Gilles" Jean Domat Et La Codification" Thémis 2009
Gilles" Jean Domat Et La Codification" Thémis 2009
Gilles" Jean Domat Et La Codification" Thémis 2009
Résumé Abstract
L’œuvre majeure de Jean Domat, The major work of Jean Domat,
Les Lois civiles dans leur ordre natu- The civil Laws in their natural or-
rel publiées de 1689 à 1694, a mar- der, published from 1689 till 1694,
qué profondément la doctrine civiliste. marked profoundly the doctrine of
Partisan d’un ordre juridique carté- the ancient French law. It was an
sien, Domat édifie une œuvre de droit attempt to establish a system of
privé fortement marquée par une em- French law on the basis of moral
preinte jusnaturaliste et romaniste. principles. Supporter of a Cartesian
Ayant organisé et condensé les prin- juridical order, Domat builds a work
cipes du droit civil de son temps, of private law hard marked by a Jus-
cette œuvre, bien connue des codifi- naturaliste and Romanist footprint.
cateurs du XIXe siècle, apporte une Domat's grand plan was to set out a
grande part de la structure du Code scheme of Christian law for France
Napoléon. Par sa volonté d’exposer in a rationalist view. He performed
le droit, de le rationaliser, à la suite the bold and extraordinary feat of
de Grotius, Domat apporte un outil recasting the entire mass of existing
intellectuel indispensable aux codi- Roman law and restating it concisely
fications, extirpant les règles du droit in what he believed to be a rational
* Cet article est le prolongement d’une conférence donnée en octobre 2007 dans
le cycle de conférence de la section de droit privé de la Faculté de droit de l’Uni-
versité de Montréal, à l’aimable invitation de M. le professeur Didier Lluelles. Tous
mes remerciements vont à M. Lluelles ainsi qu’à M. Jean Leclair et M. Michel
Morin pour avoir éclairé cette réflexion de leurs judicieuses remarques.
** Docteur en droit, professeur de droit privé à la Faculté de droit de l’Université de
Sherbrooke.
10-Revue.book Page 2 Vendredi, 13. février 2009 2:07 14
2 (2009) 43 R.J.T. 1
Plan de l’article
Introduction..........................................................................5
Conclusion ...........................................................................48
10-Revue.book Page 4 Vendredi, 13. février 2009 2:07 14
10-Revue.book Page 5 Vendredi, 13. février 2009 2:07 14
1
Art. « Lois civiles », Vers à la louange de M. Domat, dans Dictionnaire universel de
Français et de latin vulgairement appelé Dictionnaire de Trévoux, Paris, Libraires
associés, 1771, t. V, p. 109.
2
André-Jean ARNAUD, Les origines doctrinales du Code civil français, Paris, L.G.D.J.,
1965, notamment p. 142-147.
3
Rodolfo BATIZA, « Origins of Modern Codification of the Civil Law: The French
Experience », 56-2 Tulane L. Rev. 477 (1982) ; Domat, Pothier and the Code Napo-
léon: Some Observations Concerning the Actual Sources of the French Civil Code,
Mexico, 1973.
4
Pour un exemple moderne de cet exercice, voir : Sylvie PARENT, La doctrine et l’in-
terprétation du Code civil, Montréal, Éditions Thémis, 1997.
5
Sur la vie de Jean Domat, voir notre thèse : David GILLES, La pensée juridique
de J. Domat. Du Grand siècle au Code civil, thèse de doctorat, Université d’Aix-
Marseille III, 2004, notamment p. 11-22.
10-Revue.book Page 6 Vendredi, 13. février 2009 2:07 14
6 (2009) 43 R.J.T. 1
6
Cf. D. GILLES, id., p. 113 et suiv.
7
Sur son activité devant cette juridiction, et notamment son rôle durant les Grands
Jours de Clermont, voir : David GILLES, « Jean Domat, avocat du roi et juriscon-
sulte », dans Florent GARNIER et Virginie LEMONNIER-LESAGE (dir.), Les juristes en
Auvergne du Moyen-Âge au XIXe siècle, Faculté de droit et de science politique
de Clermont-Ferrand, à paraître en 2009.
8
Éric GOJOSSO, « La Genèse du Code civil », (2006) Slovenian L. Rev. 143-153 ; Éric
GOJOSSO et David GILLES, « Sur Pothier et le Code civil », dans Études d’histoire du
droit privé en souvenir de Maryse Carlin, contributions réunies par Olivier VERNIER,
Michel BOTTIN et Marc ORTOLANI, Paris, Éditions La mémoire du droit, 2008, p. 403-
417.
9
Cf. Victor COUSIN, Mémoire pour servir à l’histoire de la vie de M. Domat avocat du
roi, trouvé parmi les papiers de Marguerite Périer, 1843.
10
Le jugement de Sainte-Beuve est contrasté et il semble avoir pris la mesure de
l’homme contrairement à de nombreux auteurs du XIXe siècle, trop empreint de
déférence :
Si j’avais écrit il y a quelques années, j’y aurais donné aussi une place à Domat,
un des amis, un de ceux qu’on pourrait qualifier d’associés libres de Port-Royal,
et qui mourut deux ans après Arnauld (1696). Mais cela nous engagerait dans
des lectures qui sont peu de notre ressort, et Domat d’ailleurs a été le sujet de
publications et de discussions assez récentes. Né à Clermont en Auvergne (en
1625), il avait noué liaison intime avec Port-Royal par les Pascal et les Périer, et
il avait été initié à toutes les assemblées et consultations sur le formulaire. Il se
trouvait à Paris durant la dernière maladie de Pascal, et il reçut ses derniers sou-
pirs. Son amitié avec la famille Périer s’altéra gravement en 1676, par suite de
rapports faux ou indiscrets : l’évêque d’Aleth, Pavillon, contribua à une réconci-
liation entière et chrétienne. Domat était vif, et s’était cru, peut-être à tort, offensé.
C’est à la plume de Mademoiselle Périer qu’on doit les plus beaux traits de son
éloge. Longtemps avocat du roi à Clermont, magistrat gallican plein de vigilance
et de zèle, intègre, désintéressé, homme considérable dans sa province où il était
l’arbitre de toutes les grandes affaires, très distingué et apprécié par les chefs
de la magistrature de Paris qui y avaient tenu les Grands-jours, il vint dans la
capitale vers 1681, s’y établit sur l’invitation du roi, et s’appliqua uniquement,
dès lors, à son grand ouvrage qu’il n’avait entrepris d’abord que pour son usage
10-Revue.book Page 7 Vendredi, 13. février 2009 2:07 14
particulier et celui de ses enfants, mais qu’on jugea devoir être d’une haute uti-
lité publique, les Lois civiles dans leur ordre naturel. Boileau l’appelait un homme
admirable et le restaurateur de la raison dans la jurisprudence. Arnauld, de
même : « je lis présentement le livre de M. Domat, écrivait-il à M. Du Vaucel (25 no-
vembre 1689) ; il y a à la tête un traité des lois que j’ai presque achevé : j’en suis
extrêmement satisfait, car il y a beaucoup de piété et beaucoup de lumière. » Du
Guet consulté à plusieurs reprises sur l’ouvrage, probablement par le canal de
M. Daguesseau le père, présentait quelques critiques secondaires au milieu de
beaucoup d’éloges. L’auteur lui-même, Domat, homme vif, original, d’humeur
prompte et brusque, ne pouvait s’empêcher, dit-on, d’applaudir à son ouvrage,
et de marquer l’estime qu’il en faisait. Un jour qu’il s’était échappé de la sorte
devant un ami, il ajouta tout de suite comme pour réparer : « je suis surpris que
Dieu se soit servi d’un petit homme, d’un homme de néant comme moi, pour faire
un si bel ouvrage, pendant qu’il y a à Paris des personnes d’un si grand mérite ».
On a publié des pensées de Domat tirées des papiers de Mademoiselle Périer.
Elles sont assez singulières, rarement belles, plutôt hardies ou bizarres. On cite
de lui des paroles énergiques et qui éclairent sur sa nature morale. Il était infa-
tigable au travail, ennemi de toute distraction et de tout relâche [...]. Il disait, en
définissant sa disposition habituelle dans le commerce de la vie : « je ne serais ni
de l’humeur de Démocrite, ni de celle d’Héraclite ; je prendrais un tiers parti pour
mon naturel, d’être tous les jours en colère contre tout le monde ». Malade de la
pierre, il disait, pour se consoler aux approches du terme : « ce n’est pas une petite
consolation pour quitter ce monde, que de sortir de la foule du grand nombre des
sots et des méchants dont on y est environné. Son style écrit n’a pas et ne devait
pas avoir, eu égard aux matières qu’il traitait, la vivacité de sa parole ».
Charles-Augustin SAINTE-BEUVE, Port-Royal, t. 5, Paris, Hachette, 1860, p. 358-
360.
11
L’édition de 1756 des différentes œuvres de Domat, comprenant les additions
de Héricourt sur le Droit public, ainsi que les notes de Berroyer et Chevalier sur
les Lois civiles servira de référence à cette étude. Cette édition présente l’avan-
tage de bien distinguer les notes de Berroyer et Chevalier, alors que d’autres édi-
tions les confondent largement. Au Canada, c’est essentiellement l’édition de
Joseph Rémy qui a servi de référence, notamment dans les différentes juridic-
tions ; toutes les citations, sauf mentions expresses, sont de l’édition de 1756 chez
Savoye ; Cf. Jean DOMAT, Les Lois civiles dans leur ordre naturel, nouvelle édi-
tion, revue corrigée et augmentée des troisième et quatrième livres du Droit public
par M. de HÉRICOURT, des notes de M. de BOUCHEVRET sur le Legum Delectus, de
celles de MM. BERROYER et CHEVALIER, anciens avocats au Parlement, chez Savoye,
1756. Toutes les citations, d’un point de vue orthographique, ont été moderni-
sées lorsque de telles modifications n’altéraient pas le sens, afin d’en faciliter la
compréhension.
10-Revue.book Page 8 Vendredi, 13. février 2009 2:07 14
8 (2009) 43 R.J.T. 1
12
La récente création des chaires de droit français par l’Édit de Saint-Germain
d’avril 1679 vient concurrencer ce monopole à la fin du XVIIe siècle. Par cette
réforme, le pouvoir royal réorganise les facultés de droit en faisant primer les
intérêts immédiats de l’État. Cet édit a pour but de former les cadres de l’État en
associant, par l’article 14, à l’enseignement du droit canonique et du droit romain,
un enseignement du droit français. Voir : Christian CHÊNE, L’enseignement du
Droit français en pays de droit écrit (1679-1793), Genève, Librairie Droz, 1982,
p. 2 et 3.
10-Revue.book Page 9 Vendredi, 13. février 2009 2:07 14
13
Comme Grotius ou Hobbes, qui correspondait avec Galilée, Descartes et Harvey,
ou Pufendorf qui entretenait une relation épistolaire soutenue avec Leibnitz,
Domat, par son amitié avec Pascal, connut également un correspondant et un
débateur initié aux sciences physiques et mathématiques. Ces liens entre juris-
consultes et scientifiques expliquent pour une bonne part la tournure que prend
la science du droit au courant du XVIIe siècle. Pour une réflexion autour des
liens entre ces deux domaines scientifiques, voir : Alfred DUFOUR, « La notion de
loi dans l’École du Droit naturel moderne. Étude sur les sens du mot loi chez
Grotius, Hobbes et Pufendorf », (1980) 25 Archives de Philosophie du Droit 211,
212-214.
14
Voir : Jean-Louis GARDIES, Essai sur les fondements a priori de la rationalité morale
et juridique, préface de Michel Villey et Georges Kalinowski, Paris, L.G.D.J., 1972,
p. 142.
15
Gottfried Wilhelm LEIBNIZ, Textes inédits d’après les manuscrits de la Bibliothèque
provinciale de Hanovre, Gaston GRUA (dir.), Paris, 1948, t. II, p. 647-652. Néan-
moins, le juriste allemand estime qu’en définitive, le rejet de la structure romaine
faite par Domat n’est pas fondamental. Par cette lecture réductrice de l’œuvre,
privilégiant la structure aux finalités mêmes de celle-ci, Leibniz anticipe ainsi, a
contrario, la prise de position de nombre de lecteurs des Lois civiles et des pères
du Code qui, tous, écarteront le plan des Lois civiles, tout en faisant leur profit de
sa réflexion : « Néanmoins on n’y voit aucun avantage qui l’ait obligé à se dépar-
tir des Institutes de Justinien, qui semble donner plus de Lumières, pour ne rien
dire de celles qui ont été suivies par d’autres habiles jurisconsultes ».
10-Revue.book Page 10 Vendredi, 13. février 2009 2:07 14
10 (2009) 43 R.J.T. 1
16
Relevons néanmoins que certains de ces auteurs, comme Grotius ou Locke,
vont nourrir la pensée juridique privatiste, notamment par leurs réflexions autour
du droit de propriété – les droits naturels inclusifs et exclusifs chers au penseur
britannique – ou autour de la classification des obligations et de la notion de
droit subjectif, pour le penseur néerlandais. Cf. : James TULLY, Locke, droit natu-
rel et propriété, coll. « Léviathan », Paris, PUF, 1992, p. 102-148.
17
Il faut souligner toutefois qu’en matière de droit public, le droit naturel est bien
moins à l’honneur sous la plume de Domat, qui use alors davantage des ordon-
nances royales et de la pratique monarchique de son temps comme d’un modèle
que de lois naturelles difficiles à caractériser. Sur ces questions, il s’écarte lar-
gement de l’École du droit naturel moderne et du contractualisme, faisant figure
de partisan de la monarchie absolue seulement limitée par le poids des corps
intermédiaires et par la loi divine. Sur cette question, voir : David GILLES, « Jean
Domat et les fondements du droit public », (2006) 25-26 Revue d’Histoire des
Facultés de droit et de la science juridique 93-119.
18
Un rapprochement particulièrement intéressant peut être mené avec les tra-
vaux de Lessius. Celui-ci a également servi largement de source à Grotius dont
plusieurs innovations en matière de droit privé ont été faites en ayant les tra-
vaux de Lessius sous les yeux. Cela est notamment vrai en matière de vice de
consentement et d’erreur, où Grotius renvoie aux mêmes auteurs que Lessius,
10-Revue.book Page 11 Vendredi, 13. février 2009 2:07 14
dont il semble avoir copié les références ; voir : Leonardus LESSIUS, De iustitia et
iure, ceterisque virtutibus cardinalis libri quatuor, Paris, 1628, et les travaux de
James GORDLEY, The Philosophical Origins of Modern Contract Doctrine, Oxford,
Clarendon Press, 1991, p. 69-89 ; Robert FEENSTRA, « L’influence de la scolastique
espagnole sur Grotius en droit privé : quelques exemples dans les questions de
fond et de forme concernant notamment la doctrine de l’erreur et de l’enrichis-
sement sans cause », La Seconda Scolastica nella Formazione del diritto privato
moderno, Milano, Atti dell Incontro di studio di Firenze, 1973, p. 382-386. La
difficulté de faire « la part du feu » entre les différents ouvrages que Domat a con-
sultés en l’absence quasi totale de référence explicite de sa part – cela même sur
les manuscrits de l’œuvre – transforme la recherche des influences en une
quête indécise, en un risque d’interprétation de la pensée de Domat au vu de
sources supposées. Il faut donc se contenter de rapprochements, lorsque cela
est possible, sans bien souvent trancher pour une influence affirmée. Toutefois,
il est impossible d’écarter la place de la lecture de Grotius et de Hobbes – œuvres
étudiées par son ami Pascal – dans la genèse de la réflexion domatienne.
19
Il le fait dans une optique jusnaturaliste. Comme le remarque à juste titre Jean-
Louis Halpérin, parmi les grands auteurs de la doctrine de la fin de l’ancien
droit, « Domat et Pothier sont toujours cités comme les plus proches des jus-
naturalistes, les plus favorables à l’avènement d’un droit conforme à la raison » :
Jean-Louis HALPÉRIN, L’impossible Code civil, Paris, PUF, 1992, p. 67 et 68.
20
Sur cette question, voir, pour le Code de 1804 : Henri MAZEAUD, « Essai de clas-
sification des obligations », (1936) 35 RTD civ. 1, 10 et suiv. ; D. GILLES, préc.,
note 5, p. 224 et suiv. ; pour les droits civils français et québécois, voir l’article
de Benoît MOORE, « La classification des sources des obligations : histoire d’une
valse hésitation », (2002) 36 R.J.T. 275.
10-Revue.book Page 12 Vendredi, 13. février 2009 2:07 14
12 (2009) 43 R.J.T. 1
21
Des auteurs comme Le Douaren, mais surtout François Connan et Hugues
Doneau, firent les beaux jours de cette distinction dans leurs Commentaires du
droit civil, en se réclamant parfois directement de Gaius ; voir : Jean-Louis THIREAU,
« Hugues Doneau et les fondements de la codification moderne », (1997) 26 Droits
81, 93 et 94.
10-Revue.book Page 13 Vendredi, 13. février 2009 2:07 14
civil22. Proche d’une certaine doxa juris sur le fond (B) – même si
Domat ne craint pas d’innover parfois –, ses Lois civiles détonnent
de prime abord par la structure novatrice choisie par le jurisconsulte
auvergnat (A), clairement démarquée de la doctrine de son époque
et du droit romain.
22
Il en est ainsi des travaux de François Hélo, avocat au Parlement. Il rédige un
traité intitulé La jurisprudence françoise conférée avec le droit romain sur les ins-
tituts de l’empereur Justinien qui reprend fidèlement la distinction tripartite de
Gaius. L’auteur justifie ce choix par la clarté d’exposition : « J’ai donc en même
temps exposé le droit civil et le nôtre en forme de paraphrase sur les instituts de
Justinien, sans apporter une longueur ennuyeuse et sans affecter aussi une
brièveté obscure ; et afin de ne confondre rien, faisant voir leur différence et leur
rapport, j’ay expliquer l’un et l’autre chacun dans son titre séparé » : François
HÉLO, La jurisprudence françoise conférée avec le droit romain sur les instituts de
l’empereur Justinien ou les commentaires du droit civil et françois sont exposés
chacun dans son titre séparé, Paris, E. Loyson, 1663.
23
Sur cette question, voir notamment : Jacques KRYNEN, « Le droit romain, droit
commun de la France », (2003) 38 Droits 21, ainsi que Jacques KRYNEN (dir.), Droit
romain, jus civile et droit français, Toulouse, Presses de l’Université des Sciences
Sociales, 1999 et David DEROUSSIN, Histoire du Droit des obligations, Paris, Eco-
nomica, corpus Histoire du droit, 2007, p. 89 et suiv.
10-Revue.book Page 14 Vendredi, 13. février 2009 2:07 14
14 (2009) 43 R.J.T. 1
Dans le livre préliminaire des Lois civiles, qui doit établir les
grands principes régissant ses Lois civiles, il choisit néanmoins de
discriminer entre les règles du droit en général (t. I), les personnes
(t. II) et les choses (t. III), se rapprochant de la perspective de Gaius.
Pour lui toutefois, il semble évident que la seule distinction qui per-
mette l’établissement d’une pyramide juridique relativement homo-
gène est celle – à l’intérieur des obligations – entre les conventions
24
J. DOMAT, Le Traité des lois, préc., note 11, c. II, p. 4.
25
Il fait la distinction entre engagements familiaux et engagements hors du cercle
familial :
La première est de ceux qui se forment par les liaisons naturelles du mariage
entre le mari et la femme, et de la naissance entre les parents et les enfants ; et
cette espèce comprend aussi les engagements des parentés et des alliances, qui
sont la suite de la naissance et du mariage. La seconde espèce renferme toutes
les autres sortes d’engagements qui approchent toutes sortes de personnes les
unes des autres [...]
Id., 3, p. 4.
26
Id., 1, p. 4.
27
« C’est dans ce dessein qu’il n’a pas créé tous les hommes comme le premier,
mais qu’il a voulu les faire naître de l’union qu’il a formée entre les deux sexes
dans le mariage, et les mettre au monde dans un état de mille besoins, où le
secours de ces deux sexes leur est nécessaire pendant un long temps » ; id.,
c. III, 1, p. 4.
10-Revue.book Page 15 Vendredi, 13. février 2009 2:07 14
28
J. DOMAT, Les Lois civiles, préc., note 11, L. I, t. I, s. I, 1, p. 20.
29
Id., 2, p. 20.
30
Antoine DESPEISSES, Œuvres de M. Antoine Despeisses, sous la direction de Guy
ROUSSEAUD DE LACOMBE, Toulouse, J. Dupleix, 1778, préface, non paginée. Despeisses
consacre une première partie aux contrats, une deuxième aux accidents de ceux-
ci, une troisième à leurs exécutions, une quatrième à leur terme, une cinquième
aux successions, une sixième à la pratique civile et, enfin, une dernière partie à
la pratique criminelle. Mais ce plan ne résulte nullement d’une volonté d’unifier
ou de systématiser le droit. Dans l’organisation même des obligations, les deux
auteurs, puisant pourtant aux mêmes sources, orientent leur discours dans une
optique différente. Despeisses consacre seize titres aux contrats en déclinant
depuis celui d’achat, de louage, de société, de mandat, de prêt, du commodat, du
précaire, du gage, des gageures, des contrats innommés, de l’échange, du mariage,
des donations, des dots et, enfin, des tuteurs et curateurs.
10-Revue.book Page 16 Vendredi, 13. février 2009 2:07 14
16 (2009) 43 R.J.T. 1
31
Le livre III traite des suites des conventions, soit qu’elles « ajoutent aux engage-
ments », soit qu’elles les « affermissent ». Domat aborde alors hypothèques, cau-
tions, dommages et intérêts, possessions et prescriptions, mais aussi un titre VI
qui décline les règles des preuves, des présomptions et du serment. Le livre IV
envisage, encore une fois logiquement, des suites qui anéantissent ou diminuent
les engagements. On aborde alors la question de l’extinction des obligations par
le paiement, par les novations, les délégations, les rescisions ou les restitutions.
C’est, il faut le noter, le développement le plus court de cette première partie.
32
De même, à l’intérieur même de certains titres, certains liens sont discutables.
Le titre XVI traite ainsi «des personnes qui exercent quelques commerces publics,
10-Revue.book Page 17 Vendredi, 13. février 2009 2:07 14
et de leur commis, et autres préposés » et des lettres de change. Le lien entre les
deux ensembles est « surprenant » (cf. J. DOMAT, Les Lois civiles, préc., note 11,
L. I, t. XVI, préambule, p. 133). On peut souligner également que, dans le livre
second, si le lien entre le titre VIII qui vise la responsabilité quasi délictuelle et
le titre IX « des engagements qui se forment par des cas fortuits » est visible, celui
avec le titre X « de ce qui se fait en fraude des créanciers » l’est en revanche beau-
coup moins.
33
L’esprit de ce titre est, selon le jurisconsulte, qu’il repose sur les conventions
« où l’on n’a pas le choix des personnes, ni la liberté de s’abstenir de l’engage-
ment, et où la nécessité oblige d’avoir affaire à certaines personnes qui exercent
des commerces publics ». Le lien avec les lettres de change semble ténu. Le juris-
consulte établit alors la présence des règles touchant aux lettres de change sur
l’idée que l’utilité et la commodité publique qui légitiment les règles régissant les
voituriers et les hôteliers fondent également l’usage des lettres de change, puisque
la sûreté des engagements tels que ceux afférents à la banque ou au négoce « in-
téresse le public ».
Il y a encore des commerces d’autres natures que l’utilité et la commodité publi-
que rendent nécessaires, et qui ont ce rapport à ceux dont on vient de parler que
ceux qui exercent ces commerces contractent et par eux-mêmes et par leurs com-
mis des engagements dont la sûreté regarde le public ; comme sont les commerces
de banque et de change, et autres qui sont exercés par des banquiers et autres
négociants. Ce qui oblige à placer aussi dans ce titre quelques règles qui regardent
en général toutes ces sortes de commerces, et les engagements qui leur sont pro-
pres ; et parce que l’un de ces commerces, qui est celui des lettres de change, fait
une espèce de convention distinguée de toutes les autres, on en expliquera la
nature et les principes essentiels et de ces règles, qui soient tout ensemble et du
droit romain et de notre usage, sans entrer dans ce qu’il y a de règle sur cette
matière par les ordonnances.
J. DOMAT, Les Lois civiles, préc., note 11, L. I, t. XVI, préambule, p. 133.
10-Revue.book Page 18 Vendredi, 13. février 2009 2:07 14
18 (2009) 43 R.J.T. 1
34
Il justifie tout d’abord sa distinction entre engagements et successions de manière
concise et efficace. Elle repose, selon lui, sur la nature des liens qu’il décline.
L’engagement est essentiel à la nature des liens de la première partie, alors que
le temps est à la source de ceux de la seconde partie : « l’engagement est essen-
tiel à leur nature, et toutes ces matières sont elles-mêmes des engagements et
des liens dont Dieu s’est servi pour maintenir la société des hommes dans tous
les lieux, comme la nature des successions est d’en maintenir la durée dans
tous les temps » : J. DOMAT, Les Lois civiles, préc., note 11, Seconde partie, pré-
face, I, p. 305). Pour lui « l’ordre des successions est fondé sur la nécessité de
continuer et de transmettre l’état de la société, de la génération qui passe à celle
qui suit » (Le Traité des lois, préc., note 11, c. VII, 1, p. 9) et consiste donc dans
un mouvement temporel permettant la perpétuation insensible des liens entre
les hommes et, par là même, de la société.
35
Voir : Denis LE BRUN, Traité des successions, 1re éd., Paris, Jean Guignard, 1692 ;
Denis LE BRUN, Traité de la communauté entre mari et femme, Paris, 1754 ; Jean-
Marie RICARD, Traité des donations, Riom, éd. Bergier, 1783. Ces traités ont lar-
gement été exploités dans les recueils de jurisprudence. Voir : Gérard D. GUYON,
« Les décisionnaires bordelais, praticiens des deux droits (XVe-XVIIIe siècles) »,
dans Serge DAUCHY et Véronique DEMARS-SION (dir.), Les recueils d’arrêts et dic-
tionnaires de jurisprudence. XVIe-XVIIIe siècles, Lille, Centre d’Histoire judiciaire
Lille II, 2002, p. 53.
36
Sur l’application du droit successoral, voir : Jean-François CHASSAING, « Les suc-
cessions et les donations à la fin de l’Ancien Régime et sous la Révolution », (1982)
3 Droits et cultures 85.
10-Revue.book Page 19 Vendredi, 13. février 2009 2:07 14
37
J. DOMAT, Les Lois civiles, préc., note 11, L. I, t. I, s. II, 3.
38
Id., L. I, t. XVII, s. II, 16.
39
Id., L. I, t. I, s. V, 9.
40
J. DOMAT, Traité des lois, préc., note 11, IV, 2.
10-Revue.book Page 20 Vendredi, 13. février 2009 2:07 14
20 (2009) 43 R.J.T. 1
41
Id., L. I, t. I, s. I, 12.
42
Id., L. I, t. II, s. V, 1.
43
Le vendeur est alors obligé de déclarer à l’acheteur les défauts de la chose ven-
due qui lui sont connus et si, ayant connaissance de ces défauts, il les a cachés,
il devra non seulement les dommages et intérêts mais aussi indemniser l’ache-
teur de toutes les suites que le défaut de la chose aura pu causer.
Id., L. I, t. II, s. XI, 2 et 7.
44
Id., L. I, t. II, s. II, 8.
45
Id., L. I, t. II, s. VII, 2.
46
Id., L. I, t. IV.
47
Id., L. I, t. VIII, s. I, 10.
48
Id., L. I, t. VIII, s. IV, 19.
10-Revue.book Page 21 Vendredi, 13. février 2009 2:07 14
49
Par exemple, si le mandataire ignore le décès et exécute sa procuration, tout ce
qu’il a fait de bonne foi devra être ratifié par les héritiers, du fait de cette igno-
rance, car « la bonne foi donne à ce qu’il a géré l’effet du pouvoir que le défunt lui
avait donné », id., L. I, t. XV, s. IV, 7.
50
Id., L. I, t. V, s. I, 1.
51
Id., L. I, t. IV, s. I.
52
Il est alors amené à rejeter certains auteurs romains. Sur ce point, voir : D.
GILLES, préc., note 5, p. 78 et suiv.
53
Pour établir les principes sur lesquels il faut juger si l’intérêt du prêt est licite ou
non, on n’aurait besoin que de l’autorité de la loi divine qui l’a condamné et
défendu si expressément et si fortement. Car quiconque a du sens ne peut refu-
ser de tenir pour injuste et pour illicite tout ce que Dieu condamne et défend
(Eccl. 33 3). Mais encore que ce soit sa volonté seule qui est la règle de la justice,
ou plutôt qui est la justice même, et qui rend juste et saint tout ce qu’il ordonne
(Psal. 18 10), il souffre et veut même que l’on considère quelle est cette justice et
qu’on ouvre les yeux à la lumière pour la reconnaître (Eccl. 17. 24)
J. DOMAT, Les Lois civiles, préc., note 11, L.I, t.VI, préambule.
54
Id., L. I, t. VI, s. I, 7.
55
Voir : D. DEROUSSIN, préc., note 23, p. 302.
10-Revue.book Page 22 Vendredi, 13. février 2009 2:07 14
22 (2009) 43 R.J.T. 1
56
J. DOMAT, Les Lois civiles, préc., note 11, L.I, t. II, s. XI, 14.
57
J. DOMAT, Traité des lois, préc., note 11, L. XI, 10.
58
J. DOMAT, Les Lois civiles, préc., note 11, L. I, t. I, s. VI, 9.
10-Revue.book Page 23 Vendredi, 13. février 2009 2:07 14
59
Id., L. I, t. VIII, s. I, 12.
10-Revue.book Page 24 Vendredi, 13. février 2009 2:07 14
24 (2009) 43 R.J.T. 1
60
Cf. William STRAHAN, The Civil Law in Its Natural Order; Together with the Publick
Law translated by W. Strahan, London/Bettenham (printer) for Bell, 1726 ;
W. STRAHAN, The Civil Law in Its Natural Order, Together with the Public Law,
written in French by Jean Domat, and translated into English by William Strahan,
with Additional Remarks on Some Material Differences between the Civil Law
and the Law of England, 2nd ed., with additions, London, 1737. Voir également
l’édition américaine, plus tardive, de Cushing : Luther-S. CUSHING, The Civil Law
in its Natural order, by Jean Domat, translated from the French by William Stra-
han, ed. from the 2nd London edition (preceding title) by Luther S. Cushing, Boston,
Little/Brown, 1853. On peut remarquer qu’il existe une réédition récente des
Lois civiles dans leur traduction anglaise, alors qu’il n’en existe pas depuis le
XIXe siècle pour l’édition française. Nous espérons pouvoir prochainement pal-
lier cette absence avec l’appui d’un éditeur. Voir : William STRAHAN, Civil Law in
Its Natural Order, Littleton, Fred B Rothman, Reprint edition, décembre 1981.
61
Cf. D. GILLES, préc., note 20, p. 493-561.
62
Art. de Garat, « quasi-délits » , Pierre-Jean GUYOT, Répertoire universel et raisonné
de jurisprudence, civile, criminelle, canonique et bénéficiale, vol. 13, Paris, Visse,
1784-1785, p. 236.
63
Celui-ci remarque notamment que « [l]e sage Domat a rangé les lois civiles dans
leur ordre naturel : il a fait un petit Traité des lois en général et un Traité sur le
droit public » : Jean-Étienne-Marie PORTALIS, De l’usage et de l’abus de l’esprit phi-
losophique durant le XVIIIe siècle, 3e éd., t. 2, Paris, Moutardier, 1834, p. 225.
10-Revue.book Page 25 Vendredi, 13. février 2009 2:07 14
64
Qui reconnaît toutefois, pour ce qui concerne les contrats et les obligations con-
ventionnelles, que :
[Les auteurs du projet de Code] ont cru que ce serait rendre service à la société
si on retirait du dépôt des lois romaines une suite de règles qui, réunies, formas-
sent un corps de doctrine élémentaire, ayant à la fois la précision et l’autorité de
la loi. C’est un ouvrage que, dans le siècle dernier, les jurisconsultes les plus
célèbres des diverses parties de l’Europe ont désiré, qu’ils ont préparé par de
grands travaux. [...] La France met sous ce rapport au nombre des ouvrages les
plus parfaits ceux de Domat et de Pothier.
Félix BIGOT-PREAMENEU, « Présentation au corps législatif et exposé des motifs du
projet des contrats ou obligations conventionnelles », dans Pierre-Antoine
FENET, Recueil complet des travaux préparatoires du Code civil, Paris, 1827,
(rééd. O. Zeller, Osnabrück, 1967), t. XIII, p. 217.
65
Maleville évoque très peu les Lois civiles alors qu’il cite largement les travaux de
Pothier dans son Analyse raisonnée du Code civil, anticipant ce qui sera l’atti-
tude de la doctrine dominante au XIXe siècle. Ainsi, il cite plus de 100 fois Pothier
dans son ouvrage, aux côtés de Boutaric, Serres, Dumoulin, Lapeyrère, Lebrun,
Brodeau, Mornac, Rousseaud de Lacombe, ou même Montesquieu. Selon lui, le
meilleur commentaire du titre sur les obligations se trouve d’ailleurs dans le
Traité des obligations de Pothier. Tout au long des développements touchant
cette matière, Maleville cite Pothier, Cujas, Godefroy, le droit romain mais ne se
réfère pas à Domat ; Jacques de MALEVILLE, Analyse raisonnée de la Discussion
du Code civil, t. 3, Paris, Nève, 1822, p. 3 et suiv. Il reconnaît toutefois que le Livre
préliminaire du Projet du premier pluviôse an IX, rédigé par Portalis, était édifié
à « l’instar du Livre des lois de Domat », id., t. 1, p. 4.
66
Un exemple en est donné au sujet des articles 637 et 639 où la protection de la
propriété privée est en cause. Le débat porte sur la propriété d’une source sur
plusieurs fonds. Pour Maleville, l’article 637 est conforme aux maximes du
droit. Une seule exception est possible si des travaux sur les eaux ont été faits
depuis moins de trente ans. Il remarque toutefois un assouplissement au prin-
cipe par la jurisprudence et la doctrine. Il cite un arrêt rapporté par Henrys, et
relève qu’il est dangereux de poser des principes trop abstraits. Il estime que les
« besoins du premier propriétaire une fois satisfaits, l’équité, l’intérêt public et la
destination même de l’eau ne permettent pas que les fonds inférieurs en soient
arbitrairement privés : la Providence a créé pour l’usage de tous cet élément
nécessaire à tous ». La proximité aurait pu être proche avec Domat qui traite de
cette question, mais ce dernier n’est pas invoqué ; « Discussion au Conseil d’État »,
P.-A. FENET, préc., note 64, t. XI, p. 258.
10-Revue.book Page 26 Vendredi, 13. février 2009 2:07 14
26 (2009) 43 R.J.T. 1
67
Cf. D. GILLES, préc., note 5, p. 571 et suiv.
68
F. BIGOT DE PRÉAMENEU, préc., note 64, t. XIII, p. 264. Bigot de Préameneu partage
également la même critique des obscurités du droit romain que celle faite par
Domat un siècle plus tôt : « Ainsi les lois romaines relatives aux contrats nous
sont parvenues embarrassées de formules et de distinctions sans nombre. Les
simples pactes, les stipulations, les contrats y forment autant de classes sépa-
rées » ; id., p. 221.
69
En établissant par exemple un conseil de famille restreint à sept personnes, le
tribun Berlier réforme un abus que le juriste clermontois avait tenté de contre-
carrer par ses Lois civiles, afin de préserver la paix des familles : « Ainsi dispa-
raîtront beaucoup d’intrigues et principalement celles à la faveur desquelles on
portait souvent sur un parent éloigné et peu affectionné la charge que devait
naturellement supporter le parent le plus proche ; abus qui existait déjà du temps
de Domat, et dont il se plaint en son discours préliminaire sur le titre des tutelles » :
Théophile BERLIER, « Présentation au corps législatif du Titre De la minorité, de la
Tutelle et de l’émancipation », dans P.-A. FENET, préc., note 64, t. X, p. 642.
70
Duveyrier, contestant le régime des biens paraphernaux souligne, en reprenant
le juriste clermontois que :
[N]otre respectable Domat s’en plaignait avec une sorte de sensibilité :
Ces biens paraphernaux, dit-il, et cette jouissance indépendante du mari parais-
sent avoir quelque chose de contraire au principe du mariage, et sont même
une occasion qui peut troubler la paix que demande cette union. Aussi voit-on,
continue-t-il que, dans une même loi du droit romain qui ôte au mari tout droit
sur les biens paraphernaux, il est reconnu juste que la femme, se mettant elle-
même sous la conduite de son mari, elle lui laissât aussi l’administration de
ses biens. Le projet de loi soumis à votre examen aura encore le mérite notable
de rendre au régime dotal toute la raison des lois romaines et toute la majesté
du mariage.
Honoré Nicolas Marie DUVEYRIER, « Communication officielle au Tribunat », dans
P.-A. FENET, préc., note 64, t. XIII, p. 749 et 750.
10-Revue.book Page 27 Vendredi, 13. février 2009 2:07 14
Mais l’influence des Lois civiles est également forte sur la for-
mulation même des articles du Code, en matière d’obligations bien
évidemment, mais également en matière d’usufruit, où la proximité
des formulations – moins connues – est flagrante. Ainsi, pour la
rédaction de l’article 612 qui dispose que l’usufruit qui n’est pas
accordé à des particuliers, mais à des personnes morales, ne dure
pas plus de trente ans, Galli montre une révérence forte aux Lois
civiles, préférant sa formule à l’énonciation du droit romain Placuit
centum annis tuendos esse municipes72. Il s’exclame alors :
À la vérité, on ne pourrait trouver bien solide la raison qui y est alléguée,
quia is finis vitae longaevi hominis est. Comment ! Parce qu’un homme
peut vivre cent ans, il faudra décerner l’usufruit aussi pour cent ans à
une ville ou autre communauté ! Je ne comprends pas bien la conséquence
de ce principe : mais je comprends bien la doctrine de l’immortel Domat,
qui lui-même devança l’opinion de notre Code, et n’eut pas de peine à dire
qu’il y aurait eu bien plus de raison de fixer cet usufruit à trente années
seulement.73
71
Gillet relie ainsi l’obligation de doter sa fille pesant sur le père à l’obligation géné-
rale de veiller à la conduite de ses enfants. Il évoque la loi Julia appliquée à de
rares occasions dans les pays de droit écrit qui « provoquait une sorte d’inqui-
sition sur la fortune du père, parce que la dot devait en suivre les proportions ;
elle y perpétuait les dissensions des familles [...]. C’est un abus que le sage Domat
a très bien entrevu lui-même, et cet abus formerait une contradiction manifeste
avec les principes de la loi proposée » ; Jean Claude Michel GILLET, « Commu-
nication officielle au tribunat », 8 mars 1803, dans P.-A. FENET, préc., note 64,
t. IX, p. 192 et 193. Pour une perspective plus large sur la place du père et du
mari dans le Code civil et l’esprit général du Code de 1804, voir l’intéressante
étude de Jean LECLAIR, « Le Code civil des Français de 1804, une transaction
entre révolution et réaction », (2002) 36 R.J.T. 1. Sur les rédacteurs du Code,
leur influence au sein des commissions et leurs aspirations juridiques, voir :
Jean-François NIORT, Homo civilis, repères pour une histoire politique du Code
civil français, thèse droit Paris I, 1995, préface de J.-L. Halpérin, postface
J. Carbonnier, coll. « Histoire des Institutions et des Idées Politiques », t. 1, Aix-
en-Provence, PUAM, 2004, particulièrement p. 77-132.
72
L. 8, ff. de Usufr et Usufr. Legato. L. an. Usufr. 56, ff. de usufr.
73
Pierre Gaytin GALLI, comte de la Loggia, « Présentation au corps législatif », dans
P.-A. FENET, préc., note 64, t. XI, p. 215.
10-Revue.book Page 28 Vendredi, 13. février 2009 2:07 14
28 (2009) 43 R.J.T. 1
des solutions posées par Domat et celles du Code, celui-ci les ayant
« toutes recueillies dans ses lois civiles, ouvrage profond qui sera
toujours utilement médité »74. Jaubert revendique également la filia-
tion du juriste auvergnat en matière de théorie de l’obligation75. Il
est encore évoqué en matière de créance solidaire, de vices du con-
sentement, d’usufruit, de mandat... Outre les citations présentes
dans les discours des codificateurs, il est possible d’établir de nom-
breuses filiations entre les articles du Code Napoléon et les formules
des Lois civiles. Il faut souligner que, dans cet emploi, les formules
de Domat sont bien souvent reprises afin de poser un principe ou
une formule lapidaire caractérisant la définition d’un acte ou affir-
mant une règle générale. Il en est ainsi de l’article 1235 : « Tout paie-
ment suppose une dette : ce qui a été payé sans être dû est sujet à
répétition. La répétition n’est pas admise à l’égard des obligations
naturelles qui ont été volontairement acquittées », qui trouve sa for-
mulation dans les Lois civiles : « le paiement supposant la dette,
74
Thomas Laurent MOURICAULT, « Discussion devant le corps législatif » , dans P.-A.
FENET, préc., note 64, t. XIII, p. 421. Pour Bertrand de Greuille :
[C]’est une des premières maximes de la société : d’où il suit que si ce fait cause
à autrui quelque dommage, il faut que celui par la faute duquel il est arrivé soit
tenu de le réparer. Ce principe, consacré par le projet, n’admet point d’excep-
tion ; il embrasse tous les crimes, tous les délits, en un mot tout ce qui blesse les
droits d’un autre ; il conduit même à la conséquence de la réparation du tort, qui
n’est que le résultat de la négligence ou de l’imprudence » .
B. DE GREUILLE, « Communication officielle devant le Tribunat » , dans P.-A.
FENET, préc., note 64, t. XIII, p. 475.
75
Dans son rapport au Tribunat sur le projet du Livre 3e du Code civil sur le droit
des contrats et des conventions, il compare Cujas, Dumoulin, Pothier et Domat
aux grands jurisconsultes romains, pour leur apport à la science du droit et
pour avoir dégagé le droit romain « de ces subtilités qui dans certains cas
embarrassaient le droit écrit ». Il ajoute :
[...] Les Français ont eu aussi leur Paul, leur Papinien. Cujas avait expliqué les
textes romains avec une telle sagacité, que le Parlement de Paris, sur le réqui-
sitoire exprès du procureur général, lui avait permis de faire lecture et profession
en droit civil dans l’université de Paris, à tel jour et heure qu’il serait par lui
avisé. Et Dumoulin, ce jurisconsulte célèbre, qui, au milieu des troubles civils, était
parvenu à réunir toutes les connaissances du droit coutumier et du droit écrit
quels services n’a-t-il pas rendus à la jurisprudence dans les matières les plus
difficiles, par les principes lumineux et féconds qu’il a posés, et dont plusieurs
ont passé en maximes ? N’avions-nous pas aussi le grand, le magnifique ouvrage
de Domat, qui nous avait si bien développé la filiation des lois ?
A. JAUBERT, « Communication officielle faite au Tribunat, rapport fait par M. Jaubert
sur le Chap. VI », 13 pluviôse An XII, 3 fév. 1804, dans P.-A. FENET, préc., note 64,
t. XIII, p. 413.
10-Revue.book Page 29 Vendredi, 13. février 2009 2:07 14
celui qui se trouve avoir payé par erreur ce qui n’était point dû, peut
le recouvrer [...] »76. En matière d’exception d’inexécution, Domat,
en systématisant les solutions romaines, généralise la règle en allant
même au-delà de la solution qui est reprise dans l’article 1184.
76
J. DOMAT, Les Lois civiles, préc., note 11, L. IV, t. I, s. I, 4, p. 282.
77
Id., L. III, t. IV, s. I, 14, p. 224.
78
Id., L. I, t. XIII, s. I, 6, p. 124.
79
Pour une liste de ces articles, voir : D. GILLES, préc., note 5, annexes, p. 670 et
suiv.
10-Revue.book Page 30 Vendredi, 13. février 2009 2:07 14
30 (2009) 43 R.J.T. 1
80
Le titre III rassemble ainsi les questions de succession, de donation, de testa-
ment, de théorie générale du contrat, de quasi-délit, de responsabilité civile, de
contrats spéciaux, de régimes matrimoniaux, d’expropriation, d’ordre entre
créanciers, de prescription et possession ; cf. Georges WIEDERKHER, « Le Code civil
de 1804 à 2004 », Colloque bicentenaire du Code civil, Ass. Avenir Capa, Stras-
bourg, 2004, p. 13, à la page 14.
81
Voir : James GILREATH and Douglas L. WILSON (dir.), Thomas Jefferson’s Library:
A Catalog with the Entries in His Own Order, Washington, Library of Congress,
1989, c. 23.
82
Ce dernier, jeune étudiant en droit, déplore dans sa correspondance son man-
que de connaissance des auteurs du droit naturel, dont Domat :
Besides, I am but a Novice in natural Law and civil Law. There are multitudes of
excellent Authors, on natural Law, that I have never read, indeed I never read
any Part of the best authors, Puffendorf and Grotius. In the Civil Law, there are
Hoppius, and Vinnius, Commentators on Justinian, Domat, & c. besides Insti-
tutes of Cannon and feudal Law, that I have to read.
John ADAMS, « Letter to Jona. Sewall », Wednesday, november 26th, John Adams
Diary, Electronical Archive, the Massachusetts Historical Society, [http ://
www.masshist.org/digitaladams/aea/index.html], site consulté le 12 septem-
bre 2006.
83
Dans l’affaire Jonathan Sewal v. John Hancock du 20 août 1768 concernant
« the writs of assistance », Adams déclare : « We are here to be tryed by a Court of
civil not of common Law, we are therefore to be tryed by the Rules of Evidence that
10-Revue.book Page 31 Vendredi, 13. février 2009 2:07 14
we find in the civil Law, not by those that we find in the common Law. – We are to
be tryed, both Fact and Law is to be tryed by a single Judge, not by a Jury. – We
therefore claim it as a Right that Witnesses not Presumptions nor Circumstances
are to be the Evidence. » Et il argumenta, en se fondant sur les règles du droit
civil, affirmant que, pour accuser quelqu’un d’un crime, il était nécessaire d’avoir
deux preuves ou témoignages « free lfrom all exception; that if there were two or
ten such Witnesses as Mezle, they would not amount to Proof sufficient for con-
demnation » ; ses contradicteurs ayant « a right to examine the Witnesses whole
past life, and his Character at large; » et pouvant prouver par d’autres témoigna-
ges et preuves qu’il « was a fugitive from his native country to avoid the punish-
ment due to a very heinous crime ». Pour ce faire, il se référa aux autorités
suivantes : « New Inst. Civil Law, 315, 316. Dig. Lib. 22, Tit. 5, §§ 3, 12. Codicis,
Lib. 4, Tit. 19, § 25 ; Tit. 20, s. 9, § 1, & note 32. Deut. 19, 15. Calv. Lex Testis.
Fortescue de Laudibus Legum, c. 21, p. 38. Wood Inst. 310. Domat, V. 1, p. 13,
Preliminary Book, Tit. 1, § 2, IV. 15 » ; The Founders’ Constitution, vol. 5, Amend-
ment IV, Document 2, Chicago, University Press, 2000, [http ://press-pubs.
uchicago.edu/founders/documents/amendIVs2.html].
84
Relevons toutefois que cette référence de Bland est tirée de l’introduction de
Strahan aux Lois civiles : Richard BLAND, An Inquiry into the Rights of the British
Colonies, 1766, Williamsburg, Virginia, rééd. Appeals Press, Richmond, Virginia
(1922). Il faut également souligner la place des Lois civiles dans l’ouvrage d’un
des pères fondateurs, James Wilson, qui les cite dans son Of the General Prin-
ciples of Law and Obligation, 1790-91. Sur cet auteur, voir : Mark David HALL,
The Political and Legal Philosophy of James Wilson, 1742-1798, Columbia, Uni-
versity of Missouri Press (1997). On peut également relever l’évocation des Lois
civiles dans la jurisprudence de la Cour suprême américaine, notamment dans
les arrêts relevant des États de tradition civiliste, comme la Louisiane. Voir, par
exemple : Mayor, Aldermen and inhabitants of New Orleans v. United States, 35
U.S. 662 (1836) (Pet.)
85
Voir, par exemple, les articles « Law », « Usufructuary » ou « Heir », dans John BOU-
VIER, A Law Dictionary Adapted to the Constitution and Laws of the United States
of America and of the Several States of the American Union, with References to
the Civil and Other Systems of Foreign Law, 6th ed., revised, improved, and
greatly enlarged, Philadelphia, Childs & Peterson (1856).
86
Voir, à titre d’exemple, pour l’Argentine, le Pérou et le Chili, les travaux de Jorge
Horacio ALTERNI, «Domat y Pothier en el Código Civil Argentino», La codificion:
raices y prospectiva : El Código Napoleon, Prudentia Iuris, Buenos Aires, 2003,
p. 197-209, ainsi que, dans le même ouvrage : Camilo TALE, « El derecho de daños
10-Revue.book Page 32 Vendredi, 13. février 2009 2:07 14
32 (2009) 43 R.J.T. 1
en Jean Domat. Cotejo con las regias del Code Napoleon, con la doctrina de sus
comentarias del S. XIX y con las normas de Código de Vélez », p. 127-147 ; Carlos
Ramos Nunez, « Código Napoleonico : Fuentes y Genesis », (1995) 10 Revista
Derecho & Sociedad, Universidad Catolica del Peru, Lima 10, ainsi que « La codi-
ficacion impulso moderno de la familia romanista », (1994) 9 Revista Derecho &
Sociedad, Lima, 157-168. Concernant le Chili, voir : Alejandro G. BRITO, « Para la
historia de la formacion de la teoria general de acto o negocio juridico y del con-
trato III : Los origines historicos de la teoria general del contrato », (2000) 22
Revista de estudios historico-juridicos 45-60.
87
Peter STEIN, Le droit romain et l’Europe. Essai d’interprétation historique, 2e éd., coll.
« Droit et Histoire », Faculté de droit de Genève, Schulthess, L.G.D.J./Bruylant,
2004, p. 149. À cette influence dans la common law s’ajoute l’évocation des Lois
civiles devant les juridictions d’equity. Voir par exemple, en matière de responsa-
bilité : Appleby and Another v. Myers, 21 juin 1867, Exchequer Chamber, Council
of Law Reporting For England & Wales, (1866-67) L.R. 2 C.P. 651.
88
Sur l’impact du Code civil du Bas Canada, voir : André MOREL, « L’émergence du
nouvel ordre juridique instauré par le Code civil du Bas Canada (1866-1890) »,
Le nouveau Code civil : interprétation et application. Les Journées Maximilien-
Caron 1992, Montréal, Éditions Thémis, 1993, p. 52-59.
89
L’importance de la doctrine française est sur ce point fondamentale dans l’évo-
lution de la jurisprudence québécoise. C’est ce qu’a largement démontré Michel
Morin dans son analyse de la jurisprudence des XIXe et XXe siècles (de 1876 à
1984). Si c’est Laurent qui est le plus utilisé dans la jurisprudence, Pothier
arrive en bonne place, et Domat se trouve, par exemple, cité dans seize arrêts de
1876 à 1899. De 1900 à 1920, on trouve onze occurrences renvoyant aux Lois
civiles. Voir : Michel MORIN, « Des juristes sédentaires ? L’influence du droit an-
glais et du droit français sur l’interprétation du Code civil du Bas Canada, 1876-
1984 », (2000) 60 R. du B. 247.
90
Voir : Evelyn KOLISH, Changement dans le droit privé au Québec et au Bas-Canada :
attitudes et réactions des contemporains, thèse d’histoire (dactyl.), Université de
Montréal, septembre 1980, p. 121-128.
10-Revue.book Page 33 Vendredi, 13. février 2009 2:07 14
91
L’inventaire des sources revêt une importance particulière pour les commissai-
res qui doivent établir, avant de codifier, le droit en vigueur au Bas-Canada. Sur
cette question, voir : Sylvio NORMAND et Donald FYSON, « Le droit romain comme
source du Code civil du Bas Canada », (2001) 103 R. du N. 87.
92
Sur l’historique du Code civil du Bas Canada et l’importance que la codification
a prise au Québec, voir : Frederick Parker WALTON, Le domaine et l’interprétation
du Code civil du Bas Canada (intr. et trad. Maurice TANCELIN), Toronto, Butter-
worths, 1980, p. 35-49 ; André MOREL, « La codification devant l’opinion publi-
que de l’époque », Livre du Centenaire du Code civil (I), textes réunis par Jacques
BOUCHER et André MOREL, Montréal, P.U.M., 1970, p. 27 ; Martin BROODMAN,
John E.C. BRIERLEY et Roderick A. MACDONALD, Quebec Civil Law. An introduction
to Quebec Private Law, Toronto, Edmond Montgomery Publication, 1993, p. 5-74.
93
Les commissaires explicitent très bien, dans leur second rapport, l’attitude –
tout en nuance – qu’ils entendent adopter face à la codification napoléonienne :
Le Code Napoléon est, avec raison, considéré comme un chef d’œuvre dans son
genre ; aussi l’a-t-on adopté, soit dans son entier, soit avec des modifications plus
ou moins considérables, dans tous les pays, où, depuis sa confection, l’on s’est
occupé de codification ; il était donc naturel, à raison de la similitude de nos lois
avec celles de la France à l’époque où elles y furent codifiées, qu’on nous donnât
son code pour modèle et qu’on l’indiquât comme base de celui que l’on voulait
faire. Quoique cette similitude ait été assez notablement altérée par le nouveau
code, elle était encore assez grande pour qu’il fût possible, sans trop de risque,
de permettre aux Commissaires d’en adopter les dispositions qu’ils auraient
approuvées, en retranchant, en altérant celles dont l’expérience en France ou
ailleurs a démontré l’inutilité ou la défectuosité et en y intercalant celles que nos
lois et nos circonstances particulières peuvent requérir. Cette manière de procé-
der, si elle eût été permise, aurait rendu la tâche comparativement légère. Mais
la Législature ne l’a pas voulu ; elle a bien, à la vérité, indiqué le code français
pour modèle quant au plan à suivre, à la division des matières et aux détails à
fournir sur chaque sujet ; mais tout cela n’est qu’accessoire et ne regarde que la
forme ; quant au fond, il est ordonné que le code à faire se composera exclusi-
vement de nos propres lois. Ce qui est loi en force doit y être inclus ; ce qui ne l’est
pas doit en être exclu et peut tout au plus être proposé comme altération admis-
sible.
Deuxième rapport des commissaires, Code civil du Bas Canada, Québec, G.E.
Desbarats, 1863-1865, p. iv.
94
Toutefois, les commissaires s’en détachent parfois au nom de la conformité avec
la tradition juridique de la Nouvelle-France. Ainsi, en matière de biens et de pro-
priété, les commissaires décident de diviser le second livre en cinq titres, les
commissaires relevant que :
[C]’est un titre de plus que n’en contient le Code Napoléon, [...] le cinquième (de
l’emphytéose) y étant omis, d’après les uns parce que cette espèce de contrat
10-Revue.book Page 34 Vendredi, 13. février 2009 2:07 14
34 (2009) 43 R.J.T. 1
n’existe plus en France, tandis que, suivant les autres, il est compris dans l’usu-
fruit. Sans entrer dans la discussion de cette question, qui nous est étrangère, il
suffit ici de dire que, d’après l’ancien droit français qu’il est du devoir des Com-
missaires d’exposer, il est incontestable que l’emphytéose constituait un contrat
distinct de l’usufruit et de tout autre et soumis à des règles qui lui étaient pro-
pres ; qu’elle a été de tout temps d’un usage fréquent et continuel dans le pays
et que notre législature, loin de l’abolir, l’a au contraire réservée et confirmée en
termes exprès, ainsi que la chose sera exposée en son lieu.
Troisième rapport des commissaires, Code civil du Bas Canada, Québec, G.E.
Desbarats, 1863-1865, p. 6.
95
Cf. Acte pour pourvoir à la codification des lois civiles du Bas-Canada, S.P.C.,
1857, c. 43, notamment les articles 6 et 7.
96
S’appuyant sur son héritage, la codification de 1866 vise toutefois à une moder-
nisation du droit privilégiant le libéralisme économique, comme le souligne Sylvio
NORMAND, « La codification de 1866 : contexte et impact », dans H. Patrick GLENN
(dir.), Droit québécois et droit français : communauté, autonomie, concordance,
Cowansville, Éditions Yvon Blais, 1993, p. 43-62.
97
M. MORIN, préc., note 89, 273.
98
Curieusement, si Portalis est bien connu et largement évoqué par les juristes
québécois, Caron, Day et Morin, les trois commissaires du Code civil du Bas
Canada, figurent peu dans les mémoires de la pensée juridique québécoise. Sur
l’œuvre – occultée – de ces commissaires, voir notre étude, à paraître en 2009
« Caron, Day et Morin, trois oubliés de l’histoire de la pensée juridique ? Les
commissaires de la codification de 1866 et leur œuvre ».
99
Pour une analyse de cette évolution, voir : Michel MORIN, « La perception de l’an-
cien droit et du nouveau droit français au Bas-Canada, 1774-1866 », dans H.P.
GLENN (dir.), préc., note 96, p. 1.
10-Revue.book Page 35 Vendredi, 13. février 2009 2:07 14
100
Pour une analyse du contexte de la codification, outre les articles de Sylvio
Normand et de Michel Morin déjà cités, voir essentiellement l’ouvrage de B. Young,
retraçant l’évolution de la logique codificatrice jusqu’en 1866 : Brian YOUNG, The
Politics of Codification. The lower Canadian Civil Code of 1866, Montréal, Kingston,
London et Buffalo, Osgoode Society for Canadian Legal History and McGill-
Queen’s University Press, 1994.
101
Comme le souligne Michel Morin, il en est ainsi notamment de la liberté de tes-
ter, imposée par l’Acte de Québec de 1774, de l’abrogation des incapacités de
recevoir en 1801 ou de plusieurs règles en matières commerciales, une ordon-
nance de 1777 introduisant notamment les règles de preuves en matière com-
merciale : M. MORIN, préc., note 89, 267-269.
102
A. ESMEIN, « L’originalité du Code civil » , Livre du centenaire, Paris, 1904, p. 18.
103
Deuxième rapport des commissaires, Code civil du Bas Canada, préc., note 93,
p. iv.
104
Premier rapport des commissaires, Code civil du Bas Canada, Québec, G.E. Des-
barats, 1863-1865, L. III, titre III Des obligations, p. 37 et suiv. Il faut relever
toutefois que dans le premier rapport préliminaire, les références des commis-
saires ne concernent plus alors la doctrine de l’ancien droit et Domat mais la
doctrine civiliste française du XIXe siècle, notamment Duranton, Troplong,
Marcadé et Toullier. Voir : id., p. 7 et suiv.
10-Revue.book Page 36 Vendredi, 13. février 2009 2:07 14
36 (2009) 43 R.J.T. 1
se trouve à l’honneur. Sur les deux mille six cent quinze articles
constituant le Code civil du Bas Canada, deux cent soixante-quinze
articles contiennent une référence aux Lois civiles105. Cette propor-
tion est proche de celle du Code Napoléon (environ 11 %)106. Tou-
tefois, si le penseur clermontois est cité comme autorité, il l’est le
plus souvent en compagnie d’une solide doctrine. Les rapporteurs
font référence à de nombreux auteurs de l’Ancien droit (Furgole,
d’Argentré, Dumoulin, Serres, Denisart, Freminville, Ricard, Guyot,
Brillon, Bourjon, Henrys, Bretonnier, Lamoignon...)107, mais égale-
ment à la doctrine civiliste du XIXe siècle (Toullier, Zachariae, Merlin,
Demolombe...)108, aux ordonnances et déclarations françaises de
105
La rédaction des articles suivants fait référence explicitement à la réflexion du
jurisconsulte auvergnat : 7, 11, 36 al. 2, 242, 292, 310, 359, 454, 470, 542,
553-570, 573-579, 584, 586, 593, 756, 760, 863, 864, 868, 873, 968, 984-987,
989, 993, 994, 1002-1004, 1007-1009, 1013, 1016, 1018-1020, 1024, 1031,
1034, 1038, 1039, 1043, 1045-1055, 1057, 1065, 1071-1074, 1077, 1087, 1094,
1100-1105, 1107, 1108, 1112, 1113, 1117, 1118, 1131, 1139-1141, 1148, 1158,
1159, 1161, 1162, 1169-1173, 1175-1177, 1187, 1188, 1190, 1191, 1193,
1203, 1212, 1234, 1472, 1475, 1484, 1494, 1496, 1497, 1501, 1507-1509, 1511,
1513-1516, 1520, 1522-1534, 1545-1547, 1601, 1603, 1605, 1607, 1609, 1610,
1612-1614, 1618-1620, 1624, 1626-1628, 1637, 1638, 1641, 1650, 1658, 1660,
1672, 1674, 1678, 1683, 1685, 1686, 1699, 1701-1704, 1710, 1712, 1713, 1719,
1720, 1722, 1724-1729, 1755, 1757, 1760, 1781, 1782, 1784, 1795, 1796, 1803-
1806, 1809, 1812, 1813, 1818-1822, 1830, 1831, 1845, 1847, 1857, 1859, 1861,
1862, 1892-1894, 1898, 1918, 1920, 1921, 1966, 1983, 1985, 1990, 1992, 1995,
2006, 2017, 2020, 2032, 2043, 2046, 2051, 2056, 2066, 2081, 2267 et 2281.
Cf. Édouard Lefebvre De BELLEFEUILLE, Code civil du Bas Canada, d’après le rôle
amendé déposé dans le bureau du greffier du Conseil législatif [...] augmenté des
autorités citées par les codificateurs dans le projet soumis à la législature, Montréal,
éd. Beauchemin et Valois, 1866.
106
Soit environ 14 %. Voir : D. GILLES, préc., note 5, p. 591.
107
À titre de comparaison, on peut relever, outre la référence aux travaux de
Pothier pour plus des deux tiers des articles du Code, les références aux travaux
de Serres et de Poullain du Parc. Les travaux du premier sont cités une ving-
taine de fois (vingt-deux articles) dans les rapports des codificateurs alors que
les travaux du second sont cités une quinzaine de fois (seize articles), notam-
ment en matière de distinction entre biens (art. 374-379) et de succession.
108
Celle-ci avait une assez grande influence sur la doctrine québécoise durant tout
le XIXe siècle ; voir, sur ce point : Eric H. REITER, « Imported Books, Imported Ideas:
Reading European Jurisprudence in Mid-Nineteenth-Century Quebec », (2004)
22 Law and History Review [http://www.historycooperative.org/journals/
lhr/22.3/reiter.html], site consulté le 10 juin 2006, ainsi que Michel MORIN,
« Portalis c. Bentham ? Les objectifs assignés à la codification du droit civil et du
droit pénal en France, en Angleterre et au Canada », Commission du droit du
Canada, La législation en question, Ottawa, 2000, p. 141-217.
10-Revue.book Page 37 Vendredi, 13. février 2009 2:07 14
109
Ainsi, la solution de Pothier est par exemple préférée à celle de Domat – adop-
tant une position opposée – concernant la formulation de l’article 1107 du
Code. Celui-ci prévoyait que le créancier d’une obligation solidaire peut s’adres-
ser au codébiteur qui a sa préférence. Sur le poids de Pothier sur la science juri-
dique canadienne et québécoise, voir : Nicholas KASIRER, « Pothier from A to Z »,
dans Mélanges Jean Pineau, sous la direction de Benoît MOORE, Montréal, Édi-
tions Thémis, 2003, p. 387-405.
110
Pour les articles 1513, 1514 et 1515, (numérotés 36 à 38 du projet du Livre troi-
sième du Titre de la vente du quatrième rapport) c’est l’autorité de Pothier qui
est « au soutien de la règle, à l’encontre de celle de Domat », Quatrième rapport
des commissaires, Code civil du Bas Canada, Québec, G.E. Desbarats, 1863-
1865, Titre de la vente, p. 6.
111
Premier rapport des commissaires, Code civil du Bas Canada, préc., note 104,
Titre des obligations, p. 14.
112
Dans ce domaine, les commissaires relèvent que la loi romaine était plus rigou-
reuse quant à « la responsabilité des mandataires que le droit civil postérieur,
ainsi que nous l’apprennent Pothier et Domat ». La formulation adoptée est
alors choisie en conformité avec celle de l’article 1992 du Code Napoléon et en
cohérence avec les autres dispositions du titre des Obligations du Code civil du
Bas Canada : Sixième rapport des commissaires, Code civil du Bas Canada,
Québec, G.E. Desbarats, 1863-1865, Livre troisième : du mandat..., p. vii.
10-Revue.book Page 38 Vendredi, 13. février 2009 2:07 14
38 (2009) 43 R.J.T. 1
113
Afin d’établir la règle générale de responsabilité du mandataire en matière d’obli-
gation envers les tiers, les commissaires s’appuient ainsi sur la formulation de
l’article 1998 du Code Napoléon. Reprenant l’interprétation de Troplong, ils
souhaitent ne pas lier le mandant lorsque le contrat est au nom du mandataire
sans déclaration du nom du principal, excepté dans quelques cas particuliers.
Ils jugent cette interprétation « en harmonie avec la doctrine du droit romain,
mais en opposition directe avec celle de Pothier, qui est d’accord avec les lois
anglaise, écossaise et américaine », préférant alors cette dernière solution ; id.,
p. ix.
114
Les commissaires relèvent sur cette question que le contrat qui fait l’objet de ce
titre, de même que celui du titre précédent, est fondé sur des maximes emprun-
tées au droit romain. L’ancien droit français, tel qu’exposé par Pothier en son
traité Du Dépôt et Du séquestre, reproduisant les lois romaines sans s’en écarter,
ou avec quelques légères différences seulement, nous offre un corps de règles
clair et complet » ; id., p. xvii.
115
Les commissaires ajoutent toutefois qu’aux États-Unis il existe « en faveur des
courtiers une présomption plus favorable qu’elle ne peut l’être sous notre droit,
qui exige clairement la preuve que le courtier a été employé par les deux parties
avant qu’il puisse les lier par ses actes » ; id., p. x et xi. Pour une analyse plus spé-
cifique de la place du droit romain en matière d’obligation, voir : S. NORMAND et
D. FYSON, préc., note 91, 104 et suiv.
116
Ainsi, en matière de prescriptions, les commissaires, reprenant le code français,
soulignent que « l’on n’a pas voulu se montrer ici plus méticuleux que le Code
Napoléon », Troisième rapport des commissaires, Code civil du Bas Canada, préc.,
note 93, p. 60.
117
Ainsi, concernant les obligations à terme, les commissaires soulignent :
[L]e renvoi à Pothier et au Digeste ne va pas au soutien de l’article, mais y est
contraire. Cependant, l’équité est clairement du côté de la restriction apportée à
la règle par l’article soumis. Les commissaires sont d’opinion que le débiteur, qui
10-Revue.book Page 39 Vendredi, 13. février 2009 2:07 14
par erreur, fraude ou violence, paie avant le temps une dette pour laquelle il a un
certain terme, doit avoir un recours et que l’article tel que rédigé doit être adopté
comme déclarant la loi sur un point douteux, ou comme amendement à la loi en
force.
Premier rapport des commissaires, Code civil du Bas Canada, préc., note 104,
Titre des obligations, p. 17.
118
Ainsi, en matière de stipulation des contrats, les commissaires, adoptant la
nouvelle formulation du Code Napoléon, critiquent la jurisprudence de l’ancien
droit et les libertés prises par les juges :
Sous la jurisprudence qui s’était formée en France, les tribunaux modifiaient les
stipulations des contrats, ou sans en tenir compte, substituaient à la volonté
écrite des parties, une équité douteuse pour ajuster leurs droits. Dans ce pays,
cette intervention n’a peut-être pas été poussée aussi loin, mais en principe elle
est également sujette à objection et quoique soutenue par l’autorité de Dumoulin
et de Pothier, elle ne paraît pas devoir son origine au Code Justinien, ni justifiée
par aucune législation en France. Les raisons données par ces deux éminents
jurisconsultes sont certainement peu satisfaisantes. [...] Quoi qu'il en soit, il est
certain que la doctrine de l’intervention judiciaire alors que le sens du contrat est
clair est désapprouvée par les juristes modernes.
Id., p. 15.
119
Ainsi, en matière de créance et de droit à la résolution du contrat, ils écartent la
solution de l’article 1182 du Code Napoléon au profit de la règle de l’ancien droit,
appliquée dans la Province de Québec « fondée sur le droit romain et [qui] est
sans contredit préférable à la nouvelle » : Premier rapport des commissaires, Code
civil du Bas Canada, préc., note 104, Titre des obligations, p. 17.
120
Ainsi, en matière de prêt et de rente constituée, les commissaires fondent un
chapitre quatrième relatif à ces dernières, fondé sur le droit des gens alors que
le Code Napoléon s’en abstient : Sixième rapport des commissaires, Code civil du
Bas Canada, préc., note 112, Titre neuvième, du prêt, p. xi.
121
Les commissaires choisissent ainsi de s’écarter de la formulation de l’article
2002 du Code Napoléon en matière de responsabilité du mandant envers les
tiers, en omettant une partie de cet article (la spécification « pour une affaire
commune »), en se fondant sur l’autorité de Pothier, « qui est formelle, en décla-
rant que la règle a lieu lors même que l’affaire ne concerne qu’un seul. Cette opi-
nion est conforme au droit romain et à celle de Domat, à l’endroit cité » : id., Livre
troisième : du mandat..., p. ix.
10-Revue.book Page 40 Vendredi, 13. février 2009 2:07 14
40 (2009) 43 R.J.T. 1
122
Comme le soulève Maurice Tancelin, dans l’introduction à la traduction de
l’ouvrage de F.-P. Walton, « la complexité des sources du Code civil québécois ne
s’accommode pas de la simplification courante consistant à placer l’origine des
dispositions de droit civil dans le droit français et celles des dispositions de droit
commercial dans le droit anglais » : F.P. WALTON, préc., note 92, p. 8.
123
Sur les rapprochements possibles entre les deux codifications voir : Jean-François
NIORT, « “Notre droit civil... ? : quelques remarques sur l’interprétation du Code
civil français et du Code civil du Bas Canada au Québec », Le Code Napoléon, un
ancêtre vénéré ? Mélanges offerts à Jacques Vanderlinden, Paris, Bruylant, 2004,
p. 173-201.
124
Art. 1607 : « Le bail à loyer des maisons et le bail à ferme sont soumis aux règles
communes aux contrats de louage, et aussi à certaines règles particulières à l’un
ou à l’autre de ces baux ».
10-Revue.book Page 41 Vendredi, 13. février 2009 2:07 14
125
Domat est cité pour la quasi-totalité des articles formant cette section, soit les
articles 1169 à 1177.
126
La pensée du jurisconsulte est alors référencée pour les articles 1522 à 1531.
127
Soit les articles 1710, 1712, 1713, 1719, 1720, 1722, 1724 à 1729.
128
Soit les articles 1818 à 1822.
129
Les articles 1845, 1847, 1857, 1859, 1861 et 1862 concernant la société et les
articles 1892, 1893, 1894 et 1898 concernant la dissolution de la société.
130
Les articles 1983, 1985, 1990 et 1992 se référant aux Lois civiles concernant les
dispositions générales relatives aux privilèges et les articles 2017 et 2020 éta-
blissant les dispositions générales relatives aux hypothèques.
131
Soit les articles 863, 864 et 868 et l’article 873 touchant, quant à lui, le legs uni-
versel.
132
Il s’agit de l’article 1601 posant le principe du contrat de louage et de l’article 1605
posant la définition du contrat de louage de choses.
133
Soit les articles 1701 à 1704.
134
Les articles 1781, 1782 et 1784 pour le prêt à la consommation et 1795 et 1796
pour le dépôt simple.
135
Les articles 1830 et 1831.
136
L’article 1966 pour le contrat de nantissement et les articles 1918, 1920 et 1921
pour les transactions.
10-Revue.book Page 42 Vendredi, 13. février 2009 2:07 14
42 (2009) 43 R.J.T. 1
137
À titre d’exemple, les commissaires se réfèrent à ces trois sources en matière
d’obligations conditionnelles (art 104 et 105 du projet, art. 1084 et 1085 C.c.B.C.)
ou en matière de confusion (art. 217 du projet) : Premier rapport des commissai-
res, Code civil du Bas Canada, préc., note 104, p. 66, 106 et 107.
138
Les commissaires ajoutent :
Il est néanmoins assez certain que lorsque l’ouvrage est entrepris autrement que
par contrat pour le compléter et le livrer comme un tout, la perte tombe sur celui
qui fait faire l’ouvrage, soit que les matériaux soient fournis par lui ou par
l’entrepreneur. Le doute a lieu dans le cas où l’ouvrage doit être parfait et livré en
bloc, per aversionem. Ce cas n’est pas clairement distinct dans les passages où
Domat et Pothier traitent de ce sujet [...]
Quatrième rapport, Code civil du Bas Canada, préc., note 110, p. 8.
139
Les commissaires renvoient à ce dernier et à Pothier pour les articles 14 a, b, c
et d ainsi que 17 b, c et d du projet : Deuxième rapport des commissaires, Code
civil du Bas Canada, préc., note 93, p.103 et 105.
140
Le juriste clermontois excluait expressément cette question des Lois civiles :
On ne parlera pas ici de la communauté de biens qui est établie par plusieurs
coutumes entre le mari et la femme. Car encore que cette communauté se con-
tracte sans une convention expresse par le simple effet du mariage, c’est une
matière propre des coutumes qui en ont différemment établi les règles et on peut
y appliquer aussi celle de ce titre et celle de la société selon qu’elles peuvent y
convenir.
J. DOMAT, Les Lois civiles, préc., note 11, L. II, t. V, préambule, p. 171.
10-Revue.book Page 43 Vendredi, 13. février 2009 2:07 14
141
Toutefois, une nuance doit être apportée. Si l’influence sur ces thèmes est davan-
tage anglo-saxonne, les dispositions relatives à ces questions, comme le remar-
que F.P. Walton, sont tirées d’une étude comparative des deux droits, anglais et
français. Le droit commercial n’est ni anglais, ni français « puisqu’il consiste en
règles formulées pour la plupart aux XVIIe et XVIIIe siècles par les civilistes fran-
çais et hollandais et appliquées par les juges de tous les pays européens faisant
du commerce », et notamment Lord Mansfield : F.P. WALTON, préc., note 92, p. 8.
142
Art. 584 : « Les biens qui n’ont pas de maître sont considérés comme apparte-
nant au souverain. [...] Domat, Droit public, liv. 1, tit. 6, sec. 3, n. 1,2,3,4 » et
art. 586 « La propriété d’un trésor appartient à celui qui le trouve dans son pro-
pre fonds ; si le trésor est trouvé dans le fonds d’autrui, il appartient pour moitié
à celui qui l’a découvert, et pour l’autre moitié au propriétaire du fonds. Le tré-
sor est toute chose cachée ou enfouie sur laquelle personne ne peut justifier sa
propriété et qui est découverte par l’effet du hasard [...] Domat, Dr. Publ. Liv.1,
tit. 6, sec. 3, n.7 ».
10-Revue.book Page 44 Vendredi, 13. février 2009 2:07 14
44 (2009) 43 R.J.T. 1
143
Voir : D. GILLES, préc., note 5, p. 544 et suiv.
144
Voir les articles 1171, 1198, 1202 et 1204 du Code civil argentin.
145
Sur ce point, voir : J. MATTHEWS GLENN, « Civilian Survival: Upper and Lower
Canada and the Saint Lucia Civil Code », Mélanges offerts par ses collègues de
McGill à Paul-André Crépeau, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 1997, p. 327.
146
C’est le cas notamment dans deux décisions récentes de la Cour royale, en
matière de licitation et de preuve testimoniale de testament. Dans l’affaire Fallaize
(née de mouilpied) v. Fallaize, ROYAL COURT (Bailhache, Bailiff and Jurats Blampied
and Potter), July 22nd, 1996, 1996, Jersey L. Rev., p. 264, la cour relève que
[t]he law appears to us to be quite clear. All the definitions of licitation which
have been cited refer to a sale’s being effected, in default of agreement between
the parties, by public auction. We need refer only to Domat, Loix Civiles, Livre I,
Titre II, art. X, De la Licitation, at 52 (1713) :
Lorsqu’une chose qui ne peut que difficilement être divisée, comme une mai-
son, ou qui ne saurait l’être comme un Office de judicature, se trouve commune
à plusieurs personnes, & qu’ils ne peuvent ou ne veulent s’en accommoder
entre eux; ils la vendent, pour en partager le prix ; & ils l’adjugent aux enchères
10-Revue.book Page 45 Vendredi, 13. février 2009 2:07 14
46 (2009) 43 R.J.T. 1
c. La Reine, [2001] IIJCan 562 (C.C.I.) par. 58, où la réflexion puisée dans les
Lois civiles permet d’éclairer la notion d’abus de droit, notamment pour les « sui-
tes de l’injustice et de la chicane des mauvais plaideurs » ou en matière de droits
de propriété exercés avec une intention de nuire.
151
Création jurisprudentielle, cette notion perdura jusqu’à la réforme du Code civil
québécois. En 1981, dans l’arrêt Soucisse c. Banque Nationale du Canada, [1981]
R.C.S. 339, 355-363, c’est sur la réflexion de Domat en matière de bonne foi que
le juge Beetz fonde sa solution. C’est à la lecture de sa formule selon laquelle « il
n’y a aucune espèce de convention où il ne soit sous-entendu que l’un doit à
l’autre la bonne foi, avec tous les effets que l’équité peut y demander, tant en la
manière de s’exprimer dans la convention, que pour l’exécution de ce qui est
convenu et de toutes les suites » que le magistrat interprète l’article 1024 du Code
civil du Bas Canada.
152
François GENDRON, L’interprétation des contrats, Montréal, Wilson & Lafleur, 2002,
p. 11 et 114.
153
Id., p. 121.
154
J. DOMAT, Les Lois civiles, préc., note 11, L. III, t. I, s. VI, 2.
10-Revue.book Page 47 Vendredi, 13. février 2009 2:07 14
155
Id., L.I, t. I, s. II, 11.
156
Id., L. préliminaire, t. I, s. II. Il ajoute, « si les termes d’une loi en expriment net-
tement le sens et l’intention, il faut s’y tenir » ; id., L. préliminaire, t. I, s. II, 12.
157
Id., L. préliminaire, t. I, s. II, préambule,
158
Id., L. préliminaire, t. I, s. II, 9.
159
Pour bien entendre le sens d’une loi, il faut en peser tous les termes et le préam-
bule, lorsqu’il y en a un, afin de juger de ses dispositions par ses motifs et par
toute la suite de ce qu’elle ordonne, et ne pas borner son sens à ce qui pourrait
01-Gilles Page 48 Vendredi, 20. février 2009 8:25 08
48 (2009) 43 R.J.T. 1
paraître différent de son intention, ou dans une partie de la loi tronquée, ou dans
le défaut d’une expression. [...] Ainsi, c’est blesser les règles et l’esprit de la loi
entière que de se servir, ou pour juger, ou pour conseiller, d’une partie détachée
d’une loi [...]
Id., L. préliminaire, t. I, s. II, 10.
160
Les lois qui restreignent la liberté naturelle, comme celles qui défendent ce qui
de soi n’est pas illicite, ou qui dérogent autrement au droit commun, les lois qui
établissent les peines des crimes et des délits, ou des peines en matière civile
[...] s’interprètent de sorte qu’on ne les applique pas au-delà de leurs disposi-
tions à des conséquences pour des cas où elles ne s’étendent point.
Id., L. préliminaire, t. I, s. II, 15.
161
Les dispositions d'une loi s'interprètent les unes par les autres en donnant à
chacune le sens qui résulte de l'ensemble et qui lui donne effet.
L.R.Q., chapitre I-16.
162
[...] si les lois où il se trouve quelque doute ou quelque autre difficulté ont quelque
rapport à d’autres lois qui puissent en éclaircir le sens, il faut préférer à toute
autre interprétation celle dont les autres lois donnent l’ouverture.
Id., L. préliminaire, t. I, s. II, 18.
163
Id., 18 et 19
164
F. GENDRON, préc., note 152 ; sur l’utilité de l’ancien droit français et de la doc-
trine issue du Code civil français dans l’évolution du droit civil au Québec, voir
notamment : Adrian POPOVICI, « Repenser le droit civil : un nouveau défi pour la
doctrine québécoise », (1995) 29 R.J.T. 546 ; S. PARENT, préc., note 4, p. 1192 ;
M. MORIN, préc., note 89, 254-336.
10-Revue.book Page 49 Vendredi, 13. février 2009 2:07 14
165
F. GENDRON, préc., note 152, p. 175.
166
Dans sa liste des grands juristes, Philippe Malaurie accorde au jurisconsulte
auvergnat cette qualité aux côtés de Gaius, Justinien, Gratien, Accurse, Bartole,
Cujas, Dumoulin, Grotius, Domat, d’Aguesseau, Pothier, Portalis, Savigny, Aubry
et Rau, Demolombe, Jhering et Planiol. Sur les critères qui justifient cette déno-
mination, voir : Philippe MALAURIE, « Les grands juristes », L’unité du droit. Mélan-
ges en hommage à Roland Drago, Paris, Économica, 1996, p. 79-89. De même,
dans le récent Dictionnaire des grandes œuvres juridiques, les Lois civiles figu-
rent en bonne place, aux côtés de Rawls, Kelsen ou Dworkin, voir : Olivier CAYLA
et Jean-Louis HALPÉRIN, Dictionnaire des grandes œuvres juridiques, Paris, Dalloz,
2008, p. 134-139.
167
Didier Lluelles souligne fort justement l’influence de Domat sur les formula-
tions de l’article 1134 du Code civil français, précurseur des articles 1024 du
Code civil du Bas Canada et 1384 du Code civil du Québec, celui-ci ayant fixé
« l’une des maximes les plus fondamentales en la matière : “les conventions obli-
gent non seulement à ce qui y est exprimé, mais encore à tout ce que demande
la nature de la convention et à toutes les suites que l’équité, les lois et l’usage don-
nent à l’obligation où l’on est entré » : Didier LLUELLES, « Du bon usage de l’usage
comme source de stipulations implicites », (2002) 36 R.J.T. 83, 89.
168
Henri-François D’AGUESSEAU, « Instruction sur l’étude et les exercices qui peu-
vent préparer aux fonctions d’avocat du Roi » , Œuvres de M. le Chancelier
d’Aguesseau, vol. I, Paris, Libraires associés, 1759, p. 391.
169
Id.