Mohammed Samraoui - Chronique Des Années de Sang PDF
Mohammed Samraoui - Chronique Des Années de Sang PDF
Mohammed Samraoui - Chronique Des Années de Sang PDF
DENOËL
IMPACTS
Ouvrage publié sous la direction
de Guy Birenbaum
www.denoeLfr
CI 2003. by Éditions Dcnol!l
9, rue du Cherche-Midi, 75006 Paris
ISBN: 2.207.25489.5
B 25489.6
A ma mère, que je n'ai plus revue depuis septembre 1993 et que je
crains ne plus jamais revoir à ca/Ise des généraux criminels qui gou·
vemellt l'Algérie.
À la mémoire du général Saidi Fodlli/, du colonel Acllour Zahraoui,
des commandalllS Boumerdès Farouk et Benyamina Djabber, victimes
de la lâcheté, de /(1 traîtrise et du mel/sOl/ge des généraux corrompus et
prédfllelJrs.
A Abdelhai Beliardouh, courageux jOllmaliste qlli s'est sacrifié en
déflonçant et combfllram avec sa plume les truands de la République.
À M~ Mahmoud Khelili, farouche militalll des droits de l'homme, qui
s'est opposé dllralIItoute sa vie à l'oppression et aux abus de ceux qui
ont confisqué le pOllvoir en Algérie.
À tolites les victimes, civiles et militaires, algériennes ou étrangères,
du complot des généraux contre les symboles de la révolution de
novembre 1954.
Prologue
La «relation forte»
entre la Sécurité militaire et la DST
La dérive islamiste
Ayant vécu au cœur du système, je peux dire que la réalité de
la guerre qui déchire mon pays depuis 1992 est bien plus
complexe que ne le laissent entendre les ana lyses manichéennes
dominantes en Europe, opposant militaires républicains et fana-
tiques islamiques. C'est pourquoi mon objectif est de contribuer
à la vérité historique, sans aucune complaisance ni parti pris.
Dans ce témoignage, je mets en cause les chefs de l'armée qui
manipulent et instrumentalisent la violence islamiste depuis des
années. Certains pourraient être tentés de croire que je me fais
ainsi l'avocat du Front islamique du salut (FIS) ou des isla-
mistes, et c'est pourquoi je tiens d'emblée à préciser que je n'ai
jamais appartenu à une quelconque organisation politiq ue et
qu'il n'est nullement dans mes intentions de nier ou de dédoua-
ner les crimes abjects commis par les islamistes, qui ont été rap-
portés par de nombreux ouvrages - qu'ils aient ou non été
INTRODUCflON 17
L'extraordinaire invention
de la « thèse du " Qui lue qui? " »
À partir des grands massacres de l'automne 1997, l'opinion
internationale a enfin commencé à prêter attention aux nom-
breux observateurs, notamment des ONG de défense des droits
de l'homme, des journalistes et des experts de la crise algé-
rienne, qui soupçonnaient de longue date l'implication des
forces de sécurité dans les violences attribuées aux islamistes,
mais qu i prêchaient jusque-là dans le désert. Que des forces
dépendant de l'armée aient commis (ou contribué à commettre)
de tels crimes est assurément difficile à admettre. D'autant plus
que ces abominations sont à peine concevables: comment ima-
giner que de simples citoyens (dont des enfants, des femmes et
des vieillards... ) soient kidnappés, mutilés, violés, massacrés ou
égorgés, à l'instigation de ceux-là mêmes qui étaient censés les
protéger?
Et pourtant, on le verra, toutes les manipulations antérieures
de la violence islamiste dont j'ai été le témoin préfiguraient
cette abomination. Certes, essentiellement de 1992 à 1996, des
groupes islamistes radicaux tout à fait autonomes ont commis
des crimes et des atrocités. Mais une grande partie des assassi-
nats et des massacres attribués aux islamistes depuis 1992 - et
plus encore depuis 1997 - est en réalité l'œuvre directe ou indi-
recte d'hommes qui relevaient organiquement des struct ures de
sécurité.
C'est ce que je m'attellerai à démontrer tout au long de cet
ouvrage, dont l'objet est de contribuer à la manifestation de la
vérité sur cette « décennie rouge », caractérisée par des chiffres
terrifiants deux cent mille morts, douze mille disparus, des
dizaines de centres de torture (à une échelle « industrielle »),
treize mille internés, quatre cent mille exilés et plus d'un mil-
lion de déplacés. Et par le sinistre qui a frappé l'économie du
pays: paupérisation de la majeure partie de la population (le
20 CHRONIQUE DES ANNÉES DE SANG
La SM au cœur du pouvoir
En choisissant le corps de la SM au moment de m'engager au
sein de l'Armée nationale populaire, un certain 7 juillet 1974
- j'avais vingt et un ans -, mon ambition était d'apporter ma
modeste contribution à l'édification d'un État de droit puissant,
démocratique, bâti sur les« idéaux de novembre» (ceux des ini-
tiateurs de la guerre de libération, le 1er novembre 1954), respec-
tueux des libertés et des choix du peuple. Avec le temps, du fait
des fon ctions et des responsabilités que j'ai eu l'honneur d'assu-
mer, et avec l'expérience accumulée tOut au long d'une carrière
de plus de vi ngt ans, je peux attester avec certitude que la SM
constitue le «cœur» du pouvoir en Algérie.
Véritable État dans l'État, doté de prérogatives et de moyens
illimités, ce corps de sécurité a acquis, à juste titre, la réputation
de « fai seur de rois ». Car les « services », comme on les appelle,
nomment ou dégomment directeurs généraux d'entreprises
publiques, walis (préfets), consuls et ambassadeurs, députés et
ministres, et même ... présidents de la République.
INTRODUCfIQN 23
liers de jeunes dans les rues des grandes villes du pays, s'atta-
quant à tous les symboles du régime (sièges du FLN, ministères,
banques, magasins d'ÉtaL). La répression fut féroce: après la
proclamation de l'état d'urgence, J'armée, sous le commande-
ment du général Khaled Nezzar, n'a pas hésité à tire r sur la
foule, fai sant plus de cinq cents morts. Les manifestants ont été
arrêtés par milliers, et systématiquement torturés 1. En fait, nous
l'apprendrons assez vite, les é meutes étaient le fruit d'une mani-
pulation des « décideurs» du clan Bclkheir. Ils avaient organisé
sciemment la pénurie de biens de consommation de base pour
provoquer la révolte. Leur objectif était de briser la résistance
des apparatchiks du FLN et d'amorcer une ouverture poLitique
« contrôlée », qui servirait leurs appétits de conquête du pouvoir
et de la fortune.
Chadli Bendjedid, fr agilisé par le scandale d'une affaire de
corruption (dite « affaire Mouhouche ») où son fils Toufik était
impliqué, et lorgnant un troisième mandat, ne pouvait qu 'avali-
ser les menées de son mentor Larbi Belkbeir. Du coup, plu-
sieurs personnalités politiq ues et militaires gênantes feront les
frais de ces « événements spontanés ». À commencer par le chef
du gouvernement (depuis 1979), Abdelhamid Brahimi, démis le
9 novembre 1988 (et remplacé par l'ancien chef de la SM, Kasdi
Merbah 2), et par Mohamed Chérif Messaadia, le premier secré-
taire du FLN. Mais ce fut aussi le sort du chef de la DGPS,
bouc émissaire tout trouvé pour assumer la sauvagerie de la
répression dès la fin octobre, le général Lakhal Ayat é tait
limogé et remplacé par.. le chef de la DCSA, le général Bet-
chine. Ce dernier cédait son poste à la tête de la DCSA au géné-
ral Mohamed Médiène, dit «Toufik », jusqu'alors responsable
de la coordination des services de sécurité à la présidence. li
venait tout simplement d'hériter «sur un plateau d'argent»
1. Abed Chard, A/gtrie 88, lin chahut de gamills?, Laphomic, Alger, 1990;
OClobrl', ils par/ml, ouvrage conçu par Sid Ahmed Semiane, Ëditions Le
Matin, Alger, 1998. Voir aussi Habib Souaïdia, Le Proâs de La Sale Guerre,
op. cit .. page 49l.
2. Celui·ci, de son vrai nom Abdallah Khalef, avait été responsable de la SM
sous Boumediene. Écarté en janvier 1982 de l'armée après un bref mandat de
vice·ministre de la Défense chargé des industries militaires, il occupa les porte·
feuilles de ministre de l'Industrie lourde de 1982 à 1984 (dans le gouvernement
de Mohamed Ben Ahmed Abdelghani), puis celui de l'Agriculture et de la
Pêche de 1984 à 1986 dans le gouvernement de Abdelhamid I1rahimi. En 1989,
il fondera le MAJD, un parti politique dont te nom signifie" gloire JO en arabe.
LA D~STABlLlSATlON DE MOULOUD HAMROUCIIE 33
L es « réformateurs» dérangent
En prenant mes nouvelles fo nctions à la tête du SRA, de ux
éléments contradictoires avaient attiré mon attention la
compétence avérée de la plupart des cadres que je commandais
et le poids de la culture des d ans qui y régnait. La majorité des
officiers chevronnés étaient d'anciens sous+officiers, recrutés
sur la base du « parrainage ». Cette trad ition unique au sein de
la SM laissait des traces indélébiles (un Ici était taxé d'« homme
du colonel X )), tel autre avait l'étiquette d'être le «boy du
colonel Y»).
La quasi-totalité des quarante officiers sous mes ordres était
affectée à des tâches de recherche et d'investigation. Ils étaient
implantés dans les vingt ct une communes de la capitale, dans
les départements mi nistériels, da ns les zones industrielles,
etc. Une véritable toile d'araignée couvrait ainsi à Alger
l'ensemble des activités politiques, économiques et administra-
tives (écoles, universités, mosquées, justice, entreprises, déve-
loppement social, presse, télévision, radios ...). Mon travail
consista it à animer, orienter et coordonner le recueil de ren-
seignements et à élaborer des synthèses et des points de situa-
tion pour le commandement.
Compte tenu de la surcha rge de travail, je n'ai pas trouvé le
temps de mettre de l'ordre et d'assainir le climat de mon service
autant que je l'aurais voulu. Dans le nouveau contexte plura-
liste, je souhaitais élaguer les affairistes, les incompétents et tous
ceux qui étaient indignes à mes yeux de faire partie d'un corps
d'élite, pour des raisons de moralité, de probité et d'intégrité.
Seuls deux officiers furent radiés à mon initiative, en juin 1990,
dont le capitaine Daoud 1.
Le temps me manquait, car la situation était très difficile et
nous étions engagés sur tous les fronts. Nos chefs nous mobili-
saient pour tenter de contrôler le vent nouveau qui souffl ait sur
le paysage politique algérien les partis se créaient à tour de
1. Ce dernier sera ensuite « récupéré» par le lieutenant·colonel Smaï!
Lamari, dit « Smaïn », personnage essentiel dont faurai souvent l'occasion de
reparler par la suite, qui devait le proposer en 1991 au poste de chef de daïra
dans une wilaya du Sud: voilà de quelle manière se développe Je clientélisme
dans l'Algérie des clans mafieux un capitaine radié de l'armée pour
incompétence se retrouvera à la têle d'une daïra .
40 CHRONIQUE DES ANNÉES DE SANG
fi(presse indépendante ».
Ces réformes commençaient en effet à mettre à nu les circuits
parasitaires et à couper l'herbe sous les pieds des inter-
médiations délinquantes qui dominaient les circuits d'importa-
tion et de commercialisation des produits de première nécessité,
tous importés, comme le sucre, le café, les médicaments, les
céréales ... En vou lant faire son travail, qui consistait à rompre
avec l'ordre ancien, Mouloud Harnrouche dérangeai t donc les
parrains de la ( mafia politico-financière » - euphémisme vague
alors utilisé par la presse indépendante» pour éviter de dési-
fi(
Premiers dérapages
Dans diverses réunions, nos chefs nous ont expliqué que cetle
réorgan isation était une première étape vers une transformation
des services de la SM répondant au souci de la transition démo-
cratique. Habitués aux changements de dénomination (le qua-
trième en moins de dix ans), nous avions toutefois le sentiment
qu 'il ne s'agissait que d'u ne énième ma nœuvre destinée à faire
taire la «ga lerie» et à donner un gage aux vrais démocrates, en
particulier à Hocine Aït-Ahmed, le président du FFS, qui ava it
toujours fait de la mise au pas de la« police politique» son cheval
de bataille. De plus, la présence du général Toufik - 1'« homme au
cigare ~) comme nous l'appelions entre nous -, un ancien de la
boîte con nu pour sa puissance de travail, était pour nous une assu-
rance.
Cela allait sûrement changer, car la SM avait souffert des luttes
intestines et du manque de compétence en matière de renseigne-
ment des généraux Lakhal Ayat et Betchine, considérés plutôt
comme des « transfuges» dont le corps d'origine n'était pas la
SM. Mais les officiers qui se réjouissaient de ces changements ont
vite déchanté; dès septembre 1990, ils n'eurent plus droit aux
week-ends puisqu'ils devaient couvrir les prêches du vendredi et
être présents dans toutes les mosquées de la capitale. Ce qui était
impossible à réaliser! Nous dûmes sélectionner les plus impor-
tantes: les mosquées Sunna et Ketchaoua à Bab-el-O ued, la mos-
quée Ben Badis de Kouba , la mosquée EI-Arkam à Chevalley, la
mosquée Kaboul à Belcourt, celles de Lavigerie à EI-Harrach, de
la Montagne ..
Cela révélait l'aversion des responsables de l'année pour les
islamistes. C'était pour nous quelque chose d'incompréhensible,
car à nos yeux, les islamistes en général et le FIS en particulier ne
constituaient en aucun cas une menace sérieuse. Agir pour la
prise du pouvoir par la voie des urnes est une chose tout à fait nor-
male et légitime. Au demeurant, les prêches «incendiaires»
étaient largement le résultat d'un défoul ement en réaction à la
censure et à l'oppression omniprésentes du temps du parti
unique; et plus d'une fois , les leaders du FIS - Ycompris Ali Ben-
hadj - ont répondu favorablement aux« injonctions» des respon-
sables politiques ou militaires pour tempérer les ardeurs d'imams
extrémistes. Si le FIS constituait une menace, le chef de l'État dis-
posait d'ailleurs de moyens légaux pour la contrer : il pouvait dis-
soudre le Parlement, convoquer de nouvelles consultations,
58 Cl-IRONIQUE DES ANNËES D E SANG
ment, sur le plan politique, sans nous départir des anciens réflexes
hérités du temps du parti unique, nous aV Îo ns pris l'initiative sans
J'aval de la hiérarchie - mais celle-ci nous laissait carte blanche
pour ce faire - de nous renseigner au maximum sur les « associa-
tions à ca ractère poli tique» . J'étais satisfait du travail accompli
par mes officiers et la hiérarchie (avant J'arrivée du colonel
Smaïn) étai t contente des résultats et ne s'était jamais plainte ..
Il fit la moue et dit : « Et toi, Amar? » Ce dernier répondi t, non
sans humour: « Moi je n'ai absolument rien, je viens de remplacer
le capitaine Abdelaziz et il n'a laissé aucun dossier. C'était un
homme du général Betchine, il travaillait certainement sur vous,
mon colonel. » (J'ouvre une parenthèse pour signaler que le géné-
ral Betchine, qui soupçonnait Smaïn d'être un agent des services
de renseignements français, l'avait mis à l'écart dès février 1990,
et ava it même proposé sa radiation de l'armée, avant qu'il ne soit
«récupéré)) par le général Larbi Belkheir. Au moment de sa
« disgrâce )), Smaïn faisait évidemment l'objet d'une surveillance
de la part des é léments du service opérationnel que dirigeait le
capitaine Abdelaziz. Tous les officiers et sous-officiers mêlés à
cette affaire seront aussitôt mis sur la touche par le nouveau
DCE.) «Prépare-toi à avoir du boulot, Amar )), promit Smaïl
Lamari.
Puis se re tournant vers moi, il me demanda de lui faire une éva-
luation de la situation ainsi que des moyens matériels et humains
souhaités pour la réorganisation de Illon service en vue de l'adap-
ter aux nouvelles exigences.
Le service de recherche, que je dirigea is, comptait alors près de
quarante officiers, une dizaine de sous-officiers et deux PCA
(personnel civil assimilé), et nous manipulions en plus une
kyrielle d'agents. L'ensemble de ces cadres était réparti au niveau
des cinq structures:
- la sécu.rité intérieu.re, confiée au capitaine Saïd Lerari (dit
« Saoud »), e t qui s'occupait justement des partis politiques, de la
subversion (à cette époque, le terme « te rrorisme)) n'était pas
encore usité), des activités politiques en général, notamment au
niveau des communes, car, on l'a vu, les APC (Assemblées popu-
laires communales) étaient en majorité détenues par le FIS
depuis juin 1990;
- le contre-espionnage, confié au capitaine Mustapha, et qui
s'occupait des étrangers, des missions et personnels diploma-
l'REMIERS DÉRAI'AGI:S 61
1. Plus ta rd. en compulsant les archÎ\'es du ORS de 1991 etl 992,j'ai décou-
vert que le commandant Abderrahmane Benmerzouga était ml!me chargé de
la rédaction d'une revue pour le compte du Hamas, et fréquentait assidQment
les locaux de ce parti à EI-Madania. Il était en quelque sorte devenu l'émi-
nence grise de Mahfoud Nahnah.
2. Lui aussi sera hélas assassiné, en janvier 1994. Son enlèvement. suivi de
son e",écution. sera revendiqué à la fois par Ic GIA et par l'Oja1 (Organisation
des jeunes Algériens libres), un escadron de la mort créé par le DRS (voir
chapitre 7).
PREMIERS DÉRAPAGES 71
1. Ahmed Me rah confirmera, Ollze ans plus tard, la manipulation des ex-
bouyalistes par le DRS, suite à mon intcrvicw du l<f août 2001 dans rémission
.. Bila Iloudoud,. (sans frontières) dc la chaîne arabe AI-bzinl, oil j'avais
donné une partie des informations qui précèdcnt. Merah accordera à son
tour une interview au QIIO/Mien (/,0,,1/1 (20 août 2001). où il a confirmé
l'essentiel de mes propos, en fournissant même des détails que je n'avais pu.
raute de temps, donner 11 l'antenne: .. Efrectivement, la Sécurité militaire
avait planifié le te rrorisme mais en manipulant des islamistes, dontmoi-ml!me
et ceci dès 1989, dans le but de remettre e n cause le processus démocralique.
J'en veux pour preuve l'affaire de Guemm.3T en novembre 1991 et la pro-
grammation de la libération de Chebouti, Mansouri Meliani el consortS le
29 juillet 1990, au lendemain dc la victoire écrasante du FIS aux élections
communales du 12 juin 1990. ,. Et d·ajouter: .. Grâce 11 sa fonction à la wilaya,
Samraoui avait été informé, suite à un incident qui m'avait opposé 11 la police
dans l'accomplissement d'une mission en 199 1, alors que j'étais dé taché
auprès du commandant AllIar Gucttouchi, qu· un bouyalislc était doté d'unc
Renault 9 grise immatriculée sous le numéro 06844-188-16. puis d'une autre
R9 grise, sous le numéro 04691-188-16, avant d'être doté d'une autre R9 grise,
82 CH IWN1QUE DES ANN'ËES DE SANG
1. Dont Mahfoud Nahnah (futur dirigeant d'un parti islamiste «modéré ,.,
le MSP) était membre: aujourd'hui, ce n'est un secret pour personne que
Mahfoud Nahnah était le représentant de cene organisation en Algérie.
Durant mon séjour de trois ans en Allemagne, il y a été accueilli au moins
cinq ou six fois par les responsables locaux de ce mouvement, qui
s'occupaient de sa prise en charge el de l'organisation de ses meetings et ren-
contres.
2. En juin 1992, lors d'une mission à Peshawar, les responsables de !'ISI (te
service pakistanais de renseignement) m'informèrent qu'ils estimaient à envi-
ron deux mille le nombre d'Algériens encore présents au Pakistan et en Afg-
hanistan.
3. Le« petit pèlerinage ,. à La Mecque, qui peut se dérouter à n'importe
quel moment de ['année (par contraste avec le Hadj, pèlerinage qui
s'accomplit une fois l'an, à date fixe).
1991 : LA SM CONTRÔLE LES GROUPES ISLAMISTES,., 89
Un premier avertissement
Le jeud i l e, fév rier 1991, comme à l'accoutumée, le FIS orga-
nisait une marche dans la capitale, de la place des Martyrs à la
place du r'-Mai . Ce jour-là, comme tous les jeudis depuis
DES ËLECfIONS SOUS HAUTE TENSION 101
L Nom donné à une éphémère coalition réunissant sepl petits partis poli-
tiques: le MDA de Ahmed Ben Bella. le ReD de Saïd Sadi, le PSD de
Hamidi Khodja, te PRA de Nourredine Boukrouh, En Nahda de Abdallah
Djaballah, le PT de Louisa Hanoune et rUFP de Rachid Bouabdellah
(rejoints ensuite par le MAlD de Kasdi Merbah, d'où le nom de 7+1).
lOS CHRONIQUE DES ANNËES DE SANG
1. Le 15 juillet 1992, ils seront !Ous les deux condamnés. par le tribunal
militaire de Blida. 11 douze ans de réclusion. pour" crimes contre la sûreté de
l'État» et "atteinte au bon fonctionnement de l'éconOmie nationale,., (il leur
était reproché d'avoir initié et dirigé la grève, qualifiée d'" insurrec-
tionnelle »). Abbassi Madani sera libéré le 15 juillet 1997, mais pour être
presque aussitôt assigné 11 résidence; Ali Benhaddj. quant à lui, restera incar-
céré jusqu'à l'is~ue de sa peine. L 'un et l'autre ont été élargis le 3 juillet 2003.
2. Pour ma part, je ne partageais pas cette analyse et c'est pourquoi j'étais
contre la tenue des élections législatives: au cours des mois suivants. j'ai fait
de nombreux rapports en ce sens, mettant en garde te commandement mili-
laire - aussi bien le DRS que l'état-major de l'ANP - contre le risque d'un raz
de marée islamiste.
DES ÉLECTIONS SOUS HAUTE TENSION 115
L'affaire de Guemmar
Un peu plus tard, survint une manipulation bien plus grave, et
cette fois largement publique. Fin novembre 1991, la presse
révélait que, le 29, un «commando islamiste» avait attaqué la
caserne de Gucmmar, un poste de ga rdes-frontières situé dans
le sud du pays, causant la mort de sept jeunes appelés. Immé-
diatement attribuée au FIS, cette action fut condamnée una-
nimement par la presse et les partis politiques. Mais aussi par le
FIS: Abdelkader Hachani, dans un entretien télévisé. mit au
défi le général Nezzar d'apporter la moindre preuve de l'impli-
cation de son parti dans cette affaire.
De fait, aucune preuve ne fut jamais apportée. Et pour cause:
c'était une opération planifiée par le ORS, utilisant des isla-
mistes manipulés, qui obéissait à la stratégie définie par le « plan
Nezzar» de décembre 1990 et visait à impliquer le FIS en tant
que structure politique. C'est ce que j'apprendrai bien plus tard,
en juillet 1995, par un officier des services, qui m'expliqua que
122 CHRONIQUE DES ANNËES DE SANG
Provocations...
Dans la nuit du 23 au 24 décembre 1991, soit deux jours avant
le premier tour des élections, deux véhicules banalisés du CPÛ
avec chacun à son bord quatre sous-offici ers avaient quitté le
Centre Antar vers 22 heures pour « patrouiller» dans des zones
à risq ue, Bordj EI-Kiffan, Les Euca lyptus et EI-Achour. Ces
quartiers étaient connus pour être des fiefs des islamistes dange-
reux, ce qui n'a pas empêché le comma ndement d'y envoyer ces
jeunes militaires sans armes.
Vers une heure du matin, aux environs de Bordj EI-Kiffan , un
véhicule suspect, rou lant à faibl e allure, s'approcha des deux
voitures. Les jeunes sous-officiers n'e urent pas le temps de dévi-
sager ses occupants: l'un d'eux tira deux coups de fe u sur e ux, à
bout pourtant. Atteint de deux balles à la tête, "un des mili-
taires (originaire de Rélizane, dont je n'ai plus le souvenir du
nom), qui faisait partie du service d'investigation du capitaine
Hocine, devait décéder peu après. Com me à Guemmar, comme
à Beni-Mered quelques jours plus tôt lorsqu'une caserne de la
genda rmerie fut attaquée, il était une des premières victimes de
la longue liste à venir des morts en service commandé.
Le lendemain, le colonel Smaïl Lamari réunit tous les cadres
de la DCE et du GIS au réfectoire du Centre Antar pour les
sensibiliser au danger de l'intégrisme islamiste, dont les adeptes,
nous dit-il, n'hésiteraient pas à assassiner froid ement les mili-
taires. Ce discours avait clairement pour objectif de nous
« remonter» cont re les islamistes et de nous préparer aux
affront ements ultérieurs. Le sentiment qui prévalait alors chez
beaucoup d'entre nous était la colère contre le chef de la DCE,
qui avait envoyé à la mort de je unes sous-oWciers dans des
124 CHRONIQUE DES ANNËES DE SANG
« Sauver la démocratie»
Préparatifs
Le coup d'Élal
À partir du 4 janvier, la machine de guerre inspirée d u ( plan
d'action global », conçu par les généraux Larbi Belkhcir et Kha-
led Nezzar en décembre 1990, entra donc dans sa phase finale:
celle de la liquidation du FIS , tâche qui fut confi ée au général
Mohamed Lamari et à son chef d'élat-major au CFT, le colonel
Brahim Fodhil Chérif.
Mais auparavant, il fall ait se débarrasser du président Chadli.
La semaine du 4 au 10 janvier fut mise à profit par les généraux
putschistes (que "on appellera plus tard les « janviéristes »)
pour préparer les textes, cherche r le scénario idéal, choisir les
personnalités susceptibles de « marcher » avec eux e t entamer
les tractations avec Mohamed BoudiaC, fi gure historique de la
révolution algérienne qui avait été contraint à l'exil au Maroc
en 1963 1,
Cependant, avant d'arrêter le ur choix sur Mohamed Boudiaf
pour remplace r Chadli, les militaires janviéristes, fort soucieux
de se cacher derrière une façade civi le, avaient envisagé d'autres
possibilités. Les noms de pe rson nalités cha rismatiques comme
Ahmed Ben Bella, Hocine Aït-Ahmed et même Ahmed Taleb
Ibrahimi furent ainsi successivement évoqués, Mais ils furent
tous écartés: Ben Bella , jugé « revanchard », risquait de deman-
der des comptes; Aït-Ahmed, en bon démocrate, a décliné le
«cadeau e mpoisonné»; quant à Taleb, il a é té récusé par ceux
qui le qualifiaient d'« imam en costume-cravate ». Ne restait
donc que la « ca rle Boudiaf », malgré sa déclaration du 5 janvier
1992 à l'hebdomadaire Jeune Afrique (<< L'année doit respecter
le choix du peuple»).
Cette «carte », au demeurant, avait été envisagée de longue
date, prouva nt que le plan de liquidation du FIS éta it à l'étude
depuis longtemps. Dès décembre 1990, Ali Haroun avait été
l, Né le 23 juin 1919 à M'Sila et figure emblématique de la révolution algé.
rienne, Mohamed Boudiaf, connu sous le pseudonyme de Tayeb El Watani,
a été l'un des premiers dirigeants à avoir déclenché la révolution armée,
en 1954. À l'indépendance, il s'opposera au pouvoir hégémonique de Ben
Bella; arrêté en 1963, il quittera l'Algérie Ct créera un parti d'opposi tion, le
PRS (Parti de la révolution socialiste), qu'il dissoudra à la mort de Houari
Boumediene. Durant son exil au Maroc, Boudiaf s'occupait de sa briqueterie
à Kenitra.
1992 ; LES Of JANVI~RISTES ". USËRENT LA VIOLENCE... 137
Moins de cinq minutes plus tard, deux voitures avec sept poli-
ciers d'un commissariat proche (celui de Bab Djedid, si mes sou-
venirs sont exacts) se rendaient su r les lieux.
C'était un traquenard! Attendus, les six policiers, Nacer-
Eddine Hamadouche, Samy Louani, Mourad Mihoub, Omar
Moulay, M'hamed Akache et Youce( Bekheda, (urent criblés de
balles et délestés de leurs armes ct des radios qu'ils portaient.
Un seul en réchappa en faisant le mort, selon la version qui nous
parvint après le drame. Il s'agissait des premiers policiers vic-
times de la« sale guerre », les premiers d'une très longue liste ...
Évidemment, la presse algérienne a immédiateme nt attribué
ce crime aux islamistes, en l'occurrence au groupe armé d'un
certain Moh Lcvcilley, dont j'aurai l'occasion de reparler (voir
chapitre su ivant). Et le lendema in , au cours d'une opération
nocturne, un groupe de commandos-parachutistes de l'ANP,
prétendument à la recherche des éléments du groupe armé, a
exécuté des témoins oculaires gênants pratiquement au même
end roit.
Trois jours après l'affaire de la rue Bouzrina, à quelques cen-
taines de mètres de la Casbah, l'unité militaire de réparation
navale au port d'Alger, sise au lieu-dit « L'Amirauté» 1, é tait
attaquée par un groupe. Bilan: dix morts, dont sept militai res et
un policier. La presse annonça que l'attaque avait également été
menée par le groupe de Moh Leveilley, avec la complicité
interne de militaires pro-islamistes. Il s'agissait en fait d'un nou-
veau coup tordu des services, comme l'a révélé dans son livre
"ex-lieutenant Habib Souaïdia, qui e n a appris les détails par
l'un des participants à cette opération, un ancien militaire qu'il a
connu en prison 2 (détails que mes propres sources me permet-
tront de confirmer). Cette action, codifiée « opérat ion pas-
tèque », avait été montée par Jes services de la DCSA avec
J'aval des plus hauts responsables de l'armée. Au mois de
novembre 1991, six militaires (dont deux offi ciers et quatre
élèves-officiers) de l'École navale de guerre avaient été arrêtés
pour leurs sympathies islamistes. Après plusieurs jours d'inter-
L'engrenage de la haine
L'affaire de la rue Bouzrina fut la prem ière du genre - il Y en
aura hélas bien d'autres - à « sensibiliser» les policiers au dan-
ger intégriste, pou r leur inculquer la devise « tuer ou être tué }>,
inaugurant l'eHroyable engrenage de la haine (massacres-
représailles-massacres) qui allait ensanglanter mon pays pen-
dant des années. La répression frappait désormais tous azimuts,
beaucoup d'i mams étaient arrêtés. Le vendredi 14 février, le lea-
der du FIS Mohamed Saïd échappait in ex/remis à l'arrestation
dans la mosquée du Ruisseau, où il donna son dernier prêche: à
partir de ce jour, il ent ra en clandestinité, pour diriger la «cel-
lule de crise)} du parti islamiste constituée fin janvier afin de
tenter d'organiser la riposte aux coups de boutoir de l'armée et
des services de sécurité.
Mais les responsables du FIS encore en liberté (dont Moha-
med Saïd et Abderrezak Redjam) ne contrôlaient plus grand-
chose. Dans un communiqué diffusé le 22 février, ils deman-
daient le « retour à un dialogue politiq ue sérieux, avant que la
violence ne devienne l'alternative des parties que le pouvoir
veut exclure et éloigner ». C'était déjà trop tard: des milliers de
cadres et de sympathisants avaient été arrêtés, et ceux qui vou-
laient échapper à la répression n'avaient d'autre solution que de
plonger dans la clandestinité. Certains choisirent de passer à
l'action armée, mais de façon totalement désorganisée, car le
FIS, nous étions bien placés pour le savoir, n'était absolument
pas préparé à cette issue. Seuls existaient alors les groupes q ue
nos services avaient plus ou moins infiltrés (comme la secte
1992 : LES «JANV1ÉRISTES" Ll BËRENT LA VIOLENCE... 149
pour éliminer ceux qui ne l'étaient pas) pour que tout rentre
dans l'ordre. Mais ce calcul criminel allait «déraper »), enclen-
chant une spirale de l'horreur incontrôlable ses instigateurs
n'avaient sans doute pas prévu que la haine pour le peuple qu'ils
allaient ainsi faÎre naître chez les jeunes cadres du DRS, de la
police et des forces spéciales de ,'ANP déboucherait sur des vio-
lences et des crimes d'une telle ampleur que la seule façon de les
« gérer» serait la fuite en avant dans toujours plus d'horreur et
de manipulations, au prix de dizaines de milliers de morts.
Mon service, heureusement, n'était pas directement impliqué
dans ces manœuvres atroces. Pour notre part, nous travaillions
notamment sur le projet de création d'un Parlement croupion,
dont les membres seraient désignés par le HCE (ce sera le
« Conseil consultatif national », créé le 22 juin 1992 sous la pré-
sidence de Rédha Malek, ancien directeur du Moudjahid - le
journal du FLN - pendant la guerre de libération, notable du
régime et « éradicateur » convaincu).
La campagne médiatique aidant, tout était prêt pour justifier
la dissolution du FIS. Elle sera prononcée sur injonction du
HCE par voie de justice le 4 mars, moins d'un mois après
l'entrée en vigueur de l'état d'urgence. Dans la foulée, les élus
municipaux du FIS, pour la plupart arrêtés, ont été remplacés
par des «délégués exécutifs communaux» (DEC), cooptés par
l'administration et par la SM pour assurer la gestion des munici-
palités. C'est précisément à ce moment-là qu'un «complot isla-
miste» au sein de l'armée fut mis au jour, mais qui,
curieusement, ne donna lieu à aucune exploitation médiatique.
tien pour l'éclaire r sur des affaires de corrupt ion dans des mar·
chés cont ractés par l'AN P), sa tentative de création d'un parti
politique (le RNP, Rassemblement nationa l pat riotique) qui lui
au rait permis de disposer d'une assise populaire, sa volonté de
régler le contentieux avec le Maroc sur le Sahara occiden tal.
« Pire» encore, aux yeux des généraux, Boudiaf envisageai t de
procéder en juillet à des changements importants da ns la hiéra r·
chie militaire et dans le gouvernement (i l envisageait nolam·
ment de mettre fin aux fonctions du général Toufik). Il signait
ainsi, sans le savoir, son arrêt de mort - je reviendrai, dans le
chapit re 10, sur les ci rconstances de son assassinat.
Tous ces faits, et ce que j'ai raconté plus haut des cir·
constances de l'affaire de la rue Bouzrina, ne laissent place à
aucun doute: Moh LeveiJJey était un agent des services, « fabri-
qué» pour en faire un épouvantail islamiste et pour lui faire
commettre des attentats destinés à terroriser les citoyens. Il sera
final ement abattu par les forces de sécurité à Tamesguida, le
31 aoOt 1992. Il n'était que le premier des nombreux. « émirs du
DRS» placés à la tête des GIA et qui seront régulièrement
liquidés une fois leurs missions accomplies.
1. C'est ainsi que le lieutenant du DRS Farid Achi. dont j'ai déjà parlé, a
réu~si dès 1992 à s'infiltrer parmi des jeunes de la Casbah et à créer son
propre groupe après s'être échappé d'une arrestation simulée (un an plus
tard, il fe ra partie des di rigeants nationaux du G IA), Il organisera l'exécution
de policiers, magistrats et fonctionnaires par des hommes convaincus de se
battre pour la bonne cause, Plus tard, il a monté des opérations dans les-
quelles de nombreux eomballanis furent tués, divulgué des caches d'armes et
dénoncé certains de ses hommes. Puis, lorsque la DRS a décidé que ce
.. faux .. groupe ne devait plus sen'ir, Achi distribua à ses I/IQlldjnl!idille près
de deux centS paires de chaussures de sport coréennes dites «Tango,.,
inconnues en Algérie, Ainsi facilement repérables quand ils descendaient en
ville, ces hommes seront abattus comme des lapins, Et du coup, les membres
des groupes armés seront surnommés" tangos,. au sein des forces de sécurité
(pour un réci t détaillé de cet épisode, voir: Valerio Pellizzari, .. Ecco come il
regime ha infiltrato la Casbah "., Il Messagero Domenica, 1" fév rier 1998, cilé
par B, Izel. J. S, \Vafa, \V, Isaac,« \Vhat is the GIA? .. , Ali IlIquiry into Ihe
A/gerian Massacres, Hoggar Books, Genève, 1999, page 399),
176 CHRON IQUE DES ANNIË:ES DE SANG
Mission au Pakistan
L'histoire de la création du GIA par les services secrets res-
semble à celle de Docteur Jekyll el Miscer Hyde: à un moment
donné, pratiquement dès le deuxième trimestre 1992, le proces-
sus de manipulation ne fut plus maîtrisé. De nombreux agents
retournés, menant double jeu, s'étaient « volatilisés» dans les
maquis. E t à cause du cloisonnement, les agents du CPMI et
ceux du CPÛ se faisaient la « guerre» : en tant q ue responsable
de la cellule de renseignement du peû, je ne comptais plus les
interventions du colonel Kamel Abderrahmane, de Amar ou de
Tartag, pour me demander de re lâcher tel ou tel, qui venait
d'être arrêté, car il ~ travaillait» avec eux. Le manque de coor-
dination, dans ce plan diabolique, était d'ailJeurs tout aussi
grave entre les structures du ORS e l les autres institutions de
l'État. C'est dans cette cacophonie que la lutte contre les « inté-
gristes » a été e ngagée.
Je ne pouvais plus être d'accord avec cette politique suicidaire
pour le pays. Comme je l'ai dit, après avoir compris les véri-
tables objectifs de la manipulation du MEl, je décidai, fin mai,
LA CRËATION DES GIA l'AR LES SERVICES 183
Rupture
Le même jour, vers 17 he ures, e n remettant Illon rapport de
mission au colonel Saïdi Fodhil, je lui ai fait part de mon vœu de
qUÎtter la OCE, sans donner d'explications, me contentant de
dire que je ne partageais plus les conceptions de Sm3"!n en
matière de lutte antisubversive. Il avait tout de suite compris
que le courant ne passait plus et il me promit d'en parle r au
général Toufik.
Après les fun érailles de Boudinf, j'ai remis à ma hié rarchi e
ma demande de radiation , datée du 3 juillet, et je suis allé chez
moi à Annaba. Pourquoi cette décision ? Depuis janvier 1992,
je m'apercevais qu'une force occulte cherchait coOte que coûte
J'escalade et le chaos. Au dépa rt , j'avais mis cela sur le compte
de l'incompétence, puis, progressivement, j'ai compris que
c'était de la préméditation.
En 1989, je le dis si ncèrement , j'étais con tre l'agrément
accordé au FIS et au RCD. Non que je sois hostile à ces deux par-
tis politiques. Mais tout simplement parce que les responsables
du pays - pa r calcul politicien - ont transgressé la Constitution,
qui inte rdisa it l'octroi de l'agréme nt à un parti à caractè re reli-
gieux ou régional.
En janvier 1992, j'étais égalemen t opposé à l'annulation des
élections législatives et l'interruption du processus électoral.
Non pas parce que je serais pou r ou contre X ou Y; mais si m-
plement pa rce que l'on ne corrige pas une erreur par une erreur
plus gra nde. À mon avis, le processus aurait dO être poursu ivi e t
si les islamistes imposaient le urs vues par la terre ur, nous avions
les moyens d'intervenir. Mais il ne fall ait pas intervenir avant.
En février 1992, je me su is opposé à l'ouverture des camps de
sûreté. Non pas par sympathie pour les intégri stes, mais parce
que cette mesure était incompatible avec la notion de droit. La
loi dit qu'une personne soupçonnée d'un crime ou d'un délit est
présumée innocente jusqu'à preuve du contraire. Donc il fall ait
sanctionner les coupables, les juger pour les actes délictue ux
qu 'ils auraient commis et non s'attaquer aux innocents, ce qui
ne pouvait que précipiter la radicalisation et la violence.
À la même époque, j'étais aussi contre la dérive qui s'opérait :
au lieu de combattre le terrorisme intégriste, les responsables de
1992-1994 : LA FUR IE MEURTRIËRE 187
1. Le SRA avait été renforcé par des sous· lieutenants issus des promotions
de 1991 et 1992, car après les événements de juin 1991. la formation avait été
accélérée et les nouveaU1\: officiers affectés directement soit au GIS. soit aux
unités opérationnelles de la SM opérant dans la capitale - rares furent ceux
qui partirent dans les CRI des autres régions militaires.
]992·]994 : LA FU IHE MEURTRIËRE 197
tian n'était pas prévue et son« dauphin» n'était pas encore pré-
paré.
Il faut comprendre en effet qu'à J'époque, la manipulation des
groupes épars n'était pas quelque chose de simple, il y avait
souvent des impondérables; les cadres du DRS infiltrés dans les
groupes risquaient leur vie à chaque instant et s'ils étaient
démasqués, une mort certaine et horrible les attendait. Pour évi-
ter ce sort, beaucoup d'entre e ux éta ient obligés de jouer à fond
leu r rôle de «terroristes ». D'ou les dérapages, mais aussi la
compromission dans laquelle ont été entrainés de nombreux
cadres du ORS: une fois le pas uanchi, il était pratiquement
impossible de faire marche arrière. C'est aussi ce qui explique le
taux élevé d'of{iciers et de sous-oWciers qui se sont adonnés à la
drogue pour surmonter leur cauchemar. C'est dans cette spirale
de violence, voire de« folie », qu'a évolué la nébuleuse du G IA.
Quoi qu'il en soit, après l'arrestation de Layada, Sid Ahmed
Mou rad, Ull ancien «Afghan» non contrôlé par le ORS, a été
désigné en août «émir national» du GIA après une brève
consultation du majJess ech-choum. Le ORS venait d'être
débordé (même si ses agents continuaient à diriger plusieurs
groupes), et il en ira de même avec Sayah Attia et Chérif
Gousmi.
C'est en octobre 1994, après les avoir fait éliminer, que
Zitouni se verra intronisé, grâce à un coup de force, «émir
national» du GIA Selon Tigha, 1'« officier traitant» de Zitouni
sera à partir de cette époque le « numéro 2 }} du CfRI de Blida,
le capitaine Abdelhafidh Allouache, dit Hafîdh, chef du «Ser-
vice de coordination opérationnelle» Gusqu'en 1994, il avait été
le secrétaire personnel du général Smaïn); ce dernier, «très
connu des services français DST et OGSE », était comme
Zitouni ori~inaire de Birkhadem et il avait été un de ses amis
d'enfance. A l'occasion de cette reprise en main de la direction
des GIA par le ORS, il fut décidé, compte tenu de l'intense acti-
vité des groupes armés, de « redécouper » le territoire national
en neuf zones (et non plus cinq comme auparavant), incluant les
régions militaires de Ouargla et de Béchar (c'est le général
Smaïn lui-même qui me le révélera, information qui me sera
confirmée en décembre 1994 par le capitaine Farouk Chetibi).
Auparavant, la durée de vie d'un ém ir non con trôlé par le
DRS ne dépassait pas quelques mois, le temps de le localiser et
2<8 CHRON!QUE DES ANNÉES DE SANG
,
DJAMEL ZITOUNI, UN TERRORISTE À LA SOLDE... 219
Le D RS se débarrasse de ZifounÎ
Djamel Zitouni, lui , allait encore sévir quelques mois. L'un
de ses plus sinist res « faits d'armes» marquera aussi sa fin. Le
26 mars 1996, sept moines trappistes du monastère de Tibéhi-
ri ne étaient enlevés; ils seront assassinés deux mois plus lard,
et le GIA de Zitouni revendiquera ce nouveau crime Ge
reviendrai en détail, dans le chapitre suivant, sur les cir-
constances de ce drame).
Mais quelques semaines après J'exécution des moines, un
événement extraordinaire s'est produit Djamel Zitouni était
devenu gênant pour ses maîtres, il fall ait à tout prix le üquider.
Le 15 juillet 1996, un communiqué présenté comme émanant
du majless ecll-choura (conseil consultatif) du GIA, reproduit
par l'AFP, annonçait la mise à l'écart de Djamel Zitouni, alias
Abou Abderrahmane Amine, de la direction de l'organisation
224 CHRONIQUE DES ANNIË:ES DE SANG
Parler du GIA en France n'est pas chose aisée. Mais cela est
nécessaire, car le plan conçu par les généraux détenteurs du
pouvoir à Alger trouvait son prolongement en France: pour
eux, le soulien de l'ancienne métropole dans la seconde guerre
d'Algérie était absolument décisif. Impliquer la France n'exi-
geait pas beaucoup d'investissement, puisque, en plus des liens
historiques entre les dirigeants des deux pays, elle abrite une
importante communauté algérienne (ou française d'origine
algérienne), estimée à quelques deux millions d'âmes et surveil-
lée de très longue date par les agents de la SM. Et que, comme
je l'ai expliqué dans le prologue, le ORS et la DST (Direction
de la surveil1ance du territoire) française entretiennent depuis
le milieu des années 80 une coUaboration particulièrement
étroite, grâce notamment à Smaïn, qui en est indiscutablement,
jusqu'à ce jour, la cheville ouvrière.
est un pcu spéciale, C(lr tous les dignitaires algériens ont leufS
«bases arrières» (plusieurs y disposent d'hôtels particuliers)
dans la capitale française, où ils viennent très souvent.
J'ai rencontré à plusieurs reprises le colonel Habib entre
juin 1993 et novembre 1995. et i l m'a communiqué de nom-
breuses informations confidentieltes sur son tra vail. En les
complétant avec d'autres et en analysant la presse, j'ai pu me
faire une idée assez précise du rôle du DRS e n France, de
l'implantation des réseaux islamistes et notamment de la corré-
lation entre la manipulation de ces derniers et les attentats de
1995 - j'y reviendrai e n détail.
Mahmoud Souamès, que j'avais connu à partir de 1979 par
l'intermédiaire d'amis communs - il habitait à Annaba comme
moi -, était considéré comme un officier très « professionnel» e l
compétent. Lors de l'une de nos rencontres à Paris en 1994,
pour expliquer les difficultés auxquelles il fai sait face, il m'a
confié qu'il était obligé de« ménager la chèvre et le loup », car à
Paris il devait « être bon avec tout le monde et surtout servir
tout le monde », en accueillant généraux et figures du régime à
l'aéroport et, surtout, en distribuant aux uns et aux autres soins
médicaux, cures, envois de pièces détachées, achats divers,
réservations, escortes féminines, argent de poche, etc. Sachant
qu'il était e ntouré de taupes et que chaque « boss» avait son
sbire sur place, il veillait à ne pas perturber cet équilibre. II m'a
avoué qu'il avait même désigné un cadre qui ne s'occupait que
de ces problèmes ...
Dans l'accomplissement de sa tâche, le colonel Habib a béné-
ficié de trois atouts: les informations qu'il recevait d'Alger pour
mener à bien sa mission; les informations fournies par la DST
dans le cadre du programme commun de lutte contre les réseaux
islamistes; des moyens financiers considérables.
Comme en Algérie, les isla mistes en France étaient divisés,
essentiellement à propos des ressources financières qui pou-
vaient être collectées auprès de la communauté algérienne. A u
début des années 90, sur le terrain, outre la tendance proche de
Nahnah qui se faisait remarquer par sa bonne organisation, trois
aulres tendances se disputaient la su prématie du mouvement
islamiste: la tendance originelle du FIS, sans expérience; la te n-
dance djazaariste, organisée et entreprenante; et la tendance
dure d'EI-hidjra oua at-takfir, qui donnera naissance au GIA.
LES . GRourES ISLAfo,llSTES DE L·AI~MÉE ,. CO NT RE... 229
1. L'avocat Ali Mécili a été assassiné li Paris le 7 avril 1987, par un agent
de la SM. Ancien combattant de l'A LN pendant la guerre de libération. il
était depuis toujours un fidèle de I-Iocine Aït-Ahmed, le leader du FFS. En
1985, il avait été la cheville ouvrière d'un rapprochement entre ce dernier et
J'ancien président Ahmed Ben Bella. alliance qui menaçait les généraux
d'Alger. Pour eux, l'élimination de Ali Mécili était un .. message. li l'inten-
tion des deux opposants et, surtout, elle visait à priver le FFS - depuis
loujours considéré comme un ennemi dangereux par le pouvoir - d'une per-
sonnalité d'envergure capable de prendre un jour le relais de Aït-Ahmed.
L'assassin de Mécili, Abdelmalek Amel1ou, un agent de la SM, arrêté à Paris
quelques jours après le meurtre, a été renvoyé <tuaranle-huit heures plus tard
li Alger. sur décision du ministre Robert Pandraud, sans qu'aucune instruc-
tion ne soit menée par la justice françabc (voir Hocine An-Ahmed, L'Affilire
Micj/i, La Découverte, 1989).
LES • GROUPES ISLAMISTES DE L'AI{MËE ~ CONTRE... 241
condamnés, lors d'un procès fle uve devant la cou r d'assises spé-
ciale de Paris en octobre 2002, à la réclusion criminelle à perpé-
tuité pour deux d'entre eux, ceux du métro Maison-Blanche et
du RER Musée-d'Orsay (Boualem Bensaïd ayant été reconnu
«complice» dans l'attentat de Saint-Michel).
Si la responsabil ité de ces deux hommes est certaine, nombre
d'observateurs ont souligné à l'occasion de ce procès que le véri-
table organisateur des attentats était le fameux Ali Touchent,
alias Tarek, dont j'a i raconté da ns quelles circonstances il était
devenu un agent du colonel Habib. Ali Touchent ayant été
chargé par le DRS de coordonner l'activité du G IA en France et
en Europe, il ne fait aucun doute à mes yeux qu'il était bien der-
rière l'organisation de ces attentats, dont l'objectif, pour les
chefs du DRS, é tait de faire pression sur le gouvernement fran-
çais.
En vérité, ce qui reste le plus étrange dans cette affaire, c'est
bien l'attitude des services de sécurité français, qui avaient pour-
tant repéré Ali Touchent dès 1993 et peut-être même avant. Par
quel miracle a-t-il pu échapper aux rafles entre 1993 et 1995 tant
en Hollande, en Angleterre, en Belgique qu'en France, alors
que les personnes proches de lui ont toutes été interpellées?
La réponse est évidente : les services français savaient q ue
Touchent était un agent du DRS chargé d'infiltrer les groupes
de soutien aux islamistes à l'étranger. Profitant de l'intimité de
leurs relations avec les responsables de la DST, le général Smaïl
Lamari et le colonel Habib leur fournissaient de vrais « tuyaux ~~
sur le mouvement islamique en France et sur les é léments « dan-
gereux» identifiés par les taupes du DRS, dont Ali Touchent;
en échange de ces précieuses informations, la DST apportait sa
collaboration (y compris la protection des sources, ce qui
explique que Ali Touchent n'ait jamais été inquiété sur le terri-
toire français) et son soutien pour neutraliser les vrais islamistes.
Ainsi, en novembre 1995, sur les soixante suspects des atten-
tats identifiés dans l'album des services de police, la seule photo
qui manquait était la sienne; pourtant, il y était bien écrit: X dit
« Tarek ~~. Qui cherchait à le dissimuler à la j ustice française 1
Qu'est-il advenu des documents d' identité saisis en 19931 La
police savait pourtant que 1'« émir du GIA en France ~~ parta-
geait bien la chambre de Boualem Bensaïd boulevard Ornano
dans le 18" arrond issement de Paris durant l'été 1995, puis rue
Félicien-David dans le 16e•.
LES «GROUPES ISLAMISTES DE L'ARMËE,. CONTRE... 249
1. Mais dans son rapport final du 7 décembre 1992 (dom les parties essen-
tielles n'ont pas é té rendues publiques), alors même qu'elle avait été chargée
de oK faire la lumière sur les circonstances de l'assassinat du préside nt Moha-
med l30udiaf ainsi que sur l'identité des auteurs. instigateurs et commandi-
taires de ce forfait ", la commission se bornait à conclure: .. Il appartient à la
justice normalemen t saisie, de poursuivre l'instruction de cette grave affaire."
Et, bien sûr, lors du procès de Boumaarafi en mai 1995, c'est la thèse de
l' .. acte isolé .. qui a été retenue.
LIQUIDATIONS À IIAUT NIVEAU 263
ment été refusée par les généraux, qui n'entendaient pas qu'un
civil vienne «empiéter sur leurs plates-bandes ».
N'ayant pas trouvé l'homme providentiel, et compte tenu de
la situation économique catastrophique en 1994, les décideurs
confirmeront le général Zéroual dans les fonctions de chef de
l'État, en soufflant le chaud et le froid. De ce fait, avant même
que ce dernier soit élu à la présidence de la République le
5 novembre 1995 (même si les résultats du scrutin furent mani·
pulés), les ordres devinrent contradictoires: un jour c'était la
réconciliation, le lendemain l'éradication. On ne savait plus à
quel saint se vouer.
Exemple significatif: au cours de l'été 1995, j'ai participé à
Bonn à une rencontre de haut niveau entre le patron de la
DOSE, le général Hassan Bendjelti, dit Abderazak, et le
ministre Bernd Sch midba uer, le conseiller du chancelier Helmut
Kohl chargé de la coordination des services de renseignements.
Abderazak s'est lancé à cette occasion dans un long exposé
géostratégique sur le «péril islamiste» et le risque de boat
people en Méditerranée, pour justifier sa demande d'un soutien
allemand à la « lutte antiterroriste» en Algérie. Ce qui nous
valut un incroyable lapsus, révélateur des intentions profondes
des « décideurs» : «A idez·nous pour freiner l'expansion de
l'islam [et non pas de l'islamisme, N.d.A. ] vers l'Europe. » (À la
fin de l'exposé, le ministre allemand, visiblement sceptique, lui
répondit très froidement: «J'ai bien entendu, mais je n'ai pas
été convaincu par vos propos. »)
En vérité, Smaïl Lamari cherchait à saboter les négociations
de Liamine Zéroual pour imposer ses propres islamistes de ser-
vice. Cela se vérifi era plus tard avec les négociations ANP-AIS.
Ainsi, début novembre 1995, à la demande du général Abde-
razak, j'ai dO personnellement intervenir auprès de la respon-
sable du cabinet du ministre de la Sécurité du chancelier Helmut
Kohl pour empêcher Rabah Kébir de donner une conférence de
presse qu'il devait animer à Bonn en compagnie de Louisa
Hanoune, la présidente du PT (parti des travailleurs), et de
Hocine Aït-Ahmed, le leader du FFS (Front des forces socia-
listes). Kébir fut remplacé en cette occasion par un autre leader
du FIS, Abdelkrim Ou Id-Adda, venu de Belgique. J'étais bien
entendu présent dans la salle durant toute la matinée pour
suivre les débats.
276 CII RON IQU E DES ANN~ES DE SANG
Selon des rumeurs ayant circulé dans les milieux de l'ANP, cet
officier aurait été assassiné car il était en possession d'un dossier
sur plusieurs affaires de malversations touchant des contrats
militaires et impliquant notamment Larbi Belkheir, Khaled
Nezzar et Abdelmalek Guenaïzia. li s'agirait de contrats passés
durant les années 80 pour l'acquisit ion d'équipements de
moyens roulants et de fournitures destinés aux forces aériennes.
Le célèbre chanteur kabyle Lounès Matoub, lui, a été assas-
siné le 25 juin 1998 en Kabylie, officiellement par un
« commando du GIA ». Le 31 octobre 2000, un documentaire de
Canal +, L'Affaire LOWlès Maroub, la grande manip, au terme
d'une enquête rigoureuse, a mis en cause formellement la res-
ponsabilité dans ce crime des services du ORS, qui auraient
bénéficié de la complicité de certains responsables du ReD.
Ceux-ci auraient obligé l'épouse du chanteur à faire une fausse
déclaration impliquant les groupes islamiques armés en échange
de l'octroi de visas vers la France pour elle et ses sœurs.
Enfin, Abdelkader Hachani, le dirigeant du FIS qui avait
conduit ce parti à la victoire lors des élections législatives avor-
tées de décembre 199[, a été abattu par un tueur dans la salle
d'attente d'un dentiste à Alger le 22 novembre 1999 (alors
même qu'une équipe du DRS était censée le suivre en per-
manence pour le protéger). Hachani était redouté des généraux
pour sa sagesse, sa droiture et ses talents de politicien, qui lui
avaient permis, dans le contexte défavorable de la fin 1991 , de
ressouder le FIS (miné par les dissensions et les arrestations),
d'organiser son congrès et de conduire une campagne électorale
efficace. Et en cette fin de 1999, il représentait pour eux une
grave menace, car il avait entrepris de réorganiser les forces qui
restaient de l'ex-FIS ...
Plusieurs indices montrent que cet assassinat politique était
l'œuvre du DRS. L'assassin s'est servi d'un si lencieux, dénotant
la sophistication des commanditaires. Quelques jours avant le
drame, Abdelkader Hachani s'était plaint au ministre de l'Inté-
rieur (Noureddine Zerhouni, alias Yazid, ex-patron de la SM)
d'un harcèlement policier et, aussi, d'agissements suspects d'un
certain « Naïm », qui lui avait proposé un rendez·vous avec un
« émir» dans une mosquée d'Alger (ce Naïm avait été surpris
par Hachani. sortant du commissariat de son quartier).
Le meurtrier présumé, Fouad Boulamia, était arrêté le
14 décembre 1999. En avril 2001, lors de son procès, il se
282 CHRONIQUE DES ANNtES DE SANG
(AIS, LIDD ... ). Bref, tous les ingrédients nécessaires pour les
isoler de la population et les priver de tout soutien. La simple
lecture des tracts des GIA est éloquente et dénote que leurs
objectifs convergent paradoxalement avec ceux des généraux
prédateurs, puisqu'on n'y trouve que des diatribes extrémistes
où abondent les formules du genre pas de réconciliation, pas
de trêve, pas de dialogue, pas de pitié 1..
Même quand on ignore le dessous des cartes, toutes ces
contradictions apparentes ne peuven t avoir qu'une seule expli-
cation: un mouvement qui jette le discrédit sur les organisations
islamistes, qui décapite des femmes et des enfants et qui n'a pas
de commandement unifié ne peut être qu'un mouvement de
contre-guérilla, utilisé contre les véritables islamistes poussés au
maquis par la répression, le mépris et la violence de l'État. Ce
qui témoigne de la volonté des commanditaires ayant pro-
grammé la tragédie de l'Algérie de ne reculer devant rien pour
entretenir le chaos, opposer les Algériens entre eux dans une
guerre fratricide et éradiquer toute opposition sérieuse qui
menacerait leurs privilèges.
Tout au long de ces années, ils n'ont pas manqué, ces« obser-
vateurs,~ étrangers - journalistes, intellectuels ou parlemen-
taires - qui ont choisi de rester aveugles à ces évidences : venus
en Algérie dans le cadre de «visites guidées », soigneusement
pris en charge dans des hôtels de luxe et souvent rémunérés,
n'écoutant que les personnes choisies par leurs hôtes officiels, ils
ont préféré - par paresse, indifférence aux souffrances du
peuple ou complicité active avec les « éradicateurs» sangui-
naires - se faire les porte-parole des mensonges du DRS et de
ses relais médiatiques locaux .
Mais ils ont aussi, plus ou moins activement et tout parti-
culièrement en France, contribué à étouffer les voix de tous
ceux qui, en Algérie comme à l'étranger, relevaient les inco-
1. Selon Alain Grignard, un universitaire belge qui a éludié le discours du
GIA, les tracts de cette organisation sonl rédigés dans une sorte de langue de
bois religieuse qui n'a rien à envier à celle des groupes marxisants occiden-
taux de naguère (Alain Grignard. « La littéral ure politique du GIA algérien
des origines à Djamal Zitouni. Esqui5se d'une analyse », dans Felice Dassetto
(sJ.d.), Faceiles de /'islam belge, Academia Bruylant, Louvain·la·Neuve, 1997.
pages 69 à 95). Quelle perspicacité! Et pour cause, puisque les tracts du GIA
sont rédigés par des officines du ORS. dont les responsables ont été formés à
Moscou, Prague ou Berlin avant la chute du fI,·tur de Berlin.
288 CIIRONIQUE DES ANN~ES DE SANG
Tout raconter sur les GIA des laboratoires du DRS n'est pas
facile, du fait de la diversité des services et de l'opacité qui
entoure les missions confiées aux uns et aux autres. Il est en
tout cas certain que, à partir de 1994, c'est-à-dire quand les
mil ices et autres groupes d'autodéfense ont été créés, quand
les civils ont été armés, les victimes des GIA du DRS ont vu
leur nombre s'accroître de façon ahurissa nte. Depuis 1999, les
nouveaux GIA n'agissent plus uniquement pour les chefs
directs du DRS . ils tuent et pillent aussi pour le compte de
groupes d'intérêts, pour les barons du sable, de l'import-export,
de la privatisation, des circuits de distribution, de la drogue ...
Mais ils ne se sont jamais attaqués aux généraux, aux membres
de leurs familles ni à leurs entreprises ou à leurs biens immobi-
liers (hôtels privés, commerces, boîtes de nuit...), pourtant
connus de tous. Les GIA sont finalement au service de cette
«mafia politico-financière» que dénonçait le président Moha-
med Boudiaf.
Il m'a fallu des années pour comprendre pleinement tout cela,
pour admettre que les « dérives» avec lesquelles j'avais décidé
de rompre partiellement en 1992 (en acceptant un poste à
l'étranger) s'inscrivaient en vérité dans un «plan global »
d'asservissement de mon pays par une poignée de généraux.
C'est ce cheminement, je m'en suis expliqué, qui m'a conduit à
écrire ce livre, en restant bien conscient de ses limites. Bien des
événements que j'y rapporte et dont j'ai été le témoin direct ou
l'acteur sont restés inédits à ce jour, mais je sais aussi que bien
d'autres, tout aussi graves, m'ont échappé. Pour moi , l'élucida-
tion du secret de l'entreprise criminelle de mes anciens chefs
contre le peuple algérien depuis 1990 relève de la reconstitution
300 CIIRONIQUE DES ANNÉ ES DE SANG
HAM ...m Naccr; policier blessé par un élément du GIS lors de l'assassinat
de Boudiaf le 29 juin 1992 à Annaba.
HAMDl Ali : ex-ministre de la Planification.
HAMOUO Kamei : colonel du ORS, chef du CrRI de Constantine.
H AMROUCHE Mouloud: ex-officier supérieur de ]'ALN et ex-chef du gou-
vernement (9 septembre 1989.-4 juin 1991).
H ANACHE Mohamed : diplomate, ex-ambassadeur d'Algérie à Bonn.
H AI\QUNE Louisa : femme politique, présidente du PT.
HA ROl Mohamed : ex-ministre de lïntérieur (1992); assassiné le 4 mai
1996.
H ARKATI Seghir : sous-officier du ORS.
HAROUN Ali : avocat, ex-membre du J-ICE el ex-ministre des Droits de
l'homme (1991-1992).
H ATTAB Moulaud émir d'un groupe armé de la région de Bordj El-
Kiffan. Il est le cousin de Hassan Hattab, l'émir aClUel du GSPe.
HenRI Abdelkader : représentant du MAJO en Suisse.
HECHAIOfI Rachid: militant du FIS.
HEI"I"ANE Bouamer, alias Aïssa : cadre du ORS affecté au général Khaled
Nezzar.
l']ICHEM : officier du ORS, ex-chef du CRI de Bechar de 1989 à 1992, puis
sous·directeur à la DOSE (assassiné en 1994).
l-IIDOUO Ghazi : ex·conseiller à la présidence de la République et ex-
ministre de l'J:conomie (septembre 1989·juin 1991).
ISSOULl Mohamed : officier de police, chargé de la répression du .. bandi-
tisme .. puis de la lutte .. antisub\'ersive _.
KAC! Abdallah, aUas Chakib, alios « papa Noël» : ex-sous·officier de la
SM, homme d'affaires et membre coopté du CNT (assassiné le 24 aout
1994).
KMI Ali : ex·colonel de l'ALN, ex-président du l-ICE.
KtB!R Rabah ex·président de l"IEFE (instance exécutive du FIS à
l'étranger).
KElKAL Khaled : membre présumé d'un réseau de soutien au GIA en
France (tué par le GIGN le 29 septembre 1995).
KERMAO Salah ; officier supérieur du ORS, qui était en posle à Francfort
(RFA).
KERROUCHE Mohamed: membre en 1994 d'un réseau de soutien au GIA
en France; condamné à ce titre en janvier 1999.
KERTAU Mus tapha: ex-émir de l'AIS pour la région de Larbaa.
KH ALff Abdallah, alitlS Kasdi Merbah : ex-directeur de la SM, ex·chef du
gouvernement (9 no\'embre 1988·8 septembre 1989) el ex-présidem du
MAlO (assassiné le 21 août 1993).
KHAUFA Abdelmoumène Raftk : homme d'affaires sorti du néant en 1998
el qui a bâti en moins de trois années un empire financier qui s'est
effondré en 2003.
KHEUFATI Djaafar : officier supérieur du ORS, chargé de la rédaction de
communiqués attribués au FIS ct aux groupes armés (G IA , M IA. .. ).
KHEUL Habib: général de l'ANP, ex·direeteur des fabrications militaires.
KHEUU Mahmoud : avocat. défenseur des droits de l'homme (décédé en
mars 2(03).
KHt:.\ltNE Abdelkader : colonel du ORS, aClueUemenl chef du GIS.
PRINCI PALES PERSONNES C ITÉES 309
ZoUAllRl Antar, alias Abou Talha : émir national du GIA, agent du DRS
(tué le 8 février 2(02).
ZoUBlR Tahri, alias Hadj Zoubir : colonel du ORS, chef du service action
psychologique (désinformation) de 1995 à 2001.
Principaux sigles utilisés
A IS: Armée islamique du salut (créée en juin 1994 sous l'égide du FIS,
l'A IS a décrété un cessez-le-feu unilatéral en octobre 1997, suite à un
accord secret avec le ORS).
ALN : Armée de libération nationale (1954-1962).
AM IA : Académie militaire interarmes de Cherchell.
ANI' : Armée nationale populaire.
Ar c: Assemblée populaire communale (commune).
APN : Assemblée populaire nationale.
APS : Algérie presse service (l'agence de presse de l'État algérien).
APUA : Association populaire pour l'unité el l'action (petit parti politique
proche du pouvoir, dirigé par Mohamed Abbas Allalou).
APW : Assemblée populaire de wilaya.
ASP: Assistant de sécurité préventive (correspondants de la Sécurité mili-
taire au niveau de chaque institution de l'Ëtat et entreprise publique).
BPM : Bataillon de police militaire.
BSS : Bureau de sécurité du secteur (antenne de la Sécurité militaire au
niveau de chaque wilaya).
CAO: Cellule analyse et documentation (créée en janvier 1992, celle struc-
ture chargée de superviser l'administration de l'état d'urgence a été ins-
tallée au siège du ORS à Oelly-Brahim).
CC/ALAS : Comité de coordination des actions de lutte anti-subversive
(créée en septembre 1992, cette structure, dirigée depuis lors par le géné-
ral-major Mohamed Lamari, comprend des régiments de parachutistes
des« forces spéciales .. de l'ANP et des unités du ORS; avec le ORS, les
unités de cette structure ont joué un rôle majeur dans la répression
menée depuis 1992 contre les islamistes ct tes populations civiles).
CCN : Conseil consultatif national (sorte de Parlement, créé le 22 juin 1992,
constitué non pas d'élus mais de personnes désignées par l'administra-
tion et les services de sécurité; il a été remplacé fin 1993 par te CNT).
CFN : Commandement des forces navales.
CFf: Commandement des forces terrestres (structure de l'ANI' basée à
Ain-Naâdja).
CNAN : Compagnie nationale algérienne de navigation.
CNSA: Comité national pour la sauvegarde de t'Algérie (structure civile
créée Je 30 décembre 1991, à l'initiative des chefs de l'armée, pour justi-
314 CHRONIQUE DES ANNËES DE SANG
FFS: Front des forces socialistes (créé en 1963 par Hocine Aït-Ahmed).
Fl DA: Front islamique du djihad armé (groupe dissident du GIA, spécia-
f(
Prologue. 9
Introduction. 13