Article Strategies Innovation
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LA COOPÉTITION
Philippe Baumard
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2007/7 n° 176 | pages 135 à 145
ISSN 0338-4551
ISBN 9782746219670
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L
Les situations dites a dimension coopétitive des stratégies des
« coopétitives »,
grandes firmes est telle aujourd’hui qu’on peut se
deviennent la logique
dominante de nombreux
demander s’il n’existe pas un intérêt à question-
secteurs industriels. Leur ner directement l’obsolescence des modèles stratégiques
particularité commune est utilisées par ces mêmes firmes.
d’entraver une stratégie Somme toute, l’héritage des différentes écoles de pensée
indépendante et de la stratégie d’entreprise reste fidèle à l’héritage de ses
discrétionnaire d’innovation
fondateurs. On y distingue toujours la firme de son envi-
en contraignant les firmes
à partager l’exploration
ronnement, et de ses concurrents. On considère toujours
et/ou l’exploitation d’actifs comme acquise l’idée qu’une stratégie se formule au
critiques avec des firmes sein de l’entreprise, sous l’égide de son conseil d’admi-
concurrentes. Cette nistration, pour servir ses buts, et dans l’alcôve secrète-
nouvelle donne
ment gardée de ses hauts échelons hiérarchiques.
« coopétitive » pose la
question de l’adaptation
De fait, les nouvelles écoles néo-institutionnelles ques-
des stratégies d’innovation tionnent la réalité d’une formulation interne de la straté-
des grandes firmes pouvant gie d’entreprise. Elles montrent comment ce que l’on
leur permettre de maintenir perçoit « le fait du Roi », du stratège, de l’équipe diri-
leur place dans le jeu geante, peut être le produit complexe d’emprunts ; d’ho-
coopétitif, sans perdre leur
mologies ; de discours circulants ; d’appropriation d’in-
capacité individuelle
d’innovation.
novations entendues d’un autre dirigeant ; ou encore de
modes managériales, comme le soulignaient si bien
Abrahamson (1991). Elles mettent en avant aussi bien la
force de façonnage de la « cage de fer » des institutions
(Abrahamson et Fombrun, 1992), que la capacité des
firmes à déformer, forger et dévoyer cette même cage de
fer institutionnelle pour servir ses intérêts stratégiques.
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Mais la firme reste la firme ; qu’elle soit processus de formulation des stratégies
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perçue comme le produit d’une négociation d’innovation des firmes, en s’appuyant sur
complexe entre ses parties prenantes dans deux domaines d’application : l’innovation
l’approche de la stakeholders theory ou de rupture et les menaces géostratégiques.
qu’elle soit simplement réduite au détermi-
nisme de ses ressources, à l’écologie de ses 1. Paradoxe, double contrainte ou
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élément moteur de ces nouvelles architec- où cette innovation sera in fine dévoilée,
tures imposées de coopération - concur- que la firme aboutisse au premier ou au
rence ; mais essayons de nous placer du second rang.
côté de l’industriel dans la perspective d’un Cette situation dite « coopétitive » s’est
caractère durable d’une telle configuration : généralisée à l’ensemble des industries sous
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formulation des stratégies, qui maintien- tements des clients. L’introduction de
nent une logique hiérarchique et architec- YouTube, des technologies VoIP, la crois-
turale dans un environnement où la logique sance rapide de Google en sont des
d’innovation repose sur le caractère exo- illustrations.
gène, agile et informel de la production de Dans une telle situation, que peut faire la
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MÉTHODOLOGIE DE LA RECHERCHE
Les observations conduites pour cet article ont été réalisées dans deux cadres distincts.
Le premier est celui d’un projet personnel sur le thème des méthodes asymétriques de
conduite stratégique. Il se rapproche d’une recherche intervention de type « recherche
de plein air » au sens de Berry et al. (2003) ayant pour but de découvrir des organisa-
tions intégrant des démarches asymétriques au sein de leurs processus de formulation
stratégique. L’ARAG m’a invité dans ce cadre à participer à un de leurs ateliers, orga-
nisé avec l’OTAN à Prague en mars 2007. Ces ateliers d’interprétation collective d’en-
jeux stratégiques sont conduits sous le principe du Chatham House Rule1 qui s’énonce
ainsi : « Lors d’une rencontre, ou partie de celle-ci, est tenue sous la règle de Chatham
House, les participants sont libres d’utiliser l’information qu’ils reçoivent, mais ne peu-
vent révéler ni l’identité ni l’affiliation des orateurs, ni de tout autre participant. »
Ce cadre a constitué une contrainte dans la mesure où la recherche ne pouvait porter que
sur le processus de formulation, et ne pouvait en aucun faire l’objet d’une divulgation
quand au contenu et aux objectifs de ses processus, pas plus qu’à une description de ses
acteurs. La recherche intervention sur les processus de formulation des stratégies des
firmes pose ce problème récurrent de la négociation de l’accès à la donnée primaire
1. http://www.chathamhouse.org.uk/about/chathamhouserule/
Les stratégies d’innovation des grandes firmes 139
(Benghozi, 1990) qui s’est doublé, dans ce cas spécifique, de conditions de maintien au
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secret dans l’accès aux données (Mitchell, 1993). Il a donc été ajouté à la participation
à ce processus de trois jours à Prague des séries d’entretien avec les organisateurs, avant
et après la tenue du processus.
La seconde étude de cas servant de support à la réflexion théorique a été menée à
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2. http://www-bsac.eecs.berkeley.edu/
3. http://www.intel-research.net/berkeley/
4. http://www.defac.ac.uk/colleges/arag
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domaines politiques, sociaux, économiques novation. Cette fois, les enjeux ne sont pas
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et militaires. En d’autres termes, l’ARAG est les menaces émergentes menaçant une
un centre de formulation de stratégie, endo- nation, mais les technologies disruptives
gène à son gouvernement, mais exogène à la pouvant remettre en cause les modèles éco-
fois dans sa constitution et dans le déploie- nomiques d’Intel, ou générer des innova-
ment de ses processus de formulation. tions de rupture, tout en conservant l’orga-
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teurs de type RFID. La performance de ces but. Ces deux organisations suggèrent
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technologies progressent à deux fois la qu’une méthode de formulation de stratégie
vitesse de la loi de Moore. Elles constituent d’innovation dans un environnement
donc aussi bien une opportunité intéres- coopétitif repose sur la nécessité d’une for-
sante pour la firme, qu’une sérieuse possi- mulation coopétitive et préemptive, c’est-à-
bilité d’émergence de technologies disrup- dire une formulation de la stratégie qui ne
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tives menaçant ses positions acquises. repose pas sur une dialectique séquentielle
ou géographique de phases compétitives et
3. Enseignements pour la formulation coopératives, mais qui intègre la dimension
de stratégies d’innovation coopétitives coopétitive dans le processus de formula-
Ces deux organisations fournissent un tion lui-même.
exemple de processus de formulation de Goerzen et Beamish (2005) avait déjà mon-
stratégies qui intègrent la dimension coopé- tré l’intérêt de la firme multinationale à mul-
titive au niveau de la pensée stratégique. Au tiplier les points de contacts et à augmenter
lieu de subir une configuration de coopéti- leur diversité des partenaires au sein de ses
tion imposée, comme dans l’exemple SAIC réseaux coopératifs d’innovation. Ce fai-
- Boeing - General Dynamics, décrit par sant, ils n’avaient pas questionné la logique
Depeyre et Dumez dans ce même numéro dominante en amont de tels processus, c’est-
(2007, p. 99), elles contribuent à « forger la à-dire le passage d’une logique de pensée
cage de fer » (Abrahamson et Fombrun, stratégique individualiste à une logique de
2002) avant que celle-ci ne prenne forme, et pensée stratégique co-évolutionniste.
ne vienne bouleverser la logique straté- L’exemple d’Intel et de l’ARAG suggère
gique respective de leur industrie ou de leur que la préemption de la « cage de fer »
gouvernement. nécessite d’intégrer cette cage de fer dans le
Outre le caractère préemptif et homothé- processus de formulation lui-même. Cette
tique du processus de formulation à un futur intégration ne repose plus sur la manipula-
environnement coopétitif, ces deux organi- tion ex-ante des déterminants institutionnels
sations amènent des réflexions théoriques de l’industrie ou de l’environnement géos-
intéressantes sur la distinction habituelle- tratégique (l’influence ou le lobbying tradi-
ment établie entre stratégie, influence, et tionnel), mais sur l’interprétation coopé-
exécution. Aussi bien dans le cas de l’ARAG titive et partagée des futurs environnements
que dans celui d’Intel-Berkeley, l’acte de de coopération et de concurrence, ou la
formulation est aussi un acte de façonnage modification directe par ces principales pre-
des déterminants des futures - concurrence. nantes de l’évolution de cet environnement.
Tout en participant à la formulation de Ces approches permettent également de
réponses stratégiques (ARAG), ou de pro- résoudre par sa préemption le caractère
totypes rapides explorant les ruptures équivoque et paradoxal de la situation
offertes par la technique (Intel-Berkeley), future de coopétition. Le caractère
les organisations parties prenantes intègrent coopétitif d’un univers stratégique a pour
une conception du futur univers stratégique première conséquence une plus grande
dont l’animation initiale a été conduite par rigidité du système d’exploitation, pris en
l’organisation coopétitive générée dans ce étau entre la nécessité de retenues impo-
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(« self restraining », voir dans ce numéro d’innovation. Lado et al. (1997) ont mon-
l’article de Depeyre et Dumez), et l’épais- tré l’intérêt de combiner coopération et
seur d’une architecture de collaboration, concurrence dans la recherche de rentes
souvent imposée par le client, qui com- technologiques, qu’ils nomment la « quête
bine, régule et compartimente coopération syncrétique » de rentes. Leur recherche
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CONTRE PRAGMATISME l’inquiétude de céder à une logique de
sources ouvertes les avantages tirés d’une
Comment faire évoluer les processus de
planification stratégique discrétionnaire.
formulation de stratégie d’innovation des
Starbuck (1995) suggère qu’un moyen de
grandes firmes ? Comme le montre les deux
canaliser cette créativité organisationnelle
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