Crime Contre L'humanité

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En qualifiant de « 

crime contre l’humanité » la colonisation française en


Algérie, le candidat à l’élection présidentielle Emmanuel Macron a suscité
la polémique ces derniers jours. Samedi, à Toulon, le leader du mouvement
« En Marche ! » demandait « pardon » pour ses propos, tout en refusant de
présenter des « excuses ». Mais qu’en est-il de cette affirmation sur un plan
juridique ? Le droit international appréhende-t-il la colonisation comme un
crime contre l’humanité ?

La question est au cœur de l’actualité française ; elle est aussi au cœur de


l’actualité internationale compte tenu de la colonisation d’Israël en
territoires palestiniens. La Palestine étant désormais membre de la Cour
pénale internationale (CPI), la question est actuellement sous examen
préliminaire au sein de cette juridiction.

Du « patrimoine commun de l’humanité » au


« crime contre l’humanité »
En 1880, le juriste Carlos Calvo considérait qu’il existait un « droit à la
colonisation », droit qu’il qualifiait de « patrimoine commun de
l’humanité ». Le processus colonisateur était présenté comme une « œuvre
de civilisation pacifique dans l’intérêt général de l’humanité et du commerce
international ». La France, disait alors le sociologue Albert Bayet, est
investie de « la mission de répandre partout où elle peut les idées qui ont
fait sa grandeur » ; elle a « le mandat d’instruire, d’élever, d’émanciper,
d’enrichir et de secourir les peuples qui ont besoin de (sa) collaboration ».

Le droit, cependant, se nourrit tant de la grandeur que des turpitudes du


genre humain. Les valeurs juridiques évoluent au gré des sociétés elles-
mêmes et ce qui était jadis appréhendé comme un « trésor commun de
l’humanité » est aujourd’hui qualifié de « crime ». La colonisation, en effet,
rejoint d’autres comportements « avec lesquels il a eu étroitement à voir » :
l’esclavage et la traite des Noirs, qui violent des droits de l’Homme, mais
également l’apartheid, forme de crime contre l’humanité né d’un régime de
ségrégation raciale constitué par les anciens colons européens.
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Au sein de l’ONU : la domination coloniale comme


crimes contre l’humanité
À plusieurs reprises, l’Assemblée générale de l’ONU a condamné la
domination coloniale : dans sa résolution 2270 (XXII), en 1967, par
exemple, elle dénonce la « guerre coloniale » menée par le Portugal sur les
territoires africains administrés par cet État et qualifie de crime contre
l’humanité la politique de ce gouvernement qui, en procédant à l’installation
d’immigrants étrangers, viole les droits économiques et politiques de la
population autochtone.

Le Conseil de sécurité, également, n’a pas hésité à considérer comme des


« menaces contre la paix et la sécurité internationales » certaines
hypothèses de domination coloniale (ce fut le cas notamment à propos de la
Rhodésie du Sud, aujourd’hui le Zimbabwe). Plus récemment, dans
sa résolution 2334 (2016), il a condamné « toutes les mesures visant à
modifier la composition démographique, le caractère et le statut du
Territoire palestinien occupé depuis 1967, y compris Jérusalem-Est,
notamment la construction et l’expansion de colonies de peuplement, le
transfert de colons israéliens, la confiscation de terres, la destruction de
maisons et le déplacement de civils palestiniens ».

Dans le même sens, en 2001, une sous-commission onusienne (la Sous-


commission de la promotion et de la protection des droits de l’homme)
encourageait « la reconnaissance de la responsabilité et les réparations pour
les violations flagrantes et massives des droits de l’homme en tant que
crime contre l’humanité qui se sont produites durant la période de
l’esclavage, du colon et des guerres de conquêtes. »

La Commission du droit international – organe des Nations unies chargé de


codifier et de développer le droit international – s’est, elle aussi, intéressée à
la question du colonialisme à l’occasion de ses travaux relatifs au Code des
crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité. En 1989, elle qualifiait
ainsi de crime contre l’humanité « l’implantation de colons sur un territoire
occupé ». En outre, elle incriminait au titre de « crime contre la paix et la
sécurité de l’humanité » l’établissement ou le maintien par la force d’une
domination coloniale ou de toute autre forme de domination étrangère en
violation du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.

Dans un premier temps, ces propositions ont été accueillies favorablement


par les membres de la Commission qui se sont dits sensibles aux
conséquences et aux souffrances qu’entraîne le colonialisme. Toutefois, ces
dispositions ont finalement été abandonnées. La Commission, en effet, n’est
pas parvenue à définir avec suffisamment de précisions cette notion de
« domination coloniale ». En outre, d’un point de vue juridique, il est
difficile d’aborder l’implantation de colons en tant que telle comme un
crime contre l’humanité.
De la nuance juridique : colonisation ou
conséquences de la colonisation
S’il est difficile juridiquement d’appréhender le colonialisme, voire la
colonisation – en soi – comme des crimes contre l’humanité, les
conséquences inhumaines qui en découlent peuvent, en revanche, être ainsi
qualifiées.

La définition du crime contre l’humanité retenue aujourd’hui dans le Statut


de la CPI est large : conformément à ce Statut, des actes tels que des
déportations ou transferts forcés de population, des persécutions, des
emprisonnements, voire des meurtres ou réductions en esclavages, sont
constitutifs de crimes contre l’humanité.

Pour que cette qualification puisse être retenue, ces actes doivent s’inscrire
dans un contexte spécifique, à savoir une attaque lancée contre une
population civile, attaque qui consiste à multiplier les actes inhumains en
application de la politique d’un État. Par ailleurs, il convient de rappeler
qu’en période de conflit armé, lorsqu’un État occupe un territoire, un
certain nombre d’obligations s’imposent à lui. Or, « le transfert, direct ou
indirect, par une puissance occupante d’une partie de sa population civile,
dans le territoire qu’elle occupe, ou la déportation ou le transfert à
l’intérieur ou hors du territoire occupé de la totalité ou d’une partie de la
population de ce territoire » constitue, conformément au statut de la CPI,
un crime de guerre.

En somme, c’est probablement à une analyse plus subtile et nuancée


qu’Emmanuel Macron aurait dû se livrer. En distinguant, l’idéologie et le
processus qui sous-tendent la colonisation, d’une part, et leurs
conséquences pratiques, d’autre part, il aurait pu voir juste sur un plan
juridique. Pour autant, n’en aurait-il pas moins évité la polémique ?

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