Le Cas Zemmour
Le Cas Zemmour
Le Cas Zemmour
Noël Mamère :
L’Écologie pour sauver nos vies, Les petits matins, 2020.
Les Terrestres, avec Raphaelle Macaron, Éditions du Faubourg, 2020.
Les Mots verts. Pour une écologie du langage (avec Stéphanie Bonnefille), Éditions de l’Aube, 2016.
Gens de Garonne, roman, Ramsay, 2000.
La Dictature de l’audimat, La Découverte, 1988.
Patrick Farbiaz :
L’Écologie populaire face au grand confinement, Éditions du Croquant, 2020.
Les Gilets jaunes : documents et textes, Éditions du Croquant, 2019.
Lettres rebelles, Le passager clandestin, 2014.
Désobéir au colonialisme, Le passager clandestin, 2013.
Couverture : Thierry Oziel
Maquette : Marie-Édith Alouf et Marie Dibe
Correction : Sandra Pizzo
ISBN : 978-2-36383-341-9
LE CAS
ZEMMOUR
COMMENT EN EST-ON
ARRIVÉ-LÀ ?
Pour Ellie et Joseph,
pour qu’ils gardent les yeux ouverts
TABLE DES MATIÈRES
Des mêmes auteurs
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Dédicace
Avant-propos
Terreau fertile
Il suffit de considérer ce qui s’est passé dans notre pays depuis la
parution du Suicide français pour comprendre qu’Éric Zemmour n’a pas
prospéré seul. Il a « poussé » sur un terreau politique fertile, nourri à la fois
par les événements tragiques qui ont ensanglanté la France et par une
faillite de la gauche et de la droite confondues, dont les partis historiques
sont à l’agonie. De renoncements en lâchetés, ces derniers ont réduit le
champ politique, conduisant à l’affrontement entre Emmanuel Macron et
Marine Le Pen en 2017. Depuis, le premier a jeté aux poubelles le fameux
« en même temps » qui avait fait son succès pour braconner sans relâche sur
les terres de la droite (et au-delà) dans la perspective de 2022 ; la seconde a
supprimé de son vocabulaire les mots de son père pour mieux séduire ceux
que le premier tente de retenir… Mais ni l’un ni l’autre n’avaient prévu
l’arrivée de ce troisième larron qui bouscule l’ordre des choses tel un chien
dans un jeu de quilles.
Le Pen et Macron visent le même segment de clientèle et constituent
tous deux une imposture politique : elle reste d’extrême droite ; il n’a
jamais été de gauche et regarde toujours la France avec les yeux d’un petit-
bourgeois provincial qui enjoint aux chômeurs de « traverser la rue » pour
trouver du travail et pour lequel les aides sociales coûtent « un pognon de
dingue ». Le troisième larron, qui s’y connaît en imposture, fait monter les
enchères de ses obsessions et se voit déjà ramasser la mise à la fin de la
partie.
Quel est le résultat de cette compétition malsaine ? Un pays divisé
comme jamais, où le clash est une culture et le débat un archaïsme. Un pays
inquiet après les vagues terroristes qui l’ont endeuillé, aujourd’hui fragilisé
par une pandémie devenue un fait social total. Un pays qui voit se
rapprocher dangereusement la menace du dérèglement climatique, sachant
qu’elle n’attendra pas la génération qui vient pour se réaliser. Un pays miné
par la crainte du déclassement et malade de ses inégalités. Un pays où
certains ne font plus confiance qu’aux réseaux sociaux… C’est dire
l’ampleur de la régression démocratique et sociale qui est à l’œuvre dans un
contexte de rétrécissement inquiétant de nos libertés.
Tel est le décor politique de la France de 2022, dans lequel Éric
Zemmour espère jouer le premier rôle. Il s’y sent à l’aise et connaît son
texte par cœur, rabâché depuis Le Suicide français en 2014, jusqu’à La
France n’a pas dit son dernier mot 2, qui lui a servi de lancement de
campagne. Rien de plus facile, en effet, dans un monde fragilisé que de
souffler sur les braises du ressentiment, de crier à la submersion par l’islam,
de dénoncer la trahison des « élites » et de livrer en pâture des boucs
émissaires aussitôt perçus comme des menaces et des étrangers dans leur
propre pays.
Mécanique de la provocation
Éric Zemmour n’est pas le premier dans ce rôle : il arrive en terrain
connu. D’autres avant lui, à gauche comme à droite, ont joué à ce jeu
dangereux et continuent à se comporter en pyromanes prêts à brûler
cyniquement les vaisseaux de la démocratie pour leurs intérêts électoraux.
Dans cette atmosphère incendiaire, le chroniqueur multicarte est à son aise,
lui qui n’aime rien tant que mettre le feu aux poudres : 2022, c’est son
heure ! Il occupe l’espace médiatique pour multiplier les provocations et
s’installer dans le paysage comme une habitude. Il avance. Mais il serait
naïf de croire qu’il ne roule que pour son compte. Derrière cette façade qui
cherche à banaliser des horreurs pour les maquiller en évidences se
dissimulent des puissances économiques et politiques qui ont trouvé en
Zemmour le bon petit soldat au service de leurs intérêts. Tant qu’il plaira
aux foules, ils ne le lâcheront pas. Zemmour, leur idiot utile…
Ces forces, qui conjuguent l’intégrisme et le capitalisme conservateur,
ressemblent à s’y méprendre à celles qui ont ouvert les portes de la Maison-
Blanche à Donald Trump en 2016. Trump, le modèle de Zemmour. Comme
l’ex-président états-unien, il commence par une provocation, relayée de
préférence sur CNews – c’est là que cela fonctionne le mieux en raison de
l’audience –, aussitôt suivie de « débats » enflammés sur les chaînes
concurrentes d’information en continu. Puis quelques intellectuels et
philosophes de plateaux se précipitent pour gloser sur la nouvelle saillie du
jour, au nom de la « défense des valeurs » – et qu’importe s’ils le légitiment
un peu plus au passage. Puis lesdites provocations suscitent des éditoriaux
indignés à gauche, tandis qu’à droite on se demande : « Et si Zemmour
posait les bonnes questions ? », tout en prenant soin de garder ses distances
avec un homme qui sent tout de même le soufre. L’émission « L’heure des
pros », toujours sur CNews, assure le service après-vente ; Europe 1,
désormais dans le giron du groupe Bolloré, en rajoute une couche pour être
sûr que tout le monde a bien compris, et les réseaux sociaux font le reste.
Mission accomplie !
Le show est réussi. Zemmour fait le buzz et donne le ton. Au point que
les ténors à droite de l’orchestre politique n’interprètent plus que les
partitions de l’insécurité, de l’identité et de l’immigration et que, à gauche,
certains se taisent quand un syndicaliste policier ose affirmer devant eux :
« Le problème de la police, c’est la justice », tandis que d’autres, tel Arnaud
Montebourg, assimilent les étrangers en situation irrégulière à des
« délinquants » auxquels il faudrait interdire d’envoyer de l’argent à leurs
familles. Face à une telle confusion politique, Zemmour apparaît comme
celui qui remet de l’ordre ! Pour ce qui est des questions aussi existentielles
pour l’espèce humaine que le dérèglement climatique, l’effondrement de la
biodiversité, l’explosion des inégalités, on verra plus tard.
Le contexte international
Jamais, depuis la Seconde Guerre mondiale, le monde n’avait assisté à
l’accession simultanée au pouvoir de tant de forces réactionnaires ou
néoconservatrices. Leur modèle ? Le capitalisme autoritaire de la Chine,
caractérisé par un État fort « débarrassé » des contraintes de l’État de droit,
qui contrôle les affects de ses citoyens afin qu’ils soient tous « libres
d’obéir ». L’extension de ce domaine orwellien sur tous les continents n’est
pas un hasard. Des conditions objectives ont fait surgir ces monstres. Trois
transformations y ont contribué.
La première tient à l’accélération de la mondialisation néolibérale. En
donnant un pouvoir de plus en plus important à la finance capitaliste, hors
de toute forme de contrôle politique démocratique, elle a profondément
modifié les rapports de force entre classes dominantes et dominées. Cette
dynamique néolibérale affecte les politiques publiques. Elle est devenue si
puissante que, par la voix d’institutions telles que la Banque centrale
européenne (BCE), le Fonds monétaire international (FMI), l’Organisation
mondiale du commerce (OMC) ou la Banque mondiale, elle peut imposer
aux États-nations, ainsi qu’à leurs peuples, des conditions qui lui sont
favorables. Le chantage fait à la Grèce en 2013 – accentuer des politiques
de rigueur déjà dévastatrices ou sortir de l’euro – est à cet égard
emblématique. Ce processus de long terme de transformation des États
capitalistes, par lequel les mécanismes traditionnels du parlementarisme
sont marginalisés, aboutit à une sorte d’étatisme autoritaire censé résister à
ce que les néoconservateurs appellent « le déclin de la démocratie ».
Contrairement à ce qu’en disent ses thuriféraires, la mondialisation n’est
nulle part « heureuse ». Au contraire, elle alimente le repli sur soi, les
fractures sociales et ethniques au sein des peuples et des nations, que
Zemmour et l’extrême droite instrumentalisent en montrant du doigt les
« mondialistes », ennemis supposés des « patriotes ».
La peur qui suscite ce repli et ces fractures n’est pas qu’un sentiment.
Elle s’appuie sur des réalités. Les inégalités au niveau mondial n’ont cessé
de s’accroître. Les zones grises où règnent les mafias criminelles se sont
étendues. Les guerres de basse intensité prolifèrent, tout comme le racisme
et la xénophobie. Vingt ans après le 11 septembre 2001, ce qu’on appelait
« politique étrangère » s’est mué en politique intérieure mondiale. Le
terrorisme, les phénomènes migratoires et le réchauffement climatique sont
des questions qui se posent à chaque État. Mais, alors qu’elles impliquent
des réactions transnationales, la coopération tend à se réduire. Face à une
Organisation des Nations unies transformée en coquille vide, une étrange
valse s’organise donc entre des États-nations autoritaires aspirant à devenir
des empires et des entreprises multinationales fortes et sans contrôle,
devenues quant à elles des empires sans frontières.
La deuxième transformation est liée à la révolution numérique et à la
puissance des Gafam (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft). Ces
multinationales sont aujourd’hui en situation de quasi-monopole dans leurs
secteurs d’activité. Selon un modèle économique qui pousse à consommer
toujours plus, elles agissent en prédateurs qui s’exonèrent des
réglementations internationales et étatiques (par exemple, le droit du
travail), refusent de contribuer au bien commun et aux services publics,
pratiquent une évasion fiscale systématique et refusent de payer l’impôt.
Même si Facebook s’appelle aujourd’hui Metaverse, ses pratiques restent
les mêmes sous un autre nom.
Partout dans le monde, les autorités publiques se sont laissé prendre de
vitesse par les Gafam, dont le poids économique et politique est devenu tel
qu’il met en danger non seulement les équilibres sociaux et
environnementaux, mais aussi les libertés individuelles et publiques et le
fonctionnement démocratique de nos sociétés. La révélation du projet
« Pegasus » a montré comment toutes les données de nos téléphones
portables peuvent être récupérées, transmises et utilisées par les autorités.
Dans une large indifférence, nous assistons à une mutation inquiétante vers
un « capitalisme de surveillance 1 ». Une société de contrôle se met en place,
avec l’assentiment de la classe politique et d’une partie du corps social,
anesthésié par la peur. Une peur qui va de pair avec la propagation des fake
news et des rumeurs circulant à la vitesse de la lumière sur les réseaux
sociaux. Du jour au lendemain, elles s’imposent comme des faits et
permettent aux complotistes de tout poil de délivrer des vérités alternatives.
En outre, la fracture numérique accroît le clivage générationnel : des
millions de personnes âgées voient leur monde se rétrécir quand les services
publics ne sont plus accessibles que par l’intermédiaire d’un écran. La
vitesse avec laquelle les algorithmes et l’intelligence artificielle s’imposent
à tous transforme radicalement notre rapport au réel. Dans cette société
digitalisée, il y a de moins en moins de place pour l’humain. La réaction,
somme toute normale, de certains est donc de se replier sur leur territoire et
leur famille… et d’accorder du crédit à ceux qui se prétendent hors du
« système » pour mieux le combattre.
La troisième transformation, structurelle, se trouve dans la réaction à la
montée inexorable du dérèglement climatique. Le « fascisme fossile 2 » est
devenu la bannière de ceux qui nient cette menace existentielle et veulent à
tout prix continuer à exploiter les énergies carbonées pour conserver les
parts de marché des majors pétrolières. Pour eux, le négationnisme est la
norme. L’extermination des peuples d’Amazonie dans le Brésil de
Bolsonaro, le gaz de schiste qui cannibalise les terres agricoles aux États-
Unis, les guerres, les coups d’État, la défense des dictatures : tout est bon
pour continuer d’extraire du gaz et du pétrole, au péril de la planète.
Comme TotalEnergies en Ouganda. Les États ratifient l’accord de Paris de
2015, mais leur impuissance et leur immobilisme sont si grands face à la
crise climatique et à ceux qui la provoquent que les experts du Giec
multiplient les alertes sans être réellement entendus. Et que l’on est en droit
de s’interroger sur les engagements de la COP 26, où les effets de tribune
ont masqué une hypocrisie criminelle pour les générations qui viennent.
Beaucoup de « bla-bla-bla », selon l’expression fameuse de Greta
Thunberg, et peu de résultats en vue.
Pendant ce temps, la crise climatique, avec son cortège d’inégalités
sociales, pousse déjà des millions de réfugiés hors d’Afrique, d’Asie et du
Moyen-Orient. Ainsi, la guerre en Syrie a trouvé en partie son origine dans
quatre années consécutives de sécheresse qui ont poussé les paysans vers
les villes. Et nous n’en sommes qu’au commencement. Selon les
projections de la Banque mondiale, 216 millions de personnes migreront
d’ici à 2050.
En France, l’addiction au nucléaire, encouragée par le soutien
d’Emmanuel Macron à ce puissant lobby, interdit tout débat rationnel sur la
question pourtant essentielle de l’énergie et freine le développement des
énergies renouvelables. Parmi ses alliés, Éric Zemmour, évidemment
climatosceptique. Il s’est converti au consensus gauche-droite sur les
supposées vertus du nucléaire, tout en récitant le nouveau mantra des
ennemis de l’écologie : « Les éoliennes, ça suffit ! », au nom de la défense
du patrimoine et du paysage de la France d’antan. Développer des mini-
centrales nucléaires dangereuses et productrices de déchets pour des
milliers d’années, en revanche, ne lui pose aucun problème…
Le contexte français
Le fric-frac électoral d’Emmanuel Macron en 2017 a acté l’explosion
des partis de gouvernement. Mais, loin de résoudre la crise de la
représentation politique, le macronisme a contribué à faire le lit d’Éric
Zemmour. En construisant un bloc libéral autoritaire avec les bourgeoisies
de gauche et de droite, dont l’objectif est la gestion des affaires et la
préservation des intérêts des plus aisés, il a participé à son émergence.
Le mouvement des Gilets jaunes a constitué une réponse des classes
populaires à ce pouvoir « à droite et à droite » – et non pas « ni de droite ni
de gauche ». Au-delà des revendications sur la taxe carbone et le pouvoir
d’achat, il s’est en effet mobilisé autour d’un triple enjeu : le droit au
respect, le droit à la dignité et le droit de décider. Emmanuel Macron a
bafoué les deux premiers ; entre « les ouvrières illettrées » et « ceux qui ne
sont rien », les insultes permanentes aux couches les plus défavorisées de la
population ont développé une hostilité sociale qui s’est traduite sur les
ronds-points et dans les manifestations du samedi. Quant au droit de
décider, il a pris la forme du référendum d’initiative citoyenne (RIC) :
contre la gouvernance verticale du monarque républicain et son mépris
social, l’exigence d’une démocratie réelle a rejoint les demandes de justice
sociale des débuts du mouvement.
Mais Emmanuel Macron n’a pas seulement insulté cette fraction de la
société. Parce qu’il est un idéologue libéral sans expérience du compromis
politique, il a appliqué dans tous les domaines une thérapie de choc, comme
il l’avait promis dans son livre Révolution. Le « président des riches » a
commencé par supprimer les comités d’hygiène, de sécurité et des
conditions de travail (CHSCT) et l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF).
Il a loué les « premiers de cordée » du CAC 40 et des start-up et mis à mal
les aides sociales, à commencer par l’aide personnalisée au logement
(APL). Ce traitement imposé à haute dose avant la pandémie de covid-19 a
polarisé la société française comme jamais depuis la guerre d’Algérie. Éric
Zemmour bénéficie aujourd’hui de ce climat délétère.
La société de vigilance
C’est dans ce contexte que le 8 octobre 2019, profitant de l’hommage
rendu à quatre agents de la préfecture de police de Paris tués par un
fonctionnaire musulman fanatisé, le Président a appelé à une « société de
vigilance ». Écoutons-le : « Une société de vigilance. Voilà ce qu’il nous
revient de bâtir. Savoir repérer au travail, à l’école, les relâchements, les
déviations. Cela commence par vous, fonctionnaires, serviteurs de l’État. »
Il était aussitôt relayé par son ministre de l’Intérieur de l’époque,
Christophe Castaner, qui s’interrogeait sur les hommes portant la barbe. Le
message était clair : méfiez-vous des musulmans, derrière chacun d’eux se
cache peut-être un terroriste ! Un an plus tard, la ministre de
l’Enseignement supérieur, Frédérique Vidal, appliquera cette politique de
« vigilance » dans l’enseignement supérieur en appelant ouvertement à la
chasse aux « islamo-gauchistes » et au « wokisme », autres ennemis
supposés de la République et de l’universalisme, qui infesteraient les
universités et la recherche. Selon son collègue Jean-Michel Blanquer, cette
« idéologie » pèserait « sur la France et sa jeunesse », le ministre de
l’Éducation nationale ajoutant sans rire que « ces mouvements sont une
profonde vague déstabilisatrice pour la civilisation. Ils remettent en cause
l’humanisme, issu lui-même de longs siècles de maturation de notre
société ». Rien de moins ! Mais lui-même a trouvé encore plus radical au
marché de la surenchère avec Sarah El Haïry, secrétaire d’État chargée de la
Jeunesse et de l’Engagement : « Ce qui m’effraie encore plus que
Zemmour, c’est les discours intersectionnels. » Les obsessions de
l’essayiste réactionnaire seraient donc moins dangereuses que la « woke
culture » !
Mais de quoi parle-t-on ? Le wokisme ne constitue ni une politique ni
une idéologie construite et défendue par un mouvement organisé. Comme
l’expliquent Lénaïg Bredoux et Mathieu Dejean 4, le terme « woke », qui
signifie « éveillé », a émergé aux États-Unis à partir de 2014 et l’apparition
du mouvement Black Lives Matter (Les vies des Noirs comptent) après
l’assassinat par la police de Michael Brown à Ferguson (Missouri). Dans
l’imaginaire des luttes afro-américaines, il est un appel à la « vigilance »,
comme celui que lança Martin Luther King en 1965, dans son discours
« Rester éveillé pendant une grande révolution » (Remaining awake through
a great revolution). Depuis, cet appel à la vigilance s’est étendu à la
question des injustices sociales, des luttes pour le climat, des violences
policières et sexuelles, aux mouvements féministes… À toutes les
discriminations, en somme.
Aujourd’hui, en France, le « wokisme », tant détesté par nos nouveaux
réactionnaires déguisés en défenseurs de l’universalisme et de la laïcité
pensée comme une religion, n’est rien d’autre que l’expression du « réveil »
d’une nouvelle génération qui veut sortir du placard les sujets occultés
pendant tant d’années par une société qui a peur de se regarder en face.
Voilà pourquoi, poursuivent Lénaïg Bredoux et Mathieu Dejean, « tout le
temps perdu par le camp de l’émancipation sociale à se défendre d’être
woke ne fait que renforcer [l’emprise des adversaires du wokisme]. Il valide
aussi l’agenda de l’extrême droite et la diversion organisée par le pouvoir
pour éviter de débattre du creusement des inégalités, des effets de la
suppression de l’ISF, de l’avenir de l’école publique, de la colère des profs
un an après l’assassinat de Samuel Paty 5 ». On ne saurait mieux dire !
À voir comment s’enflamment les débats, il est facile de comprendre à
qui ils profitent. Éric Zemmour et l’extrême droite en font leur beurre,
tandis que les apprentis sorciers du macronisme finiront par payer la note
d’un tel cynisme.
Contrairement à la société « éveillée » que réclament ceux qu’ils
dénoncent, les promoteurs de la société de vigilance (qu’il faut traduire par
« surveillance ») instillent sans relâche le poison du soupçon. Au risque
d’ouvrir la porte à la délation, à la constitution de fichiers privés dans les
entreprises ou les institutions, à la mise en œuvre de « milices » citoyennes,
dont les premières victimes seront les personnes considérées comme non
conformes à la norme sociale.
En appelant à l’auto-surveillance et en multipliant les injonctions
sécuritaires, Emmanuel Macron et une partie de son gouvernement ont
encouragé la « zemmourisation » des esprits qui gangrène notre pays. Toute
personne pauvre, racisée, précarisée devient suspecte dans cette société
« vigilante ». Une société du « tous contre tous » que l’imprécateur n’aurait
plus qu’à institutionnaliser.
Un poison lent
Pour le philosophe marxiste italien Antonio Gramsci, la tendance à la
« fascisation » prospère quand le pouvoir en place est confronté à un déficit
de consentement de la population et qu’il doit de plus en plus exercer son
autorité sous une forme répressive, au moyen de l’intimidation. Il suffit que
le pouvoir d’en haut joue cette carte pour que cette tendance s’exerce aussi
en bas. C’est ce que l’on observe notamment dans l’armée et la police.
Le mercredi 21 avril 2021, soixante ans jour pour jour après la tentative
de coup d’État des généraux liés à l’OAS, en pleine guerre d’Algérie, une
vingtaine de généraux à la retraite rendent public sur le site du magazine
Valeurs actuelles un appel au « retour de l’honneur » qui s’inscrit dans une
tradition historique putschiste, raciste et colonialiste. Les antiracistes
« racialistes, indigénistes, décoloniaux », dénoncés dans cet appel,
travailleraient à diviser la France et à déboulonner des statues. Les « hordes
de banlieues » seraient conquises par l’islamisme. Les black blocs
« encagoulés » déborderaient les forces de l’ordre. Lourd de menace,
l’appel se conclut par l’évocation d’une guerre civile et « l’intervention [des
militaires] d’active dans une mission périlleuse de protection de nos valeurs
civilisationnelles et de sauvegarde de nos compatriotes sur le territoire
national ». Il annonce même des morts par milliers ! Devenu une pétition, il
est signé par plus d’un millier de militaires. Son but ? Installer un climat de
guerre civile rampante dans le pays à l’approche de l’élection présidentielle
de 2022.
Quelques heures après la publication de cette pétition, Marine Le Pen et
Éric Zemmour se précipitent pour apporter leur soutien à ce millier de
signataires factieux. Une semaine auparavant, le même périodique avait
lancé un « appel à l’insurrection » signé de Philippe de Villiers. Puis, à la
suite d’un article de Mediapart 6 sur des documents internes à la promotion
2019 de l’École nationale de la magistrature, on apprenait qu’une enquête
était ouverte pour des inscriptions racistes telles que « La France aux
Français » ou « Dehors les Arabes » rédigées par des étudiants qui allaient
devenir magistrats quelques semaines plus tard.
C’est encore Mediapart qui a fait état de l’apparition de réseaux
néonazis dans l’armée 7, tandis qu’une librairie libertaire de Lyon, la Plume
noire, était attaquée par des identitaires et que le conseil régional
d’Occitanie était envahi, à Montpellier, par l’Action française. Comme l’a
écrit la Commission nationale consultative des droits de l’homme
(CNCDH) : « Tel un virus, le racisme mute et chaque mutation le rend plus
dangereux 8. »
La police aussi a ses séditieux. Le 19 mai 2021, à l’appel de syndicats
d’extrême droite, des milliers de policiers manifestent dans toute la France
et à Paris, devant l’Assemblée nationale, à la suite de l’assassinat d’une de
leurs collègues. En présence d’Éric Zemmour, de Manuel Valls et,
malheureusement, de quelques responsables de la gauche et des écologistes
égarés, ils s’en prennent directement à la justice, qu’ils accusent de laxisme,
et remettent en cause le principe fondamental de la séparation des pouvoirs.
La police, de fait, s’émancipe de plus en plus du pouvoir politique et du
droit – c’est-à-dire de toute forme de contrôle externe. C’est visible à
travers la radicalisation droitière des principaux syndicats policiers
(Alliance et Unité SGP Police-FO) et au nombre de violences policières
couvertes par la hiérarchie 9. Ajoutons à cela les envolées d’un Luc Ferry
appelant les policiers « à se servir de leurs armes » contre les Gilets jaunes,
et l’on comprendra mieux pourquoi la police est devenue un enjeu central
dans le débat présidentiel. Une police dont « la culture professionnelle et les
pratiques doivent être remises en cause », selon la CNCDH. Nous en
sommes loin !
Éric Zemmour a donc beau jeu de s’appuyer sur cette dangereuse dérive
d’une partie de l’armée et de la police, car elle constitue pour lui une double
entrée : d’une part, les révoltés réactionnaires veulent défier le « système » ;
d’autre part, ils aspirent au rétablissement de la « loi » et de l’« ordre ». Ce
mélange de fausse subversion et d’ultraconservatisme bien réel permet au
chantre du retour à la « France d’avant » de faire feu de tout bois.
… ET LE ROYAUME-UNI DE THATCHER
Le 3 mai 1979, Margaret Thatcher remporte pour la première fois les
élections générales au Royaume-Uni, alors qu’elle est peu connue de ses
concitoyens. Arrivée à la tête du parti conservateur quatre ans auparavant,
elle va gouverner durant onze ans et transformer durablement son pays avec
des recettes antisociales éprouvées. Résultat : de 1979 à 1992, on passera de
9 % à 25 % de la population vivant avec des ressources inférieures à la
moitié du revenu moyen, soit environ 14 millions de personnes !
La révolution thatchérienne va démanteler le pouvoir syndical en
l’affaiblissant durant la longue grève des mineurs, organiser la privatisation
de secteurs entiers de l’économie, notamment le réseau ferroviaire,
s’attaquer à l’hôpital public, déréguler le marché du travail, transformer le
régime fiscal britannique et « libérer » le secteur financier. Cette entreprise
de déconstruction sera poursuivie par Tony Blair, avec le New Labour, dans
les années suivant la démission de la Dame de fer.
Aujourd’hui, Valérie Pécresse comme Éric Zemmour se réclament de
l’héritage du thatchérisme.
ANNÉES 2016-2020 : TRUMP ET LE « BLOC BLANC »
À la surprise générale, en 2016, Donald Trump remporte l’élection
présidentielle aux États-Unis après avoir pris la tête du Parti républicain. Un
tournant.
En 2015, en France, ce sont les attentats terroristes qui marquent
l’année. François Hollande, avec la « déchéance de nationalité », tente de
courir derrière la droite et l’extrême droite. Vainement. Il en rajoute avec la
loi El Khomri sur le travail, avant d’être contraint de se retirer piteusement,
dans l’incapacité de défendre sa place de président. Avec l’aide de Manuel
Valls et de quelques autres, on peut dire qu’il a tué la gauche.
En 2016, aux États-Unis, Hillary Clinton a suivi sensiblement le même
parcours : snobant Bernie Sanders, la candidate démocrate propose la même
politique néolibérale que son mari, Bill Clinton, poursuivie par Barack
Obama et, déjà, Joe Biden. Donald Trump, le milliardaire médiatique,
décide d’aller directement au contact du peuple en s’adressant aux ouvriers
blancs délaissés par les démocrates. Il leur parle de fierté de l’Amérique, de
reconquête face au déferlement migratoire latino et aux Noirs
« délinquants ». Il y ajoute ce que Reagan n’avait pas osé : une misogynie
débridée et un sexisme assumé. Aux capitalistes, il promet des recettes
inspirées de ses prédécesseurs : État réduit au régalien, baisses d’impôts
massives et déréglementation, notamment en matière d’environnement,
avec, cerise sur le gâteau, l’exploitation sans entraves du gaz de schiste. Son
climatoscepticisme le sert : rien ne doit entraver les énergies carbonées – et
surtout pas la COP 21 et ses décisions absurdes… Sa coalition est
complétée par les bataillons des évangéliques. Bien qu’athée, le candidat
républicain n’hésite pas à donner une dimension religieuse à ses
promesses : en finir avec la Cour suprême et ses juges trop progressistes,
refuser l’avortement… Il désigne en outre un ennemi, la Chine, et ne
s’encombre guère des vestiges du multilatéralisme. Ses mesures sont
lisibles, claires, et, comme dirait Éric Zemmour, mobilisent « la bourgeoisie
patriote et le petit peuple ».
Le trumpisme est l’expression la plus achevée de la révolution
conservatrice de droite ayant détourné à son profit la révolte mondiale
contre les élites politiques, économiques et culturelles. La force du
45e président des États-Unis est d’avoir su séduire cette masse d’Américains
dont la vie a été bouleversée par la mondialisation capitaliste et la
désindustrialisation, atteints dans leur corps, leur famille, leur
environnement, leur territoire. Se sentant abandonnés par les démocrates, ils
se sont jetés dans ses bras. En 2016 comme en 2020, des millions
d’électeurs des États du Midwest ont rejoint l’électorat conservateur du sud
et de l’ouest des États-Unis. L’année de son élection, Donald Trump avait
recueilli 81 % des voix des évangéliques et 60 % de celles des Blancs
catholiques, pour beaucoup des non-diplômés de l’enseignement supérieur,
aux revenus modestes. Moins des cols blancs ou des employés de bureau (la
nouvelle classe moyenne) que des propriétaires de petites entreprises, des
entrepreneurs indépendants et des ouvriers qualifiés. À côté de cette base
populaire, de nombreux citoyens aisés, voire fortunés, ont rejoint Donald
Trump. Nombre de riches, en effet, n’ont pas de problème avec le
nationalisme blanc : du moment que les impôts baissent et que la
déréglementation se poursuit, leurs affaires sont préservées.
Le récit est le même des deux côtés de l’Atlantique. Les électeurs se
tournent naturellement vers ceux qui mettent des mots sur leurs maux et
leur montrent du doigt des boucs émissaires : Noirs et Latinos aux États-
Unis, Arabo-musulmans et Noirs en France.
Sur le plateau de « Face à l’info », sur CNews, le 6 janvier 2021, Éric
Zemmour le résumait ainsi : « Ceux qui ont déconstruit et finalement
désagrégé l’Amérique, ce n’est pas Trump, ce sont les mouvements des
années 1960 d’extrême gauche, qui naissent dans les campus américains
contre la guerre du Vietnam… En vérité, cette classe populaire américaine
attendait son champion, aucun n’osait lever l’étendard et affronter ces
mouvements de gauche qui tenaient les médias, la finance, les Gafam. Et
Trump s’est levé et il s’est battu. » Ce dernier n’est plus au pouvoir, mais
Zemmour, lui, y prétend aujourd’hui, d’où cette conclusion : « Les classes
populaires, et désormais les classes moyennes de tous les pays occidentaux,
vivent un double basculement : le grand remplacement et le grand
déplacement social. Ces deux mouvements vont continuer. Le populisme,
c’est le cri des peuples qui ne veulent pas mourir. Et ces peuples-là vont
continuer à se battre, et il faudra simplement qu’il y ait quelqu’un qui,
comme Trump, lève le drapeau et accepte de combattre pour ça. » Suivez
son regard !
Zemmour se réfère au trumpisme parce que ce dernier représente tout à
la fois un prêt-à-penser politique, un style de gouvernance et un mouvement
populiste qui cherche à s’affranchir de tout intermédiaire politique. La
rhétorique du trumpisme est simple et directe : elle refuse les idéologies
sophistiquées et réclame une forte ferveur pour le leader. Mais le
trumpisme, c’est aussi un contenu, mélange désinhibé de nationalisme, de
fierté blanche et de recherche de boucs émissaires, qui instrumentalise la
question identitaire à son profit.
Pour des sociétés apeurées par la fin de la suprématie de la civilisation
occidentale, Trump et son mouvement incarnent à la fois l’avenir et le rêve
américain sous sa forme viriliste et conquérante, auréolé du succès financier
et médiatique. Enfin, l’enthousiasme des électeurs états-uniens pour leur
héros, en dépit de tous les scandales qui l’entourent, a plus à voir avec un
fan-club qu’avec un parti, au point que les caciques du Parti républicain ont
été débordés par l’idolâtrie qui l’a entouré.
Le trumpisme a fait émerger ce que le sociologue Ugo Palheta 2 nomme
un « bloc blanc », qui a donné un aperçu de sa détermination lors de
l’assaut du Capitole le 6 janvier 2021. Pour ce groupe, il s’agit de
sauvegarder à tout prix la suprématie blanche, de consolider ses privilèges
et sa domination sur le reste des communautés.
Bien sûr, la situation états-unienne ne peut être transposée à l’identique
en France, mais les ingrédients propices à l’apparition d’un tel bloc existent
et servent de fond de sauce à la soupe de Zemmour. Il suffit pour s’en
convaincre de réécouter ce qu’il disait le 6 mai 2014 sur RTL : « Seules les
sociétés homogènes comme le Japon, ayant refusé de longue date
l’immigration de masse et protégées par des barrières naturelles, échappent
à la violence de la rue. » Il ajoutait : « Notre territoire, privé de la protection
de ses anciennes frontières par les traités européens, renoue dans les villes,
mais aussi dans les campagnes, avec les grandes razzias, pillages
d’autrefois, les Normands, les Huns, les Arabes. Les grandes invasions
d’après la chute de Rome sont désormais remplacées par des bandes de
Tchétchènes, de Roms, de Kosovars, de Maghrébins, d’Africains, qui
dévalisent, violentent ou dépouillent. » Fermez le ban !
Ce « bloc blanc » s’est déjà imposé au Brésil, où Jair Bolsonaro s’est
appuyé sur l’armée, les évangéliques et la population blanche pour
s’emparer du pouvoir. Malgré toutes ses dérives et sa désastreuse gestion du
covid-19, il bénéficie toujours d’un socle fort. On peut observer la même
chose en Colombie. En Europe, le Brexit s’est construit sur des bases
identiques, et des tendances similaires voient le jour au sein des droites
d’Espagne (où Vox et le Partido popular tendent à converger) et d’Europe
du Nord (où les partis d’extrême droite sont aux portes du pouvoir).
Trump et Zemmour ont ceci en commun qu’ils génèrent un
autoritarisme populaire, reposant sur deux phénomènes complémentaires :
la confrontation radicale et le consentement de la part d’une majorité
« silencieuse » à un ordre rétabli où « tout était mieux avant ».
Le trumpisme est le dernier étage de la fusée censée conduire le
candidat Zemmour au firmament du pouvoir, mais ce dernier n’a pas oublié
les leçons des révolutions conservatrices des années 1920 et 1980 pour
mener à bien son projet d’union des droites.
De la Restauration au « rappel
à l’ordre » : la guerre idéologique
En fin de compte, comment en est-on arrivé à l’émergence de la
« pensée Zemmour », ce bric-à-brac idéologique des nouveaux réacs ?
Outre les révolutions conservatrices évoquées plus haut, il nous faut
considérer notre propre histoire pour comprendre que le projet d’union des
droites porté par Éric Zemmour vient de loin. Produit de l’idéologie
française et du travail intellectuel de l’extrême droite, il se développe dès le
e
XIX siècle, à partir de la Restauration, en coalisant différents courants
opposés à la République. La Révolution française constituant le mal absolu,
toutes ses valeurs doivent être combattues pour que la roue tourne dans le
sens contraire de l’histoire.
Au XIXe siècle, les réactionnaires comme Joseph de Maistre ou Édouard
Drumont parviennent ainsi à fédérer des courants d’opinion puissants. Si
Émile Zola et Jean Jaurès se révèlent comme les porte-étendard de
l’intelligentsia libérale et de gauche dans l’affaire Dreyfus, ils sont
minoritaires face à la droite antisémite de l’époque et au sein d’une gauche
sensible aux sirènes nationalistes, rétive à la défense des droits humains.
Comme l’a montré l’historien israélien Zeev Sternhell, la synthèse du
socialisme et du nationalisme se réalise d’abord en France, avant d’essaimer
en Italie et en Allemagne. Charles Maurras considère par exemple Pierre-
Joseph Proudhon, le théoricien de l’anarchie, comme le père d’un
socialisme français compatible avec sa doctrine royaliste.
Les années 1930 donnent du grain à moudre à cette extrême droite
divisée entre réactionnaires classiques, amis du colonel de La Roque
(président des Croix-de-Feu puis du Parti social français), et fascistes issus
du PCF, organisés dans le Parti populaire français de Jacques Doriot, mais
déjà alimentée par une constellation d’intellectuels et d’hommes de plume
dévoués. Entre 1940 et 1945, la nébuleuse de l’extrême droite se réunit à
Vichy, sous l’égide de Philippe Pétain, mais la tache de la collaboration va
la marginaliser durant un quart de siècle. C’est le poujadisme et le combat
pour l’Algérie française qui la font resurgir, sans que cela se traduise
durablement en une force politique. Quelques intellectuels autour d’Alain
de Benoist, très influencés par la lecture de Gramsci (pourtant d’un bord
radicalement opposé), considèrent alors qu’il faut régénérer la pensée de ce
courant politique déliquescent en l’adaptant au monde moderne. Ils se
réunissent les 5 et 6 mai 1968 et fondent le Groupement de recherche et
d’études pour la civilisation européenne (Grece) 9, qui se définit comme
« une société de pensée à vocation intellectuelle ».
Alain de Benoist et ses amis souhaitent influencer la droite française en
élaborant une « nouvelle culture de droite » selon un corpus idéologique
cohérent, mélange de tradition judéo-chrétienne et d’idéologie marxiste, et
en proposant une vision du monde capable d’affronter la pensée dominante.
Pour y parvenir, les membres du Grece abandonnent le champ de la
politique proprement dite au profit de ce qu’ils appellent la
« métapolitique », qu’ils définissent comme « le domaine des valeurs ne
relevant pas du politique au sens traditionnel du terme, mais ayant une
incidence directe sur la constance ou l’absence de consensus social régi par
le politique 10 ». C’est ainsi que le Grece approfondira un certain nombre de
thèmes autour des inégalités, du différentialisme et de l’ethnicité, irriguant
la droite et l’extrême droite durant des décennies.
Un autre cercle intellectuel, le Club de l’horloge, créé par Jean-Yves Le
Gallou et Bruno Mégret en 1974, travaille sur le même mode que le Grece,
mais dans une version nationale-libérale et non païenne. Son projet :
réaliser l’union entre les différents courants de la droite. Alain Madelin le
fréquente. Ministre en 1986, il prend à son cabinet Michel Leroy, le
secrétaire général du club, comme chargé des études et discours.
Le Club 89, fondé par Alain Juppé, présente un point commun avec le
Club de l’horloge. Avec des objectifs plus politiques, il reprend les idées du
Grece tout en revisitant la tradition républicaine. Il est ainsi le véritable
inventeur de la notion de « préférence nationale », futur axe central du
programme du Front national (FN), que les créateurs du Club de l’horloge
décident de rejoindre à la fin des années 1980. Ils y formeront des centaines
de cadres, dont beaucoup se retrouvent aujourd’hui aux côtés de Marine Le
Pen ou d’Éric Zemmour.
On le voit, c’est d’abord sur la base des idées que des passerelles se
créent entre droite et extrême droite. Ainsi, dans les années 1990, le
programme du RPR (l’ancêtre de l’UMP puis de LR) revendiquera le droit
du sang et la déchéance de nationalité.
Pour contrer la volonté de dédiabolisation de Marine Le Pen, un courant
naît dans les marges du FN : des groupuscules racistes se développent
autour de l’essayiste Alain Soral et de l’humoriste Dieudonné. Ils dénoncent
ce qu’ils appellent le « politiquement correct » et encouragent les replis
communautaristes. Sans se joindre directement aux obsédés de l’identité
française menacée, ils alimentent par leur rhétorique et leurs interventions
dans l’espace public une agitation néo-racialiste qui s’exprimera
bruyamment dans la rue avec le Printemps français et le geste de la
« quenelle », bras d’honneur au système rappelant le salut nazi.
Pour élargir leur influence, ces groupes s’appuient sur les réseaux
sociaux de la fachosphère, qui commencent à tourner à plein régime. Le
« Jour de colère » du 26 janvier 2014 (quatre-vingts ans après le défilé des
ligues fascistes du 6 février 1934) acte la naissance d’une droite radicale qui
rêve d’en découdre avec l’État « socialiste », tandis qu’une droite
catholique ultramontaine, venue des campagnes et des banlieues chics,
affirme sa présence avec la Manif pour tous.
De fait, la radicalisation du peuple de droite sur les valeurs
traditionnelles de la famille et pour le retour à l’ordre moral prend à contre-
pied l’UMP, qui hésite à se positionner sur un terrain où elle ne peut que
perdre les voix d’une partie des classes moyennes, et notamment des jeunes,
effrayés par la montée d’un Tea Party (mouvement contestataire états-unien
de type libertarien) à la française.
Ce contre-Mai 68 rampant des intellectuels d’extrême droite puise aussi
à d’autres sources, parfois issues de la gauche. Tel le groupe Riposte laïque,
créé par un ancien de la Ligue communiste révolutionnaire (LCR) et une
fondatrice du Mouvement de libération des femmes (MLF).
Comme les néoconservateurs américains, les nouveaux réactionnaires
français se déploient dans les médias, le champ académique et la littérature.
Dans cette galaxie, on trouve des magazines comme Causeur, Valeurs
actuelles, Le Figaro Magazine, des sites Internet comme Atlantico, des
radios comme Radio Courtoisie ou Alouette FM, des journalistes comme
Ivan Rioufol et Élisabeth Lévy, des écrivains tels que Michel Houellebecq,
Maurice G. Dantec, Renaud Camus, Richard Millet, les essayistes Alain
Finkielkraut, Pierre-André Taguieff, Michèle Tribalat, Alain de Benoist, etc.
Même si elle ne participe pas directement à leurs initiatives politiques, cette
mouvance accompagne la montée en puissance des néoconservateurs.
En 2002, dans son Rappel à l’ordre, Daniel Lindenberg montrait que
derrière les cibles préférées de ces personnages (laxisme moral, nouveaux
barbares, droit-de-l’hommisme, etc.) se profilait une « synthèse idéologique
de combat contre tous ceux qui, de près ou de loin, auraient contribué à
dissoudre l’État souverain dans le marais des droits individuels, la nation
dans le grand bouillon euromondialiste, le peuple dans la société civile et la
culture dans la jeunesse multi-ethnique 11 ». Tout était dit il y a vingt ans
déjà, dans ce livre qui provoqua beaucoup de débats au moment de sa
sortie.
Le héraut de cette pensée réactionnaire – non cité par Daniel
Lindenberg parce qu’il n’existait pas encore médiatiquement – est
aujourd’hui Éric Zemmour. Son Suicide français puis, aujourd’hui, La
France n’a pas dit son dernier mot sont l’expression achevée de cette
synthèse idéologique entre extrême droite et néoconservateurs, via les
thèmes récurrents du « grand remplacement » et de la double menace de
l’immigration et de l’islam.
C’est Antonio Gramsci qui a théorisé le concept de « guerre
idéologique ». Il considérait la reconquête de l’hégémonie culturelle comme
un préalable à la conquête du pouvoir. Pour lui, la force historique d’un
camp politique se mesure à sa faculté d’imposer son hégémonie ou, tout au
moins, sa domination culturelle.
Comme nous venons de le voir, l’extrême droite a accompli cet effort
dès les années 1970 avec la Nouvelle Droite et sa bataille idéologique.
Cinquante ans plus tard, Éric Zemmour en est l’héritier en même temps que
le vulgarisateur. C’est en cela que notre bateleur médiatique devenu
prétendant à la présidence de la République est dangereux. Parce qu’il
donne consistance à ce viatique raciste et inégalitaire auprès du grand
public et qu’il lui apporte une caution intellectuelle.
LA GALAXIE ZEMMOUR
La défiance généralisée envers les partis politiques traditionnels permet
de construire un « parti gazeux », comme Emmanuel Macron et Jean-Luc
Mélenchon l’ont montré : à partir des réseaux sociaux et de l’incarnation
médiatique d’Éric Zemmour, une petite équipe déterminée peut se lancer à
l’assaut de la citadelle France. Encore faut-il s’assurer de disposer d’un
vivier de soutiens propre à constituer un socle. Ce vivier, le candidat le
possède. Il y a d’abord les zemmouristes pur jus. Depuis l’été 2021, sous la
houlette d’une dizaine d’individus aux profils hétérogènes, deux cent
cinquante bénévoles implantés sur l’ensemble du territoire démarchent des
élus locaux pour collecter les précieux parrainages permettant de se
présenter à l’élection présidentielle. Tout est parti d’une page Facebook
intitulée « Les Amis d’Éric Zemmour », créée au printemps 2021 et suivie
aujourd’hui par plus de dix mille personnes. Très vite, ce mouvement s’est
mué en association agréée, en qualité d’association de financement du parti
lui-même nommé « Les Amis d’Éric Zemmour ». Déclarée le 30 avril 2021
et autorisée deux mois plus tard par la Commission nationale des comptes
de campagnes, elle constitue l’outil juridique qui permet d’enregistrer tous
les frais acquittés pour la campagne, avant que le polémiste ne se présente.
C’est cette association qui a payé les actions militantes menées depuis
juin 2021 sur l’ensemble du territoire, comme les dix mille affiches
« Zemmour président » collées en une nuit par les militants de Génération Z
au lendemain des régionales. L’association possède maintenant son local de
400 mètres carrés et un site Internet devenu celui du candidat en campagne,
à côté de la multitude d’espaces créés par ses soutiens pour récolter les
adresses e-mail de sympathisants et solliciter des dons. Un espace intitulé
« J’agis » propose de prendre part à la campagne Zemmour 2022. Le site
dispose même d’une boutique officielle, dont un tee-shirt du meilleur goût
estampillé « Faites Zemmour pas la guerre ».
Dès 2019, le « Neurchi de Zemmour » (NdZ), sur Facebook, est lancé.
Il s’agit d’un groupe privé qui permet l’échange de détournements
humoristiques, de montages vidéo et même de reprises musicales des
séquences phares du polémiste. Son surnom, aussi sobre qu’efficace : le
« Z ». Fréquenté par quelque 56 000 utilisateurs, c’est ce groupe qui va
engendrer Génération Z, le mouvement des jeunes zemmouristes. Stanislas
Rigault, son président, revendique deux mille militants de 16 à 34 ans, pour
une moyenne d’âge de 24-25 ans. Le rôle de ces derniers, issus pour la
plupart de la jeunesse dorée conservatrice, est de coller des affiches, de
distribuer des tracts, de communiquer sur les réseaux sociaux ou encore de
structurer le mouvement.
Il y a aussi les comités de soutien locaux ou régionaux, dans lesquels on
retrouve d’anciens élus ou sympathisants du RN, de Debout la France, le
parti de Nicolas Dupont-Aignan, ou encore de LR, mais aussi plusieurs
figures politiques plus ou moins connues du grand public, qui ont exercé
des mandats locaux ou été sous le feu des projecteurs ces dernières années.
Ces comités de soutien sont le sas à partir duquel vont se rassembler des
composantes politiques. On y trouve, en vrac, les déçus du lepénisme, des
jeunes marinistes, des exclus du FN et du RN, tel Jacques Bompard, qui a
constitué dès 2010 sa Ligue du Sud autour de la ville d’Orange.
Pour tous ceux-là, Éric Zemmour est la mauvaise conscience du FN
(puis du RN), lequel s’est trop normalisé à leurs yeux. Ils ont participé à la
convention de la droite organisée par Robert Ménard et Marion Maréchal.
Ils en veulent à Marine Le Pen d’avoir trop « triangulé » avec la gauche en
demandant la retraite à 60 ans ou de n’avoir pas défilé avec la Manif pour
tous en son temps. À ceux-là, il faut ajouter les centaines de militants
simplement recalés ou remplacés autoritairement lors des élections locales.
À ce débauchage des troupes lepénistes s’agrège la nébuleuse de
l’extrême droite éclectique : catholiques intégristes, Génération identitaire,
Action française, etc. Ils rejoignent l’attelage par opportunisme politique.
Eux aussi ont été déçus par la trajectoire de Marine Le Pen. Alors ils
s’engouffrent derrière un homme qui reprend leurs discours et leurs valeurs,
y compris sur Pétain et les Juifs. L’Action française, fondée en 1898,
revendique aujourd’hui trois mille membres, une implantation dans
soixante-dix villes et l’ouverture d’une à trois nouvelles antennes locales
chaque mois en France. La présidente du Rassemblement national avait
qualifié ses membres d’« idiots ». « Je ne savais même pas qu’ils existaient
encore », avait-elle déclaré après leur intrusion dans l’hémicycle du conseil
régional d’Occitanie aux cris d’« islamo-gauchistes, traîtres à la France », le
25 mars 2021. Pour les royalistes, face à une Marine Le Pen qui les ignore
ou les insulte, la France a besoin d’un « troisième homme » : c’est
Zemmour !
Il y a enfin les déçus du fillonisme : Sens commun, issu de la Manif
pour tous, s’est transformé en Mouvement conservateur, séduit par l’ultra-
conservatisme d’Éric Zemmour. La « bourgeoisie patriote » dont parle
l’essayiste se recrute dans ses rangs. Ils refusent le macronisme, détestent la
gauche et se réclament du catholicisme militant. En septembre 2021, ce
mouvement a organisé la Journée du conservatisme, occasion pour sa
présidente, Laurence Trochu, de déclarer : « Zemmour est un grand
conservateur. Il a pris le temps de l’analyse et du diagnostic, et cela lui
donne l’audace de déployer des solutions qui s’attaquent aux racines des
problèmes que nous avons sous les yeux. Je crois que sa force, comme ce
fut le cas d’Emmanuel Macron, est de transcender les partis. » De
nombreux membres du Mouvement conservateur sont encore chez LR. Ils
ont assuré l’élection de François Fillon en 2016 à la primaire du parti. Cette
fois-ci, ils se sont mis en marche pour Éric Zemmour…
À côté de ces forces organisées, la mouvance Zemmour compte un
certain nombre d’intellectuels, tel Michel Onfray. « Les constats nous
rassemblent, les solutions nous séparent », a déclaré le philosophe, qui ne
cesse de faire la courte échelle au candidat réactionnaire avec sa revue
Front populaire, lancée en 2020 pour réunir les souverainistes « de droite,
de gauche et de nulle part », ou lors d’une « conversation » avec lui au
palais des Congrès de Paris, devant trois mille sept cents spectateurs ayant
payé leur place entre 24 et 44 euros – Zemmour, c’est aussi du business !
« Une conversation, au sens profond et oublié du terme, entre deux
honnêtes hommes », a pu écrire Élisabeth Lévy dans sa revue Causeur,
référence des néoconservateurs, financée par Charles Gave et soutien de la
candidature d’Éric Zemmour. À ces noms on peut ajouter ceux de Paul-
Marie Couteaux, Eugénie Bastié, Gabrielle Cluzel (de Boulevard Voltaire),
Mathieu Bock-Côté, etc., qui occupent les plateaux de CNews, les studios
d’Europe 1 et d’ailleurs ou écrivent dans Valeurs actuelles. On le voit, la
« planète Z » ne manque ni de militants ni de relais d’opinion prêts à suivre
le candidat Zemmour dans cette aventure présidentielle.
La « pensée blanche »
C’est donc dans ce champ politique et idéologique dévasté que
Zemmour peut désormais faire croître et prospérer ses idées nauséabondes.
À l’instar d’Emmanuel Macron, il pratique le « en même temps » : et de
droite et d’extrême droite. Il utilise à la fois l’histoire comme roman
national et la géographie comme un enfermement dans les frontières, tout
en pratiquant une sociologie de bazar. Au moyen de références historiques,
littéraires et politiques, il a bricolé une sorte de créature de Frankenstein
idéologique dans laquelle se rencontrent Jacques Bainville et Victor Hugo,
Maurice Barrès et Taine, Ernest Renan et Édouard Drumont, Louis XIV et
Napoléon, Clovis et Jeanne d’Arc, de Gaulle et Pétain… Il y a pourtant un
fil conducteur dans cette pensée en kit : le suprématisme blanc.
L’ancien champion de football Lilian Thuram a écrit un livre pour
démontrer que, selon son analyse, depuis des siècles et notamment le début
de l’esclavage, une « pensée blanche 2 » mine la société occidentale. « Le
racisme n’est pas tant une affaire d’individus déviants que l’expression
d’une idéologie structurelle, la “pensée blanche”, écrit-il, façonnée pour
assurer la domination d’un système économique et politique spécifique, le
capitalisme occidental. » Ce n’est pas la pensée des Blancs, mais une
pensée constituée par en haut, à partir du Code noir, qui a perduré et s’est
renforcée avec le colonialisme et le néocolonialisme, au nom de
l’universalisme, qui a connu son apogée au XIXe siècle. Arthur de Gobineau
et Édouard Drumont en ont fait une pensée structurée autour de l’ordre
racialiste et antisémite. La confusion entre la pensée sociologique encore
embryonnaire et la pensée biologique va marquer les XIXe et XXe siècles.
Selon cette dernière, si les sociétés sont différentes, c’est parce qu’elles sont
déterminées biologiquement. Il y aurait donc des races et des civilisations
aux statuts différents. La « race blanche » et la civilisation occidentale
seraient supérieures aux autres ; pour cette raison, elles auraient le droit et
le devoir de civiliser les « races inférieures » en les colonisant. Et tant que
cette « mission » ne sera pas réalisée, les barrières entre les races et les
civilisations seront infranchissables.
Drumont met en musique ces théories racistes. Comme l’a justement
noté l’historien Gérard Noiriel 3, les ressemblances entre Zemmour et lui
sont frappantes, au-delà du fait qu’ils sont tous les deux journalistes.
Ambitieux et frustrés, ils cherchent à échapper à leur destin en utilisant leur
plume provocatrice pour se hausser du col. Drumont a fait avec les Juifs ce
que Zemmour reproduit avec les musulmans. Le « grand remplacement » de
Drumont ne visait pas les mêmes cibles, mais il utilisait le même
raisonnement essentialiste en réduisant tout individu à l’appartenance à sa
communauté : un Juif a-t-il volé ? C’est normal, tous les Juifs sont des
voleurs… Un musulman a-t-il commis un acte terroriste ? C’est normal,
tous les musulmans sont des terroristes… À l’époque de la provocation en
ligne, cette rhétorique de la haine essentialiste trouve aisément des adeptes.
La pensée blanche de Zemmour fait donc système. Elle a une
grammaire, une sémantique, un contenu. Et un objectif politique précis :
enraciner une vision du monde en vue de construire une coalition blanche
qui unira les « boubours » (« bourgeois bourrins 4 ») et un peuple mythifié,
celui des « petits blancs », dont il s’est extrait, tel un « transclasse ».
Du Suicide français à La France n’a pas dit son dernier mot, Zemmour
déroule la même pensée. En fait, il n’arrête pas de dire son dernier mot !
QUATRIÈME PARTIE
Surenchère à droite
Entre ces deux parutions, Éric Zemmour a pris l’importance que l’on
sait dans le débat – au point de devenir un danger réel pour la droite comme
pour l’extrême droite. Ni l’une ni l’autre ne savent plus comment se
débarrasser de ce sparadrap qui leur colle aux doigts. La première se livre à
des contorsions inquiétantes et à la transgression de ses « valeurs » ; la
seconde, dépassée par son clone, sombre dans la surenchère en défiant,
entre autres, le Conseil constitutionnel avec sa proposition de référendum
sur l’immigration. Sous le voile du politiquement correct réapparaît son vrai
visage.
Zemmour agit comme le révélateur de photos déjà anciennes.
Souvenons-nous du « seuil de tolérance » de François Mitterrand (1989),
des « bonnes questions » et des « mauvaises réponses » de Jean-Marie Le
Pen dans la bouche de Laurent Fabius (1991), du « bruit et des odeurs » de
Jacques Chirac (1991), de l’« invasion migratoire » de Valéry Giscard
d’Estaing (1991), du « Si certains n’aiment pas la France, qu’ils ne se
gênent pas pour la quitter » de Nicolas Sarkozy (2006) – décalque du « La
France, aimez-la ou quittez-la » de Le Pen père…
En 2019, peu après la sortie du Destin français 1, Laurent Wauquiez,
secrétaire général des Républicains, avait accueilli son auteur en ses murs
par ces mots : « Éric est ici chez lui », ajoutant qu’il incarnait « un sursaut
des valeurs »… Des valeurs selon lesquelles « l’assistanat est un cancer »,
comme l’avait déclaré quelque temps auparavant ledit Wauquiez. Depuis,
les digues se sont bel et bien rompues et le flot est en train de submerger la
droite. Michel Barnier, ancien commissaire européen, n’est-il pas allé
jusqu’à proposer un « bouclier constitutionnel » temporaire en matière de
politique migratoire pour empêcher l’application de conventions et de
traités internationaux pourtant ratifiés par la France ? Guillaume Peltier, le
numéro deux de LR, n’a-t-il pas proposé une cour de justice spéciale « sans
appel possible » pour enfermer les individus radicalisés ? On a même
entendu un candidat à la candidature LR, Éric Ciotti, affirmer qu’il voterait
pour Éric Zemmour dans le cas d’un second tour face à Emmanuel
Macron ! Et l’un des vice-présidents du même parti, Gilles Platret, a parlé le
5 octobre 2021 sur CNews d’une « épuration ethnique » qui serait menée
par un « bloc musulman […] dans certains quartiers »… Sans parler des
débats de la primaire LR, dont la plupart des thèmes semblaient une fois de
plus dictés par le polémiste d’extrême droite.
« C’est quelque chose qui bouge les lignes », comme dirait Robert
Ménard, élu maire de Béziers avec le soutien de l’extrême droite. En effet !
Un sondage indique que 25 % des électeurs de François Fillon en 2017 et
35 % des 26-34 ans seraient prêts à voter Zemmour en 2022…
Il faut l’admettre, Éric Zemmour n’est plus seulement le polémiste
multicondamné qui faisait monter les audiences de CNews avec ses
provocations aux relents racistes, mais le candidat à une élection
présidentielle dans laquelle il apparaît davantage comme un concurrent que
comme un figurant. Il faut donc prendre très au sérieux le danger qu’il
représente, car nous sommes bien en face d’une idéologie délétère qui
prétend parler au nom du peuple tout en attisant ses craintes, voire les
haines de certains, et en réveillant de bas instincts politiques. « Que ces
délires meurtriers ne soient plus aujourd’hui, en France, des pensées
marginales mais tiennent lieu d’opinion acceptable dans le débat médiatique
est la question posée par l’affaire Zemmour 2 », écrivait le journaliste Edwy
Plenel avant que le polémiste ne se déclare candidat.
Comment, en effet, en est-on arrivé là ? À cette inscription du
personnage au cœur d’un débat politique qu’il a contaminé ? Il ne s’agit
plus seulement de le critiquer, mais de déconstruire ses discours fallacieux
et ses détournements de l’histoire qui remettent en cause les principes et
valeurs sur lesquels notre pays s’est construit. Comme si les totems et
tabous qui constituent le ciment de notre société étaient en train de
disparaître de notre horizon politique.
C’est à travers ce filtre qu’il faut lire La France n’a pas dit son dernier
mot, puisque ce livre suscite un débat public sans précédent sur l’identité,
l’histoire et les valeurs de la France contemporaine. Et nous demander
pourquoi ce qui n’est somme toute qu’un gros pamphlet réactionnaire de
plus, reposant sur des présupposés simplistes mais efficaces, suscite un tel
engouement.
Le long détricotage historique, souvent redondant, auquel se livre
Zemmour dans ce nouvel ouvrage comme dans les précédents repose sur les
mêmes leitmotivs, entre leçons de morale pétainiste, vérités révélées et
fantasmes obsessionnels. On connaît la chanson : la France se meurt,
victime d’une longue déchéance, rythmée par les renoncements successifs
d’élites dépravées. Ces « traîtres » auraient livré le pays aux multinationales
étrangères qui contrôlent notre économie, tandis que le « grand
remplacement » des Français de souche par les immigrés arabes, noirs et
musulmans conduirait à une « halalisation » du pays. « Nous sommes dans
une guerre de civilisations qui risque d’emporter notre pays et toute
l’Europe dans la tourmente 3 », rien de moins ! Ce bradage de l’identité
nationale serait facilité par la faiblesse coupable d’hommes « transformés
en femmes » à l’issue de quarante années de féminisme et d’homosexualité
propagés par les médias, en particulier la télévision.
Le retour de la « race »
Dans le droit fil de sa détestation de l’immigré arabo-musulman, Éric
Zemmour réhabilite la notion de race. Pour ce thuriféraire de Maurras, ce
n’est pas un gros mot à faire disparaître du vocabulaire, bien au contraire :
la race est un fait. Même s’il est contesté par les scientifiques, ce fait est
visible à l’œil nu, au coin de la rue, dans la couleur de peau, l’agressivité
« naturelle », la violence sociale inhérente aux Noirs et aux Arabes…
Cette histoire romancée permet à Éric Zemmour de revenir au
e
XIX siècle, quand il était normal et bienséant d’exalter la pureté de la race et
de pratiquer l’esclavage. On ne sous-estime plus la dangerosité d’un
candidat à l’élection présidentielle qui écrit, par exemple, que l’esclavage,
« ce sont des Africains noirs qui ont fait la chasse à d’autres Africains noirs
pour les asservir – dans le cadre d’un système esclavagiste qui préexistait à
l’arrivée des Blancs – et vendre une part de leur butin à des acheteurs
européens 40 ». Et qui, une centaine de pages plus loin, enfonce le clou :
« Ce sont des Noirs qui ont vendu leurs “frères” aux Blancs » et « les traites
transatlantiques ne tenaient pas la distance historique face à leurs
homologues islamiques 41 ».
La traite transatlantique était fondée sur la race. Ce sont les héritiers des
Lumières, et personne d’autre, qui ont asservi des millions d’Africains.
Pour assurer la prospérité de l’Europe et de l’Amérique, ils ont dépeuplé
l’Afrique, qui porte toujours les stigmates de cette déportation massive.
Quand leurs descendants l’évoquent et souhaitent qu’on s’y arrête pour
éclairer l’histoire, Éric Zemmour leur demande de se taire. Telle Danièle
Obono, députée de La France insoumise, mise en scène, en août 2020, par
l’hebdomadaire Valeurs actuelles dans une uchronie infâme qui faisait
d’elle une esclave africaine sauvée par un homme d’Église. Ce qui
provoqua aussitôt sa saisine de la justice.
« Danièle Obono n’a pas l’âme rabelaisienne ni voltairienne », déplore
sans honte Éric Zemmour, habitué des tribunaux comme l’hebdomadaire
qui lui a déjà consacré huit couvertures. « Obono s’émeut, ajoute-t-il, alors
même que tout son discours depuis des années ne cesse de rabâcher que les
descendants de l’immigration africaine sont pour l’éternité victimes de
l’esclavage et de la colonisation, persécutés par des Blancs eux-mêmes
trafiquants d’esclaves et colonisateurs pour l’éternité 42. »
En septembre 2021, Valeurs actuelles a été condamné pour cette
infamie raciste qui plaît tant à Zemmour. Lequel récidive avec Aïssa Maïga
recevant un César, accusée de « compter les Noirs devant une salle
éberluée 43 », alors que la comédienne voulait seulement souligner le peu de
place accordé aux personnes noires dans le cinéma français ainsi que leur
assignation à certains rôles archétypiques. Zemmour en profite pour
annexer – c’est devenu une méthode ! – une grande figure des luttes
anticoloniales, Frantz Fanon, l’auteur des Damnés de la Terre, qui, selon
lui, avait deviné que « la volonté inconsciente du colonisé [était] de devenir
le colonisateur de son colonisateur ». La boucle est bouclée !
La colonisation à rebours
Le laboratoire in vivo de cette submersion islamique qui vient ? La
Seine-Saint-Denis, que Zemmour compare au Kosovo, où les musulmans
sont accusés d’avoir « confiné » les Serbes orthodoxes dans des
« enclaves ». Ici, l’« enclave » est islamiste et les relégués sont les Français
« de souche ». « Les petits commerces traditionnels des villages français ont
disparu pour laisser la place aux commerces estampillés halal. La
colonisation religieuse entraîne une colonisation visuelle qui entraîne une
colonisation des âmes… Peu à peu, la Seine-Saint-Denis impose ses règles,
ses codes, qui la distinguent du reste du pays 44. » Il brosse le portrait de
l’immigré en jeune mâle d’origine arabo-musulmane, sur lequel il focalise
son attention au point de tordre le cou à la réalité. Par exemple, quand il fait
remarquer que ces jeunes gens cherchent à faire venir des filles « du bled »
plutôt que de se marier avec des Franco-Arabes déjà perverties par la
société française. La réalité est bien loin de ces élucubrations. Mais, pour
Zemmour, pas de doute : non seulement le jeune Français arabo-musulman
ne veut pas s’assimiler mais, dès qu’il cherche à s’intégrer, il devient
suspect. L’intégration comme l’insertion – malheureusement en panne dans
ce pays, comme l’a démontré le rapport « Pouvoir d’agir » de Mohamed
Mechmache et Marie-Hélène Bacqué 45 – seraient donc des moyens de
développer le communautarisme… alors que l’assignation à résidence des
pauvres et des familles d’immigrés en est la première cause.
Pour Éric Zemmour, seule compte la démonstration, même par
l’absurde, de la validité de sa thèse : l’homme blanc doit réagir contre les
jeunes de banlieue qui veulent islamiser la France et la recoloniser à
l’envers. On reconnaît les envahisseurs à leur origine et à leur couleur de
peau, mais surtout au fait qu’ils « volent, torturent, violentent et tuent ». Les
preuves sont empruntées à la rubrique des faits divers jugés « significatifs ».
Chaque fois qu’une personne arabe ou noire est impliquée dans une affaire
criminelle, il y voit une confirmation de ses thèses, nourries par une
référence à des statistiques qu’il interprète à sa guise. Comme le soir de son
débat sur BFM TV, face à Jean-Luc Mélenchon, durant lequel il compare
Hervé Le Bras au pseudo-scientifique stalinien Trofim Lyssenko, en
l’accusant de manipuler les chiffres de l’immigration. Ledit Hervé Le Bras
avait déjà reçu en 1991 le « prix Lyssenko » ironiquement décerné par le
Club de l’horloge (des amis de Zemmour) pour ses prétendues
manipulations des statistiques de l’immigration étrangère et de la natalité
française. Une distinction tout à son honneur puisqu’il figure aux côtés de
personnalités telles que Jean Jouzel, Robert Badinter ou Thomas Piketty,
tous accusés de « désinformation » au service de leur dangereuse idéologie
universaliste !
En fait, le « lyssenkiste » n’est pas celui qu’on croit. Zemmour biaise
quand il crie à « l’invasion migratoire » et à la « submersion » de la France.
La réalité est la suivante : la France compte aujourd’hui 6,8 millions
d’immigrés pour 67,3 millions d’habitants, soit 10,2 % de la population
contre 7,4 % en 1975 et 5 % en 1946. Selon la définition de l’Insee, ces
immigrés sont des personnes nées étrangères, à l’étranger, parmi lesquelles
36 % sont devenues françaises. La part d’immigrés en France est inférieure
à la moyenne des pays de l’OCDE (13,6 %). Selon Christophe Dumont,
directeur de la division des migrations internationales à l’Organisation de
coopération et de développement économiques (OCDE), « il y a une
illusion de l’importance de l’immigration. Elle a augmenté récemment sous
l’impulsion des crises humanitaires, de l’immigration familiale et de travail,
mais les effectifs sont le résultat des flux des décennies passées, et
l’immigration a été très réduite des années 1980 aux années 2010 46 ». La
France est donc loin d’être « envahie ». Les immigrés et leurs enfants
vivant sur le sol français, quelquefois depuis plusieurs générations,
représentent un quart de la population. Il est malhonnête de les faire entrer
dans la catégorie « immigration ».
Il n’y a pas de « cinquième colonne » !
Mais peu importe pour Zemmour, convaincu que la perception de la
réalité vaut vérité, même si elle est fausse. Il peut donc triturer allégrement
les chiffres pour justifier sa vision du grand remplacement. C’est avec cette
méthode à la Lyssenko (pour le coup) qu’il accusait dans Le Suicide
français les jeunes Français d’origine maghrébine de nourrir les troupes de
la « cinquième colonne » chargée de détruire la France. Ce qu’il confirme
en d’autres termes dans son ouvrage de 2021.
La « cinquième colonne » est une expression inventée par le général
Franco pendant la guerre civile espagnole : « Les quatre colonnes qui
s’approchent de Madrid seront aidées par une cinquième colonne qui s’y
trouve déjà. » Elle désignerait donc un ennemi intérieur prêt à aider
l’envahisseur. La formule a fait florès. Chaque fois que naît le sentiment
d’une trahison à grande échelle, elle est utilisée pour organiser une chasse
aux sorcières. Les réactionnaires français l’emploient pour renforcer
l’exclusion des étrangers ou des Français d’origine étrangère du champ
politique.
Le département de la Seine-Saint-Denis serait donc l’aile avancée de la
« cinquième colonne » en marche, dont Zemmour a trouvé le symbole : le
petit Aylan, cet enfant syrien mort d’épuisement sur une plage, dont l’image
a ému le monde entier… mais apparemment pas Éric Zemmour. Il faut
vraiment souffrir d’une peur pathologique de l’Autre pour faire preuve de si
peu d’humanité devant un tel drame. Pour lui, ces « migrants » qui fuient
les guerres, les dictatures et la misère sont de « faux » réfugiés et de « vrais
clandestins qui forcent l’entrée de l’Europe », où ils sont malheureusement
pris en charge par « des associations catholiques, protestantes ou
gauchistes… Un jour prochain, qu’Allah bénisse ce jour, ils seront l’armée
des croyants qui islamisera l’Europe. Pour la plus grande félicité de ces
mécréants 47 ». De ce point de vue, l’image du petit corps d’un enfant
échoué sur la plage n’aurait donc été qu’une opération de propagande dont
l’objectif, toujours le même, est de « servir une invasion et un
asservissement des peuples qui se laisseraient circonvenir. Vaincre par la
force de la faiblesse, donc. Mais toujours vaincre 48 ».
La sacro-sainte identité
Au fil du temps, des passerelles idéologiques se sont donc construites
dans une nuit où tous les chats sont gris. Éric Zemmour ne fait aujourd’hui
que les porter à la lumière en annonçant sans ciller « la mort de la France »,
qui aurait commencé à disparaître dans les années 1960-1970, menacée par
un « grand remplacement » qualifié de « processus implacable ». Or, pour
lutter contre ce « processus implacable », quel meilleur bouclier que
l’identité ?
L’identité ? Une question « vitale » qui « rend subalternes toutes les
autres, même les plus essentielles comme l’école, l’industrie, la protection
sociale, la place de la France dans le monde », selon Zemmour, qui affirme :
« Je suis certain qu’aucun candidat – même Marine Le Pen – n’osera
imposer cette querelle identitaire et civilisationnelle au cœur de la
campagne 50. » Lui l’a fait ! En se souvenant sans doute de cette phrase du
président du Front national : « Je préfère ma famille à mes amis, mes amis à
mes voisins, mes voisins à mes compatriotes, mes compatriotes aux
Européens. » Quarante ans plus tard, identité et immigration pourrissent le
débat de la campagne présidentielle, au détriment des questions sociales et
environnementales, pourtant prioritaires. Le candidat Zemmour s’est
imposé et fait trembler l’ensemble de la classe politique, horrifiée devant le
succès de sa « créature ».
En opposant deux peuples, deux « civilisations », Zemmour s’épargne
l’explication de la complexité sociale préférant « essentialiser » ses cibles
préférées : les femmes, les immigrés, les musulmans, les Noirs, les
homosexuels, les bobos ou les artistes, en les dépersonnalisant et en les
définissant par des identités imposées. En réduisant une personne à ce
qu’elle est à sa naissance plutôt qu’en considérant l’être libre qu’elle
devient en maîtrisant sa vie, il organise une ségrégation qui assigne chaque
individu à ses origines et écrit son destin d’avance.
C’est ainsi que les femmes et les hommes, pour Éric Zemmour, sont
différents « par essence ». Leur nature féminine ou masculine détermine
non seulement leur physiologie, mais toutes sortes d’aptitudes, de savoir-
faire et de goûts personnels. Ce qui l’avait conduit à écrire dans Le Premier
Sexe : « C’est le fameux “sois un homme mon fils”, renforce tes qualités
viriles, contiens ta part féminine pour devenir un véritable homme et
qu’ainsi, avec la femme qui aura de même soigné sa féminité, vous puissiez
vous attirer et pérenniser l’espèce… Une sagesse ancestrale », concluait-il,
que notre époque appelle « stéréotype ».
Selon Zemmour, l’individu est dominé par son identité. Et, quand les
identités se conjuguent dans une communauté d’appartenance, elles nient
nécessairement le citoyen. Obsédé par l’angoisse identitaire, le polémiste
peut ainsi combattre à satiété la France « métissée » et « créolisée », en
citant Édouard Glissant pour mieux le condamner. L’expression du grand
poète antillais visait justement à résister au caractère mortifère de cette
rhétorique de l’identité. Pour lui, les identités fixes sont préjudiciables à la
sensibilité de l’être humain contemporain, engagé dans un « monde-
chaos ». Il prône l’« identitérelation » contre une identité refermée sur elle-
même et craignant « l’étrangeté ». Pour Glissant, il s’agit de « construire
une personnalité instable, mouvante, créatrice, fragile, au carrefour de soi et
des autres 51 ». Contre une conception de l’identité qui nous pousse dans
l’enfer de l’entre-soi, il défend un cosmopolitisme universel et citoyen,
seule réponse à la panique identitaire qui a saisi notre pays.
En effet, n’en déplaise à Éric Zemmour, le métissage et la créolisation
ne sont pas « le cache-sexe d’une opération beaucoup plus simple,
l’islamisation : l’introduction inexorable de la France, vieille terre
chrétienne depuis deux mille ans, dans l’ensemble islamique de
l’oumma 52 ».
Cette obsession de l’identité et cette phobie du métissage sont autant de
chemins vers une société fermée, une France isolée, aux frontières
infranchissables, qui n’aurait comme argument que son passé et serait
convaincue qu’elle est, en soi, la nation de l’excellence identitaire promise à
un avenir aussi radieux qu’infini. Mais nous savons que le repli au nom de
la pureté a toujours conduit les nations à leur perte.
Rongeur d’espérance, Zemmour ne propose rien d’autre que le
« suicide » de la France. Son idéologie de substitution fondée sur l’identité
comme principe d’organisation de la société rassure peut-être une part de
l’inconscient collectif sur sa propre existence, mais elle ne peut que nous
conduire au cimetière de l’histoire. C’est pourquoi la lutte contre ce qu’il
représente doit constituer une des priorités de l’écologie politique. En raison
de sa conscience planétaire, qui lui sert d’antidote efficace, celle-ci est la
mieux placée pour mener ce combat, sans attendre une gauche qui, dans son
ensemble, a perdu la bataille idéologique à partir des années 1980 en tentant
de trouver de petits arrangements avec le diable qui ont accouché de
Manuel Valls, des néoconservateurs et de la déchéance de nationalité. Sur
ce terrain, il n’y a de place ni pour les arrangements ni pour les raccourcis.
La « dictature » féministe
Est-ce au nom de la « pureté » de l’identité que Zemmour déteste autant
les femmes, ou plus exactement la féminisation de la société française ? Il
faudrait poser la question à un psychanalyste. Mais, si l’on comprend bien
le raisonnement tortueux de l’auteur, les femmes ont dévirilisé le mâle
français, l’ont aseptisé, lui ont enlevé tout son potentiel de combattant
patriotique. C’était si bien, la « société traditionnelle », dans laquelle
« l’appétit sexuel des hommes va de pair avec le pouvoir ; [où] les femmes
sont le but et le butin de tout homme doué qui aspire à grimper dans la
société. Les femmes le reconnaissent, l’élisent, le chérissent 53 ».
Hallucinant mais vrai ! Et de qualifier les agressions sexuelles de
Dominique Strauss-Kahn sur Nafissatou Diallo, à New York, de « ridicule
affaire ancillaire ». Il va même plus loin dans la provocation : « DSK,
menottes derrière le dos entre deux cops new-yorkais, marchant tête
baissée, c’est un renversement de mille ans de culture royale et patriarcale
française 54. » C’était si simple, en effet, le temps où « les hommes virils
préféraient prendre les femmes sans les comprendre plutôt que de les
comprendre sans les prendre », tel Donald Trump, l’un de ses modèles, qui
aimait « prendre les femmes par la chatte »…
Cette hantise de la féminisation de la société n’est pas nouvelle chez
Éric Zemmour. Dans un texte, il la fait remonter à la décision prise sous la
présidence de Georges Pompidou, en 1970, d’en finir avec la tutelle de
l’homme sur la femme en instituant la notion d’autorité parentale conjointe.
Dans un autre, il accuse le divorce – et plus encore le divorce par
consentement mutuel – d’être à l’origine de la prise de pouvoir par les
femmes dans une société désormais avachie par la libération des mœurs,
notamment l’affreuse libération sexuelle des années 1970.
Le sexe est d’ailleurs partout dans la logorrhée de Zemmour. Il agit, tel
un surmoi, comme la véritable matrice de la destruction de la société
immuable. Comprenez : quand la femme était cantonnée à son rôle de
reproductrice au service d’un mari tout-puissant. Cette vision obscurantiste
et misogyne du monde est brandie comme un bouclier censé nous protéger
de la nouvelle « dictature » féministe incarnée par le mouvement #MeToo et
les écoféministes. Pour bien comprendre de quoi il retourne, et mieux se
mobiliser contre tous ces mâles soi-disant opprimés, c’est le moment pour
tous, hommes et femmes, de s’infliger la lecture du Premier Sexe 55, ce
pamphlet viriliste qui se voulait déconstruction du Deuxième Sexe de
Simone de Beauvoir, mais n’était en réalité qu’un manifeste de haine envers
les femmes, un refus du progrès de l’égalité des sexes.
Les écoféministes d’aujourd’hui sont les héritières de Françoise
d’Eaubonne 56, la première à avoir défendu l’idée selon laquelle les femmes,
comme la nature, sont victimes de la domination masculine. Cette
déconstruction du patriarcat est aujourd’hui défendue par les militantes
féministes et écologistes, qui ont réussi à faire entrer cette question majeure
dans le débat public. Au grand dam d’Éric Zemmour, pour qui « le néo-
puritanisme féministe aveugle désormais les meilleurs esprits et fait passer
l’ignominie pour une vertu 57 », et qui n’y voit que la confirmation de ses
thèses sur la « dévirilisation » du monde.
Le Mai 68 bashing
Dans l’histoire vue par Zemmour, « révisions » et faussetés se succèdent
comme on enfile des perles. Elles arrivent au détour d’une phrase comme si
elles coulaient de source : plus c’est gros, plus ça passe. Pour lui, en fait,
l’histoire n’a guère d’importance puisqu’il passe son temps à la détourner
au profit de son récit halluciné. Le vrai « déconstructeur », c’est lui, et non
cette « idéologie progressiste » qu’il accuse d’avoir conduit notre pays à
l’abîme sous le triptyque « déconstruction, dérision, destruction […], né
dans la foulée de Mai 68, élaboré dans les années 1970 et installé dans les
années 1980 63 ».
Encore Mai 68 ! Zemmour est décidément un sacré recycleur, car il
n’est ni le premier ni le dernier à pratiquer le « Mai 68 bashing ». La
nouvelle droite ne l’a pas attendu. Dès le lendemain des « événements »,
elle en a fait un des principaux éléments de sa structuration idéologique.
Ainsi du philosophe Luc Ferry, l’un des plus mauvais ministres de
l’Éducation nationale de la Ve République, qui en a même tiré un livre : La
Pensée 68 64. Nicolas Sarkozy (influencé par ses conseillers Henri Guaino et
Patrick Buisson, que Zemmour fréquente et considère comme ses amis,
particulièrement le second, « théoricien » de l’union des droites) n’a pas
hésité à en faire un élément de campagne, en 2007, à la veille du second
tour de la présidentielle : « Dans cette élection, il s’agit de savoir si
l’héritage de Mai 68 doit être perpétué ou s’il doit être liquidé une fois pour
toutes. Je veux tourner la page de Mai 68 », serinait-il. Comme beaucoup
d’autres aujourd’hui, intellectuels et politiques, qui voient dans ce
soulèvement de la jeunesse de l’époque les ferments de notre « régression ».
Mai 68 est-il responsable de la pluie et du beau temps, du chômage et
de la mondialisation libérale, comme l’affirme Zemmour ? Et d’abord, de
quel Mai 68 parle-t-on ? De la grève générale ou du mouvement étudiant ?
Des « enragés » de la Sorbonne ou de l’imagination au pouvoir qui, un mois
durant, envahit les rues, les usines et les bureaux d’une France endormie par
le gaullisme triomphant ?
Éric Zemmour, né en 1958, n’a pas vécu Mai 68 de l’intérieur. Il en fait
une lecture enfiévrée, sans rapport avec son inscription historique. Il le
réinvente en espérant ainsi dater l’origine du mal qui mine le pays… Sauf
quand il s’agit de s’annexer Charlie Hebdo, après le tragique attentat de
janvier 2015 qui décima les trois quarts de la rédaction. Occasion pour lui
de dire tout le bien qu’il pensait de Cabu, Wolinski, Charb, Bernard Marris,
pourtant contempteurs talentueux de sa France rabougrie et symboles de
« l’esprit 68 » qu’il abhorre, mais qualifiés ici de « magnifique explosion
d’hédonisme libertaire dans une société un brin compassée 65 ». Accusant
les « rebelles » de l’époque d’être devenus les « prêtres de la nouvelle
religion des droits de l’homme… Qui se sont révélés pires tyrans que ceux,
fatigués et tolérants, qu’ils avaient renversés », il épargne le magazine
satirique, qui s’est « forcément » cogné « au nouveau pouvoir des minorités
(féministes, gay, antiracistes, etc.) et surtout au nouveau sacré (islam)… Les
frères Kouachi ayant mis la dernière balle de kalachnikov dans le cercueil
de Mai 68 66». On ne sait s’il faut rire ou pleurer devant cet hommage du
vice réactionnaire à la vertu universaliste.
Selon Zemmour, il y aurait donc un avant et un après Mai 68 : les
libertaires ont gagné et la société a triomphé de l’État, de la nation et de la
République, subvertissant les normes et la morale propres à la France
éternelle de Napoléon Bonaparte et de Charles de Gaulle. Les enfants de
Mai 68 sont donc coupables d’avoir assassiné un monde, son monde, et
d’avoir organisé de fait l’invasion des capitaux américains et celle des
immigrés. Si cette reconstruction de l’histoire est sans doute jouissive pour
l’auteur de La France n’a pas dit son dernier mot, elle ne tient pas la route.
Celui qui a détruit le plus efficacement la France rêvée d’Éric Zemmour,
c’est de Gaulle lui-même, pas Mai 68. C’est son idole qui a introduit le vote
des femmes et, de fait, la « féminisation » de la vie politique. C’est de
Gaulle qui a autorisé la contraception, libéré le corps des femmes bien avant
le droit à l’avortement. C’est de Gaulle qui, de fait, a favorisé l’entrée des
femmes sur le marché du travail. Car, pour lui, le relèvement de la France
n’était pas seulement institutionnel et moral, mais d’abord économique. Il
passait par l’adaptation du capitalisme au monde nouveau issu de la
Seconde Guerre mondiale et par la « compétitivité » des grandes entreprises
françaises. C’est lui qui, étant aux commandes de 1958 à 1969, soit à
l’apogée des Trente Glorieuses, a « inventé » Elf, mis EDF sur l’orbite du
nucléaire, encouragé le développement de Renault, soutenu le
développement faramineux de Bouygues. Il avait besoin, pour son projet, de
libérer de la main-d’œuvre et de transformer la France paysanne en une
société urbaine. Ce qu’il a fait avec détermination, détruisant tous les
fondements du monde paysan, comme l’ont décrit Henri Mendras 67 et
Bernard Charbonneau 68. Deux lois d’orientation agricole, en 1960 et 1962,
et le rôle meurtrier du Crédit agricole, auprès duquel se sont endettés tant et
tant de paysans pour s’adapter à la « révolution verte », en ont fait plus pour
achever une certaine société française que les barricades du joli Mai.
La France du capitalisme fusionnant la finance et l’industrie, c’est
encore de Gaulle qui l’a créée de toutes pièces, pas Daniel Cohn-Bendit.
C’est lui qui, après avoir accéléré la décolonisation et mis fin à l’Empire
français cher aux partisans de l’Algérie française et de la France coloniale, a
envoyé chercher dans les villages les plus reculés de l’Algérie, du Maroc,
de Tunisie et d’Afrique noire la force des hommes pour travailler sur les
chaînes automobiles françaises et construire ces quartiers sans âme
devenus, deux décennies plus tard, les « ghettos aux mains des
communautés » que vilipende Zemmour livre après livre. C’est de Gaulle
qui, malgré sa rhétorique nationaliste, a poursuivi l’œuvre de Jean Monnet
en confortant la construction de l’Europe par la réconciliation franco-
allemande. Qui a développé cette société de consommation et du spectacle
combattue par la jeunesse révoltée de Mai 68.
Décidément aveuglé par son admiration tout enfantine du grand homme,
Éric Zemmour se trompe de cible. Le responsable et le coupable de la
destruction du monde de Péguy et de Maurras, c’est Charles de Gaulle lui-
même, qu’il encense comme un demi-dieu et dont il regrette à demi-mot
qu’il n’ait pas fait tirer sur les manifestants pacifiques de Mai 68.
L’écologie « en otage »
La vérité, c’est qu’avec Mai 68 la société a pris sa revanche sur l’État.
Trop longtemps bâillonnée, corsetée, guindée, emprisonnée, la société
française, entraînée par sa jeunesse étudiante et ouvrière, s’est soulevée
contre le gaullisme, qui lui avait imposé à la fois les traditions
réactionnaires de la France et la modernité capitaliste, avec les
conséquences de cette dernière : la consommation à tous crins et le
spectacle comme nouvel opium du peuple. Les révoltés de Mai 68 et de la
décennie qui a suivi se sont levés contre cet « ennemi » qu’est « la finance »
et le modèle de société qu’il induit. Qu’ils aient été récupérés, ou aient trahi
par la suite leurs promesses et leurs idéaux, est une autre histoire.
Rien d’étonnant, alors, qu’Éric Zemmour s’en prenne aux écologistes,
fils et filles de ce Mai 68 abhorré et ingrédients de sa soupe historique
frelatée. Par exemple quand il affirme que « c’est la véritable droite
conservatrice qui a inventé l’écologie avant que les gauchistes ne la
prennent en otage 69 ». Non, évidemment, ce n’est pas la droite conservatrice
qui a « inventé » l’écologie ! L’un des tout premiers auteurs à en parler
s’appelle Élisée Reclus, géographe, militant anarchiste et communard, dans
un texte sublime daté de 1886 et consacré au sentiment de la nature 70. Plus
tard, Ellul, Charbonneau, Gorz, penseurs majeurs de l’écologie, n’avaient
rien de la « droite conservatrice » et n’étaient pas non plus des
« gauchistes ». Pas plus que Bruno Latour aujourd’hui. Mais il faut dire que
l’écologie n’est pas la préoccupation première, ni même seconde, de
Zemmour, qui préfère attaquer les maires écologistes des grandes villes
« dont l’objectif est de viser une tradition française (le sapin de Noël, le
Tour de France) quelle qu’elle soit » et de « subventionner les
mosquées 71 », ou dénoncer « l’influence délétère des Verts qui jouent
toujours contre la France »…
Le credo écologiste de Zemmour s’arrête à Vichy et sa « terre qui ne
ment pas 72 ». Quand on mesure l’importance de la crise climatique qui
menace l’avenir de l’espèce humaine sur cette planète, comme nous le
répètent les scientifiques du Giec, on se dit que considérer l’islam et
l’immigration comme les seuls périls de notre temps relève soit de
l’ignorance, soit de l’aveuglement idéologique. À moins que ce ne soit de la
pathologie, mais nous ne sommes pas spécialistes…
La technique du « teasing »
Éric Zemmour a toujours exploité à plein son capital médiatique, mais,
en septembre 2021, il décide d’utiliser deux cartes maîtresses qui lui
assureront la collaboration des médias : la publication de La France n’a pas
dit son dernier mot et l’entretien d’une rumeur sur sa possible candidature à
l’élection présidentielle de 2022. Dès lors, par l’ampleur de la couverture
dont il a bénéficié (14 000 articles, de septembre à fin octobre, dans
l’ensemble de la presse française, recensés par la plate-forme de veille
média Tagaday), une bonne partie des médias ont fait de Zemmour un
« candidat » en soi, tout à la fois « comme les autres » et « hors norme ».
Nul complot là-dedans, mais des pratiques moutonnières. Un traitement de
l’actualité politique et de l’élection présidentielle uniformisé, sur le mode
du combat de catch ou de la course de petits chevaux. Une dépendance
accrue et délétère aux sondages et aux commentaires artificiels, prompts à
faire exister le rien.
Le polémiste a donc eu raison de ne pas se presser pour déclarer
officiellement sa candidature, puisque les médias l’ont fait exister dès le
mois de septembre. Il vit du buzz auquel les médias sont accros. Soit un
cocktail de provocation, de transgression, de triangulation et de disruption.
En ce sens, il n’y a pas d’un côté les réseaux sociaux mortifères et, de
l’autre, les grands médias producteurs d’informations. Les deux font la
paire, se nourrissant l’un de l’autre.
La stratégie est bien connue : Éric Zemmour sort une énormité, une
« vérité alternative » comme on dit désormais, puis il capitalise sur l’onde
médiatique ainsi provoquée avant de confirmer, de justifier ou de démentir,
c’est selon, pour s’assurer une présence répétée. C’est un professionnel !
Les médias qui se prêtent à ce jeu de rôles participent à la propagation de sa
vulgate identitaire. Loin de déraciner les peurs existentielles qu’elle suscite,
ils ne font que les alimenter. Comme l’a si bien écrit le regretté Zygmunt
Bauman : « Les craintes des populations, encouragées, alimentées et
avivées par une alliance tacite, mais étroite, entre élites politiques, médias
de masse et industries du divertissement, et avivées plus encore par la
marée montante des démagogues, sont envisagées comme une matière
première ô combien précieuse, qui se trouve habilement exploitée au
service de divers objectifs – un véritable capital politique à faire fructifier,
convoité qui plus est par les pouvoirs économiques désormais débridés,
ainsi que par leurs lobbys politiques et autres exécutants fort zélés 74. »
Quatre ans après, il n’y a pas un mot à changer.
Quand Éric Zemmour nous dit, pour justifier toutes ses énormités :
« J’ai l’impression gênante d’être le seul à dire ce que je vois et à voir ce
que je vois 75 », nous ne voyons quant à nous que lâcheté, refus de la
complexité et volonté de faire croire à un monde binaire. À l’instar des
politiques et des médias qui marchent sur ses traces avec un cynisme
exacerbé par l’enjeu présidentiel, Éric Zemmour n’est pas l’éclaireur qu’il
prétend incarner mais un éteignoir. En brossant le tableau apocalyptique
d’une France assiégée, il obscurcit les débats et ne fait que transmettre ses
propres hantises à une partie du pays qui a pourtant besoin de croire en un
destin commun. Il décrit un monde à l’opposé de celui auquel nous
aspirons, inclusif et rempli d’espérance, qui défend le « vivant », tous les
vivants, contre la dévastation planétaire et son lot de tragédies humaines.
« Il y a une impulsion, sinon une pulsion de vie opposée à la pulsion de
mort, qui abîme les psychismes (écopsychologique), épuise les ressources
humaines (burn-out) et naturelles (extractivisme) dans le mouvement
morbide du nécrocapitalisme », écrit le philosophe Jean-Philippe Pierron 76.
Selon nous, c’est dans ce mouvement-là que s’inscrit Zemmour : il nous
promet la mort dans le linceul de la pureté de la race et la beauté du
capitalisme.
Vivant et radical
Le « vivant » que nous défendons, c’est la réunion de « l’ensemble des
forces qui résistent à la mort », pour paraphraser la formule célèbre
employée par le philosophe et médecin Xavier Bichat pour définir la vie.
Résister aussi bien à la mort que nous promettent l’effondrement de la
biodiversité, le dérèglement climatique et les inégalités indécentes du
système capitaliste qu’aux fantômes de Zemmour qui conduisent au
cimetière. Pourtant, ce sont toujours les écologistes qui sont présentés
comme des marchands d’apocalypse annonçant la « fin du monde », et dont
la « radicalité » serait cause de déstabilisation de la société ! Souvenons-
nous ainsi des commentaires inquiets d’une grande partie des médias quand
Sandrine Rousseau, la « candidate de la radicalité », a déjoué tous les
pronostics de la primaire des écologistes. On a entendu des éditorialistes
disserter sur la « radicalité » et « l’écoféminisme » comme des enfants
découvrant un jouet neuf. L’Express titrera même « Le camp de la
déraison » en établissant un parallélisme entre le « grand soir » promis par
Sandrine Rousseau et le « grand remplacement » annoncé par Éric
Zemmour. Placer sur le même plan la réalité avérée du dérèglement
climatique et les fantasmes égrenés par le polémiste, ça fait
incontestablement du buzz (et des ventes), mais ce n’est qu’un
rapprochement « paresseux, diffamatoire et faussement éclairant », comme
l’a impeccablement souligné Daniel Schneidermann dans Libération 77.
Quel que soit son avenir politique, Sandrine Rousseau se trouvait en
réalité en phase avec cette génération qui n’en peut plus des « petits pas ».
Une génération qui exige justement des dispositions « radicales » pour
répondre à l’urgence de la crise climatique et qui inscrit son combat dans un
tout qui va de la convergence des luttes pour la justice sociale et
environnementale aux mobilisations contre toutes les formes de racisme et
de discriminations, en passant par le féminisme et la désobéissance civile
non-violente. Une génération qui ne se reconnaît pas plus en Éric Zemmour
que dans les partis politiques traditionnels, qui ne se perd pas dans les
débats sans fin sur la laïcité, l’identité et l’immigration. Une génération qui
veut agir pour mettre fin au statu quo qui la conduit dans le mur, qui n’en
peut plus des « grands “circus” participatifs et citoyens se concluant en loi-
cataplasme, des montagnes accouchant d’une souris, des “grands débats” et
des “en même temps”, des fausses promesses de “sans filtre”, des
“concertations” en trompe-l’œil 78 »…
Cette vague montante, exaspérée par tant de mollesse et de cynisme,
consciente de l’urgence d’agir, se rebelle contre cet effondrement politique
qui s’accomplit sous ses yeux, et ne borne pas son horizon à une élection :
elle voit plus loin. En ces temps de noces entre la démocratie d’opinion et le
capitalisme, elle a compris que l’image est devenue un actif stratégique – à
l’instar de Greta Thunberg et de tous les désobéissants. Si l’émotion
mobilise et que la mobilisation fait peur à ceux qui la manipulaient
jusqu’alors, c’est la preuve que les puissants ont aussi leur talon d’Achille,
et que la bataille n’est pas perdue.
Cette radicalité-là n’a bien entendu rien à voir avec celle exprimée par
Éric Zemmour. Les rapprocher, c’est rendre service au second et porter une
lourde responsabilité dans l’entretien d’une confusion qui peut conduire au
pire. Si Éric Zemmour n’en finit pas de dire son « dernier mot » de livre en
livre, la « génération radicale », elle, est loin de l’avoir prononcé, et nous
finirons par nous habituer à son vocabulaire. Malheureusement, pour
l’heure, c’est la radicalité mortifère de l’essayiste qui submerge les débats, à
force d’exploiter les interrogations – légitimes – de ceux qui cherchent à
comprendre comment la France de leur enfance a pu dériver aussi
rapidement, comment tout ce qui faisait société et avait un sens dans leur
vie sociale et personnelle s’est dilué en l’espace de quelques décennies dans
une société devenue « liquide ».
Zemmour et le peuple
Éric Zemmour apprécie la politique de café de commerce, là où l’on se
lâche autour d’un verre en pestant contre l’air du temps. Dire tout haut ce
que « le peuple » pense tout bas est sa spécialité… Sauf qu’il fréquente bien
moins le peuple que les élites des beaux quartiers de Paris, où journalistes et
politiques vivent beaucoup dans l’entre-soi. Autant d’agapes et de
rencontres entre les 6e et 7e arrondissements, qui deviennent motifs à
portraits – le plus souvent à charge – et à règlements de comptes.
Dans cette galerie acrimonieuse, les journalistes Edwy Plenel et Jean-
Michel Aphatie, l’ancien ministre Jacques Toubon ou les historiens Patrick
Boucheron et Gérard Noiriel devraient s’honorer d’être ainsi détestés ! Ils
représentent à peu près tout ce que notre reporter mondain voudrait jeter
aux chiens. Ne va-t-il pas jusqu’à écrire : « La “mediapartisation des
esprits” est le cancer de notre République agonisante 79 » ? À qualifier
Jacques Toubon de « Zelig ridicule » qui aurait été sous la coupe de « petits
marquis de la bien-pensance et de militants de l’antiracisme, ou du
féminisme, ou du lobby gay qui régnaient en maître sur son emploi du
temps, comme sur ses déclarations et son esprit même 80 » ? À présenter
Patrick Boucheron comme « l’archétype de cette intelligentsia française
francophobe qui se couche aux pieds de l’étranger, surtout s’il vient du Sud,
comme un brave chien attendant la caresse ou la claque de son maître 81 » ?
La haine est une seconde souffrance – à tout le moins l’expression
d’une faille narcissique. Car cette galerie de portraits qui embrasse large –
de François Bayrou à Julien Dray, d’Alain Minc à Régis Debray, de Robert
Ménard à Xavier Bertrand, de Jean-Louis Borloo à Nicolas Dupont-Aignan,
de Marine Le Pen à Alain Madelin – n’a qu’un but : servir l’ego (de taille
respectable) du portraitiste aux dépens de son sujet… En témoigne cette
conversation téléphonique surréaliste avec Emmanuel Macron :
«– Je lui dis “France”, il me dit “minorité de racailles”.
– Il me dit que les seuls ennemis sont les salafistes, je lui dis que les
salafistes ne sont que la pointe émergée de l’iceberg, que la question
cardinale est le nombre, qu’il faut arrêter l’immigration.
– Je lui dis : “J’ai un plan si vous voulez.” Il me coupe : “Ça
m’intéresse” 82. »
Si ce dialogue est authentique (en tout cas, Emmanuel Macron ne l’a
toujours pas démenti), il en dit long sur le cynisme du jeune Rastignac au
regard de classe qui nous dirige sans autre boussole que l’air du temps, prêt
à pactiser avec le diable pour satisfaire sa conquête désespérée de ce qui
pourrait lui apporter les voix de la droite, y compris la plus dure, en 2022.
Zemmour chroniqueur des beaux quartiers et conseiller du prince : nous
sommes loin du peuple qu’il prétend incarner. Mais, au fait, de quel peuple
parle-t-il ? Des Gilets jaunes « vilipendés, brocardés, insultés, traités de
demeurés, d’abrutis, de fainéants, voire de cocus […] par la bourgeoisie des
métropoles [qui] ne jure que par l’Europe et le vaste monde et qui méprise
et déteste la France périphérique 83 » ? Du mâle blanc, Français de souche,
catholique de préférence, marié et à la tête d’une famille nombreuse ? Si la
femme est au foyer, à élever ses enfants, c’est encore mieux.
Mais que représente réellement cette famille idéalisée ? Si vous
« gommez » les millions de Français d’origine étrangère, de confession
musulmane, les domiens à la couleur de peau non blanche, les
homosexuels, lesbiennes, transgenres, les mères divorcées élevant seules
leurs enfants, les femmes voilées, les « sans-couilles » dominés par leurs
compagnes, les bobos des grandes villes, la « bourgeoisie des métropoles »,
la « racaille des banlieues », les assistés et les chômeurs-qui-ne-veulent-pas-
travailler… – bref, le bestiaire habituel croisé dans les livres d’Éric
Zemmour –, il ne reste plus grand monde d’acceptable dans cette France
réduite aux couples catholiques blancs vivant selon une stricte morale
hétérosexuelle !
Éloge du désordre
Défendre pied à pied une société ouverte, plurielle et multiculturelle
contre le projet de société fermée, monolithique et monochrome d’Éric
Zemmour, c’est refuser la guerre civile communautariste larvée qu’il veut
nous imposer. C’est surtout se donner la possibilité de mener de front la
bataille pour le climat et celle contre toutes les injustices. Car il ne peut y
avoir de transformation écologique fondée sur la justice sociale dans une
France où la haine des autres – qui n’est jamais loin de la haine de soi – est
érigée en principe. On ne change pas le monde dans un pays transformé en
prison où règne l’ordre. Pour démanteler cette société si bien « ordonnée »,
il faut introduire le « désordre » de Montaigne, selon lequel « chaque
homme porte la forme entière de l’humaine condition » – quitte à être
accusé de subversion en ces temps d’exaltation des passions tristes, dont
Éric Zemmour est le premier bénéficiaire.
Finalement, l’essayiste a raison malgré lui quand il conclut, ironique,
son chapitre censé illustrer le grand remplacement à l’œuvre : « La Seine-
Saint-Denis est l’avenir de la France » ! Il devrait méditer cette réflexion
d’Umberto Eco : « L’Europe sera un continent multiracial ou, si vous
préférez, “coloré”. Et ce sera comme ça, que cela vous plaise ou non 91. »
Fabriquer du commun
La fabrication du commun répond à la crise sociale et écologique.
Partout dans le monde, des mouvements contestent l’appropriation par une
petite oligarchie des ressources naturelles, des espaces et des services
publics, des connaissances et des réseaux de communication. Ces luttes
élèvent toutes une même exigence, reposent toutes sur un même principe :
le commun. Les chercheurs Pierre Dardot et Christian Laval 97 ont démontré
que ce principe peut devenir le nouvel horizon de l’écologie politique et de
tous ceux qui veulent changer le système. Il retrouve le principe ancestral
du partage communautaire de la Terre que l’on voit se développer de plus
en plus en plus dans les écolieux. C’est le retour aux « communs » – que le
mouvement des « enclosures » anglais avait supprimé – tels que les
pâturages, les forêts, les étangs, les rivières. Avec Internet, on a assisté à
l’émergence d’une logique de communs numériques, tels Wikipédia ou
Linux, en parallèle du développement de l’économie collaborative et de
partage.
Le commun ne se résume pas aux biens communs mondiaux, qui le
seraient par nature, comme l’eau, l’air, la mer, la culture, l’éducation, les
connaissances scientifiques, Internet. Ce qui doit être mis en commun, c’est
l’accès à des conditions, à des services, à des institutions, qu’il s’agit de
créer ou de garantir comme autant de droits fondamentaux : santé,
éducation, alimentation, logement, travail. Dans tous ces domaines, la
confrontation entre la logique de marché et celle des communs est aussi
féroce qu’indépassable.
Cette bataille ne peut se mener à l’échelle nationale, elle est d’emblée
planétaire : on n’arrête pas la pollution et la destruction de la couche
d’ozone, le chômage et les délocalisations, les guerres et le terrorisme, la
financiarisation et les paradis fiscaux à la frontière des États-nations, mais
dans une fédération des communs à l’échelle du monde, en partant des
initiatives locales, régionales, européennes comme africaines, asiatiques ou
latino-américaines. Les communs se construisent par la coopération, la
mutualisation et le partage. Autant de valeurs étrangères à la logique d’Éric
Zemmour et des siens, individualiste, passéiste et régressive.
Émancipation !
Longtemps, le débat stratégique entre ceux qui aspirent à changer le
monde s’est limité au choix existentiel entre deux options : réforme ou
révolution. Le changement social se confondait avec la révolution, la
radicalité passait par la rupture, la rupture par l’insurrection, les petits
matins par le Grand Soir… L’histoire retombait sur ses pieds, avançant
résolument vers un « progrès » infini. Le mirage s’est évanoui et l’histoire a
tranché. Aujourd’hui, passer d’un monde à l’autre, c’est refuser de souffrir
plus longtemps des dégâts humains et environnementaux du productivisme
et de la croissance à tout prix. C’est s’en prendre de manière « radicale » au
système, comme l’exige la jeunesse, marche après marche, et c’est
s’adresser en priorité aux millions de laissés-pour-compte qui n’ont plus la
force de se battre. Comment ? En partant de la spécificité des nouveaux
mouvements sociaux, qui ne se battent plus seulement contre leur
exploitation.
Le bloc écologique et social que nous appelons de nos vœux doit avoir
pour principal objectif de défendre l’humanité face aux dangers qui
menacent son existence. À commencer par le dérèglement climatique. Et se
constituer hors de la domination d’une classe représentée par un ou
plusieurs partis. Ce bloc de l’émancipation écologique et sociale ne peut se
réduire à un accord d’appareils (on en a vu les limites). C’est à partir du
mouvement social que pourra se construire une alliance dans laquelle les
courants politiques prendront leur place. En fait, il s’agit d’inverser la
pyramide pour laisser toute sa place à la société mobilisée, la seule en
mesure de redonner sens à des vieux partis politiques en décomposition et à
pouvoir exiger une écologie de transformation sans laquelle nous ne
pourrons provoquer la « grande bifurcation » du système.
La crise du politique est une crise de la démocratie que résume bien
l’expression « on ne croit plus en rien ». Ne plus croire en rien, c’est ne plus
croire en l’avenir. Les partis sont en crise parce qu’ils ne savent plus
proposer un avenir.
Notre pays ressemble aujourd’hui à un grand village « Potemkine », où
tout est faux-semblant et paraît organisé pour masquer la réalité sociale.
Derrière le décor des médias et des discours politiques colonisés par la
question identitaire se cache la réalité : le basculement dans la précarité et la
misère sociale et culturelle de millions de Français exclus d’une scène
publique qui les ignore. On pose un voile sur le retrait massif d’une
population ayant choisi les sentiers de la désaffiliation civique, de
l’abstention massive ou du vote pour l’extrême droite. Cette même
population qui peut maintenant être séduite par les discours obsessionnels
d’Éric Zemmour.
Dans ces conditions, il n’est pas question d’abandonner ce qui est
aujourd’hui la scène principale de la confrontation politique : la
communication. Il ne faut pas laisser les marchands de peur, les esclaves du
fait divers et les zélotes de la croissance dopée au nucléaire occuper
l’espace audiovisuel. Pour gagner la bataille des médias, il faut les penser
comme un champ autonome de la politique, un théâtre d’ombres qui
possède ses propres règles que nous devons apprendre à maîtriser. Il faut
donc cesser d’opposer les réseaux sociaux aux grands médias audiovisuels
ou à la presse, les médias alternatifs aux pieds nus et les grands groupes
privés. Les exemples de Mediapart, de Bastamag, de Reporterre, des Jours,
d’AOC, de The Conversation, du Vent se lève, du Un, de Lundi matin etc.
montrent qu’il est possible de s’adresser au plus grand nombre en
considérant que le journalisme reste un sport de combat au service de la
connaissance, de la justice et de l’émancipation… Et, accessoirement, en
mesure de porter la contradiction à Zemmour et à ses épigones !
Un nouvel horizon
Éric Zemmour profite de l’agonie des partis politiques de l’ère
industrielle – PCF, Parti socialiste, Les Républicains – comme Emmanuel
Macron avant lui a occupé un terrain laissé en jachère. Cette agonie est
inscrite dans l’agenda politique. Mais, en politique, les agonies peuvent
durer longtemps, sauvées provisoirement par les apparences. Pourtant, le
processus est entamé, irrévocablement. Son dénouement se produira à
chaud et non à froid. La réalité que nous vivons – des marches pour le
climat aux Gilets jaunes, des ZAD à l’écoféminisme, des assemblées
citoyennes aux coopératives – prouve que la recomposition ne s’accomplit
plus dans l’espace clos du champ politique actuel, mais dans la société
mobilisée. Celle-ci doit maintenant trouver la capacité de peser sur les
décisions pour revitaliser des fonctions politiques autres qu’électorales,
réinventer notre système de représentation en crise et, surtout, redonner du
sens à ce qui est notre destin commun.
Il est donc urgent de proposer un nouvel horizon et de réenclencher le
désir d’utopie concrète chez ceux qui se sentent de plus en plus vulnérables
face à la crise sociale et écologique. Lorsque les socialistes utopistes et
libertaires et les penseurs de l’écologie rêvaient du monde futur, ils
produisaient des utopies réalisables. Celles-ci pouvaient déboucher sur des
échecs, mais elles ont contribué à dessiner la perspective d’une société
fondée sur la coopération, le mutualisme, l’entraide… Autant de valeurs
cardinales du projet écologiste – sans doute l’un des seuls aujourd’hui en
mesure de ranimer la flamme de l’espérance dans une société qui doute
d’elle-même.
Ce qui nous manque, pour en finir avec Éric Zemmour et sa rhétorique
nauséeuse, et pour redonner confiance à celles et ceux qui ne croient plus à
rien, c’est un grand récit collectif alternatif, condition de la production d’un
nouvel imaginaire accessible à tous. Une génération se lève, indignée par
les injustices et les inégalités. Elle est en train de dessiner les contours d’un
autre monde et de donner consistance à ce récit alternatif. Les discours
souverainistes et les marchands de peur ne résisteront pas à cette vague
montante. Comme tant d’autres avant lui, Zemmour finira sans doute dans
les poubelles de l’histoire. Après avoir été loué et porté au pinacle politique,
il sera lâché, puis lynché par ceux-là mêmes qui l’ont fait roi pour mieux
effacer les traces de leur responsabilité. Mais l’urgence est au réveil des
endormis et à la révolte des rebelles qui sommeillent en chacun de nous. No
pasaran !
Octobre 2021
1. Noël Mamère et Patrick Farbiaz, Contre Zemmour. Réponse au Suicide français, Les petits
matins, 2014.
2. Éric Zemmour, La France n’a pas dit son dernier mot, Rubempré, 2021.
1. Shoshana Zuboff, L’Âge du capitalisme de surveillance, Zulma, 2020.
2. Zetkin Collective, Fascisme fossile. L’extrême droite, l’énergie, le climat, La Fabrique, 2020.
3. François Sureau, « Sans la liberté », Contrepoints, 1er novembre 2019.
4. Lenaïg Bredoux et Mathieu Dejean, « “Woke” : la diversion réactionnaire », Mediapart,
15 octobre 2021.
5. Ibid.
6. David Perrotin, « Enquête ouverte après des propos racistes au sein de l’École nationale de la
magistrature », Mediapart, 22 avril 2021.
7. Sébastien Bourdon, Justine Brabant et Matthieu Suc, « Une filière néonazie au sein de
l’armée française », Mediapart, 16 mars 2021.
8. Rapport annuel de la CNCDH, 18 juin 2020.
9. « L’ordre et la force, enquête sur l’usage de la force par les représentants de la loi en
France », rapport de l’Acat, 2016.
1. Guy Sorman, La Révolution conservatrice américaine, Fayard, 1983, p.41.
2. Ugo Palheta, La Possibilité du fascisme, La Découverte, 2018.
3. Daniel Lindenberg, Le Rappel à l’ordre. Enquête sur les nouveaux réactionnaires, Seuil,
2002.
4. Daniel Lindenberg, « Une révolution conservatrice qui avance à visage découvert », Le
Monde, 15 janvier 2016.
5. Julien Rebucci, « Patrick Buisson veut convaincre de Villiers ou Zemmour de se présenter en
2017 », Les Inrocks, 4 novembre 2015.
6. Patrick Buisson, La Cause du peuple, Perrin, 2016.
7. Geoffroy Lejeune, Une élection ordinaire. Politique-fiction, Ring, 2015.
8. Alexandre Devecchio, Recomposition, Le Cerf, 2019.
9. Voir Ariane Chebel d’Appollonia, L’Extrême Droite en France de Maurras à Le Pen,
Complexe, 1987.
10. Ico Maly (propos recueillis par Thomas Miessen), « L’anti-démocratie digitale : l’extrême
droite 2.0 », Démocratie, no 4, avril 2021.
11. Daniel Lindenberg, Le Rappel à l’ordre, op.cit.
12. Samuel Huntington, Le Choc des civilisations, Odile Jacob, 1997.
13. Francis Fukuyama, La Fin de l’histoire et le dernier homme, Champs Essais, 2009 [article
original, 1989 ; livre original, 1992].
1. Dominique Albertini et David Doucet, La Fachosphère. Comment l’extrême droite remporte
la bataille du net, Flammarion, 2016, p. 21.
2. Lilian Thuram, La Pensée blanche, Éditions Philippe Rey, 2020.
3. Gérard Noiriel, Le Venin dans la plume. Édouard Drumont, Éric Zemmour et la part sombre
de la République, La Découverte, 2019.
4. Nicolas Chemla, Anthropologie du boubour. Bienvenue dans le monde bourgeois-bourrin,
Lemieux Éditeur, 2016. Selon cet auteur, le « boubour » affiche son hostilité à la culture bobo
par un rejet des valeurs de justice sociale, de mixité sociale et de protection de l’environnement.
1. Éric Zemmour, Destin français. Quand l’histoire se venge, Albin Michel, 2018.
2. Edwy Plenel, À gauche de l’impossible, La Découverte, 2021.
3. Éric Zemmour, La France n’a pas dit son dernier mot, op. cit., p.265.
4. Le Bûcher des vaniteux I et II, Albin Michel, 2012 ; Z comme Zemmour, Le Cherche-Midi,
2011.
5. Avant ceux que nous avons cités ici : Le Premier Sexe, Denoël, 2010 ; Mélancolie française,
Fayard/Denoël, 2010.
6. Sur RTL le 23 mai 2012.
7. Éric Zemmour, Le Suicide français, op. cit., p. 383.
8. Éric Zemmour, La France n’a pas dit son dernier mot, op. cit., p.180-181. 37. Ibid., p. 240.
9. Ibid., p. 240.
10. Dans La Vie des idées, 19 mai 2016.
11. Laurent Joly, L’État contre les Juifs. Vichy, les nazis et la persécution antisémite, Grasset,
2018.
12. Éric Zemmour, La France n’a pas dit son dernier mot, op. cit., p.293.
13. Marc Bloch, L’Étrange Défaite, Folio, 1990.
14. Hannah Arendt, Responsabilité et jugement, Payot, 2005.
15. Éric Zemmour, La France n’a pas dit son dernier mot, op. cit., p.54-60.
16. Michel Slitinsky, L’Affaire Papon, Éditions Alain Moreau, 1983.
17. Éric Zemmour, La France n’a pas dit son dernier mot, op. cit., p.59-60.
18. Serge et Arno Klarsfeld, « Les Juifs doivent se tenir à l’écart de l’extrême droite », Le
Monde, 11 juillet 2021.
19. Éric Zemmour, La France n’a pas dit son dernier mot, op. cit.
20. Ibid., p. 151-152.
21. Ariane Chemin, « Samuel Sandler : “Deux ou trois choses que je voudrais dire à Éric
Zemmour” », Le Monde, 21 septembre 2021.
22. Éric Zemmour, La France n’a pas dit son dernier mot, op. cit., p.40.
23. Ibid., p. 336.
24. Ibid., p. 337.
25. Ibid., p. 214-215.
26. Ibid., p. 104.
27. Ibid., p. 106.
28. Monarchiste catholique traditionaliste, Jean Raspail est l’un des fondateurs, en 1973, du
Parti des forces nouvelles. Plus tard, il rejoindra le Comité national Jeanne d’Arc, une branche
de la nébuleuse du Front national.
29. Éric Zemmour, La France n’a pas dit son dernier mot, op. cit., p.73.
30. Ibid., p. 185.
31. Ibid., p. 142.
32. Ibid., p. 143.
33. Ibid., p. 299.
34. Ibid., p. 63.
35. François Héran, Migrations et sociétés, « Leçons inaugurales du Collège de France »,
Fayard, 2018.
36. Hervé Le Bras, « Les adeptes de la théorie du “grand remplacement” semblent suivre la
trace des totalitarismes du XXe siècle », Le Monde, 3 octobre 2021.
37. Éric Zemmour, La France n’a pas dit son dernier mot, op. cit., p.65.
38. Citation de René Girard, ibid., p. 312.
39. Ibid., p. 12.
40. Éric Zemmour, La France n’a pas dit son dernier mot, op. cit., p.274.
41. Ibid., p. 32.
42. Ibid., p. 325.
43. Ibid., p. 302.
44. Ibid., p. 76.
45. Mohamed Mechmache et Marie-Hélène Bacqué, « Pouvoir d’agir », rapport au ministre
délégué à la Ville sur la participation citoyenne, 2013.
46. Cité par Julia Pascual, « La France est loin d’être “envahie”, même si l’immigration
progresse », Le Monde, 16 octobre 2021.
47. Éric Zemmour, La France n’a pas dit son dernier mot, op. cit., p.212-213.
48. Ibid.
49. Hervé Le Bras, Le Monde, op. cit.
50. Éric Zemmour, La France n’a pas dit son dernier mot, op. cit., p.24.
51. Édouard Glissant, Traité du Tout-Monde, Gallimard, 1997.
52. Éric Zemmour, La France n’a pas dit son dernier mot, op. cit., p.24.
53. Ibid., p. 138.
54. Ibid., p. 139.
55. Éric Zemmour, Le Premier Sexe, op. cit.
56. Françoise d’Eaubonne, Le Féminisme ou la mort, Le passager clandestin, 2020 [1974].
57. Éric Zemmour, La France n’a pas dit son dernier mot, op. cit., p.19.
58. Ibid., p. 166.
59. Ibid., p. 165.
60. Ibid., p. 167.
61. Ibid. p. 169.
62. Neuf ans avant la loi promulguant le mariage pour tous, Noël Mamère, alors maire de
Bègles (Gironde), célébrait ce mariage dans sa mairie [note de l’éditrice].
63. Éric Zemmour, La France n’a pas dit son dernier mot, op. cit., p.7.
64. Luc Ferry et Alain Renault, La Pensée 68. Essai sur l’antihumanisme contemporain,
Gallimard, 1985.
65. Éric Zemmour, La France n’a pas dit son dernier mot, op. cit., p.202. 94. Ibid., p. 203.
66. Ibid., p. 203.
67. Henri Mendras, La Fin des paysans, Actes Sud, 1992.
68. Bernard Charbonneau, Tristes Campagnes, Denoël. 1973.
69. Éric Zemmour, La France n’a pas dit son dernier mot, op. cit., p.342.
70. Élisée Reclus est aussi l’auteur du célèbre L’Homme et la Terre, encyclopédie en huit
volumes publiée de façon posthume entre 1905 et 1908.
71. Éric Zemmour, La France n’a pas dit son dernier mot, op. cit., p.10.
72. Ibid. p. 87.
73. Ibid., p. 41-42.
74. Zygmunt Bauman, dans L’Âge de la régression. Pourquoi nous vivons un tournant
historique (collectif), Premier Parallèle, 2017.
75. Éric Zemmour, La France n’a pas dit son dernier mot, op. cit., p.118.
76. Cité par Nicolas Truong, « Le “vivant”, un concept qui gagne en popularité dans la
philosophie et les combats écologiques », Le Monde, 22 septembre 2021.
77. Daniel Schneidermann, « Sandrine Rousseau, la dérangeante », Libération,
27 septembre 2021.
78. Ibid.
79. Éric Zemmour, La France n’a pas dit son dernier mot, op. cit., p.19.
80. Ibid., p. 187.
81. Ibid., p. 246.
82. Ibid., p. 318 à 323.
83. Ibid., p. 281-282.
84. Pierre Clastres, La Société contre l’État, Minuit, 2011 [1974].
85. Éric Zemmour, La France n’a pas dit son dernier mot, op. cit., p.272.
86. Bernard Charbonneau, Tristes Campagnes, op. cit.
87. Éric Zemmour, La France n’a pas dit son dernier mot, op. cit., p.229.
88. Ibid., p. 231.
89. Ibid., p. 339.
90. Zygmunt Bauman, Le Présent liquide. Peurs sociales et obsession sécuritaire, Seuil, 2007.
91. Umberto Eco, Cinq questions de morale, Grasset. 2000.
92. Cécile Alduy et Stéphane Wahnich, Marine Le Pen prise aux mots. Décryptage du nouveau
discours frontiste, Seuil, 2015.
93. Alain Policar, « Éric Zemmour : une histoire française », The Conversation,
10 octobre 2021.
94. Selon une enquête du Credoc d’octobre 2021.
95. Fatih Birhol, directeur de l’AIE, à propos du « World Energy Outlook » (WEO), « Notre
trajectoire est inquiétante », Le Monde, 14 octobre 2021.
96. Cornelius Castoriadis, Une société à la dérive, Points, 2011 [Seuil, 2005].
e
97. Pierre Dardot et Christian Laval, Commun. Essai sur la révolution au XXI siècle, La
Découverte, 2014.