MEMORANDUM CPI - Côte Ivoire
MEMORANDUM CPI - Côte Ivoire
MEMORANDUM CPI - Côte Ivoire
Le 9 mars 2011
- des avocats et juristes ivoiriens dont l’identité n’est pas révélée pour des
raisons de sécurité ;
1
Propos introductifs
Ce mémorandum articule les faits, les qualifications pénales ainsi que les moyens par
lesquels il nous semble que la Cour pénale internationale peut et doit se saisir dès
maintenant pour faire la lumière sur les évènements déjà connus et d’autres à
prévenir.
Ce mémorandum se focalise sur les faits commis depuis le 28 novembre 2010 jusqu’à
la date de son envoi, précisément pour acter du caractère aigu de la crise politique et
humanitaire depuis les trois derniers mois.
1
AFP, 5 mars 2011.
2
Sommaire :
Propos introductifs
3
I. SUR LA COMPETENCE DE LA COUR PENALE INTERNATIONALE EN VERTU
DE L’ARTICLE 12 DU STATUT
2. Dans les cas visés à l’article 13, paragraphes a) ou c)[2], la Cour peut
exercer sa compétence si l’un des États suivants ou les deux sont Parties au
présent Statut ou ont reconnu la compétence de la Cour conformément au
paragraphe 3 :
2
Article 13: Exercice de la compétence : La Cour peut exercer sa compétence à l'égard des crimes visés à l’article
5, conformément aux dispositions du présent Statut : a) Si une situation dans laquelle un ou plusieurs de ces
crimes paraissent avoir été commis est déférée au Procureur par un État Partie, comme prévu à l'article 14; (...) ;
c) Si le Procureur a ouvert une enquête sur un ou plusieurs de ces crimes en vertu de l’article 15 ».
Article 14: Renvoi d’une situation par un État partie : 1. Tout État Partie peut déférer au Procureur une situation
dans laquelle un ou plusieurs des crimes relevant de la compétence de la Cour paraissent avoir été commis, et
prier le Procureur d’enquêter sur cette situation en vue de déterminer si une ou plusieurs personnes particulières
doivent être accusées de ces crimes. 2. ... ».
Article 15: Le Procureur : « 1. Le Procureur peut ouvrir une enquête de sa propre initiative au vu de
renseignements concernant des crimes relevant de la compétence de la Cour. 2. Le Procureur vérifie le sérieux
des renseignements reçus. À cette fin, il peut rechercher des renseignements supplémentaires auprès d'États,
d’organes de l’Organisation des Nations Unies, d’organisations intergouvernementales et non gouvernementales,
ou d’autres sources dignes de foi qu’il juge appropriées, et recueillir des dépositions écrites ou orales au siège de
la Cour. [Paragraphes 3 à 6 non reproduits] ».
4
2. La République de Côte d’Ivoire a signé le traité le 30 novembre 1998 mais ne
l’a pas encore ratifié. En effet, le Conseil Constitutionnel ivoirien a décidé que
l’autorisation de ratifier exigeait une révision constitutionnelle mais cette autorisation
n’a pu intervenir étant donnée la crise qui frappe la Côte d’Ivoire. Pourtant, même si
la ratification du Traité portant Statut de la Cour pénale internationale n’est pas
encore intervenue, il ne fait pas de doute que la signature de la Côte d’Ivoire
emporte déjà des effets juridiques.
3. En effet, selon la Convention de Vienne du 23 mai 1969 sur le droit des traités
entre Etats, la signature d’un traité produit des effets juridiques avant même la
ratification de celui-ci. L’article 18 de la Convention est ainsi rédigé :
Cette disposition s’avère être une manifestation du principe de bonne foi qui lie les
sujets de droit international dans toute transaction juridique, notamment avant la
formation du lien conventionnel3. La Cour Permanente de Justice internationale avait
d’ailleurs reconnu dès 1926, dans l’affaire des Intérêts allemands en Haute-Silésie
Polonaise, l’existence et la réalité d’une obligation attachée à la signature d’un traité4.
En 1969, dans l’affaire du Plateau continental de la Mer du Nord, des juges de la
Cour internationale de Justice ont exprimé une opinion identique5.
3
Voy. Ann.C.D.I., 1962, vol. II, p. 193 ; et BOISSON DE CHAZOURNES (L.), LA ROSA (A.-M.), MBENGUE (M. M.),
« Commentaire de l’article 18 », in Corten (O.) et KLEIN (P.) (dir.) Les Conventions de Vienne sur le droit des
traités entre Etats. Commentaire article par article, Bruylant, Bruxelles, 2006, p. 593.
4
C.P.J.I., 1926, Série A, n°7, p. 30.
5
C.I.J., 1969, Rec., p. 98 pour l’opinion du Juge Morelli et pp. 219-240 pour celle du Juge Lachs.
6
Cour Suprême de Pologne, Polish State Treasury c. Von Bismarck, A. D., vol. 2 (1923/1924), p. 80 ; Cour
suprême de Pologne, Schrager c. Workmen’s Accident Insurance Institute for Moavic and Silesia, A. D., vol. 4,
(1927-1928), p. 399 ; Cour suprême d’Autriche, Termination of Employment (Austria) Case 156, I.L.R., vol. 23,
1956, pp. 470-471 ; Tribunal hollandais, X. c. Mayor and Aldermen of Haarlem, N.Y.I.L., 1978, p. 474.
7
C.I.J., 1969, Rec., p. 236.
5
Dans le même sens, la Cour internationale de Justice avait considéré dans l’affaire
des Pêcheries anglo-norvégiennes que :
Comme l’a en outre rappelé la Cour internationale de Justice dans l’affaire des
Réserves à la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide :
« l’objet et le but du traité » est :
8
C.I.J., 1951, Rec., p. 136. Sur la portée des engagements unilatéraux, voy. C.I.J., arrêts, 20 décembre 1974,
Essais nucléaires, Rec. 1974, p. 267, par. 43, et p. 472, par. 46 ; v. aussi les Principes directeurs applicables aux
déclarations unilatérales des États susceptibles de créer des obligations juridiques adoptés par la C.D.I. en 2006
et, notamment, les principes directeurs n° 1 et 3 ; v. le Rapport de la C.D.I. sur sa Cinquante-huitième session
(1er mai-9 juin et 3 juillet-11 août 2006), Assemblée générale, Documents officiels, Soixante et unième session,
Supplément n° 10 (A/61/10), p. 385.
9
BOISSON DE CHAZOURNES (L.), LA ROSA (A.-M.), MBENGUE (M. M.), op. cit., p. 626, qui ajoutent : « Non-
seulement, il est difficile d’objectiver la période à partir de laquelle un Etat signataire peut ne plus se sentir lié par
l’obligation contenue dans l’article 18 mais en plus, la pratique a démontré que parfois, un Etat signataire peut
attendre très longtemps avant de procéder à la ratification du traité ».
10
C.I.J., Rec. 1951, p. 27.
11
Voy. le texte de la lettre sur http://www.state.gov/r/pa/prs/ps/2002/9968.htm et la déclaration du Secrétaire à
la Défense relative au Statut de la CPI sur http://www.defenselink.mil/news/May2002/b05062002_bt233-02.html.
6
C’est en ce sens que la Cour peut, et doit se demander si, au regard de l’article 12 de
son Statut, la signature ivoirienne peut déjà déployer des effets. Et la Cour doit
considérer que la signature du Traité de Rome le 30 novembre 1998 peut produire
certains effets juridiques compte tenu des termes de l’article 12 du Statut de la C.P.I.
et de l’article 18 de la Convention de Vienne de 1969 sur le droit des traités entre
Etats.
Cette déclaration, faite pour une durée indéterminée, entrera en vigueur dès
sa signature.
Signé: B. M. ».
7
compétence de la C.P.I. pour des faits postérieurs au 1er juillet 2002 (date d’entrée
en vigueur du Statut de Rome), les déclarations ivoiriennes susmentionnées
respectent en outre exactement les termes de l’article 11 du Statut12.
12
Article 11 - Compétence ratione temporis
1. La Cour n’a compétence qu’à l’égard des crimes relevant de sa compétence commis après l’entrée en vigueur
du présent Statut.
2. Si un État devient Partie au présent Statut après l’entrée en vigueur de celui-ci, la Cour ne peut exercer sa
compétence qu’à l’égard des crimes commis après l’entrée en vigueur du Statut pour cet État, sauf si ledit État
fait la déclaration prévue à l’article 12, paragraphe 3.
13
V. en ce sens, PELLET (A.), « Les effets de la reconnaissance par la Palestine de la compétence de la C.P.I. »,
disponible notamment sur : http://www.icc-cpi.int/NR/rdonlyres/D3C77FA6-9DEE-45B1-ACC0-
B41706BB41E5/281926/PelletFRCLEAN2.pdf et les références citées : C.I.J., arrêt, 21 mars 1953, Nottebohm
(Liechtenstein c/ Guatemala), Exception préliminaire, Rec. 1953, p. 7, par. 119 ou T.P.I.Y., Chambre d’appel,
arrêt du 2 Octobre 1995, IT-94-1-T, Procureur c. Dusko Tadić, par.17.
14
V. PELLET (A.), « Les effets de la reconnaissance … », op. cit. p. 7 et suiv.
8
- (sens anglais du terme) ; il s’agit fondamentalement – ainsi qu’il ressort de
l’origine latine du terme lui-même, jurisdictio – d’un pouvoir juridique et donc,
nécessairement, d’un pouvoir légitime de ‘dire le droit’ dans ce domaine, de
manière définitive et faisant autorité.
(…)
11. Un concept étroit de la compétence peut, éventuellement, se justifier dans
un cadre national mais pas en droit international. Le droit international, du fait
de l’absence d’une structure décentralisée, n’offre pas un système judiciaire
intégré assurant une répartition ordonnée du travail entre un certain nombre
de tribunaux où certains aspects ou éléments de la compétence en tant que
pouvoir pourraient être centralisés ou affectés à l'un d'eux mais pas aux
autres. En droit international, chaque tribunal est un système autonome (sauf
s’il en est prévu autrement). Certes, l’acte constitutif d’un tribunal international
peut limiter certains de ses pouvoirs juridictionnels mais seulement dans la
mesure où cette limite ne nuit pas à son ‘caractère judiciaire’, (...). On ne
saurait, cependant, présumer ces limites et, en tout état de cause, elles ne
peuvent pas être déduites du concept de compétence proprement dit »15.
15
cf. PELLET (A). Ibidem : Arrêt préc., pars. 10-11. Pour une autre illustration de cette approche, v. par ex. :
C.I.J., avis consultatif du 16 octobre 1975, Sahara occidental : « on ne doit pas interpréter restrictivement la
référence à ‘toute question juridique’ qui figure dans les dispositions de la Charte et du Statut » (Rec. 1975, p.
20, par. 18).
16
Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c.
Serbie-et-Monténégro) (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro), Ordonnance en indication de mesures
conservatoires, 8 avril 1993, Exceptions préliminaires, 11 juillet 1996, Fond, 26 février 2007 ; Demande en
révision de l’arrêt du 11 juillet 1996 en l’affaire relative à l’Application de la convention pour la prévention et la
répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie), Exceptions préliminaires (Yougoslavie c.
Bosnie-Herzégovine), arrêt du 3 février 2003 . Licéité de l'emploi de la force (Serbie-et-Monténégro c. Belgique),
Ordonnance en indication de mesures conservatoires, 2 juin 1999, Exceptions préliminaires, 15 décembre 2004
(et sept autres affaires similaires) ; Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de
génocide (Croatie c. Serbie), Exceptions préliminaires, arrêt du 18 novembre 2008. Voy. aussi, T.P.I.Y., Décision
du 6 mai 2003, Le Procureur c. Milutinovic et consorts, Affaire n° IT-99-37-PT, exception préjudicielle
d’incompétence (Chambre de Première Instance III), tous cités par PELLET (A.), « Les effets de la
reconnaissance … », passim.
17
Alors même qu’il ne s’était pas formellement désisté (Rec. 2004, pp. 293-295, pars. 31-36) – v. aussi l’arrêt du
28 novembre 2008, par. 89 ; pour la décision d’incompétence, v. pp. 327-328, pars. 127-129 : dans son arrêt au
fond de 2007 dans l’affaire du Génocide (Bosnie-Herzégovine), la Cour fait remarquer qu’elle « ne se prononçait
nulle part, dans ces [huit] arrêts [similaires], sur la question de savoir si le défendeur était ou non partie à la
convention sur le génocide à la période pertinente » (Rec. 2007, par. 83), cités ibidem.
18
V. PELLET (A.), « Les effets de la reconnaissance … », op. cit. p. 9-11.
9
13. Au demeurant, il ne saurait être question, pour la C.P.I. d’aller au-delà de la
mission que les États parties au Statut de Rome lui ont impartie ou de substituer sa
volonté à la leur. Le problème ne se pose pas non plus en termes d’interprétation
« extensive » ou « restrictive » du Statut19. « Il s’agit seulement d’interpréter une
disposition de celui-ci dans son contexte et dans le cadre du problème précis sur
lequel la C.P.I. pourrait être appelée à se prononcer aux fins de déterminer l’étendue
(et les limites) de sa compétence dans les circonstances de l’espèce »20. « À cette
fin, il faut garder à l’esprit la directive de bon sens figurant dans le rapport de la
Commission du Droit international sur son projet d’articles final sur le droit des
traités :
14. L’article 12 du Statut, d’après son intitulé même, établit les « conditions
préalables à l’exercice de la compétence » de la C.P.I. La participation au Statut
(paragraphe 1) ou la déclaration prévue au paragraphe 3 sont donc des actes-
conditions dont l’inexistence paralyse l’exercice par la Cour de sa compétence. Ce
n’est en effet que si cette déclaration est faite que la Cour peut s’acquitter de sa
mission (à laquelle renvoie expressément le paragraphe 1 de l’article 12 – qui évoque
« les crimes visés à l’article 5 »22) : le jugement des personnes accusées du crime de
génocide, d’un crime contre l’humanité ou d’un crime de guerre. Il s’agit là, pour
reprendre à nouveau les termes du préambule, de crimes d’une gravité telle qu’ils
« menacent la paix, la sécurité et le bien-être du monde », qui, touchant
« l’ensemble de la communauté internationale ne sauraient rester impunis » et dont
« la répression doit être effectivement assurée par des mesures prises dans le cadre
national et par le renforcement de la coopération internationale »23.
19
En ce sens et sur tous ces points : v. PELLET (A.), « Les effets de la reconnaissance … », op. cit. p. 9-11 et les
références citées : DE VISSCHER (C.), Problèmes d’interprétation judiciaire en droit international public, Pedone,
Paris, 1963, 263 p. ou SIMON (D.), L’interprétation judiciaire des traités d’organisations internationales –
Morphologie des conventions et fonction juridictionnelle, Paris, Pedone, 1981, XV-936 p., passim – not. pp. 319-
466.
20
V. PELLET (A.), « Les effets de la reconnaissance … », ibidem.
21
C.D.I., Annuaire 1966, vol. II, p. 239, par. 6) du commentaire du projet d’article 28, citée ibidem.
22
Article 5, paragraphe 1 : « La compétence de la Cour est limitée aux crimes les plus graves qui touchent
l’ensemble de la communauté internationale. En vertu du présent Statut, la Cour a compétence à l’égard des
crimes suivants :
a) Le crime de génocide ;
b) Les crimes contre l’humanité ;
c) Les crimes de guerre ;
d) Le crime d’agression ».
Voy. aussi le chapeau de l’article 13, auquel renvoie également le paragraphe 2 de l’article 12 : « La Cour peut
exercer sa compétence à l’égard d’un crime visé à l’article 5, conformément aux dispositions du présent
Statut... ».
23
V. PELLET (A.), « Les effets de la reconnaissance … », op. cit. pp. 9-11
10
15. De façon symptomatique, aux termes de l’article 12, paragraphe 3, la
compétence de la Cour est établie dès lors qu’un Etat pouvant se réclamer d’un titre
territorial ou d’un titre personnel a accepté sa juridiction24. Il en résulte que la Cour
peut exercer sa compétence pour des faits qui se sont produits sous la juridiction
d’Etats qui n’ont pas ratifié le Statut ni fait la déclaration prévue au paragraphe 3 de
l’article 12, ou à l’égard de ressortissants d’Etats non parties ou non déclarants25.
C’est la raison pour laquelle on a pu dire que : « la réciprocité du consentement,
essentielle devant la plupart des juridictions internationales (notamment la C.I.J.),
n’est pas une condition d’exercice de la compétence de la C.P.I. La possibilité ouverte
au Conseil de sécurité agissant en vertu du chapitre VII de la Charte des Nations
Unies, par l’article 13.b) du Statut de déférer au Procureur ‘une situation dans
laquelle un ou plusieurs de ces crimes paraissent avoir été commis’ confirme cette
conclusion »26.
- cette disposition s’applique dès lors qu’un Etat, doté d’un titre territorial ou
personnel, fait la déclaration prévue au paragraphe 3, ce qui est indubitablement le
cas de la Côte d’Ivoire ;
24
Ibidem. et les sources citées à propos des travaux préparatoires : KAUL (H.-P.), « Preconditions to the Exercise
of Jurisdiction », in CASSESE (A.), GAETA (P.) and JONES (J.W.D.) (eds.), The Rome Statute of the International
Criminal Court : A Commentary », Oxford U.P., 2002, pp. 593-605.
25
Voy. notamment CONDORELLI (L.), « La Cour pénale internationale en débat », R.G.D.I.P. 1999-1, p. 18.
26
PELLET (A.), « Les effets de la reconnaissance … », op. cit. p. 7 et suiv
27
En ce sens, à propos d’une autre espèce : PELLET (A.), « Les effets de la reconnaissance … », ibidem, pp. 14-
15.
11
choquante »28 et aurait des conséquences particulièrement graves : en effet, par sa
nature même, le Statut a pour objet la sauvegarde d’intérêts fondamentaux de la
communauté internationale. A l’égard de dispositions d’une importance aussi grande,
la C.I.J. a rappelé que :
« Dans une telle convention, les Etats contractants n’ont pas d’intérêts
propres; ils ont seulement, tous et chacun, un intérêt commun, celui de
préserver les fins supérieures qui sont la raison d’être de la convention. Il en
résulte que l’on ne saurait, pour une convention de ce type, parler d’avantages
ou de désavantages individuels des Etats, non plus que d’un exact équilibre
contractuel à maintenir entre les droits et les charges »29.
28
Ibidem.
29
Avis consultatif, 28 mai 1951, Réserves à la convention pour la prévention et la répression du crime de
génocide, Rec. 1951, p. 23 ; v. aussi, arrêt, Application de la convention pour la prévention et la répression du
crime de génocide, exceptions préliminaires, Rec. 1996, p. 611, par. 22 et, dans la même affaire, l’arrêt du 26
février 2007, par. 161 ; et l’avis consultatif du 8 juillet 1996, Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes
nucléaires, Rec. 1996, p. 257. L’ensemble aussi cité par PELLET (A.), « Les effets de la reconnaissance … », op.
cit., pp. 16-17.
30
Rec. 1951, p. 24 ; v ; aussi par ex. Rec. 1996, p. 612, par. 22.
12
20. Selon l’article 17 du Statut de la Cour consacré aux questions relatives à la
recevabilité :
13
21. En ce qui concerne la Côte d’ivoire, la Commission d’enquête internationale a
largement mis en exergue l’incapacité de la justice ivoirienne à faire face aux
missions qui lui sont dévolues. Selon la Commission :
14
L’on doit alors admettre que l’objectif de cette ordonnance est en réalité de faire
échapper les auteurs des crimes des plus graves aux poursuites pénales. La décision
de l’Etat a ainsi été prise dans le dessein de soustraire, en l’espèce, les personnes
concernées à leur responsabilité pénale pour les crimes relevant de la compétence de
la Cour et visés à l’article 5 du Statut. Une telle décision étatique entre parfaitement
dans le champ d’application de l’article 17 du Statut de la Cour et justifie ainsi à
nouveau la recevabilité de la présente action.
24. Comme il est exposé en détail ci-après (cf. point II-1 de la présente requête sur
l’établissement des faits), il ne fait pas de doute que les crimes évoqués ici
s’inscrivent essentiellement dans le cadre des troubles importants et des tentatives
de coups de force que la République de Côte d’Ivoire connaît depuis la fin de
l’élection présidentielle le 28 novembre 2010.
Il convient donc de rappeler avec fermeté que ces coups de forces et tentatives de
déstabilisations, qui sont le fait de groupes n’acceptant pas les résultats d’une
élection libre et démocratique, n’affectent en aucune manière la compétence de la
Cour et la recevabilité de la requête, pas plus qu’ils n’emportent quelconque
conséquences juridiques sous l’angle des rapports de la Côte d’Ivoire avec la Cour
pénale internationale.
25. Il importe ici de souligner que si elle est appelée à s’interroger sur certaines
conséquences juridiques, en l’occurrence sur l’impossibilité d’effets juridiques, des
troubles que connaît la Côte d’Ivoire, la Cour elle-même n’est absolument pas
appelée à se prononcer sur les troubles en eux-mêmes. Elle doit seulement - et
d’ailleurs ne peut que - se demander si, au regard de l’article 12 de son Statut, les
déclarations ivoiriennes peuvent déployer leurs effets. « Il lui appartient ainsi
uniquement de se prononcer sur la question de savoir si les conditions d’exercice de
sa compétence statutaire sont remplies »31. Ce qui revient pour elle à s’acquitter
d’une tâche essentiellement judiciaire dont on chercherait en vain ce qui pourrait l’en
empêcher.
26. « Pour ce faire, il faut et il suffit que la Cour interprète les dispositions de son
Statut relatives à sa compétence »32. C’est à la lumière de ces dispositions que la
Cour doit juger de la recevabilité de la déclaration de la République de Côte d’Ivoire :
pour cela – mais pour cela seulement – il lui faut déterminer si les coups de forces
qui frappent durement la Côte d’Ivoire affectent l’acceptation de la compétence de la
Cour par cet Etat au sens de l’article 12, paragraphe 3, du Statut.
27. Il est aisé de constater qu’en droit international, l’usage de la force, en tant
que comportement illicite, ne saurait produire d’effet juridique, ni créer de situation
31
En ce sens : PELLET (A.), « Les effets de la reconnaissance … », op. cit., pp. 2-3.
32
Ibidem.
15
juridique licite. Affirmée dès 1928 par le Pacte Briand-Kellog et réaffirmée avec force
dans la Charte des Nations Unies (art. 2 paragraphe 4), l’interdiction du recours à la
force est l’une des pierres angulaires du droit international et une condition sine qua
non de la paix et de la sécurité internationales. L’un des éléments de ce régime tient
à ce qu’on ne saurait reconnaître aucune situation, aucun traité, aucun accord dont
l’obtention résulte d’un usage illicite à la force.
28. Il est par ailleurs clairement établi en droit international que les actes qui
s’analysent en coups de forces, troubles ou rébellions internes n’ont pas à être pris
en considération et n’affectent pas, juridiquement, les engagements internationaux
de l’Etat, même lorsque ces coups de forces prennent la forme la plus extrême33.
33
En ce sens, DAILLIER (P.) et PELLET (A.), Droit international public, 6ième éd., Paris, LGDJ, 1999, p. 414 : « ‘Les
Etats survivent à leur Gouvernement’ disait déjà le Protocole de Londres de 1831 à l’occasion de la crise belge de
1830. L’Etat ancien subsiste, en vertu du principe de la continuité de l’Etat, et il continue a être lié par des
engagements internationaux antérieurs » . Voy. aussi CANSACCHI (G.), « Identité et continuité des sujets
internationaux », R.C.A.D.I., 1970-II, vol. 130, pp. 587-704.
34
Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c.
Serbie-et-Monténégro) (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro), Ordonnance en indication de mesures
conservatoires, 8 avril 1993, Exceptions préliminaires, 11 juillet 1996, Fond, 26 février 2007 ; Demande en
révision de l’arrêt du 11 juillet 1996 en l’affaire relative à l’Application de la convention pour la prévention et la
répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie), Exceptions préliminaires (Yougoslavie c.
Bosnie-Herzégovine), arrêt du 3 février 2003 . Licéité de l'emploi de la force (Serbie-et-Monténégro c. Belgique),
Ordonnance en indication de mesures conservatoires, 2 juin 1999, Exceptions préliminaires, 15 décembre 2004
(et sept autres affaires similaires) ; Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de
génocide (Croatie c. Serbie), Exceptions préliminaires, arrêt du 18 novembre 2008 ; cités en ce sens par PELLET
(A.), « Les effets de la reconnaissance … », op. cit. p. 7 et suiv
35
Alors même qu’il ne s’était pas formellement désisté (Rec. 2004, pp. 293-295, pars. 31-36) – v. aussi l’arrêt du
28 novembre 2008, par. 89 ; pour la décision d’incompétence, v. pp. 327-328, pars. 127-129 : dans son arrêt au
fond de 2007 dans l’affaire du Génocide (Bosnie-Herzégovine), la Cour fait remarquer qu’elle « ne se prononçait
nulle part, dans ces [huit] arrêts [similaires], sur la question de savoir si le défendeur était ou non partie à la
convention sur le génocide à la période pertinente » (Rec. 2007, par. 83), cités par PELLET (A.), « Les effets de la
reconnaissance … », ibidem.
36
Sur l’ensemble, PELLET (A.), « Les effets de la reconnaissance … », ibidem.
16
principes élémentaires du droit international évoqués, mais aboutirait à une situation
extrêmement grave pour l’autorité de la C.P.I. et la justice pénale internationale dans
son ensemble : en effet, elle aurait pour conséquence que dès que des troubles
internes, dès que des rebellions, dès que des coups de forces de groupes armés
quels qu’ils soient ont lieu, l’action de la Cour pénale internationale devrait s’en
trouver paralysée, que la Cour devrait décliner sa compétence ou juger une requête
irrecevable.
31. Une telle assertion, non seulement n’est pas acceptable d’un point de vue
juridique, mais encore, réduirait à néant les modalités d’exercice de la compétence
de la Cour dans la quasi-totalité des cas. C’est en effet souvent à l’occasion de tels
troubles et coups de forces que sont commis les crimes les plus graves, ceux qui
relèvent de la compétence de la Cour au titre de l’article 5 de son Statut.
32. Il est donc impossible de considérer que des évènements de la nature de ceux
qui frappent la Côte d’Ivoire puissent avoir une quelconque conséquence juridique
sur la compétence de la Cour en l’espèce. Il serait par ailleurs impensable que la
Cour puisse envoyer un tel signal aux personnes qui, en Côte d’Ivoire ou ailleurs
dans le monde sont auteurs, pour reprendre les termes du préambule, de crimes
d’une gravité telle qu’ils « menacent la paix, la sécurité et le bien-être du monde »,
qui, touchant « l’ensemble de la communauté internationale ne sauraient rester
impunis » et dont « la répression doit être effectivement assurée par des mesures
prises dans le cadre national et par le renforcement de la coopération
internationale ». Toute solution de ce type serait gravement préoccupante pour la
lutte contre l’impunité des crimes les plus odieux.
17
II. SUR LA COMPETENCE RATIONE MATERIAE DE LA COUR PENALE
INTERNATIONALE
L’ancien Chef d’Etat Laurent Gbagbo et son clan multiplient, depuis l’élection
par le peuple ivoirien du Président Alassane Ouattara le 28 novembre 2010, les
violations des droits de l’homme de toute nature pour se maintenir par la force au
pouvoir.
Parmi ces atteintes aux droits de l’homme, les meurtres, viols, disparitions
forcées de personnes, actes inhumains de toute nature et les appels à persécuter un
groupe national, ethnique ou politique sont les plus fréquents.
Par ailleurs, le présent document révèle que les pires violences ont été
commises à la suite d’évènements politiques tels que la proclamation des résultats
électoraux le 2 décembre 2010, la manifestation des partisans du Rassemblement
des Houphouëtistes pour la démocratie et la Paix (RHDP) le 16 décembre 2010, les
37
Parmi elles, Human Rights Watch, Amnesty International, la Fédération internationale des ligues des droits de
l’homme et un groupement de victimes dont les caractéristiques ne seront pas révélées.
38
Le Conseil des droits de l’homme de l’ONU, le Haut-commissariat aux droits de l’homme, l’Opération des
Nations Unies en Côte d’Ivoire (ONUCI).
18
meurtres les 11 et 12 janvier 2011 à Abobo de sept policiers et la manifestation
pacifique de femmes non armées le 3 mars dernier.
a) Les meurtres 40
39
Agence France Presse, Côte d’Ivoire : intervention de Navi Pillay, 31 décembre 2010
40
Human Rights. Watch, Côte d’ivoire, Les forces de sécurité et les milices mènent une campagne de violence
organisée, 26 janvier 2011.
19
• Le 9 décembre, deux militants de l’Union Démocratique de Côte d’Ivoire sont
enlevés. Leurs corps seront retrouvés à la morgue de Yopougon, l’une des
communes d’Abidjan, une semaine plus tard.
41
Amnesty International, Côte d’Ivoire – rapport de mission, 22 février 2011.
42
Human Rights Watch, Côte d’Ivoire : Déclaration devant le Conseil des droits de l’homme de l’ONU, 23
décembre 2010.
43
LIDHO, Déclaration de la LIDHO relative à la situation des droits de l’homme suite à la marche des militants du
RHDP sur la RTI le jeudi 16 décembre 2010, 20 décembre 2010.
44
Assemblée générale des Nations Unies, Rapport du Haut-commissaire aux droits de l’homme sur la situation
des droits de l’homme en Côte d’Ivoire, 15 février 2011.
20
• Le 10 janvier, quatre personnes sont assassinées dans le quartier d’Abobo
par les Forces de police et de sécurité45.
45
FIDH, note de situation sur la Côte d’Ivoire, n° 554, janvier 2011.
46
Assemblée générale des Nations Unies, Rapport du Haut-commissaire aux droits de l’homme sur la situation
des droits de l’homme en Côte d’Ivoire, 15 février 2011.
47
FIDH, note de situation sur la Côte d’Ivoire, n° 554, janvier 2011.
48
Amnesty International, Côte d’Ivoire – rapport de mission, 22 février 2011.
49
Reuters France, Article de presse, 22 février 2011.
50
Service d’information des Nations Unies, Côte d’Ivoire : l’ONUCI déplore les violences des derniers jours, 22
février 2011.
21
Le même jour, à Treichville, vers 9 h du matin, des soldats de la Garde
républicaine sont arrivés à bord d'un convoi de camions de marchandises et ont
ouvert le feu sur les manifestants rassemblés aux intersections de l'Avenue 16 et des
Rues 17 et 21. Selon la déclaration d'un témoin : « Ils sont arrivés et ont ouvert le
feu immédiatement à balles réelles. Un jeune qui se trouvait non loin de moi a pris
une balle dans la tête ; c'était comme si une partie de son visage avait été arrachée.
C'est l'une des deux personnes au moins que j'ai vues se faire tuer de mes propres
yeux »51.
Dans le quartier de Koumassi, trois témoins ont indiqué que les Forces de
Défense et de sécurité avaient tiré au moins deux grenades au lance-grenades
directement sur une foule de plus de 100 manifestants, faisant au moins quatre
morts parmi eux ainsi que plusieurs blessés. Plusieurs témoins ont également déclaré
que les Forces de défense et de sécurité pro-Gbagbo, notamment celles appartenant
au CECOS, ont tiré à balles réelles et lancé des grenades à fragmentation sur la
foule.
• Le 3 mars, sept femmes non armées sont tuées à Abobo par les
soldats pro Gbagbo, notamment ceux de la Brigade Anti-émeute (BAE)
alors qu’elles manifestaient pacifiquement. Une huitième femme
succombera à ses blessures à l’hôpital.
51
Human Rights. Watch, Côte d’ivoire, Les forces de sécurité et les milices mènent une campagne de violence
organisée, 26 janvier 2011.
52
Human Rights Watch, Côte d’Ivoire : les dirigeants des deux camps devraient empêcher leurs forces de
commettre des exactions, 24 février 2011.
22
b) Les viols 53
• Le 17 décembre, une femme de 25 ans est violée par trois soldats et un civil,
tandis que son mari est exécuté.
• Le 4 janvier, à Duekoué, 19 femmes et jeunes filles ont été violées par des
miliciens armés qui les menaçaient de les brûler vives57.
53
Human Rights Watch, Côte d’Ivoire: criminalité rampante et violences sexuelles dans l’ouest du pays, 22
octobre 2010.
54
Human Rights Watch, Côte d’Ivoire : les forces de sécurité et les milices mènent une campagne de violence
organisée, 26 janvier 2011.
55
Amnesty International, Côte d’Ivoire – rapport de mission, 22 février 2011.
56
Assemblée générale des Nations Unies, Rapport du Haut-commissaire aux droits de l’homme sur la situation
des droits de l’homme en Côte d’Ivoire, 15 février 2011.
57
Assemblée générale des Nations Unies, Rapport du Haut-commissaire aux droits de l’homme sur la situation
des droits de l’homme en Côte d’Ivoire, 15 février 2011.
58
Assemblée générale des Nations Unies, Rapport du Haut-commissaire aux droits de l’homme sur la situation
des droits de l’homme en Côte d’Ivoire, 15 février 2011.
23
c) Les disparitions forcées
59
Assemblée générale des Nations Unies, Rapport du Haut-commissaire aux droits de l’homme sur la situation
des droits de l’homme en Côte d’Ivoire, 15 février 2011
60
FIDH, Côte d’Ivoire : la FIDH dénonce la fuite en avant de Laurent Gbagbo et de ses proches, 20 décembre
2010.
61
Human Rights Watch, Côte d’Ivoire : les forces de sécurité et les milices mènent une campagne de violence
organisée, 26 janvier 2011.
62
Amnesty International, Côte d’Ivoire – rapport de mission, 22 février 2011.
63
Amnesty International, Côte d’Ivoire – rapport de mission, 22 février 2011.
64
Human Rights Watch, Côte d’Ivoire, les forces pro-Gbagbo enlèvent des opposants, 23 décembre 2010.
65
Human Rights Watch, Côte d’Ivoire, les forces pro-Gbagbo enlèvent des opposants, 23 décembre 2010.
66
Human Rights Watch. Côte d’Ivoire : les forces de sécurité et les milices mènent une champagne de violence
organisée, 26 janvier 2011.
24
• Le 8 février, vers 10h du matin, des soldats armés ont pénétré dans l’hôpital
Houphouët-Boigny situé dans le quartier d’Abobo. Au mois 17 personnes blessées y
avaient été transportées après que les forces de sécurité avaient ouvert le feu sur les
manifestants la veille, faisant plusieurs morts. Un témoin présent à l’hôpital a
entendu les militaires dire : « vous êtes tous des rebelles. Allez, montez », tandis
qu’ils contraignaient plusieurs blessés à monter dans les camions. Plusieurs de ces
blessés ont été retrouvés morts ; le nombre exact de personnes enlevées et tuées à
la suite de cette opération reste, encore aujourd’hui, inconnu.
d) Actes inhumains
Les milices pro-Gbagbo impliquées dans les exactions décrites par Human
Rights Watch sont la Fédération Estudiantine et Scolaire de Côte d’Ivoire (FESCI) et
les Jeunes Patriotes dont Charles Blé Goudé, Ministre de la jeunesse nouvellement
nommé par Laurent Gbagbo, est le fondateur et dirigeant actuel.
67
Cellule médico-sociale du RHDP, période du 27 novembre 2010 au 20 février 2011.
68
Amnesty International, Côte d’Ivoire – rapport de mission, 22 février 2011.
25
A la suite de cet exposé d’exactions de toute nature commises sur le territoire
de la Côte d’Ivoire, il est possible de dresser, au 7 mars 2011, un premier bilan de la
situation humanitaire. En effet, seuls les moyens d’investigations dont dispose la
Cour pénale internationale ou ceux de la République de Côte d’Ivoire permettraient
de préciser l’ampleur de cette situation.
• Le dernier bilan publié est celui de la mission des Nations Unies sur place,
l’Onuci, qui évalue avec l’agence Associated Press, au 7 mars 2011, à au moins 400
le nombre de personnes tuées depuis la proclamation des résultats de l’élection
présidentielle69.
Toujours selon l’Onuci, 50 personnes ont été tuées dans les violences
perpétrées du 24 février au 3 mars, dont 26 dans la seule commune d’Abobo.
69
Associated Press, Des maisons de ministres et alliés de Ouattara cibles de pillages, 7 mars 2011.
70
Reuters, La situation se "détériore de façon alarmante" (chef ONU/droitsHomme), 10 mars 2011.
71
Human Rights. Watch, Côte d’ivoire, Les forces de sécurité et les milices mènent une campagne de violence
organisée, 26 janvier 2011.
72
Human Rights Watch, Les forces pro-Gbagbo enlèvent des opposants, 23 décembre 2010
73
FIDH, note de situation sur la Côte d’Ivoire, n° 554, janvier 2011.
74
Cellule médico-sociale du RHDP, période du 27 novembre 2010 au 9 février 2011.
75
LIDHO, Déclaration de la LIDHO relative à la situation des droits de l’homme suite à la marche des militants du
RHDP sur la RTI le jeudi 16 décembre 2010, 20 décembre 2010 ; FIDH, note de situation sur la Côte d’Ivoire, n°
554, janvier 2011.
26
Selon la Haut-commissaire aux droits de l’homme, Madame Navanethem
Pillay, « empêcher l’accès à des sites abritant des fosses communes et des lieux où
se trouveraient des restes de corps de victimes constitue clairement une violation du
droit international des droits de l’homme et du droit international humanitaire »76.
En effet, cet article définit le crime contre l’humanité et prévoit ainsi, au titre
de l’élément matériel de l’incrimination, toute une série d’infractions qui constituent
un crime contre l’humanité lorsqu’elles sont accomplies « dans le cadre d’une atteinte
généralisée ou systématique lancée contre toute population civile et en connaissance
de cette attaque ».
En voici la liste :
2. Extermination ;
3. Réduction en esclavage ;
520. L’Accusation définit le crime d’expulsion « comme étant le déplacement forcé de civils hors de la région où
ils sont légalement présents sans motif admis en droit international ». Selon elle, « il n’est […] pas nécessaire de
démontrer que les civils expulsés ont été déplacés hors des frontières nationales ». Quant à la Défense, elle
définit l’expulsion comme l’envoi par la force d’une personne dans un autre pays et insiste sur le fait que tous les
transferts forcés de civils ne constituent pas forcément des infractions pénales.
521. L’expulsion (encore appelée déportation) et le transfert forcé impliquent l’un et l’autre l’évacuation illégale
d’individus hors de leur territoire de résidence, contre leur volonté. Ces deux termes ne sont cependant pas
76
Agence France Presse, Côte d’Ivoire : intervention de Navi Pillay, 31 décembre 2010
27
synonymes en droit international coutumier. Le premier suppose, en effet, le transfert hors du territoire national
alors que dans le second cas, celui-ci s’opère à l’intérieur des frontières d’un État.
522. Cette distinction n’enlève toutefois rien à la condamnation de pareille pratique en droit international
humanitaire. L’article 2 g) du Statut, les articles 49 et 147 de la Convention de Genève relative à la protection des
personnes civiles en temps de guerre (« IVe Convention de Genève »), l’article 85 4) a) du Protocole
additionnel I, l’article 18 du Projet de code de la CDI et l’article 7 1) d) du Statut de la Cour pénale internationale
condamnent tous l’expulsion ou la déportation et le transfert forcé de personnes protégées. L’article 17 du
Protocole additionnel II condamne de la même manière le « déplacement » de civils.
302. La Chambre conclut que le terme d’emprisonnement cité dans l’article 5 e) du Statut doit être entendu
comme emprisonnement arbitraire, c’est-à-dire la privation d’un individu de sa liberté en violation des formes
légales dans le contexte d’une attaque généralisée ou systématique contre une population civile. À cet effet, la
Chambre devra examiner le caractère légal ou illégal de l’emprisonnement ainsi que les garanties en matière de
procédure accordées à une personne ou à un groupe de personnes faits prisonniers, avant de déterminer si ces
emprisonnements ont eu lieu dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique dirigée contre une
population civile.
303. Compte tenu de la définition susmentionnée, l’emprisonnement de civils sera considéré comme illégal
lorsque :
- les civils sont détenus en violation de l’article 42 de la IVe Convention de Genève, alors qu’il n’existe aucune
raison sérieuse de croire que la sécurité de la Puissance détentrice l’exige de façon impérative,
- les garanties en matière de procédure exigées par l’article 43 de la IVe Convention de Genève ne sont pas
accordées aux civils détenus, même si leur détention initiale se justifiait, et
- l’emprisonnement a eu lieu dans le contexte d’une attaque généralisée ou systématique dirigée contre une
population civile.
6. Torture : la notion de torture est définie par l’article 7(2) (e) du Statut de
la CPI comme « le fait d'infliger intentionnellement une douleur ou des
souffrances aiguës, physiques ou mentales, à une personne se trouvant
sous sa garde ou sous son contrôle; l'acception de ce terme ne s'étend pas
à la douleur ou aux souffrances résultant uniquement de sanctions légales,
inhérentes à ces sanctions ou occasionnées par elles ».
28
dans cette affaire que la combinaison des différentes définitions était
révélatrice du droit international coutumier ;
o FURUNDZIJA, Jugement de la Chambre II de 1ère Instance, jugement du
16 décembre 1998 (IT-95-17/1-T) : dans cette décision, le TPIY a confirmé
la définition élargie de la torture et a considéré que la torture comportait
certaines spécificités lorsqu’elle était utilisée dans le cadre du conflit armé.
Elle a ainsi ajouté :
163. Comme en témoigne cette énumération de critères, la Chambre de première instance considère qu’il faut
également ranger parmi les buts éventuels de la torture celui d’humilier la victime. Cette idée trouve sa
justification dans l’esprit général du droit international humanitaire : l'objectif principal de ce corps de règles est
de préserver la dignité de l’homme. Cette idée se trouve également confortée par certaines dispositions générales
de traités internationaux importants tels que les Conventions de Genève et les Protocoles additionnels qui visent
systématiquement à protéger des atteintes à la dignité de la personne les individus qui ne participent pas ou qui
n'ont pas participé aux hostilités. La notion d’humiliation est, en tout état de cause, proche de celle d’intimidation,
qui est explicitement mentionnée dans la définition de la torture de la Convention des Nations Unies sur la
torture.
496. La Chambre de première instance conclut que la définition de la torture en droit international humanitaire ne
comporte pas les mêmes éléments que celle généralement appliquée dans le domaine des droits de l’homme. Elle
estime notamment que la présence d’un agent de l’État ou de toute autre personne investie d’une autorité n’est
pas requise pour que la torture soit constituée en droit international humanitaire.
29
a) Le viol : le droit international pénal ne donnait pas de définition
précise du viol. La jurisprudence des deux TPIY dût porter une
attention particulière à la définition juridique du viol. Le TPIR donna
une définition englobante du viol dans l’affaire AKAYESU, décision de la
Chambre de 1ère instance du TPIR du 2 septembre 1998 :
597. En cherchant à déterminer dans quelle mesure le viol constitue un crime contre l'humanité, conformément à
l'article 3 g) du Statut, la Chambre doit définir le viol, dans la mesure où aucune des définitions connues ne fait
l'objet d'un consensus en droit international. Si le viol a été défini, dans certaines juridictions nationales, comme
tout acte de pénétration sexuelle non consensuel commis sur la personne d'autrui, en tant qu'acte, il peut
toutefois consister en l'introduction d'objets quelconques dans des orifices du corps d'autrui qui ne sont pas
considérés comme ayant une vocation sexuelle intrinsèque et/ou en l'utilisation de tels orifices dans un but
sexuel.
598. La Chambre considère que le viol constitue une forme d'agression et qu'une description mécanique des
objets et des parties du corps qui interviennent dans sa commission ne permet pas d'appréhender les éléments
essentiels de ce crime. La Convention contre la torture et les autres peines ou traitements cruels inhumains ou
dégradants n'énumère pas d'actes précis dans sa définition de la torture, préférant mettre l'accent sur le cadre
conceptuel de la violence sanctionnée par l'Etat. Du point de vue du droit international, cette approche est d'un
grand intérêt. A l'instar de la torture, le viol est utilisé à des fins d'intimidation, de dégradation, d'humiliation, de
discrimination, de sanction, de contrôle ou de destruction d'une personne. Comme elle, il constitue une atteinte à
la dignité de la personne et s'assimile en fait à la torture lorsqu'il est commis par un agent de la fonction publique
ou par toute autre personne agissant à titre officiel ou à son instigation ou avec son consentement exprès ou
tacite.
599. La Chambre définit le viol comme une invasion physique de nature sexuelle commise sur la personne
d'autrui sous l'empire de la contrainte. L'agression sexuelle, dont le viol est une manifestation, est considérée
comme tout un acte de nature sexuelle, commis sur la personne sous l'empire de la contrainte. Cet acte doit être
commis:
Dans le cadre d'une attaque généralisée ou systématique;
Sur une population civile;
Pour des motifs discriminatoires, en raison notamment de l'appartenance nationale, ethnique, politique, raciale ou
religieuse de la victime.
185. Ainsi, la Chambre de première instance estime que les éléments objectifs constitutifs du viol sont :
i) la pénétration sexuelle, fût-elle légère :
a) du vagin ou de l’anus de la victime par le pénis ou tout autre
objet utilisé par le violeur ; ou
(b) de la bouche de la victime par le pénis du violeur ;
(ii) par l’emploi de la force, de la menace ou de la contrainte contre la victime ou une tierce personne.
186. Comme il a été fait observer plus haut, les règles du droit pénal international répriment non seulement le
viol mais aussi toute violence sexuelle grave qui ne s’accompagne pas d’une véritable pénétration. Il semblerait
que sont interdites toutes les violences sexuelles graves qui portent atteinte à l’intégrité physique et morale de la
personne et qui sont infligées au moyen de la menace, de l’intimidation ou de la force, d’une façon qui dégrade
ou humilie la victime. Les uns et les autres constituants des crimes en droit international, la distinction est
importante avant tout pour la condamnation.
À la lumière de ces considérations, la Chambre de première instance conclut qu’en droit international, l’élément
matériel du crime de viol est constitué par : la pénétration sexuelle, fût-elle légère : a) du vagin ou de l’anus de
la victime par le pénis du violeur ou tout autre objet utilisé par lui ; ou b) de la bouche de la victime par le pénis
du violeur, dès lors que cette pénétration sexuelle a lieu sans le consentement de la victime. Le consentement à
cet effet doit être donné volontairement et doit résulter de l’exercice du libre arbitre de la victime, évalué au vu
des circonstances. L’élément moral est constitué par l’intention de procéder à cette pénétration sexuelle, et par le
fait de savoir qu’elle se produit sans le consentement de la victime.
30
b) Esclavage sexuel ;
c) Prostitution forcée ;
d) Grossesse forcée ;
e) Stérilisation forcée ;
629. Au vu des conclusions qui précèdent, la Chambre de première instance considère que «le meurtre délibéré
et systématique de civils musulmans de Bosnie» et leur «détention et […] expulsion organisées d’Ahmici»
peuvent constituer une persécution, puisqu’ils peuvent être qualifiés d’assassinat, d’emprisonnement et de
déportation, infractions expressément mentionnées à l’article 5 du Statut.
31
10. Crime d’apartheid ;
562. L’expression «autres actes inhumains» provient de l’article 6 c) du Statut du Tribunal militaire international
de Nuremberg («Statut de Nuremberg») et de l’article II 1) c) de la Loi n°10 du Conseil de contrôle.
563. On a pu exprimer la crainte que cette catégorie manque de précision, qu’elle soit trop générale pour
constituer un outil fiable pour le Tribunal et qu’elle contrevienne ainsi au principe de «spécificité» du droit pénal.
Il est donc impératif d’en préciser la teneur. L’expression «autres actes inhumains» était délibérément destinée à
former une catégorie supplétive. On a en effet estimé qu’il n’était pas souhaitable d’en énumérer les composants
de manière exhaustive, puisque cela aurait pour unique effet de créer la possibilité de violer la lettre des
prohibitions. Dans son commentaire sur ce qui constituerait une violation de l’obligation de «traitement humain»
inscrite à l’article 3 commun aux Conventions de Genève, le C.I.C.R. a mis en lumière l’importance du maintien de
pareille catégorie :
[I] est toujours dangereux, dans ce domaine surtout, de vouloir trop préciser. Quelque soin que l’on prît à
énumérer toutes les sortes d’exactions, on serait toujours en retard sur l’imagination des tortionnaires éventuels
qui voudraient, en dépit de toutes les interdictions, assouvir leur bestialité. Plus une énumération veut être
précise et complète, plus elle prend un caractère limitatif. La formule adoptée est à la fois souple et précise.
564. Pour interpréter l’expression en cause, le recours à la règle ejusdem generis ne s’avère guère utile. En vertu
de cette règle, l’expression peut couvrir des actions similaires à celles qui sont explicitement prévues. Certes,
diverses juridictions ont eu recours à cette règle d’interprétation s’agissant de l’article 6 c) du Statut de
Nuremberg. Par exemple, dans l’affaire Tarnek, le Tribunal de district de Tel-Aviv a conclu dans une décision du
14 décembre 1951 que la définition de l’expression «autres actes inhumains», incorporée dans la loi israélienne
relative au châtiment des nazis et des collaborateurs avec les nazis de 1950, et qui reprenait la définition de
l’article 6 c), devait uniquement s’appliquer aux autres actes inhumains dont le caractère et la gravité étaient
analogues à ceux des actes énoncés dans la définition. Cette règle d’interprétation manque de précision. Elle est
trop générale pour constituer un outil suffisamment fiable pour le Tribunal.
565. L’article 7 k) du Statut de la Cour pénale internationale donne une définition plus détaillée que le Statut du
TPIY : «autres actes inhumains de caractère analogue causant intentionnellement de grandes souffrances ou des
atteintes graves à l’intégrité physique ou à la santé physique ou mentale». Toutefois, cette disposition n’indique
pas non plus, même indirectement les critères juridiques qui nous permettraient d’identifier les actes inhumains
prohibés.
566. On peut trouver des paramètres plus précis pour l’interprétation de l’expression «autres actes inhumains»
dans les normes internationales relatives aux droits de l’homme, comme la Déclaration universelle des droits de
l’homme de 1948 et les deux Pactes des Nations Unies relatifs aux droits de l’homme de 1966. En se fondant sur
diverses dispositions de ces textes, il est possible d’identifier un groupe de droits fondamentaux de la personne,
dont la violation peut, en fonction des circonstances de l’espèce, constituer un crime contre l’humanité. C’est
indubitablement le cas , par exemple, des formes graves de traitements cruels ou dégradants de personnes
appartenant à un groupe ethnique, religieux, politique ou racial particulier ou des manifestations généralisées ou
systématiques de traitements cruels, humiliants ou dégradants avec une intention de discrimination ou de
persécution : les traitements inhumains ou dégradants sont prohibés par le Pacte international des Nations Unies
relatif aux droits civils et politiques (article 7), la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l’Homme et
des Libertés fondamentales de 1950 (article 3), la Convention interaméricaine relative aux droits de l’homme du 9
juin 1994 (article 5) et la Convention de 1984 contre la torture (article 1). De même, l’expression en cause
recouvre sans aucun doute le transfert forcé de groupes de civils (couvert dans une certaine mesure par l’article
49 de la IVe Convention de Genève de 1949 et par l’article 17 1) du Protocole additionnel II de 1977), la
prostitution forcée (qui constitue indiscutablement une atteinte grave à la dignité des personnes selon la plupart
des textes internationaux en matière de droits de l’homme), ainsi que la disparition forcée de personnes
(prohibée par la résolution 47/133 de l’Assemblée générale du 18 décembre 1992 et par la Convention
32
interaméricaine du 9 juin 1994). De toute évidence, ces actes et d’autres actes similaires, doivent être exécutés
de manière systématique et à grande échelle. Autrement dit, ils doivent être aussi graves que les crimes visés aux
autres alinéas de l’article 5. Une fois les paramètres juridiques permettant de déterminer la teneur de la catégorie
«actes inhumains» identifiés, on est fondé à recourir à la règle ejusdem generis pour comparer et évaluer la
gravité de l’acte prohibé.
----------------------------
----------
77
V. sur la question, E. Zoller, La définition des crimes contre l’humanité, Journal de du droit international, 3,
1993, p 549.
78
G. Bitti, Chronique de jurisprudence de la Cour pénale internationale, RSC 2010, p 959.
79
TPI Yougoslavie, aff. Le Procureur c/ Dragoljub Kunarac, Radomir Kovac et Zoran Vukovic, IT-96-23/1-A, Ch.
d’appel, 12 juin 2002, § 98.
80
CPI, Situation en République Centrafricaine, aff. Le Procureur contre c/ Jean-Pierre Bemba Gombo, ICC-01/05-
01/08-424-tFRA, Chambre préliminaire II, 15 Juin 2009, § 81.
V. également, CPI, Situation en République démocratique du Congo, aff. Le Procureur c/ Germain Katanga et
Mathieu Ngudjolo Chui, ICC-01/04-01/07-717-tFRA-Corr, Chambre préliminaire I, Décision relative à la
confirmation des charges, 30 Septembre 2008, § 396.
33
En l’espèce, les meurtres, viols, disparitions forcées, actes inhumains et
persécutions pour des motifs d’ordre politique précédemment détaillés sont
expressément prévus à l’article 7 du Statut de la Cour pénale internationale et ont de
surcroît été accomplis pour le compte de l’ancien chef d’État Laurent Gbagbo par ses
milices ou par tout groupe de personnes s’en réclamant, sans d’ailleurs qu’il n’ait
jamais tenté de s’en distinguer ni a fortiori de les en dissuader.
Ces infractions ne constituent pas des actes isolés commis fortuitement par
des individus mais résultent bien d’une tentative délibérée de cibler une population
civile en ce qu’elles font partie d’un « régime fondé sur la terreur » 81 et constituent
un lien dans une politique directement orientée contre des groupes particuliers de
personnes, les partisans du Président Alassane Ouattara.
81
TPI Yougoslavie, aff. Le Procureur c/ Dusko Tadic, IT-94-1, 7 Mai 1997, § 653.
82
Ibid, § 248.
83
TPI Yougoslavie, aff. Le Procureur c/ Dragoljub Kunarac, Radomir Kovac et Zoran Vukovic, précit, § 434.
34
Par conséquent, les éléments constitutifs de l’incrimination de crime contre
l’humanité sont bien remplis.
La commission de ces infractions rentre effectivement dans les prescriptions
de l’article 7 du Statut de la Cour pénale internationale et doit permettre des
poursuites sur le fondement de l’incrimination de crime contre l’humanité.
35