De L Egalite Des Races Humaines - Firmin Antenor bpt6k84229v PDF
De L Egalite Des Races Humaines - Firmin Antenor bpt6k84229v PDF
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humaines : anthropologie
positive / par A. Firmin,...
DES
9
RACES HUMAINES
DE L'ÉGALITÉ
DES
RACES HUMAINES
/\k\\ '} ( ANTHROPOLOGIE POSITIVE )
> PAR
~L. FÏT~TMIIST
Membre de la Société d'anthropologie de Paris,'
Ancien sous-Inspecteur des écoles de la circonscription du Cap-Haïtien,
Ancien commissaire de la République d'Haïti à Caracas, etc.
Avocat.
PARIS
PARIS
-J7
LIBRAIRIE COTILLON
F. PICHON, SUCCESSEUR, IMPRIMEUR-ÉDITEUR,
Libraire du Conseil d'État et de la Société de Législation comparée,
24, RUE SOUFFLOT, 24.
t885
1885
Tous droits réservés,
,)
Puisse ce livre être médité et concourir à accé-
lérer le mouvement de régénération que ma race
accomplit sous le ciel bleu et clair des Antilles!
A. FIRMIN.
1
Le hasard entre pour une part notable dans
toutes les choses humaines. En arrivant à Paris, je
fus loin de penser à écrire un livre tel que celui-ci.
Plus spécialement disposé, par ma profession
d'avocat et mes études ordinaires, à m'occuper des
questions relatives aux sciences morales et politi-
ques, je n'avais aucunement l'idée de diriger mon
attention vers une sphère où l'on pourrait me consi-
dérer comme un profane.
La plupart de mes amis croyaient même que
j'aurais profité de mon séjour dans la grande capi-
tale pour suivre les cours de la Faculté de droit,
afin d'obtenir les diplômes de la licence et du doc-
torat. Ce serait certainement un résultat bien di-
gne de mon ambition, n'étaient les exigences de la
scolarité et mes devoirs de famille. Cependant, à
part toute autre raison, j'estime que lorsqu'on n'a
pas eu le bonheur de grandir en Europe, mais qu'on
a consciencieusementtravaillé chez soi pour mériter
le titre que l'on porte, il est inutile de recommencer
la carrière d'étudiant dans une branche de connais-
sances déjà parcourue avec plus ou moins de succès.
Il y a d'autres besoins de l'esprit qui demandent
également à être satisfaits. En y répondant, on
compense largement la privation d'un papier infini-
ment appréciable, mais dont l'absence ne retire rien
au mérite du travail accompli en dehors des univer-
sités européennes.
Voici, d'ailleurs, d'où me vint l'inspiration déci-
sive de cet ouvrage. M. le docteur Auburtin, dont je
ne saurais jamais assez louer le caractère sympa-
thique et libéral, m'ayant plusieurs fois rencontré,
eut l'indulgence de trouver intéressantes les con-
versations que nous avons eues ensemble et me fit
l'offre gracieuse de me proposer au suffrage de la
« Société d'anthropologie de Paris ». Mes études
générales me permettant de profiter immédiatement
des travaux de cette société, où tant d'hommes
éminents se réunissent pour discuter les questions
les plus élevées et les plus intéressantes qu'on
puisse, imaginer, puisqu'il s'agit de l'étude même
de l'homme, j'acceptai avec gratitude cette offre
d'autant plus précieuse qu'elle a été spontanée.
Le patronage de M. Auburtin réussit pleinement.-
Présenté par lui, MM. de Mortillet et Janvier, je'fus
élu membre titulaire dé la savante société, dans sa
séance du 17 juillet de l'année dernière. Je leur
y témoigne ici ma profonde et parfaite reconnais-
sance.
Je n'ai pas à le dissimuler. Mon esprit a toujours
été choqué, en lisant divers ouvrages, de voir
affirmer dogmatiquement l'inégalité des races
humaines et l'infériorité native de la noire. Devenu
membre de la Société d'anthropologie de Paris, la
chose ne devait-elle pas me paraître encore plus
incompréhensible et illogique? Est-il naturel de voir
siéger dans une même société et au même titre des
hommes que la science même qu'on est censé repré-
senter semble déclarer inégaux? J'aurais pu, dès la
fin de l'année dernière, à la reprise de nos travaux,
provoquer au sein de la Société une discussion de
nature à faire la lumière sur la question, à m'édifier
au moins sur les raisons scientifiques qui autorisent
la plupart de mes savants collègues à diviser l'es-
pèce humaine en races supérieures et races infé-
rieures mais ne serais-je pas considéré comme un
intrus? Une prévention malheureuse ne ferait-elle pas
tomber ma demande, préalablement à tout examen?
Le, simple bon sens m'indiquait là-dessus un doute
légitime. Aussi ést-ce alors que je conçus l'idée
d'écrire ce livre que j'ose recommander à la médita-
tion comme à l'indulgence des hommes spéciaux.
Tout ce qu'on pourra y trouver de bon, il faut l'at-
tribuer à l'excellence de la méthode positive que j'ai
essayé d'appliquer à l'anthropologie, en étayant
toutes mes inductions sur des principes déjà re-
connus par les sciences définitivement constituées.
Ainsi faite, l'étude des questions anthropologiques
prend un caractère dont la valeur est incontestable.
Il est certain qu'un tel sujet réclame de longues
et laborieuses études. La précipitation avec laquelle
je l'ai traité doit indubitablement nuire au résultat
? désiré. Mais je n'aurai pas toujours des loisirs invo-
lontaires. Le temps presse et j'ignore si parmi mes
congénères de la race noire, il s'en trouve qui offrent
la somme de bonne volonté et de patience accumu-
lée qu'il a fallu mettre en œuvre pour élaborer,
combiner et présenter les arguments et les recher-
ches de la manière .que je me suis évertué de le
faire.
Ai-je réussi, dans une certaine mesure, à répan-
dre dans mon livre la clarté, la précision,'tous les
attraits qui captivent l'esprit et font le charme des
ouvrages destinés à propager des idées justes,
mais encore contestées et méconnues? Je n'ose trop
y compter. Je n'ai jamais eu une entière confiance
dans mon talent de styliste. De plus, les conditions
morales où je me suis trouvé, en développant la
thèse de l'égalité des races, ont certainement
exercé sur ma pensée une inflùence dépressive,
hautement nuisible à l'élégance et surtout à l'am-
pleur des expressions, qui correspondent toujours à
g la bonne santé de l'esprit, à l'ardeur expansive du
cœur
Par-ci, par-là, quelques incorrections ont dû
m'échapper. Je demande au lecteur son entière bien-
veillance, le priant de considérer les difficultés des
questions que j'ai eu à embrasser et la hâte que les cir-
constances m'ont, pour ainsi dire, imposée. Peut-être
ai-je trop présumé de mes forces. Je l'ai senti
par-
fois. La soif de la vérité et le besoin de la lumière
m'ont seuls soutenu dans le cours de mon travail.
Pourtant, quel que soit le résultat que j'obtienne,
je ne regretterai jamais de m'y être livré, « Dans
cette masse flottante de l'humanité qui tourne sur
elle-même, dit M., Mason, il existe un mouvement
ordonné. Notre petit cercle est une partie d'un grand
cercle et notre esprit est satisfait pour un instant,
en apercevant une vérité nouvelle. La poursuite de
cette vérité fortifie l'intelligence ainsi est produite
la sélection naturelle de l'esprit. Et tandis que les
uns se fatiguent et sont incapables d'aller plus
loin, les autres vont en avant et s'affermissent par
l'effort (1). ».,`
En tout cas, en soutenant la thèse qui fait le fond
de ce volume, j'ai eu essentiellement à coeur de jus-
tifier l'accueil bienveillant de la Société d'anthropo-
logie de Paris. C'est un hommage que je rends
ici à chacun de ses membres, mes honorables col-
lègues. Il m'arrive souvent de contredire la plupart
des anthropologistes et de m'inscrire contre leurs opi-
nions cependant je respecte et honore infiniment
leur haute valeur intellectuelle. Il m'est agréable de
penser qu'en réfléchissant sur tous les points que
so.ulève ma controverse, ils inclineront à réformer
ces opinions, en ce qui concerne les aptitudes de ma
race. Ce n'est pas que je croie avoir excellé dans la
tâche que je me suis imposée; mais à des hommes
instruits et intelligents il suffit d'indiquer un ordre
(ANTHROPOLOGIE POSITIVE )
CHAPITRE PREMIER.
I.
IMPORTANCE DE L'ANTHROPOLOGIE.
Depuis Bacon, dont le traité De augmentatis et digni-
tate scientiarum est un premier essai de systématisation
et dé classification des sciences, l'esprit humain toujours
soucieux de régulariser ses conquêtes, ne cesse de diriger
ses efforts vers une ordonnance logique des différentes
branches de la connaissance, afin d'en former un tout
harmonique, où soient méthodiquement indiqués les de-
grés successifs de cette grande échelle lumineuse qui,
comme dans la vision de Jacob, va de la terre au ciel, et
de ses rayons embrasse l'univers et l'homme, l'espace et la
pensée. La science c'est bien le dieu inconnu auquel l'hu-
manité obéit souvent sans le connaître, et dont le culte
grandit chaque jour, gouvernant les intelligences, subju-
guant les esprits, soumettant les coeurs en dominant la
raison. Les grands ouvriers de l'idée y viennent sacrifier
chacun à son tour. On se dispute à l'envi le privilège de
codifier les grandes lois par lesquelles elle se manifeste.
Bacon après Aristote; après Bacon, l'Encyclopédie,Ben-
tham (1), Ampère (2), Charma (3), Auguste Comte (4),
Herbert Spencer (5), autant d'astres qui brillent sur:la-
voie de l'humanité, ont entrepris cette œuvre d'autant
plus difficile que son exécution suppose un savoir profond,
universel.
Sans nous arrêter à apprécier le résultat plus ou moins
remarquable auquel chacun a abouti, ou à discuter les
principes de hiérarchisationadoptés par les uns et contre-
dits par les autres, disons que dans l'ensembledes branches
qui forment l'arbre de science, l'anthropologie, depuis une
trentaine' d'années, est l'étude qui offre le plus d'attraits
aux esprits chercheurs, désireux de résoudre le'grand
problème de l'origine, de la nature de l'homme et de la
place qu'il occupe dans la création.
II.
LES DÉFINITIONS.
toann
(1) Die-se wir sagen dürfen Grundlage des Menschen
so
macht den Gegenstand der Anthropologie. (Hegel, La pltilosoplaie de
l'Esprit).
(2) Camper, Dissert. sur les variétés natur. de la physionomie dans
les races humaines (1768).
(3) Soemmering, Ueber die JMrpeWtche Ve~°sclaiedenheit des Negers von
EMfopœ)', 178t.
(4) Blumenbach,De generis lzumani varietate nativa.
fisante pour qu'elle fût nettement distinguée des autres
connaissances humaines. Aussi est-ce intentionnellement
que Kant avait adopté la rubrique sous laquelle il exposa
ses idées sur la morale pratique Non-seulement il avait
donné au mot anthropologie une signification et une défi-
nition autres que celles que les savants y ont attachées;
mais en outre il contesta la propriété de ce terme adapté
aux études naturelles de l'homme. « Pour ce qui est, dit-il,
des simples crânes et de leur forme, qui, est la base de leur
figure, par exemple du crâne des nègres, de celui des Kal-
moucs, de celui des Indiens de la mer du Sud, etc., tels
que Camper et surtout Blumenbach les ont décrits, ils
sont plutôt l'objet de la géographie physique que de l'an-
thropologie pratique (1). »
Hegel qui ne fait que présenter les idées du maître sous
une forme nouvelle, passe légèrement sur la question des
races humaines, en s'arrêtant pour le fond à l'opinion de
Kant. « La différence des races, dit-il, est encore une diffé-
rence naturelle, c'est-à-dire une différencequi se rapporte à
l'âme naturelle. Comme telle, celle-ci est en rapport avec
les différences géographiques de la contrée où les hommes
se réunissent en grandes masses (2). »
Mais d'autre part, les savants, sans s'inquiéter des
opinions du grand philosophe, continuèrent à travailler
dans leurs sphères et, avec Blumenbach, persistèrent à
considérer le mot anthropologie comme synonyme d'his-
toire naturelle de l'homme. Cette acception une fois reçue
et consacrée, les naturalistes réclamèrent, comme on de-
vait bien s'y attendre, le privilège exclusif de s'occuper de
la science anthropologique de préférence à tous les autres
savants qui n'y travailleraient qu'à titre de simple tolé-
(1) II ne faut pas croire pourtant que Linné ait voulu méconnaitre la
dignité de l'homme. Dans l'introduction au Systema Naturœ il a écrit
en parlant de l'homme Finis oreationis telluris est gloria Dei ex opere
Naturœ per hominem solum. Expression de visible enthousiasme où
il fait l'homme plus grand que le reste de la création.
(2) Manuel d'histoire naturelle.
(3) Hist.
(3,) ~Mt. Ma~Mfe~ede
naturelle de l'homme.
~'AottMme.
l'ampleur de son esprit devait naturellement conduire à
voir en lui-même un modèle humain placé si loin et telle-
ment au-dessus des singes, adopta la classification de l'é-
minent naturaliste allemand. Quand à cette école vint
s'ajouter le poids et l'autorité de l'opinion de l'immortel
Cuvier (1), dont la haute personnalité domine toute l'his-
toire des sciences naturelles, dans la première moitié de ce
siècle, tout sembla s'incliner dans le sens d'une distinction
ordinale entre l'homme et les autres animaux qui circu-
lent à la surface du globe et au sein de l'océan immense.
Ce qui a frappé les savants qui ont voulu isoler l'espèce
humaine du reste du règne animal, c'est la grande sociabi-
lité de l'homme et le résultat qu'il en acquiert. « L'homme
n'est homme, a écrit Buffon, que parce qu'il a su se réunir
à l'homme (2). »
Ce besoin de la société ne se rencontre avec tout son
développement que dans l'humanité. D'autres animaux,
sans doute, vont par bande et poussent parfois le senti-
ment de la solidarité au point de se sacrifier pour le salut
de leur communauté, en déployant une énergie qui nous
étonne; mais à qui viendra-t-il à l'esprit de comparer ces
mouvements instinctifs et accidentels à la constance rai-
sonnée que met l'homme, même à- travers les luttes les
plus sanglantes, à la constitution de la société ? Une idée
hautement philosophique domine d'ailleurs toutes les au-
tres considérations. Chaque être a ici-bas des conditions
en dehors desquelles il lui est impossible de réaliser sa des-
tinée, c'est-à-dire de développer toute la somme d'apti-
tudes dont il est doué. Or, dans toute l'échelle de la créa-
tion, les individus isolés peuvent se suffire à eux-mêmes,
pourvu qu'ils aient l'énergie suffisante pour lutter contre
..<
III.
DOMAINE DE L'ANTHROPOLOGIE.
(1) Congrès intern. des sciences ethnogr. tenu à Paris en 1878, p. 441*
(2) Ibidem, p. 438.
une branche des sciences cosmologiques, car on la ren-
contre infailliblement, dès qu'on s'occupe de l'étude de
l'univers. C'est ainsi que l'illustre Alexandre de Humboldt
a dû y toucher dans son Kosmos, le traité de cosmologie le
mieux fait qui ait été publié jusqu'ici. Par ainsi, on peut
facilement la différencier de l'ethnologie qui ne s'arrête
pas seulement à la simple description des peuples, mais en
outre les divise en races distinctes, étudie leurs organismes
variés, considère les variétés typiques, telles que les
têtes longues, pointues ou arrondies, les mâchoires sail-
lantes ou droites; les nez aquilins, droits ou camus, etc.;
enfin qui essaye de découvrir s'il n'en résulte pas certaines
influences expliquant les aptitudes diverses dont chaque
groupe humain semble fournir un exemple particulier. En
un mot, l'ethnographie, comme l'indique suffisamment
l'étymologie, est la description des peuples, tandis que
l'ethnologie est l'étude raisonnée de ces mêmes peuples
considérés àu point de vue des races. L'une ne regarde
que les grandes lignes extérieures; l'autre examine les
parties, les mesure, les compare, cherche systématique-
ment à se Tendre compte de chaque détail. Tous les grands
1.
PRINCIPES DE CLASSIFICATION.
Avons-nous suivi l'ordre logique des idées, en passant
en revue les divers essais de classification,avant d'exposer
les principes sur lesquels ils reposent ou sont censés re-
poser Il semble que non. Une méthode scientifique ri-
goureuse voudrait peut-être que l'on se rendît compte des
théories, avant de s'arrêter sur les différentes applications
qu'elles ont reçues, de telle sorte que les faits vinssent
s'adapter à des lois précises et connues, en leur servant de
démonstration. Mais nous avons préféré suivre l'ordre
historique dans lequel s'est développée la science anthro-
pologique. Par ainsi, on pourra étudier ses évolutions,
vérifier ses moyens d'investigation et découvrir un crité-
rium sûr, quand il faudra juger la valeur réelle des con-
clusions qu'on en tire.
Négligeant, pour le quart d'heure, les bases anthropolo-
giques sur lesquelles on s'appuie ordinairement pour étu-
dier les différences typiques que l'on observe dans le
groupe humain, nous aborderons premièrement la ques-
tion plus générale des principes de classification en his-
toire naturelle. C'est le pivot autour duquel tourne
toute la science, présentant ses faces multiples et com-
plexes, sombres ou brillantes, selon le prisme à travers le-
quel on la considère.
Les premiers naturalistes qui abordèrent l'étude des
formes et de l'organisation des êtres vivants ont dû se
trouver en face de difficultés nombreuses. La tâche dut
être encore plus ardue, lorsqu'il a fallu donner à leurs
recherches un caractère scientique,ordonner leurs diverses
observations de telle sorte qu'elles concourussent à pré-
senter un faisceau de notions harmoniques, en dévoilant à
l'esprit une conceptionclaire et logique des choses ainsi que
de l'ordre dans lequel elles doivent être embrassées. L'im-
mortel philosophe de Stagire, en réunissant les maté-
riaux à l'aide desquels il a écrit son Histoire des ani-
maux, a certainement le mérite d'avoir jeté les premières
assises d'une science où se sont rencontrés tant et de si
grands esprits, depuis Dioscoride et Pline jusqu'à Cuvier
et M. de Quatrefages, en passant sur foule d'autres noms
qui font la gloire de l'espèce humaine. Mais si Aristote a
créé l'histoire naturelle, s'il lui a communiquétout l'at-
trait qui en fait la plus noble occupation de, l'intelligence,
il ne lui a pas, du même coup, imprimé ce caractère posi-
tif, systématique, sans lequel les notions les plus précises
perdent leur valeur et se confondent dans un dédale inex-
tricable. Chose étonnante! Tandis que bien des gens
font encore du grand Stagirite un dévôt du sillogisme,
comme s'il ne se serait jamais complu que dans les termes
enchevêtrés de la déduction classique, son Histoire des
animaux, où il a fait une application merveilleuse de la
méthode expérimentale, ne manque son plein effet que
par l'absence d'une généralisation catégorique.
Pline n'y réussit pas mieux. En passant par Conrad
Gesner, Aldovrande, Césalpin et Rondelet, il a fallu que
la science progressât jusqu'au temps de Linné, avant
qu'elle pût enfin offrir ce bel ensemble que l'on admire
aujourd'hui, sous le nom de classification. Sans nous
arrêter à distinguer le système artificiel de Linné de la
méthode naturelle de de Jussieu, tâchons d'esquisser rapi-
dement les grands principes taxonomiques que suit ordi-
nairement le naturaliste dans ses investigations.
Pour obtenir une classification naturelle, on procède
méthodiquement, en réunissant les individus en variété,
les variétés en espèce, les espèces en genre, les genres en
famille, les familles en ordre, les ordres en sous-classe ou
en classa, les classes en embranchement;la réunion des em-
branchements toujours peu nombreux forme un règne. Le
règne est une des grandes divisions de la nature organisée
ou non, comprenant les minéraux, les végétaux et les
animaux. Dans cette première opération, on considère les
groupes d'après leurs similitudes. Elle exige une analyse
exacte des parties et met en œuvre l'induction avec les
procédés logiques qui en dérivent. Bacon, dans son Novum
Organum, recommande de dresser 1» une table de pré-
sence qui fasse constatertous les cas où l'on a conservé un
phénomène- semblable 2° une d'absence qui indique les cas
où le phénomène varie; 3° une autre de comparaison,
qui indique les différentes proportions où le phénomène
s'est montré. Chacun observe d'ailleurs la méthode qui
convient le mieux à son intelligence et à sa manière per-
sonnelle de concevoir les choses.
Ce travail empirique une fois fait, on étudie les
ana-
logies et cherche d'en tirer les lois qui doivent régir les
groupes et leur assigner une place dans les grandes divi-
sions ou les subdivisions de la science. Les principales lois
ou principes considérés comme tels en histoire naturelle,
sont la loi des affinités respectives et celle de la subor-
dination des organes. Ces lois étant intelligemment appli-
quées dans l'étude de chaque groupe ou série de groupes,
on procède à une seconde opération logique, afin d'expo-
ser la classification. On suit cette fois une marche opposée
on descend des divisions les plus générales aux espèces et
variétés, dans les limites du règne dont on s'occupe. On fixe
ensuite la nomenclature qui doit s'adapterà la classification
et en désigner si bien chaque division, que la dénomina-
tion seule réveille dans l'esprit toutes les notions acquises
sur tel ou tel groupe, en aidant efficacement la mémoire.
Bien connaître la nomenclature, c'est déjà posséder la
principale partie de la science.
Nomina si nescis, perit et cognitio rerum.
II.
DÉFINITIONS DE L'ESPÈCE.
Monogénisme et polygénisme.
Ipsius enim et genus sumus. (Acr. Ap.).
T où yip xocl yêvoç £S[/.ev. (Akatim).
I.
et
obliques; tels sont les principaux traits qui donnent à la
« figure éthiopienne un cachet tout à fait spécial (I). »
La description est-elle fidèle? 0 miseras hominum men-
tes, o pectora seca! Cependant quelque laid que le savant
polygéniste ait fait le portrait de
ma race, je ne lui en
veux nullement. Là où d'autres auraient trouvé le motif
assez sérieux d'une colère indignée, je ne vois que le sujet
d'une réflexion tout aussi sérieuse et qui me rappellerait
bien vite à l'humilité, s'il me venait jamais à l'esprit la
fatuité de me croire un savant. C'est que l'éminent pro-
fesseur, ce grand anthropologiste qui a usé toute sa vie à
mesurer des crânes et à disserter sur les types humains,
était, le plus souvent, dans la plus complète ignorance de
ce dont il parlait en maître. Mais combien peu font mieux
que lui, pressés comme ils sont d'établir ces généralisa-
tions orgueilleuses où l'esprit humain trouve parfois son
plus beau titre de grandeur, mais plus constamment
en-
la
core pierre d'achoppement qui en accuse la vanité 1
IL
J_
cause même de leur grand renom scientifique, comme les
« Ami qui m'as fui, ami qui m'as fui, mon dieu,
« En quels lieux vas-tu errant? »
V.
HYBRIDITÉ OU MÉTISSAGE ?
Mais qu'on ne croie pas que la discussion entre le
mo-
nogénisme et le polygénisme prenne fin avec la revue des
caractères anatomiques ou physiologiques qui, aux yeux
des savants, distinguent les races humaines les
unes des
autres. Au contraire, l'école anthropologique qui admet
la pluralité des espèces déclare qu'elle n'attache à
ces ca-
ractères qu'une importanee secondaire. On connaît bien
lemotd'Annibal «Jamais on ne vaincra les Romains
que dans Rome. Eh bien l'intrépide Broca, se confor-
mant au conseil du célèbre capitaine, alla, sur lés traces
de l'américain Morton, attaquer les unitaires dans leur
principal retranchement.
Nous avons déjà mentionné cette ancienne loi physiolo-
gique de l'espèce, en vertu de laquelle on prétend
que la
fécondité continue, de génération en génération, n'a lieu-
qu'entre les individus de la même espèce. Elle été
a accep-
tée par tous les naturalistes de l'école classique
comme une
vérité scientifique et de premier ordre. Les monogénistes,
constatant par l'histoire que partout où les hommes
se
i
sont rencontrés, les races se sont constamment croisées,
à ce point qu'on a droit de se demander s'il existe
encore
des races pures,, ont rattaché à cette loi la doctrine de
l'unité de l'espèce humaine. En effet, sans cette unité spé-
cifique de l'humanité, il serait impossible d'expliquer les
croisements eugénésiques qui ont émaillé la surface du
globe de plus de couleurs humaines qu'il n'y de
a nuances
dans l'arc-en-ciel.
Il fallait donc aux polygénistes faire la
preuve du con-
traire démontrer que les espèces différentes peuvent
pro-
duire entre elles des générations indéfiniment fécondes,
ou bien que les différentes catégories humaines ne don-
nent pas toujours par leur croisement des produits doués
d'une fécondité continue.
Je négligerai intentionnellement la première partie de la
démonstration essayée par Broca. Elle ne
nous intéresse
pas suffisamment,malgré sa haute importance au point de
vue des principes. Il faut aussi déclarer que je ne me suis
pas arrêté spécialement sur les questions de l'hybridité
animale; car je connais trop peu de faits relatifs,
y pour
pouvoir examiner la justesse ou l'insignifiance des
argu-
ments invoqués. Je pense pourtant que, malgré toutes les
raisons alléguées par l'illustre savant, il restera toujours
à ses adversaires une objection capitale. C'est
que le croi-
sement eugénésique des diverses espèces qu'il a étudiées,
a
toujours été provoqué par l'influence de l'homme. Et il faut
encore remarquer qu'on n'a jamais pu obtenir la sécurité
des résultats, puisque aucune de
ces espèces hybrides n'est
jamais devenue assez nombreuse
pour qu'on puisse les
compter autrement que comme des faits de simple curio-
sité. Tout le temps qu'on n'aura
pas encore rencontré des
croisements spontanés et féconds, entre espèces distinctes,
et à l'état sauvage, il semble qu'on doive s'abstenir de
toute conclusion formelle, d'autant plus
que les natura-
listes ne tombent pas d'accord sur la caractéristique même
·
de l'espèce.
La deuxième partie nous offre un ordre de faits infini-
ment intéressants. Il s'agit des phénomènes d'hybridité
dans les groupes humains. Le problème consiste à savoir
si tous les hommes, quelles que soient leurs différences
de couleur, de physionomie ou de civilisation, sont
aptes à produire, en se croisant, des générations indéfini-
ment fécondes. Le Dr Broca, ne pouvant nier complète-
ment un fait en faveur duquel parlent tant de preuves,
a distingué deux cas l'un où le croisement de certaines
• races est eugénésique, l'autre où il ne l'est pas. Le premier
cas, étant conforme à l'opinion générale, ne mérite pas
qu'on s'y attarde. Mais il est curieux de voir les arguments
sur lesquels va s'appuyer le savant, pour établir la réalité
du second. C'est d'une finesse sans exemple.
« Nous examinerons à la fois le dit-il, sous le
rapport de la fécondité et sous le rapport de la validité
physique ou morale, car au point de vue qui nous occupe,
il suffirait que certains métis fussent inférieurs
aux deux
races mères sous le rapport de la longévité, de la vigueur,
de la santé ou de l'intelligence, pour rendre fort probable
que ces deux races ne sont pas de même espèce (1). »
Le programme seul nous indique déjà combien le savant
anthropologiste s'est senti faible, en abordant cette thèse.
C'est pour la première fois qu'il tient compte des qualités
psychologiques, à côté des autres caractères que les natu-
ralistes mettent ordinairement en ligne, pour établir ou vé-
rifier une classification. Avoir jusque-là refusé toute
va-
leur zootaxique àl'intelligence et la morale, puis s'y rabattre
e
dans une question où il règne tant d'incertitudes, ce n'était
pas prendre le chemin le mieux fait pour parvenir à une
VI.
(1) Guill. de Humboldt, Ueber die Kavi Sprache auf der Insel Java.
le plus beau produit de la nature. Quelles que soient, pour-
tant, les transformations que les groupes aient subies
sous des influences diverses, ils gardent tous l'empreinte
primordiale, constitutionnelle de l'espèce, avec cette iden-
tité de la conception humaine qui en est la traduction
intellectuelle et morale. « L'unité de l'intelligence est la
dernière et définitive preuve de I'unité HUMAINE, a écrit
Flourens (1). »
Conclure à l'unité de l'espèce, c'est donc, par une large
compréhensionde l'esprit, dominer toutes les fausses sug-
gestions que la diversité des races humaines pourrait pro-
duire à l'intelligence,pour ne voir que le caractèreessentiel
qui fait de tous les hommes une réunion d'êtres capables
de se comprendre, de confondre leurs destinées dans une
destinée commune. Cette destinée est la civilisation, c'est-
à-dire le plus haut perfectionnement physique, moral et
intellectuel de l'espèce. Jamais une source de sentiments
fraternels ne sera plus vive et plus salutaire entre les races
et les peuples que l'idée ainsi comprise de l'unité de l'es-
pèce humaine.
C'est la conviction intime, innée de cette unité qui rend
l'homme sacré à l'homme, sans qu'on soit obligé de recou-
rir à des notions de morale spéculative, vagues, irrégu-
lières, incohérentes, changeant de critérium, selon les
temps et les milieux. Nous la tenons provisoirement com-
me une de ces vérités primordiales, qui servent de postu-
lat à tous les principes sociaux. C'est elle qui doit leur im-
primer cette haute direction dont l'influence tend visible-
ment à aplanir toutes les compétitions nationales, toutes
les luttes intestines.
Mais suffit-il de reconnaître l'unité de l'espèce pour que
soit résolu, directement ou indirectement, le problème
1.
COMPARAISONS CRANIOLOGIQUES.
Il faut commencer par la craniologie. On sait que ce
nom fut créé par le célèbre docteur Gall pour désigner la
doctrine physiologique par laquelle il croyait prouver que
l'on peut découvrir toutes les facultés affectives, morales
ou intellectives d'un homme, rien qu'en étudiant les pro-
tubérances de la boîte cranienne appelées vulgairement
bosses. Quelles que soient les analogies
que l'on puisse
trouver entre cette doctrine et les opérations pratiques
atiques
n9
auxquelles se livrent les anthropologistes;, dans l'étude
des crânes, il y a une différence notoire et qu'il faut cer-
tainement reconnaître entre les deux catégories d'inves-
tigation.
Gall et son intelligent disciple, Spurzheim, en étudiant le
crâne humain, ne recherchaient aucunement les caractères
ethnologiques qui séparent tel groupe d'hommes des autres
groupes plus ou moins divergents. Il?> considéraient toutes
les races comme douées des mêmes facultés et ne s'occu-
paient que des différences individuelles. C'était une espèce
de philosophie empirique, où les diverses manifestations
de l'esprit étaient censées s'observer matériellement, par
les empreintes qu'elles laissent sur les parties distinctes
du crâne, considérées comme leurs sièges respectifs. Spur-
zheim, comprenant que la science devait être désignée
plutôt par son but que par le moyen employé pour y par-
venir, changea le nom de la fameuse doctrine qui, au lieu
de craniologie ou cranioscopie, se nomme plus spéciale-
ment phrénologie.
Les anthropologistes, en étudiant la forme et le volume
du crâne, cherchent surtout à découvrir les différences qui
existent entre les races humaines, après avoir assigné
arbitrairement à chaque race une certaine forme ou une
certaine capacité craniennes spéciales. Plus tard, il est
vrai, on js' appuiera sur ces mêmes spécialisations pour
proclamer que telle race est inférieure ou supérieure à telle
autre mais cette conclusion, sans avoir plus de poids
que celle des phrénologistes, ne sera pas moins revêtue
d'un semblant scientifique. Tous ceux qui n'auront pas
fait de ces questions une étude approfondie, seront tentés
de croire que des inductions tirées d'une méthode aussi
compliquée, aussi savante que celle des anthropologistes,
ne sauraient être que l'expression de la vérité. Aussi est-il
bon d'en examiner le mérite.
La première application de la craniologie à l'étude des
races humaines a été faite par le naturaliste Daubenton.
Après lui vinrent Camper, Blumenbach et Sœmmering.
Nous parlerons tout d'abord du procédé de Blumenbach,
conservé dans la science sous le nom de méthode de la
norma verticalis.
Pour étudier les crânes suivant cette méthode fort in-
génieuse, on les range à ses pieds sur une surface plane et «
horizontale, en les faisant reposer sur la mâchoire infé-
rieure, de manière que les arcades zigomatiques se trou-
vent sur une même ligne. En les regardant de haut en
bas, on considère successivement la longueur de la voûte
cranienne, sa largeur ou son étroitesse relative, la saillie
du front, enfin la forme générale de la boite osseuse. Selon
que les os malaires dépassent plus ou moins la ligne verti-
cale prolongée du bord latéral du crâne au plan de la base,
l'anthropologiste classe ce crâne parmi les races noires
ou dans les races jaunes ou blanches. On a nommé plus
tard cryptoziges les crânes dont les arcades zigomatiques,
considérées d'après cette méthode, sont cachées par la
projection relative des tempes et phénoziges, ceux dont
ces arcades sont visibles dans les mêmes conditions. Il est
inutile de mentionner toutes les discussions qui ont eu
lieu pour la fixation du plan dans lequel le crâne se trouve
réellement placé sur sa base.
« Cet aspect de la tête, qu'on me permettra de nommer
norma verticalis, dit le grand naturaliste de Gœttingue,
permet de saisir d'ensemble et nettement les principaux
traits caractéristiques des crânes des différentes races, tant
ceux qui dépendent de la direction des mâchoires et de
celle des os malaires, que ceux qui ressortent de la lar-
geur ou de l'étroitesse de la voûte cranienne, de l'aplatis-
sement ou de la saillie du front. »
En comparant, suivant cette méthode, des têtes éthjo-
piques, mongoliques et caucasiques, il croyait faire les
remarques suivantes
Le crâne de la race éthiopique, étroit et déprimé aux
tempes, montrerait à découvert les arcades zigomatiques;
le front en serait assez saillant, mais dépassé par la proé-
minence des os malaires et la projection de l'arcade den-
taire supérieure, à partir de la racine du nez. Chez le
• Mongol, le crâne serait un peu moins étroit que chez
l'homme noir et aplati au-dessus des orbites; les arcades
zigomatiques très écartées, l'arcade dentaire moins pro-
jetée en avant, mais plus large. Pour le Caucasien, la
voûte cranienne serait généralement élargie, le front large
aussi présenterait une courbe très proéminente, les pom-
mettes et les arcades seraient dissimulées par les tempes,
enfin le bord alvéolaire de la mâchoire supérieure serait à
peine visible.
On a aussi nommé prognathe, la face projetée en avant
du Noir ainsi caractérisé eurignathe, la face élargie du
Mongol et orthognathe, la face droite et régulière du
S Caucasien.
~i Cette méthode, qui est d'une application très facile,
permet d'éudier un crâne sans aucun instrument et
r sans qu'on soit astreint à aucun calcul. Il suffit de la
justesse du coup d'œil. Aussi les anthropologistes, qui
( ont l'ambition de faire de leur science une citadelle hé--
rissée de défenses inaccessibles aux profanes,,en font-
ils peu de cas. Sans doute, le résultat auquel on parvient
en l'employant n'a aucune importance doctrinale et ri-
goureuse dans l'étude des divers types de l'humanité,
mais les autres procédés, malgré leurs difficultés exagé-
rées et leur appareil imposant, offrent-ils rien de meilleur?
Les inventeurs mêmes de tous ces procédés dont on parle
si haut, après des dissertationsinterminables, ne finissent-
ils pas toujours par en reconnaître l'inanité ou l'insuffi-
sance? Mais telle est leur logique, qu'après avoir reconnu
que cinq procédés, appliqués l'un après l'autre, ne don-
nent que des résultats contradictoires, non-seulement
dans un même groupe, mais le plus souvent sur le même
individu, ils affirment néanmoins que c'est de l'ensemble
de ces mêmes procédés que doit sortir la vérité que l'on
cherche.
Citons encore une autre méthode beaucoup plus ré-
pandue que celle de Blumenbach. C'est l'angle facial de
Camper. <t Le caractère sur lequel repose la distinction des
nations, dit l'auteur, peut être rendu sensible aux yeux, au
moyen de deux lignes droites, l'une menée du conduit au-
ditif à la base du nez, l'autre tangente, en haut, à la racine
du front et, en bas, à la partie la plus proéminente de la
mâchoire supérieure. L'angle qui résulte de la rencontre
de ces deux lignes, la tête étant vue de profil, constitue,
on peut dire, le caractère distinctif des crânes, non seule-
ment quand on compare entre elles plusieurs espèces d'a-
nimaux, mais aussi quand on considère les diverses races
humaines. »
Par cette méthode. Camper croyait pouvoir conclure que
la tête du Noir africain, ainsi que celle du Kalmouk, pré-
sente un angle de 70 degrés, tandis que celle de l'Euro-
péen en offre un de 80. e C'est de cette différence de
dix degrés, dit-il, que dépend la beauté plus grande de
l'Européen, ce qu'on peut appeler sa beauté comparative;
quanta cette beauté absolue qui nous frappe à un si haut
degré dans quelques œuvres de la statuaire antique
(comme dans la tête de l'Apollon et dans la Méduse de
Soriclès) elle résulte d'une' ouverture encore plus grande
de l'angle qui, dans ce cas, atteint jusqu'à 100 degrés. »
On a émis diverses opinions sur ce procédé comme sur
celui de Blumenbach. Des modifications de détails y ont
été appliquées par Owen, Bérard, Jacquart, M. Topinard
et beaucoup d'autres savants qu'on peut se dispenser de
nommer.
Pour compléter la liste des méthodes dont la vulgari-
sation est très étendue, il faut encore mentionner la théo-
rie de Retzius, qui divisait les races en dolichocéphales et
brachycéphales, selon la longueur relative du diamètre
antéro-postérieurde leurs crânes comparée à celle du dia-
mètre transversal.Le diamètre longitudinal se mesure d'or-
dinàire en droite ligne, de la saillie de la glabelle point
au
le plus reculé de l'écaille occipitale le diamètre transver-
sal coupe perpendiculairement cette ligne à l'endroit de la
plus grande largeur du crâne, quel que soit le point où il
tombe, pourvu qu'on ne descende pas jusqu'à la saillie
sus-mastoïdienne, développée parfois avec exagération
dans certaines races, telles que les Esthoniens.
La division dichotomique de Retzius fut trouvée insuf-
fisante pour la classification de toutes les
races humaines.
Thurnam (1), Welcker (2), Huxley (3) et Broca (4) l'ont
tour à tour remaniée. Ce dernier en a tiré cinq divisions, à
savoir la bràchicéphalie, la sous-brachycéphalie,la mé-
saticéphalie, la sous-dolichocéphalie et la dolichocéphalie.
La longueur du diamètre transversal, multipliée
par 100
et divisée par le diamètre longitudinal, donne ce qu'on est
convenu d'appeler l'indice céphalique. Soit un crâne dont
le diamètre antéro-postérieur serait au diamètre transver-
sal comme 9 est à 7, son indice céphalique (7 100 9)
rait de. 77,77.
x se-
·
Après ces mesures, dont la base est purement géométri-
que, il faut mentionner la jauge ou le cubage des crânes.
Sur l'affirmation de Sœmmering, déclarant
que le crâne
(1) Mémoirs read before the anthropologicalSociety of London.
(2) Ueber Wachstum und Bau des menschlichen Shœdels.
(3) Prehistorio remains of Caithness.
(4) Mémoires d'anthr., t. IV, p. 229.
du blanc était plus grand que celui du noir, Saumarez sui-
vant Broca (1), essaya le premier de jauger les crânes en
les remplissant d'eau. Ce premier moyen fut considéré
comme incorrect. W. Hamilton essaya le jaugeage par le
sable fin, sec et homogène. Tiedemann y substitua le mil;
enfin, on y a employé les grains de moutarde blanche, le
mercure, le plomb de chasse, la graine de lin, etc.
Pas plus que les mesures angulaires, l'opération du jau-
geage n'offre de résultat sérieux. « Faites cuber le même
crâne suivant le même procédé par deux personnes succes-
sives, dit Broca; et vous pouvez obtenir ainsi des différences
de plus de 50 centimètres cubes. Enfin ce qui est pis
encore,
faites cuber plusieurs fois de suite le même crâne par la
même personne et vous pourrez encore obtenir des diffé-
rences presque aussi grandes que dans le cas précédent(2).
II n'est pas nécessaire de continuer l'exposition théorique
des différents procédés craniométriques employés simulta-
nément ou isolément dans les investigations anthropolo-
giques. Il faudrait pour cela entrer dans des détails
que ne
comporte pas le caractère de cet ouvrage. Il suffit de savoir
que les méthodes adoptées comme les meilleures par les
uns sont discutées et souvent repoussées par les autres,
soit dans leur portée scientifique, soit dans les applications
qui en sont faites. Chacun trouve des arguments tout
aussi
valables et pour l'attaque et pour la défense. L'école
an-
thropologique allemande n'est pas toujours d'accord
avec
l'école française ou américaine. Les partisans d'une même
école sont encore moins disposés à s'entendre.
Nous n'avons jusqu'ici parlé, en fait d'essais anthropo-
métriques, que de la craniométrie, parce que c'est l'étude
qui défraye la meilleure partie de toutes les discussions;
88
69
Auvergnats.
Bretons-Gallots.
Hommes
1598cc
Femmes
1445~
63 Bas-Bretons. 1599
1564
1426
1366
124 Parisiens contemporains. ;l558 1337
20 Guanches.
18 Caverne de l'Homme-Mort. 1606~Ç 1507ce
Corses.
1557 1353
espagnols.
60 Basques 1574 1356
28
Mérovingiens. 1552 1367
84
22
12
Chinois.
Esquimaux.
1504
1518
1539
1361
1383
1428
54 Nëo-Calédoniens. 1460 1330
l'Afrique occidentale. 1430
7 Tasmaniens.
85 Nègres de
Australiens. 1452
1251
1201
18
21 Nubiens. 1347
1329
Ces chiffres cités par M. Topinard ont été empruntés
118î
1298
38
18
Européens.
des sexes.
Mongols. 1534cc
1421
79 Nègres d'Afrique 1364
10 Nègres d'Océanie 1234
152
25 Mexicains.
Péruviens
autres.
164 Américains
1339
1339
1234
M. Barnard Davis verse dans le crâne qu'il a préala-
blement pesé vide, du sable fin bien desséché et il pèse de
nouveau. Voici ses résultats, après la conversion faite de
l'once avoir du poids anglais en centimètres cubes fran-
çais
146
Saxons.
Anciens Bretons
3~~Anglo-Saxons
39
1524cc
1412
1488
18 Suédois.
31 Irlandais
Lapons.
Néerlandais.
1472~
1500
23
9
21 Chinois.
Kanakes.
1496
1440
1452
116
7 Maoris.
27 Iles Marquises
Dahomey.
12 Nègres
Néo-Hébrides
1470
1452
1446
1452
9,
15 Australiens 1432
1295
(
17
Cafres
18 Hottentots et Boschimans
8
15 Bengalais
85 Nègres d'Afrique occidentale.
71.93
72.42
72.54
73.30
73.40
6 Français. Époque de la pierre taillée, (3 du
Cro-Magnon, 3 du diluvium de Paris). 73.34
19 Français méridionaux. 'Époque de la
s
Lozère).
pierre polie (Caverne de l'Homme-Mort,
7,322
15 'Arabes
Kabyles
22 Nubiens de l'ile
11
d'Éléphantine 73.72
74.06
74.63
(1)
pierre polie
2° Sous-dolichocéphales.
54 Français septentrionaux. Epoque de la
20Guanches.
28 Corses d'Avapessa (XVIIIe siècle)
Egyptiens
81 Anciens
75.35
75.53
75.58
32 Polynésiens 75.68
9Tasmaniens 76.01
6 Slaves du Danube 76.18
Chinois.
81 Français (Mérovingiens) 76.36
12 Egyptiens modernes (Coptes) 76.39
21 76.69
11 Malgaches 76.89
15 Français (Gaulois de l'âge de fer). 76.93
60 Basques espagnols (Zaraus) 77.62
3° Mese~c~p~o~es.
Roumains.
25 Mexicains (non déformés). 78.12
5 78.31
22 Gallo-Romains.
53 Normands du XVIIIe siècle (ossuaire de
78.55
(Orouy).
16 France septentrionale. Age du bronze
Sous-brachycéphales.
40
57
4 Esthoniens.
Basquesfrançais (Saint-Jean-de-Luz)..
11 Turcs.
11 Mongols etc.)
divers (Tartares,
11 Alsace et Lorraine.
17 Russes divers (Russie 82.81
82.93
10
5 Finnois
Indo-Chinois. 5° Brachycéphales.
83.51
§3.69
Lapons
88 Auvergnats (ossuaire de Saint-Nantaire).
6 Bavarois et Souabes
84.07
84.87
de.
10 85.63
déformés)
12 Syriens de Gebel-Cheikh. (légèrement
125
Esquimaux.
Parisiens siècle).
(XI Xe
71.5
72.2
72.6
71.7
13
88 Auvergnats.
d'Afrique.
85 Nègres
72.8
73.6
'73.4
73.8
Chinois.
73.4 73.5
54 Néo-Calédoniens. 73.7 74.6
27 77.2 76.8
18 Caverne de l'Homme-Mort 68.9 73.0
13
80
88
Nègres
Esquimaux.
Voyons donc la mesure de l'indice facial prise par Broca.
Auvergnats.
69 Bretons-Gallots
73.4
68.6
68.5
67.9
Néo-Calédoniens
49
125 Parisiens.. 66.2
65.9
12
8 Tasmaniens
Australiens 65.6
62.0
(1) Pre. que tous les instruments ingénieux dus à l'imagination in-
ventive ces anthropologistes français ont été fabriqués
maison. par cette
base philosophique du crâne cérébral, comme la corde
de la courbe que décrivent les corps des trois vertèbres
crâniennes, comtne l'axe autour duquel évoluent d'une
part le crâne, de l'autre la face (l). »
Juifs.
En voici les chifires
Mil).
3 Papous 96
'13 Malais de Bugi, 2 Lapons, 3 Brésiliens. 97
6 98
30
Hottentots.
2 Hongrois, 5 Tsiganes, 6 Malais de Madura,
2
Allemands, 12 Russes, 5 Cosaques, 5 Tarta-
99
Cafres.
103
3
11
2
Esquimaux
Australiens, 3 anciens 104
106
107
g
16Hottentots.
8Tasmaniens. 53.38
56.92
Indice nasal.
J
j
83 d'Afrique.
Nubiens.
Nègres 54.78
g
1
14Australiens.
22 55.i?
53.39
t
66
29 Javanais.
Neo-Calédoniens.
Lapons.
53.06
51.47
<V
'â
11
41 Péruviens.
Polynésiens.
50.29
50.23
"ê
go
26
11
27
Mongols.
Chinois.
49.25
48.68
48.53
modernes.
N
'a
122
français.
Parisiens
53 Basques
espagnols.
53 Basques
46.81
46.80
.¡
17 Guanches.
14 Esquimaux.
44.71
44.25
42.33
Assurément, dès qu'on jette un premier coup d'œil sur
ce tableau, il semble en sortir une déduction imposante.
Tous les peuples de la race noire se trouvent parmi les
platyrrhiniens; tous les types de la race jaune ou ma-
layo-américaine, excepté les Esquimaux, sont parmi les
mésorrhiniens tous ceux qu'on regarde comme les repré-
sentants de la race blanche, parmi les leptorrhiniens. C'est
pour la première fois qu'un procédé craniométrique offre
un tel accord avec les théories anthropologiques; et c'est
justement à l'égard de ce procédé que le grand maître de la
science recommande le plus de prudence, le plus de mé-
fiance Le fait est curieux entre tous et mérite d'être étudié.
L'heure est peut-être venue de dénoncer l'application fal-
lacieuse de la méthode des moyennes,
que les anthropolo-
gistes placent si haut, parmi les moyens d'investigation
mis à la disposition de la science. C'est
par un abus
contraire à tous les principes de l'histoire naturelle que
l'on prend ainsi une constatation idéale, arbitraire
pour
en inférer des lois naturelles, dont le caractère essentiel
consiste surtout dans la précision et la régularité.
Avec la théorie des moyennes, l'expérimenteur qui dis-
pose d'un grand nombre de crânes trouve facilement une
façon de leur faire dire ce qu'il veut. Il n'y a qu'à choisir
ses types dans le tas, écartant les maximums ou les mini-
mums suivant les convenancesde la thèse à soutenir. Je ne
prétends pas mettre en doute l'intégrité des savants qui
opèrent sur ces moyennes; mais ils sont des hommes et
l'on sait combien peu on hésite, lorsqu'il s'agit de forcer
un fait à concourir à la démonstration d'un système que
l'on défend. Il y a dans le tableau original de Broca, d'où
M. Topinard a extrait les chiffres que
nous venons de
voir, un exemple ou plutôt un trait de lumière qui
nous
aidera merveilleusement à expliquer le cas en question.
Les moyennes y sont accompagnées des minima et des
maxima.
Ainsi la race la plus platyrrhinienne du tableau, les
Hottentots, possède, un minimum d'indice nasal de 47 A7
qui entre dans la catégorie des mésorrhiniens; tandis
que
les Guanches, dont l'indice nasal est le plus petit, offrent
parfois des maxima qui tombent dans la catégorie des
mésorrhiniens. Mais qu'en sera-t-il si on -épète la même
comparaison entre les noirs de l'Afrique et les Parisiens
modernes. Le minimum trouvé pour les premiers descend
jusqu'à 43.13, qui est au-delà même des moyennes repré-
sentées par les Guanches, parmi les plus purs leptorrhi-
niens tandis que le maximum des derniers monte à 53.33,
qui est la moyenne des Hottentots! Avec de telles oscilla-
tions comment veut-on que l'indice nasal ait aucune portée
scientifique, aucune valeur zootaxique? Nous savons bien
que, exceptis excipiendis, la race noire offre beaucoup
plus souvent que la race blanche ce nez aplati et élargi à
0
ü
AUTRES BASES ANTHROPOMÉTRIQUES.
Maintenant que nous avons vu tout ce que la craniomé-
trie peut offrir de ressources dans les recherches compara-
tives sur les caractères respectifs des races humaines;
maintenant que nous avons constaté L'impuissance des
anthropologistes à tirer de ces procédés si compliqués
la moindre règle qui ait une précision suffisante pour nous
guider dans la distinction des groupes ethniques, nous
pouvons passer à l'examen des autres procédés anthropo-
métriques qui ont aussi fait l'objet de très savantes études.
Cet examen sera si rapide qu'on doit plutôt le considérer
comme un simple coup d'œil. A quoi bon d'ailleurs s'ap-
pesantir sur des faits d'où l'on ne peut tirer aucune
lumière, aucun indice de la vérité!
La perforation de la cavité olécranienne de l'humérus,
dont on a voulu faire une particularité ethnique, après l'a-
voir observée pour la première fois sur des squelettes de
Hottentots, est complètement négligée. On l'a rencontrée
dans toutes les races et dans des proportions remarqua-
bles parmi les anciennes populations de la France. C'est
au point que sur 47 montagnards de l'Ain du Ve siècle, le
phénomène se vérifie dans une proportion de près de 28
pour cent.
La platycnémie (jambe en lame de sabre), qui résulte
peut-être de l'aplatissement latéral du tibia, n'est pas
\plus particulière à telle race qu'à telle autre. De même
que la perforation olécranienne de l'humérus, elle semble
se produire dans une certaine phase de développementde
chaque race. Il faudrait alors la considérer plutôt comme
un de ces signes anthropogéniques qui prouvent que toutes
les races subissent une même évolution, tant dans l'ordre
physique que dans l'ordre intellectuel et moral. C'est une
question importante que nous aurons à étudier.
Un point des plus intéressants dans les différentes com-
paraisons que l'on a faites des squelettes humains de
races diverses, c'est la proportion des membres supérieurs
et des membres inférieurs. Des mensurations incertaines,
exécutées avec plus ou moins de soins, avaient décidé cer-
tains anatomistes ou anthropologistes à déclarer que l'a-
vant-bras de l'homme noir, comparé au bras, est plus long
que celui de l'Européen. Depuis cette découverte ingé-
nieuse, on s'est efforcé, par toutes sortes de procédés, à
inventerdes mesures précises, afin de fixer l'exactitude de
ce fait. Mais la plus grande confusion règne dans les chif-
fres. Un savant sérieux ne saurait y voir que l'une de
ces fantaisies dont parle M. de Rosny. Le but de ceux qui
soutiennent ou ont soutenu ces paradoxes est surtout de
démontrer qu'il existe un rapprochement plus ou moins
valable entre l'Africain et le singe. White, Humphry et
Broca n'en ont point fait mystère. Cependant, il .y a bien
lieu de croire qu'en déduisant une telle conséquence de ce
caractère supposé ou même positif et inconstabl ils
avaientcomplètementoublié toutes les autres constatations
de l'anatomie comparée, pour ne s'arrêter qu'à un détail qui
s'adapte plus particulièrement à leur doctrine scientifique.
e Le plus évident jusqu'ici, dit le professeur Topinard, c'est
que les proportions de l'homme ne se rapprochent ou ne
s'éloignent pas^de celles de l'anthropoïde par toutes les par-
ties du squelette à la fois, mais tantôt par l'une, tantôt par
l'autre, sans qu'il y ait de règle à établir, de prévision pos-
sible. Rien n'est plus opposé à la théorie monogéniste
d'une gradation hiérarchique des races et plus conforme
au contraire à celle des formations parallèles. Un type est
supérieur par un point et inférieur par un autre. 11 en est
de même dans la famille des anthropoïdes, il y a diver-
gence de proportions entre leurs genres et leurs espèces
comme entre les races humaines (1). »
Avant et au-dessus des conséquences qu'on a voulu
déduire de la différence proportionnelle des membres infé-
rieurs et supérieurs de l'Africain, comparés à ceux de
l'Européen, il faut mentionner celles qu'on' a inférées de
la conformation du bassin dans les divers groupes de
l'espèce humaine. En mesurant les dimensions du bassin,
au point de vue de l'anatomie comparée, on a observé que
sous ce rapport les animaux offrent une différence notable
avec l'homme.
Tandis que parmi tous les mammifères la longueur du
bassin l'emporte sur sa largeur, c'est le fait tout contraire
qui se manifeste dans notre espèce. Cependant les Chim-
panzés tiennent à peu près le juste milieu, ayant les deux
diamètres de la cavité pelvienne presque égaux; le gorille
et l'orang, inférieurs au chimpanzé sous d'autres rap-
ports, se rapprochent encore plus de l'homme sous ce-
lui-là. On pensa bientôt à y établir une différenciation
entre les noirs et les blancs. Camper et Sœmmering dé-
clarèrent que le bassin du noir est en général plus étrpit
que celui de l'Européen. Cuvier confirma leur opinion en
affirmant que, sous ce rapport, la Vénus hottentote' pré-
sentait des caractères patents d'infériorité. Weber et
Vrolick, sans être aussi tranchants dans leurs déductions,
avancèrent également le même fait. Suivant le premier,
les principalesformes du bassin se réduisent à quatre et
se rencontrent dans toutes les races humaines; mais la
III.
LA CHEVELURE ET LA COLORATION DE LA PEAU.
V.
I.
II.
BASES GÉNÉRALES DE LA HIÉRARCHISATION.
III.
MESURES CRANIENNES.
Pour se faire une idée des aptitudes intellectuelles d'un
individu que l'on rencontre pour la première fois,
on
n'examine pas tous les détails de sa face, dont l'ensemble
compose la physionomieet doit indiquer, suivant certaines
gens, ses inclinations générales. On s'occupe plus parti-
culièrementdu développement de son front, et de la forme
générale de sa boîte cranienne. Cela se fait instinctivement,
comme si l'on pouvait lire dans ces protubérances, dans
ces dépressions et dans ces courbes tantôt larges, tantôt
étroites que présente la tête osseuse, les traces indélébiles
des manifestations du cerveau. Chose curieuse Des
per-
sonnes qui n'ont aucune idée de l'anthropologie, des gens
illettrés même ont constamment cherché et cru trouver
dans les formes de la tête le plus sûr indice de l'intelli-
gence. La science n'a donc fait que suivre cet accord uni-
versel, en admettant, après des raisonnements plus
ou
moins probants, l'opinion aprioristique du vulgaire.
Les anthropologistes, se conformant à l'idée commune,
ont imaginé plusieurs méthodes pour mesurer la capacité
cranienne. La première en date est peut-être le cubage,
dont j'ai déjà parlé et qui, selon moi, vaut bien les autres. Il
est inutile de revenir sur les réflexions que j'y ai faites et
j'aime mieux renvoyer le lecteur à la page 138 de cet
ou-
vrage, où l'on constateracombien sont vagues et peu concor-
dants les résultats que les anthropologistes en ont obtenus.
Cependant, à côté de ces incertitudes, il est bon
que
l'on remarque l'opinion du savant naturaliste Tiedemann.
Au lieu d'opérer comme Broca, c'est-à-dire de procéder à
une double opération de jaugeage et de cubage, l'éminent
professeur de Heidelberg se contentait du jaugeage, en se
servant de grains de mil, qu'il entassait dans le crâne
par des procédés invariables (1). a D'après les recherches
de Tiedemann, dit César Cantu, le cerveau ordinaire d'un
Européen adulte pèse de 3 livres 3 onces à 4 livres 11 onces
(gr. 1212,50 à 1834,55); celui d'une femme de 4 à 8 onces
de moins. A la naissance de l'homme, blanc ou noir, son
cerveau pèse le sixième de son corps; à deux ans le quin-
zième, à trois ans le dix-huitième, à quinze ans le vingt-
quatrième, enfin entre les vingt et les soixante-dix ans,
d'un trente-cinquième à un quarante-cinquième.L'illustre
savant en déduit que la prééminenceactuelle du blanc sur
le nègre ne tient à aucune supériorité congénitale de l'in-
télligence, mais à la seule éducation (2).
En citant les paroles du grand historien, nous nous ap-
puyons sur deux autorités, au lieu d'une; car il partage
sans réserve les idées de Tiedemann. Toutes les fois qu'on
rencontre ces hommes vraiment supérieurs, qui n'ont pas
craint de diminuer leur mérite en proclamant des vérités
qu'un sot orgueil falsifie dans la bouche de tant d'autres,
on sent le besoin de saluer en eux les vrais représentants
de la science et de la philosophie. En supposant même que
les moyens d'investigation de Tiedemann ne fussent pas
exempts de critique, comme l'a affirmé Broca, dont les
théories anthropologistes sont absolument contredites par
l'opinion consciencieuse du savant allemand, l'avenirpreu-
vera de plus en plus que la raison était du côté de celui-ci.
M. Paolo Mantegazza (3), marchant sans doute sur les
(1) Das Hirn des Negers mit dem des Europilers und Orang-Outangs
vergleichen.
(2)César Cantu, Histoire universelle.
(3)Dei caratteri gerarchia del cranio umano in Arch. dell antrop.
e la etnol. Florence, 1875.
traces de Broca, a cru trouver un caractère de distinction
hiérarchique entre les races humaines dans les diverses
dimensions de la cavité orbitaire. Après différentes
men-
surations et comparaisons faites sur des crânes humains
et des crânes de singes anthropomorphes, reposant d'ail-
leurs sur des données aussi arbitraires
que celles dont tous
les anthropologistes nous fournissent le fréquent exemple,
le savant professeur de Florence formulé
a une proposition
assez bizarre. A son avis, la capacité orbitaire serait d'au-
tant plus petite relativement à la capacité cérébrale,
que
la place hiérarchique est moins élevée dans la série
orga-
nique. » Je ne nie aucunement la sagacité de M. Mante-
gazza, dont les qualités d'observateur éminent sont bien
connues dans le monde savant. Mais ne pourrait-on pas
se demander, en considérant la topographie ostéologique
du crâne, quel rapport sérieux il peut avoir entre la
y ca-
pacité de l'orbite et le fonctionnement du cerveau? Mal-
gré toute la bonne volonté que l'on puisse mettre à
accepter ces méthodes de généralisation hâtive, à l'aide
desquelles on prétend tirer des sciences naturelles beau-
coup plus qu'elles ne peuvent donner, on ne saurait rien
trouver ici qui justifie une telle hypothèse. Peut-être le
savant anthropologiste florentin y voyait-il un
cas de su-
bordination des caractères, principe
un peu vague, mais
assez commode pour établir des théories plus
ou moins
rationnelles. Mais alors il n'a pu arriver à
une telle dé-
duction que par l'étude de faits nombreux,
constants,
concourant harmoniquement à la consécration de son hy-
pothèse. Or, tous les faits viennent
en prouver l'inconsis-
tance avec une profusion vraiment désespérante. En étu-
diant la capacité orbitaire des diverses
races humaines, on
ne trouve aucun résultat qui confirme la hiérarchie
posée par M. Mantegazza. Pour s'en convaincre, il
sup-
suffit de
revoir les groupements qui figurent dans le tableau qu'en
a transcrit M. Topinard
00
et que nous avons vu précé-
demment (1).
Il faut donc passer à d'autres procédés.
Il existe une méthode de mensuration extérieure du
crâne, fort simple et dont on se sert pour avoir la cir-
en
conférence horizontale. On l'exécute à l'aide d'un ruban
qu'on a soin de graduer auparavant.La plupart des anthro-
pologistes prennent cette mesure, en partant du point
orbitaire et en contournant la tête jusqu'à la plus sus-
grande
saillie occipitale, d'où ils reviennent au point de départ en
continuantpar le côté opposé (2). Mais M. Welcker pensé
a
qu'il vaut mieux opérer en faisant passer le ruban
par les
bosses frontales, bien au-dessus de l'arcade sourcilière,
en parcourant la circonférence entière. Je crois que le
mode d'opérer du savant anthropologiste allemand est de
beaucoup le meilleur; car dans tous les crânes d'un'beau
développement, il y a toujours une augmentation
assez
sensible du diamètre antéro-postérieur, vers la région des
protubérances appelées vulgairement bosses frontales.
e Mesurée de cette façon, dit M. Topinard, et par le pro-
cédé ordinaire, la différence était de trois millimètres
en
moins par le procédé de Welcker chez 25 Auvergnats
et de 18 en plus chez 25 Nègres. Ce qui provient de
ce
que la région des bosses frontales était peu développée
chez les premiers et, au contraire, très saillante, très -éle-
vée chez les Nègres que le hasard nous a livrés.
»
Ce fait est d'autant plus notable que la physiologie du.cer-
veau a généralement démontré que la portion antérieure
et élevée de l'encéphale, comprenant les lobes cérébraux,
est celle où se trouvent réunis tous les organes des fa-
cultés intellectives. Peut-être n'y a-t-il pas toujours
une
384
88
Parisiens
Auvergnats mm
95.7
97 7
espagnols
.58
69
français.
60 Basques
Bretons-Gallots.
gg^
96. 2
qe n
Bas-Bretons mm
Lapons.
63 97.3
18 Caverne de l'Homme-Mort 92.0
8
28 Chinois 100.0'
92.5
d'Afrique
15 Esquimaux
Nubiens
82 Nègres
22f
94.
94.2
93.2
54 Néo-Calédoniens. 93.5
8
12 Australiens.
Tasmaniens 94.0
92.7
français
76.81
36 74.42
29 Basques 75.41
espagnols.
Esquimaux.
DES RACES HUMAINES.
13
28
35
136
Chinois.
Malais
42 Basques
Nègres d'Afrique
75.18
74.43
72.37
74.12
74,81
69 Néo-Calédoniens 72.39
LE CERVEAU ET i/lNTELLECT.
(1) Dr David Ferrier, The funotions of the brain. London, 1877 (Pré-
face in fine).
veau comme les signes d'une activité supérieure. En étu-
diant l'encéphale, on a vite remarqué combien peu régu-
lièrement la dimension répondait à l'énergie de l'organe.
Par une induction logique, on a pu même découvrir que
la richesse et la complication des circonvolutionsprésen-
taient un meilleur caractère de diagnostic, dans la re-
cherche des rapports qui existent entre l'intelligence et le
cerveau. A cette première étape où l'investigation scien-
tifique n'aliait pas plus loin qu'à la constatation de leurs
formes, on croyait généralement que ces circonvolutions-
exprimaient par leur seule configuration le degré et même
la spécialité des aptitudes propres au cerveau où elles se
trouvent. Mais plus tard, la science progressant toujours,
on finit par deviner que la présence des circonvolutions
ne coïncidait si bien avec une intelligence bien dévelop-
pée, que parce que les replis qui les forment sont tous
tapissés d'une couche grise, ou substance corticale. En
effet, les phénomènes ultimes de l'innervation prennent
dans ce dernier tissu une activité de l'ordre le plus élevé,
se traduisant par la sensibilité, la coordination des mou-
vements, l'intelligence et la volonté. Il s'ensuit qu'un cer
veau d'un diamètre relativement petit peut bien, par sa
richesse en circonvolutionsmultiples, être recouvert d'une
couche corticale considérable. On peut facilement expli-
quer ainsi le fait si souvent constaté d'une grande intelli-
gence accompagnant une petite tête ou un cerveau fort
au-dessous de la moyenne.
La complexité du problème se manifeste de plus en
plus, à mesure qu'on l'étudie mieux. Dans la substance
corticale, on a découvert des cellules et des fibres ner-
veuses, enchevêtrées avec un art incomparable. Les cel-
lules appartiennent plus spécialement à la substance grise
ou corticale; tandis que les fibres, qui semblent destinées^,
transmettre au cerveau les impressions du dehors, sont
communes entre elle et la substance blanche où, comme
nous l'avons vu, elles jouent le rôle de fil conducteur.Toutes
les énergies intellectives ou volitionnelles manifestent
se
exclusivement dans les cellules nerveuses. Ainsi, le nerf
sensitif ayant reçu une excitation venant du milieu exté-
rieur ou du milieu organique, la transmet au cerveau
sous forme de sensation cette sensation se transforme
en perception dans la cellule nerveuse et, en accumulant
les perceptions, le cerveau les coordonne
pour les trans-
former en pensée ou en actes de volonté.
La substance grise diffère histologiquement de la subs-
tance blanche par la disposition de ses éléments nerveux,
ainsi que nous l'avons expliqué mais ce qui la fait dis-
tinguer du premier coup d'oeil, c'est surtout la teinte gris-
rougeâtre qu'elle présente, non d'une manière brusque et
tranchée, mais en augmentant de nuance de l'intérieur à
l'extérieur. Cette teinte elle-même provient d'une richesse
vasculaire beaucoup plus grande que dans la substance
blanche de telle sorte que le sang, agent vital
par excel-
lence, est maintenant reconnu comme la source de l'éner-
gie non-seulement physique, mais encore intellectuelle et
morale
Voilà autant de faits constatés par la science, déduits et
contrôlés par les plus habiles expériences répétées tant
en Allemagne qu'en France: Mais y trouvons-nous un
moyen sûr d'étudier dans le cerveau les caractères qui ac-
compagnent infailliblement une grande intelligence ? Les
plus grands physiologistes, ceux mêmes dont les magni-
fiques travaux sont l'honneur de ce siècle, reculent
en dé-
clarant leur impuissance, quand il faut formuler une con-
clusion si importante.
Il y eut un moment où l'on a cru pouvoir procéder
par
simple déduction. Puisque la substance corticale du
cer-
veau est le lieu où toutes les hautes activités de l'esprit
prennent leur source, se disait-on, plus la couche grise
qui la constitue est épaisse, plus grande doit être la
puissance intellectuelle. Mais les expériences de Longet et
d'autres éminents physiologistes ne tardèrent pas à dé-
montrer, encore une fois, combien il faut être circons-
pect et sobre de généralisations orgueilleuses quand il s'a-
git des sciences naturelles et surtout biologiques, sciences
où le principal facteur qui est la vie, n'a pu trouver jus-
qu'ici même une définition pratique.
Aussi la physiologie a-t-elle décliné l'honneur de dé-
couvrir le degré de l'intelligence par l'examen du cer-
veau soit en entier, soit en partie. « Ce n'est pas seu-
lement la quantité, dit un savant physiologiste, c'est
aussi la qualité du tissu et l'activité réciproque de cha-
que élément qui déterminent le niveau des facultés
intellectuelles (1). Ces paroles sont bien claires, les
termes en lesquels le savant s'exprime ne présentent
nulle difficulté à l'interprétation; mais dans l'état actuel
de la science pourra-t-on jamais distinguer les qualités
du tissu cérébral? Certainement non. Il faudra peut-
être attendre bien longtemps avant que d'autres pro-
grès, d'autres lumières viennent nous armer de connais-
sances assez positives sur ces délicates matières, pour
nous autoriser à affirmer toutes les propositions qu'on
semble regarder comme autant de vérités parfaitement
démontrées.
Cet aperçu sur l'état des questions qui se posent dans
l'étude du système nerveux et du degré de développement
qu'a déjà reçu cette branche des connaissances humaines,
suffira sans doute à préparer l'esprit du lecteur. Par ce
moyen il pourra examiner consciencieusement la valeur
des déductions que tirent les anthropologistes des procé-
V.
POIDS DE L'ENCÉPHALE DANS LES DIVERSES RACES.
1 Annamite (Broca).
50 Autrichiens (Weisbach)
(Broca).
Nègre du Cap
1330
1417
974
24 Blancs <
La voici
quarts de blanc
1424gr
blanc.
23 Trois 1390
mulâtres.
47 Demi-blancs ou 1334
blanc.
51 Un quart de
purs.
1319
95 Un huitième de
22 Un seizième de
141 Nègres
blanc. 1308.
1280
1331
(1) ÎVfySêî; aytwuiTpTiTOç êiatTW [aou ttjv a-rex7^- (C. f. Jean Tzetzès,
Chiliades, Vill).
(2) 4si 5 8so"ç yctoixeipet. Platon, Timée.
exercé sur l'esprit humain, dans tout le groupe occidental,
on s'explique bien vite l'espèce de culte qu'on professe
encore pour les mathématiques. Mais notre siècle a suffi-
samment éciairci de problèmes pour que nous ne persis-
tions pas à marcher comme des aveugles dans les erre-
ments du passé.
En parlant de Platon, on ne peut jamais oublier Aris-
tote. Ce qui prouve que les mathématiques n'ont point,
eu
égard à la hiérarchie des connaissances humaines, toute
l'importance qu'on s'est accoutumé à leur donner; ce qui
prouve qu'elles ne sont point le signe exclusif de grandes
facultés intellectuelles, c'est que le grand Stagirite, l'in-
telligence la plus vive et la mieux organisée qu'on puisse
jamais rencontrer, n'a jamais pu devenir un bon mathé-
maticien. Pour moi, je comprends bien vite qu'un cerveau
d'une activité aussi féconde que celle d'Aristote se soit
ennuyé des formules qui emprisonnent l'esprit et le
mettent à l'étroit, dans la discipline intellectuelle si néces-
saire à un bon mathématicien. Aussi bien cet exemple suf-
fit pour réduire à sa juste valeur une proposition que l'on
répète depuis si longtemps, sans qu'on ait jamais pensé à
la contrôler par un examen sérieux.
Est-ce à dire que les mathématiques n'ont aucun mérite,
ni aucune valeur dans la sphère scientifique? Bien fou et
absurde serait quiconque avancerait une telle assertion.
Je crois tellement le contraire que, me conformant en cela
aux idées de l'illustre Comte, je considère ces études
comme indispensables à la préparation de l'esprit destiné
à des exercices plus difficiles, plus complexes. Ce que
j'affirme, c'est qu'on ne saurait continuer à faire des ma-
thématiques le summum des connaissances humaines,
sans se condamner à ne jamais s'affranchir de l'influencc-
des doctrines métaphysiques qui ont trop longtemps sub-
jugué l'esprit humain, depuis Platon jusqu'à Hégel.
CHAPITRE VII.
I.
DE LA TAILLE, DE LA FORCE MUSCULAIRE ET DE LA
LONGÉVITÉ DANS LES RACES HUMAINES.
Cafres Amaxosa
séries).
(Fritch).
Nègres de Guinée (4
1.735
1.724
séries).
1.718
(Topinard).
Australiens divers
séries).
1.718
séries).
Scandinaves (3 1.713
Écossais (2 1.710
Anglais (3 1.708
Esquimaux occidentaux (Beechey). 1.703
séries).
Tailles au-dessus de la moyenne, de 1.70 à 1.65, inclus.
m.
Irlandais (2 1.697
(Quetelet).
1.694
1.685
1.684
séries).
Belges
Charruas (D'Orbigny). 1.680
Pérouse).
Arabes (3
séries).
Seghaliens (La
Allemands (3
1.679
1.678
1.677
(Bourgarel).
Néo-Calédoniens 1.670
(Prichard).
séries).
séries).
Pescherais de la Terre-de-Feu (4
Kirghis
1.664
séries).
séries).
Russes (4
Roumains (2
1.663
1.660
1.657
séries).
Berbers (3
Esquimaux du centre (5
1.655
1.654
Français.
(Shortt).
Tribus de la côte orientale de l'Inde (3 séries). 1.652
Indigènes du Caucase 1.650
1.650
(1) Der Neger, eine aphoristiche Skizze aus der medicinischen Topo-
graphie von Cairo in Zeitsch. der deutschen morgendlàndischen Gesell-
sohaft, t. I, p. 131.
(2) A. Bain, Les sens et l'intelligence.
sano. Mais peut-on accorder aucune importance à une
telle particularité comme distinction caractéristique des
races humaines ? Ne doit-on pas même chercher d'autres
causes que celle de la race pour expliquer la différence
qu'il peut y a voir entre les hommes, au point de vue de la
force musculaire? M. Herbert Spencer, dans son traité sur
l'Education, affirme aussi que les Anglais sont de beau-
coup supérieurs en force corporelle aux Indiens et aux
Africains; mais il fait bien remarquer que les premiers se
nourrissent de viande, tandis que les autres s'alimentent
plutôt de matières végétales qui imposent à l'organisme
un travail considérable, en ne lui apportant que bien peu
de substances assimilables, surtout pour la réparation du
tissu musculaire, où les matières azotées jouent un rôle
prédominant, essentiel. A côté de l'alimentation, il faut
encore tenir compte de plusieurs autres facteurs, qui con-
tribuent, dans une large mesure, à augmenter ou à dépri-
mer la vigueur des muscles. M. Topinard fait observer
très judicieusement que pour étudier comparativement la
force musculaire dans les diverses races humaines, il faut
compter avec l'état de santé du sujet, son âge, son sexe,
bien entendu, et jusqu'avecl'éducation acquise par les mus-
cles. j- J'ajouterais volontiers un certain développement
de l'intelligence qui, à l'aide de la volonté, exerce une in-
fluence marquée sur l'intensité de l'action nerveuse.A part
toutes ces considérations, il faut encore tenir compte de
l'état d'exaltation ou de dépression morale du sujet. Un
homme frappé de nostalgie, loin de sa patrie natale; subis-
sant le joug de l'esclavage dont il commence à comprendre
toute l'abjection sans pouvoir s'en absoudre, ne pourra
jamais, dans un pareil état, développer la même vigueur
musculaire qu'un autre dont le sang circule avec l'aisance
et l'accélération que donne le sentiment de l'indépendance
et surtout de la domination. Aussi serait-ce une expérience
faite dans les pires conditions que celles qui consisteraient
à prendre comme point de comparaison,pour la race noire,
les Soudaniens transportés au Caire, où ils vivent pour la
plupart dans le plus profond abaissement et dans la plus
grande misère.
Voici d'ailleurs la conclusion que tire M. Topinard des
comparaisonsoù figure \\a force musculaire tant des mains
que des reins, dans plusieurs groupes ethniques. « Les
moyennes ci-dessus, dit-il, nous montrent bien les Aus-
tralienstrès mal partagés,mais elles montrent les Chinois
encore plus mal partagés pour la pression des mains. Les
plus forts des reins, d'autre part, sont les Indiens Iroquois
et, après eux, les indigènes de l'archipel Sandwich. Les
Nègres sont assurément moins forts que les Blancs, mais
leurs intermédiaires, les Mulâtres, sont plus forts que les
uns et les autres. Ce qui prouve bien que la condition phy-
siologique prime dans tous ces cas la condition anthropo-
logique, c'est l'infériorité musculaire des marins de Ran-
sonnet et de M. Gould, dans la race blanche. »
En étudiant les faits ainsi exposés, on est bien obligé
d'admettre qu'il est impossible de faire de la force mus-
culaire, l'attribut de telle race plutôt que de telle autre.
Sous ce rapport, c'est encore à l'égalité des races qu'il faut
conclure.
(1) Elisée Reclus, Nouvelle géogr. universelle, 54e série, page 28.
r\ (2) Hartmann, Les peuples de l'Afrique, p. 40.
( àJ
Qu'on se transporte en Haïti où, sous un climat relative-
ment doux, la race africaine, après avoir commencé une
lente évolution, par la seule influence du changement de
milieu, a enfin reçu l'empreinte de la vie intellectuelle et
morale. C'est un fait si commun que d'y rencontrer, parmi
les descendants de la race nigritienne, des physionomies
gracieuses rappelant « les formes idéales de la période
sculpturale classique », pour me servir de l'expression de
Hartmann, que l'Haïtien absolument noir, mais d'une
grande beauté, n'étonne guère celui qui a vécu dans le
pays pendant quelque temps.
J'ai vu bien souvent dans les rues de Port-au-Prince,
du Cap ou d'autres villes de la République haïtienne, et
même parmi les montagnards, des têtes dont le profil
avait toute la régularité du type grec brachycéphale. Je
ne parle pas, bien entendu, de cette splendeur esthétique
que révèle la statuaire grecque dans les tê|*es d'une
beauté idéale, telles que celle du Jupiter Olympien ou bien
celle de la Vénus de Gnide. Phidias et Praxitèle, tout en
copiant leurs modèles, y ajoutaient, par une savante com-
binaison de lignes, un reflet fascinateur que n'offre la na-
ture ni dans Phrynée ni dans Alcibiade.
Aux Cayes, situées au sud de l'île, on rencontre des
types noirs vraiment superbes. Cette amélioration rapide
des formes corporelles qui se poursuit graduellement avec
notre évolution sociale, prouve un fait que bien des savants
ont déjà signalé. La beauté d'une race, dans la majeure
partie des cas, se développe en raison directe de son degré
de civilisation elle se développe surtout sous l'influence
de conditions climatologiquesnaturellementfavorables ou
que l'industrie humaine a conformées aux nécessités de
l'existence.
C'est. pour n'avoir jamais tenu compte de tous ces fac-
teurs que les anthropologistes ou d'autres savants ont si
catégoriquement déclaré que chaque race humaine a des
aptitudes psychologiquesou physiques absolument irréa-
lisables par d'autres races; comme s'il y avait une barrière
infranchissable placée par la nature entre chaque groupe
humain et les autres groupes de l'espèce. Maintenant que
l'anthropologie, bon gré mal gré, aborde la période positive
où tout doit être comparé et critiqué suivant les méthodes
d'investigation qui ont conduit aux plus belles découvertes
dans les sciences naturelles et biologiques, il faudra bien
qu'on s'inspire de la synthèse de plusieurs données avant
d'affirmer un fait quelconque et surtout d'y attacher l'im-
portance d'une loi. Or, on n'affirme scientifiquement un
fait, en lui assignant un caractère distinctifdans la descrip-
tion d'un groupe naturel, que lorsqu'on est sûr que le phé-
nomène est constant et exclusivement lié à l'existence des
êtres dont on désigne ainsi les attributs particuliers.
Est-ce là ce que nous savons relativement à la beauté
du type caucasique ? La vérité certaine est que la race
blanche d'Europe, qui nous offre actuellement la plus
grande somme de beauté dont est susceptible le visage
humain, n'a pas été toujours telle que nous la voyons
aujourd'hui. Tout prouve au contraire que la même évolu-
tion que nous voyons la race noire accomplir en Haïti
s'est aussi accomplie dans les populations européennes et
continue encore son action lente et persistante, laquelle
est bien loin d'atteindre son plein et complet effet dans
toutes les couches des nations caucasiques.
Pour s'en convaincre, on n'a qu'à étudier les dimen-
sions et la configuration des crânes, ainsi que les mem-
bres des squelettes tirés de tous les anciens cimetières de
l'Europe. Je n'exige pas qu'on les choisisse dans une
période préhistorique fort éloignée et dont nous avons
perdu tout souvenir, mais en remontant seulement jus-
qu'à l'époque des invasions des barbares d'Orient et d'Oc-
cident, Ostrogoths et Wisigoths. Prenons,
pour exemple,
les observations qui ont été faites dans le Congrès des An-
thropologistes allemands, au mois d'août de l'année 1876.
« Les crânes de Camburg ont fourni à M. Virchow deux
exemples d'une conformation spéciale, théromorphe »,
a;
comme il dit, et qui frappe au premier coup d'œil celui qui
s'est occupé de l'anatomie du singe. On sait
que chez
l'homme, en général, l'angle pariétal, c'est-à-dire le point
où le pariétal se rencontre avec l'aile du sphénoïde, adhère
avec celle-ci et que l'écaille temporale n'adhère point au
point frontal. Au contraire, les singes supérieurs,
« nos
cousins « possèdent tous à cet endroit un prolongement de
l'écaille temporale qui s'étend tellement
en arrière qu'elle
sépare l'aile sphénoïdale de l'angle pariétal, et qu'elle
établit une adhérence plus ou moins grande de l'écaille
temporale au frontal, si bien que les pariétaux ne peuvent
plus rejoindre les os basilaires. Or, les guerriers francs,
ancêtres des Allemands d'aujourd'hui, qui furent enterrés
à Camburg, nous présentent d'une façon si extraordinaire
(2 sur 8) des cas de cette particularité simienne
que nul
musée n'en peut montrer plus que celui de Iéna (1).
D
Les Allemands enterrés à Camburg,
sur la Saale, appar-
tiennent au dernier âge de fer; c'est l'époque qui immé-
a
diatement précédé les grandes invasions et la constitution
embryonnaire de l'État allemand. C'est un fait bien digne
de remarque ces mêmes Allemands représentent aujour-
d'hui la race germanique que les anthropologistes déclarent
la plus élevée en dignité dans leur échelle hiérarchique.
Qui dirait que dans leur passé, à peine mille à douze
cents
ans, ils offraient une conformation tellement inférieure
qu'on y rencontre ie quart des populations avec des
carac-
tères patents d'animalité? Peut-être pourrait-on croire
que
(1) Revue scientifique, n° 37, 10 mars 1877.
le professeur Virchow a considéré les choses sous un point
de vue purement personnel et arbitraire mais dans le
même Congrès, M. Schaafhausen, un des plus éminents
anthropologistes d'Allemagne, reconnaît que le progna-
tisme des crânes de Camburg se répète si fréquemment
que, maintes fois, des crânes préhistoriques allemands
pourraient être pris pour des crânes africains.
'Un crâne d'Engisheim, découvert par M. Schonerling,
était tellement aplati et présentait une telle exagération
de la dolichocéphalie(70°,52) que l'on fut tenté de le rap-
procher du type éthiopien plutôt que de l'européen, encore
qu'aucune probabilité ne permît une telle hypothèse.
L'effet en était si saisissant qu'il en sortit une théorie
d'après laquelle on prétendait que le point de départ de
l'espèce humaine se trouve dans la race africaine. D'autres,
plus fantaisistes, supposèrent même que les Africains
avaient immigré en masse dans les pays d'Europe, avant
les premières lueurs de l'histoire
La mâchoire de la Naulette et la calotte du Néanderthal
sont aussi des faits qui parlent hautement en faveur de
ma thèse. En général, la race de Canstadt de M. de Qua-
trefages prouve avec évidence que les populations préhis-
toriques de l'Europe étaient essentiellement laides. « Si
on joint à ces caractères (prognatisme sensible, indice cé-
phalique ne s'élevant qu'à 680,83, etc.) ceux que fournit la
mâchoire de la Naulette, on doit ajouter, dit l'auteur.de
l'Espèce humaine, que l'homme de Canstadt avait le men-
ton très peu marqué et le bas du visage dépassait parfois
ce que présentent sous ce rapport la plupart des crânes
de Nègres guinéens. » Or, Ir le type de Canstadt a
pour
habitat l'ensemble des temps écoulés depuis l'époque qua-
ternaire jusqu'à nos jours et l'Europe entière.
»
Une telle constatation ne nous dispense-t-elle
pas de
toute argumentation ?
Il n'en est pas jusqu'auçurieux détail de la femme Bos-
chimane qui ne puisse se retrouver dans la race blanche
de l'ancienne Europe. « La statuette d'ivoire trouvée à
Laugerie-Basse, par M. de Vibraye, dit encore M. de Qua-
trefages, représente une femme dont on reconnaît le sexe
à un détail exagéré elle porte au bas des reins des pro-
tubérances assez étranges. » On devine bien vite qu'il
s'agit d'un cas de stéatopigie, particularité qui a donné
lieu à tant de dissertations, quand elle fut constatée pour
la première fois dans la race boschimane.
Le même savant anthropologiste, voulant prouver ia
supériorité de la race blanche, en démontrant la précocité
de développement de ses facultés artistiques, nous a encore
fourni bien des exemples de la conformation disgra-
cieuse et inélégante des anciens Européens. La femme au
a
renne de Landesque est grotesque, dit-il plus loin les
jambes postérieures de l'animal sont parfaites et, au revers,
la tête du cheval est superbe. Dans l'homme à l'aurochs de
M. Massënat, l'animal est très beau de forme et de mou-
vement, l'homme est raide et mal fait. »
Voilà bien des exemples qui prouvent surabondamment
que le type caucasique a passé par les formes gauches et
laides que l'on rencontre parfois dans le type africain,
avant de parvenir à cette beauté réelle qui fait aujourd'hui
son légitime orgueil. Mais au lieu de constater ces faits
que nous révèlent les premières ébauches de l'art préhis-
torique, en tâchant d'expliquer leur disparition par l'in-
fluence d'une évolution progressive de la race blanche,
M. de Quatrefages aime mieux les rattacher à des idées
su-
perstitieuses. Il se contente de mentionner le récit par
lequel Catlin affirme que les,Peaux-Rouges le regardaient
comme un sorcier dangereux, parce qu'il avait esquissé
le portrait de l'un d'eux. Alors quel cas fait-on des ver-
tus psychologiques distinctes et natives du blanc, pour
qu'on aille chercher jusque ichey/î'es Peaux-Rouges l'expli-
cation fantaisiste d'un fait arrivé parmi les Européens ?
D'ailleurs, rien ne prouve que tous les sauvages se com-
portent comme les Peaux-Rouges de Catlin. Sir Samuel
White Baker a rencontré une conduite absolument con-
traire parmi les Nouers, peuplade sauvage habitant la rive
droite du haut Nil. Le voyageur anglais s'étant arrêté
près d'un de leurs villages, ils ne tardèrent pas à se rendre
à son bateau. a Le chef de ce village s'appelait Ioctian,
dit-il il vint nous rendre visite avec
sa femme et sa fille,
et, pendant qu'il était assis sur un divan de notre cabine,
j'ai dessiné son portrait, dont il a été enchanté (1). »
Pourquoi tant s'exposer à des erreurs d'interprétation,
plutôt que d'accepter une explication rationnelle que tous
les faits viennent éclairer de leur lumière? C'est que la
science anthropologique, telle qu'elle est faite par l'école
française, se– reaferme uniquement dans le cadre étroit
d'un système arbitraire. Elle sera ruinée de fond
en com-
ble, le jour où l'on pourra prouver que les races humaines,
à part la couleur qui est un résultat complexe du climat,
de la nourriture et de l'hérédité, n'ont rien d'essentielle-
ment fixe et caractéristique. Cependant il est incontestable
que toutes les races subissent une évolution qui va de la
laideur à la'beauté, sous l'impulsion du développementin-
tellectuel dont l'influence, sur l'organe encéphalique et sur
le maintien général du corps, est chaque jour mieux démon-
tré. En vain résiste-t-on à l'évidence. Les affirmations
dogmatiques n'ont pas la moindre action sur la nature des
choses et ne les feront jamais:changer, sans l'aide-d'autres
agents d'une meilleure efficacité. « Un homme, une tribu,
une population entière peuvent, dit M. de Quatrefages,
III.
ÉVOLUTION ESTHÉTIQUE DES NOIRS HAÏTIENS.
I.
ÉTUDES DU MÉTISSAGE AU POINT DE VUE
DE L'ÉGALITÉ
DES RACES.
(1) Congrès intern. des sciences ethnogr., tenu à Paris en 1878, p. 196.
sans être nègre, on ne pourra accomplir rien de grand,
rien de beau, rien de sublime Pour le coup ce serait fran-
chement aller au-delà de ma thèse.
Cependant, tout insoutenable quet soit l'opinion de l'é-
cple polygéniste, je la trouve beaucoup plus logique dans
ses déductions que ne l'est M: de Quatrefages. L'erreur
chez elle est au moins complète, entière. Si les conséquences
sont fausses, ce n'est pas la faute du raisonnement, mais,
celle des prémisses généralement adoptées comme une vé-
rité doctrinale et primordiale, proclamant une inégalité na-
tive et radicale entre les différentes races humaines. M. de
Quatrefages opine-t-il contre cette inégalité ? Assurément
non. L'illustre professeur admet l'égalité du mulâtre et
du blanc, tout en affirmant l'inégalité irrémédiabledu noir
et du caucasien. Comment n'a-t-il pas senti alors la fai-
blesse de sa théorie, logiquement examinée ?
En effet, la logique est impitoyable, elle n'a aucune
complaisance pour ceux qui s'en écartent. La moyenne
de 4 ét de 2 ne sera jamais 4, mais bien 3. A quelque puis-
sance qu'on élève la valeur virtuelle du plus grand facteur,
on ne pourra jamais établir une équation intégrale entre
la moyenne engendrée et ce facteur, sans que les mathé-
matiques cessent d'être mathématiques. On ne fera que
circuler de x en y. Et, chose étonnante, plus le grand
nombre évolue en croissance, plus la moyenne s'en
écarte, en s'écartant également du petit nombre Ces
déductions vigoureuses n'ont pu échapper à l'esprit pers-
picace de M. de Quatrefages. Embarrassé, mais désireux
d'étayer toutes ses affirmations sur des bases rationnelles,
il a imaginé une théorie spécieuse, essentiellementpropre
à masquer tout ce qu'il y a d'incohérent dans ses opinions.
Voici donc comment il tâche d'expliquer la contradiction
visible que nous offre sa doctrine anthropologique, relati-
vement à la thèse insoutenable de l'inégalité des races.
« Chaque parent, dit-il, influe sur l'enfant en raison di-
recte de ses qualités ethniques. Cette considération fort
simple qui ressort à mes yeux d'une foule de faits de dé-
tails, fait comprendreaisément bien des résultats dont s'é-
tonnent les physiologistes et les anthropologistes. Après
avoir attribué à la mère un rôle prépondérant, Nott dé-
clare avec surprise qu'au point de vue de l'intelligence le
mulâtre se rapproche davantage du père blanc. Mais l'é-
nergie intellectuelle n'est-elle pas supérieure chez le der-
nier à celle de la mère? et n'est-il pas naturel qu'elle j'em-
porte des deux pouvoirs héréditaires ?.
« Lislet Geoffroy, entièrement nègre au physique, entiè-
rement blanc par le caractère, l'intelligence et les aptitu-
des, est un exemple frappant. D
Quelque simple que puisse paraître l'explication aux
yeux du savant anthropologiste, il faut convenir qu'il sort
complètement du domaine de la science pour se crampon-
ner à une pure fantaisie. En effet, quelle est la valeur de
cette règle par laquelle on infère que chaque parent influe
sur l'enfant en raison directe de ses qualités ethniques?
Ne serait-ce pas l'assertion d'un principe qui est encore
à démontrer? La forme sentencieuse sous laquelle elle est
exprimée et qui est si propre à en imposer aux intelli-
gences ordinaires, fait-elle rien autre chose que d'en
cacher l'inanité scientifique ?2
Si, par qualités ethniques des parents, l'on comprend la
couleur, les cheveux et, jusqu'à un certain point, les formes
du visage, on doit certainement en tenir compte; mais
s'agit-il de qualités morales et intellectuelles? rien n'est
alors plus vide de sens au point de vue anthropologique,
eu égard à leur instabilité dans les races humaines. Ces
dernières qualités, dans tous les cas, ne sont pas tellement
indépendantes du reste de l'organisme, qu'on puisse leur
attribuer une action héréditaire, distincte de l'influence
d
physiologique générale que l'hérédité du père exerce sur
l'enfant. D'ailleurs, si la théorie imaginée par M. de Quatre-
fages était vraie, il n'y aurait pas de mulâtre à peau jaune
et aux cheveux bouclés comme sont ordinairement les mé-
tis du Noir et du Blanc. Les mulâtres seraient toujours
noirs avec une chevelure crépue, comme leur mère; ils au-
raient tous l'intelligence suréminente qu'on prétend être
l'apanage exclusif de leur père. Or,.c'est le contraire qui est
vrai, c'est le contraire qui existe. Le métissage est un fait
d'ordre purement physiologique et rien de plus. Lorsque
le mulâtre est intelligent, ce n'est pas une vertu spéciale
qu'il hérite des qualités ethniques de son père ou de sa
mère, c'est plutôt une hérédité individuelle qui vient tan-
tôt de l'un, tantôt de l'autre, sans aucune prévision caté-
gorique.
Quant à ce qui concerne le cas de Lislet Geoffroy, phy-
siquement nègre, mais moralement et intellectuellement
blanc, j'avoue humblement que je n'ai jamais pu me rendre
compte de ce curieuxphénomène.Il a fallu que la conviction
de M. de Quatrefages fût bien profonde dans là vérité de
ses doctrines anthropologiques, pour qu'il avançât un tel
fait comme un argument sérieux. La première pensée qui
viendrait à l'esprit d'un homme moins prévenu contre les
aptitudes natives du Noir, ce serait de se demander si le
prétendu père blanc de Lislet Geoffroy avait contribué
à mériter une telle paternité par autre chose que. par son
nom. Mais aux yeux de l'honorable savant, de rencontrer
un Nègre d'une haute intelligence, ce serait une anomalie
beaucoup plus grcnde que celle de voir un mulâtre, fils de
blanc, complètement noir avec des cheveux crépus.
Sans pousser la témérité jusqu'à déclarer l'impossibilité
du fait, on peut affirmer pertinemment qu'il y c,. mille
chances contre une, pour qu'il ne se reproduise pas en des
cas identiques. Un mulâtre issu d'un noir et d'un blanc
peut, au lieu de cette couleur janne nuancée de rouge qui
lui est ordinaire avoir une teinte assez foncée pour res-
sembler à un griffe (aux 3/4 et même aux 4/5 noir) mais il
existe toujours une compensationdans la finesse des traits
ou dans la chevelure qui fera remarquer bien vite, à un
observateur qui s'y connaît, les degrés physiologiques qui
séparent cet individu de l'une ou de l'autre race. Les bizar-
reries vraiment étonnantes, dans la couleur, les cheveux et
la particularité des traits ne commencent à se manifester
que dans le croisement entre les métis de divers degrés.
Dans le premier croisement, les pouvoirs de l'hérédité
physiologique de l'un et l'autre parent, agissant en sens
opposé et avec la même force, doivent se modifier mutuel-
lement et engendrer un produit d'une moyenne détermi-
née dans le second, les puissances héréditaires déjà dif-
fuses et mélangées de part et d'autre, agissent par consé-
quent avec des forces confuses et inégales. C'est ainsi
qu'entre le blanc pur et le noir pur, il sortira un enfant
bien équilibré, tenant autant de sa mère que de son père;
mais entre des métis plus ou moins éloignés des races
mères, on aura un enfant en qui les influences héréditaires
sont tellement enchevêtrées, qu'il en résulte le plus grand
désordre dans la reproduction des couleurs et des formes
parentales.
Pour aborder le phénomène particulier que cite M. de
Quatrefages, il n'est nullement sûr que Lislet Geoffroy fût
un mulâtre par le sang, pas plus qu'il ne l'était par la peau
et par la chevelure. Bory de Saint-Vincent,savant natura-
liste, pouvant bien distinguer le nègre du mulâtre, et qui a
dû connaître personnellement le mathématicien noir, en
parle comme d'un vrai nègre. a Nous publierons, dit-il,
comme un exemple du degré d'instruction où peuvent par-
venir les Éthiopiens, que l'homme le plus spirituel et le
plus savant de l'Ile-de-France était, quand nous visitâmes
cette colonie, non un Blanc, mais le nègre Lillet-Geoffroy,
correspondant de l'ancienne Académie des Sciences, encore
aujourd'hui notre confrère à l'Institut, habile mathémati-
cien, et devenu, dès avant la Révolution, par son talent et
malgré sa couleur, capitaine du génie (1).
»
Si Bory de Saint-Vincent était un auteur qui écrivait
en profane et mentionnaitincidemment le fait en question,
on pourrait bien croire qu'il se servait du mot nègre, sans
faire aucune distinction entre l'homme noir et le mulâtre;
mais c'était un spécialiste, son ouvrage est purement
scientifique et les paroles que nous venons de citer ont été
dites par lui dans un but exprès, comme argument réfii-
tatoire de l'inégalité des races. Il y a donc tout lieu de
croire que c'est M. de Quatrefages qui se sera laissé in-
duire à erreur.
Aussi bien, nous pouvons conclure que le mulâtre est
réellement l'égal du blanc en intelligence mais ce n'est nul-
lement de celui-ci seul qu'il hérite les aptitudes intellec-
tuelles qui sont le patrimoine commun de l'espèce humaine
entière.
Pour clore cette controverse soulevée par la théorie de
M. de Quatrefàges, je ne puis mieux faire
que de citer ici
les paroles de l'un des hommes dé couleur les plus retnar-
quables et la plus belle individualité de sa race aux États-
Unis. Frédérik Douglass, qui est une des preuves les plus
saisissantes de l'égalité des races humaines, n'a pu' rester
inaperçu à ceux qui prêchent la théorie de l'inégalité.
Il paraît que, pour s'expliquer ses grandes aptitudes, on
avait invoqué la théorie de l'auteur de l'espèce humaine.
Voici comment a répondu l'honorable Marshal de Co-
lombie:* C'est à elle, à ma noble mère, à ma mère esclave,
à ma mère au teint d'ébène, et non certes à mon origine
IL
MÉTIS DU NOIR ET DU MULATRE.
LA HAVANAISE.
de
timent de l'homme que le noir d'Haïti?. Oubliez-vous
qu'Haïti seule est appelée à résoudre le grand problème
des noirs à la civilisation (1) ?.
Ce sont autant de questions suivies de développements
profonds, où l'écrivain ne ménageni les Granier Cassagnac,
ni les auteurs (haïtiens ?) de la Gérontocratie, qui, après
avoir lu sans doute le livre de M. de Gobineau, avaient
émis les idées les plus dissolvantes, relativement à la soli-
darité nationale d'Haïti.
Il est peut-être bon de citer ici un passage du célèbre
Essai sur l'inégalité des races humaines. Le volume qui
parut, vers 1860, sous le titre de Gérontocratie, n'est
qu'une amplification des lignes suivantes. On ne saurait
les prendre au sérieux; cependant ne voyons-nous pas de
temps en temps un Léo Quesnel en rééditer les mêmes
expressions, comme une inspiration personnelle puisée
dans les meilleures études?
« L'histoire d'Haïti, de la démocratique Haïti, dit M. de
Gobineau, n'est qu'une longue relation de massacres
massacres des mulâtres par les nègres, lorsque ceux-ci
sont les plus forts; des nègres par les mulâtres, lorsque
le pouvoir est aux mains de ces derniers. Les institutions
pour philanthropiques qu'elles se donnent, n'y peuvent
rien; elles dorment impuissantes sur le papier où on les a
écrites ce qui règne sans frein, c'est le véritable esprit des
populations. Conformément à .une loi naturelle indiquée
plus haut, la variété noire, appartenant à ces tribus Au-
rnaines qui ne sont pas aptes à se civiliser, nourrit l'hor-
reur la plus profonde pour toutes les autres races aussi
L'Égypte et la civilisation.
I.
LES ANCIENS ÉGYPTIENS ÉTAIENT D'ORIGINE ÉTHIOPIENNE.
CONTROVERSES ET RÉFUTATIONS.
III.
FLORE ET FAUNE DE L'ÉGYPTE ANCIENNE.
On sait que pour certaines espèces animales ou végé-
tales, surtout les dernières, les aires géographiques sont
restreintes en des milieux déterminés où les individus
prospèrent naturellement. Lorsqu'ils sont transportés
dans une autre zone, ils languissent et meurent, s'ils ne
sont pas l'objet de soins particuliers.
Etant l'objet d'attentions soutenues, ces espèces peuvent
s'acclimater et développer dans un nouveau milieu la
même exubérancedont elles sont douées dans leùr milieu
d'origine. Mais pour cela, il faut que par une cause ou par
une autre, elles fassent nécessité à l'homme lequel les
surveille et les protège spécialement, dans les premiers
temps, et continue à le faire sans y penser, dans. la suite.
Sans quoi, ne pouvant plus lutter contre les difficultés du
milieu, en outte à d'autres espèces mieux adaptées ou plus
protégées, elles cèdent peu à peu le terrain et disparais-
sent enfin, vaincues dans le grand combat pour la vie dont
Darwin a si savamment analysé les poignantes péripéties.
D'autre part, on peut faire une observation tout aussi
importante. Dans les commencements de la civilisation,
à l'époque où l'on n'avait point encore les facilités et les
moyens qui font la grande puissance des temps modernes,
on ne se servait que des choses qu'on trouvait sous la
main. Quand les peuples primitifs ont procédé à leurs pre-
mières inventions, ils ne pouvaient donc employer que les
objets qu'ils trouvaient naturellement à leur portée. Ainsi
pour les besoins matériels, ainsi pour le reste.
Or, en étudiant la faune et la flore africaines, on s'aper-
çoit bientôt que la plupart des végétaux ou des animaux
qui servaient principalement au culte des Égyptiens ou
aux besoins les plus urgents de leur vie quotidienne, sont
originaires de l'Ethiopie. N'est-il pas naturel de supposer
qu'on a commencé à s'en servir tout d'abord dans cette
dernière contrée et que, de là, ils furent transportés en
Egypte,. où ils ne se fixèrent que par la culture? Si on
admet cette supposition, il faut convenir que les Egyp-
tiens sont réellement sortis de l'Ethiopie avec ces. diffé-
rentes espèces de végétaux ou animaux, sinon qu'ils ont
eu des rapports tellement étroits avec les Ethiopiens et
subissaient à ce point leurs influences, qu'ils adoptèrent
toutes leurs pratiques. Cette conclusion tomberait en par-
faite conformité avec la remarque de Diodore de Sicile, à
l'égard des écritures sacrées généralement connues dans
l'Ethiopie et réservées aux seuls grands prêtres de
l'Egypte.
Commençons par le papyrus qui est un produit d'une
grande importance, étant le principal moyen employé
pour fixer l'écriture dans le commerce usuel et habituel
des hommes de l'Egypte et du pays de Koub. <t Le papyrus
(cyperis papigeriferà) si célèbre pour la fabrication du pa-
pier, dit Hoëfer, est aujourd'hui très rare en Egypte. Jadis
si abondant dans le Delta, il se trouve maintenant relégué
aux bords de quelques lacs ou rivières de la Nubie, de
l'Abyssinie ou du Soudan (1). »
On ne sait au juste depuis quelle époque cet état de
choses a commencé d'exister. Peut-être pourrait-on attri-
buer le refoulement vers le midi de cette espèce de souchet
à un changement climatérique. Mais cette hypothèse ne
peut longtemps se soutenir, quand on pense que le papyrus
se peut rencontrer encore aux environs de Syracuse, en Si-
cile, île située beaucoup plus au nord que l'Egypte. Tout
autorise donc à croire que le papyrus antiquorum fut in-
troduit en Egypte par les Ethiopiens et que la plante n'a
pu s'y conserver qu'autant qu'on s'en est spécialement
occupé.Le jour qu'elle eut perdu son importance et qu'elle
fut négligée, elle fut du même coup condamnée à dispa-
raître. Cependant tout aussi négligée dans la Nubie,l'Abys-
sinie et la partie orientale du Soudan, pays qui forment
l'ancienne Ethiopie, elle vit et prospère, étant dans son
domaine naturel.
Le Lebka que les anciens confondaient avec le Persea et
qui, suivant Delisle (2), doit être rapporté au genre xime-
nia œgyptiaca de la famille des Oléacinées, est un arbre
qui servait, pour la meilleure partie, à la nourriture des
anciens Egyptiens. Déjà rare à l'époque où Abd-Allatif
voyagea en Egypte (XIIe siècle), il y est aujourd'hui
presque introuvable. On le retrouve pourtant dans la Nu-
bie et l'Abyssinie (3).
Le lévrier antique (canis leporarius œgypticus), tel que
le représentent les monuments, s'est propagé jusqu'à nos
jours. Rare dans la Basse-Egypte, on le rencontre assez
IV.
ÉTUDE DES MONUMENTS ÉGYPTIENS.
(1) Congrès interne des sciences ethn., tenu à Paris en 1878, p. 665.
(2) Ibidem.
on ne rencontre que des femmes avec cette couleur qui
tourne au jaune lavé. Cela s'explique assez facilement.
Parvenus à une certaine période de leur développement
national, les Égyptiens ont dû naturellement contracter
les habitudes de J'exogamie, lesquelles consistent à re-
chercher ses femmes parmi une autre tribu ou même une
autre race. En lisant John Lubbock (1), Tylor (2), ou Her-
bert Spencer (3), nous voyons comment se produisent ré-
gulièrement ces phénomènes sociologiques dans l'évolu-
tion de la plupart des agglomérations humaines. L'enlè-
vement des Sabines, si célôbre dans l'histoire romaine, est
un fait caractéristique qui s'est effectué moins bruyam-
ment peut-être, mais généralement dans la vie de chaque
société grandissante. De là vient sans doute un autre fait
que tout le monde connaît, c'est que primitivement l'insti-
tution du mariage a été une sorte de servage de la femme.
N'est-ce pas une chose fort naturelle et simple quand on
se rappelle la grossièreté des hommes encore impolicés?.>
Nec commune bonum poterant spectare, neque nllis
Moribus inter se scibant,nec legibus uti (4).
Ce n'est pas qu'à l'époque où nous examinons les Ré-
tous, ils fussent encore à cet état primitif auquel fait allu-
sion le poète latin. Mais ce fait de ne rencontrer parmi eux
que des femmes, comme spécimen d'une race étrangère,
nous paraît, à l'aide de ces rapprochements, comme la
simple continuation d'une ancienne habitude. La présence
d'un tel cas constaté en signes palpables sur les monu-
ments de l'antique Egypte, confirme donc positivement
ma thèse, à savoir que les anciens Égyptiens étaient, de
race noire.
V.
MYTHE D'IO, LA SULAMITE, LES ROIS ÉTHIOPIENS,
ET CONCLUSION.
T.
LES BRAHMANES.
Nous avons vu que les anciens Égyptiens n'apparte-
naient point à la race blanche, mais à la
race noire de
l'Afrique de cette démonstration il résulte
que la pre-
mière civilisation connue n'a pas été l'œuvre du
groupe
caucasique. On peut, de plus, affirmer que la part d'action
des hommes blancs dans la civilisation hindoue, la plus
ancienne après celle de l'Égypte, est sinon négative mais
fort peu considérable. C'est ce que je vais
essayer d'établir.
A propos des essais de classification linguistique qu'on
a vainement tentés, dans l'espoir de grouper plus facile-
ment les types variés qui composent l'humanité, le lecteur
se rappelle sans doute avec quel enthousiasme la légende
d'une race aryenne fut adoptée en Europe. Tous les
an-
ciens Goths de l'ouest et de l'est, les Angles et les Celtes,
les Cimbres et les Ibères, et même quelques descendants
des Peaux-Rouges de l'Amérique, se réclamaient de la
généalogie des Aryas. Une confusion générale fut ainsi
jetéetant dans la linguistique que dans l'ethnologie. Le
cadre de la classification indo-européenne devint
un lit de
Procuste, où il fallait coûte que coûte faire entrer les na-
tions et les langues on coupait la tête à celles-ci ou une
préfixe à celles-là; on. y ajoutait de faux pieds ou des
suffixes. Tout cela était estropié en diable, allait clopin-
clopant, mais semblait souverainement glorieux.
A l'admiration qui saisit l'esprit des Européens, étudiant
pour la première fois les hymnes védiques et les épopées
bizarres mais attrayantes, telles que le Mahâbhârata et
le Râmâyana; à la lecture de Sakountala auxcouledrs
idylliques, des Pourànas dont l'esprit enchevêtré, on-
doyant et quelque peu germanique, dut paraître d'une
profondeur respectable aux savants du temps, on perdit
complètement la tête. Ce fut un bonheur inouï pour les
arrière-neveux de Romulus, d'Arminius, de Vercingétorix
et de tout le reste de la grande et noble famille caucasique,
•
de trouver enfin le trait d'union qui les unissait et dont
ils ne s'étaient jamais douté depuis des siècles. On se pré-
cipita les uns dans les bras des autres, avec effusion, au
nom de l'Arya.
Cela entrait merveilleusement, d'ailleurs, dans le cou-
rant d'idées qui régnait de 1830 à 1848, époque à laquelle
une alliance sblennelle semblait devoir sortir des aspira-
tions communes de toutes les nations de l'Europe, par une
protestation spontanée contre l'existence réelle ou suppo-
sée de la ligue des rois. La fraternité démocratique mous-
sait contre la Sainte-Alliance.
Quel était cependant ce trait d'union, ce peuple dont le
sang régénérateur avait infusé dans les veines de tous les
hommes de l'Europe ces belles qualités qui font l'orgueil
de la race blanche? Sans doute une race blanche aussi ?
Mais, non. En choisissant le terme d'indcneuropéen dont
bien des gens se servent encore pour dénommer les
hommes du type caucasique, on n'avait fait qu'accoupler
ensemble des noms désignant deux races fort distinctes,
deux groupes humains dont rien n'indique la commu-
nauté ethnologique. « Même en présence des recherches
insuffisantes qu'on a faites sur les tribus et les générations
humaines, nous sommes cependant fondé, dit M. Lindens-
chmidt à considérer comme absolument certain que si
une origine commune des peuplades de l'Occident avec
celle de l'Orient (les Aryas) qui parlent des langues con-
génères est établie, cette origine commune fait également
supposer un type commun ce type n'est pas à cher-
cher chez les Hindous, Fadjeks, Bokhariotes, Beloudchis,
Parsis et Ossètes (4). » On ne saurait contester l'assertion
de l'éminent archéologue; car elle est basée sur l'étude
la plus consciencieuse et la plus précise de l'ethnographie
des divers peuples de l'Asie qu'on a voulu confondre avec
les races européennes.' Les hommes d'une science pro-
fonde et qui n'ont point à caresser les erreurs classiques,
afin de se faire accepter parmi les corporations savantes à
l'esprit systématique, peuvent-ils se résoudre à fermer les
yeux à la vérité, quand elle brille avec la meilleure évi-
dence ? Cela ne se voit jamais. Aussi leur indépendance
donne-t-elle l'espoir à ceux qui ont des idées justes de
les voir tôt ou tard adopter. De défections en défections,
les théories conventionnelles se désagrègent et le nombre
des esprits indépendants s'accroît. Le progrès s'effectue
lentement; mais la minorité qui porte en son sein le flam-
beau du vrai, grossit continuellement, sans cessè à l'heure
sonnée, elle devient majorité et règne. Ainsi se passent
les choses dans la vie active de la politique, ainsi elles se
passent encore dans l'évolution des doctrines scientifi-
ques. Espérons donc qu'avant la fin de ce siècle, on ne
parlera de race indo-européenne que pour démontrer tou-
tes les faiblesses propres à l'esprit de système
t
(1) Lassen, Indische .4!t~t/tMMM&MMf!e, t. 1 p. 559.
(2) Voir Burnouf, Introduction à l'histoiredu boudlaism.e indien,
p. 891.
t.
(3) CoM~t'es tMM~M. des~sciences ethn., note de ta p. 112.
fassent (1). Ainsi s'exprimait Jacquemont, un des voya-
geurs les plus intelligents. Vraiment, n'est-ce pas une dé.
rision que de tant parler de la superexcellence de la race
blanche aryenne, quand en réalité les blancs aryens va-
lent si peu? Les Anglais qui dominent sur l'Inde, peuvent-
ils considérerbien haut ces Pandits plus bandits que tous
les varatyas, encore qu'ils aient comme les Saxons la peau
blanche et les cheveux blonds? Pourquoi élève-t-on si
haut sur les bords de la Seine et de la Tamise ce qu'on
regarde si bas dans les parages du Gange? Je serais bien
tenté de croire que la science se prête servilement ici
aux compromissionsde la politique. Mais là n'est pas son
rôle. Un tel soupçon suffirait pour l'avilir aussi, pour
l'honneur de la consciencehumaine, admettons-nous plutôt
que la plupart des savants se sont trompés, parce qu'ils
n'ont considéré les, choses que sous une seule face.
Dans l'un ou dans l'autre cas, on ne peut plus ration-
nellement attribuer à la race blanche le mérite exclusif
de la civilisation indienne, avant d'avoir fait la preuve que
toutes les grandes conceptions philosophiques ou poé-
tiques de l'Inde proviennent d'individus dont le caractère
d'hommes blancs est historiquement affirmé.
Kâlidâsa, Jayadêva et Valmiki étaient-ils blancs ou de la
couleur de pain d'épice. ou même noirs? Personne n'a ja-
mais dit de quelle nuance ils étaient. On.se contente d'ad-
mirer le Meghadûta dont la touche fine et délicate enchante
l'esprit ou de goûter la fraîcheur de sentiment qu'il y a
dans Sakountala; on aime à suivre les aventures amou-
reuses de Krushna dans le mystique Gita-Govindo, le
Cantique des cantiques de la littérature indienne on sent
que le Râmâyana, épopée magnifique où les légendes reli-
gieuses et philosophiques de l'Inde tiennent lieu d'une
II.
BOUDHA.
I.
LE DARWINISME ET L'ÉGALITÉ DES RACES.
(1) Reeue scientifique du l'-r nov. 1884, n° 18, 3e série, 2'- semestre.
sont à même d'en profiter (1). Cette idée est d'ailleurs
beaucoup plus vieille qu'on ne pense. « La doctrine de
l'influence générale exercée par le sol et le climat sur les
dispositions intellectuelles et sur la moralité des races
humaines, dit Humboldt, est propre à l'école alexandrine
d'Ammonius Saccas et fut surtout représentée par Lon-
gin (2). A On n'a pas oublié les paroles de M. Georges
Ville. Le savant professeur a démontré d'une manière
positive que l'en peut changer non-seulement le physique
des races, mais encore leurs aptitudes morales et intellec-
tuelles, en rendant le milieu qu'elles habitent plus propice
et favorable à leur développement. Un savant anglais
qui occupe une place éminente parmi les psychologues
contemporains, Galton, a fait les observations suivantes
sur la démographie sociologique de l'Afrique.
« La différence qui sépare, dit-il, sous le rapport du
moral et du physique, les tribus de l'Afrique australe, est.
en rapport intime avec l'aspect, le sol et la végétation des
divers pays qu'elles habitent. Les plateaux arides de l'in-
térieur, couverts uniquement d'épaisses broussailles et
d'arbustes, sont occupés par les Boschimans à la taille
de nains et au corps nerveux; dans les contrées ouvertes,
montagneuses, présentant des ondulations, résident les
Damaras, peuple de pâtres indépendants, où chaque fa-
mille exerce l'indépendance dans son petit cercle les ri-
ches pays de la couronne, dans le nord, sont habités par
la tribu des Ovampo, la plus civilisée de toutes et de beau-
coup la plus avancée (3). »
Ces faits rigoureusement constatés nous amènent à re-
II.
THÉORIE DE L'ÉVOLUTION HUMAINE.
(lj Ces mots ainsi guillemetés font sans doute allusion à la phrase
célèbre de Malthus que Mme Clémence Royer semble prendre un peu
trop à la lettre dans la préface de sa traduction de l'Origine des es-
pèces de Darwin.
moyenne, cette décadence apparente qui n'est qu'un effet
de la statistique, n'est que temporaire elle fait place à un
mouvement ascensionnel la société continue son évolu-
tion progressive, et la civilisation,après avoir accordé aux
faibles le bienfait de la vie, leur accorde un autre bienfait
plus grand encore elle les perfectionne à leur tour. C'est
ainsi que la capacité moyenne du crâne des Parisiens s'est
accru de 35 centimètres cubes depuis le douzième siècle et,
chose remarquable, l'étude des mesures partielles prouve
que cet accroissement a porté exclusivement sur la région
frontale.
s Ces changements sont l'effet de l'éducation. Repre-
nant sur des bases plus étendues et plus naturelles les
études déjà commencées par Parchappe, j'ai prouvé que
les hommes de la classe éclairée ont la tête plus' volumi-
neuse que les illettrés et que cette différence est due au
plus grand développement, absolu et relatif, de la région
crânienne antérieure des premiers (1). »
Après Broca que tous les anthropologistes ont toujours
regardé comme le maître de là science et qui est mort en-
touré de l'estime et de l'admiration générale, on peut
encore citer M. Topinard dont l'opinion est d'une si haute
valeur dans toutes les questions d'anthropologie pratique.
Les circonvolutions et le cerveau entier, dit-il, se perfec-
tionnent, s'accroissent et se compliquent en proportion
de l'activité que déploie l'organe. » II répète plus loin
« Lé
cerveau s'accroît; toutes choses égales, en proportion
de l'activité vasculaire dont il est le siège. Mais de tous
les genres d'activité, celui qui est le plus conforme à la
destination de l'organe a le plus d'efficacité. Telle est l'ac-
tivité physiologique dont la résultante est l'intelligence.
III.
APPLICATION DU DARWINISME A L'ETHNOLOGIE DE l'ÉGYPTE,
GRECS ANCIENS ET GRECS MODERNES.
(1)
des àu
Voir Salomon Reinach, Le vaiedatisnie en Orieixt, dans la Zievue
1er mars 1SS3.
N'est-ce pas un fait curieux que cette oblitération pro-
fonde de toute aspiration élevée dans l'esprit du Grec mo-
derne, quand ses ancêtres ont toujours mérité la réputation
incontestable d'avoir été les premiers artistes et les pre-
miers penseurs du monde entier? Ce fait est d'autant plus
remarquable que la Grèce restaurée a été l'objet de l'en-
couragement continuel de toutes les puissances civilisées
de l'Europe. Partout, elle a constamment rencontré des
sympathies agissantes qui l'accompagnent et lui facilitent
la voie. L'état actuel de l'esprit national dans la patrie de
Démosthène prouve donc une vérité de premier ordre.
C'est que le sentiment de l'art, le culte du beau, la produc-
tion des plus belles œuvres littéraires, toutes ces qualités
superbes qui florissaient chez les anciens Hellènes ne sont
nullement un caractère distinctif de race. Elles constituent
plutôt la fleur de l'esprit humain qui ne s'épanouit que là
où la civilisation a fait pousser l'arbre de science qu'elles
couronnent et embellissent. Cet état de choses démontre
encore que toutes les races sont susceptibles de civilisa-
tion, mais que toutes sont aussi susceptibles de la plus
profonde décadence. Pour se relever, quand elles sont tom-
bées dans une voie de dégénération parcourue dans une
longue mesure, il faut une somme de temps et des cir-
constances favorables,agissant lentement, mais constam-
ment car c'est toujours paresseusement, avec des oscilla-
tions de vive ardeur et d'étonnante langueur qu'elles
recommencent l'évolution.Certainement, la Grëce régéné-
rée brillera dans l'avenir d'un lustre qui surpassera peut-
être sa gloire antique, suivant la conception plus large que
nous avons aujourd'hui du progrès. Une race humaine
quelconque ne tombe jamais dans un état d'éternelle sté-
rilité elle reprend tôt ou tard l'ascension magnifique qui
conduit aux hauteurs de la civilisation. Mais si cette vérité
indiscutable s'applique à toutes les branches de l'humanité,
il n'est pas moins vrai que des causes accidentelles puissent
survenir qui la mettent en évidence ou l'éclipsentpour un
long espace de temps.
Les Grecs, de race blanche, à la faveur de circonstances
heureuses, ont pu reprendre le fil du progrès qu'ils avaient
perdu avec leur autonomie, durant plus de vingt siècles.
Tel n'est pas le cas des noirs Égyptiens, créateurs de
la civilisation nilotique. Devant l'envahissement de l'élé-
ment blanc, les uns se sont refoulés dans la Nubie, avec
l'émigration des deux cent quarante mille soldats qui se
dirigèrent vers les cataractes du Haut-Nil, sous le règne de
Psaméthik les autres, continuellement croisés avec des
peuples d'origine blanche qui ont fait irruption en Egypte
à différentes époques de l'histoire, ont presque disparu
par suite de ces croisements vingt fois séculaires. Il a fallu
d'immenses recherches et de nombreux travaux d'érudi-
tion pour qu'on pût en recomposer la généalogie ethnique.
C'est ainsi que les paléontologistes, à l'aide des pièces
éparses et des inductions scientifiques, sont parvenus à
reconstituer ces curieux animaux qui vivaient sur la terre
à des époques lointaines et démesurément reculées, mais
ont complètementdisparu de la faune actuelle.
Cependant les noirs congénères de l'ancienne popula-
tion égyptienne ne peuvent-ils pas tout aussi bien que
les Grecs, remonter réchelle lumineuse qui va de la
sauvagerie à la civilisation, c'est-à-dire de la dégrada-
tion au perfectionnement de la race? Rien n'indique
que l'Ethiopie où s'est concentrée la force vive de la race
noire, irradiant vers l'Afrique occidentale, ne reprendra
pas dans l'avenir la suite des grandes traditions inter-
rompues et déviées par plus de vingt-quatre siècles de
rétrogradation. Le sang brûlé de l'Abyssin on du Yolof
ne lui inflige aucune incapacité [naturelle, insurmontable
et dont la perennité soit une cause de désespérance ce pour
28
nn
tous ceux qui croient à la possibilité du relèvement et de
la rédemption morale et civilisatrice de toutes les races
humaines.
Sans écouter la voix des savants qui prêchent une fausse
doctrine, en affirmant l'inégalité native des races, la
science, la vraie science proteste par chacune de ses acqui-
sitions contre ces théoriesdésolantesqui semblent condam-
ner à l'abjection, et sans appel, toute une partie de l'hu-
manité aussi fière de son titre que tous les autres hommes
et aussi digne de le porter que quiconque. La conviction
profonde de l'égalité que la nature a mise dans le cœur de
chacun sera un éternel démenti à toutes les doctrines qui
tâchent de diviser les hommes, en mettant les uns au-
dessus des autres. Cette voix de la conscience n'a pu être
oblitérée que par un calcul étroit, que par de fausses con-
ceptions.
C'est en vain qu'on a essayé de les légitimer, en y édi-
fiant un système sans base, incapable de résister à la
moindre analyse. L'erreur ne peut durer éternellement.
Du fond de la plus épaisse obscurité sort souvent une
lumière, d'abord confuse; mais elle croît graduellement,
brille soudain et éclaire enfin les choses qn'on a pris le
plus de peine à dissimuler. La vérité éclate alors dans
toute sa splendeur. Les moyens même dont on s'était servi
pour la voiler et l'empêcher de se manifester, concourent
mystérieusement à cette manifestation, espoir suprême de
ceux qui y croient et l'attendent, impassibles C'est ainsi
que de la race noire plongée dans la plus profonde dégra-
dation, contaminée et flétrie par les chaînes de l'esclavage,
courbée et brisée sous le bâton du contre-maître, démo-
ralisée et abêtie par un travail excessif, considérée, en un
mot, comme une race de brutes, devait jaillir le rayon in-
tellectuel qui grandira, s'étendra, pour briller comme un
astre et éclairer les faits, en prouvant l'égale aptitude
de tous les hommes à la civilisation et aux conquêtes su-
périeures de l'esprit. 11
ÉTRENNES.
A FÉLICIE.
FEMMES ET POÈTES.
AU LECTEUR.
(1) M. Guilbaud est arrivé à Paris ces jours-ci. Cet ouvrage était
déjà sous presse et nous ne pouvons que nous féliciter ici de voir
notre intéressant compatriote au sein de la grande cité, centre des
sciences et des arts.
prendre leurs, secrets, afin de s'assimiler tous les moyens
à l'aide desquels ils produisent ces effets de style magni-
fiques qui portent le comble à notre admiration et sem-
blent défier toute imitation. Par cette étude persévérante,
soutenue, M. Guilbaud est parvenu à se rendre familiers
les tours les plus difficiles et les plus délicats de la phra-
I séologie française qu'il manie avec une parfaite aisance. Il
| a été le ?éc»acteur en chef d'un journalparaissant à Port de
Paix., §a. ville natale. Encore bien que cette publication
I n'ait pas eu une longue durée, elle a suffi pour mettre en
I évidence toutes les aptitudes du jeune écrivain. Du premier
I coup, il avait montré avec quelle adresse il sait tenir une
I plume et. quelle ressource il sait en tirer. Merveilleuse,
I en effet» était la forme de tous ses articles. Tous ceux qui
I savent apprécier l'art de bien dire, art si précieux et rarer
eurent l'attention tournée vers cette nouvelle intelligence
qui tenait de; se manifester avec une exubérance harmo-
nieu.seme.nt tempérée; par le travail et l'étude.
Depuis, M. Guilbaud a beaucoup écrit ce sont des
discours, ou d'autres compositions littéraires où brille tou-
jours, sa plume si élégante; mais il n'y a jusqu'ici que ses
intimes qui aient le bonheur de jouir du charme, exquis, de
H ces diverses productions.
H Je l'avoue volontiers, j'ai toujours, vu avec, un vrai sen-
tigient d'orgueil ce jeune écrivain dont les talents incon-
H testâmes,, l'esprit charmant et fia sont une protestation si
H éloq.ue;nte contre la doctrine de l'iaégalité des races hu-
B main-es*. Pour qu'une doctrine, tellement ridicule, même
H comme simple opinion, ait pu se perpétuer au milieu de
H tant d'hommes décorés du titre de savants, il faut bien
S qu'ils n'aient jamais eu en présence de tels exemples.
Ht xlussi faisrje le vœu que se réalise la décision qui a> été.
H prise par les Chambrés d'Haïti d"envoyer ea Europe
Hj M. Guilbaud et M. Magloire, un autre jeune noir dont
j'aurai l'occasion de par!er (1). Sans doute, tous ces
échantillons de la race noire d'Haïti, dont les apparitions
successives et multipliées sont un signe visible de la
régénération du sang africain, viendront se perdre dans
lesflotsde l'immensepopulationparisienne où tout le monde
s'agite, remue la matière et les idées dans un labeur sans
fin. Mais qui sait quelle révolution ne s'accomplirait pas
dans l'esprit du monde européen si, de temps à autre, on
rencontrait des Noirs tels que ceux-là, si bien faits pour
détruire les prétentions que la race caucasique affiche au
monopole de l'intelligence et de toutes les aptitudes supé-
rieures ?2
On assure, dans les journaux d'Haïti, que M. Guilbaud
va publier prochainement un volume de poésies et d'autres
travaux littéraires en prose (2). Qu'il le fasse donc En
agissant ainsi, il trouvera le meilleur moyen de juger de
ses forces et d'apprécier le résultat obtenu dans le travail
solitaire du cabinet. La publicité est une grande épreuve;
mais c'est aussi une grande école. Lorsqu'on a les qualités
solides que fait briller l'esprit de notre jeune écrivain, on
gagne certainement à affronter ces passes difficiles où les
faibles succombent, mais d'où sortent les forts avec la
palme du triomphe et de la gloire.
Je serais particulièrement heureux d'avoir sous les yeux
le recueil de poésies ou les compositions en prose de
M. Guilbaud. Ne pouvant choisir, je suis obligé de, me con-
tenter de ce qui me tombe sous la main. Ce sont des vers
écrits en 1883 et adressés à M. J.-J. Chancy, un autre jeune
TOUSSAINT-LOUVERTURE
A l'aspect de la flotte française (1802).
«
Grande aussi leur valeur! Ces farouches guerriers
Qui savent à les suivre obliger la victoire,
Sans doute, en s'éloignant des rives de la Loire,
A leur patrie ont dit «
Tressez-nous des lauriers I»
« Pourtant je ne crains pas; en leur livrant bataille,
De hâter pour les Noirs l'heure du talion,
D'opposerma poitrine â ces cœurs de lion,
 ces soldats géants de mesurer ma taillei
«
Malheur à qui s'avance en nos gorges profondes!
Dans nos vastes projets,j'ai pour complice. Dieu!
Et je sens bouillonner dans mes veines en feu
Ce pouvoir créateur qui fait surgir des mondes!
1
de M. Dulciné Jean-Louis, noir aussi, son collaborateur et
son émule respectueux. M. Jean-Louis, dans la rédac-
tion du journal « L'Indépendance », a fait preuve du plus
grand mérite; mais son plus beau titre est la production
d'une œuvre dont l'utilité est infiniment considérable pour
son pays. La Bibliothèque de l'agriculteur haïtien, écrite
en plusieurs volumes in-12, est un traité d'agronomie pra-
tique où tous ceux qui s'occupent du travail agricole, en
Haïti, trouveront les renseignements techniques les plus
profitables. Le style en est clair, correct et précis. En se
rappelant combien peu les hommes qui se dédient à la po-
litique pensent à ces questions spéciales, encore qu'elles
soient d'une importance capitale, on ne peut assez admi-
rer la belle et consciencieuse publication de M. Jean-
Louis.
Mais combien d'autres noirs ne pourrait-on pas nommer,
si cette revue ne s'allongeait pas outre mesure Il fau-
drait encore citer MM. Augustin Guillaume et Arteaud,
deux hommes d'une instruction solide et d'un esprit fort
bien cultivé. Ils sont au nombre de ces pionniers de l'ave-
nir qui doivent montrer la voie du progrès à la généra-
tion qui grandit. Ceux qui, comme eux, ont des talents
remarquables et des facultés intellectuelles supérieure-
ment développées, ne seront jamais trop nombreux parmi
la jeunesse haïtienne.
Aussi, combien ne faut-il pas regretter la mort de Ber-
thaud, avocat intelligent, tribun éloquent, tombé si jeune
dans nos discordes civiles, gouffre où disparaissent tant
d'Haïtiens, tous pleins d'avenir Berthaud, esprit ouvert,
amant passionné du juste et du beau, promettait de
devenir une des gloires de la race noire, si, échappant
à une cruelle destinée, il ne se fût pas éteint, hélas comme
Brutus à Philippe," dans l'horreur du doute et du déses-
poir.
Mais pourquoi émettre ces notes douloureuses dans le
cours d'une démonstration où il faut tout le calme et toute
la sérénité de l'esprit ?
Parlons plutôt de l'un des plus intéressants parmi nos
jeunes noirs d'Haïti, de M. Magloire. Intelligence d'élite,
égalant tous ceux q»e l'on connaît déjà, par la vivacité de
compréhension qui est spéciale à la race éthiopique, M. Ma-
gloire est surtout remarquable par sa grande aptitude pour
les sciences mathématiquesqu'il mène de front avec l'étude
des lettres, des sciences philosophiques et historiques.
Ayant achevé ses humanités et fait sa philosophie au ly-
cée de Port-au-Prince, il a continué à travailler sans relâ-
che et complète chaque jour les notions acquises par les
travaux de l'école.
M. Robelin, un Français, licencié ès-sciences et profes-
seur de mathématiques au lycée du Cap-Haïtien, m'a cons-
tamment parlé des aptitudes supérieures de M. Magloire,
qu^ travaille souvent avec lui et fait preuve d'une vivacité
d'esprit peu ordinaire. A cette occasion, M. Robelin dont
la science solide et le caractère indépendant sont un titre
excellent, m'a communiqué l'observation qu'il a faite bien
des fois, soit au Cap-Haïtien, soit à Port-au-Prince, de la
grande facilité de conception que montrent la plupart
des jeunes lycéens noirs dans les mathématiques, où ils ne
semblent jamais rencontrer de difficultés insurmontables.
La confidence ne m'a nullement étonné; car M. Roulier,
Français et licencié ès-sciences aussi, mon ancien profes-
seur de mathématiques,n'avait jamais qu'à se louer des
dispositionsheureuses de la majeure partie des élèves qui
composaient les classes supérieures du lycée du Cap-
Haïtien, à l'époque où j'en suivais les cours.
M. Magloire, qui est encore bien jeune, poursuivra, sans
nul doute, ses études de mathématiques et augmentera
ses aptitudes dans cette sphère intellectuelle. Ce sera une
action méritoire en faveur de sa race elle aidera parti-
culièrement à affirmer que les noirs sont aussi aptes à
s'occuper des mathématiques (1) que des lettres, de la
philosophie, ou des sciences biologiques. Nous avons déjà
montré, appuyé sur la grande autorité 'd'Auguste Comte,
que c'est une conception fausse que celle qui considère les
mathématiques comme l'application la plus élevée de l'in-
telligence, établissant en leur faveur une espèce de préval-
lence sur d'autres sciences autrement difficiles et com-
plexes. En supposant même qu'on fût autorisé à voir dans
l'arithmétique, l'algèbre, la géométrie et la mécanique
analytique, les connaissancesoù se développe le plus haut
degré de l'intelligence, la parfaite aptitude des noirs à l'é-
tude de ces différentes sciences viendrait encore une fois,
infirmer la théorie de l'inégalité Ses races.
Préjugés et vanités.
~~5z~ bnn
Vanitas vanitatum.
(L~ECCL6SIA&TB~.
Das Ifwz, in MtM', stolzer Ruh,
Schliesat endlich slclt d.et· Liebe zu.
(SotiHEtt).
Les comparaisons.
I.
PREMIÈRES CAUSES D'ERREUR..
Toute science subit invinciblementl'influence du temps
et du milieu dans lesquels elle a été constituée non que
la vérité scientifique dépende d'un accident ou des circons-
tances contingentes; mais parce que les sciences s'édifient
toujours sur up-ensemble de faits préalablement étudiés et
desquels on tire les premiers éléments de généralisation
transformés plus" tard en lois, quand on a suffisamment
constaté les rapports nécessairesqui en dérivent. Ces faits
peuvent avoir été mal étudiés, les éléments de généralisa-
tion peuvent avoir été insuffisants ou les rapports mal
I appréciés; alors la science s'établit sur des bases instables,
invraies,donnant à l'erreur une telle force dans la croyance
universelle, qu'elle devient pour longtemps un obstacle po-
sitif à la manifestation de la vérité. Celle-ci n'éclate enfin
qu'au prix de mille travaux et exige même des dévouements
qui aillent jusqu'au martyre! On peut citer l'exemple des
premières généralisations absolument hâtives, auxquelles
I se buta la science astronomique dans sa première période,
I et dont l'erreur sur le mouvement diurne a écarté pour
longtemps toutes les inductions de la mécanique céleste
devenues les belles lois de Kepler et de Newton. Ce n'est
pas que Ptolémée, pour formuler son système, ait eu l'es-
prit moins vif, l'intelligence moins claire que ceux qui ont,
dans la suite, révolutionné la science, en revenant sur les
idées de Pythagore qu'ils ont consolidées par une démons-
tration qui leur manquait; cependant la connaissance in-
suffisante qu'on avait du monde en son temps et l'absence
des procédés analytiques, employés beaucoup plus tard, le
mirent dans l'incapacité absolue d'atteindre à la yérité si
solidementétablie par Copernic, si solennellement éprou- r
vée dans la personne de Galilée.
Les mêmes causes d'erreur qui ont influencé l'esprit du
célèbre continuateur d'Hipparque, ont grandement influé
sur les premiers essais de classification anthropologique
et sur les idées erronées qui leur servent de corollaires.
Pour en bien comprendre la nature, il faut se figurer
l'époque où l'anthropologie a pris naissance et l'état res-
pectif des races humaines qu'il fallait alors étudier, cha-
cune dans ses qualités physiques, intellectuelles et mo-
rales.
Lorsque Blumenbach commença de s'occuper de l'étude
de l'homme au point de vue des sciences naturelles et
qu'il dut considérer les divers groupes ethniques qui for-
ment l'humanité, suivant leurs aptitudes spéciales, -la
race blanche,après un travail persévérant et soutenu, avait
déjà atteint un degré supérieur de développement.L'his-
toire industrielle, scientifique et littéraire des peuples euro-
péens était remplie des plus beaux faits. Une civilisation
raffinée avait si bien transformé la plus grande partie des
nations d'origine caucasique que, là où l'on voyait naguère
des Celtes, des Cimbres, des Goths, des Vandales ou des
Suèves, c'étaient déjà les Français, les Allemands, les
Anglais, etc., qui s'exhibaient aux yeux du monde, ayant
produit les plus grands savants et les plus brillantsartistes
dont une race peut s'enorgueillir.
D'autre part, la race noire, après des siècles d'une déca-
dence profonde, était tombée dans un état de complet
abâtardissement. Au lieu de cette évolution progressive
qui a conduit la race blanche à. de si belles formes physi-
ques et à une si grande puissanceintellectuelle, il semblait
que l'Ethiopien fût travaillé par une force toute contraire,
l'attirant vers les formes primitives de l'espèce. Il faut
avouer qu'un tel état de choses n'était pas fait pour donner
les meilleurs éléments d'appréciation.
La race noire était, de plus, fort mal connue en Europe.
Il est vrai que les grands voyages autour du monde, qui
ont de mieux en mieux complété les notions géographiques,
étaient en majeure partie exécutés. Mais on tombait, sans
aucune préparation d'esprit, au milieu de peuples étran-
gers, différant des Européens tant par la coloration, par les
traits du visage que par leurs mœurs sauvages; on ignorait
leurs langues et leurs habitudes. Tout fut donc un obsta-
cle pour qu'on arrivât à les étudier rationnellement. Cette
étude était d'autant plus impossible que les voyageurs,
sans être des ignorants, étaient le plus souvent dénués de
toutes les connaissances spéciales qu'il faudrait réunir
pour la bien faire. Les savants qui étaient à même de voir
des hommes noirs et de les étudier personnellement, ne les
rencontraient que dans les colonies européennes, à l'état
d'esclaves. Pouvait-on imaginer de plus mauvaises con-
ditions ? Qu'on prenne la plus intelligente des nations de
l'Europe moderne; si, par un concours de circonstances
difficiles à réaliser, on se la figure réduite en esclavage,
avilie par un long régime de dégradation morale, éreintée,
abrutie par un travail excessif, maltraitée à l'égal de bêtes
de somme, croit-on qu'elle paraisse encore douée des apti-
tudes supérieures qui distinguent les hommes libres et
instruits de la même race? Assurément, non. Mais alors
a-t-on pensé aux effets déprimants qu'a dû produire l'es-
clavage sur les hommes qu'on examinait dans le but de
fixer une mesure à l'intelligence des noirs ?
Je ne veux pas m'abandonner à une sentimentalité exa-
gérée, en renouvelant toutes les complaintes qui ont été
faites sur le sort déplorable de l'esclave noir, si inhumai-
nement traité par la cruauté et la rapacité des Européens.
œ
La case de l'oncle Tom a suffisamment dramatisé ces
scènes horribles de la servitude, pour qu'on se contente d'y
renvoyer le lecteur, sans disputer à Miss Beecher Stowe le
succès consolant qu'elle a eu dans ce genre de littérature
qui est un vrai sacerdoce. Mais veut-ôn avoir une idée plus
saisissante de l'influence dépressive de l'esclavage sur l'es-
prit et le cœur de l'homme ? Qu'on lise alors le livre amè-
rement sombre mais plein de faits, que Fréderik Douglass
a intitulé Mes années d'esclavage et de liberté! L'auteur
est un homme de couleur d'une intelligence considérable.
Si, au lieu de naître esclave, il avait été, dès son enfance,
élevé dans les universités de Wespoint ou d'Oxford, il eût
sans nul doute obtenu toutes les palmes qui font la répu-
tation des plus savants. Aussi, ses maîtres ayant remarqué
en lui ces aptitudes et ces aspirations qui sont des crimes
quand elles se montrent dans un esclave, résolurent-ils
d'éteindre en son âme l'étincelle sacrée, d'en effacer toute
énergie morale, pour ne laisser vivre qu% la brute, la ma-
chine passive dont seule ils avaient besoin. Il y avait des
blancs spécialement organisés pour cet éreintement et qui
jouaient supérieurement leur rôle de bourreaux. Ils se nom-
maient les rompeurs de nègres. Douglass fut remis à l'un
de ceux-là, portant le nom de Covey. La première correc-
tion qu'il en reçut fut sanglante; quoique tout jeune et
faible, il voulut résister, mais c'était déchaînerla fureur du
monstre.
"N.
k Covey bondit, raconte Douglass, arrache mes vête-
ments les coups pleuvent, ma chair lacérée saigne à flots
Il fallut des semaines pour sécher les plaies, sans cesse ra-
nimées par la rude chemise qui les frottait iour et nuit.
« Les mauvais traitements, pas plus que le fouet, ne
firent défaut pendant que me rompait messire Covey. Mais
comptant plus., pour arriver à son but, sur l'excès de tra-
vail, il me surmenait sans pitié.
« Le point du jour nous trouvait aux champs; minuit
nous y retrouvait en certaines saisons. Pour stimulants,
nous avions la courbache pour cordiaux, les volées de bois
vert. Covey, surveillant jadis, s'entendait au métier. Il
avait le secret de la toute présence. Eloigné ou proche,
nous le sentions là. Arriver franchement ? Non. Il se ca-
chait, il se dérobait, il se glissait, il rampait, et tout à coup
émergeait. Tantôt, enfourchant son cheval, il partait à
grand fracas pour Saint-Michel; et trente minutes après,
vous pouviez voir le cheval attaché dahs la forêt,Covèy
aplati dans un fossé ou derrière un buisson. guettant ses
esclaves. Astuce, malice empoisonnée, il avait tout du
serpent.
« Brutalités, dégradations, travail aidant; lès plus longs
jours étaient trop courts à son gré, les plus courtes nuits
trop longues; le dompteur accomplissait son œuvre. Rom-
pu* je l'étais.. Ame, esprit, corps, élasticité, jets d'intelli-
gence tout brisé, tout écrasé! Mes yeux avaient perdu
leur flamme, la soif d'apprendre s'était évanouie, l'homme
avait péri; restait la brute. Et si quelque éclair de l'an-
cienne énergie, quelque lueur d'espoir se rallumait soudain,
c'était pour me laisser plus dévasté (1). »
Cette peinture horrible que l'honorable Marshal de Co-
lombie fait avec tant de simplicité, presque sans colère,
II.
SUPERSTITIONS ET RELIGIONS.
III.
LA MORALITÉ DANS LES RACES HUMAINES.
(1) Mme Clémence Royer, Congrès int. des scien. ethnog., etc. p. 5/5.
(2) Revue politique et littéraire, n° 11, 1« sem., 3e série, p. 329.
plaît mieux que les Noirs. Nous avons déjà vu le témoi-
gnage de Moreau de Saint-Méry,dépeignant la propreté re-
marquable des femmes noires transportéescomme esclaves
en Haïti. Mais supposons qu'à l'intérieur de l'Afrique les
Nigritiens se montrent peu soucieux de la toilette et ne
sont nullement affectés des émanations les plus dégoû-
tantes, sont-ils les seuls à faire preuve de cette perversion
du sens de l'odorat '?1
Voici ce que dit M. Louis Figuier d'un peuple qu'on place
parmi les nations de race mongolique, parce qu'elle est
dans un état qui touche à la barbarie, mais dont la couleur,
sinon les traits, est bien celle de la race blanche, dans la-
quelle on admet si complaisamment les Guanches et les
Kabyles bronzés. c Madame Eve Félinska, exilée en Si-
bérie, a visité, autant que cela se pouvait, les huttes des
Ostiaks. Notre voyageuse ne put, malgré l'intérêt de la
curiosité, rester plus d'une minute dans ces habitations,
tant elles exhalaient des miasmes putrides. Les Ostiaks
ont pour premier vêtement une couche de graisse rance
qui recouvre leur peau, et par-dessus une peau de renne.
Ils mangent tout au poisson et au gibier c'est leur nour-
riture ordinaire. Mais de temps à autre, ils viennent à
Berezer avec de grands seaux d'écorce d'arbre pour recueil-
lir le rebut des cuisines dont ils font leurs délices (1). »
D'après M. Büchner, ils pousseraientla malpropreté jus-
qu'à l'idéal. « L'Ostiaque, dit-il, barbouille ses idoles de
sang et de graisse et leur bourre le nez de tabac (2). D
Hérodote rapporte que les Boudini, tribu slave, étaient
des mangeurs de vermine (çOeiporpaysovirEi;). En effet, on n'a
qu'à lire les écrits de ceux qui ont voyagé en Russie pour
se faire une idée de l'abjection dans laquelle se trouvait, il
I.
II.
LES ACTEURS DE L'INDÉPENDANCE D'HAÏTI.
III.
TOUSSAINT-LOUVERTURE.
La solidarité européenne.
I.
INFLUENCE DE L'UNION CAUCASIQUE SUR LA THÉORIE
DE L'INÉGALITÉ DES RACES.
Il est certain que la civilisation, en se perfectionnant,
développe parmi les hommes un sentiment de solidarité
chaque jour plus vif. Des peuples, éloignés les uns des
autres par des distances considérables,se prennent réci-
proquement d'une sympathie profonde, agissante, qu'on
découvrirait avec peine, naguère, parmi les gens de la
même nation mais de province distincte. Ce sentiment
n'existe pas lorsque, l'unité morale n'étant pas encore
complète, on porte le même drapeau sans être inspiré
des mêmes idées, sans vivre des mêmes émotions, plaisir
ou souffrance qui se ressentent ensemble dans la société,
par ce sens élevé qu'on pourrait nommer le sens pa-
triotique, et qui réunit en un lien ineffable tous les res-
sorts de l'organisme social. Cet altruisme progressif, qui
est une preuve évidente de l'amélioration morale des
hommes policés, ne règne pas pourtant sans contre-poids
dans les actions individuellesou collectives de l'humanité.
Il y a partout des antinomies. Avec l'idée de patrie
se
développe aussi de plus en plus, dans l'espèce humaine,
un égoïsme supérieur, transcendant, et dont l'effet est de
désirer, de rechercher même pour communautépolitique
sa
tout ce qu'il paraîtrait insensé de rechercher pour soi-
même. Pourvu qu'il s'agisse d'un but patriotique à
atteindre, il semble que tous les moyens deviennent légi-
times toutes sortes d'habiletés, justifiables. Scipion l'Afri-
cain, accusé de corruption, se contenta, pour toute défense,
de dire à la foule réunie au forum Romains, c'est à
«.
pareil jour que j'ai vaincu Annibal à Zama; allons au
Capitole en rendre grâce aux dieux. » De même fait aujour-
d'hui le politicien qui a commis les plus grands forfaits
contre la morale et'le droit il se contente de répondre à
toutes les accusations « J'ai agi en patriote, je ne puis
être jugé que par mes pairs! En se défendant ainsi, on
obtient infailliblement les applaudissements de la foule,
toujours impressionnable, toujours prête à se laisser en-
traîner par les grands mouvements de l'âme.
L'empire que prend actuellement sur les esprits l'idée
de la patrie, si bien faite pour inspirer à l'homme les actions
éclatantes comme les grandes pensées, s'explique d'ail-
leurs facilement. C'est une conception de plus en plus
claire, de plus en plus large des devoirs auxquels chacun
est moralement assujetti envers le pays où il est né, où il
s'est développé, en y prenant tout ses habitudes, son
éducation, son esprit. Mais quelque élevée, quelque abs-
traite que soit cette idée, elle ne pourrait subsister long-
temps si elle ne s'adaptait à dçs formes tangibles qui en
constituent la représentation concrète et lui donnent un
Caractère pratique à l'aide duquel on puisse vérifier ses
manifestations, sans aucune équivoque. Le patriotisme de-
vait donc se traduire naturellementpar une affection sans
égale pour la terre natale. Mais.en elle, on ne voit surtout
que ceux qui ont joui et souffert avec nous ou'dont les
pères ont eu à conjouir et condouloir avec les nôtres;
ceux qui forment avec nous une réunion où les aspi-
rations communes sont soutenues par un ensemble de
coutumes identiques, par un tempérament physiologique
et psychologique dont la moyenne est commune, ou bien
est toujours considérée comme telle, toutes les fois qu'il
s'agit de la comparer à celle que semble présenter le tem-
pérament d'un autre groupe. C'est par ce côté que l'idée
de race fait son entrée dans les actions d'un peuple et
y
influe à l'égal même du patriotisme avec lequel elle se
confond, en le complétant. L'influence ethnique ainsi en-
tendue ne saurait être niée dans les actes politiques des
nations, voire dans les appréciations qu'elles font de
toutes les questions à éclaircir, même au point de vue ra-
tionnel. Alors même qu'on n'en dise mot, elle reste encore
infiniment puissante, étant si positive et agissante dans
les événements qui se déroulent comme dans les théories
qui s'élaborent.
C'est un fait. On peut remarquer dans le cours de l'his-
toire contemporaine que toutes les compétitions interna-
tionales, qui ont conduit les peuples à s'entrechoquer sur
d'immenses champs de bataille, en des guerres horribles,
exterminatrices, proviennent, pour la meilleure partie, des
rivalités de race. Sans doute, la collision n'a pas toujours
lieu entre des races franchement distinctes. C'est le plus
souvent entre les sous-races de l'Europe que l'on voit sur-
gir ce déchaînementaffreux de l'instinct belliqueux, où cha-
cun ne songe qu'aux moyens les plus meurtriers, les plus
expéditifs, pour réduire à l'impuissance et dominer son ad-
versaire, transformé en ennemi implacable dans la terrible
mêlée. Des hommes qui semblaient nés pour s'entendre et
évoluer ensemble vers un progrès réalisé en commun, se
trouvent gênés de marcher, les uns à côté des autres, sur le
même continent. C'est qu'une cause mystérieuse les pousse
à cette conflagration périodique. L'amour de la patrie, de
plus en plus vif, poussé jusqu'à une dévotion étroite, leur
inspire des préoccupationsqui ne permettent pas de repos,
tant que la nation à laquelle ils appartiennent n'occupe
pas. le premier rang et ne préside pas, pour ainsi dire,
aux destinées des autres, avec une hégémonie incon-
testée. Aussi, toute la somme d'ambition et d'égoïsme
mesquin qu'il est devenu honteux à un homme de con-
cevoir pour lui-même, tend-on à la déverser en faveur
de sa patrie, ou de sa race pour lesquelles on ne peut
jamais être trop ambitieux. Bien plus, ces préoccupa-
tions ne se limitent pas aux temps présents elles vont
plus loin elles visent même l'avenir le plus éloigné pos-
sible. De là une agitation incessante, où l'on se talonne,
toujours prêt à en venir aux mains, lorsque dans cette
soif de grandeur et de prééminence, l'un persiste à ne rien
céder à l'autre qui affiche des prétentions altières Bien
souvent, par un pénible exemple, on voit les plus forts
s'empresser de briser les plus faibles, avant même que ces
derniers soient parvenus à un degré de puissance qui fasse
ombre à leur orgueil ou contre-poids à leur prépondérance.
Or, si parmi les hommes de la race caucasique, il se ren-
contre une pareille rivalité, que sera-ce entre ces mêmes
hommes et ceux d'une autre race bien distincte, étrangère
à la leur, tant par le tempérament, par la physionomie et
la couleur, que par la différence des climats et de la cul-
ture intellectuelle? Qu'on en juge
Nous avons fait cette observation. Le sentiment de la
solidarité humaine prend une extension d'autant plus
grande que la civilisation est mieux implantée dans l'es-
prit et les mœurs des nations. Mais cette solidarité d'a-
bord plus étroite, plus intime pour ainsi dire, se développe
insensiblement pour embrasser, avec le temps, l'humanité
tout entière. Commencée dans le cercle le plus concentré
qui est la famille, elle s'étend du foyer domestique au clan,
du clan à la commune,puis à la province, à la contrée, à tout
le continent que l'on habite. Elle passe par les groupe-
ments les plus resserrés, pour continuer à s'étendre à la
plus large collection d'individus pouvant se remuer ensem-
ble dans un cercle d'idées communes. C'est ainsi qu'on est
membre d'une famille, ensuite Nantais, puis de la Loire,
Français, Européen, élargissant sans cesse la sphère d'acti-
vité et de sympathie qui nous tient le plus étroitement lié
à la destinée des autres hommes. Encore, avant de penser
qu'il est Européen, le Français, se rappelle-t-il qu'il appar-
tient davantage au groupe des peuples d'origine latine,
toutes les fois que ce groupe veut s'affirmer en face des
nations slaves ou germaniques Cela est si vrai que lorsque,
par une raison quelconque, un souverain ou un ministre
tâche de rompre ces alliances naturelles, pour rechercher
des forces plus avantageuses dans les compromis diploma-
tiques qu'une politique à courte vue justifie ostensible-
ment, les peuples protestent, résistent et ruinent par
leur force d'inertie tous les projets construits sur ces bases
anti-historiques.
Alphonse XII aura beau vouloir se faufiler avec l'Alle-
magne, que le peuple espagnol penchera du côté de la
France. Quand bien même le gouvernement allemand lutte
contre l'Autriche, le peuple allemand, placera les Autri-
chiens avant toutes les autres nations dans ses affections.
Cette inclination naturelle à se grouper suivant que l'indi-
que l'inspiration d'une parenté ethnique plus étroite peut
ne pas se manifester invariablement. L'Italie, quoique de
race latine et malgré tous les devoirs de la gratitude, peut,
à un certain moment, s'ériger en antagoniste de la France
et se montrer prête à se jeter dans les bras de l'Allemagne
ou de l'Angleterre, toutes les fois qu'il faut se dessiner
dans la politique internationale de l'Europe; les ouvriers
de Londres ont pu, dans un éclair de rapide générosité,
demander que le gouvernement anglais vînt au secours de
la France envahie par les Prussiens. Mais ces faits ne
changent rien aux lois de l'histoire. Ils n'empêchèrent
point que l'Angleterre et la Russie ne restassent sourdes
aux pressantes et patriotiques prières de Thiers, en lais-
sant faire les Prussiens; et lorsque l'Italie aura compris la
coûteuse vanité des rêves de suprématie européo-latine
qu'elle nourrit, à la remorque de M. Mancini et du roi
Humbert, elle reviendra paisiblement à ses traditions sécu-
laires.
Tout cela est presque aussi certain que le résultat d'un pro-
blème de mathématique; et il en sera ainsi de longtemps.
Mais de cet ordre de choses même découle un fait plus
général, qui nous intéresse particulièrement. Il en résulte
que toutes les nations européennes, de race blanche,
sont naturellementportées à s'unir pour dominer ensemble
le reste du monde et les autres races humaines. Si on dis-
pute à savoir qui dominera en Europe et laquelle des
civilisationsslave, germanique ou latine, doit donner le ton
dans l'évolution commune de la race caucasique, on est au
moins unanime à reconnaître le droit qu'a l'Europe.d'im-
poser ses lois aux autres parties du globe. Aussi, toutes
les fois qu'une puissance européenne prête son concours
ostensible ou caché à un peuple d'Asie ou d'Afrique, est-
ce mieux pour paralyser les progrès d'une rivale, dont elle
est jalouse ou redoute la grandeur, que pour favoriser ce
peuple auquel on ne vient en aide qu'avec l'arrière-pensée
de pouvoir l'exploiter à son tour
C'est un caractère particulier de la civilisation moderne
que les actions politiques et nationales, de même que les
actions individuelles et privées, ont communément besoin
d'une justification morale ou scientifique, sans laquelle les
acteurs ne se sentent pas la conscience tranquille. Hypo-
crite, subtil parfois est le raisonnement dont ils tirent
leurs règles de conduite; mais est-ce retins l'indice d'un
certain respect de la justice et de la vérité éternelles, aux-
quelles on rend hommage alors même qu'on les élude?2
Pour légitimer les prétentions européennes, il a bien fallu
mettre en avant une raison qui les justifiât. On n'a pu en
imaginer une meilleure que celle qui s'appuie sur la doc-
trine de l'inégalité des races humaines. D'après les déduc-
tions tirées de cette doctrine, la race blanche, étant unani-
mement reconnue supérieure à toutes, les autres, a pour
mission de dominer sur elles, car elle est seule capable de
promouvoir et de maintenir la civilisation. Elle en est de-
venue le porte-étendard élu et consacré par les lois mêmes
de la nature
Cette doctrine est-elle née d'une inspiration purement
platonique ? Nullement. Elle est le résultat du plus affreux
égoïsme, usurpant le nom de la civilisation, adultérant les
plus belles notions de la science, pour en faire les soutiens
des convoitisesmatérielles, lesmoins respectables du monde.
Les peuples européens, heureux d'être parvenus les pre-
miers à un degré de développement qui leur garantit
actuellement une supériorité incontestable sur le reste des
nations, ne voient en dehors de l'Europe que des pays et
des hommes à exploiter. Trouvant trop étroit le terrain où
ils sont nés et doivent vivre, ils recherchent,avec une insa-
tiable ardeur, des territoires plus vastes, où puissent se
réaliser leurs rêves de déployer à l'infini leurs immenses
ressources et d'augmenter de plus en plus leurs richesses,
sans qu'aucune difficulté les vienne contrarier. Partout et
chaque jour, se manifeste davantage en Europe cette soif
de coloniser qui est devenue insensiblement la passion
dominante de la politique. Cette aspiration grandissante à
s'emparer de territoires étrangers, habités par des regni-
coles qui ont possédé depuis une époque immémoriale la
terre où sont plantées leurs tentes, où sont établies leurs
huttes, terre mille fois sacrée pour eux, parce qu'elle con-
tient le dépôt précieux des cendres de leurs pères, a
quelque chose de souverainement brutal. Elle ne cadre pas
le mieux du monde avec la moralité du siècle et les pres-
criptions du droit des gens dont elle est la négation positive.
De là la nécessité de recourir à la casuistique et d'éluder
le droit par une considérationarbitraire des faits.
Le droit naturel, le droit des gens ne s'élève contre les
usurpations politiques ou sociales, que parce qu'il admet
comme premier principe l'égalité de tous les hommes, éga-
lité théoriquement absolue, intégrale, qui impose à chacun
l'obligation de respecteraussi religieusement son semblable
qu'il se respecte lui-même, tous ayant la même dignité
originelle attachée à la personne humaine. L'égalité de
droit ne pourrait se maintenir comme une pure abstraction,
n'ayant aucune corrélation avec les faits. Toutes les lois gé-
nérales de la sociologie, quelque élevée qu'en puisse être la
notion, doivent infailliblement se relier à une loi biolo-
gique qui leur serve de base et leur crée une racine dans
l'ordre des phénomènes matériels. Ainsi que nous l'avons
vu ailleurs, la base de l'égalité de droit, entre les hommes,
ne saurait être autre chose, que la croyance aprioristique
en leur égalité naturelle. Il a donc suffi à la conscience eu-
ropéenne de supposer les autres races humaines inférieures
à celles de l'Europe, pour que tous les principes de justice
aient perdu leur importance et leur mode d'application ordi-
naire, à chaque occasion où il s'agit d'empiéter sur les do-
maines de ces races déshéritées. Ce biais est d'une commo-
dité incomparable et prouve la fine adresse du Caucasien.
Sans doute, les choses ne se divulguent pas clairement.
Ceux qui s'occupent des questions anthropologiques, ou
même philosophiques, semblent ne se préoccuper aucune-
ment de la portée juridique des théories ou des doctrines
qu'ils préconisent; mais au fond tout s'enchaîne. Plus
d'une fois, l'homme d'Etat, acculé par des interpellations
difficiles et pressantes, s'abattra soudain sur ces théories
scientifiques qui semblent être si étrangères à sa sphère
d'activité.
Toutes les fois qu'on se trouve donc en présence d'Euro-
péens discutant la question scientifique de l'égalité ou de
l'inégalité des races humaines, on a en face des avocats
défendant une cause à laquelle ils sont directement inté-
ressés. Encore bien qu'ils aient l'air de se placer sous l'au-
torité de la science et de ne plaider qu'en faveur de la pure
vérité; alors même qu'ils se passionnent pour leur thèse
jusqu'à faire abstraction du mobile positif qui les y main-
tient, leurs argumentations se ressentent toujours de
l'influence que subit l'avocat plaidant pro domo sua.
Argumentant dans un sens contraire, peut-être ne fais-je
rien autre chose que céder à la même impulsion. La réci-
proque est vraie, pourrait-on dire; mais cela ne détruit
point le fait à démontrer. Or, il est constant que l'une des
causes d'erreur qui agit le plus puissamment sur l'intelli-
gence des philosophes et des anthropologistes,soutenant
la thèse de l'inégalité des races, c'est l'influence ambiante
qu'exercent sur elle les aspirations envahissantes et usur-
patrices de la politique européenne, aspirations dont l'es-
prit de domination et la foi orgueilleuse en la supériorité
de l'homme de type caucasien sont la source principale.
La plupart de ceux qui proclament doctoralement que
les races humaines sont inégales, que les Noirs, par
exemple, ne parviendront jamais à réaliser la civilisation
la plus élémentaire, à moins qu'ils ne soient courbés sous
la férule du Blanc, arrondissent le plus souvent leurs
phrases aux périodes sonores, en pensant à une colonie
qui leur est échappée ou à une autre qui ne leur reste
qu'en réclamant audacieusement l'égalité de conditions
politiques entre noirs et blancs. On ne renonce pas faci-
lement à l'antique exploitation de l'homme par l'homme
tel est pourtant le principal mobile de toutes les colonisa-
tions, soutenu par le besoin que les grandesnations indus-
trielles éprouvent d'étendre sans cesse leur rayon d'acti-
'vité et d'augmenter leurs débouchés. Économistes, philo-
sophes et anthropologistes deviennent ainsi des ouvriers
de mensonge, qui outragent la science et la nature, en les
réduisant au service d'une propagande détestable. En
fait, ils ne font que continuer dans le monde intellec-
tuel et moral l'œuvre abominable que les anciens colons
exerçaient si bien, en abrutissant l'esclave jaune ou
noir par l'éreintement matériel. Combien de travailleurs,
en effet, ne se laisseront pas gagner par un pénible et
sombre découragement, en lisant les sentences absolues
prononcées par les plus grands esprits contre les aptitudes
du Nigritien Combien d'intelligences naissantes, au sein
de la race éthiopique, ne se laisseront pas endormir au
souffle mortifère des phrases sacramentelles d'un Renan,
d'un de Quatrefages ou d'un Paul Leroy-Beaulieu! Ces
savants ont-ils conscience de leur malheureuse complicité?
Personne ne le sait, personne ne peut le savoir. Ce que
l'homme pense dans son for intérieur sera éternellement
un mystère pour les autres hommes. Cependant il y a un
fait positif, c'est que toutes les tendances colonisatrices
de la politique européenne les entraînent dans un courant
d'idées où l'égoïsme de race doit dominer fatalement, de
plus en plus, les pensées et les inspirations individuelles.
Ces tendances renforcent chaque jour les préjugés d'une
sotte hiérarchisation ethnique, plutôt que de les laisser
tomber dans un relâchement que l'absence de tout intérêt
actuel produirait infailliblement et naturellement. De
même que la majorité de leurs congénères, ils ne pourraient
s'affranchir d'une telle influence qu'en tant que leur esprit
serait suffisamment prémuni contre elle. Pourtant tout se
réunit de manière à ce qu'ils soient difficilement désa-
busés.
En effet, l'axe de la politique européenne semble tour-
ner vers l'Asie et l'Afrique. Toutes les ambitions s'en-
trechoquent, allant à la recherche d'un terrain propre à
leur agrandissementcommercial, c'est une course insensée
et bizarre, bien ressemblante à celle de Jérôme Paturot à la
recherche d'une position sociale! C'est à qui, des peuples
de l'Europe, aura la plus grande part dans cette curée où
l'on se précipite avec avidité. L'Afrique, peuplée de Noirs,
semble être de si bon droit accessible aux conquêtes de
l'Européen, que rien ne repousse les prétentions de ceux
qui veulent s'y procurer un lopin de terre, au détriment
de l'indigène. L'homme noir n'est-il pas d'une race infé-
rieure ? N'est-il pas destiné à disparaître de la surface du
globe, afin de faire place à la race caucasique, à laquelle
Dieu a donné le monde en héritage, comme, dans le mythe
biblique, il le donna aux descendants d'Israël? Tout se
fait donc pour le mieux, à la plus grande gloire de Dieu!
Les idées que j'esquisse légèrement ici ne sont nullement
le produit de ma seule imagination. C'est le résultat d'une
théoriequi est tellement répandueparmi les Européensque
les esprits les plus philosophiques n'ont pu échapper à sa
prestigieuse inspiration. Il serait peut-être étonnant de
voir un homme de la trempe de M. Herbert Spencer y
céder comme tous les autres et y compromettre; sans hé-
siter, sa réputation de profonde clairvoyance. Cependant,
il va plus loin que personne, en affirmant le droitd'extermi-
uation qu'a l'Européen contre tous ceux qui résistent à son
envahissement.Dans son traité de Morale évolutionniste,
qui est le couronnement de ses principes philosophiques
et scientifiques, on lit les paroles suivantes « Si l'on dit
qu'à la manière des Hébreux qui se croyaient autorisés à
s'emparer des terres que Dieu leur avait promises, et dans
certains cas, à en exterminer les habitants, nous aussi,
pour répondre à « l'intention manifeste de la Providence »,
nous dépossédons les races inférieures, toutes les fois que
nous avons besoin de leursterritoires, on peut répondreque,
du moins, nous ne massacrons que ceux qu'il est nécessaire
de massacrer et laissons vivre ceux qui se soumettent (1).
»
11 est curieux de constater à quelle conséquence la doc-
II.
I.
II.
LE COEUR DE L'AFRIQUE.
On remarquera sans doute que dans tout le cours de
ma démonstration,j'ai fait le moins d'usage possible des
notions que l'on a des peuples de l'Afrique centrale et qui
atténuent considérablement les préjugés qu'on s'est tou-
jours plu à entretenir sur la prétendue sauvagerie absolue
des Africains. En agissant ainsi, j'ai obéi à un scrupule
imposé par la science que je vénère au-dessus de tout. J'ai
voulu me retifermer sur des terrains généralementconnus
et où des discussions sérieuses peuvent être établies avec
tous les moyens de contrôle imaginables. Encore bien que
les influences du climat d'Afrique paralysent certaine-
ment l'essor de l'homme noir qui aspire à la civilisa-
tion, on peut bien le voir accomplissant dans ces condi-
tions mêmes une somme d'évolution hautement appré-
ciable. Pour en bien juger, on n'a qu'à tenir compte et
des lieux et des éléments qui lui sont disponibles.
Malgré les ardeurs du soleil tropical qui les accable et
les consume de ses rayons enflammés, les habitants de
l'Afrique équatoriale sont loin de mener généralement
cette vie purement animale que l'on imagine trop souvent
dans l'Europe moderne. Leur activité mal dirigée n'a
encore rien produit qui leur fasse un titre à la gloire ou à
l'admiration des peuples civilisés, si difficiles à étonner
mais ne suffit-il pas qu'ils en fassent preuve pour qu'on
ait droit d'espérer en leur avenir? « Des hauteurs de la
culture moderne, dit Hartmann, on se figure que la vie
de l'indolent Niger coule stérile et uniforme, comme une
rivière fangeuse à travers un lit bourbeux. Dansces régions
de haute civilisation où cependant la demi-science et même
l'ignorance trouvent encore place, on ne peut se faire une
idée de la vie singulière et restreinte, il est vrai, mais
pleine d'activité politique, religieuse et sociale des habi-
.tants du Soudan. Il faudrait que les psychologues vins-
sent voir (1). »
Il y a donc beaucoup à rabattre de toutes ces expositions
demi savantes où l'on parle des Nigritienscomme des gens
qui ne font signe que de la vie matérielle et végétative de
la brute. En effet, à mesure que les voyageurs éclairés et
consciencieux se dirigent en plus grand nombre dans cette
Afrique mystérieuse, qui reste encore pour nous comme
le sphinx colossal de l'antique Égypte, on revient insensi-
blement sur les erreurs longtemps accréditées et dont
l'influence a été de maintenir si longtemps les théories
ineptes que je combats ici. Non-seulement les Nigritiens
pensent et agissent comme tous les autres hommes, selon
le degré d'instruction et d'éducation de chacun, mais il est
évident que leur existence ne s'écoule point dans un dénû-
ment complet du confort indispensable à la vie euro-
péenne. « Les villes habitées par les Nègres, dit M. Louis
I.
ANGE ET DIABLE.
Si les causes d'erreur, qui ont été jusqu'ici signalées
comme pouvant influer sur l'intelligence de l'Européen
dans l'opinion erronée de l'infériorité de la race noire,
sont d'une importance incontestable,il s'en trouve d'au-
tres de beaucoup plus agissantes et plus influentes. Telles
sont celles qui prennent naissance dans l'aberration des
croyances religieuses ou dans un jugement à priori, faci-
lement établi par le vulgaire, confondant les apparences
extérieures et la nature même des choses. Dans cet ordre
d'idées il faut tout d'abord étudier l'influence que les doc-
trines théologiques ont exercée dans la vulgarisation de la
théorie inégalitaire.
Nul n'ignore combien la foi religieuse est puissante sur
l'évolution des esprits qui se sont développés à son ombre.
Le fidèle qui reçoit de la bouche du prêtre, savant théolo-
i
gien, une parole vague ou précise, rie se contente pas de la
simple conception de l'idée qu'on lui suggère. Il la tourne
et retourne, cherchant à en saisir les sens les plus cachés
comme les plus pratiques dans son âme en peine, il n'ob-
tient de repos que lorsqu'il parvient à réduire la pensée
abstraite en une forme concrète ou à prêter à la tradition,
si c'en est une, la réalité actuelle qui l'aide à se la figurer
matériellement. C'est par cette tendance que s'infiltrent
goutte à goutte, dans toute religion, des légendes burles-
ques, voire des superstitions. Elles finissent par s'y adapter
tellement bien qu'on ne peut les séparer, sans retirer à
cette religion qu'on veut épurer ce qui fait sa principale
force ou son principal attrait aux yeux de la multitude.
Bien entendu, il s'agit du commun des fidèles; car pour
ceux qui, doués d'une sensibilité exquise, sont ineffable-
ment imprégnés des effluves de la grâce et ne vivent que
de la vision des choses célestes, ils trouvent tout leur
bonheur à s'abîmer en Dieu, sans érailler leur esprit aux
angles de la contingence. C'est à l'aide de cette contempla-
tion perpétuelle des vérités divines que l'âme se purifie et
se transforme. Aussi les théologiens la définissent-ils en des
termes quintescenciés et troublants. C'est « une vue de
Dieu ou des choses divines, simple, pénétrante, certaine,
qui procède de l'amour et tend à l'amour. Mais il n'est
point question ici de cet état de grâce à la fois prévenante et
efficace. Toutes ces subtilités solennelles et fort respec-
tables n'ont jamais effleuré la tête du vulgaire, lequel
laisse aux Saint Anselme, aux Saint Thomas d'Aquin et
aux Sainte Thérèse le soin de dogmatiser et d'expéri-
menter dans la science par excellence, scientia Dei, homi-
nis et mundi.
Pour la foule, il faut des emblèmes qu'on peut voir et
toucher. Dans tout ce qu'on lui prêche ou qu'on lui explique,
il lui faut aboutir à cette matérialisation de l'idée ou tom-
ber dans la plus complète indifférence. De là, l'universalité
de l'anthropomorphismedans tous les systèmes religieux.
C'est l'action de l'homme rapetissant instinctivement la
divinité à des proportions humaines, pour en mieux saisir
le concept. Les faiseurs de religions, qui sont toujours de
fins politiques, ne le savent que trop et leurs ministres
suivent impertubablement les mêmes procédés. Dans
toutes leurs prédications, ils se servent de figures et
d'images délicatement appropriées à la propagation de la
foi. Le tout est mené avec une prudence de colombe; sans
rien avancer de manière à compromettre le prestige de la
parole révélée, mais usant de tous les à-propos pour la
rendre saisissante et fructueuse dans la récolte des âmes
C'est ainsi que dès la première époque du christianisme,
on inventa mille combinaisons propres à frapper les esprits
et à diriger leur attention sur les choses de la religion
chrétienne. Tous les peuples européens, au milieu desquels
devait se répandre la foi, avaient des superstitions qu'il
fallait respecter jusqu'à un certain point. Il y eut donc des
accommodements car il y en a toujours avec le ciel. De
toutes les inventions de la propagande ecclésiastique, celle
du diable était la plus ingénieuse et la moins négligeable.
En dehors du courant d'idées que soufflèrent sur le monde
catholique les doctrines de Manès, savant hérésiarquequi
eut l'idée de fondre avec le christianisme les principes du
mazdéisme, le principal dogme de la religion du Christ,
celui du péché originel et de la rédemption, devait infail-
liblement conduire les théologiens à la conception d'un
mauvais génie, un démon représentant l'esprit du mal.
Aussi, suivant la tradition biblique, le mythe du diable
prend-il naissance avec la genèse même de l'humanité.
Dès que Dieu eut créé l'homme» le seul être capable de
lui rendre témoignage, à ne considérer que notre globe
terraqué, le diable apparaît dans l'éden, berceau de l'inno-
cence et du bonheur pur, et commence sa malfaisante
besogne contre la destinée humaine. Il agit surtout en
haine du Tout-Puissant et inspiré par un orgueil infernal.
He trusted to have equalled the Most-High,
If the opposed (1).
Si horrible et si lez
Que très tous cels qui le veaièht
Sur leur serement affirmoient
C'onques mes laide figure
Ne en taille, ne en peincture
N'avaient à nul jour veue (1).
'
et pleines d'une sombre grandeur, dont la muse de la Lé-
gende des siècles connaît seule le secret, Hugo met
scène les deux principes, celui du bien et celui du mal.
en
IL
LA LÉGENDE DE CHAM.
En choisissant le facies du noir éthiopien, enlaidi à plai-
sir, pour figurer l'esprit immonde, selon l'expression de la
langue sacrée, les théologiens n'avaient fait que mettre
à contribution une des traditions les plus populaires de la
Bible, celle d'après laquelle la race noire avait été mau-
dite par Noé dans la personne de Cham. Or Noé, ayant
été le plus ancien patriarche, doit être considéré comme
l'organe même de Dieu, au point de vue de l'orthodoxie.
D'autres ont prétendu voir dans les Nigritiensla descend
dance de Caïn, lequel Dieu avait marqué d'un signe. Cette
marque serait cause que le frère d'Abel devint tout noir
après être né blanc; et sa postérité aurait généralement
hérité de cette malédiction physiologique. Mais cette der-
nière opinion n'eut iamais beaucoup d'accès parmi les
théologiens. Après l'avoir discutée, Bergier ajoute « II y
aurait donc moins d'inconvénients à dire que la noirceur
des nègres vient de la malédiction prononcée par Noé
contre Cham, son fils, dont la postérité a peuplé l'Afrique
(G. ch. 10, v. 13). Mais selon l'écriture, la malédiction de
Noé ne tomba pas sur Cham, mais sur Chanaan, fils de
Cham (G. ch. 9, v. 13); or l'Afrique n'a jamais été peuplée
par la race de Chanaan mais par celle de Phut (1).
Il s'agit ici spécialement de la couleur noire des Afri-
cains et l'habile théologien, qui défend la doctrine de l'unité
de l'espèce humaine, tâche de ne pas laisser à l'hétérodo-
xie polygéniste une arme quelconque contre l'opinion que
la foi et la tradition biblique ont généralement adoptée sur
l'unité d'origine de l'espèce humaine. D'autres, dans un
but absolument opposé, ont fait la même remarque et la
même distinction des deux passages également obscurs de
la Genèse. Ce serait trop long de s'arrêter ici à chercher
s'il n'y a pas en tout cela une ancienne altération des textes
de la Bible, ou si l'interprétation vulgaire qu'on a long-
temps faite de la légende de Cham n'est pas l'effet d'une
erreur volontaire. Toutes ces questions d'exégèse sont en
elles-mêmes trop complexes et difficiles pour que nous
ayons la chance d'y faire la lumière, pour ainsi dire, en
courant. Mais qu'on passe à l'article Cham, dans le même
ouvrage, on verra Bergier s'exprimer avec une parfaite
(1) Fr. Lenormant, Hist. anc. de < 0~-tgM.t, t. I, (9e édition)¡ p. 279.
bête noire Les fils de Voltaire et de Rousseau ont tout
envahi. Ils se sont emparés de toutes les prérogatives et
font la loi en tout. On pourrait donc penser qu'en dénon-
çant les croyances théologiques, comme une des sources
d'erreur les plus vives dans le maintien de la doctrine de
l'inégalité des races, je veux purement et simplement
exploiter le discrédit où sont tombées les choses de la foi
antique, afin d'agir plus facilement sur les intelligences et
de les convaincresans difficulté. Mais loin de là ma pensée
Je crois qu'il faut toujours rendre hommage à la vérité,
sans se préoccuper aucunement de celui qui en profité.
Les théologiens, tout en admettant que les hommes noirs,
les descendants de Châm, justifiént là parole biblique par
l'état d'esclavage Où ils gémissent, n'ont jamais fait autre
chose que d'user de l'avantage que leur offraient les faits
pour consolider l'autorité des dogmes catholiques et main-
tenir l'infaillibilité dé la révélation. Dans la pratique
sacerdotale et dans les institutions canoniques, ils n'ont
jamais admis théoriquement la doctrine de l'inégalité; En
effet, au point de vue de la théologie dogmatique, en accep-
tant même que les descendants de Cham aient été mau-
dits par le saint patriarche et subalternisés vis-à-vis de
là postérité de Schem et dé Japheth, la vertu de cette
malédiction, qui avait toute son efficacité sous le règne de
là loi mosaïque, disparaît avec l'avènement du Christ. Là
commence le règne de la grâce destiné à régénérer l'espèce
hutîlaiiie entière. C'est à ce point de vue de la théologie
spéculative que Fori dit ordinairement que Jésus est venu
effacer la distinction de sang et des races parmi les hommes.
Tous les hommes ont été rachetés par le mystère de là
sainte passion telle est l'orthodoxie appuyée tant sur les
évangiles que sur les prophètes (1).
III.
LES GRECS, LES LATINS ET L'ÉTHIOPIE.
m
(1)
i..à
piques ne pouvait être considéré par le Grec ou par le Ro-
main comme un homme de même valeur que ceux de leurs
m.
Virgile, Enéide, liv. V, v. 344.
- -»–JJ» i..m ««ma
races; mais un barbare de la Sarmatie ou de la Gothie
n'était pas mieux vu. Ce n'est pas que l'on ne fît jamais
attention à la couleur.Alors, comme aujourd'hui, une peau
bien blanche était regardée comme un agrément naturel,
un signe de distinction qui ajoutait à la beauté un prix
nouveau. Virgile nous en offre encore un exemple dans
ce bel Alexis très fier de sa personne, mais à qui Corydon
fait ainsi la leçon
O formose puer, nimium ne crede colori 1
Alba^ligustra cadunt et vaccinia nigra, leguntur (1).
Cependant malgré tous les motifs qui pourraient porter
les anciens Grecs et les anciens Romains, censés moins hu-
mains que les modernes, à voir dans les hommes noirs des
êtres méprisables et naturellement inférieurs aux blancs,
en vertu d'une imperfection générique, inéluctable, ils ont
toujours professé une opinion toute contraire. C'est une
remarque facile à faire. Toutes les fois que dans la littéra-
ture grecque ou latine, il est question de l'Ethiopien ou
de la couleur plus ou moins noire de la peau humaine, on
ne rencontre aucune de ces expressions humiliantes, au-
cune de ces idées de mépris dont la littérature chrétienne
de l'Europe moderne nous offre si souvent l'exemple.
A commencer par le père de la poésie grecque, le divin
Homère, aperçoit-on dans ses poèmes aucune trace de dé-
dain, quand il parle de la race noire ? Peut-on inférer, soit
de ses expressions, soit de ses épisodes, qu'il attachait un
caractère d'infériorité à la race éthiopienne?Non-seulement
il n'en dit aucun mal, mais il en exprime souvent une vé-
nération toute particulière. Ori peut citer, entre autres
passages de l'Iliade, celui où Homère dit que les Ethiopiens
étaient renommés par leur justice.
I.
AVEUX ET RESTRICTIONS.
Nouspourrions continuer à examinerd'autres influences
subversives, empêchant l'Européen de convenir du fait de
se
l'égalité des races humaines, fait que l'on ne saurait nier
mettre volontairement en contradiction avec
l'histoire et la science entière. Il est certain, par exemple,
que ceux qui voyagent dans les pays où se rencon-
trent des nations noires et encore jeunes dans la civilisa-
tiôn, ont une tendance positive à défigurer les traits
de ces nations et à renforcer, par leurs récits fantaisistes,
les anciens préjugés si profondément enracinés dans la
race caucasique. Les hommes les plus recommandables
par leur moralité et leur profond savoir s'y laissent
prendre avec autant de facilité que les sots ou les aventu-
riers. M. d'Abadie ne sera pas plus correct qu'ufi Victor
Maignan ou un Laselve. Et combien d'autres ne se sont
pas malheureusement oubliés* au point de vouloir imiter
des procédés contre lesquels ils devaient être les premiers
à protester 1
Mais, parmi les Européens, il n'y a pas toujours que des
hommes aveuglés. Tous ceux qui auront l'esprit suffisam-
ment prémuni contre les différentes causes qui para-
lysent si fort la raison et le sens commun, affirmeront
donc, après l'analyse de toutes les discussions que nous
avons vu se dérouler au sujet de l'égalité des races hu-
maines, que s'il reste une chose parfaitementdémontrée,
c'est bien le point suivant en aucune autre race, on ne
rencontre une plus grande vivacité d'intelligence, une
plus grande faculté d'assimilation, enfin une facilité d'évo-
lution plus grande que dans la race noire.
Partout où les conditions de milieu ne lui ont pas été
positivementhostiles et insurmontables partout où elle a
pu résister à leur influence délétère et régressive, elle
s'est mise spontanément à développer les plus belles
qualités de l'esprit et du cœur. Quand elle reste station-
naire, malgré les, avantages naturels du climat, on peut
bien certifier qu'il existe une cause occulte, politique ou
sociale, qui la paralyse, ralentit sa marche et amortit sa
force d'expansion. Cependant, comme les plantes vivaces
qui ont reçu la sève ardente et riche des terres tropi-
cales, elle repousse juste au moment où l'on pourrait la
croire morte; elle s'efforce et fait si bien qu'elle finit
toujours par renverser les obstacles et redresser sa tête
vers la lumière. Si donc on voulait se renfermer, rien que
dans le cercle de la science, pour discuter et comparer les
aptitudes des races humaines, nous pourrions avancer
hardiment que cette race noire ne doit céder le pas à au-
cune autre de ses rivales.
Aux États-Unis d'Amérique, où elle sort à peine d'un
état de sujétion trois fois séculaire, elle monte, fière et
résolue, à l'assaut de toutes les positions sociales. Mais
c'est à l'école surtout que cette ascension superbe se fait
remarquer. « Quand on pénètre dans une salle d'école à
Boston, dit M. d'Haussonville, une chose frappe d'abord
la vue; c'est la grande quantité d'enfants nègres mêlés
aux enfants blancs. Ces petites têtes crépues avec leurs
dents blanches et leurs yeux. brillants donnent un aspect
pittoresque à l'école. Ce ne sont pas les élèves les moins
intelligents et les moins précoces ni ceux dont les maî-
tresses se louent le moins (1). »
Ceux mêmes qui, en dépit des faits et de l'évidence,
admettent et répètent que les « Noirs sont inférieurs en
intelligence aux hommes de la race caucasique » ne peuvent
s'empêcher de réfléchir sur de telles remarques. Que font-
ils, alors? A côté de ces faits qui démentent leurs orgueil-
leuses prétentions, ils avancent des propositions arbi-
traires, jamais démontrées, mais dont ils tirent les con-
clusions les plus fantaisistes pour la justification de leur
doctrine. M. Frédéric Müller, dont il faut reconnaître
d'ailleurs la haute culture intellectuelle, donne un exemple
éloquent de ce que j'avance ici. « L'enfant nègre, dit-il,
dans les premières années de son développement, lorsqu'il
ne fait que recevoir ce qu'on lui enseigne, est supérieur à
l'enfant blanc; mais dans la période de puberté, lorsqu'il
s'agit d'élaborer par soi-même ce que l'on n'a fait qu'ap-
prendre, il devient stationnaire. La facilité d'apprendre
plusieurs langues étrangères, souvent plusieurs à la fois,
concorda bien avec cette disposition d'esprit (2). »
C'est une proposition positivement erronée que celle qui
consiste à affirmer que, dans la période de puberté, l'intel-
ligence du noir, jusque-là plus vive que celle du blanc, de-
vient stationnaire. Ce n'est là qu'une question de fait.
Pour en avoir l'explication, on n'a besoin de recourir à
aucune psychologie transcendantale. Tout le monde le
sait. L'homme n'arrive à une complète notion de sa per-
IL
PARTICULARITÉS ORGANIQUES.
du
traires à toutes les conceptions du progrès, de la justice et
simple bon sens si on ne peut les tenir pour pos-
sibles qu'à la condition de renverser toutes les idées généra-
lement reçues comme les plus correctes, comme les plus
conformes à la stabilité, à l'harmonie des hommes et des
choses, aux aspirations qui sont le plus beau titre de l'hu-
manité, ce sera une raison de plus pour écarter comme
fausse la théorie dont elles sont déduites.
L'égalité des races généralement reconnue entraîne avec
elle une consécration définitive et supérieure de l'égalité de
toutes les classes sociales dans tous les peuples de l'uni-
vers car elle donne au principe moral, qui en fait la force
en dehors de toute autre considérarion, un caractère d'uni-
versalité qui renforce et consolide son autorité. Partout
où lutte la démocratie, partout où la différence des condi-
tions sociales est encore une cause de compétitions et de
résistances, la doctrine de l'égalité des races sera un salu-
taire remède. Ce sera le dernier coup porté aux concep-
tions du moyen âge, la dernière étape accomplie dans
l'abolition des privilèges. C'est là incontestablement le
sens dans lequel s'accomplit l'évolution sociologique de
tous les peuples et la tendance de tous les esprits éclairés
et sains; c'est vers cet idéal que se dirige l'avenir. En
est-il de même de la théorie de l'inégalité des races ? Au
contraire, d'exclusion en exclusion, elle aboutit fatalement
à la conception d'un petit noyau d'hommes, presque dieux
par la puissance, destinés à subjuguer le reste des humains.
Il serait curieux de voir jusqu'à quel point les faits jus-
tifient l'hypothèse philosophique que je formule ici avec si
peu d'hésitation. Personne ne niera la première partie de
ma proposition; cependant on pourrait concevoir certain
doute sur le second point, à savoir que la théorie de l'iné-
galité des races conduit logiquement à un système oligar-
chique ou despotique dans le régime intérieur et national
des peuples, sans même qu'on ait besoin d'y supposer des
races franchement distinctes. Les savants et les philo-
sophes, qui affirment que les races ne sont pas égales, en
viendraient-ils donc à désirer un régime de distinction,
l'établissement de vraies castes, dans la nation même à
laquelle ils appartiennent? De telles conceptions, si con-
traires aux aspirations modernes, ne seraient-elles pas la
meilleure preuve d'une aberration d'esprit, chute dont
n'est exempt aucun de ceux qui plaident contre la vérité et
les lois naturelles ?2
Tel a été pourtant le rêve fantaisiste, que l'illustre
M. Renan a formulé dans ses Dialoguesphilosophiquesoù il
se moque si bien et si finement de tous les principes de la
philosophie moderne, jouant d'une façon adorable avec le
transcendantalisme de Mallebranche I
M. de Gobineau, plaçant dans le passé ce que le spiri-
tuel et savant académicien rêve pour un avenir incertain,
prend les choses beaucdup plus au sérieux. Ne voyant
dans la majeure partie des blancs que des êtres conta-
minés, il entonne l'hymne de la désolation* « L'espèce
blanche, dit-il, considérée abstractivement, a désormais
disparu de la face du monde. Après avoir passé l'âge des
dieux où elle était absolument pure; l'âge des héros où les
mélanges étaient modérés de force et de nombre, l'âge des
noblesses où des facultés grandes encore n'étaient plus
a
renouvelées par des sources taries, elle s'est acheminée
plus ou moins promptement, suivant les lieux, vers la con-
fusion définitive de tous ses principes, par suite de ses
hymens hétérogènes (1). »
En négligeant de rectifier l'erreur et de prouver l'incon-
sistance historique de cette succession de faits imaginés
par le paradoxal auteur de l'Inégalité des races humaines,
on doit remarquer une préoccupation visible dans toutes
lès idées qu'il exprime. Dans l'abolition de la noblesse par
la Révolutionfrançaise, il voit le dernier coup porté à ses
idoles. Pour lui, noble de sang, il n'était pas de la race des
manants européens le roturier et le nègre, quoique à diffé-
rents degrés, lui étaient inférieurs, tant au point de vue
organique qu'au point de vue social. Mais il va plus loin,
dans son étrange doctrine. Au lieu des larges espérances
que les progrès acquis nous autorisent à nourrir sur l'ave-
nir, il professe le découragement le plus sombre il pré-
'AyaTtars âXk^Xout
(SAINT JEAN, ch. XIII).
Tous les hommes sont l'homme.
(Victor Huco).
IL Autres
•
126 202
bases authropométriques,188. III. La cheve-
lure et la coloration de la peau, 163. IV. Es-
sais de classifications linguistiques, 176. V.
Inconsistance des langues comme base de classi-
fication, 191.
humaines
Pages.
CHAPITRE VI. HIÉRARCHISATION FACTICE DES RACES
203 à 254
i/ I. La doctrine de l'inégalité et ses conséquences
logiques, 203. îî. Bases générales de la hiérar-
chisation, 211, III. Mesures craniennes, 217.
IV. Le cerveau et l'intellect, 231. V. Poids
de l'ancéphale dans les diverses races, 242.
VI. Difficultés de classer les aptitudes, 246.
CHAPITRE VII.
POINT DE VUE PHYSIQUE
COMPARAISON DES 'RACES HUMAINES AU
I. De la taille, de la force
musculaire et de la lon-
2J)5 à 301
f:
RACES
lution esthétique des Noirs haïtiens, 288.
CHAPITRE VIII. LE MÉTISSAGE ET L'ÉGALITÉ DES
lâtre, 311.
CHAPITREIX. L'ÉGYPTE ET LA civilisation 333 à 377
I. Les anciens Égyptiens étaient d'origine éthio-
pienne, 333. II. Controverses et réfutations,
343. III. Flore et faune de l'Égypte ancienne,
352. IV. Étude des monumentségyptiens, 356.
V. Mythe d'Io, la Sulamite,les rois éthiopiens
et conclusion, 366.
CHAPITRE X. l'arya 378 à 395
j
LES HINDOUS ET
I. Les Brahmanes, 378. II. Boudha, 389.
humaines
CHAPITRE XI.
là
PERFECTIBILITÉ GÉNÉRALE DES RACES
CHAPITRE XIII.
HAÏTI ÉVOLUTION INTELLECTUELLEDE LA RACE
vanités PRÉJUGÉS ET
Pages.
•
436 à 476
477 à *82 y
CHAPITRE XIV. LES COMPARAISONS 483 à 326 y
I. Premières causes d'erreur, 483. II. Supersti-
tions et religions, 496. III. La moralité dans
les races humaines, 505.
l'évolution
CHAPITRE XV.
RACE NOIRE
RAPIDITÉ DE
Les acteurs de
l'indépendance d'Haïti, 538. III. Toussaint-
Louverture, 548
CHAPITRE XVI. LA SOLIDARITÉ EUROPÉENNE.
I. influence de l'union caucasique sur la théorie de
561 à 58i
l'inégalité des races, 561. II. Haute situation
des races européennes, 574.
CHAPITRE XVII. RÔLE DE LA RACE NOIRE DANS L'HIS-
TOIRE DE LA CIVILISATION.
Éthiopie, Égypte de
582 à 599
I. et Haïti, 582. Le cœur
l'Afrique, 594.
DES ANCIENS
CHAPITRE XVIII.
Paris. Imp. F. PICHON, 30, rue de l'Arbalète, & 24, rue Soufflot.