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Fethi Jerbi, Co-fondateur CPR
« La démocratie n’est pas à la carte et nous sommes
tous tenus d’accepter les règles du jeu y compris le Président de la République »
Propos recueillis par Yosr GUERFEL AKKARI
Depuis le 25 juillet, la Tunisie valse à un rythme ternaire. Un rythme en trois temps : Après la joie et l’euphorie vient l’attentisme et l’inquiétude. Un pays à la croisée du chemin à la recherche d’un plan de salut. Le gel du parlement et la levée de l’immunité de tous les députés, décrété par le Président de la République devra prendre fin le 24 août courant avec une possibilité de prolongation de trois mois. A Carthage on va doucement le matin pas trop vite le soir. La désignation du Chef du Gouvernement se fait toujours attendre face à un « démos » partagé. Kaïs Saïed n’a pas encore trouvé l’oiseau rare. Politiciens, activistes et intellos sont divisés entre ceux qui refusent toute marche arrière, s’opposent à tout forme de dialogue avec les « phagocytes » et clament la proclamation de la 3ème République et ceux qui appellent tout simplement à une correction de la trajectoire sous la base des acquis de la « Révolution » et des institutions constitutionnelles préétablies. L’UGTT, appelle à rendre le Kratos au démos ou encore le pouvoir au Peuple. Fethi Jerbi, co-fondateur du CPR qui se présente comme l’un des pères fondateurs du processus qui a conduit à la constitution de 2014 et au régime politique mis en place au lendemain du « printemps arabe » nous donne sa lecture de la situation. Le CPR a été l’un des architectes du processus de la première ère post-Révolution ? « Contrairement à ce qu’on entend de part et d’autres, Yadh Ben Achour n’est pas l’architecte du système politique né de la Révolution du 14 janvier 2011. Nous étions nombreux à participer à l’édification d’un système très inspiré des modèles démocratiques des Outre-mer. J’ai même invité Francis Délprérée, Docteur en droit des universités de Louvain et de Paris et Professeur émérite de droit constitutionnel à prendre part aux réflexions. Hichem Moussa, Juriste universitaire et membre fondateur du Mouvement d'Unité Populaire y participait. Bref, nous étions nombreux à participer à l’architecture du régime politique notamment le scrutin proportionnel plurinominal. Les élections constituantes de 2011 étaient l’occasion pourtant pour le CPR de prendre les rênes du pouvoir. Néanmoins à l’époque Moncef Marzouki a choisi le mauvais camp et a tendu sa main au diable. Nourri par une grande avidité au pouvoir, il a choisi de s’allier au mouvement islamiste Ennahdha et prendre un ticket pour Carthage. Le parti a été infiltré par des pro-islamistes comme Imed Daïmi qui nous a « vendu » à Ennahdha. Mohamed Abbou quant à lui, il nous a vendu à Ettakatol. D’où l’éclatement du CPR au lendemain des élections constituantes. C’est comme çà depuis la nuit des temps, les mouvements religieux ont été toujours les bâtisseurs de l’Etat vestige en associant la gestion du spirituel et du temporel à l’instar du Vatican, cœur du catholicisme.
Le 25 juillet marque une nouvelle tournure dans la République
tunisienne. Le peuple a sifflé la fin de la récréation annonçant l’échec de toute la classe politique. Tout d’abord je ne suis pas adepte de la doctrine du retour à la case de départ. Je considère qu’en dépit de l’échec de 10 ans de gouvernance post révolution, nous avons eu des acquis, notamment une démocratie estropiée. J’en porte la responsabilité à tout le monde. Nous sommes tous responsable de la débâcle. Toutefois cette démocratie n’est pas à la carte et nous sommes tous tenus d’accepter les règles du jeu y compris le Président de la République qui a été élu au suffrage universel. Il a donc accepté les règles du jeu. On dit que c’est un acteur actant. Le mandataire est aussi responsable du mandaté. Des aberrations ont été commises à tous les niveaux. La faute n’est pas au système électoral ni au régime politique mais plutôt aux variables exogènes qui ont biaisé les règles du jeu commençant par l’argent sale qui coulait à flots et qui a trompé les résultats des élections et baisé les votes. Les affairistes, les mafias mais aussi les médias portent le chapeau de l’échec. Inutile alors de voir aujourd’hui ces nullards qui envahissent les plateaux télés et qui veulent se faire une nouvelle virginité. Après plus de deux semaines du gel des activités du parlement et les séries de perquisitions et mise en résidence surveillé pour des hauts responsables et députés, quelle serait la voie de sortie pour la crise ? Nous sommes à la croisée du chemin. La situation est pâte, un pays ingouvernable où l’anarchie gagne le terrain. Il faut trouver une solution. Pour moi ce qu’a fait le Président de la République le 25 juillet l’a fait pour la bonne cause toutefois la manière est mauvaise. Une pièce théâtrale très mal réalisée. Il est dans « l’impeachment » au sens juridique du terme. On ne peut pas suspendre l’activité du parlement et l’immunité parlementaire ne peut être retirée que du Parlement lui- même. L’immunité de juridiction qu’elle soit d’irresponsabilité ou d’inviolabilité ne peut être retirée que par les pairs. Qui vous dit qu’il n’y a pas des réunions, des dîners clandestins et des accords qui se trament en coulisses entre les députés nahdhaouis et leurs alliés. Et puis on n’amende pas une Constitution. Il faut reculer pour mieux avancer. Kaïs Saïed, cet « ovni politique » doit présenter aujourd’hui une feuille de route, un livre blanc qui trace le chemin à parcourir à très court terme. Il doit obligatoirement désigner un Chef du Gouvernement avec qui il conclura tacitement contrat/objectifs autour de certains axes prédéfinis tout en prenant en témoin le peuples. Parachever et assainir les institutions constitutionnelles est la priorité des priorités. Parmi les grands chantiers à attaquer je citerai en premier lieu le financement des partis politiques. Un audit doit être fait avec l’appui de la BCT sur les flux de financement notamment extérieurs des partis politiques. Je plaide pour le financement public des partis politiques. Il faut par ailleurs donner plein pouvoir à la Cour des Comptes et garantir son indépendance financière. Une opération grand nettoyage doit être lancée à l’ISIE, la HAICA et l’INLUCC. Il faut revoir les nominations et compositions surtout que les lobbies sont en marche et que le parti islamiste a réussi à mettre ses pions un peu partout. Il ne suffit pas de remplacer les chefs de file, des cellules anti-corruption sont à installer dans toutes les administrations et institutions publiques. Pour l’INLUCC par exemple, faut-il commencer par la doter des moyens financiers nécessaires à l’exercice de ses activités et par régulariser la situation de ses fonctionnaires. En ce qui concerne la Cour Constitutionnelle, le Président de la République pourra présenter une proposition de loi permettant une désignation au pair par un jury adhoc des membres de la Cour. L’assainissement de la justice demeure également en tête des priorités. Nous sommes pour une justice indépendante et impartiale. Pour juger les crimes, les délits ou les soupçons à l’encontre des membres du gouvernement, pourquoi pas, une Cour de Justice la République à l’instar de la France. A ce stade on exige de la clairvoyance et un réglage et non pas une destruction pure et simple de tout le processus du 14 janvier 2011.