Etudes Semantiques Et Pragmatiques Sur Le Temps, Aspect Et La Modalite
Etudes Semantiques Et Pragmatiques Sur Le Temps, Aspect Et La Modalite
Etudes Semantiques Et Pragmatiques Sur Le Temps, Aspect Et La Modalite
ISBN: 978-90-420-2308-6
©Editions Rodopi B.V., Amsterdam - New York, NY 2007
Printed in The Netherlands
Remerciements
Louis de SAUSSURE
Université de Neuchâtel
1. Introduction
2
À la suite de Bach (1989), ce terme (de l’anglais eventuality) est utilisé pour
recouvrir toutes les classes aspectuelles : états, activités, accomplissements et
achèvements.
3
L’avenir a été associé au contingent, c’est-à-dire ce qui peut être ou ne pas être,
à partir du chapitre IX du De interpretatione d’Aristote (García Suárez & al.,
eds, 1999 : 162-166), le philosophe de l’Antiquité dont le système nous reste le
plus accessible (Vuillemin 1984 : 8). C’est le célèbre problème des futurs
contingents, qui a été à l’origine d’une littérature et d’un débat très abondants.
La conception de l’avenir que nous présentons ici, de façon forcément concise,
et que l’on pourrait nommer post-aristotélicienne, coexiste avec une conception
nécessitariste.
Interprétation du futur de l’indicatif 9
Ainsi, certains ont compris que seul un système non déterministe serait
capable d’appréhender la dimension contingente associée à l’avenir dans
cette tradition. On ne se représenterait pas une séquence linéaire
d’événements, mais plutôt une structure arborescente incluant tout ce qui
pourrait avoir lieu ou toutes les possibilités futures. Cependant, nous voulons
attirer l’attention sur le fait que cette représentation de l’avenir serait en
réalité un schéma idéal, car on n’arriverait pas à imaginer toutes les
bifurcations possibles 4. Du moment que nous considérons qu’elle reste
attachée au sujet qui la conçoit ou la manipule, nous devons admettre qu’elle
n’est pas entièrement libre. Elle se voit contrainte, par exemple, par la propre
capacité cognitive du sujet. La version la plus plausible du fonctionnement de
notre système cognitif établirait que le nombre de données stockées par le
sujet ne serait pas illimité ou au moins qu’elles ne seraient pas toutes
accessibles au même moment et au même degré. De ce fait, certaines issues
théoriquement possibles ne nous seraient même pas manifestes. En tout cas,
l’absence de détermination sur le plan ontologique des éventualités futures
par rapport à l’état du monde au moment de l’énonciation, absence qui
s’ajoute à l’éventuelle insuffisance des connaissances, soulève le problème
philosophique de l’évaluation des conditions de vérité des propositions
contingentes à référence future.
Les arguments soutenant une dissymétrie ontologique et cognitive entre
passé et futur 5 pourraient porter à croire que les éventualités futures ne
seraient plus alors susceptibles d’être décrites par le langage comme le sont
les éventualités passées. Pareillement, dans une approche des temps verbaux
reposant sur une conception métaphysique post-aristotélicienne et sur des
modalités réelles ou temporelles 6, seuls les temps du passé serviraient à
4
Pourtant, il ne s’agirait pas d’une question d’ordre épistémique en rapport avec
l’insuffisance de la connaissance du sujet –dimension souvent associée au sujet
de notre représentation de l’avenir en comparaison avec notre représentation du
passé. D’ailleurs, notre accès au passé est également faillible. Ainsi, on ne
pourrait pas établir que le moment d’énonciation isole le certain (le passé et le
présent) du non-certain (l’avenir), car de même que certains événements passés
peuvent nous être inconnus, de même nous connaissons avec certitude certains
événements futurs (par exemple, des événements inéluctables : le soleil va se
lever). L. Gosselin (2005 : 83) remarque aussi, à l’appui de l’irrecevabilité de
cette « coupure modale » opérée par le moment d’énonciation, l’utilisation
courante d’énoncés du type Je sais qu’il va réussir, qui indiquent que nous
éprouvons des certitudes à l’égard de l’avenir.
5
Cf. Rocci (2000 : 261-262) pour une synthèse.
6
Dans la perspective des modalités que les philosophes appellent « réelles » ou
« temporelles », le passé, ainsi que le présent, constituent le domaine de
l’irrévocable, tandis que le futur relève de la modalité du possible. Les
événements passés et présents, et avec eux les propositions qui les expriment,
10 Camino Álvarez Castro
10
Pour ce qui est de la distinction entre usage descriptif et usage interprétatif d’un
énoncé, il peut être utile de reprendre la définition donnée dans Sperber &
Wilson (1986 : 228-229) :
« Any representation with a propositional form, and in particular any
utterance, can be used to represent things in two ways. It can represent
some state of affairs in virtue of its propositional form being true of that
state of affairs ; in this case we will say that the representation is a
description, or that it is used descriptively. Or it can represent some
other representation which also has a propositional form –a thought, for
instance– in virtue of a resemblance between the two propositional
forms ; in this case we will say that the first representation is an
interpretation of the second one, or that it is used interpretively »
Un énoncé est produit, donc, en usage interprétatif quand il est utilisé comme
représentation d’une autre représentation (métareprésentation). Autrement dit,
l’énoncé servirait à représenter la parole ou la pensée d’autrui au sujet d’un état
de faits. En réalité, nous ne voyons pas comment l’usage qui sera analysé dans
cet article pourrait être assimilé à un usage interprétatif, mis à part le cas de
l’ironie.
Interprétation du futur de l’indicatif 13
D’autre part, cette première thèse impliquerait qu’il persiste une valeur
modale –épistémique dans la plupart des analyses– dans la description Paul
passera demain au bureau, de sorte que cet énoncé se laisserait paraphraser,
par exemple, par (6) :
(6) Je suppose que Paul passera demain au bureau.
Il semble que l’on devrait assumer que ce qui est dit par les énoncés au futur
en usage non interprétatif est l’incapacité du locuteur de poser un jugement
en termes absolus sur la vérité de la forme propositionnelle de l’énoncé 11. Le
futur se laisserait, par conséquent, interpréter comme l’expression d’une
réalisation possible à l’intérieur d’un monde possible, le locuteur lui
assignant un certain degré de croyance.
Non seulement nous semble douteuse l’équivalence entre l’avenir
ontologique et le futur linguistique que nous reconnaissons sous-jacente, mais
nous rejetons aussi la thèse qui semble implicite dans ce type d’analyse :
l’état mental du locuteur (ce que les philosophes analytiques appellent
« attitude propositionnelle ») ferait partie du sens conventionnel de l’énoncé.
Il n’existe bien évidemment pas d’équivalence sémantique (linguistique et
conventionnelle) entre les propositions exprimées par les énoncés (1) et (6),
que nous reprenons ici :
(1) Paul passera demain au bureau.
(6) Je suppose que Paul passera demain au bureau.
pas à ce qui est dit par l’énoncé –sa forme propositionnelle ou explicitation
de premier ordre. Elle correspond à son explicitation d’ordre supérieur, sur la
vérité de laquelle le locuteur ne s’engage pas. Aucune équivalence ne peut
donc être prise en considération.
La position soutenue ici partage avec Gosselin (2001 : 52-53) le refus de
l’idée que les énoncés au futur présentent les propositions qu’ils expriment
comme simplement possibles. Ce rejet se manifeste parallèlement dans son
argumentation à l’inconvenance ou l’impossibilité de reprendre dans une
perspective linguistique l’articulation entre temps et modalité qui est à la base
de cette hypothèse et dont l’origine est à retrouver, d’après lui, dans le
chapitre IX du De interpretatione d’Aristote. Cette discussion autour de la
modalité épistémique pourrait s’élargir également à la modalité aléthique.
Une valeur modale aléthique atteindrait les propositions exprimant des
événements futurs, car elles ne sont ni vraies, ni fausses au moment de
l’énonciation. Cette valeur serait l’équivalent à l’indétermination de la valeur
de vérité de la proposition. L’inconvenance mentionnée unie à une approche
vérifonctionnelle nous permet d’écarter une telle assimilation de la coupure
modale au plan linguistique. D’après ce que nous avons exposé au §2,
l’interprétation d’une valeur modale, épistémique ou autre, ne serait pas
marquée par la forme de futur. Il s’agirait d’un fait pragmatique. Elle peut
être inférée à partir de la conception de l’avenir des interlocuteurs.
Les inconvénients posés ici et d’autres nous font partir à la recherche
d’une explication plus satisfaisante de l’usage descriptif d’un énoncé au futur
comme (1). La deuxième thèse se base sur l’idée à laquelle nous mènent nos
réflexions du §2 : la faculté du langage pour la description aussi bien
d’éventualités futures que d’éventualités passées. En premier lieu, nous
tenons à souligner que l’énoncé qui nous sert d’exemple, Paul passera
demain au bureau, ne doit pas être assimilé à la réalisation d’un acte
d’assertion. Il n’est pas nécessaire que l’interlocuteur se représente une
hypothèse du type « Le locuteur croit que Paul passera demain au bureau »
pour pouvoir comprendre l’énoncé 13. Cela n’implique pas qu’il ne soit pas
capable de déterminer la forme propositionnelle de l’énoncé, mais que
l’adhésion du locuteur à sa vérité n’est pas communiquée de façon
conventionnelle. D’un côté, nous contestons à nouveau l’idée que le langage
représente de façon transparente les états mentaux du locuteur : un locuteur
qui utilise un énoncé à forme déclarative n’exprime pas automatiquement sa
croyance en la vérité de la proposition exprimée, contrairement à ce qui est
13
Il n’est pas nécessaire non plus que l’interlocuteur se représente une hypothèse
du type « Le locuteur prédit que Paul passera demain au bureau » pour pouvoir
comprendre l’énoncé (1). Cf. Sperber & Wilson (1986 : 245) sur le caractère
non essentiel d’un acte de prédiction dans la compréhension d’un énoncé
portant sur un événement futur.
16 Camino Álvarez Castro
14
La pensée représentée par la forme propositionnelle P peut être conçue comme
une description soit par le locuteur et dans ce cas nous aurons un usage
descriptif de l’énoncé, soit par la personne ou le type de personne dont le
locuteur interprète la pensée et dans ce cas nous aurons un usage interprétatif.
15
Voici cette définition :
« Let us define saying that P, where P is the propositional form of the
utterance, as communicating that the thought interpreted by P is
entertained as a description of an actual state of affairs » (Sperber &
Wilson 1986 : 247).
16
D’après D. Sperber et D. Wilson (1986, 1995), la typologie traditionnelle des
actes de langage mise en place dans le cadre de la théorie des actes de langage
permet de classer les énoncés des locuteurs, mais cela ne veut pas dire pour
autant que cette classification joue un rôle dans la communication et dans la
Interprétation du futur de l’indicatif 17
X peut vouloir communiquer que la pensée exprimée est présentée non pas
comme la description d’un état de choses –réel ou possible–, mais comme la
description d’un état de choses désirable. Il s’agirait d’un acte de « telling »
(dire de). Quant à Y, il peut récupérer, parmi d’autres propositions, une
explicitation d’ordre supérieur du type « Je, X, désire que Y fasse l’exercice
signalé sur le cahier que je tiens dans ma main », si cette hypothèse est
cohérente avec le principe de pertinence. Une telle hypothèse serait le résultat
de l’interaction entre la forme linguistique de l’énoncé, les informations sur
la situation et les hypothèses contextuelles activées et accessibles.
En effet, la reconnaissance par l’interlocuteur de l’acte effectué par le
locuteur s’appuie en partie sur les indices explicites présents dans la forme
linguistique de l’énoncé 17 et sur le critère de cohérence avec le principe de
pertinence. Dans la quête de la pensée que le locuteur voulait communiquer
avec un énoncé comme, par exemple, Paul passera demain au bureau, la
18
Cependant, cette évaluation peut être erronée et elle ne garantit donc pas une
interprétation correcte, c’est-à-dire, celle qui est conforme aux intentions du
locuteur. Si l’on accepte que l’interprétation des énoncés ne se limite pas à un
simple processus de décodage, on devra admettre qu’il s’agit alors d’un
processus faillible où prennent part la formation et l’évaluation d’hypothèses.
Dans cette perspective, il n’y a pas de garantie absolue que l’interprétation qui
satisfait les expectatives de pertinence de l’interlocuteur soit celle qui était
prévue par le locuteur (Wilson 1993 : 349).
Interprétation du futur de l’indicatif 19
19
Cf. Gosselin (2005 : 22-27, 211-214) pour une explication sur le « processus
cognitif de représentation » et sur le « discours de représentation », dont nous
reprenons quelques idées. Le thème est particulièrement intéressant pour la
question dont nous nous occupons ici. La dissociation, opérée par le processus
cognitif de représentation, d’un ensemble de caractéristiques de la situation
perceptive permet au sujet d’échapper à sa situation spatio-temporelle et de se
déplacer à la rencontre des objets qui ne coïncident pas avec lui. De même, le
discours de représentation s’appuie sur le processus cognitif de représentation
de ce qui est absent et suppose la non-synchronie temporelle entre le sujet
présent et l’objet absent, mais qui est linguistiquement situé dans le temps.
20
Notre hypothèse suit la même direction que d’autres travaux sur le temps verbal
futur (Marschall 1999, Vet & Kampers-Manhe 2001, par exemple), en ce qu’il
est important, d’un point de vue linguistique, de reconnaître la différence entre
l’intention de communication du locuteur et le statut ontologique particulier des
éventualités futures. Cependant, si le but dernier de l’interlocuteur est
d’identifier l’intention informative du locuteur, autrement dit, de reconnaître
l’interprétation correspondante à la pensée que le locuteur cherche à lui
communiquer, le critère de sélection à appliquer doit être autre que l’intention
du locuteur. Dans la perspective pertinentiste, ce sont le principe de pertinence
et le critère de cohérence avec le principe de pertinence qui nous serviront
20 Camino Álvarez Castro
permet aussi de soutenir en même temps que le futur n’a pas une sémantique
modale quand il fait référence à des éventualités futures.
D’autre part, la nature descriptive de ces énoncés au futur peut se
retrouver éclairée aussi par comparaison avec les « énoncés de fiction ».
Même si ceux-ci portent sur des personnages et des événements fictifs, qui
n’appartiennent pas à ce que l’on considère le monde de la réalité, l’usage
descriptif de ces énoncés est également défendable. Tel que L. de Saussure
(2003 : 131) le signale, le changement de monde de référence est un fait
manifeste aux participants et les conditions d’utilisation d’une forme
propositionnelle ne changent donc pas de façon substantielle. Ainsi, la forme
propositionnelle d’un énoncé peut décrire un état de faits d’un monde fictif et
les conditions de vérité sont évaluées au sein de ce monde fictif, mais
partagé.
Observons, par exemple, le cas d’un adulte qui dit à un enfant :
(8) Le père Noël passe par la cheminée.
Bien que l’adulte sache qu’il ne s’agit pas du monde réel, il est conscient que
l’enfant pense que son monde imaginaire où existe le père Noël est le monde
réel. Ce dont il faut tenir compte dans ce cas en particulier n’est pas que la
fiction ne soit pas reconnue et interprétée comme telle, mais le fait qu’ils
partagent tous les deux le même monde de référence. Ce que l’adulte veut
communiquer – et que l’enfant interprète –, c’est que la pensée exprimée par
la forme propositionnelle « Le père Noël passe par la cheminée » est ce que
lui-même entretient comme la description d’un état de faits dans le monde
imaginaire de l’enfant. L’on est donc ainsi obligé d’admettre que le monde de
référence que l’on décrit peut ne pas être un monde constitué par des faits
avérés. En même temps, il est intéressant d’observer que l’adulte – ou
l’auteur d’un texte de fiction – n’est pas en train de mentir quand il produit
un énoncé renvoyant à un monde de référence qui n’est pas le monde réel. En
effet, ce qui est faux dans un mensonge est le rapport avec une réalité ou son
image mentale, vérifiable par une comparaison. C’est un indice assez fort du
fait que l’adulte communique une description qui est vraie du monde
imaginaire de l’enfant ou d’un certain monde (de fiction) qui est manifeste
aux deux en même temps.
De notre point de vue, il se passe quelque chose de similaire avec les
énoncés au futur. De même qu’avec les énoncés de fiction, on peut trouver
dans le renvoi à des événements futurs, non avérés, des usages descriptifs. Le
locuteur communique ostensiblement une information concernant le monde
dans un état à venir, non vérifiable au moment de l’énonciation. Cela se
5. Conclusion
Nous espérons avoir montré jusqu’ici que dans le cadre évoqué pour analyser
l’interprétation des énoncés, il est possible de soutenir une thèse
descriptiviste et référentielle en ce qui concerne l’expression langagière des
éventualités futures moyennant le temps verbal futur. Nous avons soutenu
que cette position impose de différencier, de leur représentation ontologique,
leur représentation linguistique à l’aide de ce temps verbal. Cette distinction
nous permet de reconstruire et de proposer une description du processus
interprétatif, en même temps que nous allégeons le contenu sémantique du
temps verbal futur de certaines valeurs modales qui lui ont été attribuées dans
d’autres études. Ce raisonnement que nous avons mené ici à partir de la
modalité épistémique devrait être semblablement appliqué, par exemple, aux
modalités aléthiques. Ce serait l’objet d’un autre travail.
D’autre part, des considérations comme celles que nous avons exposées
relancent la discussion sur la notion de modalité en rapport avec le futur dans
une perspective proprement linguistique. Elles mettent en relief la nécessité
d’abandonner un modèle des relations entre temps et modalité basé
Interprétation du futur de l’indicatif 23
Références
Viara BOUROVA
Liliane TASMOWSKI
Université d’Anvers
1. Le problème
La filière menant des périphrases latines avec habere aux futurs du présent et
du passé romans est bien connue. Ainsi lit-on dans Herman (1996, 57) que
« ces formes remontent, sans l’ombre d’un doute, à l’infinitif (Inf.) latin suivi
des formes personnelles du verbe habere »:
(1a) cantare habeo > chanterai (fr.) / cantaré (esp., ptg.) / canterò (it.)
(1b) cantare habebam > chanterais (fr.) / cantaría (esp., ptg., anc.it.)
(1c) cantare habui > canterei (it.) 1
1
Aujourd'hui avrei cantato.
2
Les exemples plus tardifs de {habere, Infinitif} ne sont pas majoritairement des
séquences de type IH (Coleman 1971, 230 ; Bourova 2005).
3
La présente étude s’inscrit dans le cadre d'un projet de recherche BOF-NOI
financé par l’Université d’Anvers et portant sur le développement du
conditionnel dans les langues romanes. Les auteurs remercient les participants
au colloque Chronos 6 et deux relecteurs anonymes pour leurs commentaires et
suggestions.
2. Propositions de solution
2.1. La justification sémantique traditionnelle
Notons au passage que le propos du TLL reste très approximatif, et que des
prédominances posées sur la base de rapports qui frisent les 50% ne sont pas
vraiment convaincantes.
5
Bien qu'il reconnaisse que, comme le veut le TLL, certains des exemples sont de
sens potentiel.
La préhistoire des futurs romans – ordre des constituants et sémantique 27
interaction dont nous nous proposons d'éclairer certains aspects à partir d'un
ensemble de données nouveau.
Dans ce qui suit, nous tenterons d'exploiter la piste ouverte par
Nocentini en cherchant des phénomènes (autres que l'ordre IH ou HI, mais
allant de pair avec eux) pouvant caractériser les cas où habere fonctionnerait
d'une part comme auxiliaire et clitique, d'autre part comme verbe plein, et
d'établir si les groupes ainsi obtenus font montre d'une certaine homogénéité
sémantico-pragmatique. Dans l'affirmative, le parallélisme syntaxe-
sémantique pourra passer pour une explication de la façon dont le passage
d'une tournure périphrastique à une forme verbale simple peut se faire.
3. Les coverbes 6
3.1. Les types de modalité
Dans sa combinaison avec l'infinitif, habere en latin tardif est le plus souvent
considéré comme un verbe modal 7, et en tant que tel, on s'attend à ce qu'il
connaisse un emploi déontique (ou radical), et un emploi épistémique. Ou,
dans la terminologie de Kratzer (1991, 650), qu'on distingue entre modalité à
base modale circonstancielle (« in view of what the law provides, given the
regulations ») et modalité à base modale épistémique (« in view of what we
know, the available evidence »). La première prend mesure sur des sources
reliées à des lois, des buts, des plans et des désirs; la seconde sur des sources
reliées aux connaissances: le cours normal des choses, les comptes-rendus,
les croyances (Kratzer 1991, 649). Du point de vue constructionnel, les deux
diffèrent par leur structure argumentale et par leur portée: selon Abraham
(2001), le verbe modal à interprétation radicale est un prédicat à trois places
(agent, patient [+animé], p), tandis que le verbe modal à interprétation
épistémique est un opérateur monadique qui porte sur toute la proposition (p).
Les données quantitatives suggèrent que l’agentivité (sujet animé, 1ère ou 2ème
pers., verbe d’action contrôlable) est cruciale pour l’interprétation déontique,
tandis que l’épistémique est typiquement lié aux sujets existentiels et aux
verbes d’état (e.a. Coates 1983, Heine 1995). La modalité déontique (à base
circonstancielle, impliquant un agent possible et donc un FAIRE) a trait à
l'obligation et la permission, la modalité épistémique (qui concerne un état de
choses, et donc un ÊTRE), s' applique tant à la nécessité qu'à la possibilité.
Kronning (1990, 1996, 2001), pour le verbe devoir en français, propose
plutôt une tripartition entre emplois, en distinguant d’une part le domaine du
déontique (l'obligation morale et l'obligation pratique de FAIRE ÊTRE), d’autre
part le domaine de l’aléthique (la nécessité d’ÊTRE véridicible) et en
6
« est coverbe tout verbe qui se construit avec un mode impersonnel – infinitif,
participe » (Kronning 2003, 232).
7
Cette approche est contestée par Pinkster (1985).
La préhistoire des futurs romans – ordre des constituants et sémantique 29
Revenons-en maintenant aux faits du latin. Existe-t-il une relation entre des
phénomènes syntaxiques (p.ex. l’ordre des mots) et une division des verbes
employés avec l’Infinitif ou le Participe en auxiliaires et en coverbes?
Pour ce qui est des verbes autres que habere qui se combinent avec
l'Infinitif (possum, debeo, volo, coepi etc.), il a été établi en littérature
que l’ordre {possum, debeo...} + dicere est devenu l’ordre presque invariable
en latin tardif (Adams 1991, 133 ; Stengaard 1985).
D’autre part, le seul verbe grammaticalisé du latin, le seul verbe à entrer
dans le paradigme de la conjugaison, est esse: esse sert à former le parfait au
passif (factus est) et la coniugatio perifrastica avec les participes futurs
(facturus est, faciendum est), et pour ces combinaisons-là, le tableau est très
différent de ce qui se passe avec posse et debere : selon nos décomptes, dans
81% des cas chez Pétrone et dans 95% des cas dans la Peregrinatio
Aetheriae, le verbe esse suit le participe (cf. aussi Stengaard 1985, 217;
Herman 1996, 67). Les exceptions se présentent majoritairement avec des
temps autres que le présent, formés sur le radical passé fu- et/ou avec des
formes non monosyllabiques. La préférence de esse pour la postposition au
verbe lexical quand esse se construit avec un participe doit être due à son
caractère clitique.
30 Viara Bourova & Liliane Tasmowski
4. L’hypothèse
4.1. Les interprétations possibles
laisse détecter dans aucun de nos exemples de {habere, Inf.}, en accord avec
les observations typologiques (e.a. Bybee et al. 1994) selon lesquelles les
emplois épistémiques sont en général tardifs. Mais cela n’empêche pas de
considérer l’aléthique comme une catégorie à part, différente à la fois du
déontique et de l’épistémique au sens restreint. L'aléthique est bien une
modalité de l’ÊTRE, et non pas une modalité du FAIRE, tout en étant distincte
de l’épistémique, et nous croyons que la distinction est cruciale: d’une part, il
est possible d’illustrer avec {habere, Inf.} les différentes significations de
pouvoir et devoir déontiques (obligation pratique et morale, permission,
capacité). D’autre part, les exemples de {habere, Inf.} qui ont tradition-
nellement été interprétés comme des futurs se trouvent bien dans des
contextes qui font avant tout penser au devoir aléthique reconnu par
Kronning (devoir-auxiliaire du futur y compris, cf. e.a. Tasmowski 1980),
avec cette nuance de prédestination que soulignait Benveniste, tout en restant
encore distincts d’un morphème temporel.
Comparons à cet égard les exemples (2) et (3) d’un côté et (4) et (5) de
l'autre :
(2) Sed HABEO pauca adversus te DICERE. (Primasius Hadrumetinus, Commentarius
in Apocalypsin, 1,2) [Mais j’AI peu de choses A TE DIRE]
(3) non enim, ubi vocalis est, necesse habemus semper aspirare; sed ubicumque nos
HABEMUS ASPIRARE, necesse est ut sequatur vocalis. (Pompeius Grammaticus,
107.31) [Ainsi il n’est pas toujours nécessaire d’aspirer quand il y a une
voyelle ; mais là où NOUS SOMMES OBLIGES D’ASPIRER, c’est nécessairement le
cas qu’une voyelle suit.]
(4) Mortem timetis: quid timetis? ventura est: timeam, non timeam, VENIRE HABET;
sero, cito, ventura est. (Augustinus Hipponensis , De disciplina christiana, 11)
[Vous avez peur de la mort : qu’avez-vous à craindre ? Elle viendra
[inévitablement] : que je craigne ou que ne craigne pas, elle DOIT VENIR ; tôt ou
tard, elle viendra.]
(5) si enim sustuleris istam tertiam, REMANERE HABENT duae. (Pompeius
Grammaticus, 129.26) [si tu enlèves cette troisième [syllabe], il RESTERA deux
[syllabes].]
Dans (2) habere n’est pas loin d'avoir le sens du verbe plein ; dans (3) on a
une obligation ‘pratique’ (déontique). Les deux sont à la première personne,
typique pour la lecture radicale (cf. 3.1.). Ces exemples ont l’ordre HI. Par
ailleurs, (4) et (5) sont des cas typiques de modalité aléthique, avec des
formes à la 3e personne et des sujets non-animés; la nécessité est inférée grâce
à une loi naturelle dans (4) et une loi mathématique dans (5). (4) et (5)
présentent l’ordre IH.
L’hypothèse a été testée sur le matériel de notre base de données qui contient
la majorité des constructions latines de habere (dans toutes ses formes) avec
l’Infinitif (actuellement 671 exemples). Les exemples sont principalement
extraits du corpus électronique Library of Latin Texts (CLCTL-5), riche de
26 millions de mots environ pour la période examinée (des origines au 7-
8ème siècle)11 ; nous y avons ajouté les exemples cités en littérature si nous
avons réussi à récupérer un contexte relativement satisfaisant, et des
exemples provenant de dépouillements manuels.
11
Le triage des données extraites de CLCLT-5 a été réalisé en collaboration avec
Bianca Slobbe.
12
La notion est due à Fraenkel (cf. Laughton 1970) : il s'agit d'une unité
intonative. Le colon s'achève non seulement après chaque proposition, mais
aussi après chaque pause (que l’éditeur marque par une virgule) ou après un
constituant lourd (un ablativus absolutus, un circonstanciel long, un groupe
nominal alourdi de génitifs, etc.).
13
Nous excluons de cette étude les constructions avec participe ou infinitif de
habere.
14
C’est une construction impersonnelle du type habet (‘il y a’), donc de
signification existentielle.
34 Viara Bourova & Liliane Tasmowski
Certains exemples sont difficiles à interpréter, mais les deux exceptions les
plus claires à la régularité constatée, où on trouve en position initiale un HI
de sens aléthique, sont avec habere au plus-que-parfait :
(10) Unde Abimelech rex dixit ad Abraham: Nisi deus admonuisset me nocte in
visione, HABUERAM PECCARE in te, sed (…) (Arnobius Iunior, Commentarii in
Psalmos, 104) [Alors le roi Abimélech dit à Abraham : « Si Dieu ne m’avait
pas averti pendant la nuit dans une vision, J’AURAIS COMMIS UN PECHE
CONTRE TOI, mais (…)]
5.2.2. Ordre IH
sint praedicat, sed quasi facta sint narrat. (Novatianus, De Trinitate, 28)
[Souvent l’Ecriture sainte annonce comme passés des événements qui ne
sont pas encore arrivés, parce que ces événements doivent arriver ainsi, et
les choses qui de toutes façons DOIVENT SE PASSER, au lieu de les prédire
comme de l’avenir, elle les raconte comme du passé.]
(21) si autem voluero elocutionem facere, postposita PERDERE HABET casum.
(Pompeius Grammaticus, 270.23) [si je veux faire une locution, [la
préposition ainsi] postposée VA PERDRE son cas.]
(22) Ipsam ergo vallem nos TRAVERSARE HABEBAMUS, ut possimus montem ingredi.
(Itinerarium Egeriae seu Peregrinatio ad loca sancta, 1, 2) [Nous AVIONS
donc cette vallée A TRAVERSER, pour pouvoir nous engager dans la
montagne. (trad. H. Pétré)]
Examinons pour finir {habere, Inf.} en position non initiale précédé par un
terme appartenant au groupe des « focused hosts » (cf. la note 8). On doit
s’attendre ici à une neutralisation de l’opposition modalité du FAIRE –
modalité de l’ÊTRE, puisque la construction avec coverbe non auxiliaire
gardera son ordre normal, tandis que celle avec l’auxiliaire se transformera de
IH en HI suite à l’attraction exercée par le focus sur l’élément faible, habere
en l'occurrence.
Certaines de ces constructions, notamment celles avec les pronoms
interrogatifs ou relatifs, et celles avec la négation, peuvent passer pour des
fossilisations grammaticales de stratégies discursives En cas d’interrogation
partielle, le tour se présente avec l’ordre QU_HI dans 88% des cas. Pour la
négation, on a couramment les types non habeo facere et facere non habeo,
mais jamais *habeo non facere. Dans quatre exemples, on se trouve devant
non facere habeo, tous aléthiques.
Les cas de HI après un relatif se répartissent de manière égale entre le
déontique et l’aléthique ; par contre, les IH après un relatif sont très
majoritairement (81%) aléthiques, cf. (23).
(23) nostri autem et melius interpretantur et rectius: quod in fine mundi haec sit
facturus antichristus, qui CONSURGERE HABET de modica gente, id est de
populo iudaeorum, (Hieronymus, Commentarii in Danielem, 4, 11) [Les
nôtres l’interprètent de manière meilleure et plus correcte : qu’à la fin du
monde ceci sera fait par l’antéchrist qui DOIT SE LEVER d’un petit peuple,
c.à.d. le peuple juif.]
Dans les autres groupes de « focused hosts », pour l'ordre HI, la distribution
est égale entre le sens aléthique et déontique.
Dans (24) nous avons affaire à une cataphore, dans (25) on a un topique
contrastif, dans (26) un terme de quantité. Si les clitiques en latin avaient
38 Viara Bourova & Liliane Tasmowski
6. Conclusion
L'idée que le latin aurait connu d'autres verbes inaccentués que esse a
été lancée par Adams (1994a, 90), et lui-même suggérait que « the colourless
habeo » pourrait être un bon candidat. Nous croyons avoir apporté quelques
arguments dans ce sens. Et nous pensons que malgré les exceptions, nous
sommes en face d'une preuve du parcours proposé par Bybee et al. (1994,
262) dans une perspective typologique: la grammaticalisation d'un verbe de
possession vers une marque de futur peut se faire directement via le sens de
prédestination (qui est une modalité de l'ÊTRE dans la classification que nous
adoptons) sans que le sens d'obligation (qui appartient à la modalité du
FAIRE) soit un stade intermédiaire obligé.
Bibliographie
Abraham, W. (2001). Modals: toward explaining the ‘epistemic non-
finiteness gap’, in : Müller R. & Reis M., (eds), Modalität und
Modalverben im Deutschen, Hamburg : H. Buske, 7-36.
Adams, J. N. (1991). Some neglected evidence for Latin habeo with
infinitive: the order of the constituents, Transactions of the Philological
Society 89 : 131-196.
Adams, J. N. (1994a). Wackernagel’s law and the placement of the copula
esse in Classical Latin, Cambridge : Cambridge Philological Society –
Supplementary volume 18.
40 Viara Bourova & Liliane Tasmowski
Agnès CELLE
Université Paris 7 Denis-Diderot
0. Introduction
D’un point de vue théorique, le repère fictif (symbolisé par * dans Culioli
(1978 : 185) 1 est à distinguer du repère décroché (symbolisé par ω). En effet,
la construction d’un repère décroché (tel qu’on peut l’avoir avec le passé
simple en français ou avec le prétérit en anglais), suppose une rupture
effectuée sur le paramètre T de la situation qui fait passer sur le plan de
l’aoristique (T01 ω T0) tout en restant parfaitement compatible avec
l’assertion. La construction d’un repère fictif nécessite une rupture non
seulement sur le paramètre temporel mais aussi et surtout sur le paramètre
subjectif, ce qui permet la mise en place d’une instance décrochée origine du
point de vue. A partir de ce repère, l’assertion est suspendue, ce qui peut
donner lieu à l’expression de l’hypothèse ou du rêve. Toutefois, la non-prise
en charge ne peut se ramener à une hypothèse. Il semble bien que le repère
fictif auquel on a affaire avec le conditionnel de non prise en charge ne soit
pas un repère fictif au sens plein du terme : le décrochage s’effectue
seulement sur le paramètre subjectif. En français, le conditionnel de non prise
en charge ne peut pas non plus être assimilé à une forme d’assertion médiate.
Nous rejoignons sur ce point Lazard (1996 : 25) qui considère que le
conditionnel français est « dubitatif », et donc distinct du médiatif en persan
qui « n’implique pas une mise en doute ». Il semble en effet que selon les
langues, différents types d’assertion soient à envisager :
« Dans certaines langues, on pourra distinguer les assertions immédiates, dont
on se porte garant, et les assertions médiates, donc renvoyant à des
événements dont on n’a pas été directement témoin (turc, bulgare, hopi), outre
les assertions dont on ne se porte pas garant, laissant à autrui la responsabilité
de ce qu’il avance (subjonctif allemand, conditionnel journalistique en
français). » Culioli (1993 : 22)
1
« T01 désigne le repère-origine fictif construit à partir de T0, de sorte que l’on a
T01 * T0. De ce moment fictif, on effectue des repérages fictifs, c’est-à-dire que,
en construisant Sit01, S0 pose la relation prédicative comme validable. » Culioli
(1978 : 185)
Analyse unifiée du conditionnel de non prise en charge 45
Etant donné les différents points de vue – la précision des données chiffrées
du quotidien Al-Wasat s’opposant à l’estimation plus vague de l’International
Herald Tribune – l’énonciateur ne se porte pas garant du point de vue
développé par le quotidien Al-Wasat.
Selon peut également introduire une pluralité de voix, auquel cas il
explicite la variation et la divergence des points de vue en fonction des
différentes sources assertives :
(2) Selon les sources, les créances douteuses se situeraient entre 860 milliards
et 1 200 milliards de yuans. (Le Monde Diplomatique, Marc Mangin,
décembre 2000)
These bad debts are estimated at between $107.5bn and $150bn. (English
Edition)
Il en découle une pluralité de valeurs, « entre 860 milliards et 1 200
milliards », qui justifie le conditionnel : l’assertion est laissée en suspens.
L’assertion avec le présent serait également possible, mais neutraliserait la
valeur de variation de selon. Avec le présent, les sources parleraient d’une
même voix et seraient d’accord pour situer les créances douteuses dans la
même fourchette. Nous rejoignons donc Haillet (1998) dans la référence à
une « altérité énonciative » avec le conditionnel, mais il nous paraît essentiel
d’insister sur le fait que cette instance ne peut devenir origine énonciative
support de la prise en charge.
46 Agnès Celle
Il est bien difficile de dire quels sont les marqueurs de ce mode de repérage
en anglais. En tout cas, aucune forme verbale ne peut correspondre au
conditionnel dans la non prise en charge énonciative. Cette absence reflète
une profonde divergence dans les systèmes verbaux du français et de
l’anglais. On s’attendrait à trouver dans la traduction un marqueur adverbial
tel que reportedly ou allegedly, mais ces adverbes n’apparaissent pas
fréquemment dans la traduction du conditionnel. Cette observation à partir
des traductions du conditionnel en anglais se trouve confirmée par l’examen
de corpus anglais unilingues. En effet, les conditions d’emploi de reportedly
et allegedly sont différentes de celles du conditionnel :
(3) Saudi poet reportedly killed in attack
ALGIERS, Algeria (AP) -A prominent Saudi poet was shot to death by
attackers while on a hunting trip in Algeria, where an Islamic insurgency
has raged for more than a decade.
Talal al-Rasheed and his party were ambushed late Thursday near Djelfa,
175 miles south of Algiers, newspapers reported Saturday, citing
unidentified sources.
At least six others in the hunting party were wounded, the daily Liberte
reported. The newspaper L'Expression said the gunmen wounded several
police.
There was no immediate confirmation of al-Rasheed's death by Algerian
authorities, or claim of responsibility for the attack.
Newspapers, however, blamed the attack on the Salafist Group for Call and
Combat, known as the GSPC, one of two movements waging war against
Algeria's military-backed government in fighting that has killed more than
120,000 people over the past decade.
Al-Rasheed's party reportedly came to the Djelfa area a week ago to hunt.
His body was brought home Friday aboard a private plane dispatched to
Algeria by Saudi Defense Minister Prince Sultan, according to the Saudi
newspaper al-Riyadh.
*http://www.cnn.com/2003/WORLD/africa/11/29/algeria.saudi.killed.ap/
index.html * Document Dated: 2004/06/18 13:11:42 (server header)
lequel le poète a trouvé la mort : « A prominent Saudi poet was shot to death
by attackers. » La mort du poète saoudien est donc certaine ; ce qui l’est
moins, c’est la fiabilité des sources et des différentes versions. Dans ce
contexte, on imagine très mal le conditionnel en français : il serait en effet
contradictoire de poser dans le titre « Un poète saoudien aurait été tué dans
un attentat », pour ensuite faire référence à sa mort et aux conditions dans
lesquelles son corps a été rapatrié.
Quant à allegedly, il n’a pas pour fonction de différencier l’énonciateur
d’autres sources assertives comme reportedly. Les sources assertives ne sont
généralement pas mentionnées à la suite de allegedly qui, à la différence de
reportedly, peut être répété tout au long d’un article de presse:
(4) Man faces charges after allegedly storming cockpit
CHICAGO, Illinois (CNN) - A man who allegedly stormed the cockpit of
an American Airlines jet was scheduled to appear in federal court Tuesday
to face charges of interfering with a flight crew, a felony offense.
Edward Coburn, 31, whom a federal agent described as mentally impaired,
was a passenger on board American Flight 1238 from Los Angeles,
California, to Chicago when he allegedly rushed up the aisle of the Boeing
767 toward the cockpit. He was to appear before a U.S. magistrate at 10:30
a.m. (11:30 a.m. EDT) in Chicago, the U.S. attorney's office said.
*http://www.cnn.com/2001/US/10/09/plane.scare/index.html* Document
Dated: 2004/06/18 13:13:16 (server header)
2
Il s’agit plus exactement d’un passé de narration ici. Mais le blocage avec le
conditionnel est le même que le processus en cours renvoie à un passé temporel
ou à un passé de narration.
3
Afin de soigneusement distinguer ce qui relève de la prise en charge de ce qui
relève d’autres modalités, le présent article n’aborde pas les verbes modaux au
conditionnel.
Analyse unifiée du conditionnel de non prise en charge 49
All in all, one and half to two and a half million people were involved in the
wave of collectivisation though precise figures are hard to come by.
(English Edition)
(7) Le consommateur, lui, n'a conscience de rien. Cette stimulation se fait
complètement à son insu. Une tentation pour les grandes surfaces. Certaines,
pour augmenter leurs ventes, n'y auraient pas résisté : diffusion d'arômes
artificiels de fruits mûrs sur des fruits qui ne le sont pas encore, odeur
luxueuse de cuir sur des produits en plastique... Dernière nouveauté, l'odeur
de cuir neuf, qui fait le bonheur des vendeurs de voitures d'occasion. (Le
Monde Diplomatique, Franck Mazoyer, décembre 2000)
Consumers are quite unaware that their senses are being stimulated in this
way. In the drive to boost sales, some supermarkets have not been able to
resist this temptation. Artificial aromas, simulating ripe fruit, are puffed
over not-so-ripe produce. The luxurious fragrance of real leather enhances
PVC products. The smell of new leather comes in very handy for selling
second-hand cars, too. (English Edition)
Soit il s’agit d’un événement passé, ce qui justifie un décalage marqué par le
prétérit. Soit il s’agit d’un événement pertinent en situation et le present
perfect marque ce lien déictique à l’énonciation. Dans les deux cas, il y a
assertion et rien n’autorise en anglais un décrochage fictif. La mise en place
de ce décrochage en français revient à rompre le repérage contextuel dans le
premier cas, le repérage situationnel dans le second, où les phrases averbales
en français (diffusion d’arômes, odeur luxueuse de cuir, l’odeur de cuir neuf)
vont également dans le sens d’une indétermination situationnelle. On pourrait
certes se demander si la traduction du conditionnel n’a pas tout simplement
été laissée de côté, ou bien s’il ne s’agit pas d’un cas isolé. Or l’examen de
douze éditions du Monde Diplomatique confirme que ce phénomène est
récurrent quel que soit le traducteur. En outre, on voit mal comment
maintenir ici en anglais une modalisation correspondant au conditionnel. Les
adverbes reportedly et allegedly n’auraient leur place ni en (6) ni en (7), le
premier laissant supposer qu’une source assertive va être explicitée
ultérieurement, le second privilégiant la référence à une source non identifiée
de l’ordre de la rumeur. De plus, la traduction du conditionnel en (7) ne peut
être isolée de la traduction des énoncés averbaux, qui ne peuvent être
maintenus tels quels en anglais : il convient de les ancrer d’un point de vue
spatio-temporel. Les formes de présent constituent alors autant de preuves à
l’appui de la prédication qui les précède, et celle-ci devient difficilement
modalisable.
En revanche, si référence est faite à une source assertive identifiée, elle
tend à devenir l’origine de la modalité de prise en charge et il y a rupture par
rapport à l’énonciateur-origine :
50 Agnès Celle
It seems relativise l’assertion there’s a break in the fence par rapport au point
de vue de l’énonciateur, mais les propositions coordonnées qui lui succèdent
échappent progressivement à cette modalisation en l’absence de marque de
subordination. L’assertion and Harker’s foreman told him… devient ainsi
valide indépendamment du point de vue particulier de l’énonciateur exprimé
au début de l’énoncé avec it seems. Les « complétives » en ∅ (∅ he was sure
∅ Shaughnessy had broken the fence on purpose…) ont pour fonction de
localiser Shaughnessy had broken the fence on purpose par rapport à une
source assertive et par rapport à un point de vue : Harker’s foreman. Mais
elles n’opposent pas le point de vue du régisseur à celui de l’énonciateur
primaire qui devient imperceptible au fil de l’énoncé. On obtient ainsi, en
l’absence de that, une référence au point de vue de l’asserteur sans que ce
4
Les analyses de De Mattia (1997 : 62) vont dans le même sens. Elle estime
qu’en l’absence de that on met en relief l’information contenue dans la
complétive et non la source assertive, si bien que « l’effacement de that peut
être considéré comme la première étape en direction du discours indirect libre. »
52 Agnès Celle
(10) Say, he said, Sylder ? You the Sylder… you Marion Sylder, ain’t you ? (C.
McCarthy, the Orchard Keeper, p. 14)
Dis-donc, fit-il. Tu serais pas Sylder ? Oui, le Sylder, Marion Sylder, c’est
pas toi ? (F. Hirsch & P. Schaeffer, p. 19)
(11) Kat : Are you accusing me of sarcasm ? (K. Mainwaring, The Rain Dancers)
Kat : M’accuserais-tu par hasard de sarcasme ? (J.-P Richard, Les danseurs
de la pluie, p. 15)
5
Pour qu’ils deviennent possibles, il faudrait par exemple ajouter « que ça
n’étonnerait personne », c’est-à-dire un point de vue évaluatif. Voir infra. A
distinguer de « Je t’accuserais de sarcasme si je te prenais au sérieux », où le
décrochage de type hypothétique est global, sur les deux coordonnées S et T.
54 Agnès Celle
(13) Elle était profondément étonnée. Aurais-je de l’amour pour Julien ? se dit-
elle enfin. […] (Stendhal, Le Rouge et le noir, p. 113)
Quoi ! j’aimerais, se disait-elle, j’aurais de l’amour ! Moi, femme mariée,
je serais amoureuse ! (Stendhal, Le Rouge et le noir, p. 123)
She was deeply amazed. Can it be that I’m in love with Julien ? she said to
herself at length. […] (M. Shaw, p. 66)
What ! she said to herself. Can I love him, feel love for him ? Can I, a
married woman, have fallen in love ? (M. Shaw, p. 83)
6
Terme que Haillet emprunte à Bres (1998 : 193).
Analyse unifiée du conditionnel de non prise en charge 55
7
La possibilité d’avoir une inversion sujet verbe typique du schéma interrogatif
(m’accuserais-tu) à l’intérieur des protases au conditionnel n’est pas anodine.
Les protases en si n’autorisent pas ce schéma (*si m’accusais-tu), ce qui
constitue un indice supplémentaire en faveur de leur plus grande stabilité.
8
Dans une hypothèse standard, du type si p, alors q, le cadre fictif posé par p
permet d’asserter q d’un point de vue fictif. Nous allons voir qu’avec la protase
au conditionnel, la nature de la relation entre p et q est d’une autre nature : il ne
s’agit pas d’asserter q d’un point de vue fictif et p n’entraîne pas q.
9
Voir Borillo (2001 : 242) : « Il n’est pas douteux que l’emploi du conditionnel
affaiblit le degré de probabilité accordé à l’hypothèse. »
56 Agnès Celle
total, c’est-à-dire sur les paramètres à la fois temporel et subjectif (cf. Celle
2002). Cette différence est frappante à l’intérieur des complétives en that:
(14) I am convinced that had we gone to Baghdad, we would have stayed there
much longer than we wanted to. (The Gulf War, BBC World, 1-2-1)
(15) Les salons que ces messieurs traversèrent au premier étage, avant d'arriver
au cabinet du marquis, vous eussent semblé, ô mon lecteur, aussi tristes que
magnifiques. On vous les donnerait tels qu'ils sont, que vous refuseriez de
les habiter; c'est la patrie du bâillement et du raisonnement triste. Ils
redoublèrent l'enchantement de Julien. Comment peut-on être malheureux,
pensait-il, quand on habite un séjour aussi splendide! (Stendhal, Le Rouge et
le Noir)
The reception-rooms on the first floor through which the two men passed
before reaching the Marquis’s study would have seemed to you, good
reader, as gloomy as they were magnificent. One might offer them to you
just as they are, yet you would refuse to live in them ; they are the country of
yawns and dreary argument. Julien was still more spell bound at the sight of
them. How can anyone be unhappy, he thought, who lives in such a splendid
dwelling ! (M. Shaw, p. 253)
10
D’après notre corpus, that est généralement présent, et permet de dissocier le
plan de l’énonciation du plan fictif. Seul I think semble autoriser ∅.
Analyse unifiée du conditionnel de non prise en charge 57
4. Conclusion
En tout cas, aucun temps verbal ne peut exprimer la non prise en charge
en opérant un décrochage fictif sur le seul paramètre subjectif. La non prise
en charge passe plutôt par des marqueurs adverbiaux comme reportedly et
allegedly, qui indiquent une prise de distance respectivement par rapport à
une source assertive et par rapport à la véracité de faits rapportés qui restent à
prouver. Leur emploi est donc étroitement lié à l’évocation d’un dire, ce qui
n’est pas une condition nécessaire à l’emploi du conditionnel. Il va de soi que
la non-conformité d’une situation par rapport à l’attente de l’énonciateur
n’est pas une raison suffisante en anglais pour déclencher la non prise en
charge. C’est plutôt la relation directe au co-énonciateur qui est privilégiée
dans cette langue.
Références
11
Voir Danon-Boileau (1982 : 104-107).
60 Agnès Celle
Carl VETTERS
Université du Littoral – Côte d’Opale – HLLI EA 4030 – « Cercle »
0. Introduction
1
Nous tenons à remercier H. Kronning pour ses commentaire après le 6e
Colloque Chronos à Genève. Ses remarques nous ont permis d’apporter
quelques nuances et de mieux préciser nos idées sur devoir et pouvoir.
2
Pour une analyse monosémique des verbes modaux français ou anglais, v. par
exemple Sten (1954), Meyer (1991), Perkins (1982) ou Papafragou (2000).
3
AB = Antoine Blondin, Tours de France, La Table ronde, 2001.
L’emploi « sporadique » de pouvoir est-il aléthique ? 65
H. Kronning (1996, 2001 : 67) y ajoute que la modalité radicale est une
modalité du faire, une modalité orientée vers l’agent (cf. Bybee e.a. 1994),
tandis que la modalité épistémique est une modalité de l’être. Ce qui donne
en combinaison avec les observations de N. Le Querler :
Modalité radicale : GN a la possibilité de FAIRE GV
Modalité épistémique : la proposition P peut ETRE vraie
4
H. Kronning nous a fait remarquer qu’une interprétation radicale de permission
semble exclue ici. Cela dépend cependant du contexte. L’actualité sportive de
l’année 2005 montre que certains matchs de football sont arrangés à l’avance
par une mafia qui décide qui peut ou doit gagner quel match. Dans ce contexte,
une lecture déontique devient possible.
5
Cette observation qui est également valable pour l’anglais ( ?*It must rain
tomorrow, otherwise the harvest will be lost / It has to rain tomorrow, otherwise
66 Carl Vetters
(9) a. ?*Il DOIT absolument pleuvoir demain, sinon la récolte sera perdue.
b. Il FAUT absolument qu’il pleuve demain, sinon la récolte sera perdue.
Ce qui précède ne signifie pas pour autant que les prédicats qui réfèrent
à des états (dans le sens vendlerien) soient exclus de la modalité de faire. Une
lecture radicale relevant de la modalité du faire reste possible, à condition que
l’état soit présenté comme le résultat d’une action contrôlée par un agent. Les
énoncés de (10) peuvent avoir un effet de sens de possibilité ou
d’impossibilité matérielle (« X a / n’a pas la possibilité de faire de sorte que
l’état P (‘X être en forme’) se réalise ») :
(10) a. S’il est autorisé à participer au Dauphiné et à la Route du Sud, Jan Ullrich
PEUT être en forme pour le Tour de France.
b. Si la suspension de son équipe est maintenue, Jan Ullrich ne PEUT pas être
en forme pour le Tour de France.
Face aux quatre valeurs reconnues pour pouvoir (cf. (1)), J.-P. Sueur
n’en reconnaît que trois pour devoir :
(11) a. OBLIGATION – source : un être humain
Kronning : « obligation théorique »
b. NECESSITE – source : les circonstances matérielles
Kronning : « obligation matérielle »
c. PROBABILITE – « L’énoncé P doit être vrai »
S’agissant d’effets de sens bien connus, nous nous contenterons ici de les
illustrer brièvement par quelques exemples :
(12) Car enfin, le rapport est flagrant : si le vassal doit à son suzerain foi,
hommage, et conseil, il est évident qu’il DOIT également lui passer sa roue,
sans préjudice des grands devoirs du bidon, de la canette et de la chasse.
(AB, 24 juin 1961) – OBLIGATION THEORIQUE
(13) En toute chose, une femme DOIT être soumise à son époux. (Euripide,
Electre, Arléa, traduit du grec par François Rosso, p. 106) – OBLIGATION
THEORIQUE
(14) Après chaque explosion, on DEVAIT attendre que la poussière se dissipe.
(José Giovanni, Le Ruffian, Gallimard, Carré Noir 479, p. 102) –
OBLIGATION MATERIELLE
the harvest will be lost), ne concerne pas le néerlandais: okHet moet morgen
regenen, anders gaat de oogst verloren. Le comportement inattendu du
néerlandais est probablement dû au fait que cette langue n’a pas de construction
équivalant à falloir ou to have to.
L’emploi « sporadique » de pouvoir est-il aléthique ? 67
(15) – Mais t’es parti avant-hier avec une ID 19 toute neuve ! […]
– Léon, j’AI DU la vendre hier, pour payer le casino.(Henri Viard, La bande
à Bonape, Gallimard, Carré Noir 509, p. 126) – OBLIGATION MATERIELLE
(16) /A propos d’une étape du Tour avec arrivée à Vittel/
Une seule ombre à ce festival de la santé recouvrée : l’abandon prématuré
de l’excellent Hollandais Van Der Vleuten. En voilà un qui DOIT la trouver
saumâtre quand on lui dit que l’eau de Vittel favorise l’élimination. (AB, 29
juin 1968) – PROBABILITE
(17) On avait trois chiens, deux braques et un setter gordon. Quelque part au
nord-est il DEVAIT y avoir d’autres chasseurs car on entendit le départ d’un
coup, […]. (Jean-Patrick Manchette, Fatale, Folio Policier 44, p. 9) –
PROBABILITE
Nous nous contentons de signaler que ces effets de sens correspondent à des
notions qui ont un rapport avec la force illocutoire de l’énoncé ou qui
correspondent à ce que J. Van der Auwera et V. Plungian (1998) traitent
comme des valeurs « postmodales ». Il nous semble que l’on a ici affaire à un
troisième type d’effet de sens – à côté de la modalité du faire et de la
modalité de l’être – où pouvoir fonctionne comme opérateur illocutoire.
68 Carl Vetters
6
Exemples empruntés par H. Kronning (2001) à respectivement L. Gosselin et S.
de Beauvoir.
70 Carl Vetters
odieux, car ils assertent que certains Alsaciens sont obèses et que Luc est
parfois odieux.
Cela ne signifie pas pour autant que l’on soit ici en présence d’un effet
de sens radicalement différent de tous les autres effets de sens de pouvoir.
Selon G. Kleiber, pouvoir sporadique fonctionne comme un quantificateur
générique existentiel et le principe de la conversion complémentaire
s’applique au niveau des occurrences spécifiques : la possibilité de rencontrer
Luc quand il est odieux implique celle de le rencontrer quand il n’est pas
odieux.
Selon H. Kronning, devoir aléthique est véridicible – c’est-à-dire justi-
ciable d’une appréciation en termes de vérité ou de fausseté – tandis que
devoir épistémique est non véridicible, mais montrable – c’est-à-dire non
justiciable en termes de vérité et de fausseté. Cette observation rapproche
davantage les effets de sens sporadique et aléthique, dans la mesure où un
énoncé comme Luc peut être odieux est véridicible (cf. aussi Kronning 1996 :
32).
Sur la base de ce qui précède, l’on n’est donc pas surpris de constater
que Kronning range les emplois sporadiques de pouvoir dans la classe de la
modalité de l’être aléthique (1996 : 32). Dans ce qui suit, nous évaluerons
cette proposition.
présentent un lien ou des liens entre elles. (G. Kleiber, cité par Kronning
2001 : 73)
b. *Puisqu’il DOITE avoir une tendinite au genou, Jan Ullrich ne peut pas
participer au Tour de France,.
(30) a. Que DOIVENTA être l’homme et le monde pour que le rapport soit possible
entre eux ? (Sartre, cité par Kronning 2001)
b. *Quand est-ce que Jan Ullrich DOITE être en forme ? 7
D’autre part, la différence notionnelle entre les deux est trop importante
pour les classer ensemble. Pour nous, l’aléthique concerne une nécessité
objective, l’épistémique une nécessité subjective (cf. Van der Auwera &
Plungian 1998 qui rejettent cette proposition de Coates 1983). Avec devoir
épistémique, le locuteur présente subjectivement une situation comme étant
nécessaire, alors qu’il sait objectivement qu’elle ne l’est pas. Dans un énoncé
comme Luc n’est pas là, il doit être malade, le locuteur présente cette
situation comme une inférence. Il sait objectivement qu’elle n’est pas
nécessaire, mais il la présente subjectivement comme l’étant, en écartant pour
l’instant d’éventuelles autres explications pour l’absence de Luc (cf.
Tasmowski & Dendale 1994).
Il nous semble judicieux de faire la même distinction pour « pouvoir »,
même si H. Kronning est – à notre connaissance – le seul à l’avoir proposée
pour le français. Il n’est pas difficile de fabriquer des énoncés semblables à
ceux de (26) :
(31) Un mélange de X et Y PEUT s’enflammer à basse température.
7
Il va de soi que l’impossibilité de (30b) ne concerne que la lecture épistémique,
les effets de sens radicaux étant possibles.
72 Carl Vetters
– Je dois admettre, tout en croyant à son innocence, qu’il PEUT avoir volé le
Van Gogh.
De plus, de même que devoir aléthique, pouvoir non déontique peut être
employé dans des propositions introduites par puisque ou dans des questions
partielles, ce qui plaide en faveur d’une interprétation aléthique.
(34) Puisque Luc PEUT être impliqué dans cette affaire délicate, il vaut mieux ne
pas le proposer pour le poste de directeur.
(35) Où Pierre PEUT-il avoir mis ses clés ?
Cependant, les tests mis en œuvre par H. Kronning dans (29) et (30) ci-
dessus permettent de distinguer entre devoir épistémique et devoir aléthique,
mais ne permettent pas de distinguer entre devoir aléthique et devoir radical,
comme le montre (37) :
(37) a. Puisque les enfants DOIVENT obéir, …
b. Pourquoi les enfants DOIVENT-ils obéir ?
(41) montre qu’une lecture déontique est exclue, ce à quoi nous nous
attendions, vu l’absence d’agentivité. L’incompatibilité avec l’infinitif
8
Cette observation ne concerne pas les cas où l’infinitif accompli est accompagné
d’un complément futur. Devoir peut être déontique dans Jean DOIT avoir écrit
cette lettre demain soir (cf. Huot 1974 : 54).
9
Cf. Luc DOITE être malade. *Cette obligation le dérange beaucoup.
74 Carl Vetters
accompli constatée dans (42), par contre, suggère que l’on a affaire ici à un
effet de sens différent de ceux qui relèvent de la modalité de l’être. Cet
énoncé semble donc indiquer que G. Kleiber avait au moins raison pour la
sporadicité temporelle, lorsqu’il avançait qu’il s’agissait d’un effet de sens
que l’on ne peut réduire à aucun autre effet de sens connu de pouvoir.
5. L’argument de la négation
10
N. Le Querler (2001 : 25-27) avance par ailleurs l’argument des paraphrases
extra-prédicatives, qui n’est pas très solide, car l’effet de sens sporadique a aussi
bien des paraphrases syntaxiquement intra-prédicatives (« Luc est parfois
odieux ») qu’extra-prédicatives (« Il arrive que Luc soit odieux »).
L’emploi « sporadique » de pouvoir est-il aléthique ? 75
(43d), qui peut dans certains contextes avoir une lecture radicale (cf. (10b) ci-
dessus), peut également être paraphrasé par « Il ne se peut pas / Il n’est pas
possible que Jan Ullrich soit en forme ».
En explorant des corpus, nous avons facilement trouvé un grand nombre
d’occurrences de ne pas pouvoir qui peuvent avoir une lecture épistémique,
parmi lesquelles les énoncés suivants11 :
(44) Je sais déjà que ce ne PEUT pas être quelqu’un d’ici ! fit-il. (Frédéric Dard,
Une seconde de toute beauté, Fleuve Noir 517, p. 28)
(45) Vous POUVEZ pas êt’ aussi mauvaise que l’nèg’ que vous voyez là, déclara
Doosy, la langue un peu épaisse. (Richard Jessup, Un bruit de chaînes,
Gallimard, Carré Noir 56, p.171)
11
A la relecture de notre texte, nous avons constaté qu’il contient un certain
nombre d’occurrences de pouvoir avec la négation qui ne relèvent clairement
pas de la modalité radicale :
– D’autres travaux, par contre, comme Huot (1974) ou Boissel et alii
(1989) avaient bien signalé qu’un processus qui échappe au contrôle du
sujet, qui ne suppose aucune intervention active de sa part, ne PEUT pas
relever de la modalité radicale. (p. 65)
– La lecture de (8), que le modal soit pouvoir ou devoir, ne PEUT pas être
radicale : […] (8) ne PEUT pas signifier que Jan Ullrich a la permission,
la capacité, la possibilité matérielle – avec devoir l’obligation théorique
ou matérielle (cf. ci-dessous) – d’avoir une tendinite au genou, mais
signifie par contre qu’il a peut-être ou probablement une tendinite. (Id.)
– En effet, la tradition considère que devoir ne PEUT pas exprimer une
nécessité de faire dont l’origine réside dans les propriétés du sujet.
(p. 67)
– Ainsi, l’infinitif accompli avoir écrit dans (27) ne PEUT pas être radical
dans la mesure où l’on peut obliger quelqu’un d’écrire une lettre, mais
non pas d’avoir écrit une lettre. (p. 73)
Pour nous, ces énoncés ne son pas épistémiques mais aléthiques, dans la mesure
où nous les présentons comme une impossibilité objective et non pas comme
une supposition subjective.
76 Carl Vetters
6. Conclusion
Résumons en guise de bilan les hypothèses que nous avons voulu défendre
dans cette étude :
1. La modalité radicale est une modalité du faire, ce qui implique qu’elle
suppose une activité contrôlée par un agent. En l’absence de ce contrôle,
pouvoir et devoir relèvent nécessairement de la modalité de l’être.
2. Ne pas pouvoir peut dans certaines circonstances relever de la modalité de
l’être. L’emploi des temps verbaux et des périphrases aspectuelles influence
ici l’interprétation de façon cruciale. L’incompatibilité avec la négation de
pouvoir sporadique ne saurait donc pas être invoquée pour le classer dans la
modalité de l’être.
3. Le rattachement de pouvoir sporadique au domaine de la modalité de l’être
ou de la modalité du faire ne va pas de soi. Les tests linguistiques ne
permettent pas de valider l’idée de H. Kronning selon laquelle cet effet de
sens relève de la modalité de l’être :
(i) les emplois sporadiques temporels de pouvoir se rapprochent, de par leur
agentivité, de l’effet de sens déontique de capacité (reprise anaphorique par
cette capacité, incompatibilité avec l’infinitif accompli), mais s’en
distinguent par leur incompatibilité avec la négation.
(ii) les emplois sporadiques référentiels de pouvoir ne peuvent pas être
déontiques en l’absence d’agentivité. Ils ont un comportement syntaxique qui
les distingue aussi bien de la modalité du faire que de la modalité de l’être.
Références
Bertrand VERINE
Praxiling / ICAR, UMR 5191 CNRS - Université Montpellier III
0. Introduction
L’imparfait est très connu pour son rôle dans l’amalgame des énoncés
enchâssant et enchâssé propre au discours indirect libre. Son intervention
dans les propositions subordonnées du discours indirect est également bien
documentée. On s’interroge peu, en revanche, sur l’actualisation des verbes
introducteurs de parole dans les propositions rectrices de discours rapporté
aussi bien indirect que direct. Si on le fait, on s’en tient le plus souvent,
comme D. Vincent et S. Dubois (1997) en ce qui concerne l’oral
conversationnel, aux trois époques future, présente et passée, pour
commenter la référenciation chronologique 1. Soit l’exemple (1) 2 :
(1) (Manuel Manzaneque raconte comment un responsable syndical a persuadé des
grévistes d’évacuer les bureaux des Houillères avant l’intervention des policiers
et de leurs chiens.)
62A il a dit alors / on perd pas la face non plus (mm B C bien sûr B) / i faut pas
perdre la face (bien sûr C) / donc on la perd pas / mais s’is arrivent tout à l’heure
on va la perdre on va perdre les deux (sifflement de B mm C) / alors il a dit i
faut s’en aller ...
63B – puis le pantalon là aussi
(62A) – alors on disait (rire de B) ouais mais / pourquoi on est venus là ? / a:h
dé:connez pas / on va pas faire massacrer les g- les gonzes là / eh / alors il a dit
on s’en va (Ladrecht, Manzaneque III).
1
« Le temps du discours rapporté a donc été codifié en fonction de la référence
temporelle de l’événement de communication, plutôt qu’à partir de la forme
morphologique du verbe. En bout de ligne, pour cette étude, seule l’opposition
binaire passé / autres temps a été maintenue [...] » (op. cit. : 52).
2
Les exemples analysés ici sont tous tirés du corpus Ladrecht, interviews
recueillies et transcrites par Jacques Bres et Françoise Madray de 1982 à 1984.
Conventions de transcription : [:] allongement vocalique ; [/] pause ; [-] apocope
ou aphérèse ; l’encadrement d'un segment par [(1)] indique une intonation
rieuse. Tous les noms désignant des personnes privées ont été remplacés par des
pseudonymes. Les enquêteurs sont toujours notés B et C, l’interviewé A. Pour
respecter l’absence de marqueur univoque de clôture de l’énoncé enchâssé à
l’oral, je bannis de mes transcriptions tout guillemet et les tirets autres que celui
indiquant le début d’un tour de parole de l’interview. J’attire cependant
l’attention par l’italique sur le(s) morphème(s) étudié(s).
Pour quelles raisons, bien qu’ils se succèdent sans inclusion, ces procès
ne se trouvent-ils pas tous trois actualisés au passé composé (désormais PC) ?
N’est-ce pas en fonction de critères aspectuels que le second dire, que rien ne
distingue temporellement du premier ni du troisième, apparaît actualisé à
l’imparfait ? N’aurions-nous pas affaire à une occurrence non prototypique
d’imparfait narratif (désormais IN) ? Mais, dans ce cas, pour quelles raisons
ces alternances relativement fréquentes restent-elles très peu commentées,
aussi bien dans la littérature sur l’imparfait que dans celle concernant le DD ?
Je montrerai d’abord que de tels emplois semblent répondre à la définition
affinée de l’imparfait narratif proposée par Bres (2005), avant de faire
l’hypothèse que les instructions aspectuelles de l’imparfait y sont utilisées
contrastivement pour signifier des différences de statut textuel entre les tours
de parole.
Au fil de ses nombreux travaux, synthétisés et amplifiés dans son ouvrage sur
« L’imparfait dit narratif », J. Bres (2005) décrit la valeur en langue de
l’imparfait selon une approche aspectuo-temporelle à laquelle j’ai moi-même
apporté quelques arguments (Bres et Verine 1998, Verine 2000). Sans entrer
dans le détail de la démonstration, je rappellerai que cette forme verbale se
définit pour nous par le fait qu’elle délivre dans tous ses emplois deux
instructions : l’instruction temporelle {+ passé}, qui l’oppose aux formes
référant aux autres époques ou ne référant à aucune époque ; et l’instruction
aspectuelle {+ tension, – incidence, – ascendance}. Le trait {+ tension}
distingue l’imparfait des temps composés, tandis que les traits {– incidence}
et {– ascendance} le différencient du passé simple, mais aussi du PC dans ses
emplois d’aoriste du discours (au sens de Benveniste) : ainsi en va-t-il pour
l’alternance entre il a dit, on disait et il a dit dans l’exemple (1). Je
n’insisterai que sur ces deux derniers points, seuls cruciaux pour les
configurations analysées ici.
Selon le trait {– incidence}, le temps impliqué par le procès est
représenté de manière sécante, i.e. à la fois et pour partie comme
effectivement accompli et en perspective d’accomplissement. Ce trait a pour
corollaire la non-représentation des bornes initiale et terminale du temps
impliqué, car la saisie sécante ne peut s’appliquer qu’en un point du procès
L’imparfait narratif introducteur de discours rapporté 81
situé au delà de sa borne initiale (il est déjà en train, part d’accompli) et en
deçà de sa borne terminale (il est encore en cours, part d’accomplissement).
L’imparfait ne marquant pas le point d’incidence du procès, il donne
également à appréhender le temps impliqué comme arrivant depuis le futur et
s'en allant vers le passé, d’où le trait {– ascendance}.
C’est à partir de ces instructions que la praxématique s’efforce
d’expliquer l’ensemble des effets de sens que l’imparfait produit en discours :
aussi bien ceux inventoriés comme ses « valeurs » standard, que ceux
répertoriés comme des emplois marqués, dont l’imparfait dit narratif et ses
nombreuses variantes : pittoresque, impressionniste, perspectif, d’ouverture,
de rupture, etc.
Selon cette approche, on dira donc que, pour assumer un de ses emplois
standard, l’imparfait demande un contexte délivrant les instructions qu’il
offre lui-même, ce qui est prototypiquement le cas, par exemple, dans une
séquence descriptive au passé. Si, au contraire, un ou plusieurs éléments du
contexte délivrent une ou des instructions différentes, l’emploi de l’imparfait
apparaîtra comme marqué. Singulièrement :
« l’effet de sens narratif est le produit de l’interaction tendanciellement
discordante entre (i) d’une part, un cotexte qui demande, par la voix de
différents éléments, que le procès soit représenté dans son incidence au
temps ; et (ii) d’autre part, l’imparfait qui ne répond pas positivement à cette
82 Bertrand Verine
3
Plus un supplémentaire à l’écrit : l’isolement typographique par un alinéa, voire
un blanc, avant et/ou après.
4
Pour d’autres exemples littéraires de ces IN non prototypiques, cf. Verine
(à paraître).
L’imparfait narratif introducteur de discours rapporté 83
D’une part, la mise en scène d’un échange implique en principe que chaque
dire soit représenté comme allant jusqu’à son terme, ce que confirme la
possibilité même des enchaînements dialogaux, comme en (1) ci-dessus. Ce
type de cotexte est donc fondamentalement demandeur de perfectivité, et un
imparfait isolé actualisant un dire semelfactif encadré d’autres dires au PC
doit a priori être catégorisé comme narratif, puisqu’il saisit l’événement de
parole en un point de son cours antérieur à sa borne finale. D’autre part, les
propositions rectrices de DD constituent plus souvent des accomplissements,
représentant la progression syntagmatique d’une ou plusieurs phrases, que
des achèvements instantanés du type le temps de dire ouf ; dans les échanges
rapportés, ces procès se caractérisent aussi presque toujours par leur
contiguïté temporelle et logique. Ce sont ces deux facteurs qui, entraînant
l’absence de circonstant temporel, ou le remplacement du type x temps plus
tard par des marqueurs d’incidence beaucoup moins forts comme alors dans
l’exemple (1), expliqueraient que ce type d’imparfait ne soit pas ressenti
comme narratif.
De fait, à ma connaissance, cette configuration discursive n’est
mentionnée pour elle-même que par Garnier et Guimier (1986 : 124-125).
Étudiant les problèmes de traduction en anglais de Mme Bovary, ils font de
cet emploi « l’exemple le plus typique » de l’IN, et l’associent au caractère
lacunaire des propos rapportés et/ou à la superposition de tours de parole :
parce que l’IN ne représente ni le début ni la fin du procès de dire, il permet
de signifier l’interruption des tours, voire leur chevauchement partiel. Le
recours à l’IN pour signifier ce gommage des frontières (conversations en
84 Bertrand Verine
5
L’incomplétude syntaxique de l’énoncé enchâssé reste également rare à l’oral :
quatre occurrences sur les quarante considérées ici.
L’imparfait narratif introducteur de discours rapporté 85
6
Vincent et Dubois (1997 : 101-104) soulignent que, dans les tours de parole de
quelque ampleur ou dans les dialogues constitués de plusieurs échanges, les
incises X dire ont tendance à se multiplier avec une fonction démarcative de
ponctuants internes qui structurent l’énoncé enchâssé, et non de propositions
orchestrant l’hétérogénéité macrostructurelle de la séquence. Ce n’est jamais le
cas dans les 40 occurrences considérées ici.
7
Première élection de François Mitterrand à la présidence de la République
Française après laquelle la fermeture des mines d’Alès a connu un sursis.
88 Bertrand Verine
mois de la retraite moi là j’étais pas loin là eh (1) / aors Sylvain i me disait tu es
fou toi i me dit pourquoi tu y vas toi ? j’y ai di:t y en a point qui veulent y aller /
eux is savent co- / is savent comme ça marche tout et is sont au poste de
sauvetage is veulent pas y aller j’y ai dit on y va eh / j’y suis allé je suis pas
mort eh / avec l’appareil quand même / non mais si j’avais voulu vraiment 8 tu
vois bon (Ladrecht, Privat 3).
nous autres, avec Sylvain, tous les deux. Cependant, d’une part, la situation
particulière de l’actant-narrateur Privat, à quelques jours de la retraite au
moment des faits, doit être valorisée parce qu’elle donne chair à son
sentiment d’héroïsme ; cela tend à réduire son ami au rôle d’adjuvant :
Sylvain i me disait tu es fou toi. D’autre part, la parole de l’ami doit demeurer
saillante parce qu’elle apporte au discours de Privat à la fois une caution
extérieure et une confirmation émotionnelle ; cela tend à maintenir Sylvain
dans son rôle de co-actant principal du récit : tu es fou toi i me dit pourquoi tu
y vas toi ?
De tels exemples me semblent prouver que l’actualisation du verbe
recteur de DD à l’IN obéit à un choix, sinon conscient, du moins effectif.
Certes, je n’ai encore trouvé, à l’oral, aucune occurrence d’alternance
aspectuelle systématisée sur tout un dialogue rapporté, voire tout un récit
long – contrairement à ce que G. Garnier et C. Guimier puis J. Bres ont
observé en littérature, de Voltaire à Mauriac. Mais d’autres effets du même
ordre sont créés, dans mes corpus, par la bascule entre PC et présent de
narration, ainsi que par l’emploi de l’IN pour assurer la transition entre une
séquence narrative et la séquence argumentative ou explicative qui la précède
ou qui la suit.
3. Conclusion
Références
Georges KLEIBER
Université Marc Bloch de Strasbourg & EA 1339 LDL-Scolia
0. Introduction
En même temps qu’il annonce clairement le sujet, le trop facile jeu de mots
du titre, indique, de façon transparente également, que nous n’entendons pas
proposer une description « clôturée » du gérondif, mais plutôt un parcours où
nous ferons quelques haltes sur tel ou tel de ses aspects. Il ne s’agit donc pas
pour nous de livrer une analyse complète qui aurait la prétention de boucler le
dossier, mais de le reprendre, à partir de pièces récentes et moins récentes
présentées dans les deux monographies de Halmøy (1982 et 2003), dans la
thèse de Franckel (1987 et 1989), dans le numéro 149 de Langages de 2003
dirigé par Arnavielle et dans des articles comme ceux de Kindt (1999) et de
Herslund (2000 et 2003). De façon plus précise, nous essaierons, dans un
esprit de linguistique cumulative, à la fois d’apporter des éléments et des
compléments nouveaux et de fournir une réponse à certaines des difficultés
que suscite le fonctionnement du gérondif.
Deux questions principales retiendront notre attention : le problème du
statut du gérondif et celui de la détermination de son sens, la résolution du
premier nous servant de guide pour la résolution du second. Pour les traiter,
notre « en passant par le gérondif… » se déploiera en trois parties. La
première tracera les grandes lignes de la problématique du gérondif en
rappelant, d’une part, ce qui est commun aux différentes descriptions du
gérondif et, en soulignant, d’autre part, les différences de structurations et de
classification auxquelles il a pu donner lieu. Nous nous attacherons ensuite,
dans une deuxième partie, à prouver que le gérondif représente bien un
morphème grammatical et ne doit donc plus être analysé comme la simple
combinaison de la préposition en et du verbe au participe présent. Cette
option « existentielle » nous permettra d’aborder, dans la troisième partie, la
question, restée ouverte, d’une définition unitaire du gérondif, en liaison avec
la notion de ‘simultanéité temporelle’ souvent avancée pour le cerner. Nous
essaierons d’apporter une réponse qui s’appuiera sur un rapprochement
inédit, mais capital – lui aussi déjà annoncé, mais de façon plus opaque, par
notre titre – avec la préposition avec.
1. Vu les circonstances …
1.1. Un premier dénominateur commun
1
Ceux qui parlent de circonstanciel temporel ajoutent bien souvent qu’il s’agit de
simultanéité temporelle. Voir infra.
En passant par le gérondif avec mes (gros) sabots 95
et, d’autre part, qu’il n’est pas toujours aisé de déterminer avec sûreté de
quelle circonstance il s’agit 2.
L’interrogation et la paraphrase à l’aide d’une subordonnée
circonstancielle servent en général de tests pour reconnaître telle ou telle
interprétation. Le test de l’interrogation s’avère surtout pertinent pour mettre
en relief l’emploi de repère temporel. La question en quand convient en effet
uniquement au gérondif repère temporel et permet de souligner que le
gérondif sert à localiser temporellement la prédication principale :
(1) En arrivant à la maison neuve d’Urbain, Voiturier aperçut les Muselier
(Gettrup 1977 : 215).
(2) Quand Voiturier aperçut-il les Muselier ? – En arrivant à la maison neuve
d’Urbain.
2
Halmøy (2003 : 95) pense même que, dans certains cas, « aucune étiquette
circonstancielle pertinente » ne se trouve disponible. Elle cite à cet égard
l’exemple suivant du Monde : Le 25 septembre, l’armée revenait discrètement à
la charge, profitant du calme du Yom Kippour, en tentant de chasser les
habitants des grottes et en décrétant la zone territoire militaire fermée aux civils
pour une période de trois mois.
3
Elle ne semble pas appropriée pour la concomitance ni pour la concession.
96 Georges Kleiber
Appliquée aux autres emplois du gérondif, elle donne lieu soit à des énoncés
anomaux, soit à des énoncés avec un sens qui ne correspond plus à celui de
l’énoncé de départ :
4
Pour la question de l’antéposition des adverbiaux en général, voir Charolles
(2003).
5
Si l’information est donnée par le contexte, il s’agit d’un acquis contextuel.
C’est à partir de ces cas contextuels que Herslund (2003) a abouti à une
caractérisation en termes d’anaphore de tous les gérondifs repères temporels.
98 Georges Kleiber
Les classements varient selon les critères adoptés. Certains comme Gettrup
(1997) et, à sa suite, Herslund (2003) les répartissent en deux grands types,
en séparant les gérondifs repères temporels, qui servent à localiser
temporellement la prédication principale, du reste des gérondifs, dits en
emploi simple par Herslund (2003), qui se contentent d’ajouter au verbe
principal une circonstance concomitante. Les gérondifs repères temporels
peuvent connaître, comme le note Herslund (20003 : 234), « les mêmes
nuances de sens » que les gérondifs en emploi simple 6.
6
Ceci est dû au fait qu’en fonction de repère temporel et, surtout, lorsqu’il est
antéposé, le gérondif prend souvent une valeur causale (cf. En voyant leur
instituteur, les enfants cessèrent de bavarder). Pour un tel emploi, voir Franckel
(1987 et 1989).
7
La classification de 2003 se sépare de celle de 1982 par la mise à part des
gérondifs temporels, classés avec les A en 1982.
8
C’est à Halmøy qu’on doit d’avoir mis en relief un tel emploi, rarement relevé
par les analystes.
En passant par le gérondif avec mes (gros) sabots 99
9
Ou, cas particulier, postposé, mais alors séparé de la proposition principale par
une pause et présentant une intonation spéciale.
10
Là encore, pour avoir une vue plus large du problème, on renverra à Charolles
(2003).
11
L’expression, qui nous semble fort bien trouvée, est utilisée par Cadiot (1997 a)
pour avec et par Halmøy (2003) pour le gérondif.
100 Georges Kleiber
12
Franckel (1987 et 1989) est, par exemple, une exception.
13
Voir par exemple à cet égard le chapitre 4 de Halmøy (1982) et les chapitres 6 et
8 de Halmøy (2003). Pour une vue détaillée sur le gérondif repère temporel, on
se reportera à Gettrup (1997) et pour son prolongement anaphorique à Herslund
(2000 et 2003).
14
Nous ne pouvons citer ici, faute de place, toutes les informations et analyses
stimulantes contenues dans ces travaux. Elles gagneraient à être reprises dans
les grammaires pour que le gérondif soit mieux connu.
En passant par le gérondif avec mes (gros) sabots 101
2. Le gérondif, existe-t-il ?
15
On peut aussi parler de grammaticalisation, même s’il ne s’agit pas d’un cas
prototypique de grammaticalisation. Voir Halmøy (2003 : 63) qui suggère qu’on
a peut-être là « un cas de grammaticalisation en voie d’achèvement ».
16
Même si, comme le rappellent plusieurs auteurs (Halmøy et Wilmet), son
existence dans la nomenclature officielle ne date que de 1961.
17
Nous n’avons donné que la fin de la citation de Bonnard, parce que le début fait
apparaître ce qui nous semble être une légère contradiction, étant donné que
Bonnard continue de reconnaître dans le en du gérondif la préposition en, alors
qu’il refuse de voir dans la forme –ant le participe présent.
102 Georges Kleiber
paraître) 20: « le gérondif n’existe pas en français moderne 21. Selon nous, le
français a une forme en –ant, et cette forme se combine dans certains cas
avec la préposition en » (Henrichsen 1967 : 100).
L’argument principal est, bien entendu, morphologique : les conceptions
linguistiques, comme la psycho-mécanique guillaumienne par exemple, qui
souscrivent à l’équation une forme = un signifié unique, sont conduites tout
naturellement à postuler que l’identité de forme est suffisante pour conclure
que en est le même en que celui de la préposition et que –ant est la même
forme que celle que l’on retrouve en dehors du gérondif dans le participe
présent.
Les arguments sont aussi syntaxiques. Le premier est d’ordre plutôt
distributionnel et se laisse décliner de deux manières. La première revient à
évoquer l’autonomie de la forme –ant par rapport à en : si le gérondif formait
une seule unité grammaticale, la forme –ant ne devrait pas pouvoir
s’employer seule, sans son compère en. Or, elle s’en détache aisément
lorsqu’elle fonctionne comme participe présent et comme adjectif verbal. Il
serait par conséquent peu judicieux de maintenir qu’elle ne représente pas un
morphème « plein » dans son emploi gérondival. La même démonstration
s’applique à en.
La deuxième manière consiste à montrer que la situation du gérondif
n’est au fond guère différente de celle d’autres syntagmes prépositionnels
comportant un infinitif, comme par exemple, l’infinitif introduit par la
préposition de dans l’art d’aimer 22 mis en avant par Wilmet (à paraître).
L’objection est alors claire : pourquoi, pour reprendre l’expression même de
Wilmet, « réserver un compartiment spécial » au gérondif et non à la
séquence de + infinitif ?
Le second argument porte sur la fonction du syntagme gérondival. La
position « bi-morphématique », dans laquelle en, cette fois-ci, il faut le
souligner, prend bien sous sa coupe Vant, permet d’expliquer le statut
adverbial du syntagme gérondif en postulant que c’est la préposition en qui
assure le passage de la fonction adjectivale reconnue au participe présent à la
fonction adverbiale (ou de subordonnée circonstancielle) assignée au
gérondif : « la préposition en permet de rattacher directement le procès du
gérondif au procès principal » (Lipsky 2003 : 78). On aboutit par là-même à
20
Wilmet (à paraître) avance deux arguments diachroniques en faveur de cette
thèse : 1° le fait, signalé par Lavency (1985 : 6 297), que chez les auteurs du 1er
siècle après J.-Chr. déjà, gérondif et participe présent entrent en concurrence
régulièrement et 2° que le participe présent se traduit parfois par un gérondif :
Platon scribens mortuus est = ‘Platon est mort en écrivant’.
21
De Carvalho (2003 : 119) parle du « fantôme du gérondif ».
22
Qui, comme le note Wilmet (à paraître) correspond précisément au gérondif
latin ars amandi.
104 Georges Kleiber
23
Nous y reviendrons ci-dessous. On soulignera uniquement ici que l’accent est
mis sur le sens de la préposition plus que sur le sens de la forme en –ant.
En passant par le gérondif avec mes (gros) sabots 105
2.3. Conséquences
26
Lorsque le figement s’étend jusqu’au verbe, on est en face de locutions
totalement grammaticalisées comme en attendant ou en passant. Voir Halmøy
(2003) pour cette dimension.
27
Voir à cet égard, l’excellent chapitre 3 de Halmøy (2003) et l’éclairant article de
Combettes (2003) sur l’évolution de la forme en –ant.
108 Georges Kleiber
28
Voir par exemple Bonnard (2001 : 81).
29
Chez la plupart des défenseurs du gérondif. Tout en se plaçant prudemment à
une position intermédiaire, Halmøy (2003 : 63) continue pourtant à voir en en
l’introducteur de Vant : « la préposition en, dont le rôle se borne à souligner la
dépendance du syntagme qu’elle introduit à un terme de la phrase, n’a plus
qu’un sens très affaibli ».
30
Rappelons toutefois que Haspelmath et König (1995) vont jusqu’à faire de en un
préfixe.
110 Georges Kleiber
Nous avons déjà largement entamé cet aspect en notant ci-dessus que :
(i) même si ce n’était pas dans les mêmes termes, le problème d’une définition
générale du gérondif se posait aussi bien pour les tenants d’une approche bi-
morphématique que pour ceux de la conception mono-morphématique,
(ii) les partisans de l’inexistence grammatico-lexicale du gérondif doivent
fournir une réponse à partir du sens des constituants de la construction, à
savoir la préposition en et le participe présent, alors que les promoteurs
d’une véritable unité morphologique « gérondif » peuvent directement
attribuer un sens au morphème discontinu en…–ant.
En passant par le gérondif avec mes (gros) sabots 111
(iii) de façon générale, la question était, pour des raisons différentes, ou laissée
de côté ou traitée de façon assez allusive et non directe.
Une des raisons à l’origine du point (iii) réside dans l’existence d’une thèse
traditionnelle, généralement reprise dans les manuels, dont la pertinence
paraît aller de soi : selon cette thèse, le gérondif « indique, pour reprendre les
termes de la Grammaire Méthodique du Français de Riegel et alii (1984 :
342), un procès en cours de réalisation, simultané par rapport au procès
exprimé par le verbe principal ». Cette thèse du « en même temps », à
laquelle s’associe l’élément aspectuel de la sécance ou imperfectivité,
s’explique tout naturellement par l’absence d’indication temporelle du procès
au gérondif et par sa subordination à la prédication principale. L’idée est qu’il
prend le temps du procès principal, donc qu’il lui est simultané. Cette thèse
se trouve confortée par les nombreux emplois du gérondif, comme la
manière, la concomitance, etc., où il y a effectivement simultanéité. Elle a un
autre avantage, c’est qu’elle peut servir aussi bien pour les tenants d’une
approche bi-morphématique que pour ceux qui plaident pour une analyse
mono-morphématique. Les premiers peuvent arguer que la simultanéité est
celle du participe présent, qui, lui aussi, n’a pas d’indications temporelles
propres, alors que les seconds peuvent la porter au crédit de tout le gérondif.
On voit tout de suite que les premiers se retrouvent néanmoins avec la
préposition en sur les bras : qu’en faire si la simultanéité est déjà exprimée
par la forme en –ant ? C’est là qu’intervient le rôle de subordination
adverbiale déjà signalé ci-dessus et qu’on peut faire également jouer
l’appétence toute particulière de la préposition en pour l’indication de la
simultanéité 31. Ajoutons encore que cette simultanéité temporelle
s’accompagne du trait aspectuel de l’imperfectivité, mis en avant pour –ant,
comme signalé supra, dans beaucoup de travaux (Curat 1991, Arnavielle
1997, etc.) 32, parce que, comme le rappelle Duffley (2003), l’imperfectivité a
normalement pour conséquence la simultanéité. Apparemment donc du
solide, aussi bien pour le temps que pour l’aspect. Mais si on y regarde de
plus près, on s’aperçoit bien vite que ni le trait ‘imperfectif’ 33 ni surtout la
simultanéité ne sont adéquats pour cerner le sens global du gérondif.
31
La GMF (1994 : 342) souligne ainsi que la préposition en « convient le mieux à
l’expression de la simultanéité temporelle, comme le montrent ses emplois pour
indiquer une datation (en été)
32
La forme en –ant passe ainsi pour être l’équivalent impersonnel et atemporel de
l’imparfait.
33
Comme déjà signalé en noté supra, Arnavielle (2003) a renoncé à la valeur
sécante.
112 Georges Kleiber
La simultanéité semble aussi trop forte, parce que, ainsi que l’a également
mis en relief Gettrup (1977 : 229), elle ne s’applique plus à des cas comme :
(38) En apprenant ces nouvelles, le roi décida de convoquer ses barons.
(39) En atteignant la promenade du bord de mer, ils hésitèrent.
même la notion de contiguïté temporelle n’est plus de mise. C’est dire que la
thèse du « en même temps », même si elle est la plus fréquente 35, ne saurait
servir à définir le sens général du gérondif.
34
Gosselin (communication personnelle) m’a signalé que, contrairement à
l’imparfait, le gérondif acceptait difficilement des SP en depuis + SN temporel :
il chantait depuis trois heures vs *Paul marchait, en chantant depuis trois
heures.
35
Et que donc ce fait doit être expliqué.
En passant par le gérondif avec mes (gros) sabots 113
Franckel (1987 et 1989) et Kindt (1999), comme déjà signalé ci-dessus, ont
proposé chacun, dans le cadre d’une approche bi-morphématique, une
analyse du gérondif qui se sépare de la description classique en termes de
simultanéité temporelle, parce qu’elle essaie explicitement de construire le
sens global du gérondif à partir du sens de la préposition en, Cette démarche
a l’avantage, par rapport à la thèse traditionnelle de la simultanéité, d’aboutir
à une différenciation plus nette d’avec le participe présent. Franckel met en
avant le trait de localisation de la préposition, alors que Kindt privilégie le
trait contenant. Il s’ensuit un trait commun aux deux approches : le participe
présent du fait de la préposition en fonctionne en quelque sorte comme un
« intérieur ouvert 36 » (Franckel 1987 : 272) ou un « contenant » (Kindt
1999) :
a. « On peut faire l’hypothèse que, dans le gérondif, la fonction de en composé
au verbe au participe présent est de fonder ce verbe comme un procès
localisateur dont la propriété est de ne se déterminer qu’en fonction du
procès qu’il localise. En outre, le participe présent ainsi constitué comme
localisateur se comporte, à travers cette mise en relation, comme un
intérieur ouvert, du fait du fonctionnement spécifique de en. » (Franckel
1987 : 272)
b. « En accorde à l’action dénotée par le groupe verbal sous-catégorisé la
fonction de contenant. Le contenu est alors l’action dénotée par le groupe
verbal de la principale.» (Kindt 1999 : 114)
36
Franckel (1987 : 272) s’appuie sur l’opposition, souvent reprise depuis, que fait
Gustave Guillaume entre dans et en : en «oriente une relation d’intériorisation
du N1 intériorisant-repère vers le N2 intériorisé repéré, selon une direction
opposée à celle que détermine dans, du N2 repère intériorisant au N1 repère
intériorisé. Un livre qu’on jette dans le jeu ne tarde pas à être en feu. : ce qui
était à l’extérieur comme devant contenir passe à l’intérieur et devient contenu »
(…) « être en prison se dit du prisonnier, de celui qui se trouve emprisonné,
tandis que être dans la prison s’appliquera aux geôliers et aux visiteurs ». Kindt
invoque également ce dernier exemple, mais d’après Waugh (1976). .
114 Georges Kleiber
l’équivalence :
(41’) en sortant du cinéma = à la sortie du cinéma
mais il n’en tire pas d’autres instructions que celles qui vont dans le sens de
la thèse bi-morphématique, c’est-à-dire celle d’une préposition en transférant
« le participe en nom déverbal » (1997 : 569). Or, le fait de comparer le
37
Kindt (1999 : 114) est bien consciente de cette difficulté, mais la solution
qu’elle propose, à savoir associer à en GV un intervalle temporel qui contient
déjà à la fois GV et l’intervalle du procès principal, ne règle qu’apparemment le
problème, puisqu’elle n’explique pas pourquoi et comment en fait passer
l’intervalle temporel de GV à un intervalle temporel contenant déjà celui de la
proposition principale.
En passant par le gérondif avec mes (gros) sabots 115
38
La palette d’emplois d’avec est plus large que celle du gérondif.
39
La différence provient de la différence N-V. Si on en fait abstraction, instrument
et moyen sont identiques. La preuve en est que parfois on parle d’instrument
pour le gérondif (voir par exemple Herslund, 2003).
116 Georges Kleiber
– cause :
(50) Pierre a réveillé Marie avec ses gros sabots.
(51) Pierre a réveillé Marie en claquant la porte.
– condition :
(54) Pierre réussira avec du travail.
(55) Pierre réussira en travaillant.
et que, comme avec le gérondif, il n’est pas toujours facile, de mettre au jour
l’interprétation exacte de la préposition avec :
(60) Avec son pantalon blanc, Paul s’est sali (Cadiot 1997 b: 150).
(61) Paul se promène avec son parapluie (Choi-Jonin 2002).
3. Etant donné 2., il n’y a rien d’étonnant à ce que l’on puisse parfois gloser
un SP en avec par un gérondif ou vice versa :
En passant par le gérondif avec mes (gros) sabots 117
40
La traduction en coréen que donne Choi-Jonin (2002 : 13) de Paul se promène
avec son chien est révélatrice : c’est une sorte de gérondif qui apparaît (en
emmenant son chien).
118 Georges Kleiber
Ces faits, qui justifient amplement, à notre avis, le rapprochement que nous
avons opéré entre avec et le gérondif, résultent d’une situation sémantico-
syntaxique très proche. Il est significatif d’observer que ce que Cadiot (1990 :
152) a écrit au début de son article sur avec se laisse appliquer quasiment tel
quel au gérondif :
« il semble raisonnable d’admettre qu’avec introduit un complément qui reste
extérieur au schéma de la sous-catégorisation de la catégorie principale
(verbe, adjectif, nom) de la phrase. Ce caractère périphérique a une
contrepartie sémantique directement intuitive : le SP exprime des sortes de
« cas » sémantiques bien typés dont les plus nets sont sans doute ceux qui
dans la tradition grammaticale sont nommés instrumental (Paul enfonce le
clou avec le marteau) et comitatif (idée de concomitance ou d’accompa-
nement ) : Paul se promène avec un chien » (Cadiot 1990 : 152).
Il n’est donc pas surprenant que les deux conduisent à une problématique
sémantique mettant en jeu des interprétations « basiques » grandement
identiques et donnant lieu à des difficultés de traitement également voisines.
La question récurrente que l’on trouve dans la littérature sur avec peut
également être posée pour le gérondif : faut-il privilégier le sens instrumental
et / ou le sens comitatif et expliquer les autres sens par un élargissement
interprétatif 43 ou est-il préférable de rechercher un invariant sous-
déterminé ?
41
Voir pour ce problème, Charolles (2003).
42
Tout simplement parce qu’en phrase événementielle (Kleiber : 1987),
l’antéposition est difficile et suppose des circonstances contextuelles
particulières justifiant la position extra-prédicative : ? Avec Pierre, Paul s’est
promené ; ? En buvant un verre de bourbon, Paul a fumé un Havane.
43
Ce que fait Cadiot (1990) pour avec : à partir des sens prototypiques
‘instrumental’ et ‘comitatif’, il rend compte des autres sens relevés en parlant
d’élargissement interprétatif.
En passant par le gérondif avec mes (gros) sabots 119
44
Voir Cadiot (1990, 1991, 1993, 1997 a et b et 1999), Choi-Jonin (1995, 2000 et
2002), Melis (2003), Schapira (2002), Schnedecker (2002), etc.
45
Choi-Jonin (1995) fait de avec un opérateur de (dé)composition.
46
Qui suppose évidemment que l’élément associé soit (d’abord) dissocié. D’où le
couple « association-dissociation » ou « composition – décomposition » (Choi-
Jonin 1995) souvent utilisé à propos d’avec.
120 Georges Kleiber
Il nous semble que c’est cette piste qu’il faut suivre pour cerner le sens du
gérondif. L’hypothèse que nous développerons est que le gérondif conduit à
opérer une union ou association ou intégration semblable à celle que
déclenche avec, la différence, due à celle de catégorie régie (N ou SN vs V),
étant celle de l’élément qu’avec ou le gérondif demande à associer ou à
intégrer à la prédication principale. Dans un cas, il s’agit d’un élément
nominal, dans l’autre, d’un élément prédicationnel.
Voyons de plus près quelle est cette association que nous assignons au
gérondif. La première chose à noter est qu’il ne s’agit pas d’une jonction (de
type coordination, par exemple, ou parataxe). Le statut syntaxique
« adverbial » ou de complément circonstanciel du syntagme gérondif fait que
l’association ne se réalise pas entre éléments de même niveau, mais entraîne
clairement une dépendance de l’un par rapport à l’autre. Il s’agit ainsi de
l’intégration d’une prédication dans l’autre et non d’une simple association
de procès de même niveau.
Une autre conséquence est à porter au crédit du statut syntaxique. Celui-
ci exclut par avance que le SG s’intègre à une place d’argument de la
prédication principale. Le SG ne peut apparaître comme objet ou sujet de la
prédication en question, c’est-à-dire ne peut faire partie de la rection étroite
d’un prédicat. On n’aura donc pas *je veux en partant comme on a je veux
partir. Pour que l’intégration associative puisse se faire, il faut néanmoins
qu’il y ait des places intégratives prévues dans la prédication d’accueil, sinon
le SG, quelle que soit la valeur ou les valeurs postulées, ne peut s’y intégrer.
Autrement dit, il faut que la prédication principale ne soit pas complète pour
pouvoir être saturée sur le mode intégratif par le SG. Comme les places
argumentales sont exclues, celles qui peuvent rester vides ne peuvent plus
correspondre qu’à la rection large (Choi-Jonin 1995), c’est-à-dire aux cas ou
compléments du type lieu, temps, manière, instrument, moyen, etc. On voit
ainsi que le SG gérondif, pour qu’il apparaisse comme un associé processuel
intégré dans la prédication principale, doit pouvoir s’interpréter comme une
sorte de complément circonstanciel de la prédication en question indiquant
que le procès au gérondif est une circonstance ou un complément
circonstanciel de cette prédication. L’instrument, le moyen, le temps, le lieu,
la manière, le concomitant, etc., sont en effet associés (certaines comme le
temps et le lieu, de façon régulière, d’autres selon le potentiel lexical du SV)
et se laissent tous subsumer par le trait d’associé subordonné (non principal,
d’où le terme de circonstances….). Associé puisqu’ils accompagnent la
prédication et subordonné puisqu’ils n’en constituent que des éléments
spécificateurs secondaires par rapport à la structure prédicative centrale
arguments-prédicat ou zone rectionnelle stricte.
En passant par le gérondif avec mes (gros) sabots 121
47
S’ouvre ici le débat sur la coréférence ou non coréférence entre le sujet du
gérondif et celui de la principale. Voir Halmøy (2003) qui apporte de précieux
renseignements sur ce sujet.
48
C’est exactement la situation d’avec comitatif ou sociatif.
49
C’est dans ce sens, je crois, qu’il faudrait reprendre la question des emplois de
repère temporel du gérondif.
122 Georges Kleiber
C’est ici que prennent toute leur valeur les travaux en aval de Halmøy sur les
cinq rubriques de gérondifs qu’elle a mises en relief et ceux de Gettrup et de
Herslund pour les gérondifs temporels. Nous nous contenterons d’une
illustration bien maigrelette pour montrer le rôle décisif des propriétés
lexicales particulières aux deux V incriminés. On reprendra la situation de
Gettrup avec chanter et se raser, mais en remplaçant se raser par un V
comme courir qui ne correspond pas à une activité régulière, réputée avoir
lieu à certains moments, comme se raser, et qui donc ne devrait pas pouvoir
servir d’emploi temporel pour chanter. Or, il est curieux d’observer que le
résultat obtenu est pourtant le même. Le gérondif en chantant de l’énoncé :
(76) Paul court en chantant (Comment court-il ? – En chantant ; ? Paul court,
lorsqu’il chante ; Quand est-ce que Paul court ? – ?? En chantant).
La raison en est l’asymétrie a priori qui existe entre les deux V d’activité
chanter et courir. Le fait de chanter peut a priori faire partie des attitudes ou
du comportement de quelqu’un qui court, c’est-à-dire qu’il peut a priori
50
Ou, comme noté ci-dessus, postposé et détaché de la prédication principale par
une pause et donnant lieu à une intonation spéciale.
51
Nous ferons abstraction ici de ce problème, qui met en jeu la structure
informationnelle de l’énoncé (thème –rhème) et qui pose plus particulièrement
le problème des adverbiaux antéposés (Charolles, 2003). Disons simplement et
de façon très schématique que la postposition correspond à (i) et l’antéposition à
(ii) :
(i) P : dans quelle circonstance ? – En Vant
(ii) Dans la circonstance En Vant : Quoi ? ou Qu’est-ce qui se passe ? – P.
En passant par le gérondif avec mes (gros) sabots 123
passer pour une « manière » de courir, alors que l’inverse n’est pas vrai.
Courir, pour des raisons liées à la différence de gestuelle et de facettes ou
dimensions impliquées par les deux activités, n’entre pas dans le stock des
activités permettant de spécifier la manière de chanter. On peut même
formuler la règle suivante :
Si une activité X est une manière possible d’une activité Z, alors X au gérondif
ne peut être repère temporel pour Z, comme Z au gérondif peut l’être pour X.
Mais nous n’irons pas plus loin, car le moment est venu de conclure.
4. En concluant…
Références
Marco FASCIOLO
Université de Genève
0. Introduction
1
Je désire remercier vivement Laura Baranzini, Emilio Manzotti, Michele Prandi
et particulièrement Silvia Härri, qui a bien voulu corriger et recorriger mon
français. La responsabilité pour toutes les imprécisions ou les fautes demeure
exclusivement la mienne.
de différentes strates, et les modèles cognitifs ne sont que l’une de ces strates,
bien que particulièrement significative.
D’un point de vue général, le but de cet article est de considérer le lien de
subordination non-complétive gérondive comme un moule linguistique, vide,
où des concepts sont coulés. Contrairement à ce que cette analogie peut
amener à penser, ces concepts ne sont pas une matière informe, mais ils sont
structurés par des relations logiques fondamentales et indépendantes de la
langue. Cette remarque ouvre la possibilité d’évaluer la tension entre
l’organisation naturelle des concepts en jeu et le moule linguistique où ils
sont placés, en portant une attention particulière aux manipulations – et à
leurs limites – que ce moule peut imposer.
Plus précisément, il y a trois thèses principales et strictement liées que je
vais soutenir :
– l’indétermination sémantique du gérondif : l’idée que le rapport entre le
suffixe -ndo et l’infinitif soit analogue au rapport entre une préposition et un
nom (cf. § 1) ;
– le double schématisme du gérondif : l’idée que la structure informationnelle
peut avoir une influence sur l’élaboration du signifié seulement s’il y a une
tension entre les relations logiques naturelles des concepts en jeu et le
rapport de subordination imposé par le gérondif (cf. § 2) ;
– l’incompatibilité entre gérondif et surcodage linguistique : l’idée que, entre
les relations logiques qui nécessitent un surcodage linguistique, le gérondif
peut exprimer seulement une consécutive non-prototypique et, en substance,
il ne peut pas exprimer une relation finale (cf. § 3).
1. La sémantique du gérondif
1.1. Considérations préliminaires
seul (2b) codifie la lune en tant que sujet du rêve. Cependant, le gérondif
conserve sa structure fonctionnelle et il a donc une exactitude dans
l’élaboration de concepts supérieure à celle des noms : en effet, on peut
imaginer une échelle allant d’un minimum (les noms) à un maximum (les
formes verbales finies), en passant par un point médian (les formes verbales
non-finies).
En ce qui concerne plus spécifiquement la connexion transphrastique, le
gérondif apparaît comme une « expansion endocentrique subordinative » : il
ne peut pas saturer la valence d’un verbe ni en tant que constituant d’un
procès intrinsèquement complexe, ni en tant que complément de lieu des
verbes de mouvement ; et il implique toujours l’existence d’un noyau 4. En
conséquence, l’effet de l’introduction du suffixe -ndo dans l’infinitif est
analogue à celui d’une préposition sur un nom 5 : la façon dont le lien trans-
phrastique est exprimé dans (1a) est donc équivalent à l’enrichissement
inférentiel inhérent à la préposition con /avec dans (3) :
(3) Ha colto la mela con il saltare / con un salto.
Il a cueilli la pomme avec un saut.
2
Avec «exactitude idéationnelle» j’entends la capacité d’imposer une fonction (et
donc une position syntaxique) précise aux contenus. Intuitivement, si on
compare (2a) à (2c)
(2c) (Con) Per il sogno della luna, tutti erano felici.
(Avec) Pour le rêve de la lune tous étaient heureux.
on peut relever que si dans les deux cas la lune peut être le sujet de l’action de
rêver, cela semble plus difficile dans la version prépositionnelle (2c)
complètement nominalisée par rapport à celle au gérondif.
3
Les exemples italiens peuvent paraître mal formés en français, puisque je les
traduis littéralement.
4
Pour les définitions précises des concept d’« expansion endocentrique » et de
« procès intrinsèquement complexe », je renvoie à Prandi (2004 : 282-94).
5
Notamment dans un régime de « codification ponctuelle », cf. Prandi (2004 :
60-79, 286-90).
130 Marco Fasciolo
6
L’effet de manque de naturel généré par (7b) est dû à la forme implicite du
gérondif.
7
C’est la raison pour laquelle on trouve seulement en (1a) une relation
d’instrument ou manière : elle n’est pas annulée par le contenu plus ‘riche’ de
parce que.
8
Cette idée est présentée dans Halmøy (1982 : 242-3, 248, 252-3).
Le gérondif simple en italien 131
S’il existe une relation logique dont on aurait pu penser qu’elle est codifiée
par le gérondif, c’est sûrement la modalité :
(8) a. Camminava ciondolando.
Il marchait en se balançant.
b. Ciondolava. Camminava / Camminando in questo modo.
Il se balançait. Il marchait / En marchant de cette façon.
9
L’interprétation pertinente est celle où cette façon fonctionne en tant
qu’anaphore du processus précédent. Ici, les concepts en jeu sont ‘se balancer’
et ‘marcher d’une certain façon’ : dans (8b), alors, on peut parler d’adjonction et
la lecture modale est due à une re-description de l’action précédente.
10
Il y a incohérence si on essaie d’interpréter questo modo (cette façon) en tant
qu’anaphore du processus précédent ; généralement, questo modo (cette façon)
dans un exemple comme (9) serait interprété en tant que deixis ou cataphore.
Dans la lecture déictique de (9) on peut parler d’ « illustration ostensive ».
11
En ce qui concerne (8a) e (10a), les phrases clivées (8c) et (10b) ci-dessous
donnent des résultats équivalents (respectivement, modalité et circonstance) à
(8b) et (10b) ou (11) :
(8c) E’ ciondolando che Giorgio camminava.
C’est en se balançant que Georges marchait.
(10c) E’ camminando che Giorgio ciondolava.
C’est en marchant que Georges se balançait.
132 Marco Fasciolo
Une première implication (qui découle de I.1) est que le gérondif apporte à
l’expression toutes les relations possibles admises entre deux processus par
notre grammaire des concepts, en les manipulant avec son schéma : et cela
détermine son caractère suggestif-maïeutique et protéiforme, qui peut être
exploité soit pour suggérer un effet de vague, soit pour éviter la redondance
qu’il y a à expliciter des relations logiques évidentes ou déjà connues.
Une deuxième implication (qui découle de I.2) est la vocation naturelle
du gérondif à exprimer, en ordre décroissant, relations de modalité,
instrument, motif de l’action, cause, circonstances spatio-temporelles : et cela
justifie la saveur «modale» qui accompagne toujours cette subordonnée.
En synthèse, privé de contenu positif, quel qu’il soit, le gérondif peut
constituer un point de vue privilégié pour étudier – au niveau transphrastique
– la subordination « mise à nue » : en délimitant l’interaction entre son
schéma formel, les concepts indépendants (avec leurs affinités électives
12
Dans la suite de l’article, elle sera définie comme subordination tout court. En
assimilant le gérondif à la subordination endocentrique (au niveau trans-
phrastique), on peut penser à cette dernière comme à la codification de
l’application du principe de cohérence dans une juxtaposition : elle serait donc
une juxtaposition avec une perspective informationnelle globale, où le fait que
les énoncés forment un seul message n’est pas présupposé, mais linguistique-
ment codifié.
13
En d’autres termes, dans une période (non-complétive), si deux processus
peuvent être liés par les relations logiques A et B et si B a un plus haut degré
d’intégration au verbe principal, B est sollicitée et A admise (voir aussi la notion
de closeness chez Prandi 2004 : 174-280).
Le gérondif simple en italien 133
2. Le schématisme du gérondif
2.1. Une double iconicité
Ces niveaux sont hiérarchiquement ordonnés dans le sens que (ii) collabore à
l’élaboration du signifié dans la mesure où (i) détermine une « tension » par
rapport aux relations logiques naturelles admises entre les concepts en jeu.
D’un point de vue théorique, la relation établie par un modèle cognitif
détermine l’éventuelle activation de (i) et cela détermine à son tour celle de
(ii). D’un point de vue pratique, quand il y a plusieurs modèles cognitifs
possibles, la structure informationnelle fonctionne comme indice pour
sélectionner celui qui est pertinent. Le critère ultime d’interprétation – il faut
le remarquer – reste toujours la cohérence 14.
Pour illustrer ce point je considérerai deux cas extrêmes :
A. une relation logique (la causalité) avec une forte structuration interne, où les
niveaux d’iconicité (i) et (ii) peuvent se greffer (cf. infra, § 2.2) ;
B. une relation logique (la collocation spatio-temporelle) sans une véritable
structuration interne, où les niveaux d’iconicité (i) et (ii) se vident de toute
fonction idéationnelle (cf. infra, § 2.3) 15.
14
La notion de coherence ou cohérence textuelle s’oppose à celle de consistency
ou non-contradiction : seule la première constitue la quidditas d’un texte. Pour
ce concept je renvoie à Conte (1999 : 29).
15
Les cas intermédiaires sont représentés par des relations plus simples par
rapport à la cause : par exemple une relation de succession spatio-temporelle.
Analogiquement à la cause, elle présente un ordre interne (un moment ‘avant’ et
l’autre ‘après’) ; contrairement à la cause, elle ne fonctionne pas en tant que
modèle pour inférer des interprétations ‘du dire’. Pour ces cas – que Solarino
(1992 : 158-159) appellerait gerundio di anteriorità – on peut conduire mutatis
mutandis des observations analogues à celles que nous allons faire.
134 Marco Fasciolo
16
Ici on ne peut pas parler au sens propre de modalité : la paraphrase (12c)
(12c) La neve ha smottato. Ha cancellato il sentiero in questo modo.
La neige s’est éboulée. Elle a effacé le chemin de cette façon.
est trompeuse à cause de la sous-détermination de l’encapsulateur modo (façon).
Intuitivement, l’acception dans laquelle se balancer peut être une façon de
marcher, implique qu’elle soit pensable comme «marcher + un trait x» ; mais
s’ébouler n’est pas facilement descriptible comme «effacer un chemin + un trait
x». Dans (12c), donc, la relation logique serait quand même une relation de
causalité, bien que la forme linguistique soit particulièrement apte à exprimer
une modalité. A la limite, on pourrait parler d’une expression non-prototypique
de manière ou d’instrument, si on cherche à projeter analogiquement sur la
neige une forme d’intentionnalité dérivée et métaphorique. La « manière » (c’est
à dire un instrument « abstrait ») n’est pas une forme de modalité stricto sensu
parce qu’elle peut être décrite en tant que façon d’exprimer un motif du faire
complémentaire à la finalité. Ce qu’on a appelé « manière », donc, consiste
simplement dans l’expression d’un motif du faire (projectif, intentionnel) avec
un gérondif. En dernière analyse, la manière et la modalité se distinguent par le
fait que la première présuppose une relation de motif et donc des intentions
exclues par la deuxième qui, par contre, est substantiellement une relation
hyperonyme-hyponyme.
Le gérondif simple en italien 135
17
R. Solarino (cf. Solarino 1992 : 161) appelle ce phénomène gerundio di
posteriorità. Pour nous, il s’agit d’un cas particulier du phénompne que nous
décrivions ci-dessus en § 2.2.1.
18
On remarquera qu’il y a un phénomène analogue avec la subordination pauvre:
(20e) *Per terminare la sua corsa contro un muretto, l’auto sbandò.
Pour terminer sa trajectoire contre un mur, la voiture fit une embardée.
Le gérondif simple en italien 137
dans les exemples (22) 19, aucune forme d’iconicité ne s’applique et les deux
niveaux de schématisme du gérondif se vident de leur fonction d’élaboration
conceptuelle :
(22) a Giorgio camminava verso casa leggendo i cartelloni pubblicitari.
Georges se promenait vers sa maison en lisant les panneaux publicitaires.
b. Leggendo i cartelloni pubblicitari, Giorgio camminava verso casa.
En lisant les panneaux publicitaires, Georges se promenait vers sa maison.
c. Giorgio leggeva i cartelloni pubblicitari camminando verso casa.
Georges lisait les panneaux publicitaires en se promenant vers sa maison.
d. Camminando verso casa, Giorgio leggeva i cartelloni pubblicitari.
En se promenant vers sa maison, Georges lisait les panneaux publicitaires.
19
Que Solarino (1992: 159) appellerait gerundio di inclusione. Je ne considère pas
ici, par manque d’espace, les complications dues aux problèmes d’aspect
(ponctuel vs. duratif).
138 Marco Fasciolo
20
Pour lesquels R. Solarino (cf. Solarino 1992 : 160) parlerait de «gerundio di
coincidenza».
21
Si on exclut la manière – parce qu’elle est liée au sens de la subordination a
fortiori : en étant une certaine expression linguistique d’une relation de motif –
les exemples (23) (mais aussi (8a) vs. (10a)) montrent que la modalité semble la
seule relation logique détruite par une inversion du sens de la subordination :
soit la cause, soit la succession spatio-temporelle, en effet, peuvent filtrer dans
les deux sens (en étant bloquées éventuellement par la structure
informationnelle ou l’ordre linéaire).
Si la modalité est lexicalisée, l’incohérence de l’iconicité syntaxique produit une
redondance :
(i) ??Sussurrava parlando.
(ii) ??Il murmurait en parlant.
(iii) ??Sussurrava quando parlava.
(iv) ??Il murmurait quand il parlait.
Le gérondif simple en italien 139
22
La concession, qui a besoin seulement d’un cadre syntaxique minimal, c'est-à-
dire la coordination avec et, mérite une considération à part. Le gérondif – pour
l’exprimer sans le pur – nécessite que la subordonnée soit en position
rhématique intonativement intégrée : en effet, si on compare (a), (b) et (c)
a. Essendo i più deboli, hanno vinto.
En étant les plus faibles, ils ont vaincu.
b. Hanno vinto, essendo i più deboli.
Ils ont vaincu, en étant les plus faibles.
c. Hanno vinto essendo i più deboli.
Ils ont vaincu en étant les plus faibles.
on constate que c’est seulement dans (c) qu’on infère sans problème une
concession ; dans (a) et (b) on parlerait plutôt d’opposition, comme dans une
juxtaposition simple.
23
Cf. Cuzzolin (1996 : 103-45) pour plus de détails sur la relation de consécution.
140 Marco Fasciolo
Toutefois, cela n’implique pas que (28a) et (28b) soient équivalents à (29) :
(29) a. L’auto sbandò ampiamente. Terminò la sua corsa contro un muro.
La voiture fit une grande embardée. Elle termina sa trajectoire contre un
mur.
b. L’auto sbandò ampiamente e terminò la sua corsa contro un muro.
La voiture fit une grande embardée et termina sa trajectoire contre un mur.
24
E. Manzotti (2002 : 234) souligne la radicalité de l’incompatibilité entre
gérondif et finalité. Etant donné le continuum « sous-codage…sur-codage »
dans un régime de codification ponctuelle (voir la note 24), le gérondif, à cause
de son indétermination sémantique, se place au pôle « sous-codage » alors que
la structure « per/pour + infinitif » se place vers le pôle « surcodage ». Le point
est que la relation de finalité est exprimable seulement à partir d’un degré de
codification pareil à celui de la structure « per/pour + infinitif ».
Le gérondif simple en italien 141
25
On observera que si l’interprétation sollicitée dans le premier membre de (30a)
est évidemment celle de la finalité, une lecture identique à celle du premier
membre de (30b) est cependant admise : dans (30a), donc, la coordonnée
sélectionne la lecture sollicitée.
26
A ce propos, on notera incidemment qu’en anglais, les gérondifs sont supportés
par les prédicats factifs.
27
On notera que tous ces exemples partagent le paradigme « inférences sollicitées
vs. admises » avec leur contreparties prototypiques.
142 Marco Fasciolo
finalité tout court 28 : et, notamment, il peut estomper une nuance finale
quand le concept de but est contenu dans la racine du verbe. Cela ne signifie
pas que dans les exemples (33) :
(33) a. Ha studiato desiderando superare l’esame.
Il a étudié en désirant réussir l’examen.
b. Ha studiato con il desiderio di superare l’esame.
Il a étudié avec le désir de réussir l’examen.
il y ait une relation finale, mais – plus simplement – que leur interprétation
est directement liée. J’entends par là que si l’on dit que, dans (33b), il y a un
complément de but (comme le soutiennent les grammaires scolaires), on
devrait affirmer que dans (33a) il y a une relation pseudo-finale (bien qu’avec
une référence aux intentions) ; et si on dit que (33a) a quand même un
caractère de motivation, on devrait affirmer la même chose de (33b) 29.
A mon avis, donc, la question n’est pas que le gérondif codifie la factivité de
sa proposition (vraisemblablement, il se limite à la solliciter), ni qu’il est
incompatible avec l’idée de fin. Il semblerait plutôt que le gérondif ne puisse
pas exprimer une relation finale pour des raisons non intrinsèques, dues à la
structure conceptuelle de la relation logique. On peut argumenter en faveur
de cette thèse comme suit. Une finale comme (34) :
(34) Ha studiato per superare l’esame.
Il a étudié pour réussir l’examen.
28
Et cela a fortiori : si le gérondif ne codifie aucun contenu, il ne peut pas être
incompatible avec n’importe quel contenu. On ne considère pas la (discutable)
nuance finale des interprétations énonciatives comme (4).
29
A ce propos, il peut être intéressant de relever le fait phénoménologique
suivant : il est vrai qu’à y regarder de plus près, pour (33), on devrait parler de
relation de motivation du désir sur le sujet. Mais il est vrai aussi que cela
demande une réflexion ; or devant (33), l’attitude naturelle est de sentir une
finalité vers laquelle le sujet se déplace, et non de voir un sujet et une cause
« psychologique » de son action. La raison en est claire : le but est un motif
(projectif). Donc – en excluant le cas énonciatif de (4) – un exemple comme
(33a) est, peut-être, la seule véritable exception à la règle que le gérondif
n’exprime pas la finalité. Une exception, cependant, pleinement justifiée : parce
que le désir est lui-même un nom inhérent à l’idée de but et donc – dans ce cas
et dans ce cas seulement – il n’y a pas besoin de la structure « per/pour +
infinitif » laquelle, en effet, est refusée. La preuve en est que si je l’applique à
(33) je détruis la nuance finale et je reviens à une perspective « causale » :
Ha studiato per il desiderio di superare l’esame.
Il a étudié pour le désir de réussir l’examen.
Le gérondif simple en italien 143
La conclusion est donc qu’on peut avoir une lecture finale dans (34) parce
qu’il y a une « conséquence » dans (36a) ; et, vice-versa, dans (36a) on a
nécessairement une relation de « conséquence » si on a une relation finale
dans (34). En termes plus généraux, si on a une relation finale, c’est aussi
parce qu’on présuppose qu’il y a une relation causale possible (ou de
« moyen– but ») entre l’action et le contenu de l’intention ; donc, si l’on relie
ces deux éléments simplement 31 – comme c’est le cas avec le gérondif ou la
coordination et – cette relation ne peut pas ne pas émerger. La vraie question,
alors, n’est pas de savoir pourquoi le gérondif n’exprime pas la finalité, mais
pourquoi la structure « per/pour + infinitif » peut l’exprimer : le problème ne
concerne donc pas le gérondif en soi (ou la coordination), mais la composante
de codage nécessaire à l’expression de la finalité, qui est contenue dans
pour 32.
30
Il s’agit d’un «motif du faire prospectif – intentionnel». Pour cette analyse je
renvoie à Prandi (2004 : 320-44).
31
J’entends : avec un moyen linguistique déplacé au pole du «sous-codage» (voir
la note 24).
32
Et sur cette question je renvoie à Gross & Prandi (2004 : 217-25).
144 Marco Fasciolo
Références
Laura BARANZINI
Université de Genève
1. Remarques introductives
1
Le cum latin dans ce cas a comme correspondant italien le terme quando, que je
traduirai indifféremment en français comme quand ou lorsque.
2
L’auteur remarque de plus que la même construction existe en espagnol, et cite
l’exemple suivant : « estaba dentro de una tienda dudoso de lo que habia de
hacer, cuando las voces y algazara de los que bailaban le sacó de su tienda »
(Ferran Jiménez).
3
Texte original: « se emplea [= el cum inverso] para introducir un incidente que
se presenta repentina o inesperadamente. La oración introducida por cum sigue a
la principal. En esta figuran con frecuencia adverbios como vix, aegre, nondum
[…]. Para señalar con mas fuerza lo inesperado de la acción se refuerza a veces
la oración introducida con cum mediante adverbios como repente, subito ».
4
Texte original : « hier enthält der cum-Satz den Hauptgedanken und bezeichnet
meistens den Eintritt einer plötzlichen oder unerwarteten Handlung (daher oft
mit desubito […] subito […] repente […] etc.) »
Les éléments de discrimination décisifs pour définir cet emploi par rapport
aux autres emplois de cum suivi d’un verbe à l’indicatif sont donc la présence
de l’événement principal dans la proposition introduite par cum et le caractère
soudain ou inattendu de celui-ci (qui peut être typiquement renforcé par la
présence de certains adverbes dans la deuxième proposition, qui est toujours
celle introduite par le cum). Un exemple de ce type de construction est
présenté en 1 :
(1) Iamque haec facere noctu apparabant, cum matres familiae repente in
publicum procurrerunt, flentesque proiectae ad pedes suorum omnibus
precibus petierunt (César, De bello gallico, 7,26,3).
Ils faisaient déjà leurs préparatifs, la nuit venue, quand soudain les mères
de famille accoururent sur les places et se jetant, en larmes, à leurs pieds,
les supplièrent de mille façons.
5
Bien que A. Borillo (1998) montre qu’il existe quand même des différences de
comportement entre ces deux réalisations.
6
Celui de quando est un des cas de subordination inverse.
148 Laura Baranzini
On reviendra par la suite sur cette idée d’inversion qui n’est pas tout à fait
convaincante. Du point de vue sémantique on peut donc retenir les deux
éléments principaux de cette structure dans l’idée d’incidence soudaine d’un
événement dans un état de choses et dans un effet de surprise. Il s’agira donc
de distinguer la valeur sémantique première de la construction des effets de
sens qu’elle déclenche et de voir de quelle manière ceux-ci sont activés.
Une circonstancielle temporelle est présuppositionnelle et fait
fonctionnellement partie, comme on l’a vu plus haut, de la proposition
principale en tant que constituant « de phrase ». R. Declerck (1997) et A. Le
Draoulec (2003) montrent que dans une structure inverse q n’est plus
présuppositionnel mais asserté, et on a affaire à deux prédications distinctes.
Dans ce cas quando assume donc la fonction connective de relier les deux
propositions partageant un même statut assertif (Vogeleer 1998). De quel
type de connecteur s’agit-il ? Les nombreux effets de sens déclenchés par cet
emploi de quando portent à croire que sa valeur est plus riche qu’un simple
lien temporel, mais il faut voir dans quelle mesure ces significations font
partie du connecteur et ne sont pas induites ou plus facilement véhiculées par
ce type de construction. L’idée d’opposition, par exemple, est très fortement
liée au quando inverse et l’on retrouve dans les dictionnaires un quando
oppositif clairement distingué du quando temporel 7.
7
Je ne prends pas en compte ici l’emploi oppositif de quando dans un énoncé tel
que « Mi stai rimproverando quando sei tu ad essere nel torto » qui se traduirait
Quando en italien : un cas de subordination inverse ? 149
de préférence par tandis que ou par alors que : « Tu me fais des reproches
tandis que c’est toi qui as tort ».
150 Laura Baranzini
8
L’agrammaticalité des énoncés en 13, 14, 15 et 17 est bien évidemment liée à
l’interprétation inverse ; l’agrammaticalité disparaît au moment où on considère
les propositions introduites par quando comme des subordonnées temporelles
canoniques.
9
En outre, rappelons que la proposition introduite par quando inverse,
contrairement aux subordonnées temporelles, a toujours un statut assertif, et ne
peut pas être présuppositionnelle. (Declerck 1997 et Le Draoulec 2003)
Quando en italien : un cas de subordination inverse ? 151
(21) J’étais assis dans mon bistro habituel, quand la porte s’ouvrit et un homme
entra 10.
10
Je remercie Bertrand Sthioul pour ces exemples et le développement de cette
idée.
11
Il faut remarquer à ce propos qu’une langue comme l’allemand qui marque la
hiérarchie syntaxique par l’ordre des constituants présente dans ces
constructions inverses l’ordre typique des subordonnées. La situation n’est donc
pas forcément généralisable à toute langue. Dans notre hypothèse de travail on a
considéré le quando italien et ses variantes françaises comme présentant les
mêmes caractéristiques et les mêmes conditions d’emploi.
152 Laura Baranzini
12
En réalité cette idée est modalisée par S. Vogeleer (1998) qui dit qu’il y a une
lecture terminative de l’imparfait de p même si, pragmatiquement, il est possible
que l’action continue.
154 Laura Baranzini
Dans ces exemples il est impossible de soutenir que l’action ou l’état décrit
par p se termine au moment de l’incidence de l’événement introduit par q.
Pour que la lecture terminative de l’imparfait soit activée il faut donc que les
contenus des deux propositions s’y prêtent, que l’événement décrit en q soit
considéré en mesure d’avoir cet effet sur l’état de choses décrit en p, de façon
cohérente. Il est clair cependant qu’une structure inverse avec quando
facilite, dans certains contextes, cette lecture, bien plus que ne le fait une
simple incidence d’un événement dans un état véhiculée par d’autres moyens
(par exemple une simple juxtaposition), comme le montrent 30 et 31 :
(30) Giovanni dormiva. Pietro entrò nella stanza.
Giovanni dormait. Pietro entra dans la pièce.
Quando en italien : un cas de subordination inverse ? 155
4. Conclusion
Nous avons essayé de montrer dans cet article les différents domaines
d’analyse à parcourir pour arriver à une description globale du phénomène de
la subordination inverse avec quando, qui se distingue d’un emploi
circonstanciel non seulement par une hiérarchie sémantique différente entre
les deux propositions, mais aussi par des caractéristiques, souvent
partiellement liées entre elles, qui touchent à d’autres niveaux linguistiques.
Les effets sémantiques et l’articulation logique entre les deux propositions
ont montré des reflets dans l’emploi des temps verbaux, lequel suit des règles
précises en limitant les possibilités d’emploi consenties par les propositions
circonstancielles. Nous avons souligné l’importance de revoir le statut
syntaxique de ces propositions, et nous en avons donné une description du
point de vue informationnel. En particulier, nous avons proposé de considérer
les deux propositions reliées par un quando inverse comme deux propositions
coordonnées, sémantiquement et syntaxiquement. La distribution de
l’information a ainsi pu être observée de deux points de vue différents : à
l’intérieur de la phrase et au niveau textuel. Dans ce dernier cas, notre analyse
fait du quando inverse un connecteur introduisant un énoncé semi-présentatif.
Quando en italien : un cas de subordination inverse ? 157
Références
1. Présentation
2. La notion d’aspect
e
Procès (Vendler : Activités) : une série d’événements identifiant la même
expression sémantique.
Procès
e1 .... en
1
Transitions (Vendler : Accomplissements et achèvements) : des événements
complexes constitués par un procès produisant un état.
Transition
Procès Etat
1
Cf. aussi Grimshaw (1990 : 26).
Aspect et structure sousévénementielle 163
Les conséquences aspectuelles d’une telle théorie sont claires. Chaque variété
aspectuelle produira une interprétation différente en fonction du type de
mode d’action à laquelle on l’applique.
Ainsi l’aspect Imperfectif, parce qu’il n’affirme pas la fin de
l’événement, produit-il le fameux paradoxe imperfectif s’il est combiné avec
les accomplissements. En revanche, ce phénomène ne se produit ni avec les
états ni avec les activités, car ces deux types d’événements ne sont pas
composés par deux sous-événements de nature différente. Voyons les
exemples de (7). Si la proposition exprimée par (7a) est vraie, celle
qu’exprime (7b) le sera aussi parce que les activités comme les états sont des
événements homogènes qui s’accomplissent en chacun des instants où ils ont
lieu 2 :
(7) a. Juan estaba caminando por el parque.
Juan marchait dans le parc.
b. Juan caminó por el parque.
Juan {marcha / a marché} dans le parc.
2
En fait, et contrairement à ce qui arrive avec les états, dans le cas des activités il
est nécessaire que l’intervalle où elles ont lieu ait une certaine longueur pour
pouvoir affirmer que l’activité en question a lieu. Cela parce que les états sont
homogènes et denses, alors que les activités sont homogènes mais ne sont pas
denses. Cf. Bonomi & Zucchi (2001 : 152).
164 Luis García Fernández
Aspect Imperfectif
+++----[----]----+++
Perfectif ou Aoriste
états et activités
+++[---------]+++
accomplissements
+++[+------+]+++
achèvements et états d’interprétation inchoative
+++[+-+]+++
3. L’interprétation de l’Aoriste
3
Nous n’abordons pas ici la question du début des événements, en particulier
celle du début des activités et des accomplissements. On peut, en effet, supposer
que les états commencent comme ils finissent, sans transition. Toutefois, pour
les activités et les accomplissements, il faudrait se demander si les premières
commencent de la même façon que les seconds ou pas, surtout si l’on tient
compte du fait que J. Pustejovsky, comme beaucoup d’autres auteurs, décrit les
accomplissements comme des activités qui produisent un état.
166 Luis García Fernández
Supposons que, dans les deux cas, l’individu auquel se réfère le sujet
nul du verbe de la phrase introduite par cuando est mort. Le changement
effectif dont parlait O. Heinämäki lorsqu’elle établissait sa deuxième
restriction s’est alors produit. Toutefois, si (10a) est acceptable, (10b) est
pragmatiquement inadéquate. Nous disons pragmatiquement inadéquate
parce que nous pensons que l’anomalie de (10b), comme celle de (9c), n’est
pas grammaticale. Admettons que (10b) soit prononcée dans un contexte où
les personnes peuvent vivre et mourir plusieurs fois (comme dans le film La
famille Addams) ; dans un tel contexte, cette phrase serait parfaitement
acceptable. Ce qui nous intéresse ici, évidemment, c’est de comprendre
quelle est la raison grammaticale de la différence de comportement entre
(10a) et (10b).
Rappelons que nous avons proposé que les Aoristes des états ne
dénotent aucun changement. C’est pourquoi, lorsqu’ils apparaissent dans une
subordonnée de temps introduite par cuando, on les interprète dans une série
afin que l’événement soit délimité par les périodes antérieures et postérieures
et qu’il soit de la sorte identifié dans le temps. Si l’événement est d’une
nature telle qu’il ne peut pas, dans le monde réel, être précédé ou suivi
d’événements analogues, nous nous trouvons face à des séquences étranges,
comme celle que nous avons vue en (10b) et que nous reprenons dans le
Tableau 4 en appliquant le Tableau 3 à cet exemple particulier :
l’individu dénoté par le sujet puisse revenir à la vie, ce qui est étrange dans le
monde réel.
De plus, il existe une implicature pragmatique qui, en l’absence
d’informations contraires, fait que l’événement dénoté par le prédicat en
Aoriste d’une subordonnée introduite par cuando s’interprète comme le
dernier événement effectif de la série et qu’il est identifié de cette façon dans
le temps. Cela est dû à des raisons de pertinence : vu le nombre infini
d’événements, celui auquel se réfère le prédicat d’une subordonnée de temps
est l’événement effectif de sa classe le plus proche du moment de
l’énonciation 4. Ainsi, dans l’exemple du Tableau 3, on considère que
l’événement dénoté par estuvo en Londres est le dernier d’une série
d’événements appartenant à la classe d’événements qu’il dénote. De même,
dans les exemples de (11), les événements dénotés respectivement par estuve
enfermo « je fus / j’ai été malade » et heló « il {gela /a gelé} » sont
interprétés comme les derniers d’une série d’événements appartenant à la
classe d’événements qu’ils dénotent :
(11) a. Cuando estuve enfermo, nadie vino a verme.
Quand {je fus / j’ai été} malade, personne {ne vint / n’est venu} me voir.
b. Cuando heló, se perdió toda la cosecha.
Quand il {gela / a gelé}, toute la récolte {fut / a été} perdue.
Bien sûr, il peut y avoir une information qui sert à identifier l’occasion
où a lieu l’événement dénoté par le prédicat subordonné qui, de cette façon,
ne doit plus obligatoirement être le dernier effectif d’une série. Cette
information peut préciser de façon absolue de quelle occasion il s’agit,
comme en (12a), ou bien elle peut la situer de façon relative dans la série,
comme c’est le cas en (12b) :
(12) a. Cuando estuve enfermo el mes pasado, nadie me llamó.
Le mois passé, quand {je fus / j’ai été} malade, personne ne m’a appelé.
b. Cuando hablé con Ana la segunda vez, no estuve de acuerdo con ella.
Quand {je parlai / j’ai parlé} avec Ana la deuxième fois, {je ne fus pas / je
n’ai pas été} d’accord avec elle.
4
Si l’événement de la subordonnée introduite par cuando se situe dans le futur,
l’état prédiqué est interprété comme étant le premier ; ainsi dans Te llamaré
cuando esté en casa, « Je t’appellerai quand je serai à la maison », l’on parle de
la prochaine fois où je serai chez moi et non pas de n’importe quelle fois dans le
futur.
Aspect et structure sousévénementielle 169
La phrase peut contenir une information qui signale qu’en plus de l’état
prédiqué, l’un des événements a eu lieu réellement. C’est ce qui se passait en
(12b) et c’est ce qui se passe en (15) où les syntagmes nominaux
d’interprétation adverbiale la primera vez et la ultima vez signalent
explicitement la position dans la série de l’événement dénoté par le prédicat
de la subordonnée introduite par cuando. En (15a), l’on fait référence à un
événement réel postérieur à l’événement prédiqué, vu que Juan a dû
obligatoirement séjourner à Londres au moins une deuxième fois ; en (15b),
au contraire, l’on fait référence à un événement réel antérieur à l’événement
prédiqué, vu que Juan a dû obligatoirement séjourner à Londres au moins une
fois auparavant :
(15) a. Cuando Juan estuvo en Londres la primera vez, conoció a Ana.
Quand Juan {fut / a été} à Londres la première fois, il {connut / a connu}
Ana.
5
En espagnol péninsulaire, He visto a Juan por última vez, « J’ai vu Juan pour la
dernière fois », est acceptable parce que le pretérito perfecto compuesto (le
passé composé) nous indique que l’événement a lieu le jour même ; il y a donc
un complément temporel implicite. Cf. García Fernández (2000 : 184-192).
6
À moins qu’il ne s’agisse d’accomplissements et d’achèvements uniques,
évidemment.
170 Luis García Fernández
Si l’on compare (23a) à (23b), nous remarquons qu’il est possible qu’il
continue à pleuvoir jusqu’au moment de l’énonciation dans le premier cas,
alors qu’en (23b) cela est impossible. Imaginons des amis qui, lors d’une
excursion, sont en train de prendre la pluie alors qu’ils croyaient qu’il allait
faire beau. Ils demandent au dernier arrivé comment il se fait qu’il a un
parapluie et celui-ci répond par la phrase (23a). Il est alors évident que la
pluie continue à tomber encore au moment de l’énonciation. Donc,
l’événement dénoté par le prédicat subordonné ne doit pas être
nécessairement terminé avant le moment de l’énonciation, ce qui montre que
cela n’est pas une exigence sémantique puisque cette nécessité peut être
annulée.
Il nous faut maintenant déterminer quel rôle joue l’adverbe ya (« déjà »)
dans la différence qui existe entre (23a) et (23b). Cl. Muller (1975) présente
ya (« déjà ») et todavía (« encore »), ainsi que leurs négations respectives,
comme des adverbes de phase. Pour ce qui est de ya, il propose la
configuration sémantique suivante :
introduite par cuando, la situation dénotée par un imparfait doive être conclue
obligatoirement avant le moment de l’énonciation. Il suffit que l’on fasse
référence à un changement qui permette que l’événement principal soit
identifié dans le temps. Ce qui nous intéresse ici, c’est que ce changement n’a
pas à se produire vers la droite, c’est-à-dire que le changement n’a pas à être
la fin de la situation, mais qu’il peut se produire à gauche, c’est-à-dire au
début. En revanche, il est nécessaire de faire référence à un tel changement,
comme c’est le cas lorsqu’on utilise l’adverbe ya. L’implication sémantique –
à savoir que si un événement a lieu, il a dû obligatoirement commencer – ne
suffit pas ; il faut obligatoirement faire référence au début de la situation.
La fin d’un événement en aspect Imperfectif peut être le changement
nécessaire dans les subordonnées de temps, si l’on peut déduire qu’un tel
changement a eu lieu à partir des informations dont on dispose sur le monde
réel, c’est-à-dire si l’événement subordonné a pris fin au moment de
l’énonciation, de sorte que l’événement principal se situe par rapport au
temps où l’événement subordonné avait lieu. C’est ce qui arrive dans des cas
comme He hablado con Juan cuando Ana estaba en el jardín (« J’ai parlé
avec Juan quand Ana était dans le jardin ») lorsque l’on sait qu’Ana ne se
trouve plus dans le jardin. Mais, en outre, il est possible que la fin d’un
événement en aspect Imperfectif fournisse le changement nécessaire dans une
subordonnée introduite par cuando si l’on y fait référence et cela sans qu’il y
ait besoin d’un changement effectif. Nous allons le voir maintenant avec
l’adverbe todavía, (« encore »). Cela nous permettra de comprendre de façon
décisive la nature du changement dans les subordonnées de temps. Muller
(1975) attribue la structure temporelle suivante à todavía :
mettons todavía dans une subordonnée introduite par cuando, nous obtenons
un exemple comme celui-ci :
(24) John murió cuando todavía era americano.
John {mourut / est mort} quand il était encore américain.
5. Conclusion
Références
Emmanuelle LABEAU
Aston University
1
La classification des syntagmes verbaux s’inspire des quatre catégories de
Vendler (1967): states, activities, accomplishments et achievements.
2
On a évoqué le mouvement pendulaire (Labeau 2003 et 2004).
Pas si simple ! La place du PS dans l’interlangue d’apprenants 179
Healey 1983 : 108, Martin 1971 : 11, Pfister 1974 : 401). D’autres (ex. Van
Vliet 1983) prédisent sa disparition en invoquant l’argument que toutes les
fonctions du PS peuvent être remplies par d’autres temps (Schogt 1964 : 16).
Il serait par conséquent superflu d’enseigner le PS en français, langue
étrangère (FLE) (Gougenheim et al. 1964)
La plupart des apprenants anglophones sont conscients de l’existence
d’un historic past tense mais quelle est la place réelle de cette forme
dans l’interlangue d’apprenants avancés au niveau licence? A part Labeau
(2002, 2005a), aucune des études consacrées au développement du temps et
de l’aspect en français langue seconde (Bergström 1995, Bardovi-Harlig &
Bergström 1996, Kihlstedt 1998, Salaberry 1998, Howard 2002) ne
mentionne d’occurrences de PS. La présente étude sera donc de nature
largement exploratoire : ce marqueur morphologique apparaîtra-t-il dans
l’interlangue 3 d’apprenants avancés ? Le cas échéant cette émergence exige-
t-elle un cotexte ou un contexte particulier ?
3
Suggérée par Selinker en 1972, la notion d’interlangue (interlanguage) peut être
définie comme les grammaires intermédiaires que les apprenants construisent au
cours de leur acquisition de la langue cible. La notion implique à la fois une
dimension horizontale ou synchronique référant à l’interlangue que l’apprenant
possède à un moment donné et une dimension verticale ou diachronique lié aux
niveaux développementaux que l’apprenant traverse.
4
Pour une définition du concept d’ « apprenant qualifié », voir Bartning 1997.
5
« Une histoire, ça doit être au passé historique. Ou bien personne ne sait que
c’est une histoire. » (Robbe-Grillet Djinn 1981 : 51).
6
Comme le fait remarquer très justement un des évaluateurs…
7
La disparité numérique entre les groupes s’explique ainsi : les productions des
étudiants bilingues et de première année ont été rassemblées auprès de tous les
étudiants entrants par l’auteur en septembre 2003 ; les autres données ont été
180 Emmanuelle Labeau
La moitié des sujets ont lu le texte en français (et donc au PS) et l’autre
moitié l’a lu en anglais 9. Après 10 minutes de lecture, ils ont enregistré (10
min) en laboratoire de langue leur propre version de l’histoire, avant de
rédiger une version écrite (20 min). Les sujets ont finalement rempli un
questionnaire portant sur leur expérience linguistique qui contenait en outre
une liste de 10 verbes à mettre au PS.
Grâce à ce protocole de recherche, on espérait tester les questions de
recherche suivantes:
(1) Quelle est la fréquence d’emploi du PS dans la production écrite, orale et
métalinguistique d’apprenants qualifiés?
(2) La présence du PS dans l’input fourni entraîne-t-elle l’utilisation de la forme
par les apprenants?
(3) Les impératifs du genre « conte de fées » ont-ils raison de la répugnance à
utiliser le PS à l’oral?
(4) L’utilisation du PS est-elle productive ou formulaire ?
(5) Quel(s) facteur(s) amène(nt) à recourir au PS: des facteurs personnels
(l’enseignement et / ou le séjour à l’étranger et /ou le contexte familial), des
facteurs textuels ou encore stylistiques?
10
Pour les narrations orales, on a adopté les conventions de transcription
présentées dans Kihlstedt (1998). Dans le comptage, on n’a pas pris en compte
les propositions avortées et en cas de répétition d’une forme due à des erreurs de
performance, seule une occurrence a été retenue.
11
Etant donné l’identité phonique des infinitifs (INF) et participes passés (PP) en
–er qui constituent la majorité des verbes français, on a confondu ces deux
catégories dans les comptages oraux.
182 Emmanuelle Labeau
12
A101, A105, A107, A112, A116, A123, A125, A126, A127 en produisent
chacun deux occurrences ; A106 et A132 une et A128, trois.
13
L’enregistrement de A202 en offre 2 exemples et celui de A213 un seul.
14
Ces occurrences apparaissent chez A406 (2), A407 (2), A410 (1) et A412.
15
Une occurrence apparaît dans les enregistrements de A403 et A407.
16
Tous les bilingues emploient au moins une fois (B01, B07) le PS et la
proportion d’utilisation est la plus élevée (47,06%) chez B02. Malgré cette
aisance d’utilisation du PS, B02 semble manquer de vocabulaire
métalinguistique et fournit des PC et des IMP pour les dix verbes à mettre au
PS.
17
Trois sujets ont recours au PS : B02, BO4 et B08, mais dans le cas de ce dernier,
c’est une occurrence isolée. Le PS constitue 15,38% des formes utilisées par
B04 et 60,64% chez B02.
18
Le PS constitue plus de la moitié des tiroirs utilisés (de 51,92% à 81,36%) pour
tous les locuteurs natifs sauf N09 (33,33%) qui offre le plus court des récits.
19
L’emploi du PS est moins généralisé qu’à l’écrit : quatre des locuteurs natifs
(N01, N07, N09 et N11) ne l’utilisent pas et les autres l’utilisent de façon moins
systématique, allant d’une occurrence (1,96%) chez N12 à 64% chez N05.
Pas si simple ! La place du PS dans l’interlangue d’apprenants 183
les données ont été obtenues par des étudiants auprès de collègues volontaires
et en l’absence du chercheur.
Pour ce qui est des PS à l’oral en 2ème, ils sont produits par deux
apprenants A202 (fit, épousa) et A213 (sortit). Dans le cas du second
informant, le cotexte semble indiquer que sortit est un présent d’intention :
(5) il est minuit moins quart et elle souvient que la marraine dit que devient-devient
euh qu’elle a besoin revient avant minuit donc elle sortit du bal et elle quitte le
prince retourne a sa maison
20
Nous avons recontacté par courrier électronique les huit sujets bilingues en
octobre 2004, leur demandant de remplir un questionnaire plus détaillé. Seuls
B01, B02 et B07 ont répondu ; cet échantillon très limité semble confirmer notre
hypothèse de l’influence scolaire. B01 et B07, dont la maîtrise du PS est très
limitée, n’ont effectué qu’une partie de leurs études primaires en français ; B02,
qui utilisait le PS avec beaucoup de succès, a suivi un cursus scolaire en français
entre les âges de 4 et 18 ans.
184 Emmanuelle Labeau
21
Vécurent.
22
Chanta, donna.
23
Apparut, cessèrent, commença, demanda (2), donna, obéit, ordonna, put, se
cacha, se remaria, se trouva, transforma (2), vint.
24
Accourut, aida, alla (3), arrêtèrent, arriva, attrista, cessèrent (2),
commencèrent (2), courut, demanda (2), disparut, donna, durent, entendit,
entra, eurent (2), fut, furent (2), garda, invita, mit, obéit (2), ordonna, ouvrit,
partirent, passa, perdit, prit, ramena (2), rapporta, reconnurent, regarda,
s’enfuit (2), se marièrent, se mit (2), se transformèrent, se trouva, se tut, tapa,
transforma (3), vida, vit (2), *vivrèrent
25
fut, chanta, sentit, put, finit, donna, rendit + *dît et *sût.
26
Appela (2), décida, dit, se mit, se mirent, trouva.
27
Chanta, sentit, dit, finit, donna, rendit + *fût, *fît, *sût.
28
*Apparu, disparu, épousa, fut, furent, invita (2), *parti, proposa, *recevèrent,
salua, se passa, sonna (2), vit.
29
Arriva (3), dit, fut, fit, partit, *réponda, répondit.
30
Fut, chanta, sentit, put, fit, dit, finit, donna, rendit et *sû.
31
Demanda, demandèrent, donna, pardonna, quitta.
32
Chanta, dit, sut, finit, donna + fut pour faire et *senta.
33
Changea (2), *courra, dansa, *devenna, *disa, donna, passa (2), *perda,
*prenna (2), prépara, ramena.
34
Chanta, sut, donna + *senti et *pu + *faissa, *disa, *finissa, *renda.
35
Eurent, vécurent.
36
Interdit
Pas si simple ! La place du PS dans l’interlangue d’apprenants 185
Etre chanter sentir pouvoir faire dire savoir finir donner rendre
PS 66,67 77,78 66,67 66,67 55,56 77,78 55,56 55,56 77,78 66,67
PS’ 11,11
PS’’ 11,11 11,11 11,11 22,22 22,22
PS’’’ 11,11
PC 22,22 22,22 22,22 22,22 22,22 22,22 22,22 22,22 22,22 22,22
Pres 11,11
37
Nous ne disposons de questionnaires pour N5, N7, N9 et N11. Le présent
tableau ne fournit les réponses que de 9 des 13 informateurs.
186 Emmanuelle Labeau
Etre chanter sentir pouvoir faire dire savoir finir donner rendre
PS 20 60 30 20 10 30 20 40 60 30
PS’ 20
PS’’ 10 10 20 10 10 30
PS’’’ 20 10 20 20 10 20 30
PC 10 10 10 20 10 10 20 20 10 10
IMP 30 20 20 10 20 20 10 10 20 10
SUBJ 10
PP 10 10 10
COND 10
? 10 10 10 10 10 10 10
ø 10 10
Etre chanter sentir pouvoir faire dire savoir finir donner rendre
PS 30,77 7,69 7,69 7,69 15,38
PS’ 7,69 15,38 7,69
PS’’ 7,69 7,69 15,38 7,69 7,69 15,38
PS’’’ 7,69 15,38
PC 23,08 30,77 15,38 15,38 23,08 15,38 15,38 15,38 15,38 15,38
ø 23,08 53,85 69,23 69,23 61,54 69,23 69,23 69,23 69,23 69,23
? 7,69
Tableau 6 : Distribution des formes produites comme PS par les 4ème année
38
Des réponses multiples ayant été fournies par certains informateurs, nous
disposons de 10 formes au lieu de 8.
Pas si simple ! La place du PS dans l’interlangue d’apprenants 187
Etre chanter sentir pouvoir faire dire savoir finir donner rendre
PS 46,15 53,85 15,38 15,38 15,38 7,69 15,38 15,38 53,85 7,69
PS’ 7,69 15,38
PS’’ 7,69 7,69 7,69 7,69
PS’’’ 7,69 7,69 7,69 15,38 7,69 7,69
Pres 7,69 7,69 7,69 7,69
ø 46,15 30,77 53,85 61,54 53,85 69,23 69,23 69,23 38,46 76,92
PP 7,69
? 7,69 7,69 7,69 7,69 7,69
Tableau 7 : Distribution des formes produites comme PS par les 2ème année
Les résultats de première année révèlent une confusion à la fois
terminologique et morphologique. Les sujets semblent incertains de ce qu’est
le PS et produisent des formes inventées.
Etre chanter sentir pouvoir faire dire savoir finir donner rendre
PS 5,88 5,88 11,76 5,88 17,65 5,88 17,65 2,94
PS’ 8,82 2,94 17,65 2,94
PS’’ 2,94 8,82 2,94 5,88 2,94
PS’’’ 8,82 2,94 2,94 5,88
PC 17,65 17,65 17,65 14,71 8 17,65 14,71 17,65 17,65 17,65
IMP 14,71 8,82 8,82 2,94 11,76 8,82 8,82 8,82 8,82 8,82
COND 2,94
PRES 5,88 2,94 5,88 5,88 5,88
PQP 2,94 2,94 2,94 2,94 2,94 2,94 2,94 2,94
SUBJ 2,94 2,94
ø 38,24 44,12 44,12 50 41,18 44,12 50 47,06 50 50
PP 5,88 8,82 2,94 8,82 8,82
? 5,88 2,94 5,88 5,88 5,88 2,94
Tableau 8 : Distribution des formes produites comme PS par les 1ère année
Les données quantitatives étudiées dans cette section soulignent
plusieurs caractéristiques du corpus. Ainsi, les apprenants ne recourent
qu’occasionnellement au PS dans leur production spontanée écrite et orale.
Le PS apparaît plus fréquemment dans la production métalinguistique et la
proportion de formations correctes (PS) et d’essais (PS’, PS’’, PS’’’)
augmente parallèlement au niveau d’avancement linguistique.
188 Emmanuelle Labeau
39
Appela (2) (B04), apparut (B03, B05), eurent (B02, B09), cessèrent (B03),
changea (2), (B07), commença (B03), courra (B07), dansa (B07), décida (B04),
demanda (B02, B03 [2], B06), demandèrent (B06), devenna (B07), dit (B04),
donna (B03, B06, B07), épousa (B05), fut (B05), furent (B05), invita (B05),
abéit (B03), ordonna(B03), pardonna (B06), partit (B05), passèrent (2) (B07),
perda (B07), put (B03), prenna (2) (B07), prépara (B07), proposa (B05), quitta
(B06), ramena (B07), recevèrent (B05), salua (B05), se cacha (B03), se mit
(B04), se mirent (B04), se passa (B05), se remaria (B03), se trouva (B03),
sonna (2) (B05), transforma (2)(B03), trouva (B04), vint (B03), vida (B03), vit
(B05), vécurent (B01, B02, B09) à l’écrit.
190 Emmanuelle Labeau
« chunk learning » étant donné que des formes non natives régulières sont
produites, particulièrement par B07 qui produit courra, devenna et perda.
Dans cette section, nous allons tenter d’identifier des facteurs propices à
l’utilisation du PS. Nous nous pencherons d’abord sur des indices contextuels
comme le genre narratif avant d’aborder des éléments cotextuels tels que la
structure narrative du récit.
40
Les premiers résultats de la recherche de Janice Carruthers sur le « néo-conte »
indiquent que cette contrainte n’y est pas essentielle.
41
La tendance naturelle est de raconter au PRES (Salaberry 2000) mais lors de la
récolte du corpus basé sur des extraits de film, les locuteurs natifs avaient reçu
l’instruction de raconter au passé.
Pas si simple ! La place du PS dans l’interlangue d’apprenants 191
Film Conte
Écrit Oral Écrit Oral
PRES 8 33.21 0.38 19.4
PS 10.5 0 61.73 25.26
PA 0.19 0.26
PC 59.5 47.71 0.38 6.48
IMP 14 11.93 27.77 29.79
PQP 6.5 5.05 3.19 3.37
FPP 0.26
FS 0 0.18 0 0.13
FP 0 0 0 0.91
COND 0 0.92 3.19 2.46
CP 0.18 0.75 0.13
SUBJ 1 0.36 2.06 1.17
SUBJ P 0.5 0.38
IMPER 0.39
Film Conte
Écrit Oral Écrit Oral
1ère 2ème 4ème 1ère 2ème 4ème 1ère 2ème 4ème 1ère 2ème 4ème
année année année année année année année année année année année année
PRES 5,35 6,52 3,42 26,19 9,33 23,52 18,12 31,63 10,82 31,89 28,55 10,99
PS 0,16 1,5 0,58 1,91 1,22 0,53 0,23
PC 58,49 68,56 66,12 56,34 63,56 53,83 33,42 31,63 36,3 32,65 34,04 41,68
PSC 0,07
IMP 31,92 20,4 25,68 15,25 23,59 20,33 32,5 28,6 43,98 28,26 29,26 37,83
FPP 0,23 0,35 0,07 0,68
PQP 1,73 2,55 1,64 0,35 2,19 0,56 2,08 0,93 10,82 0,89 1,42 3,49
FS 0,28 0,14 0,16 2,83 0,47 0,35 0,14 0,35 0,34
FP 0,28 0,27 0,23 0,73 0,4 0,42 1,4 0,87 0,34 1,06 1,25
COND 0,63 0,85 0,14 0,12 0,4 2,83 2,09 0,87 0,19 1,77 1,25
CP 0,15 0,07 0,18 0,23
SUBJ 0,31 0,27 0,12 0,29 0,48 0,83 0,23 1,57 0,75 0,35 1,59
SUBJP 0,27
SUBJ 0,17 0,11
IMP
42
Nous nous limitons ici aux narrations écrites qui comprennent une plus grande
fréquence de PS. Des phénomènes comparables sont aussi perceptibles dans les
narrations orales.
194 Emmanuelle Labeau
(7) Cendrillon était très triste parce qu’elle ne pouvait pas y aller. Cendrillon
décidait de demander sa marraine si elle pouvait aller au bal, la marraine disait
qu’il faut que Cendrillon cherche une légume dans le jardin. Cendrillon trouvait
la légume, la marraine utilisait son pouvoir et dans un flashe Cendrillon portait
des beaux vêtements et il y avait des chevaux, qui étaient prêts de la prendre au
bal. Avant que Cendrillon partit la marraine la disait qu’elle devait rentrer chez
elle avant minuit. (A412)
(8) Pendant la soirée du ball, Cinderellion était faire la menage de la maison quand
une femme gentile arrivait à sa maison. Cette femme était magicale et elle
aidait Cinderellion à faire du ball. Elle changait des mices aux chevaux, et
donnait Cinderellion un robe magnifique. Cinderellion arrivait du ball mais
elle avait faire un promis de rentrer chez soi avant minuit. (A114)
(9) Les temps à arrivé pour la belle-mère et les soeurs d’allent à le bal et Cendrillon
était triste quand une marriere arrivé. Cendrillon dit qu’elle sœurs sont horrible
mais la femme aidé Cendrillon de prepare pour le bal. Elle change souris entre
les chevaux et les rats entre trois hommes et une citroe entre un carrage. Elle
aussi donne Cendrillon une belle robe et dit qu’elle doit retourné à minuit parce
que les chevaux retourné à souris et les hommes à rats. (A126)
(10) Cendrillon reste a la maison. Dans un coup, sa *marriane apparaître et elle dit
Cendrillon qu’elle doit aller au bal. Mais Cendrillon dit a sa marraine qu’elle
n’est pas des vetements pour aller au bal.. la marraine dit Cendrillon d’amener
6 souris, et avec sa baguette elle transformer les souris à 6 chevaux. Elle
demande Cendrillon d’amener aussi 3 rats et 6 lezards. La *marrine
transformer les rats et les lezards au 3 hommes et 6 laquais. Enfin elle change
les vetements de Cendrillon et elle devient une princesse. La *marriane dit
Cendrillon de venir avant minuit car tout vas changer comme avant. (A213)
5. Conclusion
Références