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Introduction au Droit

La vie en société met très souvent en présence des volontés humaines


contradictoires. Pour faciliter la coexistence entre les hommes, assurer la paix
entre eux et donc résoudre ces contradictions, la société crée des normes ou
règles de conduite qui ont pour objet de limiter la liberté de l'homme. Ces règles
permettent, ainsi, l'organisation au sein des membres de la communauté.
L'ensemble de ces règles de conduite constitue le Droit.
Il faut, cependant, relever, dès le départ, que l'expression Droit désigne deux
sens profondément différents :
- Dans un premier sens, le Droit est conçu d’abord comme un moyen
d’organisation de la vie en société, c’est-à-dire qu’il est constitué par l’ensemble
des règles de conduite applicables aux personnes dans une société donnée à
un moment donné. On l'appelle alors Droit Objectif ‫القانون‬. Le Droit est ainsi
défini à partir de son objet, c'est-à-dire, l'organisation de la vie sociale. Il
comporte plusieurs disciplines de droit telles que droit civil 1, le droit pénal2, le
droit commercial3, le droit du travail4, le droit judiciaire privé5…
- Dans un second sens, « le droit  ‫ »الحق‬ou plutôt « les droits  ‫»الحقوق‬
seraient l'ensemble des prérogatives reconnues par la société aux hommes et

1
Le droit civil est une branche du droit qu’on peut définir sommairement comme celle qui a pour objet la
réglementation des rapports de droit privé, c’est-à-dire des droits que les particuliers peuvent exercer dans
leurs rapports entre eux et des obligations réciproques pesant sur eux. En droit tunisien, la majorité des lois
se rapportant au Droit civil est réunie dans plusieurs Codes tel que le Code des Obligations et des contrats
(C.O.C.), le Code du Statut Personnel (C.S.P.), le Code des Droits Réels (C.D.R.)…
Le droit civil fait partie de la branche du Droit privé qui se compose d’un ensemble de règles qui gouvernent
les rapports des particuliers entre eux ou avec les collectivités privées, telles que les sociétés ou les
associations. On l’oppose généralement au Droit public qui comprend l’ensemble des règles qui, dans un Etat
donné président à l’organisation même de cet Etat et de celles qui gouvernent les rapports de l’Etat et de ses
agents avec les particuliers.
2
Le droit pénal est l’ensemble des règles juridiques qui déterminent les faits que le législateur considère
comme des infractions et les sanctions qui découlent de la commission de ces infractions.
3
Le droit commercial est le droit applicable aux personnes qui ont la qualité de commerçant et aux opérations
juridiques constituant des actes de commerce.
4
Le droit du travail regroupe les règles relatives aux rapports entre les chefs d’entreprise et leurs salariés.
5
Le droit judiciaire privé est l’ensemble des règles qui président à l’organisation judiciaire, à savoir de
déterminer la procédure et la manière de faire valoir et de défendre les droits devant la justice. Il est régi en
droit tunisien par le Code de Procédures Civiles et Commerciales (C.P.C.C.).
dont ils peuvent se prévaloir dans leurs relations avec les autres ; par
exemple le droit de propriété, le droit de créance, le droit à l'intégrité physique,
le droit au mariage, le droit au travail… Le Droit est ici défini à partir des sujets
auxquels il s'applique, c'est-à-dire les sujets de droits ou encore les titulaires de
droits ‫أص حاب الحق‬. Il est alors appelé droit subjectif. Les droits subjectifs
puisent leurs sources dans le Droit objectif qui a pour objet de les réglementer et
de le protéger.
On étudiera, donc, en première partie « le Droit objectif » et en deuxième partie
« les droits subjectifs ». On réservera, enfin, une troisième partie pour évoquer la
protection de ces droits à travers les moyens de preuve des droits subjectifs et
l’organisation judiciaire.
PREMIERE PARTIE

LE DROIT OBJECTIF

Le droit objectif désigne donc l'ensemble des règles de conduite sociale


régissant les rapports des hommes vivants dans une société donnée à une époque
donnée. Cette définition doit être approfondie par l'étude de la notion de droit
(CHAPITRE PREMIER) et de ses sources (CHAPITRE SECOND).

CHAPITRE PREMIER
LA NOTION DE DROIT

La règle de droit est une règle de conduite sociale c'est-à-dire qu'elle


s'adresse aux êtres vivants en société pour imposer à chaque individu de se
comporter d'une manière bien déterminée dans ses rapports avec les autres. Elle
lui dicte une conduite à suivre à chaque occasion de la vie sociale.
En effet, la règle juridique intervient pour :
- Obliger le sujet de droit à faire quelque chose, elle lui impose donc un
devoir comme par exemple de payer les impôts ou d'exécuter les
contrats,
- Pour lui interdire quelque chose. Elle formule ainsi une interdiction
comme celle de voler ou de tuer.
- Pour permettre à l'individu d'exercer un droit. C'est le cas du
propriétaire qui a le droit exclusif d'user de la chose, d'en jouir et d'en
disposer d'après l'article 17 du Code des Droits Réels.
- Pour déduire un résultat ou la conséquence d'un acte. C'est le cas
de la personne causant un dommage matériel ou moral à une autre
personne, est obligée de réparer le préjudice résultant de son fait (art.
82 et 83 du C.O.C.).

Cette nature de la règle de droit en tant que règle de conduite sociale entraîne les
résultats suivants :
- La règle de droit (comme la morale et l'usage) diffère d'un groupement à
un autre. En effet, certains actes ou faits sont permis dans certaines
sociétés alors qu'ils constituent une violation de la loi dans d'autres. A titre
d'exemple, l'adultère est une infraction pénale en droit tunisien alors qu'il
n'est qu'une faute justifiant la demande de divorce pour préjudice en droit
français.
- La règle de droit diffère, non seulement selon les civilisations, mais
également selon les époques dans le sens qu'elle n'est pas entendue de la
même manière à n'importe quel moment de l'histoire d'un groupement
humain. A titre d'exemple, la polygamie était permise avant la
promulgation du Code du Statut Personnel tunisien en 1956. La règle de
droit, tout comme la morale et l'usage, n'est donc pas éternelle.
Caractères de la règle de droit
La règle de droit est une règle abstraite, c'est-à-dire impersonnelle, qui
s’applique d’une manière générale. Elle est surtout obligatoire.

Le caractère abstrait

Dire que la règle de droit est abstraite signifie qu'elle ne vise pas les
individus dans leurs particularismes, mais s'intéresse aux situations
abstraites dans lesquelles les personnes peuvent se trouver. Aucune règle
juridique ne vise une personne particulièrement nommée. Elle édicte, par contre,
des dispositions appelées à être appliquées quelle que soit la personne qui s'y
trouve impliquée. A titre d'exemple, l'article 7 C.O.C. dispose que « Est majeur
aux effets de la présente loi, tout individu de sexe masculin ou féminin âgé de
dix-huit ans révolus ». Cette loi est abstraite dans le sens qu'elle ne s'adresse pas
à une personne individuellement nommée, mais à une personne quelconque
qui se trouve dans une situation objective déterminée, à savoir le fait pour
n'importe quelle personne d’atteindre l'âge de dix-huit ans révolus.
Ainsi, le caractère abstrait de la règle de droit intervient au moment de la
création et la formulation de cette règle. Cette formulation doit comporter
deux éléments : L'hypothèse et La solution.

L'hypothèse constitue les conditions d'application de la règle de droit ou


encore le sujet ou la question que le législateur se propose de régir dans ce
texte.

La solution présente les dispositions de la loi, c'est-à-dire la manière avec


laquelle le législateur régit ou résout la question posée.
A titre d'exemple, dans l'article 7 du C.O.C précité, le législateur s’interroge sur
la situation de la personne, de sexe masculin ou féminin, ayant atteint l'âge de 18
ans révolus : C’est l’hypothèse.

La solution est que le législateur considère cette personne majeure.

Pour prendre un autre exemple, on peut citer l'art. 240 C.O.C. (Code des
Obligations et des Contrats) qui dispose que « les obligations n'engagent que
ceux qui ont été parties à l'acte ; elles ne nuisent point au tiers et elle ne leur
profite que dans les cas exprimés par la loi ».
L'hypothèse : Quelles sont les personnes liées par les obligations qui naissent
d'un acte juridique ?
La Solution : Les obligations ne lient que les contractants. Elles n'ont pas
d'effets à l'égard des tiers sauf dans les cas prévus par la loi.

La solution contenue dans chaque règle de droit peut être soit proposée
soit imposée par le législateur, d’où la distinction entre les lois supplétives et
les lois impératives.

Les lois supplétives sont celles où le législateur permet aux personnes


intéressées de choisir entre la solution proposée dans le texte de loi et une autre
solution que les parties peuvent convenir par elles-mêmes selon leurs propres
intérêts.
Tel est le cas de l'article 595 du C.O.C. qui prévoit que « la délivrance doit se
faire au lieu où la chose vendue se trouvait au moment du contrat s'il n'en a été
autrement convenu ».
L'hypothèse : Où doit se faire la délivrance de la chose vendue si les parties
n’ont pas choisis un lieu déterminé pour la délivrance ?
La solution : La délivrance doit se faire au lieu où la chose vendue se trouvait
au moment de conclusion (de la formation) du contrat de vente.
S'agissant d'une question qui concerne, en premier lieu, les intérêts propres des
parties contractantes, le législateur leur laisse le soin de convenir eux-mêmes de
l'endroit qui répond à ces intérêts. Toutefois, le législateur ne manque pas de
proposer une solution à la question régie au cas où les parties omettraient ou
oublieraient de régler cette question dans leur contrat.
Ces règles s'appellent des règles supplétives parce qu'elles suppléent (se
substitue à…) la volonté des parties contractantes. Lorsqu'une question est
régie par une règle supplétive, les parties à un contrat peuvent, donc, écarter
la solution proposée par le législateur pour en choisir une qui convient
mieux à leurs intérêts.

Les lois impératives sont, par contre, celles où le législateur ne prévoit


qu'une seule solution à la question régie. Elle doit s'appliquer impérativement.
Il n'est, donc, pas permis aux personnes d'écarter cette solution pour en choisir
une autre. C’est le cas de l'article 31 de la loi du 1er août 1957 réglementant l'état
civil qui prévoit que « l'acte de mariage est conclu en Tunisie par-devant deux
notaires ou devant l'Officier de l'état civil en présence de deux témoins
honorables ».
L'hypothèse : Quelle est la forme requise pour la conclusion d'un acte de
mariage ?
La solution : L'acte de mariage doit être conclu devant deux notaires ou un
officier de l'état civil en présence de deux témoins honorables.
Ainsi, les futurs mariés ne peuvent pas convenir d'établir un acte de mariage
sans la présence des personnes exigées par cette loi ou de se marier par leur
simple accord verbal.
Les lois impératives sont également appelées, d'une façon générale, « lois
d'ordre public6 », parce que ces lois sont tellement indispensables au maintien
6
L’ordre public peut être sommairement défini comme étant l’ensemble des règles, principes et fondements,
de l'organisation sociale qu'elles s'imposent en toute hypothèse aux individus.

Le caractère général

La règle de droit est générale, c'est-à-dire qu'elle est destinée à régir non
un cas particulier, mais une série de cas semblables susceptibles de se présenter :
elle s'applique, indifféremment à tous ceux qui, présents et futurs, se
trouveront à un moment donné dans la situation que la règle a,
précisément, pour mission de régir. Ce caractère général constitue, donc, une
garantie de justice et d’égalité.

Toutefois, le nombre de personnes auxquelles la loi s'applique importe peu.


Il suffit qu'elle soit ouverte à tout le monde. Ainsi, certaines règles de droit ne
s'appliquent qu'à une catégorie de personnes bien déterminée selon un critère
social, professionnel… Ces règles demeurent générales puisqu'elles
s'appliquent à toutes les personnes qui appartiennent à la catégorie visée
par la règle de droit ou qui réunissent les conditions objectives exigées par
cette règle.
A titre d'exemple, les dispositions du Code de Commerce sont des dispositions
générales tout en n'étant applicables qu'aux seuls commerçants et aux actes de
commerce7.

Le caractère obligatoire

Pour assurer l’ordre et la sécurité dans la société, il faut que la règle de


droit soit obligatoire. Celui auquel la règle de droit s’applique doit donc s’y
conformer sinon il s’expose à une sanction.
Mais, l'usage de la contrainte étatique n'est pas aussi fréquent que cela puisse
écrits ou non, indispensables au bon fonctionnement des institutions nécessaires à la société.
7
Art. 1er du Code de commerce : «Le présent code s’applique aux commerçants et aux actes de commerce ». 
paraître. La règle de droit est généralement appliquée et respectée spontanément
soit parce qu’elle est jugée utile ou juste, soit par crainte de l’application de la
sanction. C'est l'éventualité de la sanction qui facilite parfois l'application d'une
règle de droit qui n'est pas spontanément admise.

Il peut arriver, cependant, que certaines lois restent non appliquées. C'est
le cas, notamment, des lois tombées en désuétude, c'est-à-dire celles dont
l'usage de la société a parfaitement ignoré. On peut citer par exemple l'article
317 du Code Pénal qui dispose que « sont passibles des mêmes peines (quinze
jours de prison et vingt francs d'amende) :1) ceux qui servent des boissons alcooliques

à des musulmans ou à des personnes en état d'ivresse ». Le fait que cette règle
n’ait pas reçu application ne veut pas dire qu’elle n'est pas obligatoire car le
législateur a bel et bien prévu une sanction. Toutefois, la société a choisi
d’ignorer cette règle et les autorités qui doivent la faire respecter sont
défaillants.

* La source de la sanction de la règle juridique est étatique, c’est-à-dire que ce


sont les pouvoirs publics qui, munis de la force publique, sont amenés à
appliquer la sanction si c’est nécessaire. Par ailleurs, quel que soit le degré ou la
forme de la sanction, l’action en justice constitue le moyen de sa mise en œuvre.

La nature de la sanction
La sanction afférente à la règle de droit peut avoir différentes sortes mais
avec un point commun à savoir la source étatique de cette sanction, c'est-à-dire
que ce sont les pouvoirs publics munis, si nécessaire, de la force publique qui
sont amenés à appliquer ces sanctions.
Quant aux différentes sortes de sanctions, il est naturel de penser en premier lieu

aux Sanctions Pénales qui évoquent l'idée de punition à l'égard d'un


individu coupable de violer les interdictions définies par le législateur en
commettant des contraventions, des délits ou des crimes. Ces sanctions pénales
peuvent atteindre, d'une manière sommaire, la personne condamnée soit dans sa
personne (peine de mort, emprisonnement) soit dans ses biens (amende,
confiscation de biens).
Les Sanctions peuvent également être Civiles telles que :
 La nullité : C'est la sanction qui vise l'acte juridique (par exemple, le
contrat) en cas de non-respect des conditions exigées par le législateur pour
la formation de cet acte.
 La résolution ou la résiliation : Ce sont les sanctions en cas de non-
exécution de l'acte juridique.
 La réparation en dommages-intérêts : en cas de commission d'une faute
intentionnelle (volontaire) ou non intentionnelle (involontaire) ayant causé un
dommage (matériel ou moral) à autrui.
Il est à remarquer que la sanction pénale et la sanction civile sont parfois
simultanément appliquées. Ainsi, le conducteur qui cause un accident de la
circulation pourra être non seulement emprisonné (si l’infraction commise est
punie par l’emprisonnement), mais devra également payer des dommages-
intérêts pour réparer le préjudice subi par la victime. C’est également le cas de la
personne qui contracte un deuxième mariage avant la dissolution du premier.
Elle sera susceptible d’une condamnation pénale (emprisonnement et/ou
amende) et verra son second mariage annulé (sanction civile).

Il existe aussi des Sanctions de nature Administrative réprimant les


agissements illégaux des fonctionnaires (le blâme, la suspension, la retenue de
traitement…) ou pour mettre en valeur les prérogatives reconnues à
l'administration lui permettant de faire prévaloir ses décisions.
Enfin, des Sanctions d'ordre Disciplinaire peuvent être appliquées aux
membres des groupements ou corps professionnels pour réprimer ceux dont les
actes sont susceptibles de porter préjudice aux intérêts communs8.

Questions
1°) Déterminez dans les règles juridiques suivantes :
- l'hypothèse et la solution.
- s’il s’agit de règles impératives ou supplétives.

Art. 82 C.O.C. : «Tout fait quelconque de l’homme qui, sans l’autorité de la loi, cause sciemment
et volontairement à autrui un dommage matériel ou moral, oblige son auteur à réparer le dommage
résultant de son fait, lorsqu’il est établi que ce fait en est la cause directe.
Toute stipulation contraire est sans effet ».
Art.741 C.O.C. : «Les frais de délivrance sont à la charge du bailleur.
Les frais d’actes sont à la charge de chacune des parties pour le titre qui lui est délivré ; ceux
d’enlèvement et de réception de la chose louée sont à la charge du preneur. Le tout sauf usage ou
stipulation contraire ».
Art.67 C.O.C. : «L’obligation sans cause ou fondée sur une cause illicite, est non avenue.
La cause est illicite quand elle est contraire aux bonnes mœurs, à l’ordre public ou à la loi ».
Art.30 C.S.P. : «Le divorce ne peut avoir lieu que par-devant le tribunal ».
Art.1141 C.O.C. : «Le mandant est tenu de fournir au mandataire les fonds et autres moyens
nécessaires pour l’exécution du mandat, s’il n’y a usage ou convention contraires ».
Art. 1252 C.O.C. : «Toute société doit avoir un but licite. Est nulle de plein droit, toute société
ayant un but contraire aux bonnes mœurs, à la loi ou à l’ordre public ». 
Art. 1107 C.O.C. : «Le mandat est nul :
a) s’il a un objet impossible ou trop indéterminé ;
b) s’il a pour objet des actes contraires à l’ordre public, aux bonnes mœurs ou aux lois civiles
ou religieuses ».
Art.3/1 de la loi n°87-30 du 12/06/1987 organisant les baux ruraux : «Nonobstant toute clause
contraire, la durée du bail d’un fonds à vocation agricole ne peut être inférieure à 3 ans
renouvelables».
Art. 22/1 de la loi relative à la concurrence et aux prix : «Le détaillant ou le prestataire de

8
Voir sur les sortes de sanctions juridiques A. WEILL et F. TERRE, op.cit., p.438-446.
service doit par voie de marquage, d’étiquetage, d’affichage ou par tout autre procédé approprié,
informer le consommateur sur les prix et les conditions et modalités particulières de vente».
2°) Selon l'article 42 de la Constitution tunisienne «  le Président de la République élu prête serment
devant l’ARP, en séance commune, le serment ci-après…». Cette règle est-elle abstraite ? est-elle
générale ?

CHAPITRE SECOND
LES SOURCES DU DROIT

Le terme source de droit est entendu comme étant les modes de création
du droit objectif. Il existe deux sortes de sources :
* Les sources matérielles : On vise ici toutes les données qui ont fait naître la
règle de droit. En d’autres termes, d’où est-ce que le droit puise-t-il sa matière ?
d’où s’est inspiré le législateur ?
Ces données peuvent être historiques, économiques, sociales, politiques,
religieuses... Le législateur prend en considération l’ensemble de ces facteurs
lors de l’élaboration de la règle de droit.
* Les sources formelles : On désigne par-là la forme sous laquelle naît la règle
de droit. Cette dernière, selon la majorité de la doctrine tunisienne 9, s’exprime
principalement sous trois formes : la loi, la coutume et la jurisprudence. Il faut
relever ici que ces trois sources n’ont pas la même valeur et ne sont pas sur le
même pied d’égalité. En effet, l’Etat joue un rôle essentiel dans le
développement économique, social et culturel. Pour assurer ce rôle, la loi
constitue le moyen par excellence qui permet à l’Etat d’intervenir dans ces
domaines. Par conséquent, la loi constitue la source principale (Section 1).
Quant à la coutume et la jurisprudence, elles ne constituent que des sources
secondaires (Section 2).

Section 1 La Loi

Avant d’étudier la loi en tant que source de droit, il faut en préciser le sens.
Or la loi peut avoir deux sens :
- Au sens formel ou strict du terme, la loi désigne tout texte juridique créé
par le pouvoir législatif.
- Au sens matériel ou large du mot loi, elle serait tout texte juridique
d’origine étatique. La loi comprendrait alors non seulement les textes
émanant du pouvoir législatif, mais également ceux qui émanent du
pouvoir exécutif, c’est-à-dire les décrets ou même les arrêtés.
C’est dans le sens large qu’on va étudier la loi, en précisant la hiérarchie des
textes (Sous-section-1), la durée de leur force obligatoire (Sous-section-2) et enfin
les conflits qui peuvent apparaître au moment de leur application (Sous-section-3).

9
M. CHARFI, M.K. CHARFEDDINE, S. MELLOULI.
Sous-section 1 La hiérarchie des lois

L’idée de base de la hiérarchie de la règle de droit est celle qui a été


établie par le philosophe autrichien Hans KELSEN selon laquelle les règles de
droit sont élaborées sous forme pyramidale, c’est-à-dire selon une hiérarchie où
chaque règle tient sa force obligatoire de son respect et de sa conformité à la
règle qui lui est supérieure. Ainsi, le décret doit être conforme à la loi qui doit
être elle-même conforme aux traités internationaux. Ceux-ci doivent, à leur tour,
se conformer à la Constitution qui constitue la norme suprême.
En droit tunisien, la hiérarchie des textes juridiques se présente comme suit :

La Loi au sens large


Constitution

Les traités
Internationaux

Les lois :(au sens strict)


Les lois référendaires
Les lois organiques
Les lois ordinaires
Les décrets lois

Les règlements
Les décrets
Les arrêtés
Les circulaires
1- LA CONSTITUTION :

La Constitution est la loi fondamentale du pays, celle qui occupe le plus haut
rang, celle dont toutes les autorités étatiques tirent leur légitimité. Elle détermine
les organes à qui elle donne le pouvoir de faire la loi. Elle régit l’organisation
politique du pays, définissant les divers pouvoirs, leurs fonctionnements et leurs
limites. Elle contient aussi des dispositions relatives aux libertés publiques et les
droits fondamentaux des citoyens.
En Tunisie, le premier texte important de ce genre fut le pacte fondamental
fait par Mohamed Bacha Bey le 10 septembre 1857. Ce n’était pas une
constitution. Il s’agissait d’un texte essentiellement destiné à rassurer les pays
étrangers quant à la sécurité de leurs ressortissants et des minorités
religieuses présentes en Tunisie. Il consacrait la non-discrimination entre les
habitants sur des bases religieuses, ethniques ou linguistiques10.
Le 21 avril 1861 fut déclarée la première constitution tunisienne sous le nom
de ‫قانون الدولة التونسية‬11.
Après l’indépendance, le peuple tunisien a élu, sur décret du Bey, une
assemblée constituante pour doter le royaume tunisien d’une constitution.
Le 25 juillet 1957, l’assemblée constituante aboli la monarchie et proclame la
10
Parmi les règles du pacte fondamental, on pouvait lire :
‫ة‬RR‫والهم المحرم‬RR‫ة وأم‬RR‫دانهم المكرم‬RR‫وان في أب‬RR‫نة واألل‬RR‫ان واأللس‬RR‫ا علي اختالف األدي‬RR‫كان إيالتن‬RR‫ا وس‬RR‫ائر رعيتن‬RR‫ان لس‬RR‫د األم‬RR‫ تأكي‬: ‫األولى‬
.‫وأعراضهم المحترمة إال بحق يوجبه نظر المجلس بالمشورة ويرفعه إلينا ولنا النظر في اإلمضاء أو التخفيف ما أمكن أو اإلذن بإعادة النظر‬
‫ه‬RR‫انون عن العظيم لعظمت‬RR‫ تساوي الناس في أصل قانون األداء المرتب أو ما يترتب وإن اختلف باختالف الكمية بحيث ال يسقط الق‬: ‫الثانية‬
.‫وال يحط عن الحقير لحقارته ويأتي بيانه موضحا‬
‫يره من‬OO‫انية ال بغ‬OO‫ف اإلنس‬OO‫ذلك بوص‬OO‫تحقاقه ل‬OO‫اف ألن اس‬OO‫تحقاق اإلنص‬OO‫ة في اس‬OO‫كان اإليال‬OO‫يره من س‬OO‫لم وغ‬OO‫وية بين المس‬OO‫ التس‬: ‫ة‬OO‫الثالث‬
.‫األوصاف والعدل في األرض هو الميزان المستوي يؤخذ به للمحق من المبطل وللضعيف من القوي‬
11
Au Chapitre 12 qui traite des droits et des devoirs des habitants du royaume tunisien, on peut lire :
‫انون‬RR‫ يجري حكم هذا الق‬.‫ سائر أهل المملكة علي اختالف األديان بين يدي الحكم سواء ال فضل ألحد علي آخر بوجه من الوجوه‬- 3 ‫الفصل‬
.‫علي أعلي الناس مع أدناهم من غير نظر لمقام وال لرياسة وقت الحكم‬
‫كرية‬RR‫ سائر سكان المملكة لهم حق التصرف في أنفسهم وأموالهم وال يجبر أحد منهم علي فعل شيء بغير إرادته إال الخدمة العس‬- 4 ‫الفصل‬
.‫علي قانونها وال توضع يد علي كسب ألحد بأي وجه إال لمصلحة عامة كتوسعة الطريق ونحوه بثمن المثل‬
république.
Le premier juin 1959 fut adopté la première constitution de la Tunisie
indépendante.
Le 23 octobre 2014, une assemblée constituante a été élue pour doter la
Tunisie d’une nouvelle constitution qui a vu le jour le 27 janvier 2014 donnant
naissance à une deuxième république.

2- LES TRAITES INTERNATIONAUX :


Il s’agit d’une sorte de contrat entre deux ou plusieurs pays et porte sur des
questions très diverses. On les appelle des Traités Internationaux lorsqu’ils
traitent des questions de droit public (paix, sécurité nationale, condition des
étrangers…). On les désigne également sous le terme de Conventions
Internationales lorsqu’elles traitent des questions relevant du droit privé
(commerce international, sociétés internationales, coopération judiciaire…).
L’article 92 de la constitution dispose que le chef du gouvernement conclut les
traités internationaux à caractère technique. Donc, les autres traités sont conclus
par le président de la République en tant représentant de l’Etat.
Sont soumis à l’approbation de l’Assemblée des représentants du peuple, les
traités commerciaux et ceux relatifs à l’organisation internationale, aux fron-
tières de l’État, aux engagements financiers de l’État, à l’état des personnes, ou
portant des dispositions à caractère législatif.
Le Président de la république ratifie les traités internationaux et ordonne leur pu-
blication. Les traités n’entrent en vigueur qu’après leur ratification.
Les conventions approuvées par le Parlement et ratifiées sont supérieures aux
lois et inférieures à la Constitution.
3- LES LOIS :

On parle ici des lois au sens strict ou formel (textes élaborés par le
pouvoir législatif) dont on peut distinguer trois formes :

-A- Les lois approuvées par référendum :


Ce sont des lois qui résultent de l’adoption par referendum 12 d’un projet
de loi important : le Président de la République soumet au peuple un projet de
loi et lui demande de se prononcer directement sur la question (par Oui ou par
Non).
Le recours au referendum est exceptionnel. Le Président de la République peut
décider de soumettre au référendum les projets de loi adoptés par l’Assemblée
des représentants du peuple relatifs à l’approbation des traités internationaux13,
aux libertés et droits de l’Homme ou au statut personnel.
Si le référendum aboutit à l’adoption du projet, le Président de la République le
promulgue et ordonne sa publication dans un délai n’excédant pas dix jours à
compter de la date de proclamation des résultats.

-B- Les lois organiques :


La loi organique est une forme de loi spécifique que doivent revêtir les
textes pris dans certains domaines importants cités dans l’article 65/2 de la
Constitution, à savoir :
- l’approbation des traités ;
- l’organisation de la justice et de la magistrature ;
- l’organisation de l’information, de la presse et de l’édition ;
- l’organisation des partis politiques, des syndicats, des associations, des organisations
et des ordres professionnels ainsi que leur financement ;
- l’organisation de l’Armée nationale ;
- l’organisation des forces de sécurité intérieure et de la douane ;
- la loi électorale ;

12
Procédure de vote permettant aux citoyens d'un pays de se prononcer sur un projet de loi ou sur un texte
constitutionnel proposé par le pouvoir exécutif.
13
Dans ce cas, le texte aura la valeur juridique des traités internationaux, donc au-dessus des lois.
- la prorogation du mandat de l’Assemblée des représentants du peuple conformément
auxdispositions de l’article 56 ;
- la prorogation du mandat présidentiel conformément aux dispositions de l’article 75 ;
- les libertés et les droits de l’Homme ;
- le statut personnel ;
- les devoirs fondamentaux de la citoyenneté ;
- le pouvoir local ;
- l'organisation des instances constitutionnelles ;
- la loi organique du budget.
Cette spécificité tient à la procédure d’examen des projets de lois organiques,
et ce à un double titre :
- Tout d’abord, le projet de loi organique ne peut être soumis à la
délibération de l’Assemblée des représentants du peuple qu’à l’expiration
d’un délai de quinze jours après son dépôt.
- Ensuite, l’Assemblée des représentants du peuple adopte le projet de loi
organique à la majorité absolue des membres14.

-C- Les lois ordinaires :


Les lois ordinaires interviennent dans des domaines non réservés à la loi
organique. Ces domaines sont définis dans l’article 65/1 de la constitution selon
lequel sont pris sous forme de loi ordinaire, les textes relatifs :
- à la création de catégories d’établissements publics et d’entreprises publiques ainsi
qu’aux
procédures de leur cession ;
- à la nationalité ;
- aux obligations civiles et commerciales ;
- aux procédures devant les différentes catégories de juridictions ;
- à la détermination des crimes et délits et aux peines qui leur sont applicables, ainsi
qu’aux
contraventions sanctionnées par une peine privative de liberté ;

14
La majorité absolue est égale à 50% plus une voix.
- à l’amnistie générale ;
- à la détermination de l’assiette des impôts et contributions, de leurs taux et des procé-
dures de leur recouvrement ;
- au régime d’émission de la monnaie ;
- aux emprunts et aux engagements financiers de l’État ;
- à la détermination des emplois supérieurs ;
- à la déclaration du patrimoine ;
- aux garanties fondamentales accordées aux fonctionnaires civils et militaires ;
- au régime de ratification des traités ;
- aux lois de finances, de règlement du budget et d’approbation des plans de dévelop-
pement;
- aux principes fondamentaux du régime de la propriété et des droits réels et de l’en-
seignement, de la recherche scientifique, de la culture, de la santé publique, de l’envi-
ronnement, de l’aménagement du territoire et de l’urbanisme, de l’énergie, du droit du
travail et de la sécurité sociale.
Les projets de lois ordinaires sont adoptés à la majorité15 des membres
présents, cette majorité ne devant pas être inférieure au tiers des membres de
l’ARP.

- Les Décrets-lois -

Les décrets lois interviennent dans un domaine légal (c’est-à-dire dans le


domaine réservé à la loi au sens formel), mais sont l'œuvre du Président de la
République ou du chef du gouvernement. Leur force exécutoire est
provisoire. Ils doivent être ratifiés par le pouvoir législatif. Lorsqu'un décret-loi
n'est pas ratifié pendant les délais prévus par la constitution, il devient caduc.
Ainsi, l’article 70 de la constitution dispose qu’en cas de dissolution de l’As-
semblée des représentants du peuple, le Président de la République peut prendre,

15
Il s’agit là de la majorité simple. Par exemple, si un projet de loi reçoit l’approbation de 40% des membres
présents, l’opposition de 30 % et l’abstention de 20 % des membres, ce projet sera adopté à condition que les
40 % ayant accepté ce projet ne soient pas inférieur au 1/3 des membres de l’ARP.
en accord avec le Chef du Gouvernement, des décrets lois qui seront soumis à
l’approbation de l’Assemblée au cours de la session ordinaire suivante.
L’Assemblée des représentants du peuple peut, au trois-cinquième de ses
membres, habiliter par une loi, le Chef du Gouvernement, pour une période ne
dépassant pas deux mois et, en vue d’un objectif déterminé, à prendre des dé-
crets lois, dans le domaine relevant de la loi. À l’expiration de cette période, ces
décrets lois sont soumis à l’approbation de l’Assemblée.
Le régime électoral est excepté du domaine des décrets lois.

4- LES REGLEMENTS :
Selon l’article 65/3 de la constitution, les matières autres que celles qui sont du
domaine de la loi relèvent du domaine du pouvoir réglementaire général, exercé
d’après l’article 94 par le chef du gouvernement.

-A- LES DECRETS :


Il s’agit de textes Pris par le Président de la République ou par le Chef du
gouvernement :
 Les décrets présidentiels :
 Ce ne sont pas des décrets à caractère règlementaire, mais
des décrets à caractère individuel. Ce ne sont donc pas des
règles juridiques.
 L’art. 78 de la Constitution fixe les cas dans lesquels ils sont
pris, on cite notamment : la nomination et la révocation du
mufti de la République Tunisienne, la nomination et la révo-
cation dans les hautes fonctions militaires et diplomatiques,
la nomination et la révocation, sur proposition du Chef du
gouvernement, du gouverneur de la Banque centrale…
 Les décrets gouvernementaux :
 Le chef du gouvernement peut prendre par application de
l’art. 94 de la Constitution deux sortes de décrets : des dé-
crets individuels, mais aussi des décrets à caractère règle-
mentaire. Ce sont ces derniers qui constituent des règles de
Droit.

-B- LES ARRETES :


Pris par des autorités administratives notamment les ministres, les conseils mu-
nicipaux et les conseils régionaux. Il existe, également, des arrêtés réglemen-
taires pris en vue de l'exécution de la loi et des arrêtés individuels.
Le Chef du Gouvernement vise les arrêtés à caractère réglementaire pris par les
ministres.

-C- LES CIRCULAIRES :


Ce sont des notes et des directives données par un ministre ou une autorité
compétente à ses services relativement à la manière d'appliquer la loi.

Sous-section 2 La force obligatoire de la loi

Afin d’assurer sa finalité, la loi doit être appliquée. Pour cela, elle doit
nécessairement acquérir une force obligatoire. Cette dernière commence à partir
de l’entrée en vigueur de la loi (-A-) et prend fin au moment de son abrogation (-
B-).

-A- L’entrée en vigueur de la loi :


La vigueur de la loi signifie la période durant laquelle la loi bénéficie du
caractère obligatoire qui la rend applicable. La loi entre en vigueur sous
certaines conditions(1) et à une date bien déterminée(2).

1- Les conditions de l’entrée en vigueur de la loi


L’entrée en vigueur de la loi résulte de sa promulgation et de sa publication.

- La Promulgation de la loi :

C’est une opération juridique par laquelle le Président de la République


constate la régularité de la procédure de l’élaboration de la loi. Il doit à cet effet
vérifier si l’ARP a voté régulièrement la loi dans le délai légal et avec la
majorité requise.
À l’exception des projets de loi constitutionnelle, le Président de la République
peut, en motivant sa décision, renvoyer le projet à l’Assemblée pour une se-
conde lecture, dans un délai de 5 jours à compter :
1. De l’expiration du délai de recours en inconstitutionnalité sans exercice
de ce dernier, conformément aux dispositions 1er tiret de l’article 12016 ;
2. Du prononcé d'une décision de constitutionnalité ou de la transmission
obligatoire du projet de loi au Président de la République, conformément

16
La Cour constitutionnelle est seule compétente pour contrôler la constitutionnalité :
- des projets de loi, sur demande du Président de la République, du Chef du Gouvernement ou de trente
membres de l’Assemblée des représentants du peuple. La Cour est saisie dans un délai maximum de
sept jours à compter de la date d’adoption du projet de loi ou de la date d’adoption du projet de loi
amendé, après renvoi par le Président de la République ;
aux dispositions du troisième paragraphe de l’article 12117, en cas de re-
cours au sens des dispositions du 1er tiret de l’article 120.
Les projets de loi ordinaire sont adoptés, après renvoi, à la majorité absolue des
membres de l’Assemblée, les projets de loi organique sont adoptés à la majorité
des trois-cinquième des membres.

Le Président de la République promulgue les lois et ordonne leur publication au


Journal officiel de la République tunisienne, dans un délai n’excédant pas
quatre jours à compter :
1. De l’expiration des délais de recours en inconstitutionnalité et de renvoi
sans que l’un d’eux ait été exercé ;
2. De l’expiration du délai de renvoi sans exercice de ce dernier, suite au
prononcé d'une décision de constitutionnalité ou dans le cas de transmis-
sion obligatoire du projet de loi au Président de la République conformé-
ment aux dispositions du troisième paragraphe de l’article 121 ;
3. De l’expiration du délai de recours en inconstitutionnalité d’un projet
de loi renvoyé par le Président de la République et adopté par l’Assem-
blée dans une version amendée ;
4. De l’adoption sans amendement par l’Assemblée en seconde lecture et
après renvoi, d’un projet de loi n’ayant pas fait l'objet d’un recours en in-
constitutionnalité à l'issue de la première adoption ou ayant été déclaré
conforme à la Constitution ou ayant été transmis obligatoirement au Pré-
sident de la République conformément aux dispositions du troisième para-
graphe de l’article 121 ;

17
Article 121 :
La Cour constitutionnelle rend sa décision à la majorité absolue de ses membres, dans un délai de quarante-cinq
jours, à compter de la date du recours en inconstitutionnalité.
La décision de la Cour déclare que les dispositions faisant l’objet du recours sont constitutionnelles ou inconsti-
tutionnelles. Ces décisions sont motivées et s’imposent à tous les pouvoirs. Elles sont publiées au Journal officiel
de la République tunisienne.
Si le délai mentionné au premier paragraphe expire sans que la Cour rende sa décision, elle est tenue de
transmettre sans délai le projet au Président de la République.
5. Du prononcé par la Cour d'une décision de constitutionnalité ou de la
transmission obligatoire du projet de loi au Président de la République
conformément aux dispositions du troisième paragraphe de l’article 121,
dans le cas où le projet a précédemment été renvoyé par le Président de la
République et a été adopté par l’Assemblée dans une version amendée.

- La Publication de la loi :

Il s’agit d’une opération grâce à laquelle le texte de loi est porté à la


connaissance du public. Selon le principe général de droit, « nul n’est censé
ignoré la loi », toute personne est présumée connaître la loi et ne peut donc
prétendre ni se prévaloir de l’ignorance pour éviter son application à son
égard18. Il faut, par conséquent, que la loi ait été portée à la connaissance de tout
le monde.

Cette publication est, officiellement, assurée par le Journal Officiel de la


République Tunisienne (J.O.R.T.) en langue arabe et française. Seulement, en
cas de contradiction des deux versions, c’est la version arabe qui prime parce
que c’est la langue officielle de l’Etat tunisien, mais aussi parce que c’est la
version originale avec laquelle le texte de loi a été élaboré alors que la version
française n’est qu’une traduction19.

1- La date d’entrée en vigueur de la loi

- En principe, la loi entre en vigueur 5 jours francs20 après le dépôt de la copie


du J.O.R.T. dans laquelle elle est insérée au siège du gouvernorat de Tunis21.
18
Art.545 C.O.C. : « Lorsque la loi a été publiée et que le délai fixé pour sa mise en exécution est écoulé,
l’ignorance de ladite loi n’excuse pas lorsqu’il s’agit d’un fait illicite ou de ce qui est notoire aux plus
illettrés ».
19
Art.1er de la loi 93-64 du 5 juillet 1993.
20
C’est-à-dire que le jour du dépôt n’est pas compté et la loi entre en vigueur à l’heure zéro du sixième jour.
21
Art.2 de la loi 93-64 du 5 juillet 1993.
- Exceptionnellement, le législateur peut parfois accélérer l’entrée en vigueur
de la loi ou la retarder :

- L’entrée en vigueur accélérée :

Lorsqu’il y a urgence, le texte de loi peut comporter une disposition expresse


d’exécution immédiate. La loi entre, alors, en vigueur sans attendre sa
publication au J.O.R.T. Dans ce cas, les médias (radio, télévision, journaux…)
constituent des moyens d’information efficaces et rapides22.

- L’entrée en vigueur retardée :

Lorsque la loi nouvelle apporte de grands changements, le législateur retarde


son entrée en vigueur dans le but de laisser aux personnes à qui s’adresse cette
loi le temps d’en prendre connaissance et d’accepter le contenu souvent
complexe des nouvelles dispositions. Le législateur prévoit alors, à travers une
disposition expresse, de retarder l’entrée en vigueur de la loi de quelques
semaines ou parfois même de quelques mois. C’est le cas du C.OC. promulgué
le 15 décembre 1906 et qui n’est entré en vigueur que le 1 er janvier 1907. C’est
également le cas du C.S.P. promulgué le 13 août 1956 et entré en vigueur le 1 er
janvier 195723.

-B- L’abrogation de la loi :

La loi est censée avoir une force obligatoire et être appliquée du jour où elle
entre en vigueur jusqu’au jour où une autre loi vient l’abroger 24. Pour saisir tous

22
Exemple, le décret 78-51 du 26 janvier 1978 interdisant les manifestations et la circulation dans la capitale et
ses banlieues.
23
Voir les décrets de promulgation de ces codes : (bas de page n°39).
24
On a précédemment souligné que pour les lois temporaires, il n’est pas besoin d’une nouvelle loi pour son
les aspects de l’abrogation, il faut répondre à trois questions :
1- Qui peut abroger une loi ?
2- Comment la loi est-elle abrogée ?
3- Quel est l'effet de l'abrogation de la loi ?

1- L’autorité compétente pour l’abrogation :


Deux principes déterminent l’autorité compétente pour l’abrogation d’une loi :

- le principe du parallélisme des formes25, selon lequel la règle de droit est


abrogée par la même autorité qui l’a élaborée. Par exemple, le Président de la
république, qui constitue l’autorité compétente pour émettre un décret peut
également l’abroger. Ou encore, une loi qui a été élaborée par l’ARP ne peut être
abrogée que par une autre loi.

- le principe de la hiérarchie des normes : en application du principe général


de droit cité par l’article 550 du C.O.C. qui dispose que « celui qui peut le plus
peut le moins », un texte juridique peut être abrogé par une autorité supérieure à
celle qui l’a élaborée. Par conséquent, si un décret peut être abrogé par un autre
décret, il peut également être abrogé par une loi émanant d’une autorité
supérieure.

2- Les formes d’abrogation de la loi :


D’après l’article 542 du C.O.C. « les lois ne sont abrogées que par des lois
postérieures, lorsque celles-ci l’expriment formellement, ou lorsque la nouvelle
loi est incompatible avec la loi antérieure ou quelle règle toute la matière réglée
par cette dernière ». L’abrogation peut prendre, alors, deux formes : expresse ou
tacite.

abrogation. Elles sont naturellement abrogées à l’expiration du délai d’application qui leur est fixé.
25
‫مبدأ توازي الصّيغ و األشكال‬
* L’abrogation expresse :
L’abrogation est dite expresse lorsque le législateur, en édictant une nouvelle loi,
exprime clairement sa volonté d’abroger une autre loi. Il fixe alors, dans le
texte même de la nouvelle loi, la portée de l’abrogation. Celle-ci peut porter sur
certaines dispositions particulières seulement, sur la loi entière ou même un
Code26.

* L’abrogation tacite : C’est le cas quand le législateur, à l’occasion de


la promulgation d’une nouvelle loi, ne déclare pas expressément qu’il entend
abroger une loi ancienne. Cette abrogation sera déduite, selon l’article 542 du
C.O.C., de deux cas :
- Quand il y a incompatibilité entre la loi nouvelle et la loi ancienne :
cela se réalise lorsqu’une loi ancienne et une loi nouvelle se contredisent.
Leur application simultanée est donc irréalisable27. Dans ce cas, c’est la
loi qui exprime la volonté la plus récente du législateur qui doit être
appliquée.
- Quand la loi nouvelle réglemente toute la matière de la loi ancienne
(abrogation par absorption). Dans ce cas, la loi ancienne n’a plus de
raison d’être. C’est donc la loi nouvelle qui doit être appliquée. En effet,
la volonté du législateur d’abroger la loi ancienne est évidente même si
elle n’a pas été exprimée clairement.
26
Art.2 de la loi 65-2 du 12 février 1965 relative à la promulgation du C.D.R. : « Sont abrogées, à compter de
la mise en vigueur dudit code, toutes dispositions contraires et notamment :
- La loi du 1er juillet 1885 sur propriété foncière…
- …les articles 5, 6, 9 et 10 du décret du 19 février 1957 portant réorganisation du tribunal
immobilier de Tunisie… ».
27
L’abrogation par incompatibilité suppose alors que les deux textes (ancien et nouveau) soient de même
nature (deux textes généraux ou deux textes spéciaux) et ils doivent également porter sur le même objet (par
exemple la vente).
Remarque : Si dans l’article 2 de la loi 65-2 relative à la promulgation du C.D.R. le législateur s’est contenté
de dire que sont abrogées toute dispositions contraires sans les citer nommément, il s’agirait quand
même d’une abrogation expresse parce que cette abrogation n’aurait pas été déduite de
l’incompatibilité de deux textes mais clairement prononcée par le législateur.
3- Les effets de l’abrogation de la loi :
L’abrogation constitue une mesure d’anéantissement pour l’avenir d’une
disposition législative. Par conséquent, la loi ancienne ne disparaît que pour
l’avenir (à partir du jour de l’entrée en vigueur de la loi nouvelle), mais reste
valable pour toute la période antérieure à son abrogation.
Questions
(Il faut répondre aux questions suivantes d’une manière directe.
Il ne s’agit nullement d’exposer des connaissances théoriques)
1) Quelle différence existe-t-il entre les décrets et les décrets-lois ?
2) Quel est le sens du principe selon lequel « nul n’est censé ignorer la loi » ?
3) Pourquoi considère-t-on que la loi nouvelle abroge tacitement la loi ancienne lorsqu’elle
contredit ou réglemente la matière de cette dernière ?
4) Peut-on considérer les lois désuètes (tombées en désuétude) comme tacitement abrogées ?

Sous-section 3 Les conflits de lois

Parce qu’elle doit répondre aux besoins d’un groupement donné, la règle
de droit diffère d’une société à une autre, et dans la même société d’une époque
à une autre. Cela engendre, au moment de l’application de la loi, certains
conflits. Lorsque ce conflit oppose deux lois relevant de deux systèmes
juridiques différents (relevant de deux Etats), il s’agit d’un conflit de lois dans
l’espace -A-. Si, par contre, les deux lois relèvent d’un même système juridique
(loi nouvelle et loi ancienne) il s’agit alors d’un conflit de loi dans le temps -B-.

-A- Le conflit de lois dans l’espace :

Il y a conflit de lois dans l’espace quand deux lois relevant de deux Etats
différents prétendent régir le même rapport de droit. Tel est le cas d’un algérien
marié à une française en Angleterre et résidant en Tunisie et qui veut intenter
une action en divorce devant le juge tunisien. Un allemand de passage en
Tunisie cause, suite à un accident de la circulation des dommages à un touriste
américain. Ou encore, un litige se rapportant à l’importation de marchandise
dans un navire portant pavillon vénézuélien loué par un exportateur allemand.
La question est de savoir quelle loi le juge tunisien doit-il appliquer ?
Ces questions sont régies par une branche spécifique de droit, à savoir le Droit
International Privé (D.I.P.) qui admet, dans certains cas, l’application par le juge
tunisien d’une loi étrangère. Sans entrer dans les détails des solutions apportées
par le D.I.P., on peut citer quelques solutions de principe :
- Le principe de la territorialité des lois  : il s’applique en matière de
statut réel, c’est-à-dire que les meubles et immeubles situés en Tunisie
relèvent de la loi tunisienne. C’est également le cas en matière pénale
qui applique généralement ce principe, dans le sens que les infractions et
leurs peines sont régies par la loi où ces infractions ont été commises. Ou
encore la responsabilité civile qui relève de la loi du lieu où le fait
dommageable s’est produit.
- Le principe de la personnalité des lois  : C’est le cas de l’article 45 du
Code du Droit International Privé qui dispose que « les conditions de
fond du mariage sont régies, séparément, par la loi nationale de chacun
des deux époux » c’est-à-dire la loi du pays de chacun d’entre eux.
- La loi désignée par les parties en ce qui concerne les actes juridiques
(voir l’article 62 et suivants du Code de D.I.P.).

-B- Le conflit de lois dans le temps:

Dans le but de suivre ou de provoquer les évolutions sociales, économiques


ou culturelles, le législateur procède à la modification ou abrogation de la loi.
Ceci peut poser un problème de conflit entre deux lois (ancienne et nouvelle)
issues d’un même pays se réclamant, chacune, compétente pour régir le même
rapport de droit. Pour résoudre ce genre de problèmes, deux principes ont été
proposés, répondant aux deux questions suivantes :
- Quelles sont les situations juridiques qui échappent à l’application de
la loi nouvelle ?
- Quelles sont les situations juridiques qui entrent dans le domaine
d’application de la loi nouvelle ?

1- Le Principe de la non-rétroactivité de la loi nouvelle :

La loi nouvelle ne régit pas, en principe, le passé. Ce qui est valablement


acquis selon l’ancienne loi ne peut être remis en cause par une loi
postérieure. C’est là une règle de justice absolue et de bon sens juridique 28.
Ainsi, lorsque l’alinéa premier de l’article 18 du C.S.P. affirme que « la
polygamie est interdite », cela ne rend, en aucun cas, les multiples mariages
célébrés par une personne avant le 1er janvier 1957 nuls. Ils étaient valablement
conclus sous l’empire du droit en vigueur et la loi nouvelle ne peut les remettre
en question.
En droit pénal, ce principe a une valeur constitutionnelle puisqu’il est affirmé
dans l’article 13 alinéa premier de la constitution qui dispose que «la peine est
personnelle et ne peut être prononcée qu’en vertu d’une loi antérieure au fait
punissable… »29. Si on reste dans l’exemple de la polygamie, le deuxième alinéa
de l’article 18 du C.S.P. dispose que « quiconque, étant engagé dans les liens du

28
Alex WEILL et François TERRE, Droit civil – introduction générale, « …il ne faut pas appliquer une loi à
des actes ou à des faits juridiques qui se sont passés antérieurement au moment où elle a acquis force
obligatoire, en vue de modifier ou d’effacer les effets juridiques produits sous l’empire de la loi ancienne…
Si un individu qui a obéi à l’ordre de la loi pouvait être inquiété sous le prétexte qu’un loi postérieure a
modifié les termes de la réglementation qui existait jadis, la loi perdrait toute sa force, puisque personne
n’oserait plus exécuter les ordres de la loi, de crainte de voir ultérieurement des actes, pourtant légitimement
faits, critiqués par une loi nouvelle et inconnue ».
29
L’article 1er /1 du Code pénal confirme ce principe en disposant que « nul ne peut être puni qu’en vertu d’une
disposition d’une loi antérieure ».
mariage, en aura contracté un autre avant la dissolution du précédent, sera
passible d’un emprisonnement d’un an et d’une amende de 240.000 francs ou de
l’une de ces deux peines seulement, même si le nouveau mariage n’a pas été
contracté conformément à la loi ». Ces peines ne peuvent être appliquées qu’à la
personne ayant conclu un second mariage après le 1er janvier 1957, date d’entrée
en vigueur du C.S.P.

Toutefois, ce principe souffre de quelques exceptions, c’est-à-dire que la


loi nouvelle régit, exceptionnellement, le passé et s’applique donc à des actes
et faits nés avant son entrée en vigueur.

La première exception concerne la matière pénale. En effet, quand une


nouvelle loi d’incrimination ou de détermination d’une peine est plus douce à
l’inculpé, c’est celle-ci qui s’applique même si le fait incriminé a été commis
avant son entrée en vigueur. Cette exception est affirmée dans l’article 13 de la
Constitution30. La condition d’application de cette exception est précisée dans le
second alinéa de l’article 1er du Code pénal qui dispose que « si, après le fait,
mais avant le jugement définitif, il intervient une loi plus favorable à
l’inculpé, cette loi est seule appliquée». Cette exception se justifie largement par
un souci de justice à l’égard de l’inculpé31. C’est le cas, par exemple, de l’article
214 du Code pénal qui après la modification de 1973, n’exige plus que la femme
mariée ait au moins 5 enfants pour procéder à un avortement licite.
Il faut remarquer, enfin, que le fait qu’une loi soit plus douce qu’une autre ne
veut pas seulement dire qu’elle diminue la peine prévue. Elle est également
qualifiée plus douce quand elle ajoute une condition supplémentaire à l’élément

30
Art. 13/1 de la Constitution : « La peine est personnelle et ne peut être prononcée qu’en vertu d’une loi
antérieure au fait punissable, sauf en cas de texte plus doux ». 
31
S. MELLOULI, Droit civil – Introduction à l’étude du droit, p.98 : « Il est logique, en effet, qu’une loi
nouvelle qui supprime ou adoucit une peine, reçoive application rétroactive en faveur du délinquant. Si le
législateur estime qu’un fait n’est pas suffisamment grave pour être réprimé, ou que sa gravité ne justifie pas
une peine excessive, l’idéal de justice veut que la personne qui n’a pas été condamnée pour ce fait, bénéficie
de la faveur législative nouvelle ».
matériel de l’infraction ou qu’elle prévoit une nouvelle cause d’atténuation de la
peine ou qu’elle enlève une cause d’aggravation de celle-ci.

La seconde exception concerne la matière civile. Le législateur peut, en effet,


déclarer expressément qu’une loi va rétroagir, c’est-à-dire qu’elle va
s’appliquer à des faits ou actes accomplis avant son entrée en vigueur. Le
principe de la non-rétroactivité de la loi nouvelle en matière civile n’étant pas
constitutionnel, il ne lie pas le législateur en matière civile qui peut déclarer une
loi rétroactive pour des raisons déterminées32. C’est le cas, par exemple, de la loi
n° 38-92 du 27 avril 1992 qui a donné expressément un effet rétroactif au décret-
loi n° 4-77 du 21 septembre 1977 ratifié par la loi n° 64-77 du 26 octobre 1977
concernant la suppression de l’autorisation du gouverneur en matière de vente
immobilière entre tunisiens. En vertu de cette loi rétroactive, les actes conclus
sans autorisation du gouverneur avant 1977 seront considérés valables alors
qu’ils étaient nuls selon l’ancienne loi33.
(Voir graphique n°1)

2- Le Principe de l’effet immédiat de la loi nouvelle :

La loi nouvelle régit, en principe, l’avenir et s’applique immédiatement après


son entrée en vigueur. L’application de ce principe ne pose aucun problème
quand la situation juridique en question est née sous l’empire de la nouvelle loi.
(voir graphique n° 2)

Le véritable cas de conflit de loi dans le temps se réalise lorsqu’une situation


juridique naît sous l’empire de l’ancienne loi et continue à produire ses effets
32
Cette exception ne peut pas s’appliquer en matière pénale puisque le principe de la non-rétroactivité en
matière pénale est affirmé dans la Constitution. Une loi pénale expressément rétroactive est une loi
inconstitutionnelle.
33
On peut citer, également, l’exemple du décret du 31 mai 1956 qui a supprimé les habous publics et celui du
18 juillet 1957 supprimant les habous privés.
après l’entrée en vigueur de la nouvelle loi. Pour savoir quelle loi est applicable
dans de telles circonstances, il faut distinguer entre deux cas34 :

- La loi nouvelle modifie les conditions de réalisation d’un fait ou d’un acte
juridique :
Si les conditions imposées par une loi ancienne pour la réalisation d’une
situation juridique ont été déjà satisfaites, l’intervention d’une nouvelle loi
modifiant ces conditions ne peut remettre en cause cette situation qui constitue
alors un droit acquis35. Par exemple, si une loi porte le délai de la prescription
acquisitive36 de quinze à vingt ans, ceux qui au moment de l’entrée en vigueur
de cette loi ayant déjà achevé les quinze ans de possession ont acquis par
prescription la propriété, demeureraient propriétaires, parce que le droit a été
acquis avant l’entrée en vigueur de la nouvelle loi.
Si, par contre, la situation juridique n’est pas totalement réalisée au
moment de l’entrée en vigueur de la loi nouvelle, celle-ci s’applique
immédiatement. En reprenant l’exemple de la loi augmentant le délai de la
prescription acquisitive, le possesseur depuis douze ans d’un immeuble doit
accomplir les vingt ans de possession prévus par la loi nouvelle.

- La loi nouvelle modifie les conséquences d’une situation juridique  :


Lorsque la loi nouvelle vient modifier les effets (les conséquences) des
situations juridiques, elle s’applique avec un effet immédiat même si ces droits
ou ces situations ont été crées avant l’entrée en vigueur de cette nouvelle loi.

Elle les régit, en effet, pour l’avenir dans leurs conséquences futures. Il ne

34
A.WEILL et F. TERRE, op. cit., pp. 176-177.
35
Le droit acquis est un droit définitivement entré dans un patrimoine ou une situation juridique définitivement
créée.
36
La prescription acquisitive ‫ التقادم المكسب للملكية‬c’est un moyen d’acquisition de la propriété qui
permet au possesseur de bonne foi (celui qui prend possession d’un immeuble non immatriculé ) ‫الحائز‬
‫ حسن النيّة‬d’un certain type d’immeuble de devenir le propriétaire de cet immeuble après l’écoulement
d’un certains temps (voir les articles 45 et suivants du C.D.R.).
s’agit nullement là de rétroactivité puisqu’elle ne revient pas

sur les conséquences déjà passées de ces situations

juridiques qui sont considérées comme des droits acquis.


Ainsi, lorsqu’une loi nouvelle restreint les causes du divorce ou change ses
modalités, elle s’applique, immédiatement, dès son entrée en vigueur, sur tous
les cas de dissolution de mariage même ceux célébrés sous l’empire de
l’ancienne loi.
Cependant, il est un cas, où, exceptionnellement, la loi nouvelle ne régit pas les
conséquences futures d’une situation juridique créée sous l’empire d’une loi
ancienne. Dans ce cas, c’est cette dernière (la loi ancienne) qui va survivre à
son abrogation. C’est le cas où une nouvelle loi, de nature supplétive,
intervient pour réglementer les effets des contrats. Cette loi ne peut
s’appliquer aux contrats en cours qui restent régis par la loi ancienne. Cette
exception est aisément explicable. S’agissant d’une loi supplétive, elle peut être
écartée par les parties contractantes. Donc, si les parties ne l’ont pas écartée,
c’est qu’ils ont convenu (expressément ou tacitement) de s’y référer. La nouvelle
loi, elle-même supplétive, au nom de l’autonomie de la volonté et de la liberté
contractuelle, ne peut venir bouleverser et perturber l’ordre juridique établi par
les parties.
Il est, par contre naturel, que lorsqu’il s’agit d’une loi d’ordre public
réglementant les effets des contrats, même en cours, elle s’applique, selon le
principe, avec un effet immédiat. Ainsi, les lois augmentant le S.M.I.G.
(Salaire Minimum Interprofessionnel Garanti), étant d’ordre public, s’appliquent
immédiatement même au contrat de travail conclu avant son entrée en vigueur.

Cas pratiques
1°) "Saïd" s'est marié une première fois en 1940 et une deuxième fois en19950. En 1956, le Code du
Statut Personnel a interdit la polygamie. "Saïd" vous demande s'il peut se marier une troisième fois.
Si non, doit-il se séparer de l'une de ses épouses et n'en garder qu'une seule ?
2°) "Salah" a conclu un contrat de travail avec une société dans lequel il est stipulé qu'il peut
bénéficier de 2 semaines de congé annuel. Une nouvelle loi est entrée en vigueur en élevant le
congé annuel à 3 semaines et en instituant une sanction à l'égard de tous ceux qui ne respectent pas
ces dispositions.
"Salah" vous demande s'il a droit à ces 3 semaines de congé annuel ? et à partir de quelle date ?
3°) Après avoir loué sa maison à 500 Dinars de loyer par mois, "Samir" a été surpris par la nouvelle
loi qui a limité la location à 400 Dinars par mois. "Samir" vous consulte pour savoir s'il peut
continuer à exiger l'ancien loyer?
4°) "Ali" a contracté un mariage orf en 1961. Trois ans après ce mariage, un arrêté du 20 février
1964 est entré en vigueur modifiant l'article 36 du Code du Statut Personnel du 13 Août 1957 en
faisant du mariage orf une infraction sanctionnée par la loi.
Est-ce que "Ali" doit être sanctionné pour son mariage orf ?

Section 2 Les sources secondaires de la règle


de droit

A côté de la loi qui constitue la source principale (écrite) de la règle de


droit, il existe une autre source non écrite et qui n’émane pas des pouvoirs

publics. Il s’agit de la coutume (Sous-section 1). Toutefois, il arrive que la


règle de droit soit ambiguë, obscure ou même lacunaire (lorsque le législateur
ne prévoit pas de solution à une question déterminée). Dans de tels cas, et
malgré l’ambiguïté ou l’absence de la loi, les juges saisis de la question doivent
statuer et prononcer un jugement, ce qui amène à poser la question de la

jurisprudence en tant que source de droit 37(Sous-section 2).


37
Certains auteurs citent « la doctrine » comme étant l’une des sources de la règle de droit. La doctrine est
définie comme l’ensemble des opinions exprimées par les auteurs de droit sur les diverses questions
Sous-section 1 La Coutume

Pour déterminer le rôle ou la place de la coutume en Droit tunisien (§ -2-),


il est nécessaire de s’attarder sur sa définition et ses éléments constitutifs (§ -1-).

§ -1- la définition de la coutume

Le législateur tunisien n’a pas défini la coutume. La doctrine considère celle-


ci comme étant un usage immémorial (vieux, ancestral) et obligatoire ou encore
comme un usage juridiquement obligatoire38. La coutume suppose alors la
réunion de deux éléments :
- Un élément matériel :
Il s’agit de la répétition d’un comportement un nombre indéterminé de fois.
Mais, pour que ce comportement ou cet usage soit élevé au rang de coutume, il
doit être ancien, c’est-à-dire qu’il doit avoir une certaine durée de temps
nécessaire pour lui conférer la pérennité et la sécurité. Il doit, également, être
constant, c’est-à-dire régulièrement suivi par la population et général c’est-à-
dire largement répandu dans le milieu social.
- Un élément psychologique :
Il s’agit de la croyance et la conviction des gens qu’il s’agit d’une règle
juridiquement obligatoire. Cet élément permet alors, selon la doctrine, de
distinguer entre l’usage ‫العادة‬et la coutume ‫العرف‬. Le premier est facultatif
dans la mesure où on est libre de l’adopter ou non (c’est le cas des cadeaux d’usages,

juridiques quand ils exposent ou interprètent les règles de droits dans des ouvrages juridiques, articles de
revues, commentaires de décisions judiciaires. La doctrine peut être considérée comme une autorité (non
officielle) d’interprétation de la loi, mais en aucun cas comme une source officielle de la règle de droit. Elle
peut, également, être considérée comme une source d’inspiration pour le législateur et les décisions
judiciaires qui parfois citent les travaux de certains auteurs pour appuyer leurs interprétations de la loi (Voir
S. MELLOULI, op. Cit., pp.110-111, M. CHARFI, Introduction à l’étude du droit, pp.197-198).
38
A. WEILL et F. TERRE, op. cit., p.195.
les pourboires…). Le second, par contre, est considéré obligatoire 39. Ainsi, par

exemple, l’acceptation des cadeaux de mariage constitue, dans certaines régions


tunisiennes, comme de véritables dettes qu’on doit rembourser à l’occasion du
mariage de ceux qui les avaient offerts.

§ -2- le rôle de la coutume

La coutume en droit tunisien joue un rôle secondaire. En effet, elle ne


constitue pas une source autonome de la règle de droit (-a-) et ne peut intervenir
que par délégation de la loi (-b-).

-a- la coutume n’est pas une source autonome :

Selon l’article 535 du C.O.C., « lorsqu’un cas ne peut être décidé par une
disposition précise de la loi, on aura égard aux dispositions qui régissent les cas
semblables ou des matières analogues ; si la solution est encore douteuse, on
décidera d’après les règles générales de droit ». Ainsi, en cas d’absence d’un
texte de loi, le législateur prévoit le recours à l’analogie 40 ou aux principes
généraux de droit41 sans citer la coutume en tant que solution pour combler les
vides juridiques42. Par conséquent, la coutume n’est pas désignée en Tunisie
comme étant une source autonome. Elle ne peut s’imposer sans renvoi législatif.

-b- le recours à la coutume par délégation de la loi :


39
Il est à remarquer que le législateur tunisien confond entre les deux notions (usage et coutume) et utilise
indifféremment les deux termes pour viser la coutume.
40
L’analogie ‫ القياس‬est une méthode de raisonnement qui consiste à donner aux cas semblables des solutions
semblables.
41
Dans les articles 532 à 562 du C.O.C., le législateur tunisien cite quelques principes généraux de droit tels
que l’art.536 : « Ce que la loi prescrit en vu d’un motif déterminé doit s’appliquer toutes les fois que le même
motif existe » ; art.537 « Ce que la loi prescrit en vu d’un motif déterminé cesse d’être permis lorsque ce
motif n’existe plus » ; art. 559 « Tout rapport de droit est présumé valable et conforme à la loi, jusqu’à
preuve du contraire ».
42
Contrairement à certaines législation étrangères telle que l’article 1 er/2 du Code civil algérien selon lequel
« en l’absence d’une disposition légale, le juge se prononce selon les principes du droit musulman et à
défaut selon la coutume
N’étant pas une source autonome, la coutume a besoin, pour être appliquée
par les tribunaux, d’un renvoi législatif. Cela se réalise par la technique de la
délégation qui peut être expresse ou tacite.
- La délégation expresse :
Le législateur, dans certains cas, renvoi expressément à la coutume. Cela se
vérifie dans plusieurs domaines. Ainsi, selon l’article 243 du C.O.C., « tout
engagement doit être exécuté de bonne foi, et oblige, non seulement à ce qui y
est exprimé, mais aussi à toutes les suites que la loi, l’usage ou l’équité donne à
l’obligation d’après sa nature ». Quand le législateur veut déterminer les
obligations des personnes mariées au sein du couple, il a recours à la coutume.
C’est ce qui ressort des termes de l’article 23/2 du C.S.P. selon lequel « les deux
époux doivent remplir leurs devoirs conjugaux conformément aux usages et à la
coutume ».

- La délégation tacite :
Le législateur utilise souvent des expressions telle que « bonne foi », « bonnes
mœurs », « bon père de famille »…, qu’il ne définit pas. Ces notions, évoluant
avec les mœurs et les mentalités, avec le progrès technique et les nécessités du
moment, il est utile, voire nécessaire de recourir à la coutume pour les définir.

Quand la coutume reçoit délégation, elle doit être, à la différence de la


loi43, prouvée par la partie qui l’invoque. La preuve de la coutume doit porter sur
son existence (l’élément matériel et l’élément psychologique) et sur ses caractères
(ancienneté, constance et généralité). Ainsi, selon les termes de l’article 544
C.O.C. « celui qui invoque l’usage doit en justifier l’existence :
L’usage ne peut être invoqué que s’il est général ou dominant et s’il n’a rien de

43
En effet, les parties à un procès n’ont pas à apporter la preuve de l’existence d’une loi, parce que le juge
connaît la loi.
contraire à l’ordre public et aux bonnes mœurs ».
Quant aux moyens de preuve, la coutume étant une pratique, donc un fait,
tous les moyens de preuve sont admis pour la prouver.

Enfin, et quelle que soit la forme de la délégation, la coutume ne peut


avoir pour objet que de compléter ou de combler les lacunes de la loi. Ainsi, et
par application de l’article 543 du C.O.C.44, la coutume ne peut pas contredire la
loi lorsque celle-ci est claire et précise. La coutume peut intervenir pour aider à
interpréter une loi obscure mais en aucun cas elle ne peut la contredire.

Questions
1°) Distinguez entre l’usage et la coutume et citez en quelques exemples (autres que ceux produits
précédemment).
2°) Pourquoi l’existence de la coutume doit être prouvée par la partie qui s’en prévaut ?
3°) Quels sont les avantages et les inconvénients de la loi et de la coutume en tant que source
formelle de la règle de droit ?

Sous-section 2 La Jurisprudence

La jurisprudence est définie comme étant l’ensemble des solutions et des


décisions de justice, rendues par les juges dans les litiges qui leur sont soumis.
La question qui se pose alors est de savoir si la jurisprudence constitue ou non
une source de droit, c’est-à-dire si on peut dégager de l’ensemble des décisions
judiciaires qui se répètent pour les cas semblables, des règles de droit.

§ -2- le rôle de la jurisprudence :

La jurisprudence, étant donc l’ensemble des décisions rendues par les


44
Art.543 C.O.C. : « La coutume et l’usage ne sauraient prévaloir contre la loi, lorsqu’elle est formelle ».
juridictions d’un pays, peut-elle être considérée comme une source du droit ?
Selon la Constitution tunisienne, c’est le pouvoir législatif et accessoirement le
pouvoir exécutif qui doivent élaborer la loi (au sens large). Le pouvoir judiciaire
doit seulement rendre les jugements qui n’ont, par ailleurs, d’effets qu’à l’égard
des parties au procès, à l’opposé de la règle de droit qui est abstraite et surtout
générale.
Cependant, et pour ne pas commettre un déni de justice, les juges doivent
trancher des litiges même en l’absence de règles juridiques régissant la matière
en question ou lorsque ces règles sont ambiguës. La question se pose alors de
savoir si dans ce rôle d’interpréter ou même de combler les lacunes de la loi, la
jurisprudence fait œuvre de création de la règle juridique ?
La réponse à cette question est forcément négative. Il ne faut pas confondre
entre la recherche et même la création de solutions ponctuelles à des questions
relatives à des personnes déterminées et l’élaboration d’une règle abstraite qui
aura une force obligatoire générale. En effet, la solution donnée (ou même créée)
par un juge à l’occasion d’un litige n’est en aucune manière obligatoire à un
autre juge même s’il est hiérarchiquement inférieur. Même les arrêts de la Cour
de cassation ne sont pas obligatoires aux juges du fond, sauf l’exception prévue
à l’article 191 du C.P.C.C.
Il n’en demeure pas moins, que les décisions de cette cour ont une valeur
morale estimable qui entraîne les juges des juridictions inférieures à les suivre ce
qui donne parfois ce qu’on appelle une jurisprudence consacrée concernant
une question déterminée. Mais il peut arriver, également, qu’un juge du fond ne
respecte pas cette position consacrée et qu’à l’occasion d’un pourvoi, la Cour de
cassation adopte la position du juge du fond effectuant ainsi un revirement
jurisprudentiel.
La jurisprudence, même par ces solutions ponctuelles, paraît plus à même de
suivre l’évolution sociale et de ce fait elle peut constituer une source
d’inspiration importante au législateur. Si elle ne peut être considérée, donc,
comme une source formelle de la règle de droit, la jurisprudence n’en est pas
moins une source matérielle efficace.

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