucun A n’est C * Aucun poète n’est arrogant.
Dans la prémisse majeure, “tous les hommes sont mortels”, le grand terme, mortel,
n’est pas distribué ; cette prémisse ne dit rien de tous les mortels, mais seulement de
certains mortels qu’“ils sont hommes”. Mais la conclusion “aucun chien n’est mortel”
affirme quelque chose de tous les mortels : “aucun n’est chien”. Le grand terme est
distribué dans la conclusion et pas dans la majeure. La conclusion affirme donc plus
que la prémisse, ce qui est impossible.
Cette méthode, laborieuse, repose sur la notion pour le moins peu intuitive de
quantité des prédicats. Elle déplace l’attention de l’analyste de la compréhension de
la structure et de l’articulation du syllogisme, de ce qu’affirme le syllogisme, vers
l’application fragmentée d’un système de règles. On développe peut-être ainsi les
capacités à appliquer un algorithme, mais on est tout de même loin d’un apprentissage
de la pensée appliquée aux affaires de la vie ordinaire.
Il s’évalue comme suit. Soit les trois cercles sécants, représentant respectivement
l’ensemble des riches (R), l’ensemble des poètes (P) et l’ensemble des arrogants (A).
(R) (A)
(P)
432 ♦ Paralogismes syllogistiques
— “Certains riches ne sont pas arrogants” : on considère le cercle des riches et celui
des arrogants, et on met une croix hors de leur intersection : il y a quelqu’un dans
cette zone.
— “Aucun poète n’est riche” : on considère le cercle des poètes et celui des riches, et
on noircit leur intersection : il n’y a personne dans cette zone.
— On regarde enfin le cercle des poètes et celui des arrogants ; la conclusion affirme
que l’intersection du cercle des poètes avec celui des arrogants est noire ; or on voit
que ce n’est pas le cas ; elle est en partie blanche. Ce syllogisme est un paralogisme.
Considérons le syllogisme :
Aucun M n’est P
or Tout S est M
(M)
(P)
(S)
— “Tout S est M” : la partie hors intersection des cercles S et P est noire (vide).
— On regarde le cercle des S et celui des P : on voit que l’intersection est noire (vide) ;
c’est ce que dit la conclusion “Aucun S n’est P”. Ce syllogisme est valide.
Pour tout être humain H, il existe un être humain M, tel que M est la mère de H
* donc : Il existe un être humain M tel que pour tout être humain H, M est la
mère de H.
Paronymie
Deux mots sont paronymes si la différence de leurs signifiants (phonétique ou gra-
phique) est minimale alors que leurs signifiés diffèrent totalement : prise / crise. La
paronymie est une forme élargie d’homonymie, V. Homonymie.
Fallacie d’accent — La théorie aristotélicienne distingue, parmi les fallacies d’ambi-
guïté, une fallacie d’accent. Dans une langue où l’accent de mot est linguistiquement
pertinent (accentuation à l’oral, accent graphique à l’écrit), la différence d’accent
provoque un changement de la signification du mot ; les deux termes sont, de ce
fait paronymes. Comme la fallacie d’homonymie qui passe d’un sens à un autre le
signifiant restant le même, la fallacie d’accent passe d’un sens à un autre avec un
changement de signification minimal mais crucial d’ordre “supra-linguistique”. Tout
se passe comme si cette différence entre les signifiants était trop ténue pour discri-
miner les variations de signification.
Paronymie et désorientation du discours — En dialogue, la reprise d’un terme
utilisé dans le discours de l’adversaire en lui opposant un terme paronymique brise
434 ♦ Pathétique, arg.
l’orientation de ce discours : “ce n’est pas une prise de conscience, c’est une crise de
conscience”, V. Orientation (II). Dans un discours monolocuteur, la paronymie est un
phénomène de co-occurrence, dans un même acte de langage ou une même séquence
discursive, de deux termes paronymiques afin d’en rapprocher la signification. La
rhétorique utilise les étiquettes de paronomase, adnominatio, astéisme pour désigner
des phénomènes du même type.
D’une façon générale, on a affaire à une question de paronymie lorsque le discours
glisse plus ou moins subtilement du thème de la crise de conscience à celui de la prise
de conscience.
Cet exemple illustre bien l’importance des considérations grammaticales et phi-
lologiques présentes dans toute discussion des fallacies liées au discours. L’entreprise
critique vise à stabiliser les significations des termes du discours, de considérer “ce
qui a été réellement dit”, pour travailler avec un texte exact.
Paronymie et interprétation : ne pas varier d’un iota — Comme dans le cas de
l’ambiguïté syntaxique, la question de la paronymie peut sembler relever de la bévue
ou du jeu de mots. Lorsqu’il s’agit de texte religieux, la différence peut engager la
séparation d’une orthodoxie d’une hétérodoxie. Lors du Concile de Nicée (325), ce
qui deviendra l’orthodoxie catholique soutenait qu’il y a identité de substance entre
le Père et le Fils (homoousios). Les Ariens soutenaient qu’il y a similitude de substance
entre le Père et le Fils (homoiousios) ; c’est le iota marquant la différence qui fit des
seconds des hérétiques.
Pathétique, arg.
On parle d’argument pathétique dans différents sens, liés à divers titres au pathos
et aux émotions.
Appel aux émotions — On parle parfois d’arguments pathétiques pour désigner
l’ensemble des arguments, ou de moyens de pression discursive, liés au pathos, qui
s’opposent aux arguments “logiques” (liés au logos), et aux arguments éthotiques
(liés à l’éthos). Mais il est difficile de parler de discours pathétique pour un discours
construisant de la colère, V. Émotions ; Pathos.
Argument évidemment nul — Un participant à une dispute peut parler d’un argu-
ment pathétique pour désigner un argument quelconque qu’il estime désespérément
nul : “Je trouve cet argument pathétique”, V. Mépris.
Argument pathétique — L’argumentation pathétique a la forme d’une argumen-
tation par les conséquences positives ou négatives ; la conclusion est dite absurde
et rejetée simplement parce qu’elle chagrinerait l’argumentateur ou adoptée parce
qu’elle lui fait plaisir :
Pathos, de preuve à fallacie ♦ 435
Je désire P, donc P.
Je crains P, donc non-P.
Ça n’est pas possible, ça aurait des conséquences trop graves : “La Syldavie ne peut
pas suspendre ses paiements. C’est impossible. Parce que personne ne sait ce qui
pourrait se passer. Et parce que nous ne saurions probablement pas comment gérer
une telle situation.”
C’est pas possible qu’il pleuve dimanche, notre pique-nique serait à l’eau !
Une telle pollution est inenvisageable, il y aurait des milliers de victimes.
Si cette critique était valable, que deviendraient les études d’argumentation ?
Un état de chose est déclaré certain (resp. impossible) parce que l’idée qu’il soit
possible (resp. certain) est inenvisageable.
L’argumentation pathétique applique au domaine de la connaissance une forme
d’argumentation parfaitement valide dans le domaine de l’action pratique :
Je désire P, donc je fais P, j’agis de façon à ce que P soit le cas.
Je crains P, donc j’évite P, j’agis de façon à ce que P ne se produise pas.
Fallacie pathétique — La pathetic fallacy, fallacie anthropomorphique ou de person-
nification, attribue aux non-humains ou aux non-vivants des sentiments humains,
ou d’êtres vivants. L’expression a été forgée par Ruskin.
éthos pathos
manifesté dans l’orateur manifesté dans l’auditoire
source dans le caractère source dans l’occasion
rend l’orateur sympathique, provoque un trouble,
incline son auditoire à la bienveillance entraîne, arrache la décision
l’éloquence du conciliare est affable, plaisante l’éloquence du movere est violente
plaît émeut
affect doux calme et mesuré affects véhéments
affection, sympathie amour ; colère, haine, crainte, envie, pitié
thymique - état continu phasique - état momentané
persuade commande
moment du discours : exorde moment du discours : conclusion
type de discours : comédie type de discours : tragédie
type de causes : éthiques (morales) type de causes : pathétiques
satisfaction morale satisfaction esthétique
Pathos, de preuve à fallacie ♦ 437
On a observé que cette énumération ne couvre pas l’ensemble des émotions politiques
et judicaires :
« Aristote néglige comme non pertinent pour son propos un certain nombre
d’émotions qu’un traitement plus général et autonome des émotions considére-
rait certainement comme très importants. Ainsi le chagrin, la fierté (de son nom,
de ses possessions, de ses réalisations) l’amour (érotique), la joie, le vif désir de
revoir un être aimé ou absent ([yearning], grec pothos)… Il en va de même pour
le regret, dont on pourrait penser qu’il est particulièrement important pour un
ancien orateur, surtout dans le contexte judiciaire. » (Cooper 1996, p. 251)
On trouve la joie, le regret de ce qui a plu, et l’appétit dans l’Éthique à Nicomaque qui
propose une liste du même genre :
« J’entends par états affectifs, l’appétit, la colère, la crainte, l’audace, l’envie, la joie,
l’amitié, la haine, le regret de ce qui a plu, la jalousie, la pitié, bref toutes les incli-
nations accompagnées de plaisir et de peine. » (Éth. Nic. II, 4 ; trad. Tricot, p. 101)
Quintilien abrège un peu la liste : « le pathos tourne presque tout entier autour de
la colère, la haine, la crainte, l’envie, la pitié » (I. O., VI, 2, 20-21 ; p. 28-29). La liste de
Cicéron comprend cinq émotions négatives (haine, colère, envie, crainte, méconten-
tement) et trois émotions positives (affection, espérance, joie). On peut admettre que
les émotions négatives représentent le couple émotion positive / négative ; il reste
la honte et l’obligeance aristotéliciennes qui n’ont pas de correspondant direct chez
Cicéron ; réciproquement, l’émotion positive joie de Cicéron n’a pas de correspondant
évident dans la liste de la Rhétorique. Mais c’est bien le même domaine qui est visé.
Ces listes d’émotions composant le pathos donnent une impression de familiarité
qui paraîtra suspecte au philologue. La honte, la colère grecques et latines sont-elles
438 ♦ Pathos, de preuve à fallacie
encore les nôtres ? Quoi qu’il en soit, il reste que le pathos est bien un ensemble
d’émotions, V. Émotions.
Il s’ensuit que, dans une situation argumentative, l’émotion, qui est une fallacie,
sera toujours l’émotion de l’autre : “Moi, je raisonne ; vous, vous vous énervez”. C’est
une stratégie extrêmement fréquente, particulièrement dans la polémique sur des
thèmes scientifiques et politiques (Doury 2000) ; l’accusation d’émotion sert à un
participant à réfuter son adversaire. C’est un cas exemplaire d’argument ad fallaciam,
V. Fallacie ; Évaluation et évaluateurs.
Ces sophismes passionnels ne figurent pas dans la liste aristotélicienne, V. Falla-
cieux : III. Aristote. La forme d’étiquette “argument ad + Nom latin” est largement
utilisée à l’époque moderne pour désigner des “fallacies d’émotion”, et on retrouve
encore des traces de cet usage. On le constate sur la liste d’arguments fallacieux en
ad proposée par Hamblin : les termes de cette liste qui font clairement et direc-
tement référence aux affects ont été soulignés. Nous avons laissé le terme anglais
traduisant le latin :
Pathos, de preuve à fallacie ♦ 439
Cette liste ne contient pas uniquement des arguments émotionnels : par exemple,
l’appel à l’ignorance (ad ignorantiam) est un argument de nature épistémique, non
pas émotionnel ; d’autres désignent des formes diverses d’appel à la subjectivité. Mais
la plupart des formes mentionnées qui font intervenir des intérêts ou mettent en jeu
la personne ont un contenu émotionnel évident, même si les types de manœuvres
argumentatives désignées par ces différentes étiquettes sont parfois peu claires et
les définitions proposées rares et elliptiques ; en outre, le sens de l’expression en
contexte semble parfois très éloigné du sens de l’expression latine.
On parle de “argument ad + (nom d’émotion)”, mais pour inspirer la confiance
ou émouvoir, la meilleure stratégie n’est pas forcément de se borner à dire qu’on est
une personne de confiance ou qu’on est ému, il est préférable de structurer émo-
tionnellement son dire et d’agir également dans d’autres registres sémiotiques non
verbaux. La notion d’argument évoque sinon une forme propositionnelle, du moins
un segment de discours bien délimité ; étant donné que l’émotion a tendance à dif-
fuser sur tout le discours, il sera souvent plus clair de parler d’appel à telle ou telle
émotion, plutôt que “d’argument + (nom d’émotion)”, par exemple d’appel à la pitié
plutôt que d’argument de la pitié.
Globalement, on trouve dans la littérature une douzaine de fallacies faisant appel
aux émotions, principalement des fallacies en ad :
la peur, désignée soit directement (ad metum), soit métonymiquement par
l’instrument de la menace (ad baculum, a carcere, ad fulmen, ad crumenam)
la crainte, la crainte respectueuse (ad reverentiam)
l’affection, l’amour, l’amitié (ad amicitiam)
la joie, la gaîté, le rire (ad captandum ulgus, ad ludicrum, ad ridiculum)
la fierté, la vanité, l’orgueil (ad superbiam).
le calme, la paresse, la tranquillité (ad quietem)
l’envie (ad invidiam)
le “sentiment populaire” (ad populum)
l’indignation, la colère, la haine (ad odium ; ad personam)
la modestie (ad verecundiam)
la pitié (ad misericordiam)
émotions de base des vices (orgueil, envie, haine, paresse) et des vertus (pitié, modestie,
amitié), c’est-à-dire des états émotionnels évalués.
En conclusion, si l’on rapproche la liste d’émotions énumérées comme compo-
santes du pathos au paragraphe précédent et la liste d’émotions stigmatisées comme
fallacies, on constate qu’elles se recoupent largement : les preuves passionnelles de la
rhétorique sont devenues sophismes ad passiones de la théorie critique moderne de
l’argumentation.
Quatre fallacies d’émotion : ad hominem, ad baculum, ad populum, ad igno-
ratiam — Toutes les émotions peuvent intervenir dans la parole argumentative
ordinaire, mais toutes n’ont pas reçu la même attention. Les réflexions principales
tournent autour des quatre fallacies en ad, le rôle de l’affect n’étant pas le même
dans ces différentes formes (voir ces entrées), le cas le plus clairement émotionnel
étant celui de la pitié.
Les arguments sur la personne, ad hominem et ad personam — La fallacie ad
personam est évoquée en relation avec les émotions de mépris de l’autre, de colère à
son encontre, ou même de haine, V. Ad hominem ; Attaque personnelle.
L’argumentation dite par la force (ad baculum) — Les diverses formes de m enace
renvoient à la peur, la crainte, éventuellement respectueuse. La menace s’oppose à
l’émotion positive qu’est l’espoir produit par la promesse de récompense. V. Menace ;
Châtiments et récompenses.
L’appel aux sentiments populaires dans l’argumentation populiste — À ce dis-
cours correspond une gamme complexe de mouvements émotionnels positifs ou
négatifs : on amuse le public, on l’enthousiasme, lui fait plaisir, honte, on fait appel à
sa fierté, à sa vanité, on l’incite à la haine, etc., V. Populiste (arg.) ; Rire, Ironie.
Le discours d’appel à la pitié (ad misericordiam) — Il peut servir d’exemple fon-
damental de construction argumentative de l’émotion. Ce discours donne en effet
à sa cible des bonnes raisons qui doivent précisément produire en lui un mouvement
de pitié, un authentique épisode émotionnel.
Par cette habile dissociation, on se débarrasse des émotions en tant que telles, qui
restent péjorativement marquées comme des obstacles à la lumière de la raison ou de
la foi, tout en conservant leur potentiel dynamique, transféré aux valeurs. Dès lors,
par définition, on argumente sans s’émouvoir.
Le discours sans émotion est réduit à l’expression de la pensée opératoire qui est un
« mode de fonctionnement mental organisé sur les aspects purement factuels
de la vie quotidienne. Les discours qui permettent de la repérer sont empreints
d’objectivité et ignorent toute fantaisie, expression émotionnelle ou évaluation
subjective » (ibid., p. 141).
Son opposant L2 est réticent à accepter A ; pourtant il pourrait peut-être le faire ;
les raisons présentées par L1 ne sont peut-être pas nulles. Mais il refuse d’accepter
de rentrer dans le jeu de L1, car il fait l’analyse suivante de la situation dans laquelle
se pose la question.
(i) Une prise en considération du contexte où intervient la proposition. A porte
sur un certain domaine D qui regroupe A1, A2, … (V. Taxinomie et Catégorie ; Caté-
gorisation) :
444 ♦ Pente glissante, arg.
(ii) Une opération de gradation de cette catégorie. A, A1, A2, … forment une série
ordonnée croissante dans la catégorie D :
Le crack est plus dur que l’héroïne, qui est elle-même plus dure que le haschish ;
A est le point “bas”, le point faible par lequel on entre dans la catégorie graduée.
(iii) Une évaluation : la décision à prendre sur A est incertaine, mais la même déci-
sion prise pour A1 serait clairement inacceptable ; l’étendre à A2 est inenvisageable
et scandaleux. On a donc l’échelle : discutable / inenvisageable / scandaleux.
(iv) Un mécanisme d’entraînement : les décisions au sujet de A sont liées à celles
qu’il faut prendre au sujet de A1, A2, … ; le même problème ne manquera pas de se
poser à leur sujet :
Faut-il légaliser l’héroïne ? Faut-il légaliser le crack ?
premier pas qui compte” ; de vouloir “attaquer sur le point faible ; grignoter les positions
de l’autre” (V. Étape et amorçage) – accusation dont on peut se défendre en invoquant
la sixième règle de Hedge : « On ne doit pas imputer à une personne les conséquences
de sa thèse, à moins qu’elle ne les revendique expressément » (1838, p. 159-162). On
retrouve la différence entre l’imbécillité paralogique “il n’est même pas conscient des
conséquences de ses actes” et la crapulerie sophistique “il nous cache ses intentions réelles”.
V. Manipulation ; Étape et amorçage ; Direction ; Sophisme.
Réplique à l’argument de la pente glissante — Pour se défendre, le proposant peut
montrer que la catégorisation de A avec A1, A2, … est inacceptable. Pour cela, il
recatégorise le haschich comme une drogue douce, avec le bon vin et le bon tabac, “qui
n’ont rien à voir avec l’héroïne et encore moins avec le crack”, V. A pari.
La Personne en argumentation
La problématique de la personne est centrale en rhétorique, où elle renvoie notam-
ment à la problématique de l’éthos et du pathos – l’argumentateur doit produire
l’image d’une personne compétente, droite, solidaire et justement émue – comme en
théorie de l’argumentation critique, où elle met en jeu la problématique de l’autorité.
Elle est fondamentale pour la logique naturelle, dans son objectif de construire
une logique des sujets ; pour les logiques par défaut, qui renoncent au postulat d’un
argumentateur abstrait disposant d’une information sûre et complète, pour lui subs-
tituer celui d’un locuteur situé, susceptible de réviser et d’améliorer les connaissances
à partir desquelles il argumente pendant qu’il argumente.
Sur la question du traitement de la personne, on peut opposer une rhétorique
offensive à une argumentation défensive. En abordant la question de la personne
sous l’angle de sa capacité d’influence, la rhétorique se situe dans une perspective
offensive ; la production d’éthos est une manœuvre stratégique par laquelle l’orateur
jette sa personne dans la bataille. À l’opposé, les théories critiques de l’argumentation
adoptent une position défensive. Si on postule que seuls sont valides les arguments
sur les choses elles-mêmes, l’influence éthotique n’est rien d’autre qu’une tentative
d’intimidation de l’opposant, et d’inhibition de la critique. Le récepteur doit donc
se libérer méthodiquement de cette emprise, s’il veut avoir quelques chances de
penser et parler de façon juste. Les théories critiques de l’argumentation focalisent
la discussion sur l’objet du débat, protègent les personnes et s’en protègent, en les
tenant à l’écart de la cause, lorsqu’elles n’ont rien à y faire. Ensuite, elles traitent
séparément les facettes charisme et compétence de la personne du locuteur.
Argumentation éthotique — La rhétorique propose une approche globale, multi-
dimensionnelle, de la personne, à laquelle correspondent deux constructions diffé-
rentes opérées par l’orateur : son caractère propre, dit traditionnellement éthos, et
le caractère de l’auditoire. La construction de l’éthos propre consiste en un effort
de mise en conformité avec les vertus inscrites dans le système de valeurs de son
auditoire, qui peuvent culminer aussi bien dans les sept dons de l’esprit catholique
que dans les trois vertus démocratiques aristotéliciennes. V. Éthos.
Arguments pathémiques — La personne est porteuse d’affects corrélés à ses points
de vue. Elle les fait circuler et les exploite dans toute situation de parole ordinaire, et
tout spécialement dans les situations argumentatives, V. Pathos ; Émotion.
Fallacie de modestie — D’un point de vue normatif, la soumission à l’éthos charis-
matique est analysée comme fallacie de modestie ad verecundiam. V. Modestie.
Argument d’autorité — L’éthos d’expertise est explicité discursivement comme
argument d’autorité. En tant qu’il satisfait la condition de propositionalité, l’argument
d’autorité est accessible à la réfutation. L’autorité d’expertise est citée, assignable, bien
différente de l’autorité montrée, implicite, difficile à contester de l’éthos charisma-
tique. Elle est légitimée comme preuve périphérique, par défaut, et les compétences
qu’elle met en jeu peuvent être évaluées sur la base de critères précis. Les sources de
l’autorité sont nombreuses et diverses, en premier lieu l’autorité des normes légales et
réglementaires, appuyées sur le monopole de la violence légale. Certaines argumenta-
tions valident une conclusion en l’attribuant à un groupe numériquement important :
argument du grand nombre, ad numerum ; à une personne ou à un groupe prestigieux
par sa richesse, sa pauvreté, sa position historique, etc. V. Autorité ; Consensus.
Argumentations orientées vers la réfutation de la personne : ad hominem, ad
personam — Un ensemble d’argumentations sur la personne est orienté vers la
réfutation. Pour réfuter la vérité d’une assertion portée par une personne on montre
qu’elle entraîne des contradictions (ad hominem) du point de vue de cette personne
elle-même. On fait appel à des caractéristiques négatives des personnes qui la sou-
tiennent, soit dans la rencontre particulière, soit en général (ad personam), que ces
caractéristiques aient ou non un lien avec la question débattue, V. Personne topique ;
Ad hominem ; Attaque personnelle.
Argumentations limitées aux croyances de la cible — Elles concluent à partir
de propositions admises par l’interlocuteur, parfois à titre de concession ; elles se
limitent à un travail de réorganisation et d’expansion des croyances auxquelles a dhère
la cible et aux informations qu’elle possède (ex concessis, ex datis), V. Caractère de
l’auditoire ; Croyances de l’auditoire ; Ex datis.
La Personne en argumentation ♦ 447
— « Le sexe, étant donné qu’on croit plus aisément à un vol de la part d’un homme,
à un empoisonnement de la part d’une femme » (ibid., 25 ; p. 133-4). Ce topos oriente
l’action de l’enquêteur : en cas d’empoisonnement, il cherchera plutôt la femme.
— « L’âge », qui peut être une circonstance atténuante ; « l’état physique car l’on
invoque souvent comme argument pour la débauche la beauté, pour l’agressivité
la force » (ibid., 25 ; p. 134). Autrement dit, “il est beau, c’est un débauché” est plus
vraisemblable que “il est beau, donc il mène une vie de saint”. Si A est plus fort que B,
alors “A est plus agressif que B” est vraisemblable, et en conséquence, si A et B se sont
battus, “c’est A qui a attaqué B”, en d’autres termes, A supporte la charge de la preuve.
Ces inférences se retournent par appel au paradoxe du vraisemblable : “c’est B qui a
attaqué A, parce qu’il savait que les vraisemblances (les apparences) étaient contre A”.
— « La fortune », « la différence de condition (entre un homme célèbre ou un homme
obscur, un magistrat ou un simple particulier, un père ou un fils, un citoyen ou un
étranger, un homme libre ou un esclave, un homme marié ou un célibataire, un
père de famille ou un homme sans enfants) » (ibid., 26 ; p. 134). Sous cette rubrique
viennent l’ensemble des rôles sociaux et les lieux communs qui leur sont associés.
S’il est possible de dire de lui que c’est un paysan du Danube, on pourra lui appliquer
le topos de la personne qui dit forcément la vérité, V. Richesse et pauvreté.
— « Les dispositions caractérielles : car l’avarice, l’irascibilité, la pitié, la cruauté, la
sévérité, et autres traits semblables, portent souvent à croire ou à ne pas croire à un
acte donné » (ibid., 27, p. 134). C’est un cas d’instanciation d’une disposition carac-
térielle : “l’assassinat a été commis de manière particulièrement cruelle, Pierre est cruel,
donc l’assassin, c’est lui”, V. Circonstances.
— « Le genre de vie », « fastueux ou frugal ou sordide ; les occupations aussi (car
l’activité diffère s’il s’agit d’un paysan, d’un homme de loi, d’un homme d’affaire, d’un
soldat, d’un marin, d’un médecin » (ibid.). Se situent sous cette rubrique toutes les
caractéristiques rapportables à l’éthos professionnel.
Les cinq lieux communs suivants se rattachent essentiellement aux topoi des
mobiles et motifs, V. Mobiles et motifs :
— « les prétentions des individus à paraître riches ou éloquents, justes ou influents » ;
— « les activités et les paroles antérieures », qui servent à déterminer les mobiles et
les précédents (ibid., 28, p. 134), V. Précédent ;
— « les troubles de l’âme, […] la colère, l’épouvante » (ibid., 28, p. 134-135), V. Émo-
tions ;
— « les desseins » (ibid., 29, p. 135) ;
— « le nom », V. Nom (ibid., 30, p. 135).
En résumé, la topique substantielle permet de dresser des portraits comme le suivant :
Un homme de trente ans, français, breton, allure sportive, de bonne famille,
n’ayant jamais terminé ses études, très aimable avec ses voisins, menant une vie
rangée, employé dans une pharmacie, sans grande ambition…
450 ♦ Persuader, convaincre
Persuader, convaincre
L’opposition de persuader à convaincre est une thématique majeure du Traité de l’ar-
gumentation (1958).
signifie « invitant, insinuant, persuasif » (Gaffiot [1934], art. Suadeo). Persuadere est
formé de suadere et du préfixe aspectuel per- indiquant l’aboutissement du procès. Il
a le sens de « I. Décider à faire quelque chose […] II. Persuader, convaincre » (ibid.,
art. Persuadeo).
Convincere est composé de con (cum-) + vincere, vaincre, “vaincre parfaitement”
(ibid., art. Convinco) ; le préfixe cum- a, dans ce mot, le sens d’un accompli, comme
le per- de persuadere. Il a pour premier sens « confondre un adversaire » (ibid.). Le
même sens se retrouve dans l’expression française “convaincre X de mensonge”, où
convaincre est suivi d’un objet direct désignant un être humain X et d’un groupe
nominal “de + Substantif ” désignant quelque chose de condamnable, que X se d éfend
d’avoir commis.
Persuadere et convincere marquent tous deux des accomplissements mais de types
différents : pour persuadere jusqu’à l’action ; pour convincere jusqu’à l’irréfutabilité.
En anglais, la tradition voudrait que, conformément à leur étymologie, to convince
soit réservé pour des situations dans lesquelles les croyances sont changées sans qu’il
y ait passage à l’action, et que to persuade le soit pour des situations où une action
est entreprise. Mais en pratique, les deux termes sont utilisés comme synonymes.
Persuasion
mis) de discerner (theôrein) dans chaque cas ce qui est potentiellement persuasif. »
(Rhét., I, 2, 1355b26 ; trad. Chiron, p. 124). Cette définition est reprise par Cicéron :
« Crassus : Ainsi j’ai appris que le premier devoir de l’orateur est de s’appliquer à
persuader » (De l’or. I, XXXI, 138 ; p. 51), jusqu’à Perelman et Olbrechts-Tyteca,
qui mettent au centre de leur définition « l’adhésion des esprits aux thèses qu’on
présente à leur assentiment », avant d’élaborer la notion d’adhésion au moyen de
l’opposition établie entre persuader et convaincre, V. Argumentation (I) ; Assentiment ;
Persuader et convaincre.
Selon ces définitions standard, la rhétorique s’intéresse fondamentalement au
discours structuré par l’intention (illocutoire) de persuader, c’est-à-dire de communi-
quer, expliquer, légitimer et faire partager le point de vue qui s’y exprime et les mots
qui le disent. La persuasion (perlocutoire) résulte de tout ou partie de la réalisation
de ces intentions.
La tradition rhétorique lie le discours de persuasion au vraisemblable et l’oppose
parfois au discours de vérité, V. Vérité et vraisemblable.
« Il faut chercher seulement à penser et à parler juste, sans vouloir ame-
ner les autres à notre goût et à nos sentiments ; c’est une trop grande
entreprise. »
Jean de La Bruyère, « Des ouvrages de l’esprit », Les Caractères ou les
mœurs de ce siècle [1688]. In Œuvres complètes, texte établi et annoté
par J. Benda, Paris, Gallimard, 1951.
Selon la doxa rhétorique, l’orateur qui veut persuader un auditoire doit passer
des accords préalables avec lui, V. Conditions de discussion. Cette négociation des
accords ne peut se faire que par un dialogue argumentatif, préalable au dialogue
argumentatif primitivement envisagé, ce qui engage dans un paradoxe : pour parvenir
à un accord, il faut déjà être d’accord. Sous peine de régression à l’infini, l’orateur doit
se résoudre non pas à se mettre d’accord avec mais à s’accorder à son auditoire. Pour
cela il s’informe sur cet auditoire dont il se fait une image ; c’est bien ce que prévoit
la théorie des èthè des auditoires, V. Éthos (IV). Le discours de l’orateur réfracte ce
travail sur l’auditoire par trois moyens, chacun d’eux étant calculé en fonction de
l’auditoire et correspondant à une forme d’accord implicite ou explicite, passé avec
lui. D’une part, par des preuves éthotiques, il se présente / se construit discursivement
en fonction de son auditoire ; ensuite, par des preuves logiques, il choisit et schéma-
tise ses objets et ses jugements en fonction de, ou parmi ceux que l’auditoire peut
admettre (il argumente ex concessis) ; enfin, par des preuves pathémiques, il se met
en empathie avec son auditoire.
En conséquence, pour obtenir l’identification de son auditoire à sa propre per-
sonne, l’orateur doit d’abord s’identifier à cet auditoire. Au terme de ce processus
d’adaptation, on peut se demander, en fin de compte, qui a absorbé qui, qui a per-
suadé qui ? La rhétorique extrovertie, rhétorique de la persuasion, est menacée par le
solipsisme de l’identification ; elle n’exprime qu’une introversion de groupe. L’étrange
terme de « communion » proposé par le Traité caractérise bien l’aboutissement de
ce processus.
456 ♦ Persuasion
… mais c’est aussi la masse des écrits qui reproduisent les discours oraux ou qui
en empruntent le tour et les fins (Benveniste [1959], p. 242 ; nous soulignons).
Nietzsche, dans ses leçons sur la rhétorique, généralise la force rhétorique pour
en faire « l’essence du langage » :
« La force [Kraft] qu’Aristote appelle rhétorique, qui est la force de démêler et
de faire valoir, pour chaque chose, ce qui est efficace et fait de l’impression, cette
force est en même temps l’essence du langage : celui-ci se rapporte aussi peu que la
rhétorique au vrai, à l’essence des choses ; il ne veut pas instruire [belehren], mais
transmettre à autrui [auf Andere übertragen] une émotion et une appréhension
subjective. » ([1971], p. 111)
qui accorde à chaque opinion une égale dignité de principe, le but final étant de
réduire cette différence. Elle « prend pour objet la résolution des divergences d’opi-
nions par le moyen du discours argumentatif » (Eemeren et Grootendorst 1992, p. 18).
Elle ouvre au maximum, dans sa règle no 1 l’espace du débat et de la controverse :
« Liberté — Les parties ne doivent pas faire obstacle à la libre expression des points
de vue ou à leur mise en doute » (Eemeren, Grootendorst, Snoeck Henkemans 2002,
p. 182-183), et se propose de le clore dans le consensus rationnel, par élimination du
doute ou du point de vue mis en doute. Cette résolution se fait par élimination du
faux : « Clôture — Si un point de vue n’a pas été défendu de façon concluante, celui
qui l’a avancé doit le retirer. Si un point de vue a été défendu de façon concluante,
l’autre partie doit retirer les doutes qu’il avait émis vis-à-vis de ce point de vue » (ibid.).
On aboutit ainsi à un consensus soit sur l’opinion du proposant, soit sur le fait que
cette opinion ne peut pas être maintenue.
Les théories argumentatives de l’interaction s’orientent vers une direction diffé-
rente, celle de la co-construction des conclusions ; la thèse que l’on propose à l’as-
sentiment de l’auditoire peut sortir profondément transformée de la rencontre. Le
consensus peut être obtenu par fusion des points de vue primitifs ou par co-construc-
tion d’une opinion tierce. En somme, les interactants se comportent comme des dia-
lecticiens évolutionnistes hégéliens procédant par synthèse des positions en présence,
et non pas comme des dialecticiens aristotéliciens, qui avancent par élimination du
faux, V. Orateur — Auditoire ; Dialectique.
Dans cette perspective, se dégage une définition strictement langagière de la
persuasion : persuader, c’est cadrer, c’est-à-dire tenter d’inscrire la réaction langagière
de l’interlocuteur dans la “suite idéale”, tracée par l’intervention du locuteur. Cette
suite idéale a pour caractéristique majeure de respecter les présupposés, et sans doute
bon nombre de sous-entendus et d’apporter des propos nouveaux sur le thème donné.
Il s’ensuit qu’être persuadé, c’est ratifier le discours auquel on est exposé, respecter le
cadrage imposé et produire des interventions argumentativement coorientées à celles
de l’heureux persuadeur. On externalise ainsi la notion de persuasion, en d’autres
termes, on en fait l’économie.
Pertinence
BB Lat. ignoratio elenchi. Le mot grec élenkhos signifie : « 1. Argument pour
réfuter […] 2. preuve en général » (Bailly [1901], art. [élenkhos]). Le substan-
tifs latin elenchus est utilisé pour rendre les diverses significations grecques.
Dans la littérature anglo-saxonne, elenchus est parfois compris comme signi-
fiant “débat”, par une nouvelle extension d’un sens emprunté au grec. Le titre
latin de l’ouvrage d’Aristote Des réfutations sophistiques est De Sophisticis
elenchi (Hamblin 1970, p. 305).
Pertinence ♦ 459
Politesse argumentative
La politesse linguistique a une fonction de régulation de la relation interpersonnelle :
« Relèvent de la politesse, tous les aspects du discours 1- qui sont régis par des
règles, 2- qui interviennent au niveau de la relation interpersonnelle, 3- et qui
ont pour fonction de préserver le caractère harmonieux de cette relation (au pire :
neutralisation des conflits potentiels ; au mieux faire en sorte que chacun des
participants soit envers l’autre le mieux disposé possible). » (Kerbrat-Orecchioni
1992, p. 159 ; p. 163 ; souligné dans le texte)
Dans le cas général, la conversation est régie par un principe de préférence pour
l’accord, V. Accord. La théorie interactionniste de la politesse (Brown et Levinson
1978 ; Kerbrat-Orecchioni, ibid.) définit l’individu par ses faces et ses territoires. L’in-
tervention polie respecte des règles de politesse positive et des règles de politesse négative,
vis-à-vis de soi comme vis-à-vis de l’autre. Ce système est transformé en situation
argumentative : la préférence est transformée en une « préférence pour le désaccord »
(Bilmes 1991), les différences sont maximisées, ce qui a des conséquences sur toutes
les composantes du système de la politesse linguistique.
(i) Principes de politesse orientés vers l’allocutaire — La politesse négative enjoint
d’éviter les actes menaçants et les principes de politesse positive recommandent que
soient produits des actes positifs envers les territoires ou la face de l’Allocutaire (Ker-
brat-Orecchioni 1992, p. 184). Dans une situation argumentative on peut observer une
inversion de ces principes. Les règles de la politesse positive ne sont pas appliquées,
celles de la politesse négative sont inversées, et pour des raisons qui tiennent à la
nature même de cette situation.
Par exemple, la règle « évitez d’empiéter sur les réserves [de l’interlocuteur] » (ibid.,
p. 184) correspond au principe de non agression, “ne violez pas le territoire de l’autre”.
Dans une situation argumentative, le territoire étant disputé, il y a forcément une forme
d’agression et de conflit territorial, avec empiétements et contre-empiétements. Une
règle de politesse recommande de « [s’abstenir] de faire [à l’interlocuteur] des remarques
462 ♦ Politesse argumentative
désobligeantes, des critiques trop acerbes, des réfutations trop radicales, des reproches
trop violents » (ibid.), alors qu’en situation d’argumentation, la réfutation radicale est
recherchée plutôt qu’évitée et la mise en cause négative de l’adversaire est une stratégie
standard. S’il y a éloge de l’adversaire, c’est pour le retourner contre la position qu’il
défend dans l’interaction en cours, V. Contre-argumentation.
L’interdiction des attaques personnelles relève des règles de politesse visant à
protéger l’interlocuteur, pour les aspects de sa personne qui ne sont pas un enjeu du
débat, V. Attaque personnelle.
ainsi que des mesures de protection de ses propres faces : « sauf circonstance excep-
tionnelle, le plaidoyer pro domo est proscrit dans notre société, qui juge sévèrement
les manifestations trop insolentes de l’auto-satisfaction » (ibid., p. 182-183).
En situation argumentative, les principes jouant en faveur du locuteur sont vigou
reusement appliqués en ce qui concerne leur versant négatif (protection). L’argumen-
tateur n’hésite pas à faire l’éloge de sa personne (face positive) aussi bien que de son
territoire, ici son point de vue. Cette valorisation apparaît parfaitement naturelle
quand elle s’applique aux objets “en question”, qui constituent des enjeux de l’interac-
tion, aussi bien la personne que ses biens. On aboutit à la conclusion que la situation
d’argumentation lève les règles de la politesse pour les objets et les personnes en
conflit. On peut même y voir une caractéristique fondamentale de cette situation.
— Des principes de modération dans la valorisation de soi : « si vous avez à faire
votre propre éloge, qu’au moins ce soit sur le mode atténué de la litote » (ibid., p. 184) ;
et vous pouvez même léser légèrement votre propre territoire et pratiquer une légère
auto-critique (ibid., p. 154). Ce principe demande qu’on accepte de transiger, de faire
des concessions, toutes choses que l’argumentateur peut choisir de faire ou ne pas
faire sans qu’on puisse parler de politesse ou d’impolitesse.
On peut faire l’hypothèse que dans une situation argumentative les protagonistes
utilisent une sorte “d’anti-système de la politesse”, miroir du système de la politesse.
Parler de “système de l’impolitesse”, supposerait que toutes ces interventions soient
senties comme impolies, ce qui n’est pas le cas, nonobstant le fait que, dans de telles
situations, peuvent s’engager des polémiques sur “le ton”.
La redéfinition du système de la politesse vaut strictement pour les aspects de la
personne, de ses faces et ses territoires, qui sont engagés dans le conflit argumentatif.
Hors de ces domaines, les règles reprennent leur droit. Il est donc possible qu’un
Pragmatique, arg. ♦ 463
argumentateur grandisse sa face et ses territoires, abaisse ceux de son adversaire, dans
une telle interaction où il se comportera, par ailleurs, de façon polie ou impolie. La
grande question de la pertinence d’une intervention dans une interaction argumen-
tative recoupe exactement celle de la circonscription du domaine où s’appliqueront
ou non les règles de la politesse générale.
Polysyllogisme ► Sorite
Pragmatique, arg.
L’argument pragmatique correspond au topos no 13 de la Rhétorique d’Aristote :
« puisque, la plupart du temps, il se trouve que de la même chose s’ensuivent un
bien ou un mal, on se servira du conséquent pour persuader ou dissuader, accuser
ou défendre, louer ou blâmer » (Rhét., II, 23, 1399a10 ; trad. Chiron, p. 390-391). Au-
trement dit, comme on peut toujours attribuer à une mesure, politique ou autre, des
effets positifs et des effets négatifs, qu’elle soit en discussion ou déjà en application,
on peut toujours la recommander en soulignant ses effets positifs ou la critiquer en
montrant ses effets négatifs.
L’argument pragmatique présuppose une série d’opérations argumentatives :
(i) une argumentation par la cause : à partir d’un comportement ou d’une mesure
donnée, en s’appuyant sur une loi (prétendue) causale, on prédit qu’elle aura méca-
niquement un certain effet ;
(ii) un jugement de valeur, positif ou négatif, porté sur cet effet ;
(iii) enfin, en prenant pour argument cette conséquence, une remontée vers la
cause, pour la recommander si le jugement de valeur porté sur elle est positif, pour
la rejeter si ce jugement est négatif.
Cette dernière opération caractérisant ce type d’arguments, l’argumentation
pragmatique est parfois dite argumentation par les conséquences, mais elle est très
différente de l’argumentation diagnostique, qui reconstruit une cause à partir d’une
conséquence. Ici c’est non pas la cause mais l’évaluation de la cause qui est reconstruite
à partir de l’évaluation de la conséquence. V. Conséquences.
Dans le domaine scientifique, l’argumentation par la cause part d’un fait attesté,
“vous fumez”, s’appuie sur une loi statistique-causale “ fumer accroît les risques de can-
cer”, pour en déduire la conséquence “vous accroissez vos risques de cancer” ; comme
personne n’aime avoir le cancer, le jugement négatif rétroagit sur la cause “ j’arrête de
fumer”. Dans le domaine socio-politique, la déduction causale nécessaire au stade (i)
de l’argumentation pragmatique, se réduit à une suite d’éléments corrélés de façon
vaguement plausible, c’est-à-dire à un roman causal, et le plus couramment à une
simple affirmation “ceci aura pour conséquence cela”, V. Métonymie.
464 ♦ Précédent, arg.
A. C. argumente par les effets positifs qu’aura, selon elle, la légalisation de la drogue.
J.-P. J. réfute par les effets pervers. Ces effets sont dits pervers parce que la personne
qui propose la mesure ne les recherche pas, ne les souhaite pas, et son adversaire
lui en fait crédit. Dans le passage ci-dessus, J.-P. J. n’accuse pas A. C. de proposer
cette mesure pour que « beaucoup plus de gens se droguent ». Parfois on se trouve
à la marge :
L1 : — Cette politique rendra les laboratoires ingérables et conduira à leur explosion !
L2 : — C’est précisément le but recherché.
Ce cas relève de la règle no 6 de Hedge : « on ne doit pas imputer à une personne
les conséquences de sa thèse » — cas J.-P J. —, « à moins qu’elle ne les revendique
expressément » — cas du locuteur L2. Dire à quelqu’un que sa politique qu’il propose
mènera le pays à la ruine et au chaos est une argumentation par les conséquences. Dire
qu’il propose cette politique pour mener le pays à la ruine et au chaos, c’est l’accuser
de complot, V. Norme ; Règle ; Évaluation. L’accusation de poursuivre un agenda caché
renvoie également au topos du dévoilement des vraies intentions, V. Mobiles et motifs.
Précédent, arg.
L’argument du précédent correspond au topos no 11 d’Aristote. La conclusion repose
sur « un jugement (ek kriseôs) prononcé sur la même question, une question sem-
blable ou une question contraire » (Rhét., II, 23, 1398b15-25 ; trad. Chiron, p. 388).
Par “ jugement”, il faut entendre non seulement le jugement d’un tribunal, mais
Présupposition ♦ 465
toute forme d’évaluation ou de décision prise dans le passé. Et si la cause n’a pas été
tranchée au tribunal, elle peut l’avoir été par des autorités comme celles de la fable,
de la parabole ou de l’exemple, V. Ab exemplo ; Exemple. Les proverbes, les vers célèbres
sont des autorités en ce sens (Lausberg [1960], § 426).
Les jugements sont rendus dans le contexte des jugements passés, concernant
des cas “de même type”. L’importance accordée au précédent est une exigence de
cohérence entre les décisions prises, un cas particulier d’application du principe de
non-contradiction ; on se garde ainsi contre toute accusation ad hominem adressée
à l’institution, V. Ad hominem.
L’application du principe du précédent se fait selon les étapes suivantes :
(i) un problème : on est en présence d’un cas P1 à propos duquel une décision doit
être prise ;
(ii) une recherche de problèmes et de cas semblables ;
(iii) une opération de catégorisation : ce cas est analogue à un cas antérieur P0 ; il entre
dans la même catégorie que P0, V. Analogie (III) ; Catégorisation ;
(iv) la décision, le jugement, l’évaluation… E a été portée sur le cas P0 ;
(v) par application de la règle de justice, on doit porter un jugement analogue sur le
cas P1. Par “analogue”, on entend le même jugement, un jugement proportionnel ;
ou, plus simplement, un jugement cohérent avec E, V. Règle de justice.
Le recours au précédent peut être bloqué au second stade, où on peut arguer de
différences essentielles entre le cas P1 et le cas précédent P0.
L’appel au précédent est un économiseur d’énergie : le problème du jugement à
porter est résolu automatiquement dès qu’est établie l’analogie du fait problématique
à un fait déjà jugé. C’est, du même coup, un principe conservateur.
Présupposition
Un énoncé à présupposé est un énoncé élémentaire qui contient plusieurs jugements,
ayant des statuts sémantiques et discursifs différents. La notion de présupposition
peut être abordée comme un problème logique ou un problème langagier.
Le rejet du présupposé est agressif, et cette polémicité est inscrite dans ce fait de
langue. C’est un cas particulier du refus de l’interlocuteur d’inscrire sa parole dans
le cadre du formatage opéré par le locuteur, c’est-à-dire de résistance à la persuasion.
V. QUESTION CHARGÉE ; CONDITIONS DE DISCUSSION ; PERSUASION.
— fonction explicative : elle rend compte d’un fait certain, en l’intégrant dans un
discours cohérent (histoire ou démonstration) ; d’un ensemble de faits certains (his-
toire-récit) ;
— fonction épistémique : elle fonde une croyance justifiée, permettant ainsi d’ac-
croître et de stabiliser les connaissances ;
— fonction esthétique : elle est relativement évidente, et si possible élégante ;
— fonction rhétorique : elle convainc ;
— fonction psychologique : elle élimine le doute et inspire confiance ;
— fonction dialectique : elle élimine la contestation et clôt le débat ; la preuve obtenue
par démonstration n’est pas remise en cause facilement ;
— fonction sociale : elle doit rasséréner la communauté concernée, dans le domaine
judiciaire particulièrement ; a contrario, la preuve exclut : les fous, les passionnés,
les faibles d’esprit rejettent la preuve qu’on leur apporte ;
— fonction professionnelle : elle fonde un consensus légitime dans la communauté
compétente, qui définit la problématique, stabilise la forme de la preuve et l’accomplit
en la ratifiant.
La preuve ne peut en rien être caractérisée comme un bloc d’évidence que l’on pour-
rait opposer à l’argument.
Un violent reproche :
« Qui te rend si hardi de troubler mon breuvage ?
Dit cet animal plein de rage :
Tu seras châtié de ta témérité.
Le délit est présupposé (tu troubles mon breuvage). La demande d’explication sur les
mobiles ([qu’est-ce] qui te rend si hardi) semble laisser à l’agneau une possibilité de
justification, mais elle est immédiatement suivie de la condamnation (tu seras châtié
de ta témérité). Cette prise de parole est mystérieuse : pourquoi le loup parle-t-il ?
Il pourrait simplement mettre à profit la nourriture qu’il quêtait et qu’il rencontre
enfin ; il pourrait manger l’agneau comme l’agneau boit l’eau. L’agneau répond par
un constat d’évidence, V. Évidence :
— Sire, répond l’agneau, que Votre Majesté
Ne se mette pas en colère ;
Mais plutôt qu’elle considère
Que je me vas désaltérant
Dans le courant,
Plus de vingt pas au-dessous d’Elle,
Et que par conséquent, en aucune façon,
Je ne puis troubler sa boisson.
La conclusion est rigoureuse, puisque les lois physiques sont telles que le ruisseau ne
remonte jamais à sa source. Mais “concluant” ne signifie ni “impossible à contredire” :
470 ♦ Preuve et arts de la preuve
Cette deuxième, puis une troisième attaque sont également repoussées de façon
concluante :
— Comment l’aurais-je fait si je n’étais pas né ?
Reprit l’Agneau, je tette encor ma mère.
— Si ce n’est toi, c’est donc ton frère.
— Je n’en ai point. — […]
Et l’on conclut que les bonnes raisons ne déterminent pas le cours de l’histoire :
Là-dessus, au fond des forêts
Le loup l’emporte, et puis le mange,
Sans autre forme de procès.
gnée que comme une démonstration, ce qui contribue à brouiller la distinction théo-
rique qu’on peut tenter d’établir entre les concepts de preuve et de démonstration.
— Démontrer et prouver admettent des complétives en que et posent que leur objet
est vrai : “Pierre a prouvé, démontré que Paul était le vrai coupable”. Argumenter ne pose
pas la vérité de son complément, ni l’aboutissement du procès :
Pierre [*argumente ??] soutient que Paul est le vrai coupable.
Pierre argumente dans le sens d’une reprise des relations diplomatiques.
Il semble que la relation de argument à preuve est une distinction aspectuelle, celle
d’inaccompli à accompli : argumenter n’est pas plus une forme faible de prouver que
chercher n’est une forme affaiblie de trouver. La preuve est le “terminator” de l’argument.
— Preuve, argument et démonstration peuvent cependant fonctionner en
co-orientation, comme des quasi-synonymes, dans bien des contextes : l’avocat se
livre à une belle démonstration dans laquelle il apporte des preuves décisives et des
arguments convaincants. Cet usage met en continuité argument et preuve, la preuve
étant le terme auquel aboutit l’argument : elle constitue « a knock-down argument »
(Hamblin 1970, p. 249). La preuve est l’intention, la visée ou le sens de l’argument.
— Des marqueurs de position. Ces termes, qu’on pourrait considérer comme des
quasi-synonymes, peuvent, dans le débat, apparaître clairement comme des mar-
queurs de positions argumentatives. Dans le domaine judiciaire, le juge entend les
dires et les arguments des parties ; chacune de ces parties apporte (ce qu’elle considère
comme) des preuves et rejette celles qu’apporte son adversaire comme des arguties.
On n’a plus affaire à des synonymes, mais à des antonymes anti-orientés. La diffé-
rence entre la preuve, l’argument, et l’argutie devient une simple question de point de
vue ; la valeur probante se confond avec l’appréciation positive que j’accorde à mon
argumentation et que je refuse à celle de mon adversaire. D’une façon générale,
une objection polie est forcément présentée comme un simple argument ; argument
est alors un “adoucisseur lexical” de preuve, son usage manifeste une distance, un
moindre engagement du locuteur dans son discours.
La distinction démonstration / preuve / argument paraît avant tout sensible à
la présence ou à l’absence de contre-discours. C’est ce qui explique le fait que l’on
retrouve l’usage du terme argument aux deux extrémités de l’activité scientifique,
lors de l’apprentissage, et dans les controverses les plus pointues sur les questions
ouvertes, où les discours les plus armés théoriquement ou techniquement reprennent
le statut d’argument, du simple fait qu’il y a désaccord.
On pourrait allonger la liste des preuves dites non techniques. Par exemple, le
miracle constitue une forme de persuasion non technique, à une autre époque, dans
une autre culture. Au premier Moyen Âge, l’ordalie, ou jugement de Dieu, était de
même supposée faire éclater la vérité de manière non technique : si l’accusé traversait
le brasier et en sortait vivant, il était innocenté ; s’il mourrait, c’est qu’il était coupable
et qu’il l’avait donc bien mérité.
À l’époque contemporaine, il faut joindre à la liste les preuves apportées par la
police scientifique, par exemple les tests ADN.
Prééminence des preuves non techniques — Dans les cas courants, les faits, les
documents, les témoins, soit les preuves matérielles, permettent de trancher le dif-
férend : « quand une des parties disposait de preuves non techniques l’affaire était
claire pour les juges, et on n’avait besoin que de peu de paroles » (Vidal 2000, p. 56).
La preuve factuelle est de toute évidence essentielle dans le domaine judiciaire, le
langage jouant bien entendu un rôle important dans la présentation des faits. Mais
lorsque dans un procès on ne dispose d’aucun élément de preuve factuelle ; on doit
alors avoir recours, faute de mieux, aux preuves relevant de la “technique” rhétorique.
Preuves “techniques” ♦ 477
Pour atteindre ces buts – non seulement faire croire, mais aussi orienter la volonté
et déterminer l’action – la technique rhétorique exploite trois types de moyens ou
d’instruments, qu’on appelle parfois “preuves” (pistis). Sont définies comme techniques
les preuves ou moyens de persuasion rhétoriques (logos, éthos, pathos) ; sont non
techniques les preuves externes au discours. Les exemples étayant cette distinction
sont étroitement liés au domaine judiciaire. V. Preuves “techniques” et “non tech-
niques” ; Preuves “techniques”.
Aristote distingue trois types de preuves discursives « techniques » (inhérentes
au discours) : les unes résident dans le caractère (éthos) de l’orateur ; les autres dans la
disposition de l’auditoire (pathos), d’autres enfin dans le discours lui-même, lorsqu’il
est démonstratif, ou qu’il paraît l’être (logos) (Rhét., I, 2, 1356a1).
Les preuves logiques sont de type discursif, les preuves éthotiques et pathémiques
sont de type discursif et para-discursif. Dans cette série, le mot preuve (argument,
pistis) doit s’interpréter comme “instrument d’influence”, de persuasion, d’action
sur l’auditoire. La mise en série de preuves éthotiques (V. Éthos), pathémiques et
logiques revient à définir la preuve rhétorique comme tout stimulus, verbal ou non
verbal, capable d’induire une croyance, V. Persuasion.
Cicéron assigne trois buts à l’orateur : prouver, plaire, émouvoir (probare, conciliare,
movere) (De l’or., II, XXVII, 115 et note ; p. 53 ). Prouver relève du logos ; conciliare,
traduit par “plaire”, de l’éthos, et émouvoir, du pathos.
Le catéchisme rhétorique nous apprend ainsi que la persuasion complète est
obtenue par la conjonction de trois “opérations discursives” : le discours doit d’abord
enseigner par le logos, c’est-à-dire informer (raconter, narrer) et argumenter ; cet ensei-
gnement emprunte la voie intellectuelle vers la persuasion, celle de la preuve et de la
déduction. Mais information et argumentation sont, d’une part, menacées par l’ennui
et l’incompréhension, il faut donc, donner aux auditeurs des indices périphériques
de vérité : ce sera la fonction de l’éthos (“tu ne comprends rien, mais tu peux me faire
confiance…”). D’autre part, elles ne suffisent pas à déclencher le “passage à l’acte”,
d’où le recours au pathos. Il ne suffit pas de voir le bien, il faut encore le vouloir ; les
stimuli émotionnels quasi physiques, qui constituent le pathos sont les déterminants
de la volonté, V. Émotion ; Pathos ; Persuasion.
Par opposition aux preuves objectives du logos, on parle parfois de preuves sub-
jectives pour désigner les moyens de pression et d’orientation éthotiques et pathé-
miques ; seules les preuves logiques méritent ce nom de preuve, car, d’une part, elles
seules répondent à la condition de propositionalité (elles s’expriment dans une pro-
position examinable indépendamment de la conclusion qu’elle soutient) et d’autre
part, elles traitent centralement des objets. Éthos et pathos sont des approches
périphériques de la question.
Preuves “techniques” ♦ 479
De même, Quintilien :
« Et, de fait, les arguments naissent, la plupart du temps, de la cause et la meil-
leure cause en fournit toujours un plus grand nombre, de sorte que si l’on gagne
grâce à eux, on doit savoir que l’avocat a seulement fait ce qu’il devait. Mais faire
violence à l’esprit des juges et le détourner précisément de la contemplation de la
vérité, tel est le propre rôle de l’orateur. Cela le client ne l’enseigne pas, cela n’est
pas contenu dans les dossiers du procès. […] le juge pris par le sentiment cesse
totalement de chercher la vérité. » (I. O., VI, 2, 4-5 ; p. 23-24)
La question de l’impact de l’émotion sur le jugement n’est autre que celle des relations
entre preuves logiques et moyens de pression éthotiques et pathémiques. Alors que
les arguments logiques agissent sur la représentation, le pathos emporte la volonté (à
la limite contre les représentations), c’est ce qui en fait quelque chose de sacré, un peu
surhumain, un peu démoniaque. Cette architecture des “preuves” et de leur action est
totalement dépendante d’une théorie classique du fonctionnement de l’esprit humain,
qui oppose la raison à l’émotion, la vérité et la représentation à l’action et la volonté.
480 ♦ Principe de coopération
On notera que Périclès vaincu adresse son discours persuasif au public, et non pas
à son vainqueur, qui le maintient solidement au sol. La situation argumentative est
bien tripolaire.
Principe de coopération
Selon H. P. Grice, l’intelligibilité de la conversation est régie par
« un principe général que les participants sont supposés (ceteris paribus) respecter,
qui s’énonce comme suit : “ faites que votre contribution à la conversation soit telle
qu’elle est attendue, au stade où elle est produite et en fonction du but commun ou de
l’orientation de l’échange auquel vous participez” » (1975, p. 45).
peut se dire d’un énoncé ou de la proposition logique bien formée qui le sous-tend,
selon la célèbre définition de Tarski « “la neige est blanche” est vrai si et seulement si
la neige est blanche » (Tarski [1935]), qui prend pour exemple un énoncé qu’Aristote
présente comme indiscutable (non problématisable ; Top., 105a ; trad. Tricot, p. 28 ;
V. Conditions de discussion.
Si l’on admet qu’en langage ordinaire vrai et faux se disent d’un énoncé décri-
vant un événement, cet énoncé renvoie à l’événement à travers une description qui
constitue la signification de l’énoncé ; cette signification est un construit linguistique.
Le langage ordinaire n’est pas transparent ; l’énoncé vrai est tributaire du système
linguistique qui le constitue et des contraintes du discours dans lequel il entre.
Dans le champ de l’argumentation, le vrai est une propriété que l’argumentateur
s’efforce d’attacher à ses arguments en les présentant comme réalisant le consensus,
ou comme portés par l’évidence sensible ou intellectuelle. La vérité n’est une condi-
tion ni nécessaire ni suffisante du consensus. Elle n’entraîne pas le consensus ; et le
consensus peut se réaliser sur une erreur. V. Arguments et Conclusion.
L’argumentation est parfois dépréciée pour sa prétendue faiblesse à dire et à
transmettre le vrai. Il faut distinguer argumentations de savoir et argumentations
d’action. Dans les premières, la question est celle de la transmission du vrai à la
conclusion. Dans les secondes, il s’agit de dériver une proposition d’action à partir
du vrai, du possible et d’un ensemble de valeurs et de préférences.
Du point de vue de l’argumentation dialoguée, le vrai est une propriété attribuée à
un énoncé qui a survécu à l’examen critique, mené, dans des circonstances adéquates,
par les groupes intéressés et compétents. Cet examen a lieu dans un contexte social
donné, sur la base de données dont la qualité et l’exhaustivité doivent être évaluées.
Il a pour caractéristique d’être construit et révisable si l’on obtient d’autres infor-
mations, V. Argumentation (V).
et la bonne manière de conduire les âmes est renvoyée à un temps futur où enfin on
connaîtra l’être de toutes choses et la vérité :
« Tant qu’on ne connaîtra pas la vérité sur chacune des questions dont
on parle et sur lesquelles on écrit ; tant qu’on ne sera pas capable de dé-
finir toute chose en elle-même ; tant que, après avoir défini cette chose,
on ne saura pas, à l’inverse, la diviser selon ses espèces jusqu’à ce qu’on
atteigne l’indivisible ; tant que, après avoir selon la même méthode ana-
lysé la nature de l’âme et découvert l’espèce de discours qui correspond
à chaque nature, on ne disposera et on n’organisera pas son discours en
conséquence – en offrant à une âme complexe des discours complexes
et qui correspondent exactement à ce qu’elle demande, et des discours
simples à une âme simple –, on restera incapable de manier le genre ora-
toire avec autant d’art que sa nature le permet, voilà ce que nous a révélé
toute la discussion précédente. »
Platon, Phèdre, 277b., trad. Brisson, Paris,
Garnier-Flammarion, p. 184.
Le vraisemblable est “semblable au vrai”. Mais pour dire que P est vraisemblable, c’est-
à-dire semblable à l’événement ou à l’affirmation E, il faut connaître E. La position
de Socrate est forte en ce qu’elle s’appuie sur l’impossibilité de dire de façon sensée
A ressemble à B,
Pierre ressemble à Paul,
mon récit ressemble à ce qui s’est vraiment passé
si l’on ne connaît pas B, ne sait pas qui est Paul, ou ce qui s’est vraiment passé.
Lorsqu’on a trouvé la vérité on pourra parler en vérité et vivre dans la vérité ; la
rhétorique adaptée à cette situation ne sera plus une rhétorique de la persuasion
mais une pédagogie de la vérité. D’après Perelman, « quand Platon rêve, dans le
Phèdre, d’une rhétorique qui, elle, serait digne du philosophe, ce qu’il préconise,
c’est une technique qui pourrait convaincre les dieux eux-mêmes (Platon, Phèdre,
273c) » (Perelman, Olbrechts-Tyteca [1958], p. 9). Dans le passage cité, il ne s’agit
pas vraiment de convaincre les dieux, mais plutôt de détourner l’homme sensé des
autres hommes :
484 ♦ Probable, vraisemblable, vrai
« Ce n’est pas pour parler et pour entretenir des rapports avec les hommes que
l’homme sensé se donnera toute cette peine, mais pour être capable de dire ce
qui plaît aux dieux et d’avoir, en toute chose, une conduite qui les agrée, autant
que faire se peut. » (Phèdre, 273e ; trad. Brisson, p. 175)
Socrate a ainsi imposé le pathos de la vérité inaccessible, avec pour corollaire que
le discours rhétorique se construit toujours sur du vraisemblable, c’est-à-dire comme
du simili-vrai, contre la vérité. Au fond, on attribue à la rhétorique argumentative la
fonction de persuasion un peu comme un stigmate marquant son incapacité congé-
nitale à atteindre et même à approcher la Vérité, l’Être et les Dieux. Le vraisemblable
n’a pas de rapport avec le vrai. Vivre dans la persuasion c’est vivre dans la croyance et
l’opinion, vivre dans la caverne et non pas dans la vérité. Cette vision apparemment
indéracinable de l’argumentation rhétorique, c’est-à-dire langagière, est ancrée dans
la critique antidémocratique et antisociale que Socrate adresse aux discours institu-
tionnels politiques et judiciaires, où sont traités les problèmes de la Cité.
en quatrième lieu, la rhétorique falsificatrice ne fonctionne pas: « le vrai et le juste ont
naturellement plus de force que leurs contraires » (ibid., p. 120) ; et, en supplément,
il est possible d’établir un contrôle éthique sur la parole : « on ne doit pas persuader
de ce qui est mal » (ibid., p. 121).
Le vraisemblable est donc défini non pas comme du faux portant le masque du
vrai, mais comme une orientation positive vers la vérité, un premier pas vers la vérité,
s’exprimant sous la forme d’un endoxon, qui doit être mis à l’épreuve de la critique,
c’est-à-dire travaillé argumentativement dans des discours antiorientés. Il s’ensuit
que la persuasion est tout simplement un état de l’individu dans sa démarche vers la
vérité, un premier pas vers une vérité construite, graduelle et améliorable.
Progrès, arg.
Par définition, “le progrès avance” : l’argument du progrès valorise l’ultérieur comme
étant le meilleur ; si F2 vient après F1, alors F2 est préférable à F1, V. Syzygie.
L’argument du progrès réfute les appels aux anciens et toutes les formes d’au-
torités qu’ils appuient. C’est un puissant instrument de critique des pratiques an-
ciennes : elles sont dépassées du simple fait qu’elles viennent avant. Les pratiques
contemporaines qui les revendiquent et les continuent sont dites rétrogrades. Pour
condamner une telle pratique, par exemple la corrida, dans un premier temps, on la
catégorise avec d’autres pratiques (brûler les chats, organiser des combats de coqs, clouer
les chouettes sur les portes des granges, prendre des rats pour cible au jeu de fléchette).
Dans un second temps, on ordonne temporellement ces catégories, on constate que
les plus anciennes sont sorties des usages et on en conclut que la marche de l’histoire
condamne également les corridas :
« On ne brûle plus les chats sur les parvis des cathédrales, les combats
d’animaux ont été interdits en 1833, on ne cloue plus les chouettes et les
rats ne sont plus crucifiés comme cibles au jeu de fléchettes. Quoi qu’en
disent les milieux taurins, la corrida avec mise à mort est condamnée.
Le Monde, 21‑22 sept. 1986
486 ♦ Progrès, arg.
Argument de la nouveauté
Prolepse
Lorsqu’il intervient dans l’espace argumentatif ouvert par une question, le locu-
teur peut choisir de mettre ses arguments et ses conclusions en relation avec un
contre-discours qu’il prévoit et qu’il rejette. Le locuteur anticipe sur la parole d’un
opposant qu’il met en scène polyphoniquement, ou évoque des objections qui lui ont
été adressées par un opposant réel, en une autre occasion. Ce contre-discours n’est
pas cité, mais reconstruit par l’argumentateur. Dans les deux cas, il enlève les mots
de la bouche de l’opposant, en utilisant une stratégie de parade par phagocytage des
objections ou de la réfutation que l’on sent poindre : “ je sais (mieux que vous) ce que
vous allez me dire”. La prolepse reformule le contre-discours, avec un degré indéter-
miné de distorsion, selon qu’il est cité à la lettre ou vaguement évoqué, esquissant un
simulacre d’objection, qui peut être cadré comme un épouvantail qui s’auto-réfute,
V. Représentation du contre-discours dans le discours.
Le degré de rejet du contre-discours est lui-même variable : il peut être radicale-
ment rejeté comme absurde (“s’agit-il de ruiner tous les petits épargnant ? Non, bien au
contraire, et pour bien des raisons…”), ou maintenu dans toute sa force, jusqu’à plus
ample information. En ce sens, la composante Modalisateur-Réfutation du modèle
de Toulmin est réinterprétable comme un cas particulier de prolepse, V. Modèle de
Toulmin.
Les énoncés circonstanciels concessifs-réfutatifs, les énoncés coordonnés par
mais sont de ce type, mais la structure proleptique couvre des schémas discursifs
plus amples, dont la configuration correspond à la mise en scène de deux discours
anti-orientés, avec identification du locuteur à l’un des énonciateurs ; elle représente
le développement maximal de l’argumentation monologale, V. Destruction ; Conces-
sion ; Réfutation.
La rhétorique utilise plusieurs termes pour décrire cette situation. L’antéoccupa-
tion désigne une structure réfutative, composée d’une prolepse, qui évoque la position
d’un opposant réel ou fictif, suivie d’une hypobole, qui réfute cette position (Molinié
1992, art. Antéoccupation), ou qui exprime la position effectivement soutenue par le
locuteur. Lausberg ([1963], § 855) mentionne avec le même sens, les termes de préoc-
cupation, où pré- est un préfixe ayant le sens de anté-, “par avance” ; de procatalepsis ; et
de métathèse, comme configuration discursive par laquelle le locuteur « rappelle aux
auditeurs des faits passés, leur présente les faits à venir, prévoit les objections » (La-
rousse du XXe siècle, cité in Dupriez 1984, p. 290 ; le terme de métathèse désigne éga-
lement le déplacement d’une lettre ou d’un son à l’intérieur d’un mot). V. Concession.
488 ♦ Proportion
Proportion
BB En grec le mot analogia signifie “proportionnalité”, comme le latin pro-
portio.
La notion de proportion est définie comme une analogie portant non pas entre des
individus mais sur des relations entre deux rapports (ou davantage).
Un rapport est une relation entre deux termes a/b, c/d/ e/f, 3/5, 2/3, 3/4… L’ana-
logie de proportion met donc en jeu au moins quatre termes. Elle est notée :
a/b ~ c/d/
2/3 = 14/21
D’une façon générale, l’analogie de proportion affirme que deux couples d’êtres sont
liés par le même genre de relation :
écaille : poisson ~ plume : oiseau
gant : main ~ chaussure : pied
chef : groupe ~ pilote : navire
V. Analogie.
Psychologique ♦ 489
Proposition
1. Au sens grammatical, la proposition correspond à un segment de discours organisé
autour d’un verbe conjugué à un mode fini ayant un sujet propre.
2. En logique, une proposition est un jugement dont on peut dire qu’il est vrai ou
faux, V. Logique classique (II).
3. En théorie de l’argumentation, la proposition est spécifiquement l’acte carac-
téristique du rôle de proposant. Les deux sens précédents sont également usités,
V. Argument – Conclusion ; Rôles argumentatifs.
Six formes sont plus précisément analysées, trois formes relevant de la logique et
trois des mathématiques :
« Nous analyserons, parmi les arguments quasi-logiques, en premier lieu ceux qui
font appel à des structures logiques – contradiction, identité totale ou partielle,
transitivité ; en second lieu ceux qui font appel à des relations mathématiques
– rapport de la partie au tout, du plus petit au plus grand, rapport de fréquence.
Bien d’autres relations pourraient évidemment être examinées » (1976, p. 261).
remarque que cette catégorie inclut toutes les stratégies argumentatives mettant en
jeu des phénomènes langagiers comme la négation, les échelles, les stéréotypes défi-
nitionnels : c’est le système de la langue qui est considéré comme une quasi-logique.
V. Définition ; Catégorisation ; Justice ; Réciprocité ; Relations ; Composition et divi-
sion ; Proportion.
Selon la définition traditionnelle, une fallacie est une argumentation qui ressemble
à une argumentation valide mais qui ne l’est pas ; on remarque la similarité avec
l’expression du Traité : les arguments quasi-logiques « se présentent comme com-
parables » aux raisonnements formels, mais ne le sont pas ; V. Fallacies ; Logique ;
Typologies (III).
Question
La théorie de l’argumentation utilise la notion de question dans quatre acceptions.
1. Une question biaisée ou chargée est une question avec présupposition, corres-
pondant à la fallacie de plusieurs questions, V. Question chargée.
2. Une question topique est un élément d’une topique substantielle, V. Topique
substantielle.
3. La question argumentative matérialise la confrontation discursive autour de
laquelle se configure une situation argumentative, V. Question argumentative.
4. Une question rhétorique, au sens traditionnel du terme, correspondant à une
des stratégies de monologisation de la Question argumentative, V. Question argu-
mentative.
Question argumentative
La notion de “question argumentative” a son origine dans la notion de stase, dévelop-
pée pour l’interaction judiciaire, théorisée par l’argumentation rhétorique. V. Stase.
D’une façon générale, une question argumentative est produite au point où les
discours (écrits ou oraux) se développant sur un même thème, divergent du point
de vue même des locuteurs, qui sortent du procès collaboratif de co-construction
Question argumentative ♦ 493
Le locuteur P est dans le rôle argumentatif de proposant. Les locuteurs alignés sur
cette proposition sont ses alliés dans ce rôle.
S’opposer — D’autres locuteurs s’opposent à la proposition :
O : — C’est absurde !
Le locuteur O est dans le rôle argumentatif d’opposant. Les locuteurs disposés à tenir
ce type de discours de rejet vis-à-vis de la proposition sont ses alliés dans ce rôle.
Douter et s’interroger : la question argumentative — Certains locuteurs ne
s’alignent pas sur l’un ou l’autre de ces discours ; ils se trouvent dans la position de
tiers, transformant ainsi la confrontation en question :
T : — On ne sait plus qu’en penser. Faut-il maintenir l’interdit sur tous ces produits ?
De cette manière, la doxa qui “va sans dire” est amenée à se justifier. Le discours de
l’opposant se schématise selon les mêmes principes que celui du proposant, mais
alors que le proposant présente une argumentation délibérative, projective, celle de
l’opposant, en faveur du maintien de l’existant, est justificative, V. Justification et
délibération.
3. La situation argumentative
Dans une situation argumentative stabilisée, proposants et opposants sont également
amenés à apporter des arguments positifs et à réfuter. Cette situation peut ainsi se
schématiser :
discours argumentant (construisant)
la réponse R1 et rejetant (réfutant) la réponse R2
question
argumentative
contre-discours, argumentant (construisant)
la réponse R2 et rejetant (réfutant) la réponse R1
L’argumentation est vue comme un mode de construction des réponses à une ques-
tion recevant des réponses incompatibles et se trouvant ainsi à la source d’un conflit
discursif.
Tous les actes sémiotiques produits dans cette situation sont orientés vers cette
Réponse-conclusion : c’est un fait de cohérence argumentative.
Question argumentative ♦ 495
les diverses interventions qui lui apportent des réponses. Dans les textes monolo-
cuteurs dialogiques, la parole de l’autre est reconstruite dans le discours propre. Le
locuteur peut prendre en charge, sous diverses modalités polyphoniques, l’ensemble
des données discursives situationnelles, y compris la question.
En prenant seul en charge le jeu question-réponse, l’énonciateur transforme
le dialogue en monologue. Ce phagocytage de la parole des autres, opposants ou
tiers, lui permet de s’avancer sous divers caractères discursifs (V. Éthos) en redis-
tribuant à sa guise les rôles argumentatifs de proposant, d’opposant, et de tiers.
Les interlocuteurs qui préfèrent l’accord (acceptent de s’inscrire dans la suite idéale
proposée) sont contraints d’assumer soit le discours de la question, soit celui de la
réponse, soit les deux. Le produit de cette stratégie est analysé comme figure de
phrase par la rhétorique, qui y voit une tactique de camouflage de l’assertion sous
un voile interrogatif ; elle peut revêtir trois formes, l’interrogation [interrogatio] ; la
subjection [subjectio, lat. subjectio, « action de mettre sous, devant » (Gaffiot [1934],
art. Subjectio), ici : soumettre à l’auditoire] (Lausberg [1960], § 766-779) ; la dubitation
[lat. dubitatio, “doute”]. Ces trois formes correspondent à trois “éthos” différents :
la figure de celui qui sait, le maître ou le despote (interrogatio) ; celle de l’enquêteur
qui cherche et trouve (subjectio) ; celle du douteur, qui erre et s’interroge (dubitatio).
Cette opération détermine par contrecoup, les figures assignées aux interlocuteurs,
tiers ou opposants : le sujet dominé, l’élève, le partenaire.
Question tranchée par l’évidence — C’est le cas de l’interrogation dite rhétorique
(interrogatio). Le locuteur prend possession de la question et la “désambiguïse”, au
sens argumentatif du terme, en lui imposant une réponse unique. Il prend la position
de celui qui sait et enferme la réponse dans sa question. L’interlocuteur est placé
dans la position du tiers, en fonction de l’évidence de la réponse. L’opposant est
placé dans la position basse de l’élève ou du sujet et mis au défi, par une forme de
raisonnement par l’ignorance. Le but de la stratégie d’interrogatio est de signifier
qu’“il n’y a pas de problème”.
Question tranchée de façon justifiée (subjectio) — La question est présentée comme
nécessitant une clarification plutôt qu’une argumentation, comme explicative plutôt
qu’argumentative, V. Explication. Les autres réponses et le contre-discours éventuels
sont maîtrisés ou passés sous silence. Le locuteur prend la place de l’enquêteur qui
pose la bonne question et la résout objectivement. L’interlocuteur est mis en posi-
tion d’assumer la question directrice et les réponses avancées selon une logique de
co-construction pédagogique.
Question ouverte (dubitatio) — Le locuteur se donne maintenant la place du tiers,
de l’ignorant qui doute. Par une forme d’inversion des rôles, l’interlocuteur est placé
dans la position haute de l’auxiliaire ou du conseiller (Lausberg [1960], § 766 sv).
Dans tous ces cas, il ne s’agit pas de faire entendre la parole de l’interlocuteur pour la
détruire (V. Destruction), mais de la prévenir pour la canaliser ou pour se l’approprier,
via un repositionnement de la question.
Question chargée ♦ 497
Question chargée
BB Lat. fallacia quæstionis multiplicis ; ang. loaded questions, many questions.
Le problème des questions chargées (on dit aussi questions fourrées ou questions mul-
tiples) est examiné par Aristote dans le cadre de l’échange dialectique, où elles sont
considérées comme une manœuvre discursive fallacieuse, V. Fallacieux (III). Une ques-
tion est dite chargée si, en la posant « on réunit plusieurs questions en une seule »
(Aristote, R. S., 167b35 ; p. 22). Les questions chargées sont des questions contenant
des présuppositions qu’elles imposent à leur interlocuteur, V. Présupposition :
L1 : — Vous devriez vous interroger sur les raisons de l’échec de votre politique.
L2 : — Mais ma politique n’a pas échoué !
1. Transduction
La notion de raisonnement transductif a été élaborée par Piaget ([1924], p. 185) dans
la perspective d’une analyse du développement de l’intelligence chez l’enfant. Le
raisonnement transductif est caractérisé comme un mode de pensée prélogique et
intuitif du jeune enfant.
C’est un raisonnement qui passe directement d’un individu ou d’un fait particu-
lier à un individu ou un autre fait particulier, sans l’intermédiaire d’une loi générale.
D’après Grize, « le jeune enfant qui dit “Ce n’est pas l’après-midi parce qu’il n’y a pas eu
de sieste” s’appuie sur son expérience quotidienne qui fait de la sieste un ingrédient de
l’après-midi » procède par transduction (1996, p. 107). Il n’y aurait aucune loi générale
sous jacente de la forme “qui dit après-midi dit sieste”, “nous sommes dans l’après-midi
seulement s’il y a eu sieste”. On peut comprendre que ce raisonnement transductif est
le produit d’une association par conditionnement “sieste = après-midi”, qui donne,
par application du topos des contraires : “pas sieste = pas après-midi”. Tout se passe
comme si “ faire la sieste” était un trait essentiel définitoire de “être l’après-midi”.
Grize fait observer que probablement les adultes utilisent aussi ce type de rai-
sonnement : « lorsque nous disons que nous nous sommes arrêtés au feu parce qu’il
était au rouge, […] notre pensée ne passe pas par l’intermédiaire d’une loi générale
du genre : “tout feu de la circulation de couleur rouge implique arrêt” » (ibid.). Dans ce
dernier cas en effet l’énoncé a la forme d’un « bloc sémantique » (Carel 2011) : “Ré-
ponse parce que Stimulus”. Mais l’adulte n’applique pas la négation comme l’enfant :
“ce n’est pas un feu rouge puisque je ne me suis pas arrêté”. On raconte cependant qu’un
500 ♦ Rationalité
Rationalité — Rationalisation ► Critique — Rationalités
— Rationalisation
Réciprocité, arg.
La relation de réciprocité est définie sur un ensemble d’actes liant deux personnes,
pour lesquels si A fait telle chose à B, alors B fait la même chose à A. C’est le principe
du “retour d’ascenseur”.
En mathématiques, la relation de réciprocité correspond à la relation de symétrie :
une relation est symétrique dans le domaine où elle est définie, si, pour toutes les
paires d’éléments < a, b >, on a à la fois < aRb > et < bRa >. La relation “être l’ami
de” est symétrique, V. Relation :
Réfutation ♦ 501
Pierre est l’ami de Paul = Paul est l’ami de Pierre = Pierre et Paul sont amis.
Les individus Pierre et Paul sont égaux pour cette relation. Le principe de réciprocité
agit comme une contrainte :
Si tu m’invites à dîner, je dois t’inviter à dîner.
Réciprocité comme loi du talion : œil pour œil, dent pour dent : “si ton amoureux
déçu t’a défigurée au vitriol, le tribunal t’accorde le droit de le traiter de même”. La loi
du talion est une règle de “ justice” selon laquelle si A a causé un dommage à B, il
est légitime pour B de causer le même dommage à A. La dissuasion nucléaire, qui
repose sur la certitude de destruction réciproque, réactualise le principe du talion.
Cette forme correspond à un cas particulier de l’argument “Toi aussi !”, V. Toi aussi !
La réciprocité comme principe de morale naturelle s’énonce par les topoi :
Faites aux autres ce que vous voudriez qu’ils vous fassent,
ne faites pas aux autres ce que vous ne voudriez pas qu’ils vous fassent.
Le locuteur se définit lui-même et définit son partenaire comme des membres d’une
même catégorie, qui doivent être traités de la même manière, V. Règle de justice.
La réciprocité comme principe juridique permet aux états d’affirmer leur égalité
dans leurs relations, et éventuellement de justifier une mesure de rétorsion “si le pays
A exige un visa des ressortissants du pays B, il est juste que le pays B exige également un
visa des ressortissants du pays A”.
Réfutation
L’objectif de la réfutation, sous sa forme radicale, est la destruction du discours
attaqué ; tous les éléments caractérisant le discours en situation peuvent être utilisés
ou manipulés afin de le présenter comme intenable, V. Destruction.
La réfutation s’exerce dans le cadre général du rejet motivé d’un discours, V. Cri-
tique ; c’est un acte réactif, allant de la réfutation argumentée jusqu’à la simple
dénégation d’une affirmation ou d’une imputation.
Du point de vue de l’usage, réfuter tend à désigner toutes les formes de rejet expli
cites d’une position, à l’exception des propositions d’action : on réfute des thèses, des
opinions prétendant à la vérité, mais on repousse plus qu’on ne réfute(?) un projet ; les
accusations peuvent être réfutées ou repoussées.
Du point de vue scientifique, une proposition est réfutée s’il est prouvé qu’elle est
fausse (le calcul dont elle dérive contient une erreur, elle affirme quelque chose qui
est contradictoire avec les faits observés…). Du point de vue du dialogue ordinaire,
502 ♦ Réfutation
une proposition est réfutée si, après avoir été discutée, elle est abandonnée par l’ad-
versaire, explicitement ou implicitement ; il n’en est plus question dans l’interaction.
La réfutation ne peut être traitée qu’en dialogue. Le discours monogéré ne connaît
que la concession : il n’y a pas de subordonnées réfutatives, et les subordonnées
concessives ramènent la réfutation à l’objection.
V. Représentation du discours.
Changement d’orientation argumentative — L’enchaînement rejetant les présup-
posés désoriente le discours et son locuteur, V. Orientation ; Présupposition.
— L’argument peut être admis comme tel, reconnu pertinent pour la conclusion
mais trop faible, de mauvaise qualité :
Réfutation ♦ 503
— L’argument peut être rejeté car sans pertinence pour la conclusion, V. Pertinence :
L1 : — Il est très intelligent, il a lu tout Proust en trois jours.
L2 : — L’intelligence n’a rien à voir avec la vitesse de lecture.
L’adverbe “ justement (pas)” substitue un topos à un autre (Ducrot et al. 1982), V. Orien-
tation :
Règles
Trois concepts de règle interviennent dans le cadre de l’argumentation.
— Règles exprimant des régularités observationnelles : « Dans une conversation,
en général [as a rule], les seconds tours non préférés sont marqués par [tels et tels
traits] » (SIL, art. Dispreferred second part).
— Règles comme expression de normes (au sens impératif).
— Règles comme des façons de bien faire : comment s’y prendre pour faire bien
quelque chose, depuis la recette de la crème anglaise, jusqu’aux scripts de lancement
d’une fusée : comment s’y prendre pour convaincre une personne d’acheter quelque
chose, pour résoudre rapidement un différend, pour résoudre rationnellement un
différend.
Les argumentations, en dialogue ou en monologue, peuvent s’évaluer sur la base de
systèmes de règles très différents.
Relations, arg.
Une relation est un prédicat R à deux places associant deux objets, a et b, et notée
< aRb >, V. Logique (II). Trois propriétés générales servent à caractériser les relations,
la symétrie, la transitivité, la réflexivité.
Relations, arg. ♦ 509
L’exigence de symétrie est une autre forme de la règle de justice. V. Règle de justice ;
Réciprocité.
2. Réflexivité
Une relation est réflexive si elle lie a à lui-même ; autrement dit si < aRa >.
Être contemporain est une relation réflexive : a est strictement contemporain de
lui-même. La relation causale n’est pas réflexive pour le commun des mortels : seul
Dieu est causa sui, sa propre cause – bien qu’il soit possible d’être fils de ses œuvres.
La relation de réflexivité peut être exploitée ad hominem. Le principe “charité bien
ordonnée commence par soi-même” force la réflexivité de la relation faire la charité à ;
de même on peut utiliser l’amour des autres pour inciter à l’amour de soi :
Toi qui aimes la terre entière, tu ferais bien de t’aimer toi-même !
3. Transitivité
Une relation est transitive si, lorsqu’elle lie a à b et b à c, elle lie aussi a à c ; autrement
dit, si < aRb et bRc > implique que < aRc >.
Si a aime b, et si b aime c, alors a n’aime pas forcément c, la relation aimer n’est
pas transitive. La relation être le père de n’est pas transitive, mais être un ancêtre de
510 ♦ Répétition
est transitive dans une même lignée : si a est un ancêtre de b et si b est un ancêtre de
c, alors a est un ancêtre de c.
Les inférences fondées sur la transitivité d’un prédicat font partie des automa-
tismes argumentatifs exploités par l’argumentation quotidienne ; elles sont mobili-
sables toutes les fois qu’on positionne au moins trois objets sur une échelle graduée :
Si a est plus grand, plus vieux, plus riche… que b
et b plus grand, plus vieux, plus riche… que c,
alors a est plus grand, plus vieux, plus riche… que c.
Répétition
BB La preuve par la répétition est parfois métonymiquement désignée par
effet, désigné sous son nom latin, arg. ad nauseam, du lat nausea “nausée,
dégoût”. Ang. proof by assertion.
1. La répétition peut porter sur n’importe quel segment signifiant, du mot jusqu’au
discours coupé-collé. En particulier, elle peut reprendre une argumentation com-
plète : les argumentaires proposent des schémas discursifs qui doivent être répétés
au travers de tous les degrés de reformulation, V. Script argumentatif.
2. La répétition à intention argumentative porte sur une seule affirmation, pré-
sentée comme exprimant une évidence immédiate nécessairement vraie. Les argu-
ments ne sont pas sous-entendus, mais soigneusement évités, et c’est ce qui fait la
force spécifique de la répétition, V. Évidence. On ne peut parler d’argument par la
répétition que si l’on définit l’argumentation par la persuasion.
Du point de vue de l’évaluation des arguments, cette forme de répétition est
considérée comme une fallacie, et même comme la fallacie par excellence, puisqu’elle
impose l’acceptation d’un énoncé non seulement sans justification, mais contre toute
justification, V. Affirmation.
La force de la répétition pour faire admettre une affirmation a été soulignée par
le sociologue Gustave Le Bon :
Cette dernière remarque montre que la répétition produit une illusion de légitima-
tion par l’autorité du grand nombre, V. Consensus.
Représentation du discours ♦ 511
Représentation du discours
Le discours argumentatif construisant ou justifiant une position rencontre des dis-
cours qui le réfutent, qui contre-argumentent en justifiant ou construisant une autre
position. Chacun de ces discours fonctionne comme contre-discours de l’autre. Ils
peuvent faire référence l’un à l’autre, selon une gamme de possibilités.
(i) La citation explicite référencée fixe la cible de la réfutation en précisant ce qui a
été dit, quand et par qui cela a été dit. Cette forme de citation est caractéristique du
régime poppérien de la réfutation, adressée à la lettre à ce qui a été dit. Le texte cité
peut l’être à toutes les fins que le citeur juge utiles, qui ne se bornent certainement
pas à la citation d’autorité. Néanmoins, le cité peut refuser de se reconnaître dans la
citation ; il peut objecter en contre-accusant son contradicteur de fallacie d’omission
d’éléments pertinents (V. Circonstances) ayant trait par exemple au découpage de la
citation, ou à la place de la citation dans son système.
Dans ce premier cas il existe un texte source. Dans les suivants, l’existence d’un
tel texte est problématique.
(ii) La citation indirecte de la position citée est présentée par le citeur comme une
reformulation paraphrasant le dire originel ou le reformulant pour le clarifier. Le
cité peut rétorquer que la reformulation est tendancieuse ou caricaturale, c’est-à-dire
qu’elle contient une réinterprétation de sa position lui faisant dire ce qu’il n’a jamais
dit. V. Orientation.
(iii) L’allusion au discours contraire a la forme d’une trace qui permet de repérer
le discours contraire, sans que l’on puisse désigner précisément l’auteur visé. Son
caractère vague la garantit contre la réfutation.
(iv) La citation par anticipation correspond au mécanisme de la prolepse, V. Prolepse.
Le décalage entre ce qu’a dit le citeur et ce que lui fait dire la citation est à la base de
la fallacie dite de l’homme de paille ou de l’épouvantail.
Épouvantail et homme de paille
La réfutation poppérienne doit porter sur “ce que l’autre a vraiment dit”. Cette exi-
gence a un sens clair dans le cas des affirmations cadrées de type scientifique, écrites
et référencées. Même dans ce cas, ce que l’autre a vraiment dit doit être contextualisé,
sous peine de fallacie d’omission de circonstances pertinentes ; en outre, il n’est pas
évident de déterminer dans quelle mesure quelqu’un a dit ce qu’il est possible d’inférer
de la lettre de ce qu’il a dit.
Autrement dit, dans la plupart des cas, ce que l’autre a vraiment dit est non pas un
préalable mais un enjeu de l’argumentation. La “strawman fallacy” est une accusation
de représentation défectueuse du discours contraire. L’expression est une métaphore
sur le substantif strawman, qui désigne :
1. Un homme de paille, une personne servant de couverture pour une opération
douteuse.
512 ♦ Respect, arg.
Respect, arg.
BB Argument ad reverentiam, lat. reverentia “crainte respectueuse” ; ang.
argument from respect.
Le respect est un sentiment projeté par l’autorité, quelle qu’elle soit ; si la personne
P est revêtue ou investie d’une autorité A, alors P a, dans ce rôle, droit au respect et le
devoir de faire respecter l’autorité A. Dans la correspondance que le citoyen ordinaire
entretient avec une forme majeure d’autorité, celle de l’état, il doit l’assurer de ses
sentiments respectueusement dévoués. L’autorité est exercée sur des personnes qui
doivent s’y soumettre ; on doit s’incliner, voire se courber devant l’autorité, c’est-à-
dire faire ce qu’elle exige sans murmurer. L’autorité demande des sujets respectueux,
voire humbles. V. Autorité ; Modestie ; Fallacies comme péchés de langue. L’argument
du respect est invoqué par une personne ou une institution qui s’estime porteuse d’un
ordre et d’une autorité et qui estime qu’on ne respecte pas ses prérogatives.
Le problème surgit lorsque cette prétention à l’autorité n’est pas reconnue comme
légitime par tout le monde. C’est le cas, dans notre société, des autorités religieuses.
Par une montée en abstraction, le droit au respect est revendiqué pour toutes les
croyances en général, et pour la sienne en particulier. L’irrespect correspond à une
provocation, une profanation, un scandale, qui blessent gravement le croyant, le touchent
au cœur ; une insulte, un affront dont il est fondé à demander justice devant les au-
torités civiles.
Une œuvre photographique de l’artiste américain Andres Serrano intitulée Im-
mersion Piss Christ, mettant en scène un crucifix trempé dans l’urine de l’artiste, a été
vandalisée dimanche 17 avril 2011 dans les locaux de la collection d’art contemporain
Rétorsion ♦ 513
« Les autorités locales n’ont-elles pas entre autre pour mission d’assurer
le respect de la foi des croyants de toute religion ? Or une telle œuvre reste
une profanation qui, à la veille du vendredi saint où nous ferons mémoire
du Christ qui a donné sa vie pour nous en mourant sur la Croix, nous
touche au plus profond de notre cœur. »
Il est amplifié dans l’ensemble de la protestation, qu’il structure (souligné par nous) :
Rétorsion
Perelman définit la rétorsion comme un cas d’incompatibilité résultant du fait que
« l’affirmation d’une règle est incompatible avec les conditions ou les consé-
quences de son assertion ou de son application : on peut qualifier ces arguments
d’autophagie. La rétorsion est l’argument qui attaque la règle en mettant l’au-
tophagie en évidence. […] l’action implique ce que les paroles nient » (Perelman
1977, p. 83-84).
Un énoncé peut ainsi s’auto-réfuter, comme il peut, par ailleurs, s’auto-certifier. V. Argu
mentation (IV) ; converse.
Rhétorique argumentative
La rhétorique argumentative part d’une compétence naturelle, la compétence de
parole générale, et la travaille en l’orientant vers les pratiques langagières institu-
tionnelles. Elle combine des capacités énonciatives et interactionnelles.
2. Le « catéchisme »
La rhétorique argumentative a constitué, sous diverses formes, la colonne vertébrale
de l’enseignement dans le monde occidental au moins jusqu’à l’époque moderne. Au
Moyen Âge, l’argumentation rhétorique est un des trois arts de la parole constituant
le trivium (grammaire, logique, rhétorique), propédeutique au quadrivium (géométrie,
arithmétique, astronomie, musique).
La rhétorique a construit d’elle-même une représentation normalisant aussi bien
le procès de production du discours que son produit, le discours prononcé :
— cinq moments de la production du discours, invention, disposition, élocution, mé-
moire, prononciation ;
— trois types de discours, délibératif, épidictique, judiciaire ;
— trois actants : l’interaction rhétorique est fonctionnellement tripolaire, elle
rassemble « l’orateur qui veut persuader, l’interlocuteur qu’il doit persuader, et son
contradicteur qu’il doit réfuter » (Fumaroli 1980, p. III) ;
— trois types de preuves correspondant à trois types d’action coorientées sur le
public : l’orateur cherche à plaire par l’image de soi projetée dans son discours, ou
éthos ; à informer, enseigner, par la logique de son récit et de son argumentation, ou
logos ; à émouvoir, par son pathos ;
— traditionnellement, les actes visant à produire ces effets sont concentrés dans les
moments stratégiques du discours. L’introduction est le moment éthotique, l’orateur
se rend agréable au public ; la narration et l’argumentation sont les lieux du logos, il
informe et argumente ; la conclusion ferme le discours sur une envolée pathémique,
par laquelle il espère arracher la décision.
Cicéron a disposé les concepts de la rhétorique ancienne sous la forme ques-
tion-réponse dans les Divisions de l’art oratoire, « toute semblable à un catéchisme »,
comme le note Bornecque (Introduction à Cicéron, Div., p. VII). La rhétorique a
peut-être souffert de sa mise en système, prétendument pédagogique, sous forme de
listes rigides énumérant des distinctions supposées claires et distinctes : la rhétorique
de la présentation de la rhétorique est singulièrement figée.
Le mot latin inventio ne signifie pas “inventer” au sens moderne de “créer” quelque
chose qui n’existait pas auparavant. Le sens est celui de « trouver, découvrir » (Gaffiot
[1934], art. Inventio). Le sens ancien subsiste dans l’expression juridique qui désigne
comme “l’inventeur d’un trésor” celui qui l’a découvert.
La recherche psycho-linguistique sur la production du discours écrit et oral a
pris le relais de la réflexion sur les techniques de l’inventio.
L’argumentation religieuse a introduit un changement fondamental dans la tech-
nique de production des arguments en les tirant non plus d’une ontologie naturelle
mais du texte sacré fondationnel et, à un degré moindre, des textes de la tradition.
Le prédicateur médiéval utilisait des encyclopédies. C’est une méthode de travail
peut-être plus moderne, en tout cas complémentaire de celle qui consiste à rechercher
des arguments dans le fonds commun de l’esprit humain.
V. Personne ; Topos ; Topique ; Typologies ; Script.
Disposition, dispositio — « La disposition [dispositio] ordonne et répartit les argu-
ments » (À Her., ibid.). Cet ordre de succession des arguments est un moment de la
planification de l’argumentation.
Ces deux premières étapes, inventio et dispositio, sont d’ordre linguistico-cognitif.
Expression, elocutio — « Le style [elocutio] adapte, à ce que l’invention fournit, des
mots et des phrases appropriées » (À Her., ibid.). Le terme “style” utilisé dans la
traduction risque d’évoquer un arrangement superficiel de l’expression. L’elocutio
est plus que cela, elle correspond à la “mise en langue” des arguments, à leur séman-
tisation, correspondant à la totalité de l’expression linguistique.
Le mot latin elocutio et le mot français contemporain élocution sont des faux amis.
L’élocution correspond à une certaine qualité de la voix, qui relève donc de l’action
oratoire (pronuntiatio).
L’elocutio est caractérisée par quatre qualités, la correction grammaticale (latini-
tas), la clarté du message (pour l’interlocuteur (perspicuitas), l’adaptation du message
aux circonstances sociales de l’énonciation (aptum), et enfin sa richesse figurale et
stylistique (ornatus).
Mémorisation, memoria — Le discours doit être mémorisé puisqu’il est supposé
être délivré oralement, sans le support d’un document papier ou d’un prompteur.
Comme l’invention, la mémoire met en jeu des facteurs cognitifs. L’enjeu civilisa-
tionnel de ce travail de mémorisation, qui pourrait paraître anecdotique, a été révélé
par Yates ([1966]).
Action oratoire, pronuntiatio — « L’action oratoire [pronuntiatio] consiste à dis-
cipliner et à rendre agréables la voix, les jeux de physionomie et les gestes » (À Her.,
ibid.).
Le mot latin pronuntiatio renvoie non seulement à ce processus physique de
production et de modulation de la parole, mais exprime en outre l’idée d’affirmer le
Rhétorique argumentative ♦ 517
discours (Gaffiot [1934], art. Pronuntiativus) ; c’est une « déclaration, annonce, propo-
sition ». C’est en ce sens que le juge ne “dit” pas la sentence, il la prononce.
La tradition rhétorique voit la pronuntiatio comme le moment de la performance,
de la délivrance, de la spectacularisation du discours. La technique rhétorique est
ici celle du corps, du geste, de la voix. Les contraintes de l’action rhétorique pèsent
également sur le rhéteur, sur l’acteur ou le prédicateur, même si le statut social des
différents exercices et des orateurs est très différent (Dupont 2000).
En résumé, chercher des arguments, les mettre en ordre, les exprimer par écrit :
les prescriptions rhétoriques forment un système pédagogique facile à saisir sinon
à mettre en pratique, que l’on invoque toujours pour la dissertation de bureau sans
document.
se détournant des discours sociaux pour aller vers les belles-lettres, et se passionne
pour une pensée exclusive des figures. L’argumentation, renvoyée à la pensée, n’est
plus considérée comme le moment fondamental du processus discursif ; elle est rejetée
hors rhétorique et hors langage.
Le problème est alors celui d’un langage sans pensée et d’une pensée sans lan-
gage. C’est ce type de rhétorique orpheline qui sera l’objet des violentes attaques de
Locke, V. Rhétorique fallacieuse. C’est également elle, dont Fontanier ([1827], [1831])
serait, au xixe siècle, la figure emblématique, que Genette qualifie de « restreinte »
(1970), en opposition à l’ancienne rhétorique dite « générale ». Douay a montré que
la situation était plus complexe, et que la position de Fontanier n’était pas forcément
représentative ni du développement théorique ni des pratiques scolaires rhétoriques
au xixe siècle (Douay 1992, 1999).
La question d’une renaissance de la rhétorique, sous l’une ou l’autre de ses formes,
est un topos des études de rhétorique – topos étant pris au sens de Curtius, V. Topos.
— Généralisation de la dimension langagière. La rhétorique restreinte au langage
est elle-même généralisée : cette expression paradoxale correspond à l’approche du
Groupe µ, qui reprend la question des figures (de l’elocutio) dans le cadre d’une
méthodologie linguistique inscrivant la rhétorique dans la langue, sous ses deux axes,
syntagmatique et paradigmatique, sous la forme d’une Rhétorique générale (1970).
Cette rhétorique exploite une vision structuraliste de la langue, qui ne touche pas
aux questions d’argumentation, de parole, d’interaction ou de communication, ni
d’ailleurs à l’esthétique des figures.
La Rhétorique générale était pratiquement la seule prise en compte dans la litté-
rature francophone en rhétorique des années 1970, où le Traité de l’Argumentation
n’occupait qu’une position marginale ; Wenzel a consacré un paragraphe vengeur à
la vision « alarmante » que, selon lui, elle donne de la rhétorique (1987, p. 103 ; voir
Klinkenberg (1990, 2001).
— Extension à la parole ordinaire. La rhétorique de la parole étend l’approche rhé-
torique à toutes les formes de parole, dans la mesure où elles impliquent un mode de
gestion des faces des interactants (éthos) ; un traitement des données orienté vers une
fin pratique (logos) ; un traitement corrélatif des affects (pathos) (Kallmeyer 1996).
La trilogie rhétorique peut ainsi être considérée comme l’ancêtre des différentes
théories sur les fonctions du langage (Bühler 1933 ; Jakobson 1963).
Dans des cadres théoriques totalement distincts, cette extension conserve une
caractéristique fondamentale de la parole rhétorique, celle d’être marquée par l’ur-
gence d’une action pour laquelle il faut passer par le langage. Dans le cadre des études
rhétoriques développées aux États-Unis au sein des Speech Departments, cette vision
élargie de l’urgence rhétorique correspond à la définition de Bitzer :
« On peut définir les situations rhétoriques comme des complexes de personnes,
d’événements, d’objets et de relations présentant une urgence [exigence] actuelle
Rhétorique fallacieuse ? ♦ 519
Rhétorique fallacieuse ?
L’opposition entre une rhétorique des figures et une rhétorique des arguments est
une survivance et une exacerbation de la distinction entre les deux moments fon-
damentaux de la rhétorique ancienne, l’invention, la mise au point des arguments
et leur expression. La rupture entre inventio et elocutio est généralement attribuée
à Ramus. Seules l’elocutio et l’actio relèveraient du langage rhétorique ; l’inventio, la
dispositio et la memoria devraient être réaffectées, en toute indépendance, à la pensée,
nous dirions à la cognition. Cette opposition devenue populaire entre, d’un côté, un
discours orné, figuré, ou rhétorique et, d’un autre côté, un discours argumentatif qui
serait idéalement sans sujet ni figure, a été fortement réaffirmée par Locke, dans la
perspective moderne d’un discours visant à la « préservation et au développement de
la vérité et du savoir » (voir infra). L’antagonisme a été poussé jusqu’au rejet mutuel
du discours de plaisir et du discours de raison, du discours agent de jouissance et du
discours patient, soumis à la raison. V. Figure.
De Man a montré que l’enjeu est ici le statut de la langue naturelle en science et
en philosophie : « il semble parfois que Locke aurait souhaité par-dessus tout pou-
voir se passer [forget about] complètement du langage, aussi difficile que cela puisse
paraître dans un essai consacré à l’entendement » (1972, p. 12). Mais cette remarque
n’invalide pas directement la thèse de Locke, car il est possible de considérer que cette
thèse porte sur le langage ordinaire et sur sa capacité à porter les nouvelles formes
Rhétorique fallacieuse ? ♦ 521
non ambigu, sans défaut ni excès, exactement proportionné à la nature des choses,
en d’autres termes, transparent (ad judicium, Locke [1690]). La vérité doit sortir nue
du puits ; les figures qui prétendent l’orner, en fait la voilent. Les ornements sont
pires que les fallacies, ils en sont la source et le masque.
Avec cette définition, l’argument de la richesse n’a rien à voir avec l’argument du por-
tefeuille, vu comme une forme d’argumentation par le châtiment et la récompense,
V. Châtiments et récompenses.
On utilise parfois l’expression latine ad Lazarum ; Lazare est une figure biblique
parangon de la pauvreté. On peut rapprocher l’argument de la pauvreté d’autres
formes d’argumentation, comme la parole du petit peuple, celle du paysan du Danube
de La Fontaine, ou la parole vraie qui sort de la bouche des petits enfants.
L’adage vox populi vox dei, “la voix du peuple est la voix de Dieu”, qui sous-tend
l’argument ad populum prend sa garantie dans l’argument de la pauvreté comme
dans celui du nombre.
Malgré le nom latin pittoresque de la seconde, ces deux formes d’arguments sont
extrêmement courantes et également redoutables.
524 ♦ Rire et Sérieux
Rire et Sérieux
Le rire et le sérieux sont la réalisation de deux états psychiques antagonistes. Le rire
est du côté de l’émotion positive ; il s’oppose aux larmes mais aussi au sérieux du côté
du calme, V. Émotion, Éthos ; le rire est du côté de la rhétorique et le sérieux du côté de
l’argumentation. Dans une situation argumentative dialogale, rire et sérieux corres-
pondent à des stratégies de positionnement de la parole : si l’autre fait rire, on répond
par un discours sérieux ; s’il attaque avec un grand sérieux, on répond en (le) faisant rire.
L’ouvrage de Lucie Olbrechts-Tyteca Le comique du discours (1974) est consacré à
l’exploitation comique des mécanismes argumentatifs.
– les rôles de groupes restreints : rôle de chef, corrélatif des rôles de membres
(l’encourageur, le médiateur, le négateur, l’isolé, le meneur…) ;
– les rôles personnels : tous les modèles personnels présentés par la presse, la
radio, le cinéma (la vedette, la star…).
La notion de rôle socio-interactionnel est aussi indispensable et aussi complexe que,
dans un autre domaine, celle de genre de discours ou d’interactions. La prise en
charge de ce rôle par une personne constitue un élément de son éthos, V. Éthos.
Le tiers peut être le mou et l’indécis, mais aussi celui qui refuse son assentiment
à l’une comme à l’autre des thèses en présence, et maintient le doute ouvert afin de
pouvoir se prononcer “en connaissance de cause”. En ce sens, et conformément aux
données les plus classiques, le juge représente une figure prototypique du tiers. Sont
également dans cette position les acteurs qui considèrent que les forces argumen-
tatives en présence s’équilibrent, ou, plus subtilement, que même si l’une semble
l’emporter, l’autre ne peut être tenue pour nulle. À la limite, le tiers aboutit à la figure
du sceptique méthodologique, qui n’exclut absolument aucune vision des choses.
La prise en compte du tiers et de la question argumentative au titre d’éléments clé
de l’échange argumentatif permet de laisser aux actants la pleine et entière respon-
sabilité de leurs discours ; l’un répondra “non !” l’autre “oui ! mais si !” sans qu’aucun
des deux ne puisse être systématiquement accusé de tenir des discours manipulateurs
ou d’être de mauvaise foi.
L’attribution des rôles de proposant et d’opposant à des acteurs supposés col-
ler strictement à ces rôles tout au long d’une rencontre est une fiction. Dans une
interaction authentique, les rôles argumentatifs correspondent non pas à des rôles
permanents mais à des positions [footing] au sens de Goffman (1987, chap. 3), en
particulier, en ce qu’ils sont labiles. Dans un même tour de parole, un acteur peut
être dans un rôle de tiers et dans un rôle de proposant relativement à une question
(affirmer une position tout en en manifestant un certain doute à son sujet), ou sur
un rôle de proposant sur une question et d’opposant sur une autre question.
1. Schème
— L’expression schème d’argument [traduction de l’ang. argumentative scheme] est
employée parfois au sens de “topos” ou de “type d’argument”, V. Topos.
— Le schème logique d’une argumentation correspond à la forme logique d’une
argumentation en langue naturelle, V. Logique classique (IV).
2. Schéma
— On parle de schéma de l’argumentation en général pour désigner une représenta-
tion graphique de la structure (des traits essentiels) d’une argumentation, simple ou
complexe : V. Modèle de Toulmin ; V. Épichérème ; Convergence ; Liaison ; Série.
— Schéma d’une question argumentative, V. Script argumentatif.
3. Schématisation
La logique naturelle utilise le terme de schématisation pour désigner le résultat de la
mise en discours d’une situation par un sujet, V. Schématisation.
Schématisation
L’étude des schématisations est l’objet central de la logique naturelle développée par
Jean-Blaise Grize. Cette logique est dite naturelle par opposition à la logique formelle :
532 ♦ Schématisation
d’une part, c’est une « logique des objets » (1996, p. 82) et une « logique des sujets »
(Grize 1996, p. 96) ; d’autre part, elle porte sur des processus de pensée, dont la langue
nous fournit les traces. Ces processus obéissent à des mécanismes spécifiques, que
la logique naturelle se propose d’étudier à travers les notions de schématisation et
d’organisation raisonnée, produites dans le cadre d’un dialogue.
L’argumentation ne surgit pas avec l’enchaînement des énoncés dans un discours ; elle
se construit à toutes les étapes de la production de l’énoncé, dès la première opération
qui aboutira à la construction d’un discours signifiant, donc « raisonné ». Tout énoncé,
ni plus ni moins que toute succession cohérente d’énoncés (qu’elle soit argumentative
au sens traditionnel, descriptive, ou narrative) est une argumentation en ce qu’elle
construit un point de vue ou « schématisation », dont l’étude constitue l’objet de la
logique naturelle. Cette conception aboutit à reconsidérer l’information comme
argumentation ; c’est une autre façon de mettre l’argumentation, comme source de
la signification, dans la langue et dans tous les discours, V. Argumentation (I) – (IV).
Grize définit la logique naturelle comme « l’étude des opérations logico-discur-
sives qui permettent de construire et de reconstruire une schématisation » (1990,
p. 65) ; « elle a pour tâche d’expliciter les opérations de pensée qui permettent à un
locuteur de construire des objets et de les prédiquer à son gré » (1982, p. 222).
La notion de schématisation définie comme une « représentation discursive »
« orientée vers un destinataire de ce que son auteur conçoit ou imagine d’une cer-
taine réalité » (1996, p. 50), « de ce dont il s’agit » (1990, p. 29). Une schématisation
est un discours qui présente à l’auditeur un « micro-univers » se donnant pour « un
reflet exact de la réalité » (ibid., p. 36), qui construit, « aménage » (ibid., p. 35) une
signification synthétique, cohérente, stable. La schématisation a pour fonction « de
faire voir quelque chose à quelqu’un » (1996, p. 50) ; « schématiser […] est un acte
sémiotique : c’est donner à voir » (ibid., p. 37). L’objet de la logique naturelle est l’étude
des modalités de construction de ces images.
Cette notion est d’un grand intérêt pour l’étude de l’argumentation au stade de
la confrontation discours / contre-discours :
Schématisation ♦ 533
L1 : — Ces remplaçants, vous allez les payer avec l’argent des grévistes.
L2 : — C’est pas l’argent des grévistes, c’est l’argent des contribuables.
est construit, à partir des notions primitives associées à image et à flou, notées /flou/
et /image/, par la succession d’opérations suivantes.
— Opération de constitution des notions primitives en objets de discours ou
classes-objets, que le discours va enrichir d’éléments liés culturellement ou linguis-
tiquement à l’élément de base de la classe-objet (1982, p. 227). La classe-objet cor-
respond au faisceau d’objet pour un texte donné (1990, p. 86-87). Le texte construit
la classe-objet (image, bord de l’image), ainsi que le couple prédicatif (être flou, ne pas
être flou).
— Opérations de caractérisation : elles produisent des « contenus de jugements »
ou prédications, et sont accompagnées de modalisations, opérées sur les classes-
objets. Ici, le contenu de jugement est “que le bord de l’image être tout à fait flou”.
— Opérations d’énonciation : le contenu de la prédication est pris en charge par
un sujet et produit un énoncé. Ici : “il est regrettable que le bord de l’image soit tout à
fait flou”.
— Opération de configuration : ou de liaison de plusieurs énoncés, au niveau de
l’enchaînement discursif. L’opération d’étayage est une opération de configuration
particulière. Ici, l’énoncé produit est coordonné par et avec un second énoncé, produit
selon un mécanisme similaire, “cela doit être corrigé”.
Les objets ainsi schématisés vont évoluer au fil du discours, V. Objet de discours.
Les opérations dites de « configuration » , c’est-à-dire de composition d’énoncés
où la tradition voit l’essence de l’argumentation, interviennent en dernier lieu (1990,
p. 66). Le grand intérêt de cette approche est de souligner que toutes les opérations que
l’on peut distinguer dans la genèse de l’énoncé ont également valeur argumentative.
Ces différentes opérations du langage ou de l’esprit peuvent être mises en relation
avec des notions de logique classique, V. Logique (I) – (IV) :
534 ♦ Schématisation
Situation de communication
Schématisation
construit reconstruit
A aide à la reconstruction B
en fonction de en fonction de
finalité finalité
repr repr
PCC PCC
Im(A), Im (T), Im(B) : le locuteur construit dans son discours son image, celle
de son interlocuteur et celle de la situation. Il y a une construction stratégique de
Script argumentatif ♦ 535
Script argumentatif
Dès que les questions restent ouvertes, elles attirent les arguments, les contre-
arguments et les réfutations. Ces ensembles se stabilisent en argumentaires et scripts
argumentatifs, à la disposition des acteurs prenant position sur cette question, que
ce soit dans la position (le rôle) de proposant ou d’opposant.
2. Script
Le script argumentatif attaché à une question est constitué par l’ensemble des
arguments et des réfutations standards mobilisés par l’une ou l’autre partie lorsque
la question est débattue. Le script correspond à la conjonction des argumentaires
des parties en présence.
Le script argumentatif correspond à l’état de la question argumentative. Il est
susceptible d’être actualisé un nombre de fois indéterminé, sur une grande variété
de sites. Il préexiste et informe les discours argumentatifs concrets, dont il constitue
un élément déterminant, mais non unique. Il recueille les arguments sur le fond, de
façon relativement indépendante des circonstances spécifiques aux rencontres par-
ticulières. Il peut cependant inclure des caractéristiques génériques des intervenants
dans le débat et des considérations sur les conditions dans lesquelles il se déroule.
L’argument “la sécurité sociale est en crise” fait partie de l’argumentaire anti-
immigration ; sa réfutation “vous manquez de générosité/ soyons généreux” relève de
l’argumentaire pro-immigration. Un argument visant la personne, comme “et c’est
vous qui portez des diamants qui osez nous parler de la crise de la sécurité sociale !” ne
fait pas partie du script, l’interlocuteur ne portant pas forcément de diamants.
Script et invention — La notion de script modifie largement l’idée héritée selon
laquelle les arguments sont “inventés”. Ils peuvent l’être dans certains cas, mais ils
ne le sont pas dans l’argumentation socio-politique, en philosophie, et dans toutes
les disciplines où il existe un “état de la question”. Dans ces domaines, les argu-
ments ne sont pas trouvés mais hérités, fourni “clés en main”. Le travail du locuteur
consiste à prendre connaissance du script qui correspond à la question à laquelle il
est confronté, puis à jouer sa partition, c’est-à-dire à mettre en parole, actualiser et
amplifier l’argumentaire auquel il s’identifie et qu’il prend en charge, autrement dit
à effectuer un parcours sur le script. Ce fait a des répercussions sur la conception
de l’activité argumentative, et valorise l’information préalable à la discussion, ainsi
que les capacités d’expression et de style de l’argumentateur.
Carte argumentative — Le script argumentatif peut être représenté sous la forme
d’une carte argumentative. On trouvera une carte représentant une fraction du script
correspondant à la question “Les ordinateurs peuvent-ils penser ?” à l’adresse : [http://
web.stanford.edu/~rhorn/a/topic/phil/artclISSAFigure1.pdf] ; consulté le 29 sep-
tembre 2013).
Sens vrai du mot, arg. ♦ 537
1. Dans certains textes modernes, sous l’intitulé « du lieu de l’étymologie » sont
décrits des phénomènes qui se rattachent au lieu des dérivés (Dupleix [1607], p. 303),
V. Dérivés.
2. Au sens contemporain, l’étymologie d’un terme correspond au sens de la racine
historique la plus ancienne que l’on puisse identifier dans l’histoire de ce mot. L’ar-
gumentation par l’étymologie exploite la signification de cette racine en considérant
que ce sens ancien correspond au sens vrai et permanent de ce mot, qui a été altéré
par l’évolution historique pour donner le sens contemporain, trompeur et fallacieux.
À partir de ce sens ancien, elle procède comme l’argumentation par la définition,
V. Définition (III) :
Cicéron dans les Topiques définit l’argument « ex notatione » (VIII, 35 ; p. 78), traduit
par “argument par l’étymologie”. Cette traduction prend le mot étymologie au sens du
mot en grec ancien, “vrai”, le “vrai” sens étant non pas le sens originel, mais celui qui
est reconstruit par l’analyse correcte du mot dans son domaine d’application. L’un
des exemples d’argumentation discutés par Cicéron traite d’un conflit d’interpréta-
tion d’un terme juridique composé (encore en usage actuellement), le postliminium,
« droit de rentrer dans sa patrie » (Top., VIII, 36 ; p. 78), c’est-à-dire du droit qu’a un
prisonnier rentrant dans sa patrie de récupérer ses biens et son état antérieur à sa
captivité. La discussion de Cicéron porte sur l’établissement du sens correct du mot,
en s’appuyant sur sa structure linguistique, sans allusion claire à son étymologie au
sens contemporain du terme.
L’usage argumentatif d’un mot, particulièrement s’il relève du langage juridique,
demande que le sens du mot soit correctement établi. En français, un procès-ver-
bal contradictoire est un procès-verbal établi après que les deux parties aient été
entendues, et non pas un procès verbal qui se contredit ou qui en contredit un autre.
L’argumentation par la structure du mot enchaîne donc deux argumentations :
— La première établit la signification du mot composé sur la base de la significa-
Sens vrai du mot, arg. ♦ 539
À la recherche du vrai sens du mot crise, on peut appeler à la rescousse son équiva-
lent chinois. Le mot chinois signifiant “crise” est un composé de deux signes-mots
“danger” et “opportunité”. Donc les crises sont des opportunités ; et, par une argu-
mentation fondée sur la définition chinoise, on en déduit que :
Tout se passe comme si la langue chinoise était considérée comme ayant un meilleur
concept de crise, plus proche de l’essence de la chose et mieux adapté au monde
moderne.
Série (argumentations en —)
L’argumentation à la chaîne ou en série [serial argumentation] (Beardsley 1975 ; cité in
Wreen 1999, p. 886) est également appelée argumentation subordonnée (Eemeren et
Grootendorst 1992). C’est une argumentation où les conclusions sont utilisées comme
arguments pour une nouvelle conclusion, jusqu’à une conclusion ultime, V. Sorite.
Chacune des argumentations composant l’argumentation en série peut être simple,
convergente ou liée. L’argumentation en série se schématise comme suit :
Arg_1 � Concl_1 = Arg_2 � Concl_2 = Arg_3 � … � Concl_n
(A) Première argumentation (1) Pierre est un Taureau, donc (2) il est têtu
(A.i) : Définition technique de “être un Taureau” : « [Le Taureau] reste sur ses
positions sans accepter d’en changer » ([http://www.astrologie-pour-tous.com/
taureau.html], consulté le 20 septembre 2013).
(A.ii) : Argumentation par la définition et conclusion : « Pierre reste sur ses
positions sans accepter d’en changer ».
(A.iii) : Définition lexicale de têtu : « B.1a Qui est obstinément attaché à ses opinions,
à ses décisions ; qui est insensible aux raisons, aux arguments qu’on lui oppose. »
(TLFi, art. Têtu)
(A.iv) : (A.i) et (A.iii) sont dans une relation de paraphrase.
(A.v) : Conclusion, par substitution du défini (têtu) à la définition, (2) Pierre
est têtu.
(B) Seconde argumentation, (2) Pierre est têtu, donc (3) il ne saura pas négocier
(B.i) : Définition technique de négociation « [La négociation] implique la
confrontation d’intérêts incompatibles sur divers points (de négociation) que chaque
interlocuteur va tenter de rendre compatibles par un jeu de concessions mutuelles »
(Wikipedia, art. Conciliation, consulté le 20 septembre 2013).
(B.ii) : « Être têtu » (v. A.iii) et rentrer dans « un jeu de concessions mutuelles »
sont des contraires.
(B.iii) : On ne peut pas affirmer les contraires d’un même sujet, Pierre.
(B.iv) : Conclusion : (3) Pierre ne saura pas négocier.
ou bien :
(C.i’) : Définition technique : « le négociateur doit demeurer souple, calme, et
faire preuve de sang-froid » (Jean-Paul Guedj, 50 fiches pour négocier avec efficacité,
Bréal, p. 123).
(C.ii’) : « [la promptitude du Taureau] à accumuler aussi bien les sentiments et les
rancunes le rend capable de fortes colères » ([http://www.astronoo.com/zodiaque/
zodiaqueTaureau.html], consulté le 20 septembre 2013).
(C.iii’) : (C.i’) et C.ii’) sont des contraires.
542 ♦ Silence, arg.
(C.iv’) : On ne peut pas affirmer les contraires d’un même sujet, Pierre.
(C.v) : (3) Pierre ne saura pas négocier.
(D) Seconde argumentation, (2) Pierre est têtu, (3) il ne saura pas négocier
(D.i) : (A.iii) et (B.i) sont des contraires, voir (B.ii).
(D.ii) : On ne peut pas affirmer les contraires d’un même sujet, Pierre.
(D.ii) : Conclusion : (3) Pierre ne saura pas négocier.
Silence, arg.
BB On dit également argument a silentio ou ex silentio, du latin silentio, “si-
lence”. Ang. arg. from silence.
L’argument du silence est utilisé pour soutenir que telle ou telle chose n’a pas dû se
produire, puisqu’on n’en parle pas. V. Ignorance.
On part par exemple de la constatation que les chroniqueurs relèvent tous les
faits marquants d’une époque ; s’ils ne mentionnent pas un fait qui aurait dû at-
tirer leur attention, c’est que ce fait ne s’est pas produit. Y a-t-il eu une tempête
dévastatrice en France au cours d’une période donnée ? Si un tel fait s’était produit,
les chroniqueurs l’auraient mentionné, a fortiori, puisqu’ils mentionnent des faits
d’importance moindre. Or ils ne le mentionnent pas. Donc il n’y a pas eu de tempête
dévastatrice pendant cette période. La valeur de l’argument dépend de la qualité
de la documentation pertinente dont on dispose pour l’époque concernée. Il se
renforce considérablement si on sait que les chroniqueurs notent régulièrement les
événements atmosphériques.
À l’argument du silence, on répond par l’argument du chameau. On ne parle
pas de chameau dans le Coran. Donc il n’y avait pas de chameaux dans l’Arabie du
viie siècle. Si tel fait n’est pas mentionné, c’est peut-être parce qu’il est courant et
qu’il n’est pas pertinent pour le texte considéré.
L’argument du silence est utilisé pour la datation d’œuvres littéraires :
« Pour dater plus précisément les Lais, on les situe par rapport aux autres
œuvres de l’époque. […]
Eneas : vers 1160, Ille et Galeron : 1178, tel est le laps de temps disponible
pour Marie et ses Lais. Un argument ex silentio, que l’on invoquera avec
prudence, mais qu’il serait faux de négliger, tendrait à réduire ce laps à
sa première moitié. On ne relève chez Marie aucune trace certaine de la
lecture de Chrétien de Troyes [auteur du roman courtois Eneas]. Or j’ai
peine à imaginer, pour ma part, que, l’ayant lu, elle eût pu rester si com-
Sites argumentatifs ♦ 543
Sites argumentatifs
Certaines questions argumentatives se résolvent en un temps relativement bref (“qui
va sortir la poubelle ?”) ; d’autres ne peuvent pas se résoudre sur le plan privé et sont
portées devant des institutions spécialisées et réglées. On peut appeler sites argumen-
tatifs les lieux plus ou moins dédiés et institutionnalisés, où sont organisés les débats
autour de questions argumentatives, en fonction des normes et usages d’une culture.
Les interventions argumentatives qui s’y déroulent sont planifiées notamment par les
conventions qui caractérisent le site, en tout premier lieu la codification spécifique
des tours et des droits à la parole, V. Règles.
Soit la dispute sur la légalisation de la drogue en France ; elle peut être agitée en
des lieux aussi divers que le compartiment de métro, la table familiale, le bistrot du
coin, la salle polyvalente, la salle du parti où est mise au point la position officielle,
l’Assemblée nationale, la commission des lois, etc ; certains de ces forums sont des-
tinés à l’expression des disputes et ont pouvoir décisionnaire, d’autres non, et visent
plutôt l’amplification du débat que sa clôture.
La question cruciale de la charge de la preuve est liée non seulement à l’état de
l’opinion générale (la doxa) au moment de la discussion, mais aussi au site où se tient
la discussion. V. Charge de la preuve.
Le concept de site, ou d’espace argumentatif, avec son accompagnement institu-
tionnel et son règlement concret, doit être pris en compte pour l’analyse de l’exercice
social de l’argumentation. Cette approche située permet de dépasser une vision
idéalisée de l’argumentation comme exercice soumis aux seules loi de la raison dia-
lectique, réglant les échanges verbaux entre deux acteurs artificiellement a-socialisés,
V. Rôles.
Le texte suivant est extrait d’un discours prononcé par Alfredo Cristiani en 2002.
Alfredo Cristiani a été président du Salvador de 1989 à 1994. Sous sa présidence ont
été signés les accords de paix de Chapultepec, qui mettaient fin, en 1992, à la guerre
civile entre l’extrême droite et la guérilla marxiste qui durait depuis 1980. Son dis-
cours de 2002 a été prononcé à l’occasion du dixième anniversaire de la signature
de ces accords.
pas plus qu’elle n’a été le fruit de volontés isolées. Cette crise si doulou-
reuse et tragique a d’anciennes et profondes racines sociales, politiques,
économiques et culturelles. Par le passé, une des failles pernicieuses de
notre forme de vie nationale fut l’inexistence ou l’insuffisance des espaces
et des mécanismes nécessaires pour permettre le libre jeu des idées, le déve-
loppement naturel des différents projets politiques qui découlent de la
liberté de penser et d’agir, en bref, l’absence d’un véritable cadre de vie
démocratique. »
Discours d’Alfredo Cristiani pour la cérémonie anniversaire de
la signature des Accords de paix, [http://www.elsalvador.com/
noticias/especiales/acuerdosdepaz2002/nota18.html], consulté le
20 septembre 2013 (nous soulignons).
« Phèdre : — Mais où veux-tu que nous allions asseoir pour faire cette
lecture [du discours de Lysias] ?
Socrate : — Tournons par ici et descendons l’Ilissos ; nous nous assoi-
rons tranquillement à l’endroit qui nous plaira.
Phèdre : — J ’ai bien fait, je vois, de venir pieds nus ; pour toi, tu l’es
toujours ; ainsi nous pourrons très bien entrer dans l’eau
et nous baigner les pieds, ce qui ne sera pas désagréable,
surtout en cette saison, à cette heure.
Socrate : — Avance donc, et cherche en même temps un endroit pour
nous asseoir.
Phèdre : — Vois-tu là-bas ce platane si élevé ?
Socrate : — Eh bien !
Phèdre : — Il y a là de l’ombre, une brise légère et du gazon pour nous
asseoir ou, si nous voulons, pour nous coucher.
Socrate : — Avance donc !
Phèdre : — Dis-moi, Socrate, n’est-ce pas ici près, au bord de l’Ilissos,
que Borée enleva, dit-on, Orythye ?
Socrate : — On le dit.
Phèdre : — N ’est-ce donc pas ici ? Ce mince courant paraît si charmant,
si pur, si transparent, et ses bords sont si propices aux ébats
des jeunes filles ! »
Platon, Phèdre, II, 228b-229c, Le Banquet. Phèdre ;
trad. Chambry, p. 87-88.
Sophisme, sophiste ♦ 545
Sophisme, sophiste
On parle de sophismes et de sophistes dans deux contextes bien distincts, en philo-
sophie et dans le langage ordinaire.
Il est évident que ce discours n’est pas fait pour convaincre Ctèsippe qu’il est fils et
frère de chien. Le discours sophistique ne trompe pas ses auditeurs, il les plonge
dans le désarroi ou la fureur.
Les problèmes mis en évidence par les sophistes ne sont pas tous résolus, non
seulement sur le plan logique, comme le paradoxe du menteur, mais également sur
la question des premiers devoirs de l’homme, sont-ils définis directement envers les
personnes, ou envers la société ?
Sorite
BB Le mot sorite est formé à partir du mot grec soros, signifiant “tas”.
Un sorite est un discours qui avance par réitération de la même forme.
Un enchaînement de causes-effets, engendreurs-engendrés — A est la cause de
B, qui est la cause de C, qui est la cause de D, … qui est la cause de Z.
« Maudit
soit le père de l’épouse
du forgeron qui forgea le fer de la cognée
avec laquelle le bûcheron abattit le chêne
dans lequel on sculpta le lit
où fut engendré l’arrière-grand-père
de l’homme qui conduisit la voiture
dans laquelle ta mère
rencontra ton père ! »
Sorite ♦ 547
Stase
Le mot — Le mot stase est emprunté au grec ; il correspond au latin quaestio. En
anglais, Nadeau traduit en anglais par issue, “question, problème” (Nadeau 1964,
p. 366). Le mot anglais issue est très courant : stock issue, stock phrase, “cliché, lieu
commun” ; the point at issue : le point controversé ; they were at issue over : ils étaient
en désaccord sur …. En français, le terme stase existe en médecine : « stase : … (1741 ;
gr. stasis). Méd. Arrêt ou ralentissement considérable dans la circulation ou l’écou-
lement d’un liquide organique. V. congestion » (PR., art. Stase).
Nadeau définit la situation de stase comme « une position d’équilibre ou de
repos » (ibid., p. 369). La tradition rhétorique française traduit stase par “état de
cause” ; on pourrait aussi utiliser “point à débattre”, “point en question”, V. QUESTION
ARGUMENTATIVE.
La médecine est une source importante d’exemple et d’inspiration pour la théorie
argumentative, V. Indice. Le mot stase est une métaphore médicale. Il y a stase lorsque
les humeurs étant bloquées, l’art médical s’applique à rétablir la bonne circulation des
fluides. De même, il y a “question argumentative”, lorsque la circulation consensuelle,
du discours est bloquée par l’apparition d’une contradiction ou d’un doute, et l’art
argumentatif s’applique à rétablir le flux normal, coopératif, du dialogue.
Dans un état de stase, l’équilibre est celui d’une aporie : « le verbe grec aporein
décrit la situation de celui qui, se trouvant devant un obstacle, ne trouve pas de
passage » ; l’état psychique associé est l’embarras (Pellegrin 1997, art. Aporie). Dans
l’usage moderne, une aporie est « une contradiction insoluble dans un raisonnement »
(TLFi, art. Aporie).
Empiricus (Contre les Géomètres, III, 4) » (Dieter 1950, p. 360). Ce sens de “question
rhétorique” est bien distinct du sens courant, qui désigne une question dont le locuteur
connaît la réponse et sait que ses interlocuteurs la connaissent, et dont la valeur est
celle d’un défi porté aux contradicteurs potentiels. Pour éviter les confusions, on
peut parler de question argumentative.
Il y a stase quand, dans une délibération ou une action, sont produites deux
affirmations contradictoires, manifestant l’existence d’un désaccord ouvert, qui
inhibe la construction collaborative de l’interaction, et de l’action commune. Cette
contradiction produit une question controversée, dont la réponse est “ambiguë” au
sens étymologique du terme, c’est-à-dire double, entraînant deux réponses exclusives
l’une de l’autre. L’état de stase peut être résolu de multiples façons, par un débat
contradictoire où la parole a une importance fondamentale, mais aussi de manière
autoritaire, comme Alexandre tranchant le nœud gordien.
L’étude des discours produits dans une telle situation est l’objet fondamental des
études d’argumentation. Au début du De Inventione, Cicéron restreint la théorie des
questions relevant du domaine de l’orateur à celles qui sont traitées dans le cadre des
genres rhétoriques, épidictique, délibératif, judiciaire, et refuse son extension aux
questions générales philosophiques « Faut-il s’en rapporter au témoignage des sens ? »
ou scientifiques, « Quelle est la grosseur du soleil ? » (Cicéron, De Inv., I, VI, 8 ; p. 17).
(3) Reconnaître les faits et leur définition mais invoquer des circonstances atté-
nuantes (“qualité”), dégager sa responsabilité :
C’était juste pour aller chercher des bonbons à ma petite sœur malade.
Le chef de bande m’a obligé.
Certaines de ces stratégies sont exclusives les unes des autres, V. Chaudron.
Réévaluation de l’action — En rhétorique des figures, le cas (6) est considérée
comme une figure, l’antiparastase, ou réévaluation de l’action dans un contexte accu
satoire. C’est une stratégie de repositionnement de l’accusé face à l’accusation qui le
vise : il y a antiparastase lorsque l’accusé reconnaît être l’auteur des faits qui lui sont
reprochés et inverse leur qualification en « [revendiquant] hautement la justesse de
sa position » (Molinié 1992, art. Antiparastase), V. Orientation :
Ce n’est pas un délit, mais un acte citoyen : je me fais donc gloire d’avoir fauché le
champ d’OGM.
r evendication du fait comme une action louable, ayant permis de soulager des souf-
frances insupportables, à quoi on ajoute non seulement que l’action a été faite avec le
consentement de la personne, mais à sa demande. Cette contre-évaluation est celle
d’Antigone face à Créon.
Le potentiel dramatique d’une telle situation où se confrontent des discours
fondés sur des valeurs radicalement opposées explique peut-être pourquoi ce cas a
été jugé digne d’une étiquette, mais les diverses stratégies de positionnement réper
toriées ci-dessus forment un ensemble cohérent et sont toutes d’un intérêt égal.
Stratégie de minimisation — L’antiparastase suppose une hiérarchie des modalités
d’évaluation d’évaluation binaire “ louable – blâmable”. On ne considère pas le cas
où on opposerait à l’accusation que l’action dite blâmable est en fait indifférente.
C’est un cas de passage des contraires aux contradictoires. La stratégie stasique de
minimisation ou d’euphémisation se produit lorsque le fait est reconnu, mais la nature
du préjudice ou la portée de l’acte critiqué sont considérées comme quasi nulles
(indifférentes). Si on me reproche d’avoir volé une mobylette, je peux répondre : “oh,
ça n’est jamais qu’une vieille mobylette toute cassée et sans valeur aucune”. Tout peut être
euphémisé, même la torture :
Stratégie
Une stratégie est un ensemble d’actions planifiées et coordonnées par un acteur en
vue d’atteindre un but précis.
Une stratégie peut être antagonique ou coopérative. Les stratégies antagoniques
se développent et s’opposent dans des champs d’actions non coopératifs, comme
la guerre, les échecs ou la concurrence commerciale. Elles visent chacune à s’assu-
rer un avantage décisif sur un adversaire poursuivant des buts incompatibles. Les
stratégies antagoniques sont dissimulées à l’adversaire, auquel elles se dévoilent au
fur et à mesure de leur mise en œuvre, V. Manipulation. Les stratégies coopératives
fonctionnent dans des champs d’actions où les partenaires collaborent à la réalisation
d’un même but, dont chacun espère tirer un avantage. Les intentions stratégiques
sont alors transparentes pour tous les partenaires. Dans ce sens on peut parler d’une
“stratégie de recherche”, pour désigner un plan d’action devant permettre de résoudre
un problème, ou de “stratégie pédagogique” à développer avec les élèves.
La stratégie et la tactique s’opposent selon différentes dimensions. Dans le domaine
militaire, la stratégie opère avant le combat et la tactique pendant le combat. On parle
également de tactique pour désigner l’implémentation locale d’une stratégie globale.
« 21. Tous les Athéniens et les étrangers résidant (chez eux) ne passaient
leur temps qu’à dire ou à écouter les dernières nouvelles. 22. Paul, debout
au milieu de l’Aréopage, dit: “Athéniens, en tout je vous vois éminemment
religieux”. 23. Car, passant et regardant ce qui est de votre culte, j’ai trouvé
même un autel avec cette inscription: “Au dieu inconnu.” Ce que vous
adorez sans le connaître, c’est ce que je vous annonce. »
Actes des Apôtres, 17, 21-23, [http://bible.catholique.org/
actes-des-apotres/3301-chapitre-17].
« 17. Ce n’est pas pour baptiser que le Christ m’a envoyé, c’est pour prê-
cher l’Évangile, non point par la sagesse du discours, afin que la croix
du Christ ne soit pas rendue vaine. 18. En effet, la doctrine de la croix est
une folie pour ceux qui périssent ; mais pour nous qui sommes sauvés,
elle est une force divine. 19. Car il est écrit: “Je détruirai la sagesse des
sages, et j’anéantirai la science des savants.” 20. Où est le sage ? où est le
docteur ? où est le disputeur de ce siècle ? Dieu n’a-t-il pas convaincu de
folie la sagesse du monde ? 21. Car le monde, avec sa sagesse, n’ayant pas
554 ♦ Structure argumentative
connu Dieu dans la sagesse de Dieu, il a plu à Dieu de sauver les croyants
par la folie de la prédication. 22. Les Juifs exigent des miracles, et les
Grecs cherchent la sagesse ; 23. Nous, nous prêchons un Christ crucifié,
scandale pour les Juifs et folie pour les Gentils. »
Première épître de Saint Paul aux Corinthiens, 17-23,
[http://bible.catholique.org/1ere-epitre-de-saint-paul-apotre-
aux/3361-chapitre-1], consulté le 20 septembre 2013.
Manœuvre stratégique
La pragma-dialectique a introduit le concept de manœuvre stratégique [strategic
maneuvering] pour réconcilier les exigences dialectiques et rhétoriques. L’exigence
rhétorique est définie comme une recherche d’efficacité : chaque partie souhaite faire
triompher son point de vue. L’exigence dialectique est une recherche de rationalité.
Au cours d’une rencontre concrète, chacune des parties poursuit simultanément
ces deux objectifs. En pratique, la dimension dialectique s’apprécie en fonction des
règles pragma-dialectiques pour la résolution rationnelle d’une différence d’opinion,
V. Règles. La dimension rhétorique est essentiellement d’ordre communicationnel
et présentationnel ; elle reprend notamment les dimensions classiques d’adaptation
à l’auditoire du sujet et du style (Eemeren, Houtlosser 2006).
Structure argumentative
On parle de structure argumentative dans trois sens différents :
1. Structure de l’argumentation — La structure de l’argumentation correspond
à son organisation interne, c’est-à-dire à la forme générale de la relation du ou des
arguments à la conclusion, V. Modèle de Toulmin ; Convergence ; Liaison ; Épichérème.
2. Structure d’une question — Elle se fragmente en questions dérivées, et peut se
représenter sous la forme d’une carte argumentative, V. Script.
3. Structure d’une interaction ou d’un texte argumentatifs — La structure du
texte correspond à l’ordonnancement des arguments, des concessions et des réfu-
tations dans le discours, ce que la rhétorique traditionnelle appelle la disposition,
V. Rhétorique. La structure d’une interaction argumentative peut être représentée
selon l’ordre temporel des questions qui sont traitées.
Ces différentes structures sont représentables par des schémas, V. Schéma.
Sujet en question, arg. ♦ 555
Superstition, arg.
BB Bentham utilise l’étiquette ad superstitionem, du lat. superstitio, “supers-
tition”.
On parle ici d’appel à la superstition car la force des serments est supposée être garan-
tie par une puissance surnaturelle, ou sur un devoir contracté in illo tempore, à l’ori-
gine des temps, vis-à-vis des Pères fondateurs, dont on doit respecter les décisions,
par respect filial. L’appel à la superstition manifeste une forme de crainte d’une
vengeance surnaturelle, V. Menace.
Symétrie ► Réciprocité
Systématique, arg.
L’argument systématique repose sur une définition d’un ensemble comme un système
organisé, une structure où tout se tient. Pris à la lettre, ce principe affirme que chaque
élément du système, chaque affirmation dans le cas d’un texte, prend son sens (doit
être comprise, interprétée) non pas en elle-même mais dans ses relations avec les
autres éléments du système ou les autres énoncés du texte. Il s’applique aux recueils
de lois et règlements, comme aux textes sacrés et aux chefs-d’œuvre littéraires. Le
texte est supposé bien fait, c’est-à-dire non contradictoire, exhaustif et non redondant.
Ce principe couvre un ensemble de techniques argumentatives :
— argument de la cohérence, a coherentia, V. Cohérence
Syzygie ♦ 557
Syzygie
Le mot syzygie est une adaptation d’un mot grec signifiant “réunion”. En astronomie,
il se produit une syzygie lorsque trois corps célestes sont alignés, comme le Soleil, la
Terre et la Lune lors d’une éclipse de Lune.
La notion de syzygie appartient à l’exégèse catholique traditionnelle. L’argu-
mentation par la syzygie est fondée sur la mise en relation d’événements ou d’êtres
fortement analogues, d’une part un événement, être précurseur, dit “Type”, d’autre
part un événement, être fondamental, ultérieur, dit “Antitype”. L’Ancien Testament
est le lieu des Types, le Nouveau Testament le lieu des Antitypes. Cette opposition
type/antitype est spécifique, elle n’a rien à voir avec celle de modèle/antimodèle.
« La typologie rapproche deux événements ou deux personnages historiques dont
l’un annonce l’autre en vertu de “correspondances”, mais qui sont l’un et l’autre
également réels et insérés dans la trame d’un continuum historique… l’antitype
non seulement répète mais complète et “parfait” le type. […] Noé, Abraham,
Moïse… sont des “types” du Christ » (Ellrodt 1980, p. 38 ; p. 43).
La théorie des syzygies est un moyen d’ordonner l’histoire, et, dans cette fonction,
elle sert de principe argumentatif : ce qui vient avant est analogue à, mais a moins
d’être que ce qui vient après. L’argumentation par la syzygie est une variante locale
et spécialisée de l’argument du progrès (V. Progrès ; Analogie) dans un monde à deux
états seulement.
Appliqué à ce monde, considéré comme un Type, le principe de syzygie le projette
sur l’au-delà qui en est l’Antitype. Dans cet emploi, il a une fonction pédagogique
qui est de donner au croyant une idée de son état futur : le Roi actuel est le Type,
dont le Père Tout-Puissant est l’Antitype.
« Pour [l’homme], Dieu fit alterner les images des syzygies, lui présentant
en premier lieu les images des choses petites, en second lieu des choses
grandes, comme le monde et l’éternité. Le monde actuel en effet est
éphémère, tandis que le monde à venir est éternel. »
Les Homélies Clémentines [Premiers siècles du christianisme] ;
trad. A. Siouville. Paris, Rieder, 1933, p. 110.
558 ♦ Syzygie
« Hegel fait quelque part cette remarque que tous les grands événements
et personnages historiques se répètent pour ainsi dire deux fois. Il a oublié
d’ajouter : la première fois comme tragédie, la seconde fois comme farce
[…]. Et nous constatons la même caricature dans les circonstances où
parut la deuxième édition du 18 Brumaire. »
Le 18 Brumaire (9 novembre) 1799, Napoléon Bonaparte exécuta un coup
d’État qui renversa le Directoire et instaura sa dictature. Par la « deuxième
édition du 18 Brumaire », Marx désigne le coup d’État de Louis-Napoléon
Bonaparte en décembre 1851.
Karl Marx, Le 18 Brumaire de L. Bonaparte [https://www.
marxists.org/francais/marx/works/1851/12/brum3.htm], consulté le
20 septembre 2013.
1. Taxinomies
Le but du système des catégories est de déterminer les règles de construction cor-
recte des taxinomies (ou taxonomies). Une taxinomie est un classement raisonné et
hiérarchisé des êtres. Elle est constituée par un système emboîté, représentable par
une arborescence. La position d’un être dans une taxinomie exprime sa définition,
et la définition d’un être détermine sa place dans la taxinomie dont il relève.
Ce mode de pensée classificatoire a atteint des résultats spectaculaires dans les
classifications des êtres constituant l’univers, où chacun des êtres est rangé à une
place précise dans une hiérarchie globale exhaustive, en fonction de ses propriétés
communes et spécifiques : « Au sommet de cette grande classification des êtres, on
trouve les trois règnes, le règne végétal, le règne animal et le règne minéral ». Consi-
dérons le règne végétal :
— L’ordre est une division du règne végétal qui regroupe un certain nombre de
familles ;
— La famille est un ensembles d’espèces groupées par genres ;
560 ♦ Taxinomie et catégories
— Le genre est une réunion d’espèces présentant des caractères communs et des
rapports phylogénétiques étroits ;
— L’espèce est l’unité fondamentale de la systématique. En principe, l’espèce peut
se définir comme l’ensemble des individus descendant de parents communs, ou se
ressemblant comme s’ils étaient issus de mêmes géniteurs, et féconds entre eux.
(D’après Jacques Brosse, Lexique, dans Atlas des arbustes, arbrisseaux et lianes, de
France et d’Europe occidentale, Paris, Bordas, 1983).
On a donc la succession d’emboîtements suivante :
Règne => Ordre => Famille => Genre => Espèce => Individu
Les taxinomies peuvent être complexifiées par l’introduction, entre le règne et l’ordre,
de l’embranchement et de la classe.
Les niveaux du genre et de l’espèce sont parfois utilisés de façon relative : dans une
taxinomie à n niveaux, un niveau quelconque est dit genre par rapport au niveau
inférieur et espèce par rapport au niveau supérieur.
Niveaux de catégories — Dans la classification précédente, une plante observable
est classée dans une espèce, qui, avec d’autres espèces, constitue un genre, qui lui-
même, avec d’autres genres constitue une famille, etc. D’une façon générale, on parle
de “niveaux des catégories”. Dans un système simple à trois niveaux, les théories
psychologiques et linguistiques du prototype distinguent les catégories de base (“être
un chien”) des catégories superordonnées (“être un mammifère”) et des catégories
subordonnées (“être un labrador”). Les êtres seraient identifiés et désignés en pre-
mier lieu par leur catégorie de base, caractérisée par sa fréquence ou sa saillance,
perceptuelle, culturelle ou cognitive. Communément, on identifie d’abord un être
comme un chien, non pas comme un mammifère ou un labrador.
Hyponymie et hyperonymie — Les notions d’hyponymie et d’hyperonymie sont
utilisées en linguistique pour désigner des couples de termes en relation sémantique
hiérarchique. La relation d’hyponymie correspond à celle de genre à espèce : rose est
hyponyme de fleur, toutes les roses sont des fleurs. La notion d’hyperonymie correspond
à celle d’espèce à genre : fleur est hyperonyme de rose, certaines fleurs sont des roses.
Dans le langage ordinaire, espèce et genre fonctionnent comme des synonymes
pour catégoriser approximativement des êtres qui ne correspondent pas au stéréotype
catégoriel : “Regarde, il y a une espèce / un genre de champignons derrière le mur !”.
2. Catégories
Dans le système aristotélicien, l’objectif de la science est d’établir des taxinomies stables
des êtres en fonction de leurs propriétés essentielles. Catégoriser les individus et les en-
sembles d’individus est l’opération intellectuelle fondamentale. Cette opération aboutit
à des résultats plus ou moins convaincants selon les êtres considérés : il est plus difficile
de proposer une taxinomie des affects, émotions et humeurs que des mammifères.
Taxinomie et catégories ♦ 561
À partir de la définition “les hommes sont des animaux (genre) raisonnables (diffé-
rence)”, on peut construire le syllogisme valide :
Les hommes sont des animaux certains H sont A
Les hommes sont raisonnables tous les H sont R
Certains animaux sont raisonnables certains A sont R
Inversement, si la catégorie C comprend les espèces E1, E2, … En, alors, on peut
inférer immédiatement la vérité de la disjonction :
“être un C” implique “être ou un E1, ou un E2 ou … ou un En”
“X est un mammifère” implique “X est soit un chien, soit… soit une baleine”
D’autres implications reposent sur le fait que le genre est caractérisé par un
e nsemble de propriétés qui appartiennent à toutes les espèces qu’il domine. Si “être un
mammifère” est défini comme “être un vertébré, à sang chaud, à température constante,
ayant une respiration pulmonaire, allaitant ses petits”, alors toutes ces propriétés sont
attribuables à tous les êtres qui sont des mammifères, quelle que soit leur espèce.
Être d’accord sur une structure genre/espèce, c’est être d’accord sur un ensemble
d’opérations syllogistiques. Le calcul syllogistique est une composante fondamentale
de l’argumentation ordinaire, V. Logique (III).
Témoignage
Le témoignage a la forme d’un argument d’autorité “le témoin dit que P, donc P”,
V. Autorité.
En rhétorique. Dans les Topiques, Cicéron positionne clairement le témoignage
au niveau des données du procès (V. Preuves “techniques” et “non techniques”). Il
souligne que les témoignages sont de poids très divers :
« Nous appelons ici témoignage tout ce qui est emprunté à une circonstance exté-
rieure pour fonder la conviction. Mais on n’attache pas de poids à tout témoignage ;
en effet, la conviction se fonde sur l’autorité, et l’autorité résulte de la nature ou des
circonstances. L’autorité venant de la nature est contenue surtout dans la vertu ;
comme circonstances interviennent de nombreuses considérations qui donnent de
l’autorité, talent, richesse, âge, chance, beauté, art, expérience, force inéluctable et
même quelquefois événements fortuits. » (Cicéron, Top., XIX, 73 ; p. 91)
La garantie apportée par le serment est complétée par celle qu’apporte le statut social
du témoin, son éthos, au sens de “réputation”.
Le témoignage est preuve par excellence dans le domaine judiciaire ; les serments
pour les citoyens, la torture pour les esclaves sont des moyens censés assurer sa
véracité. La force du témoignage l’emporte sur celle des arguments.
La notion de témoignage dans les textes anciens couvre un domaine beaucoup
plus vaste que le témoignage personnel sur un événement particulier. Constituent des
témoins « les auteurs anciens, les oracles, les proverbes, les dires des contemporains
illustres » (Vidal 2000, p. 60). Le témoignage ici correspond à toute parole faisant
foi, soit sur les faits, et il s’agit alors de témoins au sens actuel, soit sur les lois et les
principes, il s’agit alors d’autorités.
Dans la tradition chrétienne. Le substantif “martyre” provient d’un mot grec qui
signifie “témoin”. Le martyre chrétien est le témoin de la parole. Avec l’importance
564 ♦ Témoignage
donnée aux martyres, le monde chrétien a donné une nouvelle vigueur à la problé-
matique de la validation d’un dire par la torture : « Je ne crois que les histoires dont
les témoins se feraient égorger » (Pascal, Pensées, fragment 672).
La validation de la parole par le martyre n’échappe pas au paradoxe. C’est un
fait que des gens ont été torturés et son morts pour des croyances et des valeurs les
plus diverses ; Giordano Bruno est un “martyre de l’athéisme”. Il faut donc renverser
la proposition :
« “Martyrem non facit poena, sed causa” (Augustin Contra Cresconium, III, 47),
“ce qui fait le martyre, ce n’est pas la peine (subie) mais la cause (défendue)”. »
André Mandouze, « Les persécutions à l’origine de l’Église »,
Histoire vécue du peuple chrétien, Jean Delumeau,
Toulouse, Privat, 1979, p. 54.
Si la cause est mauvaise (hérésie), le martyre n’est qu’un délinquant qu’on a puni.
Est-on témoin de soi-même ? La dénégation n’est certes pas une preuve d’innocence,
mais on considère souvent que l’aveu vaut la preuve. Ce n’est pas toujours le cas :
selon la loi juive, on croit le témoin de ce que j’ai fait plutôt que les aveux que je fais.
C’est ce que dit l’évangéliste Jean : « Si je rends témoignage touchant moi-même,
mon témoignage n’est pas véritable » (Bible, N. T., Évangile selon saint Jean, V, 31).
Paradoxe du témoignage faible — Si le témoignage d’un homme équivaut à celui de
deux femmes, alors le fait que l’on présente dans un texte le témoignage de femmes
pour accréditer un fait est une preuve de l’authenticité de ce fait ; si le texte était
inventé, alors on aurait fait témoigner des hommes. Cet argument est développé à
partir des évangiles, qui, rapportant la résurrection du Christ, mentionnent que ce
sont des femmes qui ont découvert le tombeau vide et la faiblesse du témoignage est
donnée pour preuve de l’authenticité du fait.
Critique du témoignagne — On n’évalue plus la qualité d’un témoignage par la
quantité de douleur que peut supporter le témoin, ni par le genre du témoin. Les
discours opposables aux témoins reposent sur deux options, examen du fait, examen
du témoin ; ils peuvent être ramenés aux topoi suivants, auxquels ont recours tous
les discours contre les témoignages ; ces discours visent soit le fait, soit le témoin.
— Le fait n’est pas croyable, n’est pas possible, n’est pas vraisemblable.
— Le témoin n’est pas crédible ; il est intéressé, il n’est pas sincère, il ment.
— Il se trompe : il n’a pas “la science du fait”, il n’est pas compétent ; il a été abusé.
— Dans d’autres cas où son témoignage a pu être vérifié, son témoignage s’est
révélé faux.
— D’autres témoins disent le contraire.
— Il est le seul à l’affirmer, son témoignage ne peut être retenu (“Testis unus, testis
nullus”).
Toi aussi !, arg. ♦ 565
L1 : — Ça te va bien de me reprocher ça ! Je t’en prie, pas toi ! Je n’ai pas de leçons
de morale à recevoir de toi.
“Two wrongs make a right” — On peut justifier un mauvais traitement fait à
quelqu’un en arguant, par une sorte de loi du talion par anticipation (V. Réciprocité)
qu’à notre place, c’est ce que lui nous aurait fait (d’après [fallacyfiles.org/twowrong.
html], consulté le 20 septembre 2013) ; de même, on peut justifier une injustice par
une autre. Ces arguments sont dits fallacieux sur la base d’un topos exprimant un
interdit moral “two wrongs don’t make a right”, qu’on peut traduire par “les péchés,
les actions illégales, blâmables… des autres n’excusent pas les nôtres” (argument
“Toi aussi !”). Dans la pratique, une erreur peut très bien en compenser une autre ;
si l’on se trompe sur le diagnostic et sur le médicament, il se peut que, par un petit
miracle, on ait, par cette double erreur, guéri le malade.
Topique
Une topique est une collection de topos, V. Topos. On peut distinguer une topique
substantielle et une topique inférentielle (ou associative).
Topique juridique
La topique juridique est une topique inférentielle. Elle intéresse la théorie générale de
l’argumentation dans la mesure où les problèmes qu’elle traite sont la spécialisation,
dans le domaine du droit, de problèmes généraux que l’on rencontre dans l’argumen-
tation ordinaire. C’est à ce titre qu’elle est abordée ici ; la liste d’arguments discutés
par Cicéron dans les Topiques, et dont on considère qu’elle a une portée générale,
est une topique juridique. V. Interprétation, exégèse, herméneutique ; T ypologies,
I : anciennes.
568 ♦ Topique juridique
— Quinze (ou douze) sont spécifiques à l’une des trois topiques. Dans les tableaux
précédents, les étiquettes sont identiques dans les diverses topiques. Si on admet
que, sous des étiquettes diverses, les arguments dits des travaux préparatoires, his-
torique, psychologique et téléologique visent également à prendre en compte, selon
l’expression de Perelman « l’intention du législateur » (1979, p. 55), on a encore trois
formes communes. Arguments :
– des travaux préparatoires, historique, psychologique, téléologique, V. Intention
du législateur.
– from context or in pari materia, V. Cohérence.
– ratione legi stricta, V. Sens strict.
– ab auctoritate, V. Autorité ; Précédent.
– a completudine, V. Complétude.
– a coherentia, V. non-contradiction ; Cohérence.
– économique, V. Inutilité.
– ab exemplo, V. Précédent ; Exemple.
– systématique, V. Systématique.
– naturaliste, V. Force des choses.
– from superfluity or ab inutilitate, V. Inutilité.
– from genre, or ejusdem generis, V. Genre.
On obtient donc vingt-deux (ou dix-neuf) formes distinctes.
(ii) Du point de vue du sens de ces arguments, on peut opérer les regroupements
suivants.
— Arguments généraux, non spécifiques au droit. Une série d’arguments utilisés
en droit sont des formes générales applicables à d’autres situations d’argumentation ;
ce sont les arguments :
– de cohérence (a coherentia) – a fortiori
– a pari, a simili, analogie – par l’absurde
– du genre – sur le précédent
– a contrario – d’autorité
En droit, ces deux dernières formes d’argument font appel à la continuité historique
de la pratique juridique légale.
— Arguments faisant appel à des données relatives à la genèse de la loi. Une
classe d’arguments légitime les interprétations fondées sur les conditions de pro-
duction de la loi ; arguments :
– des travaux préparatoires
– historique
– de l’intention du législateur, argument téléologique
– psychologique
Topique substantielle
La topique substantielle est un système de questions permettant de rassembler
méthodiquement un stock d’informations à propos d’un événement ou une personne.
— La topique substantielle la plus générale a la forme “qui ? (a fait) quoi ?, quand ?,
où ?, comment ?, pourquoi ? …”. Par exemple, le topos substantiel de l’acte correspond
à la question “Quoi ? De quoi s’agit-il ?”. Quintilien propose la liste suivante :
des personnes (a personis) : Qui ?
des motifs (causis) : Pourquoi ?
des lieux (locis) : Où ?
du temps (tempore, praecedens, coniunctum, insequens) : Quand ?
des moyens (facultatibus) « où nous avons rangé l’instrument » : Comment (moyens) ?
de la manière, (modo) « c’est-à-dire les modalités particulières d’une action » :
Comment (manière) ?
(I. O., V, 10, 94 ; p. 153)
572 ♦ Topique substantielle
Topos
BB Le mot topos (au pluriel topoi) est un calque français d’un mot grec signi-
fiant “lieu”. Il correspond au latin locus communis, “lieu commun”.
Les définitions des topoi vont ainsi d’un pôle formel jusqu’à un pôle substantiel.
Les topoi sont caractérisés par leur plausibilité inhérente, qui se communique aux
discours dans lesquels ils entrent, que le topos soit expressément cité, qu’il y soit
fait allusion ou qu’il constitue le schéma donnant sa cohérence au discours. Le mot
topos est utilisé pour désigner :
1. Un type d’argument, un élément d’une topique inférentielle, V. Topos inférentiel .
2. Un élément d’une topique substantielle correspondant à une réponse à une “ques-
tion topique”, V. Topique substantielle.
3. À l’époque contemporaine, le concept de topos a été introduit par Curtius en ana-
lyse littéraire, pour désigner une donnée substantielle (thème, matière, “argument”,
au sens 2, V. Argument), permanente, amplifiable et adaptable, un « archétype, […]
[une] représentation du subconscient collectif au sens où l’entendait C. G. Jung » (Cur-
tius [1948], vol. 1, p. 180). Par exemple, l’association “le vieillard et l’enfant” constitue
en ce sens un topos, toujours exploité dans les publicités sur la gestion de patrimoine.
Ce thème peut permettre de remplir une case discursive obligée. Ainsi, l’évocation
d’éventuels contre-exemples ou même d’une réfutation auxquels on déclare se sou-
mettre docilement par avance est un topos de clôture des exposés scientifiques. Les
propositions de Curtius ont été à l’origine d’un important courant de recherche sur
les topoi, notamment en Allemagne (Bornscheuer 1976 ; Breuer et Schanze 1981).
D’une façon générale, on appelle topos le discours développant une réponse à une
question topique, un endoxon : “l’avocat a développé le topos sur le caractère pacifique
bien connu des Syldaves”, V. Topique substantielle ; Doxa.
Topos inférentiel
aux surgissement d’événements que le locuteur ne contrôle pas ; s’il se tord le pied, si
un événement imprévu survient dans son voisinage, le fil de son discours s’en trouve
forcément brisé pour repartir sur une forme totalement nouvelle. La question de la
connexion linguistique entre énoncés ne peut se traiter qu’à l’intérieur d’un format
de production stable de la parole, le plus stable étant l’écrit monogéré. Ensuite, dans
un tel discours, les idées se nouent parfois de façon étrange, comme le montrent les
connecteurs au fait, ou à propos, qui marquent une rupture thématique. Lorsque les
liaisons combinent syntagmes figés, calembours et coq à l’âne, l’enchaînement est
dit sémantiquement incohérent, sans liaison, et est reçu comme un symptôme de
l’égarement mental :
La notion de topos peut être développée comme schème logique ou formule dis-
cursive.
— Comme schème logique, le topos correspond à une forme dite “logique” ou “pro-
fonde” qui s’actualise dans un contexte particulier. Soit le topos a fortiori, “à plus
forte raison” :
Topos : Si < P est O > est plus vraisemblable (plus recommandable…) que < E
est O >, et si < P est O > est faux (n’est pas vraisemblable, pas recommandable)
alors < E est O > est faux (pas vraisemblable, pas recommandable)
Enthymème (argumentation) fondée sur ce topos : “Si les professeurs ne savent
pas tout, à plus forte raison les élèves.”
+ A, + P « Plus on s’élève dans l’échelle P, plus on s’élève dans l’échelle Q » (Ducrot
1988, p. 106) : (+) régime démocratique, (+) bonheur des citoyens
– B, – Q Plus on abaisse P, plus on abaisse Q : (–) temps de travail, (–) stress
+ C, – R Plus on a P, moins on a Q : (+) argent, (–) vrais amis
– D, + S Moins on fait P, plus on est Q : (–) sport, (+) maladies
Ce type de liaison entre prédicats a été également observé par Perelman et Olbre-
chts-Tyteca dans leur discussion des valeurs ([1958], p. 115-128), V. Valeur.
Les mêmes prédicats peuvent être associés par les quatre formes topiques :
(+) argent (–) bonheur : le financier.
(–) argent (+) bonheur : le savetier (La Fontaine, « Le savetier et le financier »,
Fables, Livre VIII, Fable 2).
(–) argent, (–) bonheur : M. Tout-le-monde.
(+) argent, (+) bonheur : idem.
(b) L1 traîne dans les préparatifs ; L2 pense que, si ça continue comme ça, ils vont
rater leur train. Il alerte L1 :
L2 : — Dépêche-toi : il est huit heures, il est même huit heures cinq.
“On n’a plus beaucoup de temps, il reste peu de temps, vraiment peu !”
(c) L1 pense qu’ils ont raté leur train ; L2 pense qu’ils ont encore une chance, à
condition de se dépêcher :
L2 : — Dépêche-toi : il est huit heures, il est même huit heures moins cinq.
“Mais si, on va y arriver ! On n’a pas beaucoup de temps, mais il reste quand même un
peu de temps !” ; “On est en retard, mais on peut encore y arriver !”
2. On ne va pas y arriver : même si on se dépêche
(d) L1 s’active fébrilement alors que L2 a perdu tout espoir d’attraper leur train :
L2 : — Pas la peine de te dépêcher : il est huit heures, et même huit heures cinq.
“On ne va pas y arriver, on n’a plus assez de temps”. L2 raisonne a fortiori : à huit heures,
on n’a plus le temps d’y arriver, a fortiori à huit heures cinq on n’y arrivera pas.
(b) L2 : — Dépêche-toi : il est huit heures, il est même huit heures cinq.
correspond au topos noté < – T, + D > :
< moins on a de temps, plus il faut se dépêcher >
(c) L2 : — Dépêche-toi : il est huit heures, il est même huit heures moins cinq.
correspondrait au topos noté < + T, + D > :
< plus on a de temps, plus il faut se dépêcher >
2. On ne va pas y arriver : même si on se dépêche
(d) L2 : — Pas la peine de te dépêcher : il est huit heures, et même huit heures cinq.
correspondrait au topos noté < – T, – D >
< moins on a de temps, moins on doit se dépêcher >
Tranquillité, arg. ♦ 579
4.3 Conclusions
En tant que loi de la langue, les deux derniers topoi semblent problématiques. Les
énoncés (c) et (d) mettent en jeu deux systèmes de représentation de la situation
temporelle. Ils ne s’appliquent pas au temps objectif (attribué à L2) mais à la repré-
sentation du temps qui est celle du partenaire L1.
— Énoncé (c) :
L2 : — Dépêche-toi : il est huit heures, il est même huit heures moins cinq.
Représentation de L1 : on n’a pas assez de temps, il reste trop peu de temps, donc
pas la peine de se dépêcher. L2 réfute cette représentation de L1 :
L2 : — Mais si, il reste un peu de temps, et même un peu plus, suffisamment pour
qu’on puisse attraper le train si tu te dépêches, dépêche-toi !
Tranquillité, arg.
BB Arg. ad quietem, lat. quies, « repos ; vie calme en politique, neutralité »
(Gaffiot [1934], art. Quies). Ang. appeal to repose, conservatism.
Le calme est un état psychique et physique. Différents aspects du calme sont à dis-
tinguer du point de vue de l’argumentation.
1. Dans la typologie aristotélicienne des émotions rhétoriques, le calme s’oppose
à la colère, V. Émotion.
2. Dans la typologie de Bentham, l’argument “laissez-nous en paix !” (ad quietem)
construit le calme comme une valeur qui serait menacée par l’ouverture d’une situ
ation argumentative.
3. En théorie des émotions, le calme correspond au niveau de base (humeur de base)
580 ♦ Tranquillité, arg.
« Le vote ne regarde que les hommes, puisque les femmes, – heureuse-
ment pour leur tranquillité, – n’ont pas de droits politiques. »
Prof alors vous restez muets silencieux rien vous avez rien retenu
là dedans rien ne vous a frappés quels sont les points on va
commencer à les lister donc pouvez les donner oui
Am déjà ya deux points .
de vue en fait fin
Types et typologies des arguments ♦ 581
Transitivité ► Relation
— L’argument contre les miracles : entre la probabilité que le mort ait été ressuscité
et la probabilité que le témoin se trompe, la seconde est la plus forte.
— L’argument ontologique prétend démontrer l’existence de Dieu à partir de la
notion d’être parfait. C’est une forme d’argument par la définition a priori : l’idée
de perfection implique l’idée d’existence.
(ii) Selon leur forme et leur contenu, V. Typologie.
Sur l’usage du latin, V. Ab ad ex : les noms latins des arguments.
(iii) Étiquettes orientées — Certains arguments mettant en jeu la personne (V. Per-
sonne) sont désignés par des étiquettes orientées. Le langage théorique est biaisé.
Dans les cas généraux, l’étiquette désignant une argumentation spécifie une
forme ou un contenu : l’argument fait référence aux conséquences (ad consequentiam),
à l’autorité (ab auctoritate), aux croyances de la personne (ad hominem), à l’émotion (ad
passionem) ou à telle émotion particulière (ad odium). L’argumentateur peut recon-
naître, sans se désavouer et face à son public, qu’il argumente par les conséquences,
ad hominem, ex datis, sur des croyances religieuses (ad fidem) ou à la rigueur sur le
nombre ad numerum. Ces arguments peuvent être évalués, dans une seconde étape,
normative. Mais on ne peut pas dire que tel argument fait appel à la stupidité, à la
superstition, voire à l’imagination sans l’invalider. Pour ces derniers cas, les étiquettes
simultanément nomment et évaluent. Leur utilisation entraîne une confusion des
niveaux de description et d’évaluation ; elles constituent une attaque ad personam.
L’appel à la foi sera jugé comme fallacieux ou non selon que l’on partage ou non les
croyances du locuteur. Il est clair ici que l’intervention normative est idéologique.
comme dirait Francis Ponge, à « La fabrique du pré», c’est-à-dire prendre en compte
le fait qu’il y a de l’argumentation avant les arguments, dans toutes les opérations
produisant l’énoncé, dans les prises de position qui engendrent la question, et, d’une
façon générale, dans tous les actes et phénomènes sémiotiques dans lesquels s’insère
les énoncés argumentatifs. On peut ainsi densifier l’analyse.
1.1 « Réviser la tradition »
Les notions de topos et de topique associative sont au fondement de la théorie de
l’invention rhétorique. Elles semblent engagées dans un perpétuel mouvement de
renouvellement et de redéfinition, portant à la fois sur leur nature (qu’est-ce qu’un
topos ?), sur ce qui, à travers leur diversité, fait système (qu’est-ce qu’une topique ?),
sur leur nombre (les topoi sont-ils en nombre infini ? dénombrables ? combien y en
a-t-il, quelques-uns ou quelques centaines ?) et enfin sur leur lien à l’histoire :
On retient de ce passage d’abord la définition générale des topoi comme des « active
associative nodes for ideas », théorisés depuis la naissance de la rhétorique dans le cadre
d’une théorie de l’argumentation dans le discours. Mais son intérêt tout particulier
vient de ce qu’il décrit clairement le piège taxinomique : on se propose de sortir
des typologies par une typologie qui mettrait tout le monde d’accord, et, au bout
du compte, on constate qu’on n’a fait qu’ajouter une typologie supplémentaire à la
liste, c’est-à-dire qu’on a aggravé le mal auquel on prétendait porter remède. Cette
observation peut être lue comme un contrepoint historique ironique, aux travaux
qui, en cette même année, 1958, allaient relancer la réflexion sur l’argumentation et
les topiques.
termes de Locke, seuls les seconds sont « accompagné[s] d’une véritable i nstruction,
et [nous avancent] dans le chemin de la connaissance » (Locke [1690], p. 573), V. Typo
logies (II).
Les argumentations sont classées selon leur intérêt scientifique ou mathéma-
tique, les plus intéressantes étant les argumentations analytiques liées à la défi-
nition conceptuelle et les argumentations mettant en jeu des relations causales.
L’argumentation par analogie peut avoir une valeur heuristique ou pédagogique ;
quant aux argumentations qui jouent sur les ruses du langage naturel et la relation
interpersonnelle, elles sont, de ce point de vue, sans pertinence.
(ii) Du point de vue de leur fonctionnement linguistique. On peut opposer les
arguments reposant sur une relation de contiguïté, de type métonymie, et les argu
ments reposant sur une relation de ressemblance, de type métaphore. Cette oppo-
sition correspond en gros à celle que Perelman et Olbrechts-Tyteca établissent entre
les arguments qui reposent sur la structure du réel (type causal) et ceux qui fondent
la structure du réel (type analogie). V. Métonymie ; Métaphore ; Typologies (III).
(iii) Du point de vue de leur productivité. La productivité d’un topos est plus ou
moins grande selon le nombre d’argumentations concrètes (enthymèmes) qui en
dérivent. On peut opposer les topoi très productifs comme l’argumentation exploi-
tant le binôme catégorisation et définition ou le topos des contraires, à des topoi
relativement peu productifs, comme l’argumentation par le sacrifice, ou à des formes
apparemment sorties de l’usage, comme l’exploitation argumentative des syzygies.
V. Définition ; Sacrifice ; syzygie.
(iv) Du point de vue de leur force relative. Un bel exemple d’organisation des
formes topiques selon leur force est donné par la hiérarchie des arguments juri-
dico-théologiques dans le domaine arabo-musulman, telle que l’établit Khallâf
([1942]). Il distingue dix sources, ordonnées selon leur degré de légitimité. Les formes
les plus légitimes sont celles qui s’appuient sur le Coran ou la Tradition, celles qui
ont le degré de légitimité le plus faible étant les lois des peuples monothéistes et
les avis des compagnons du prophète, dans l’ordre. Telle était la situation en 1942.
techniques
pression éthotique
pression pathémique
preuves “logiques”
enthymème
exemple
indice
Arguments Entrée
sur « la définition par « genre » (a V. Genre ; Taxinomie et Catégories ;
définition » genere) et « espèce du genre » (a Catégorisation ; Définition ; A
(definitio) forma generis) pari ; A contrario ; Analogie.
(§ 8 à 10 — définition par énumération des V. Définition ; Tout et partie
§ 26 à 34) parties (partium enumeratio)
(ii) Arguments tirés de « choses ayant quelque rapport au point en litige » (ibid.,
IX, 38)
Arguments Entrée
« de mots de même famille » (a coniugata) (§ 12) V. Dérivés
« du genre » (a genere) (§ 13) V. Genre ; Taxinomie et Catégories ;
« de la différence » (a differentia) (§ 16) Catégorisation ; Définition ; A pari ;
A contrario ; Analogie.
« d’une similitude » (a similitudine) (§ 15) V. Induction ; A pari ; Analogie
« des contraires » (ex contrario) (§ 17) V. Contraires ; A contrario
« des notions voisines » (ab adiunctis) (§ 50-52) V. Circonstances ; Indice
« des conséquences, des antécédents, des V. Conséquence, Inférence,
choses contradictoires » (ex consequentibus, et Déduction ; A priori, A posteriori,
antecedentibus, et repugnantibus) (§ 53-57) Contraires
« de la cause » (ab efficientibus causis) (§ 58-66) V. Causalité
« des effets » (ab effectis) (§ 67)
« de la comparaison » (ex comparatione) (§ 68-71) V. Comparaison ; A pari ; A fortiori
En résumé, les objets, les faits sont construits selon cinq dimensions principales :
— Définition : définition en intension (par catégorisation genre/espèce) et inférences
logiquement liées ; définition en extension (par description, énumération des par-
ties) ; généralement, définition lexicale.
— Relations causales : causes, types de causes, effets.
— Similitudes et comparaisons
— Contraires
— Circonstances ou contexte.
Cette liste structurée d’arguments a été transmises au Moyen Âge principalement
par Boèce.
sont plus rapportés à une logique liée à une ontologie naturelle, mais aux exigences
de la méthode scientifique, V. Fallacieux.
Dans les Nouveaux essais sur l’entendement humain [1765], Leibniz apporte un com-
mentaire et un complément à cette typologie. Le commentaire valide comme argu-
ment, en fonction des circonstances, ce que Locke considère, dans l’absolu comme
des sophismes :
— Argument ad verecundiam :
« Il faut sans doute faire différence entre ce qui est bon à dire et ce qui est vrai
à croire. Cependant comme la plupart des vérités peuvent être soutenues har-
diment, il y a quelques préjugé contre une opinion qu’il faut cacher. » (Leibniz
[1765], p. 436-437)
3. Jeremy Bentham, Le livre des fallacies [The Book of fallacies], 1824.
Dans The Book of Fallacies [1824], Bentham s’intéresse exclusivement aux fallacies
spécifiques au débat politique. Il propose une typologie à deux niveaux, où il dis-
tingue quatre grandes catégories de fallacies :
— fallacies d’autorité, celle des sages ancêtres ou celle des institutions ;
— fallacies alarmistes, réprimant la discussion par des discours de peur ;
— fallacies de temporisation, dont l’objet est de renvoyer la discussion aux calendes
grecques ;
— fallacies de confusion, catégorie dont le principe unitaire n’est lui-même pas très
clair.
Fallacies d’autorité [f. of authority]
— Les ancêtres étaient plus sages, ou l’argument chinois [the wisdom of our
ancestors, or Chinese argument ; ad verecundiam].
— Les lois sont intouchables parce qu’elles sont garanties par des contrats
sacralisés [irrevocable law ; ad superstitionem].
— Les serments sont irrévocables, ils sont gagés sur des puissances surnaturelles
[ fallacy of vows or promissory oaths ; ad superstitionem]. Cette fallacie, ainsi
594 ♦ Typologies (II)
que la précédente, lie les mains des générations futures, en interdisant toute
modification des lois ou de la constitution.
— Absence de précédent : “C’est inouï ! On n’a jamais vu ça !” [no-precedent
argument ; ad verecundiam].
— L’autorité dissimulée sous de la fausse modestie [self-assumed authority ; ad
ignorantiam ; ad verecundiam].
— L’autorité outragée : il y a des gens qu’on doit croire sur parole ; toute enquête
à leur sujet serait une offense : “Moi, faire des choses pareilles ! Soupçonner un
homme comme moi !” [self-trumpeter’s fallacy].
— Les personnalités incontestables, les mesures qu’elles soutiennent doivent être
adoptées sans examen : “Vous pouvez me faire confiance !” [laudatory personalities ;
ad amicitiam].
Fallacies alarmistes [f. of danger] — Elles sont toutes fondées sur l’appel à la peur
(ad metum) ou à la haine (ad odium) :
— Attaquer la personne [vituperative personalities ; ad odium] : “Celui qui propose
cette mesure entretienne de mauvais desseins ; il a mauvaise réputation ; de mauvaises
fréquentations ; il porte le même nom que quelqu’un qui a laissé un mauvais souvenir.”
— Crier au loup-garou [hobgoblin argument] : “Pas d’innovation ! Elles conduisent
à l’anarchie !”
— Inspirer la méfiance : “Méfiance ! Qu’est-ce qui se cache derrière cette proposition ?”
— Se réfugier derrière les institutions [official malefactor’s screen] : “Celui qui
m’attaque attaque le gouvernement, la Constitution, la République…”
— Intimider l’accusateur [accusation-scarer device], en le traitant de calomniateur,
particulièrement si les preuves qu’il apporte ne sont pas absolument concluantes.
Fallacies de temporisation [f. of delay]
Ces manœuvres permettent de gagner du temps, dans l’espoir que la décision sans
cesse repoussée ne sera jamais prise. Certaines reposent sur la stupidité et la paresse
d’esprit (lat. socordia) :
— Tranquilliser [the quietist fallacy ; ad quietem] : “Pourquoi changer, personne
ne se plaint !”
— Donner une consolation fallacieuse [false consolation ; ad quietem] :
“Allez donc voir ailleurs, c’est bien pire !”
— Procrastiner, remettre à une autre fois [procrastinator’s argument ; ad
socordiam] :
“Attendez donc, ce n’est pas le bon moment”
— Ralentir [snail’s pace argument ; ad socordiam] : “Chaque chose en son temps !
Hâtons-nous, mais avec lenteur !”
« Une chose après l’autre ! Pas si vite ! Lentement mais sûrement !” » (trad. Cléro].
— Opérer des diversions subtiles (artful diversion ; ad verecundiam] :
“Pourquoi cette mesure et pas telle autre ?”
Typologies (III) ♦ 595
Fallacies de confusion [f . of confusion]
— Termes biaisés, introduisant une pétition de principe [question-begging
appellatives ; ad judicium]
— Imposture terminologique [impostor terms ; ad judicium]
— Généralités vagues [vague generalities ; ad judicium]
— “Idoles”, mots sacrés et intouchables [allegorical idols ; ad imaginationem]
— Classifications hâtives et amalgames : tout est mis dans le même sac [sweeping
classifications ; ad judicium]
— Pseudo-distinctions, fausses symétries, tromperies [sham distinctions ; ad
judicium]
— “Le peuple est corrompu” [popular corruption ; ad superbiam]
— Irrationnalisme - Sophismes anti-rationnels [anti-rational fallacies ; ad
verecundiam]
— Affirmations paradoxales [paradoxical assertions ; ad judicium]
— Erreurs d’attribution causale [non causa pro causa ; ad judicium]
— Partialité, parti-pris, esprit de parti [partially-preacher’s argument ; ad
judicium]
— “La fin justifie les moyens” [the end justifies the means ; ad judicium]
— Isoler l’opposant [opposer-general’s distinction ; ad invidiam]
— Opposition systématique : rejeter plutôt qu’amender [rejection instead of
amendment ; ad judicium].
On remarquera que Bentham ne rapporte pas ses fallacies à des formes logiques, mais
les présente sous forme d’énoncés qui constituent des condensés d’argumentation,
parfois proche du slogan. Les topoi se rapprochent des “clichés” discursifs.
Dans toutes ces manœuvres Bentham voit des sophismes, ce qu’elles peuvent
effectivement être. Il faut entendre ici par fallacy une accusation faite aux opposants
de se livrer à des manœuvres d’obstruction ou de manipulation, de produire de mau-
vais arguments avancés avec mauvaise foi, pour repousser une discussion légitime
et servir des objectifs malhonnêtes ou antidémocratiques. Le problème général est
celui des conditions de disputabilité d’un problème, à la négociation des conditions
préparatoires de l’argumentation. Elles ne vont pas forcément de soi et peuvent faire
partie du problème et du différend, V. Conditions de discussion.
Niveau 2 Niveau 1
Arg. quasi-logiques § 46-49. Contradiction et incompatibilité
§ 50. Identité et définition
L’analycité et la tautologie
Perelman souligne les liens existant entre ces diverses formes d’arguments.
1. Argument from position to know Argumentation fondée sur le fait qu’on est
bien placé pour savoir
2. A. from expert opinion A. fondée sur l’expertise
3. A. from witness testimony A. fondée sur un témoignage
4. A. from popular opinion, ad populum A. invoquant l’opinion courante, ad populum
5. A. from popular practice A. invoquant la pratique courante
6. A. from example A. fondée sur un exemple
7. A. from analogy A. fondée sur une analogie
8. Practical reasoning from analogy Raisonnement pratique par analogie :
(une façon de faire est justifiée par la façon de
faire courante)
9. A. from composition A. fondée sur la composition
10. A. from division A. fondée sur la division
11. A. from opposition (contradictory, A. fondée sur une opposition (contraire,
contrary, converse, incompatible) contradictoire, converse, incompatible)
12. Rhetorical argument from Argumentation rhétorique par opposition
opposition (topos des contraires)
13. Argument from alternatives Argumentation fondée sur l’existence d’une
alternative (connecteur ou, disjonction)
14. A. from verbal classification A. de la classification verbale (a)
15. A. from definition to verbal A. de la définition à la classification (b)
classification
16. A. from vagueness of a verbal A. du vague d’une classification verbale (c)
classification
17. A. from arbitrariness of a verbal A. de l’arbitraire d’une classification verbale (d)
classification
18. A. from interaction of act and person A. exploitant le lien entre l’acte et la personne
19. Argumentation from values A. fondé sur des valeurs
20. Argumentation from sacrifice A. fondée sur le sacrifice (e)
21. A. from the group and its members Argumentation généralisant au groupe une
qualité de ses membres (f)
22. Practical reasoning Raisonnement pratique (g)
23. Two-person practical reasoning Raisonnement pratique impliquant deux
personnes (h)
24. Argument from waste A. du gaspillage
25. A. from sunk costs A. des coûts irrécupérables(i)
26. A. from ignorance Argumentation fondée sur l’ignorance
27. Epistemic argument from ignorance A. épistémique fondée sur l’ignorance (j)
600 ♦ Typologies (III)
28. Argument from cause to effect A. fondée sur la cause et concluant à l’effet
29. A. from correlation to cause A. concluant d’une corrélation à une causalité
30. A. from sign A. fondée sur le signe
31. Abductive argumentation scheme Schème pour l’argumentation abductive
32. Argument from evidence to a A. justifiant ou rejetant une hypothèse à partir
hypothesis des faits
33. A. from consequences A. pragmatique, par les conséquences positives
ou négatives
34. Pragmatic argument from A. pragmatique dans le cas d’une alternative (k)
alternatives
35. Argument from threat Employer la menace (Arg.) pour pousser à
l’action
36. A. from fear appeal Faire peur (Arg.) pour pousser à l’action (l)
37. A. from danger appeal Dissuader de faire en arguant d’un risque
encouru
38. A. from need for help Une action est justifiée parce qu’elle apporte
de l’aide à quelqu’un
39. A. from distress Une action est justifiée parce qu’elle apporte
de l’aide à quelqu’un qui est dans la détresse
40. A. from commitment Argumentation fondée sur les engagements (m)
41. Ethotic argument Argument éthotique
42. Generic ad hominem A. ad personam
43. Pragmatic inconsistency A. ad hominem opposant les croyances et les
actes (n)
44. Argument from inconsistent A. ad hominem sur la fluctuation et
commitment l’incohérence des principes et croyances
affichés
45. Circumstantial ad hominem Ad hominem contextuel (n)
46. Argument from bias A. du parti pris (o)
47. Bias ad hominem A. de la personnalité biaisée (o)
48. Argument from gradualism Argumentation par itération (p)
49. Slippery slope argument Argument de la pente glissante
50. Precedent slippery slope argument Pente glissante et précédent (q)
51. Sorites slippery slope argument Le sorite comme pente glissante
52. Verbal slippery slope argument Pente glissante verbale (p) (r)
53. Full slippery slope argument Pente glissante radicale (s)
54. Argument for constitutive-rule A. justifiant une règle constitutive d’un jeu de
claim langage
Typologies (III) ♦ 601
(slippery slope, formes (49) à (53)), et exprime le paradoxe du sorite (également mentionné
en (52) : “si on enlève un grain à un tas de grains, on a toujours un tas ; si on enlève un autre grain,
on a toujours un tas … jusqu’à quelle limite?”.
(q) Cas de la pente glissante utilisée pour rejeter un traitement exceptionnel, car cette
exception fonderait une ligne de précédents aboutissant à l’inacceptable.
(r) Cas de la pente glissante utilisée pour rejeter l’attribution d’une propriété à un objet, car
cette propriété se transmet par voisinage jusqu’à un objet qui ne la possède manifestement pas.
(s) Cas de la pente glissante invoquée pour ne pas s’engager dans une série sans fin.
Valeur
Le terme valeur renvoie, de façon spécifique à :
1. La valeur de vérité d’une proposition, V. Logique classique (II) ; Logique classique
(IV) ; Présupposition.
2. La valeur d’une argumentation ou d’un argument, V. Évaluation et évaluateur ;
Normes ; Force.
3. La question des valeurs et des jugements de valeur, qui fait l’objet de cette entrée.
1. En philosophie
La tradition philosophique considérait que les questions « sur le bien, la fin, le juste,
le nécessaire, le vertueux, le vrai, le jugement moral, le jugement esthétique, le beau,
le vrai, le valide » (Frankena 1967 : Art. Value and Valuation) relevaient de domaines
séparés (morale, droit, esthétique, logique, économie, politique, épistémologie). Ce
n’est qu’à la fin du xixe siècle qu’elles ont été reprises dans le cadre d’une théo-
rie générale des valeurs, de lointaine ascendance platonicienne ; puis « cette ample
discussion sur la valeur, les valeurs, les jugements de valeur s’est ensuite répandue
jusqu’en psychologie, dans les sciences sociales, les humanités et même dans le dis-
cours ordinaire » (ibid.).
604 ♦ Valeur
Les jugements de valeur sont opposés aux jugements de réalité. Ils ne peuvent pas
en être dérivés. Si deux jugements de vérité portés sur une même réalité sont contra-
dictoires, l’un d’eux est forcément faux (principe du tiers exclu) ; les faits s’imposent
et font l’objet de constatation. En revanche, les valeurs sont l’objet d’adhésion, et deux
jugements de valeur contradictoires, “c’est beau ! / c’est laid !”, peuvent être également
justifiés. Il n’y a pas de critères permettant de caractériser une classe d’énoncés
comme jugements de valeurs sans référence au contexte : “c’est une voiture” peut être
un jugement de fait ou un jugement de valeur ; “c’est une vraie voiture” est uniquement
un jugement de valeur (voir Dominicy s. d., p. 14-17). Le Traité maintient cependant
l’opposition à titre « précaire » (Perelman et Olbrechts-Tyteca [1958], p. 680) et pour
des débats particuliers.
Dans le langage du Traité, il s’ensuit que les valeurs substantielles et jugements de
valeur « sont des objets d’accord ne prétendant pas à l’adhésion de l’auditoire univer-
sel » (ibid., p. 101), mais seulement d’auditoires particuliers, V. Auditoire. Les valeurs
dites universelles « telles que le Vrai, le Bien, le Beau, l’Absolu » ne le sont « qu’à la
condition de ne pas spécifier leur contenu » (ibid., p. 102) ; elles sont « le cadre vide »
adapté à tous les auditoires, et en tant que tel de purs outils de persuasion (ibid., 102).
Le processus d’acquisition des valeurs est différent du processus d’acquisition de
la vérité. Les valeurs sont acquises en particulier à travers l’éducation et le langage, et
elles font l’objet de renforcement spécifique à travers le genre épidictique. Les genres
délibératif et judiciaire sont des genres argumentatifs, visant à la prise de décision
collective en situation de conflits de positions. Selon Perelman, le genre épidictique a
un statut tout différent, il n’admet pas la contradiction ; son objet est le renforcement
de l’adhésion aux valeurs du groupe « sans lesquelles les discours visant à l’action ne
pourraient trouver de levier pour émouvoir et mouvoir leurs auditeurs » (1977, p. 33).
et celui de l’opposant peuvent prendre appui sur des valeurs radicalement incom-
patibles ; le rôle des tiers (juge ou votants) devient alors essentiel pour trancher le
conflit de valeurs, plus que pour le résoudre.
Selon le Traité, ces lieux des valeurs correspondent aux lieux de l’accident des
Topiques d’Aristote (ibid., p. 113). Ils sont donc opératoires sur un domaine plus vaste
que celui des valeurs.
« La femme vit que l’arbre était bon à manger et agréable à la vue, et qu’il
était précieux pour ouvrir l’intelligence. » (Genèse 3, 6)
« Bon à manger » : le bon, comme plaisir des sens ; « agréable à la vue » : le beau, plaisir
des yeux ; « précieux pour ouvrir l’intelligence » : le vrai, plaisir du savoir.
Verbiage
La Logique de Port-Royal stigmatise la technique de l’inventio, la topique, comme
stimulant la « mauvaise fertilité de pensées communes » (Arnauld et Nicole [1662],
p. 235), V. Rhétorique ; on pourrait adresser la même critique aux techniques de l’elo-
cutio qui, en stimulant et vantant l’abondance des mots (copia verborum), produisent
un discours verbeux et redondant. V. Inutilité.
Cette fallacie de verbiage est une sorte de méta-fallacie, car elle fait passer toutes
les autres ; d’après Whately « une très longue discussion est l’un des masques les plus
efficaces des fallacies ; […] une fallacie, qui, affirmée sans voile […] ne tromperait pas
un enfant peut tromper la moitié du monde si elle est délayée dans un gros in-quarto
(Elements of Logic [1844], p. 171) » ; cité par Mackie (1967, p. 179).
Le rejet du verbiage entraîne celui de l’éloquence, définie comme abondance de
mots (copia verborum).
Vraisemblable, Vrai ♦ 609
Vertige, arg.
BB Lat. argument ad vertiginem, du lat. vertigo “mouvement de rotation,
vertige”.
À Her. = Rhétorique à Herennius, trad. fr. par G. Achard, Paris, Les Belles Lettres, 1989.
Adam J.-M., 1996, « L’argumentation dans le dialogue », Langue française, 112, p. 31-49.
Adorno Th. W., Frenkel-Brunswik E., Levinson D., Sanford N., [1950]/2007, Études sur la
personnalité autoritaire, trad. de l’anglais [The authoritarian personality] par H. Frappat,
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Al-Ghazali, Bal. = La balance juste, Paris, Iqra, 1998.
Al-Ghazali, Dég. = Les dégâts des mots, Paris, Iqra, 1995.
Amossy R., 1991, Les idées reçues. Sémiologie du stéréotype, Paris, Nathan.
Amossy R. éd., 1999, Images de soi dans le discours. La construction de l’éthos, Genève,
Delachaux et Niestlé.
Amossy R., [2000]/2006, L’argumentation dans le discours, Paris, Nathan.
— 1999, « La notion d’éthos, de la rhétorique à l’analyse de discours », Images de soi dans le
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Table des entrées
A
A cohærentia ► Cohérence 17 Ad verecundiam ► Modestie, arg. 44
A comparatione, arg. 17 Affirmation du conséquent ►
A conjugata, arg. 17 Déduction 44
A contrario, arg. 17 Alignement, Alliance argumentative ►
A fortiori, arg. 18 Orientation (I) 45
A pari, arg. 21 Ambiguïté 45
A priori, A posteriori, arg. 27 Ambiguïté syntaxique 45
A repugnantibus, arg. 29 Amphibolie ► Ambiguïté syntaxique 46
A simili, arg. 29 Analogie (I) : La pensée analogique 46
Ab —, ad —, ex — : les noms latins Analogie (II) : Le mot et le concept 48
des arguments 30 Analogie (III) : Analogie catégorielle, arg. 52
Ab exemplo, arg. 32 Analogie (IV) : Analogie structurelle, arg. 55
Abduction 33 Antanaclase, Antimétabole, Antiparastase ►
Absurde, arg. 34 Orientation (II) 62
Absurde : Démonstration par l’absurde 35 Antithèse 62
Accent ► Paronymie 36 Antonomase ►
Accident (fal.) 36 Imitation — Parangon — Modèle 63
Accord 37 Apagogique, arg. 63
« Accords préalables » ► Conditions Aporie ► Assentiment ; Stase 63
de discussion 38 Apparentés ► Dérivés ou Mots dérivés, arg. 63
Ad baculum ► Châtiments Après comme avant, arg. 63
et récompenses 38 Argument, argumentation : les mots 64
Ad hominem, arg. 38 Argument — Conclusion 67
Ad incommodum, arg. 42 Argumentaire ► Script argumentatif 71
Ad judicium ► Fond, arg. 42 Argumentation (I) : Un corpus de définitions 72
Ad personam ► Attaque personnelle 42 Argumentation (II) : Traits définitionnels 76
Ad populum, arg. 42 Argumentation (III) : Questions et carrefours 81
Ad quietem ► Tranquillité 44 Argumentation (IV) : De la composition
Ad rem ► Fond, arg. 44 d’énoncés à l’énoncé auto-argumenté 83
630 ♦ T able de s entr ée s
B
Balisage de l’argumentation 115 Bon sens ► Doxa ; Autorité 120
Biais langagier 117
C
Carte argumentative ► Script 121 Conclusion ► Argument — Conclusion 151
Cas par cas, arg. 121 Conditions de discussion 151
Catégorisation 122 Connaissance immédiate et connaissance
Cause 126 par inférence 154
Causalité (I) 126 Connecteur ► Balise ; Marqueur 156
Causalité (II) : Argumentation établissant et Consensus — Dissensus 156
réfutant l’existence d’un lien causal 128 Conséquence, arg. 161
Causalité (III) : Argumentation par la cause 134 Contradiction 162
Cercle vicieux 135 Contraire et contradictoire 163
Charge de la preuve 137 Contraires, arg. 165
Châtiments et récompenses 139 Contre-argumentation 169
Chaudron, arg. 139 Contre-proposition ►
Circonstances 140 Contre-argumentation 170
Classe argumentative ► Échelle Convergence 170
argumentative 142 Convergence — Liaison — Série 172
Cohérence, arg. 142 Converse 172
Comparaison, arg. 144 Corrélatifs, arg. 173
Complétude, arg. 145 Critique — Rationalités — Rationalisation 174
Composition et division 145 Croyances de l’auditoire, arg. 178
Concession 150
D
Débat 179 Destruction du discours 209
Déduction, arg. 182 Diallèle ► Cercle vicieux 211
Définition (I) 185 Dialectique 211
Définition (II) : Argumentation Dilemme 214
des définitions 191 Direction, arg. 215
Définition (III) : Argumentation par Dispute ► Dialectique ; Débat 216
la définition 192 Dissensus ► Consensus — Dissensus 216
Définition (IV) : Définition persuasive 196 Dissociation 216
Démonstration et argumentation 198 Distinguo 219
Dépassement ► Direction 204 Division ► Composition et Division ;
Dérivés ou Mots dérivés, arg. 204 Cas par cas 220
Désaccord conversationnel et désaccord Doute 220
argumentatif 207 Doxa 221
T able de s entr ée s ♦ 631
E
Échelle argumentative 223 Éthos (IV) : “caractère” de l’auditoire 249
Ecthèse ► Exemple 224 Étymologie, arg. ► Sens vrai du mot, arg. 250
Émergence de l’argumentation 224 Évaluation et évaluateur 250
Émotion : la construction argumentative Évidence 255
de l’émotion 225 Évidentialité 258
Enthymème 231 Ex concessis 259
Épichérème 236 Ex datis 259
Épitrope 237 Exagération 261
Étape et amorçage 238 Exemple, arg. 262
Étayage 239 Exemplum 267
Éthos (I) : le mot 240 Explication 269
Éthos (II) 242 Expression 272
Éthos (III) : une “catégorie stylistique” 247
F
Fallacies comme péchés de langue 275 Fausse piste 293
Fallacieux (I) : les mots : fallacieux, fallace ; Figure 293
ang. “fallacy” 278 Foi, arg. 294
Fallacieux (II) : définitions, théories et listes 279 Fond, arg. 295
Fallacieux (III) : Aristote 285 Force 298
Fallacieux (IV) : Port-Royal, Bacon, Locke 288 Force des choses, arg. 299
Fausse cause ► Causalité (II) 293
G
Gaspillage, arg. 301 Généralité de la loi, arg. 303
Généralisation hâtive ► Induction, arg. 303 Genre, arg. 303
Génétique ► Intention du législateur, arg. ;
Fallacieux (II) 303
H
Historique ► Intention du législateur, arg. 307 Homonymie (fal.) 307
Homme de paille ► Représentation
du discours 307
I
Ignorance, arg. 309 Intention du législateur, arg. 321
Ignorance de la réfutation, Ignoratio Interaction, Dialogue 322
elenchi ► Pertinence 312 Interprétation, arg. 325
Imitation — Parangon — Modèle 312 Interprétation, exégèse, herméneutique 329
Indicateur ► Marqueur 313 Intitulé, arg. 332
Indice 313 Inutilité, arg. 332
Induction 315 Ironie 333
Inférence 318
J
Juste milieu, arg. 337 Justification et délibération 339
Justice, règle de — 338
L
Liées (prémisses) 341 Lieu commun 343
632 ♦ T able de s entr ée s
Ligne argumentative ► Script argumentatif 343 Logique classique (IV) : Connecteurs et calcul
Logique (I) : Art de penser, branche des propositions 357
des mathématiques 344 Logiques du dialogue 363
Logique classique (II) : Terme – Proposition Lois de discours 365
– Carré logique 349 Lois de passage ► Modèle de Toulmin ;
Logique classique (III) : Syllogisme 354 Topos 367
M
Manipulation 369 Métaphore, analogie, modèle 385
Marqueur d’argument, marqueur Métonymie et synecdoque 390
de conclusion 374 Mobiles et motifs 391
Menace, arg. 382 Modèle de Toulmin 393
Mépris, arg. 384 Modestie, arg. 398
Mesure proportionnée, arg. 385 Morphème argumentatif 400
N
Naturaliste, arg. ► Force des choses, arg. 405 Nombre ► Consensus, arg. 409
Négation 405 Non-contradiction 409
Négation de l’antécédent ► Déduction 408 Normes 410
Nom propre, arg. 408 Nouveauté ► Progrès, arg. 411
O
Objection 411 Organisation raisonnée ► Argument -
Objet de discours 412 Conclusion 417
Ontologique, arg ► A priori, A posteriori, Orientation (I) : Une théorie du sens
arg. 413 argumentatif 417
Opposant ► Rôles de l’argumentation 413 Orientation (II) : inversion d’orientation
Opposition (figures) 413 argumentative 420
Orateur — Auditoire 415
P
Paradiastole ► Orientation (II) : Inversion Polysyllogisme ► Sorite 463
d’orientation argumentative 425 Pragmatique, arg. 463
Paradoxes de l’argumentation et de Précédent, arg. 464
la réfutation 425 Présupposition 465
Paralogismes syllogistiques 428 Preuve et arts de la preuve 467
Paronymie 433 Preuves “techniques” et “non techniques” 474
Pathétique, arg. 434 Preuves “non techniques” 475
Pathos, de preuve à fallacie 435 Preuves “techniques” : éthos – logos –
Pente glissante, arg. 443 pathos 477
La Personne en argumentation 445 Principe de coopération 480
Personne topique : les lieux communs Probable, vraisemblable, vrai 481
de la personne 448 Progrès, arg. 485
Persuader, convaincre 450 Prolepse 487
Persuasion 452 Proportion 488
Pertinence 458 Proposant ► Rôles de l’argumentation 489
Pétition de principe, Petitio principii ► Proposition 489
Cercle vicieux 461 Pseudo-simplicité ► Fallacieux (II) :
Polémicité ► Débat ; Présupposition ; définitions, théories et listes 489
Rôles 461 Psychologique ► Intention du législateur,
Politesse argumentative 461 arg. 489
T able de s entr ée s ♦ 633
Q
“Quasi-logique”, arg. 491 Question argumentative 492
Question 492 Question chargée 497
R
Raisonnements à deux termes 499 Représentation du discours 511
Rationalité — Rationalisation ► Respect, arg. 512
Critique — Rationalités Rétorsion 513
— Rationalisation 500 Rhétorique argumentative 514
Réciprocité, arg. 500 Rhétorique fallacieuse ? 519
Réfutation 501 Richesse et Pauvreté, arg. 523
Règles 505 Rire et Sérieux 524
Relations, arg. 508 Rôles : Proposant, Opposant, Tiers 525
Répétition 510
S
Schéma, schème, schématisation 531 Stratégie 552
Schématisation 531 Structure argumentative 554
Script argumentatif 535 Suivisme ► Ad populum ; Consensus 555
Sens strict, arg. 537 Sujet en question, arg. 555
Sens vrai du mot, arg. 537 Superstition, arg. 556
Série (argumentations en —) 540 Syllogisme ► Logique classique (III) 556
Silence, arg. 542 Symétrie ► Réciprocité 556
Sites argumentatifs 543 Synecdoque ► Métonymie et Synecdoque 556
Sophisme, sophiste 545 Systématique, arg. 556
Sorite 546 Syzygie 557
Stase 548
T
Taxinomie et catégories 559 Topos inférentiel 574
Témoignage 563 Tout et Partie ► Composition et division, arg.
Tiers ► Rôles de l’argumentation 565 579
Toi aussi !, arg. 565 Tranquillité, arg. 580
Topique 566 Transitivité ► Relation 581
Topique de la délibération politique 567 Types et typologies des arguments 581
Topique juridique 567 Typologies (I) : Anciennes 587
Topique substantielle 572 Typologies (II) : Modernes 591
Topos 573 Typologies (III) : Contemporaines 596
V
Valeur 603 Vertige, arg. 609
Verbiage 608 Vraisemblable, Vrai ► Probable 609
Table
Remerciements 5
Avant-propos 7
Conventions 13
Dictionnaire 17
Références 611
IMPRIMÉ EN FRANCE
Dictionnaire de l’argumentation
Une introduction
aux études d’argumentation
Prix : 32 euros
isbn : 978-2-84788-416-6