S Chaker 2018 Officialisation Du Berbère Par L'etat Algérien
S Chaker 2018 Officialisation Du Berbère Par L'etat Algérien
S Chaker 2018 Officialisation Du Berbère Par L'etat Algérien
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La transmission intergénérationnelle
Une langue minoritaire n’induit pas un rapport avec son locuteur et n’est pas liée
seulement à l’ampleur de son utilisation. Marinette Matthey & Rosita Fibbi
affirment que le terme “minoritaire” se définit dans son rapport direct avec le
politique [6]. C’est-à-dire le degré d’investissement de l’Etat mis en place afin de
protéger une langue donnée de la disparition. Ceci dit, malgré la
constitutionnalisation de la langue berbère, le rapport que maintient l’Etat algérien
avec cette langue est un rapport de force : école foncièrement d’obédience arabo-
islamique. L’action politique nationale algérienne s’inscrit clairement en faveur de
la langue arabe. L’enseignement du berbère demeure alors facultatif et ancré en
grande partie en Kabylie, le reste dans les autres régions berbérophones,
principalement les Aurès : "Tout cela réduit quasiment à néant l’affirmation du
caractère "national" de tamazight. De facto, tamazight/amazighe est bien une
langue minoritaire à assise régionale [7]". En plus de l’utilité d’enseigner la langue
berbère au niveau national, le spécialiste de linguistique berbère, Salem Chaker,
avance que le rôle des femmes est primordial dans la transmission du berbère. La
femme est le pilier (tigejdit) de l’oralité qui a su préserver le corpus littéraire pour
ainsi assurer une meilleure transmission à ses enfants. Cependant, depuis qu’elle est
scolarisée, la femme berbère perd sa qualité de “gardienne de la langue”.
La géographie physique
Si les Berbères ont toujours su se préserver des vicissitudes des envahisseurs, cela
est dû en grande partie à leur position géographique. Un isolement rural de ces
sociétés qui a été bénéfique à leur épanouissement culturel et linguistique, car
l’inaccessibilité géographique (montagne ou désert) n’a pas facilité l’absorption du
berbère par les langues "majoritaires". Par ailleurs, cette situation n’existe plus.
L’exode rurale massif et l’immigration est un phénomène qui vide les grandes
régions berbérophones de leur substance comme c’est le cas du Rif au
Maroc, précise Salem Chaker.
L’autonomie socio-politique
Il est clair que tous ces paramètres objectifs qui, pendant des siècles, ont permis le
maintien et la résistance de la langue berbère, ont disparu avec la colonisation,
puis l’émergence des Etat-nations actuels : fin de l’isolement géographique,
effondrement des structures sociales traditionnelles, brassages et mouvements de
populations massifs, scolarisation à large échelle, actions permanente des médias,
intégration dans le marché national et mondial…, tous ces facteurs fragilisent le
statut réel de langue berbère qui dans ce nouveau contexte peut difficilement
résister à la pression des grandes langues présentes en Afrique du Nord, arabe
(classique) et français, mais aussi et surtout à la langue véhiculaire qu’est l’arabe
maghrébin [9] De ce fait, la politique d’institutionnalisation du berbère par l’Etat
algérien ne semble pas garantir la pérennité de cette langue étant donné que le
pouvoir en place n’œuvre pas pour la réhabilitation de ces paramètres socio-
politiques, économiques et linguistiques qui seuls peuvent sécuriser cette langue. Il
est nécessaire de rappeler que cette politique linguistique constitutionnelle doit être
accompagnée par la mise en place d’un dispositif et des dispositions (Boyer, 2001 :
77) [10] qui concernent en premier lieu les vraies opportunités d’enseignement,
c’est à dire de transmission et de maintien de la langue berbère à armes égales avec
la langue arabe sur tout le territoire national. Le spécialiste en linguistique berbère
ajoute qu’en dehors d’un enseignement de type immersif et massif dans un contexte
de domination et de minorisation qui est celui du berbère, on ne voit pas comment
on pourrait rééquilibrer les choses et donner des fonctions et une position à la
langue berbère pour qu’elle puisse rivaliser avec celle de l’arabe ou du français. Il
est si désolant de le rappeler mais, d’après Salem Chaker, seul 3% de la population
scolaire reçoit l’enseignement du berbère dans les écoles algériennes, et ce malgré
son institutionnalisation. Quelle est donc la signification de cette officialisation ?
Fetta Belgacem,
Doctorante en journalisme / IMSIC (EJCAM / Aix Marseille)
Notes
[1] Créée en 1993 par un groupe d’étudiants de la section INALCO Paris dont les
objectifs étant la lutte pour la reconnaissance des droits identitaires, linguistique et
politiques des berbères (voir le lien)
[6] Marinette Matthey & Rosita Fibbi, 2010, “La transmission intergénérationnelle
des langues minoritaires”, Travaux neuchâtelois de linguistique, n° 52, pp. 1-7
[8] Elle peut être définie aussi par "Agraw" (Assemblée de village qui n’avait de
similaire que l’agora des grecques et le Forum de Rome)
[9] Salem Chaker, "Langue", in Salem Chaker (dir.), 28-29 | Kirtēsii – Lutte, Aix-
en-Provence, Edisud ("Volumes", no 28-29) , 2008 [En ligne], mis en ligne le 1er
juin 2013, consulté le 6 décembre 2018.
URL : http://encyclopedieberbere.revues.org/314.