Claude-Gueux Livre Prof

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Collection dirigée par

Cécile de Cazanove
Agrégée de Lettres modernes

Victor Hugo

1834

Livret de l’enseignant

Édition présentée par


Annie Le Fustec
Agrégée de Lettres classiques

© Nathan 2013 - www.carresclassiques.com


Sommaire

Avant-propos .................................................................................................... 3

Organisation de la période .............................................................. 5

Réponses aux questions ...................................................................... 8


w Pause lecture 1 ................................................................................................. 8
w Pause lecture 2 ................................................................................................. 16
w Pause lecture 3 ................................................................................................. 23
w Vers le brevet .................................................................................................... 31

Compte rendu de l’« autre lecture » ..................................... 35


w Questions ............................................................................................................. 35
w Corrigé .................................................................................................................. 37

Bibliographie .................................................................................................... 44

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Avant-propos
1. Pourquoi choisir Claude Gueux ?
Les programmes de lecture du collège se donnent pour mission de construire chez les élèves
une culture humaniste et de susciter leur « réflexion sur la place de l’individu dans la
société », tout en leur faisant découvrir les grands genres littéraires. La classe de Quatrième
doit privilégier, entre autres, « le récit au XIXe siècle ». L’étude d’un roman de Victor Hugo
paraît donc particulièrement judicieuse pour atteindre ces objectifs.
La lecture de Claude Gueux est accessible aux élèves de Quatrième, du fait de la brièveté de
l’œuvre et du caractère explicite de ses visées. Elle leur permettra d’aborder plusieurs genres et
de découvrir l’univers hugolien tel qu’il se développe dans le reste de son œuvre, en particulier
dans les Misérables.
Claude Gueux appartient sans conteste au genre du roman réaliste. Comme Le Rouge et le Noir
de Stendhal, il prend pour point de départ un fait divers judiciaire. Il marque les esprits en décri-
vant sans concession la violence sociale, celle de la prison, celle du crime, celle de la décapita-
tion. On pourra aussi faire lire, grâce à Internet, des extraits des journaux dans lesquels Hugo
a trouvé ses informations et des documents intéressants dans les archives de la prison de
Clairvaux (voir les adresses p. 46 du présent ouvrage). La confrontation de ces textes avec le
roman permettra aux élèves de comprendre comment et pourquoi le romancier « fiction-
nalise » la réalité.
Les transpositions repérées demanderont évidemment à être interprétées : pourquoi transfor-
mer tel trait de caractère, tel détail, pourquoi en ajouter certains, en omettre d’autres ? Grâce
à ce travail de confrontation, on mettra en évidence les visées du romancier : il ne raconte pas
l’histoire de Claude Gueux pour elle-même, il la présente comme exemplaire, et s’en sert pour
défendre une cause, celle de l’abolition de la peine de mort. Ainsi, les élèves réfléchiront à ce
qu’est une œuvre « engagée », « militante » – même si ces deux termes n’appartiennent pas
au contexte du XIXe siècle. Ils en découvriront les stratégies et débattront de leur efficacité.
Cette lecture sera donc une bonne introduction à la découverte du roman hugolien, et tout
particulièrement aux Misérables, la destinée de Claude rappelant à ses débuts celle de
Jean Valjean. Hugo cherche en effet à écrire des livres « utiles » : tout en racontant des his-
toires fortes, il parle du monde réel, de la société et de l’homme, pour en dénoncer les tares et
proposer des améliorations. Le roman de Claude Gueux se lit aussi comme un discours poli-
tique et moral, plein de compassion, d’indignation et de conviction, profondément optimiste
par sa foi dans le progrès, en un mot éminemment humaniste.

2. Comment est organisée la lecture suivie de Claude Gueux ?


L’étude du roman comprend quatre étapes :
• La pause lecture 1, intitulée « Pain volé et pain partagé », étudie l’incipit du roman, puis le
cadre de la prison et les rapports humains qui s’y établissent.
• La pause lecture 2, intitulée « Je juge quelqu’un. », analyse les circonstances et le déroule-
ment du drame qui se joue entre Claude et le directeur de la prison et qui aboutit au crime.
• La pause lecture 3, « Ceci est la question. », dans ses parties 1 et 2, est centrée sur le juge-
ment et l’exécution de Claude.
• La partie 3 de la pause 3, « Le grand problème du peuple au XIXe siècle », étudie l’adresse
du narrateur à ceux qui exercent le pouvoir, pour qu’ils réforment la société, désignée comme
la vraie coupable.

3. Pourquoi faire lire Le Gueux de Maupassant ?


Outre le rapprochement des titres, le choix de cette lecture cursive se justifie à plusieurs titres.
La nouvelle de Maupassant est elle aussi un récit réaliste, qui décrit de façon poignante une
« insondable misère ». Mais elle n’a pas les mêmes visées que le roman de Hugo : très courte,

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plus travaillée stylistiquement, elle ne se veut pas un « discours » aux lecteurs ou aux puis-
sants. Maupassant n’est pas « engagé » à la manière de Hugo, il n’a aucun programme à pro-
poser pour changer la société.
On comparera donc l’attitude volontariste de Hugo, fondée sur sa confiance dans la possibilité
du progrès social et moral, avec le pessimisme de Maupassant, dont la vision du monde est
nettement plus noire. Si le combat contre la peine de mort peut être gagné, évitant ainsi que
d’autres Claude Gueux n’en soient les victimes, rien n’indique, chez Maupassant, que le cœur
des humains s’ouvre un jour suffisamment à la compassion pour arracher les gueux à la tragé-
die de l’indifférence.

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Organisation de la période
Lire un roman du XIXe siècle
Claude Gueux de Victor Hugo
OBJECTIFS
À la fin de la période, l’élève doit être capable :
• En lecture
– de comprendre des situations, de construire des personnages à partir des données du
récit ;
– de nommer les émotions ressenties à la lecture et d’identifier par quels procédés elles
sont suscitées ;
– de repérer les interventions du narrateur dans le récit et d’en saisir les intentions ;
– de confronter des données historiques avec leur transposition dans une fiction ;
– de saisir les effets d’intertextualité et leur portée.
• En langue
– de repérer, nommer et analyser les différentes marques des discours narratif et descriptif
et du dialogue (marques de l’énonciation, temps verbaux, caractérisations, intrusions
d’auteur, etc.) ;
– de chercher l’étymologie, la composition, les significations propres et figurées, les syno-
nymes, antonymes, paronymes des mots ;
– d’identifier les métaphores, les métonymies, les antithèses, les antiphrases, les grada-
tions, d’en comprendre le fonctionnement et les effets ;
– de repérer des passages ironiques.
• En écriture
– de rédiger un portrait en imitant des procédés rhétoriques ;
– de transposer un discours indirect en discours direct ;
– d’imaginer un récit à chute imposée ;
– de rédiger un compte rendu de recherche.
• En histoire des arts
– d’analyser une caricature, d’en saisir les intentions et de cerner le public auquel elle
s’adresse ;
– de prendre conscience de la polysémie d’un tableau, des liens qu’il entretient avec son ou
ses titres ;
– de réfléchir aux relations entre un tableau et les textes qui l’ont inspiré ;
– de repérer les procédés picturaux permettant de créer soit des effets de dramatisation et
de sacralisation, soit des effets de dévalorisation et de satire.
• À l’oral
– de lire ou de réciter un extrait du récit de façon expressive ;
– de formuler et de défendre une opinion personnelle en argumentant, seul ou au cours
d’un débat ;
– de présenter oralement les résultats d’une recherche ;
– de prononcer un discours en imitant les techniques des orateurs politiques ou judi-
ciaires ;
– de participer à une analyse collective de texte ou d’image.

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SEMAINE 1
Lecture Pause lecture 1 : Pain volé et pain partagé
1. L’incipit
2. En prison
3. Albin
Langue Vocabulaire : exercices p. 25.
Observation : l. 41 à 53, p. 16, champs lexicaux, adjectifs qualificatifs,
temps verbaux.
Synthèse : les caractéristiques du discours descriptif.
Application : l. 54 à 80, p. 16-17.
Quelle forme de discours trouve-t-on dans ces lignes ? Quelles impressions
les adjectifs qualificatifs produisent-ils ?
Écriture Un double portrait fondé sur des contrastes, p. 25.
Analyse de l’image Dossier image p. I et p. 26.
Histoire des arts Une caricature du Charivari par Honoré Daumier, 1845.
Oral Apprendre par cœur et réciter de façon expressive les lignes 185 à 197, p. 21.

SEMAINE 2
Lecture Pause lecture 2 : « Je juge quelqu’un. »
1. La séparation
2. La résolution
3. Le crime
Langue Vocabulaire : exercices p. 46.
Observation : l. 127 à 141, p. 31, étude des paroles rapportées.
Synthèse : discours direct, discours indirect.
Application : l. 222 à 265, p. 35-36.
Repérer les différents discours rapportant les paroles de Claude et justifier
leur emploi.
Écriture Sujet d’imagination p. 46.
Oral Transformer en discours direct les lignes 247 à 261, p. 36, et le lire
à haute voix.
Analyse de l’image Dossier image p. II et p. 47.
Histoire des arts Odilon Redon, Le Prisonnier.
Oral Présenter oralement une réponse à la question des Prolongements, p. 47,
si possible en montrant des tableaux sur Internet à l’appui des arguments
avancés.

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SEMAINE 3
Lecture Pause lecture 3 : 1ère partie (l. 1 à 215)
1. Le procès
2. L’exécution
Langue Vocabulaire : exercices p. 66.
Observation : l. 31 à 63, p. 49-50, étude de l’emploi ironique des figures
(métonymie, antithèse, antiphrase, métaphore).
Synthèse : l’ironie.
Application : l. 115 à 215, p. 51 à 55. Relever les passages ironiques, préci-
ser quelles cibles sont visées par le narrateur.
Écriture Rédiger un compte rendu de recherches sur la peine de mort, p. 66.
Analyse de l’image Dossier image p. III et p. 67.
Histoire des arts Jacques-Louis David, La Mort de Socrate.
Mettre en relation le tableau et ses sources textuelles ; observer les procé-
dés de dramatisation.
Oral Prononcer le discours de Claude Gueux, exercice p. 66.
Présenter oralement une comparaison entre les données historiques
concernant Claude Gueux (voir le Document proposé dans le corrigé de la
pause 1, p. 9-10) et les éléments du roman de Hugo qui leur correspondent.

SEMAINE 4
Lecture Pause lecture 3 : 2e partie (l. 216 à 404)
3. « Le grand problème du peuple au XIXe siècle ».
Langue Observation : l. 300-319, p. 58, le champ lexical de la maladie.
Synthèse : la métaphore et son fonctionnement, comparé, comparant,
élément commun, métaphore filée.
Application : l. 393-404, p. 61.
Identifier la métaphore filée, expliquer son sens et sa pertinence.
Commenter en particulier le verbe « couper ».
Écriture Écriture argumentative : répondre par écrit, en quelques paragraphes
argumentés, à la question 4, p. 65.
Analyse de l’image Dossier image p. IV et p. 67.
Histoire des arts James Ensor, Le Bon juge.
Rapprocher le traitement satirique avec l’ironie hugolienne envers les insti-
tutions judicaires et politiques.
Oral Débat : Le roman de Victor Hugo vous paraît-il une arme efficace pour
convaincre les partisans de la peine de mort qu’il faut abolir cette pratique ?

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Réponses aux questions
w Pause lecture 1 ➜ p. 22 à 26
Pain volé et pain partagé
L’incipit (l. 1 à 36)
Avez-vous bien lu ?
Claude Gueux est condamné pour vol (l. 27).

Avant la prison
1 Le narrateur met l’accent sur : – la pauvreté de Claude Gueux (« pauvre ouvrier » – « pas de
feu ni de pain ») ; ses charges de famille (« une fille » – « un enfant de cette fille ») ; ses qualités
naturelles (« capable, habile, intelligent » – « fort bien traité par la nature » – « sachant pen-
ser ») ; son absence d’éducation (« fort mal traité par l’éducation » – « ne sachant pas lire »).
Pour la morale dominante au XIXe siècle, aussi bien religieuse que profane, il est choquant de
vivre avec une femme sans être marié et d’avoir un enfant hors mariage.
2 Le narrateur suggère des circonstances atténuantes pour le vol de Claude Gueux : s’il
meurt de faim, c’est parce qu’on ne lui donne pas de travail, alors qu’il a toutes les capacités
d’un bon ouvrier ; s’il vole, c’est parce qu’il doit nourrir et chauffer sa femme et son enfant.
Dans la dernière phrase du premier paragraphe, le narrateur met sur le même plan, en position
de sujet réel, deux groupes de mots qu’il coordonne (« trois jours de pain et de feu pour la
femme et l’enfant », « et cinq ans de prison pour l’homme »). Il souligne également le rappro-
chement en construisant les deux groupes de mots de façon parallèle : « trois jours de pain
pour… » / « cinq ans de prison pour… ». Cette construction souligne la disproportion choquante
entre la faute et la sanction ; elle montre l’inhumanité de la justice face à l’altruisme de Claude.

Le narrateur
3 Le narrateur ne connaît de l’histoire que la qualification de la faute (« L’homme vola ») et
la nature de la sanction (« cinq ans de prison »). De Claude Gueux, il connaît la situation
sociale, les qualités naturelles et l’absence d’instruction.
On peut être tenté de penser que le narrateur et Victor Hugo ne font qu’un, puisque le texte
est à la première personne du singulier et se réfère à l’histoire d’une personne réelle, effective-
ment nommée Claude Gueux.
Victor Hugo eut connaissance de l’exécution de Claude Gueux par des témoignages et surtout
par la lecture de quatre articles parus dans La Gazette des tribunaux en 1832. C’est dans ce
journal qu’il puise l’essentiel des données sur l’affaire et sur le personnage (voir le Carré clas-
sique, p. 72, et la bibliographie, p. 46 du présent ouvrage).
4 • Parallélismes : « fort mal traité par l’éducation » / « fort bien traité par la nature »
– « trois jours de pain pour la femme et l’enfant »/ « cinq ans de prison pour l’homme »
– « abbaye dont on a fait une bastille » / « cellule dont on a fait un cabanon » / « autel dont
on a fait un pilori ».
• Antithèses : « mal traité » / « bien traité » – « trois jours » / « cinq ans » – « abbaye » /
« bastille » – « cellule » / « cabanon » – « autel » / « pilori ».
• Ces combinaisons de parallélismes et d’antithèses ont une fonction argumentative. Elles
soulignent des contradictions choquantes :
– entre les qualités offertes par la nature et l’absence d’éducation par la société ;
– entre les qualités humaines de Claude et l’inhumanité de l’institution judiciaire ;
– entre la vocation religieuse de l’abbaye, lieu de prière et d’amour, et l’usage coercitif et stig-
matisant qu’en ont fait « certaines gens ».
On trouve dès cet incipit l’opposition nature / société que développera le discours final, et
l’amorce des solutions que proposera Hugo : davantage d’éducation, davantage d’enseigne-
ment de la morale chrétienne.

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5 Le référent de ce pronom et de cet adjectif de la première personne est ambigu.
Il peut s’agir d’une première personne du pluriel « de majesté » : en ce cas, « nous » et « notre
» renvoient au seul narrateur. Il oppose sa conception du progrès à celle de « certaines gens »
qui, au nom du même progrès, prennent des mesures rétrogrades et condamnables à ses yeux.
« Nous » et « notre » peuvent aussi être des premières personnes du pluriel : en ce cas, ils ont
une valeur inclusive et désignent le locuteur et ses interlocuteurs, c’est-à-dire ici le narrateur
et ses lecteurs. Ce procédé permet alors au romancier d’établir une communauté de pensée,
entre lui-même et ses lecteurs, et d’orienter leur jugement dans le sens souhaitable pour la
défense de sa thèse.
Quoi qu’il en soit, le paragraphe critique le fait que des abbayes aient été transformées en pri-
sons après la Révolution. En opposant aux termes « bastille », « cabanon », « pilori » – qui
évoquent la violence et l’humiliation des châtiments – les termes « abbaye », « cellule »,
« autel », le narrateur déplore que ces lieux aient perdu leur vocation chrétienne, avec ses ver-
tus de recueillement, de charité, de pardon. Il voit là une régression.

Le lecteur
6 On a vu à la question 5 que le narrateur peut s’adresser aux lecteurs dans la dernière
phrase, par l’emploi de « nous » et « notre », établissant ainsi une complicité idéologique utile
pour les convaincre de le suivre dans son argumentation.
Le rôle du lecteur est également spécifié par le narrateur aux lignes 20-21 : il lui demande de
« ramasser les moralités » que les faits « sèment sur leur chemin ». Cette phrase semble vou-
loir laisser au lecteur le soin de se faire sa propre opinion sur ce qui est lui est raconté. Là où
elle est placée, la formule permet au narrateur de ne pas exprimer lui-même de jugement sur
le fait que Claude Gueux vit avec une femme et a d’elle un enfant sans être marié.
Par la suite, qu’il s’agisse de la sélection des faits ou des procédés d’écriture, le narrateur s’ef-
force au contraire de conduire les réflexions du lecteur dans le sens qu’il souhaite : qualités
naturelles et circonstances atténuantes pour Claude Gueux, dysfonctionnements, dureté et
inhumanité pour la société et ses institutions.

Question supplémentaire
Après avoir fait lire le document ci-dessous, on pourra poser la question suivante :
V. Hugo écrit : « Je dis les choses comme elles sont » (l. 19-20). Qu’en pensez-vous ?
Document
Extraits d’un article du journal L’Est-Éclair publié le 8 février 2009 et signé J-M. V.H.,
d’après deux sources :
Sources :
– FEY (Dominique) et HERBELOT (Lydie), Crimes et châtiments dans l’Aube, « L’affaire Claude
Gueux. Du criminel de droit commun au héros hugolien », éd. Dominique-Guéniot, 2008,
p. 135-182.
– LEROUX (Jean-François) et FUSIER (Jean), L’Abbaye de Clairvaux, Itinéraire du Patrimoine, 2003.
[…] Claude Gueux est né dans la misère la plus sordide…
Ses parents sont des paysans sans terre qui louent leurs bras. Ils sont illettrés. Et la majorité de
la nombreuse progéniture du couple meurt en bas âge. Son père mendie à l’occasion. Sa mère,
il a à peine le temps de la connaître : elle meurt en 1816. Il est livré à lui-même, sans doute. Et
à la faim, vraisemblablement.
À 14 ans, en 1818, il est condamné par le tribunal d’Auxerre pour le vol d’un sac d’avoine : un
an de prison. Jusqu’en 1823, on sait peu de chose : qu’il est allé voir à Paris si la misère y était
moins noire ; qu’il a fait un temps dans la marine, ce dont témoigne un tatouage de marin, sur
l’avant-bras gauche.
Le vice du vol le reprend – à moins que ce ne soit la malchance de se faire prendre. Le 26 août
1823, la cour d‘assises de Chalon-sur-Saône le condamne à six ans de prison pour le vol des
économies et de quelques hardes d’un valet de ferme, à quelques kilomètres au sud de
Chassagne. […]

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Le récit de Victor Hugo s’inspire de personnes et de faits réels, rapportés dans des journaux et
étayés par des témoignages, ce qui permet au narrateur d’affirmer « Je dis les choses comme
elles sont » et au lecteur de croire à la véracité des faits.
Cependant si l’on confronte les faits, tels qu’ils sont exposés dans divers documents (articles
de presse, archives de Clairvaux, par exemple), on constate que le récit s’écarte de la réalité.
Ainsi le vrai Claude Gueux n’était pas un ouvrier parisien, il n’avait ni femme ni enfant et il
était un voleur récidiviste (vol de chevaux, d’argent).
À partir d’une histoire vraie, Hugo fait donc un travail de romancier, et de romancier engagé
contre la peine de mort : les deux premiers paragraphes présentent des faits sélectionnés et
modifiés dans un sens favorable à Claude Gueux ; les procédés d’écriture soulignent les élé-
ments qui, aux yeux du narrateur, suggèrent des arguments contre la société, contre la justice
de classe, et pour l’éducation et la charité chrétienne.

En prison (l. 37 à 142)/


Avez-vous bien lu ?
Claude est comparé à un pape avec ses cardinaux (l. 137-138).

Deux portraits (l. 41 à 93)


1 Le portrait de Claude Gueux met en évidence des éléments valorisants. Physiquement, il
est présenté comme un homme déjà marqué par la vie (« déjà ridé, quoique jeune encore »),
mais plutôt beau (« front haut » - « arcade sourcilière bien modelée » - « belle tête »).
Le narrateur insiste sur l’expression de sa physionomie : elle est grave (« une figure digne et
grave » – « l’air pensif » – « sérieux ») et impressionnante, intimidante (« la lèvre dédai-
gneuse » – « la parole rare » – « quelque chose d’impérieux […] qui se faisait obéir »). Seul le
regard « doux » atténue la sévérité du personnage.
L’insistance du narrateur sur la « belle tête » a plusieurs justifications. D’abord, comme on
vient de le voir, sa description donne un aperçu du caractère du personnage. Ensuite l’évoca-
tion de la « belle tête » développe la formule du premier paragraphe « fort bien traité par la
nature », tandis que la phrase « On va voir ce que la société en a fait » reprend « fort mal
traité par l’éducation » : Claude Gueux est présenté comme un homme « digne », « sérieux »,
« pensif », donc capable de s’instruire et de réfléchir, mais qui n’a pas eu la chance de recevoir
l’éducation qui lui aurait permis d’exploiter ses qualités. Cette phrase annonce enfin, de façon
ironique et amère, la décapitation de Claude : la société a détruit la « belle tête » que la nature
avait modelée (voir les trois dernières lignes du roman, p. 61).
2 Ferme et dur sont employés ici au sens psychologique. Ferme est un adjectif plutôt valori-
sant, qui évoque l’autorité, le courage, tandis que dur est dévalorisant et renvoie plutôt à la
brutalité, à l’absence d’humanité.
Méchant et mauvais sont deux adjectifs dévalorisants qui désignent tous les deux des per-
sonnes qui cherchent à faire du mal à autrui. Mais mauvais est pire que méchant : l’homme
méchant est franc et direct dans sa conduite, alors que l’homme mauvais est plus vicieux et
prend plaisir à faire du mal.
Les mots ténacité et volonté ont en commun l’idée d’un attachement à la réalisation d’un
projet ; mais la volonté est une qualité qui renvoie à la persévérance, à la fermeté, tandis que
la ténacité est toute proche de certains défauts comme l’obstination, l’entêtement, l’incapa-
cité à s’adapter à des changements.
La comparaison avec une chandelle et une étoile permet de comprendre le propos du narra-
teur : ce sont, certes, deux éléments qui brillent, mais la chandelle donne une lumière ordinaire
qui éclaire peu et s’éteint vite, tandis que l’étoile est un objet céleste, éternel et visible dans
l’univers tout entier. De même les traits psychologiques du directeur des ateliers (dureté, téna-
cité) sont ordinaires et de peu de valeur, comparés à ce que seraient de vraies qualités morales
comme la fermeté ou la volonté.
Il faut être intelligent pour faire la différence et ne pas être dupe d’une « illusion d’optique » :
or le directeur n’est pas assez fin pour s’apercevoir de sa médiocrité, et il se croit, sans rire,
l’égal de Napoléon !

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3 Le directeur est manifestement peu intelligent, comme le montre la remarque sur les gens
qui sont « dupes » des illusions d’optique. Il se trompe sur ses propres capacités et il est sûr
d’avoir toujours raison (« obéissant à ses idées » – « ne raisonnant avec personne » – « ne
résonn[a]nt au choc d’aucune idée »), ce qui le conduit à manquer de souplesse, à être inca-
pable de s’adapter à une situation. Il manque d’autre part d’humanité, de ce qu’on appelle
aujourd’hui l’empathie : le narrateur insiste sur son absence d’émotion.

« Fer » et « aimant »
4 Le directeur des ateliers est comparé à un briquet – au sens ancien du terme : il s’agissait
d’une pièce d’acier qu’on frappait sur un caillou pour en tirer des étincelles (opération qu’on
appelait « battre le briquet »). Le caillou désigne métaphoriquement Claude Gueux.
Cette métaphore suggère que la réunion de ces deux tempéraments ne saurait être qu’explo-
sive, et qu’elle risque de faire jaillir non seulement des « étincelles », mais des « incendies »,
c’est-à-dire des conflits ravageurs.
La conversation se passe dans une période où le directeur apprécie le prisonnier et où il est « de
bonne humeur » : il engage donc le dialogue naturellement et sans arrière-pensée, conformé-
ment à son caractère jovial, déjà évoqué à la ligne 63. Si l’on s’en tient à la lettre du texte, il
parle à Claude de sa femme « pour le consoler ». Dans la morale bourgeoise de l’époque, une
« fille publique » est méprisable, et le directeur pense alléger la tristesse de Claude en lui don-
nant cette information : cette femme, à ses yeux, ne mérite pas qu’il la regrette.
Mais Claude a volé pour nourrir cette femme et son enfant : manifestement, le directeur ne
tient pas compte de cette circonstance, et ne peut s’imaginer qu’il y ait des liens d’amour
entre ces trois personnes. De ce fait, et peut-être sans qu’il s’en rende compte, l’information
qu’il donne à Claude est d’une grande cruauté : celui-ci va forcément souffrir davantage, soit
en compatissant avec le malheur de sa compagne, soit en étant amené à la mépriser lui aussi,
et en se retrouvant plus seul que jamais.
5 Ces lignes comportent deux métaphores. La première compare Claude à un astre, un soleil
(« cerveau rayonnant ») et ses compagnons aux satellites qui gravitent autour de lui et profi-
tent de sa lumière. La seconde compare Claude à un « aimant », c’est-à-dire à un minerai qui
attire le fer dont sont faits ses codétenus.
Ces deux métaphores soulignent l’attraction naturelle que Claude exerce sur les autres.
Le choix de « l’aimant » permet probablement un jeu de mots, grâce à l’homophonie avec le
participe présent du verbe aimer : Claude fait aussi partie des gens capables d’aimer.

Le narrateur
6

Je On Nous
• je [blâme] l. 39-40 = le narrateur • on [le mit] l. 38 = la direction de [sur] nous – [si] nous [examinons]
la prison – nous [trouvons] l. 87-89 = nous
• on [va voir] l. 48 = vous, lecteurs tous, lecteurs et narrateur
• on [ne savait] l. 109 = personne nous [avons dit] l. 100 = j’ai dit,
• on [voit] l. 124 = nous tous moi, le narrateur

Le narrateur donne son avis sur :


– le fait que les prisonniers travaillent : il approuve ; mais il désapprouve, implicitement, la
mise au cachot ;
– le directeur, dont il déplore le caractère borné et l’obstination sotte ; il généralise son juge-
ment à tous les hommes qui, « aveuglément », « s’admirent » et se croient « des provi-
dences » alors qu’ils ne suscitent que des catastrophes ;
– le rôle de révélateur que joue le regard, « fenêtre par laquelle on voit les pensées » ;
– la force d’attraction des hommes intelligents sur ceux qui ne le sont pas ;
– la mécanique des sentiments qu’inspirent les hommes populaires : si les « esclaves » les
aiment, alors ils subissent « la haine des maîtres ».
On voit que les opinions du narrateur dans ce passage, à l’exception de la remarque sur les
ateliers, concernent essentiellement la psychologie humaine en général. On se trouve en effet
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au moment où sont dépeints les caractères des protagonistes qu’Hugo s’emploie à transfor-
mer en « types » de personnalités composant la société humaine réelle.

Albin (l. 143 à 197)/


Avez-vous bien lu ?
Albin a 20 ans (l. 187).

La faim (l. 143 à 159)


1 Gradation ascendante : Monsieur de Cotadilla est « duc », « grand d’Espagne » et richis-
sime. Ces trois caractéristiques donnent trois raisons, de plus en plus fortes, qui légitiment le
gros appétit de ce personnage privilégié.
L’évocation du duc est liée à un souvenir d’enfance de Victor Hugo, qui avait accompagné son
père en Espagne quand Napoléon y faisait la guerre.
Gradation descendante : « gaieté pour un duc », « charge pour un ouvrier », « malheur pour
un prisonnier ».
Cette gradation souligne d’abord l’extrême différence entre nobles et roturiers, ensuite celle
entre ouvrier et prisonnier : elle met en évidence la situation de Claude Gueux, qui est la pire.
2 La force de l’expression tient au fait qu’elle allie un substantif de sens concret (ration =
portion de nourriture attribuée à chaque prisonnier) et un adjectif de sens abstrait, qui s’ap-
plique généralement à une personne (un juge « inexorable ») ou à une loi, une force (une fata-
lité « inexorable »). Le mot « inexorable », pris au sens littéral, suggère qu’il est absolument
inutile de prier (orare signifie « prier » en latin) les autorités pour modifier la quantité de nour-
riture allouée. Celle-ci semble échapper à l’action humaine, elle s’impose de manière intan-
gible : pas question d’attendre de la souplesse, une adaptation à des exigences individuelles.
On rapprochera cette réalité du caractère du directeur : quand une règle est fixée, par le règle-
ment ou par lui-même, rien ne peut l’en faire démordre.

« Ils partagèrent » (l. 160 à 189)


3 Albin est décrit à l’aide des qualificatifs « jeune », « pâle », « blond », « faible ». Tout oppose
son portrait à celui de Claude. Physiquement, celui-ci en effet « paraissait cinquante [ans] », il a
des « cheveux gris perdus dans les touffes noires », des traits affirmés (« arcade sourcilière bien
modelée », « narines ouvertes », « menton avancé »). Il semble « dédaigneux », « pensif », sa
physionomie exprime une « sérénité sévère », et surtout il a de l’autorité (« il avait […] quelque
chose d’impérieux », « un ascendant singulier sur tous ses compagnons »).
Albin, au contraire, a des traits presque effacés (« pâle », « blond ») et n’exprime aucune
force : sa faiblesse physique se double d’une attitude craintive (« ayant l’air de vouloir parler
et de ne pas oser », « timidement »). C’est pourquoi il attend que Claude engage la conversa-
tion et qu’il lui demande un service : il préfère rester en position d’infériorité.
4 Albin n’a pas proposé de donner une part de son pain à Claude, car celui-ci aurait pu se
sentir humilié de recevoir la charité et de devoir de la reconnaissance à son bienfaiteur.
Il a présenté sa proposition de partage comme un service que Claude lui rendrait en l’aidant
à manger toute sa ration. Il est donc logique qu’il le remercie d’accepter le partage, et cela dis-
pense Claude d’avoir à exprimer sa reconnaissance.
La « larme » qui roule dans l’œil de Claude prouve que celui-ci a bien compris la délicatesse
de la démarche d’Albin qui lui fait un don tout en ménageant sa fierté.

« Une étroite amitié » (l. 189 à 197)


5 Le narrateur souligne l’amitié entre les deux personnages en répétant l’adjectif indéfini
« même » : tous les moments de la journée, toutes les activités sont pour les deux amis l’oc-
casion de se retrouver.
6 Le partage du pain fait penser à la communion dans le rituel chrétien : cette étape de la
messe consiste à partager le pain et le vin, en souvenir de la Cène, c’est-à-dire du dernier repas
du Christ avec ses disciples, avant la Passion et la crucifixion.
Le narrateur renforce cette allusion religieuse en écrivant que les deux prisonniers couchaient
non pas dans le même dortoir ou dans la même travée, mais « sous la même clef de voûte » :

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rappelant que la prison de Clairvaux est à l’origine une abbaye, il suggère que l’architecture elle-
même favorise et protège cette amitié, lui conférant une part de sacré. On peut également voir,
dans ces allusions au sacré, une manière d’empêcher que l’amitié entre Claude et Albin ne soit
interprétée comme une relation homosexuelle – ce qu’elle semble avoir été dans la réalité.

Vers l’expression\
Vocabulaire
1. Aveuglément prend un -é, froidement un -e, conformément à leur prononciation.
confusément – humblement – joyeusement – précisément – habituellement.
2. Le nom ténacité est formé de l’adjectif tenace et du suffixe -ité, qui sert à former des sub-
stantifs. Le radical de ce substantif comporte deux différences par rapport à l’adjectif qui
sert de base : le -e final a disparu, et le -e de la syllabe initiale a pris un accent aigu.
capacité – captivité – dignité – méchanceté – sérénité.
3. À la ligne 115, le mot ascendant signifie pouvoir, influence, emprise. À la ligne 119, le mot
ascendant signifie montant vers le haut. Ce mot s’emploie en astrologie pour désigner
l’astre qui monte au-dessus de l’horizon à la naissance de quelqu’un, et en généalogie pour
désigner les parents dont une personne est le descendant.
Exemples :
– Il était Taureau ascendant Scorpion. Mais il ne croyait pas à l’astrologie !
– Le médecin demanda à son nouveau patient s’il y avait eu chez ses ascendants des cas
de diabète.
4. Clef peut aussi s’écrire clé. Clef vient du latin clavis, qui signifie « clou », « loquet », « barre ».
En ancien français, le pluriel s’orthographiait clez ou cles. C’est de ce pluriel que dérive
le singulier orthographié clé.
– prendre la clé des champs : s’enfuir.
Pendant que les deux shérifs cuvaient leur vin, le hors-la-loi défit ses liens et prit la clef des
champs.
– mettre sous clef : enfermer dans un meuble qui ferme à clef.
Les parents de Jérôme mettent sa console sous clef les jours de semaine.
– mettre la clef sous la porte : cesser une activité économique, faire faillite.
Ce restaurant est mal situé : au bout de quelques mois, le gérant a dû mettre la clef sous la
porte.
– un roman à clefs : dont les personnages fictifs s’inspirent de personnes réelles qu’on peut
deviner.
On reconnaît le baron James de Rothschild dans des personnages de romans : il inspire
Balzac pour le baron de Nucingen, ou Zola pour le financier Saccard.
– clef de fa : signe en début de portée qui sert à indiquer la hauteur des notes. La clef de fa
note les sons graves, la clef de sol les sons aigus.
Les suites pour violoncelle de Bach doivent être transposées en clé de sol pour être jouées au
violon.
– clef de l’énigme : solution.
Les récits fantastiques, comme Le Horla de Maupassant, font durer le mystère et ne donnent
pas la clé de l’énigme à la fin.

À vous de jouer
n Écriture d’un portrait
Dans le travail préparatoire, on demandera aux élèves de définir précisément les caractères des
deux personnages, puis de trouver des détails significatifs. On suggèrera aussi d’inverser le rap-
port de forces par rapport au modèle hugolien. On imaginera par exemple un élève ou un
invité indiscipliné et un professeur ou un animateur débordé.
• Caractères contrastés : timidité / audace, exubérance ; poltronnerie / courage ; conformisme
/ inventivité, imagination ; obéissance / indiscipline ; paresse / hyperactivité ; hypocrisie / fran-
chise ; maussaderie, agressivité / douceur, gentillesse ; avarice / prodigalité ; goût du concret,
des activités manuelles / tendance à la spéculation intellectuelle.

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• Des détails significatifs : exemple d’un parent « pratique », « concret » et d’un adolescent
« artiste », « rêveur », « idéaliste ». Parent : importance accordée à la nourriture, aux vête-
ments, à l’hygiène, au respect des horaires, aux formalités administratives, aux résultats sco-
laires dans les disciplines « importantes » – projets d’avenir raisonnables : stabilité de l’emploi,
niveau du salaire, etc.
• Adolescent : goût pour les vêtements excentriques (ou indifférence aux vêtements), vie
nocturne, activités artistiques (musique, arts plastiques, théâtre), rejet de l’école, projets
d’avenir utopiques, fréquentations marginales, indifférence à l’argent, etc.

Exercices supplémentaires éventuels


n Exposés oraux
Répartis en plusieurs groupes, faites des recherches sur le pain : son histoire, ses variétés, son
rôle dans l’alimentation, sa valeur symbolique, etc.
Distribuez à vos camarades une fiche comportant le plan de votre exposé, puis présentez les
résultats de vos recherches dans une intervention orale de cinq minutes.
n À consulter
DE TONNAC Jean-Philippe (dir.) (intr. Stephen Laurence Kaplan), Dictionnaire universel du pain,
éd. Robert Laffont, coll. « Bouquins », Paris, 2010.
n Site Internet
Blog de Guy Tarade et Christophe Villa-Mélé : Le Pain : histoire et symbolisme
lesarchivesdusavoirperdu.over-blog.com/m/article-41317043.html

Du texte à l’image/
Honoré Daumier, Les Gens de justice
1 À gauche de l’image se trouve le juge, reconnaissable à sa robe et à sa toque noires.
À droite, près du bureau, est représenté le « justiciable », qui a volé. On reconnaît un homme
misérable, cheveux en bataille, sans couvre-chef, pauvrement vêtu, surveillé par un gendarme
identifiable à son uniforme (bicorne, baudrier).
2 Le juge est affalé dans son fauteuil à accoudoirs, la tête reposant sur le dossier, les mains
croisées sur le ventre ; on devine qu’il a les jambes allongées sous le bureau. Son attitude et sa
physionomie traduisent le confort, la tranquillité, l’assurance : le magistrat est en position de
force.
Le voleur est debout, coincé entre le bureau du juge et le gendarme derrière lui. Sa physiono-
mie exprime l’effarement, l’angoisse. La représentation souligne l’infériorité du personnage
(infériorité sociale et infériorité dans la « machine » judiciaire) et son absence de liberté : il n’a
pas d’issue.
3 On appelle « dessin d’humour » un dessin qui vise à faire rire ou sourire le lecteur par son
sujet, sa technique, sa légende, etc.
La caricature est un genre de dessin qui vise à critiquer un sujet – en général une personne
célèbre ou un type social – par la moquerie et la dérision. Pour cela, le caricaturiste simplifie la
physionomie ou la silhouette et accentue certains traits physiques caractéristiques ou certains
défauts.
La lithographie de Daumier présente quelques éléments de caricature : la position du juge, par
exemple, accentue sa morgue et son mépris pour la personne qu’il a devant lui, la physionomie
du voleur (la bouche, les yeux) souligne son effarement.
L’humour est également présent dans la légende : il naît du jeu sur la polysémie de l’expression
« avoir faim », qui signifie « avoir de l’appétit » pour le juge, et « ne pas avoir de quoi se nour-
rir » pour le miséreux.
Le dessin fait évidemment sourire et peut être considéré comme comique. Mais il vise à sou-
lever également chez le spectateur des sentiments mêlés d’antipathie pour le juge, de sympa-
thie pour le voleur, et de révolte face au comportement humiliant et injuste de la « justice ».
4 La légende est prononcée par le juge, en réponse à l’explication donnée par le voleur à son
geste. Le juge reprend ses propos « vous aviez faim », mais la suite de sa réplique prouve qu’il

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leur donne un sens différent de celui du voleur. En effet, quand le juge dit qu’il a faim
« presque tous les jours », il entend par là qu’il a régulièrement envie de manger, qu’il a de
l’appétit au moment de se mettre à table. Le voleur, lui, a eu recours au vol parce qu’il souffrait
de la faim, et n’avait aucune nourriture à se mettre sous la dent pour la calmer.
Ce jeu sur la polysémie de l’expression « avoir faim » (avoir de l’appétit / souffrir de malnutri-
tion) souligne la différence de classe sociale : le juge et le voleur, même quand ils emploient
les mêmes mots, ne parlent pas la même langue.
5 Le principe de la liberté de la presse a été établi en 1830. Charles Philipon fonde d’abord La
Caricature, puis, en 1832, Le Charivari, journal quotidien de quatre pages dont une page de
dessin.
Le mot « charivari » désigne à l’origine le tapage organisé par les marins pour accompagner les
travaux de force, puis les chahuts organisés devant les maisons de gens qu’on voulait critiquer
(femmes infidèles, juges corrompus).
Le choix de ce titre indique que le journal est « révolutionnaire », dans sa forme comme dans
les idées qu’il défend. Il s’adresse à un public qui conteste le règne de Louis-Philippe. Daumier,
artiste républicain, y publia 4000 lithographies. Il critique les hommes politiques et les institu-
tions, qu’il accuse d’être au service de la bourgeoisie. Dans cette lithographie, le dessinateur se
moque de l’incapacité du juge à comprendre la situation des meurt-de-faim. Les lecteurs du
Charivari, opposants au régime bourgeois de Louis-Philippe, et sensibles aux inégalités sociales
et à la misère d’une grande partie de la population, partagent avec Daumier cette vision critique
d’un pouvoir injuste et dur pour les pauvres.

À consulter
ROSSEL André, Un journal révolutionnaire : Le Charivari, Éditions de La Courtille, 1971.

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w Pause lecture 2 ➜ p. 43 à 47
« Je juge quelqu’un. »
La séparation (l. 1 à 108)/
Avez-vous bien lu ?
Albin a changé de quartier parce que le directeur en a décidé ainsi (l. 44-46).

Une haine implacable (l. 1 à 15)


1 Les sentiments du directeur envers Claude s’expriment par les mots : « détestait » –
« jaloux » – « haine secrète, envieuse, implacable ».
Un paradoxe est une opinion ou un fait qui contredit l’opinion commune, le bon sens ou la
logique.
La haine du directeur contredit la logique apparente. Le narrateur explique que Claude lui a
« maintes fois rendu service » (l. 9), en l’aidant à maintenir l’ordre parmi les prisonniers. On
s’attendrait donc à ce que M. D. lui en soit reconnaissant et l’en remercie d’une façon ou d’une
autre. Or, il éprouve au contraire de la haine envers le prisonnier.
Les adjectifs « jaloux » (l. 11) et « envieuse » (l. 12) donnent la clé de ce paradoxe apparent.
Le directeur nous a été présenté comme un homme « tyrannique » et « à courte bride sur son
autorité » (l. 61, p. 17). Face à Claude, qui a plus d’autorité que lui sur les prisonniers, et qui lui
rend des services, il se sent en position d’infériorité, ce qui lui est insupportable. Il va donc se
venger de ce sentiment d’infériorité qui l’humilie, en usant de son pouvoir sur l’affectation des
détenus dans les ateliers.
2 Cette phrase, au présent de vérité générale, exprime le point de vue du narrateur. L’affirmation
repose sur l’expérience du narrateur, sur sa connaissance de la psychologie humaine.

« Je ne reviens jamais sur mes décisions. » (l. 16 à 84)


3 La souffrance de Claude se manifeste par des comportements inhabituels : il adresse la
parole à un guichetier (l. 32-33), sa main « trembl[e] légèrement » (l. 41-43) quand il apprend
le changement de quartier d’Albin, et il ose interpeller le directeur pendant sa ronde pour lui
demander de revenir sur sa décision.
4 Claude exploite plusieurs arguments pour appuyer sa demande :
– « j‘ai besoin d’Albin pour vivre » (l. 64-65) renvoie à la relation d’amitié entre les deux
hommes ;
– « Albin partageait son pain avec moi » (l. 68-69) reprend l’idée en donnant à « vivre » un
sens physique, celui de « survivre » ;
– « c’est la vie ou la mort » (l. 76-77) suggère au directeur que sa décision va au-delà d’un
simple changement administratif – elle condamne Claude à mort, en quelque sorte ;
– « cela dépend de vous » (l. 77) rappelle au directeur qu’il est seul à décider – l’argument
peut être flatteur, il reconnaît le pouvoir de M.D., mais il signifie aussi que la décision est très
facile à modifier ;
– « est-ce que je vous ai fait quelque chose ? » (l. 79) : cette question est destinée à montrer
au directeur qu’il blesse quelqu’un qui ne lui a rien fait, et donc que sa décision ne repose sur
aucun motif valable.
La réponse du directeur, « Parce que », révèle le caractère du personnage et le fonctionnement
de sa prétendue « volonté ». Il prend une décision et estime ne pas avoir à en expliquer les
motifs : il exerce son pouvoir de façon arbitraire et n’a pas de comptes à rendre à un prisonnier.
En réalité, il a déplacé Albin pour faire du mal à Claude, parce qu’il est « mauvais » (voir p. 17,
l. 66), « jaloux » (l. 11), et qu’il éprouve de la « haine » envers son prisonnier (l. 11). Mais ce
sont des motifs qu’il ne peut pas avouer.

« Et Albin ? » (l. 85 à 108)


5 Claude refuse le pain offert par d’autres prisonniers, malgré sa faim, parce qu’il ne veut pas
remplacer Albin : leurs liens vont bien au-delà du simple partage de la ration, et le pain des

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autres n’a pas la même valeur ni le même sens que celui d’Albin. Il refuse « en souriant »
(l. 98), pour ne pas blesser ses camarades, mais il refuse, restant ainsi fidèle à son unique véri-
table ami.
6 Après l’échec de la discussion avec le directeur, le comportement de Claude change peu,
mais de façon significative. Il se promène « seul » (l. 91), mais surtout sa physionomie devient
« sombre » et « sinistre » (l. 94), ce qui, étymologiquement, laisse présager des événements
dramatiques.
Il instaure enfin une sorte de rituel troublant au moment de la tournée du directeur, en le regar-
dant « fixement » (l. 104) et en prononçant toujours la même question : « Et Albin » ? (l. 106-
107). Le ton de cette question est lui aussi inquiétant, mêlant « angoisse » et « colère » (l. 105).
Ces changements marquent le début d’un processus qui aboutira à une explosion de violence.
L’attitude du directeur est humiliante à plusieurs titres : en faisant semblant de ne pas voir le
regard de Claude et de ne pas entendre sa question, il fait comme si celui-ci n’existait pas à ses
yeux. En « haussant les épaules » (l. 108), il signifie que ce qu’il a vu et entendu est stupide ou
sans importance. Dans les deux cas, il nie la souffrance de Claude, ce qui conduira celui-ci à la
manifester d’une manière plus explicite, sans laisser au directeur la possibilité de passer outre.

La résolution (l. 109 à 267)/


Avez-vous bien lu ?
De son ancienne vie, Claude a gardé un livre et des ciseaux (l. 161-162).

L’affrontement (l. 109 à 141)


1 Le verbe « juger » doit être pris ici au sens juridique du terme et s’applique au directeur de
la prison. Claude Gueux s’érige en juge et soumet la conduite de M. D. à une sorte de tribunal
intérieur, qui doit décider s’il est ou non coupable et quelle peine il mérite.
Cette attitude fait de Claude un homme soucieux de peser soigneusement les actes d’autrui
et les siens, afin de ne pas commettre d’injustice. Il y a là quelque chose d’ironique : le voleur,
le détenu, se soucie de la justice de ses actes et de leur motivation, alors que le directeur de la
prison se conduit de façon arbitraire (« parce que ») et que la condamnation de Claude à la
prison s’est faite sans tenir compte de la gravité de son vol et des circonstances atténuantes.
Le récit opère donc un renversement : le voleur est juste et la société est injuste.
2 Claude met le directeur en garde à plusieurs reprises :
– l. 117-118 : « Écoutez, monsieur […] Remarquez que je vous dis cela… »
– l. 131-132 : « Monsieur le directeur, rendez-moi mon camarade. »
– l. 136-137 : « Réfléchissez […] Je vous donne jusqu’au 4 novembre. »
Outre ces avertissements verbaux et ce qu’ils impliquent (le premier est une menace, le troi-
sième un ultimatum), Claude recourt à un geste symbolique en écrasant le verre de montre. La
montre renvoie à l’existence d’une sorte de compte à rebours qui accompagnerait l’ultima-
tum ; l’écrasement sous le pied de Claude évoque ce qui pourrait arriver en cas de refus…
Une fois encore le directeur se contente d’un seul mot en guise de réponse : il ne daigne pas
exposer le moindre argument à l’appui de sa décision.
Ce qui est « impossible » à ses yeux, c’est d’accéder à la demande de Claude et de revenir sur
la décision qu’il a prise. Cette attitude renvoie au portrait initial : M.D. s’enorgueillit d’être
« tenace », et confond la volonté et « l’entêtement » ; en outre, il est sot (« entêtement sans
intelligence », « sottise », « bêtise »), ce qui l’empêche d’entendre les avertissements, de
comprendre ce qui se passe dans la tête de Claude et de se douter que quelque chose de grave
se prépare.

Les préparatifs (l. 142 à 215)


3 Claude annonce d’abord mystérieusement qu’un « malheur » guette « ce bon monsieur D. »
(l. 147-148), sans autre précision sur la nature du « malheur » ni sur son origine. Son comporte-
ment du 4 novembre intrigue. D’une part, il semble avoir changé d’état d’esprit : il retrouve un
« visage serein » (l. 157), il travaille « avec plus d’ardeur qu’à l’ordinaire » (l. 176-177). D’autre
part, il fait des choses inhabituelles : il sort de ses affaires une paire de ciseaux de couturière

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(l. 161) et affirme pouvoir « couper les barreaux » (l. 174) d’une fenêtre en les utilisant. Il veut
absolument finir un ouvrage « payé d’avance » (l. 177-180), comme si c’était la dernière occa-
sion pour lui de le faire. Ces détails laissent penser que Claude a pris une décision et qu’il est sur
le point de passer à l’acte. L’emprunt de la hache donne la clé de ces préparatifs.
4 Les camarades de Claude ne font absolument rien pour le dissuader d’attenter à la vie du
directeur : ils lui fournissent la hache, ne font aucun commentaire et bien sûr n’avertissent pas
la direction de la prison. Cette réaction est dans la logique de ce que le narrateur a exposé pré-
cédemment. Claude est respecté et vénéré comme un « pape », c’est lui qui représente l’au-
torité morale, il ne saurait donc pas « être conseillé » (l. 199). Il est aussi « aimé » (l. 183), et
ne peut donc pas non plus « être dénoncé » (l. 199). En outre, il est probable que le directeur
est haï des détenus, et que son élimination ne leur pose pas de problème moral.

Le discours de Claude Gueux (l. 216 à 267)


5 Discours direct : l. 226-240 et l. 265. Les passages sont introduits par un tiret.
Discours indirect :
– l. 223-240 [Claude annonça […] quelque chose à dire].
– l. 244 à 261 [Il déclara qu’il savait bien […] il était prêt à l’écouter].
Passages introduits par des verbes de parole (annonça, attesta, déclara) suivis de propositions
subordonnées conjonctives introduites par que.
Claude affirme qu’il doit tuer le directeur, parce que « c’est un méchant homme qui jouit de
tourmenter » (l. 232-233), et parce qu’il l’a « jugé » et « condamné à mort » (l. 237), après lui
avoir donné des chances de revenir sur sa décision de le séparer d’Albin.
Il précise ensuite qu’il n’a pas d’autre solution que « de se faire justice soi-même » (l. 248), au
prix de sa propre vie – en effet, le directeur a le droit pour lui, même s’il en fait un usage
sadique, Claude ne peut donc pas se tourner vers une institution qui reconnaîtrait le préjudice
qu’il subit. Il affirme que le directeur a mérité de mourir et que cet acte est « une chose juste »
(l. 252), et non pas une vengeance dictée par le « ressentiment » (l. 256).
Claude demande aux autres prisonniers d’examiner « ses raisons » en conscience et de l’aver-
tir au cas où il se serait trompé. Il se dit prêt à écouter une éventuelle « objection » (l. 261),
car il considère ses compagnons comme des « hommes justes » (l. 258-259) : c’est de nou-
veau l’affirmation paradoxale que c’est en prison et chez les « voleurs » que se trouve la vraie
justice, et non dans les institutions sociales.
6 Claude a accepté de faire une nouvelle et ultime tentative de discussion auprès du direc-
teur, parce que cela lui a été demandé par un des prisonniers, considérés comme des
« hommes justes ». Il lui paraît légitime de donner une dernière chance au « condamné »
d’échapper à son sort.
On fera remarquer que dans les condamnations par les tribunaux, cette « dernière chance »
d’échapper au châtiment n’existe pas : Claude vole, il prend cinq ans de prison et se retrouve
à Clairvaux. Il n’y a pas de « sursis ».
– l. 252 : « une chose juste » : légitime, fondée.
– l. 259 : « hommes justes » : raisonnables, sensés, sages, équitables, impartiaux.
– l. 265 : « c’est juste » : c’est correct, conforme à la justice, c’est équitable.
Note. On pourra entraîner les élèves à utiliser le site du Centre national des Ressources tex-
tuelles et lexicales (www.cnrtl.fr) qui, sous l’onglet Synonymie, donne des listes de synonymes
classés par ordre de fréquence ; cela permettra en outre de les faire réfléchir à la notion de
synonymie dans ses relations avec les contextes d’emploi.

Le crime (l. 268 à 298)/


Avez-vous bien lu ?
Le directeur est assassiné dans l’atelier, avec une hache.

Veillée d’armes (l. 268 à 320)


1 Les mots « cour de cassation », « ratifier » et « sentence » appartiennent au champ lexi-
cal de la justice et du droit. Leur emploi est paradoxal parce qu’ils renvoient à une décision qui

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a été prise par des détenus et qui constitue, ni plus ni moins, un assassinat, c’est-à-dire un
crime absolument contraire à la loi et au droit.
Leur emploi contribue à renforcer l’idée déjà exprimée plus haut : Claude est un « juge »
impartial, ses camarades sont des hommes « justes » qui raisonnent honnêtement, donc l’as-
sassinat du directeur n’est pas un complot criminel mais l’application de la vraie justice, qui
n’est pas celle de la société.
2 Avant l’arrivée du directeur, Claude partage ses biens entre ses compagnons et les embrasse,
bavarde et plaisante, encourage un jeune détenu, puis remet tous ses camarades au travail.
Cette attitude confirme le portrait de Claude : il est calme, aimé et respecté par ses codétenus,
digne mais aussi enclin à des comportements de « gamin des rues » (l. 286). Depuis qu’il a pris
la décision qu’il estime « juste », il semble avoir retrouvé sa sérénité naturelle.
Étienne Kern, dans son introduction à Claude Gueux (GF), suggère ce rapprochement : « Avant
de mettre à mort M. D., Claude “distribue toutes ses hardes”, ce qui peut faire songer au par-
tage des vêtements du Christ par les soldats (Marc, 15, 24) ». La suite du récit confirmera la
dimension christique du personnage.

La dernière chance (l. 321 à 379)


3 Arguments montrant les avantages pour Claude d’un revirement du directeur :
– il sera mieux nourri ;
– il sera plus heureux avec un ami.
Arguments montrant les avantages pour le directeur :
– Claude travaillera mieux ;
– la décision est facile à prendre ;
– elle est sans conséquences, puisque les prisonniers sont interchangeables.
Ces arguments sont inefficaces parce qu’ils ne tiennent pas compte du caractère de M. D. :
celui-ci ne se préoccupe absolument pas du bien-être ou du bonheur de Claude. Sa décision ne
repose sur aucun motif rationnel : elle est conforme à l’idée que le directeur se fait de l’auto-
rité (qu’il confond avec l’entêtement) et elle satisfait la jalousie et la haine qu’il éprouve
secrètement pour son prisonnier.
4 Le directeur se conduit de façon brutale et méprisante : il tutoie Claude, comme « un
chien », et ne lui répond que d’un mot (« Encore ! », « Impossible »), à contre-cœur et sans
souci de s’expliquer. M. D. ne peut évidemment pas dire quels sont ses véritables motifs. Il se
contente de répéter qu’il ne peut rien changer à sa décision. « Parce que » : le mot exprime
son pouvoir arbitraire et son droit de ne pas expliquer, justifier rationnellement ses actes.
Ce dernier mot renvoie au portrait de M. D. (« entêtement », « sottise », p. 16-17) et à cette
réponse déjà prononcée (p. 29, l. 83).

Le crime (l. 380 à 398)


5 Le narrateur donne des détails qui montrent toute l’horreur du crime de Claude : il précise
où sont portés les coups (« tous les trois dans la même entaille », « avaient ouvert le crâne »,
l. 384-385 – « balafra le visage », l. 387 – « fendit la cuisse », l. 388), souligne la violence de
Claude (« assénés », l. 384 – « fureur lancée », l. 387 – « coup inutile », l. 389). Il intervient
même dans une incise (« chose affreuse à dire », l. 384).
On peut trouver plusieurs raisons à ce choix. D’une part, le récit reprend les détails donnés
dans la presse et Hugo, comme le narrateur, en est certainement horrifié.
D’autre part, il est logique qu’au moment de l’assassinat du directeur, Claude soit en proie à la
« fureur », au déchaînement des sentiments qu’il a longtemps refoulés, et que ses actes
dépassent leur but.
Du point de vue de l’argumentation contre la peine de mort, il est important de raisonner sur
des actes incontestablement affreux, de montrer qu’on les a en horreur – et que, malgré tout,
on trouve la peine de mort inique (voir la plaidoirie de Robert Badinter contre la peine de mort
lors du procès d’un assassin d’enfant, en 1977). Le refus de la peine de mort est un principe
absolu, qui doit s’appliquer quelle que soit l’horreur du crime commis.
6 Le narrateur place le lecteur en position de juge.
On laissera d’abord place au débat pour répondre à la seconde partie de la question. Il faudra
ensuite faire réfléchir sérieusement les élèves à la question de la proportionnalité des fautes et

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des peines. Monsieur D. est incontestablement un méchant homme qui persécute Claude.
Mais cette faute mérite-t-elle la mort ?
On touchera là au paradoxe du récit. Alors que Victor Hugo veut combattre la peine de mort,
le narrateur semble trouver « juste » que Claude condamne le directeur à mort…
La fin du récit indiquera cependant que c’est là le comportement, logique mais illégitime, d’un
être qui raisonne sans avoir reçu d’instruction ni d’éducation morale et chrétienne. Et surtout,
Claude lui-même admet que son acte est un crime, et qu’il doit le payer de sa propre vie (voir
l. 250-252 : « il ne pouvait prendre la vie du directeur sans donner la sienne propre, mais il
trouvait bon de donner la sienne pour une chose juste »).

Vers l’expression\
Vocabulaire
1. Déshonoré est formé du préfixe dés- et de honoré, participe passé du verbe honorer. Le pré-
fixe dé- ou dés- indique la privation ou l’action contraire. Le verbe honorer dérive étymolo-
giquement du latin honos, honoris, « l’honneur ».
Être déshonoré, c’est être privé de son honneur.
Appartiennent à la même famille étymologique les mots honorable, honorifique, honoraire,
(dés)honneur, honnêteté. Exemples de phrases :
Contrairement à l’opinion commune, Victor Hugo présente Claude Gueux comme une per-
sonne honorable.
Après sa mise à la retraite, cet éminent professeur est devenu président honoraire de l’uni-
versité.
Il est absurde d’admirer les fraudeurs astucieux : l’honnêteté est bien plus méritoire !
L’orthographe des dérivés de honor n’est pas toujours conforme à l’étymologie, puisque
(dés)honneur et honnête(té) prennent deux n.
2. Éloquence dérive du verbe latin loquor, « parler », dont le participe est locutus.
– Sur la racine loqu-, on trouve en français : éloquent, loquace et loquacité, soliloque, ven-
triloque, interloqué. Exemples de phrases :
Claude Gueux, privé de son ami Albin, s’isole et se montre de moins en moins loquace -
avec ses camarades.
Après le vol de sa cassette, Harpagon perd la tête et se met à soliloquer.
– Sur la racine locut-, on trouve en français : locution, allocution, (inter)locuteur. Exemples
de phrases :
Parce que est une locution conjonctive, en raison de est une locution prépositionnelle.
Au nouvel an, le président de la République prononce une allocution à la télévision.
3. – Antonymes de bienveillant : malveillant, hostile, sévère.
– Antonymes de dignité : indignité, bassesse, vulgarité.
– Antonymes de naturel : artificiel, factice, anormal, maniéré, sophistiqué.
– Antonymes de sérénité : trouble, émotion, anxiété, angoisse.
– Antonymes de violent : doux, paisible, pacifique, non-violent.
Remarques :
Penser à faire utiliser le site du CNRTL (www.cnrtl.fr), qui propose des listes d’antonymes
classés par fréquence.
L’exercice permet de faire réfléchir les élèves sur la notion de polysémie : un même mot a
des antonymes (et des synonymes) différents selon le sens particulier qu’il prend dans le
contexte. Par exemple, pour naturel, on distinguera : des fleurs naturelles / des fleurs arti-
ficielles ; un maquillage naturel / un maquillage sophistiqué ; une mort naturelle / une
mort violente.
4. • Contenir : Le condamné n’a pas pu contenir sa colère à l’énoncé du verdict. – Il a fallu
faire appel à la police pour contenir la foule devant l’hôtel de David Beckam. – Cette boîte
peut contenir un litre de crème.
• Paraître : Cette jeune actrice paraît à l’aise sur scène. – Le prochain numéro de cette
revue d’informatique va paraître cette semaine. – Mieux vaut préférer l’être au paraître,
pour éviter les désillusions.

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• Prévenir : L’avant-garde a réussi à prévenir le général de la présence de troupes ennemies
sur le bord du fleuve. – L’amoureux s’emploie à prévenir les moindres désirs de l’élue de
son cœur. – En toutes circonstances, mieux vaut prévenir que guérir.
• Reprendre : Tu lui as donné ta console, tu ne dois pas la lui reprendre ! – Je vais reprendre
mon travail après une semaine de congé. – La maîtresse vient de reprendre vertement un
élève insolent. – Cette jupe est trop large, il faut reprendre la ceinture. – Cet arbre a été
transplanté trop tard, il ne peut pas reprendre.

À vous de jouer
n Transposition orale
« Je suis dans une rude extrémité ; la nécessité de se faire justice soi-même est un cul-de-sac
où l’on se trouve engagé, quelquefois ; à la vérité [ou : à vrai dire], je ne peux pas [ou : je ne
peux vraiment pas] prendre la vie du directeur sans donner la mienne ; mais je trouve bon de
donner ma vie pour une chose juste [ou : mais donner ma vie pour une chose juste, je trouve
que c’est bon] ; j’ai mûrement réfléchi, et à cela seulement [ou : je n’ai pensé qu’à cela] depuis
deux mois ; je crois bien ne pas me laisser entraîner par le ressentiment, mais si c’est le cas,
avertissez-moi, je vous en supplie ; je vous soumets honnêtement mes raisons, à vous,
hommes justes qui m’écoutez ; je vais donc tuer M. D., mais si quelqu’un a une objection à me
faire, je suis prêt à l’écouter. »
n Écriture d’imagination
Le lion est traditionnellement considéré comme « le roi des animaux » sauvages. Il évoque la
puissance, la force physique, il inspire la crainte et le respect. La cage renvoie à la prison. Le
chien est l’animal domestique pas excellence, symbole d’affection et de fidélité à son maître.
Pour faire imaginer le récit, on pourra suggérer d’autres couples d’animaux : l’âne et le singe
– le loup et l’agneau – le serpent et la biche – l’éléphant et la gazelle, etc.
On commencera par dégager les traits de personnalités caractéristiques de chaque animal
d’après la tradition des fables ou des contes : cruauté du loup / douceur de l’agneau – lour-
deur, lenteur de l’éléphant/ légèreté, vélocité de la gazelle – sottise de l’âne / malignité du
singe – sournoiserie, méchanceté du serpent / candeur, douceur de la biche, etc.
Si la phrase de conclusion doit conserver le schéma de la phrase de Victor Hugo, les élèves
auront toute liberté d’en changer les termes et le sens.
On peut ainsi avoir « Pauvre loup qu’on nourrissait comme un agneau ! » ou « Pauvre élé-
phant contraint d’imiter la gazelle », mais on acceptera aussi « Heureux agneau arraché aux
griffes du loup » ou « Bienheureuse biche que le serpent ne pouvait plus atteindre »…
Il restera ensuite à transposer ces caractéristiques animales dans des personnalités humaines,
et à imaginer des situations qui les mettent en confrontation (doux enfant / cruelle marâtre –
jeune stagiaire / vieux collègue malveillant – colosse obligé de courir pour échapper à un dan-
gereux poursuivant, etc.). On pourra également préparer le travail d’écriture en conseillant des
(re)lectures de contes ou de récits présentant ce type de personnages ou de situations
(enfants / ogres – princes / dragon – Cosette / la Thénardier – Esméralda, Quasimodo – récits
policiers).

Du texte à l’image/
Odilon Redon, Le Prisonnier
Remarque liminaire : étant donné le caractère mystérieux des tableaux d’Odilon Redon à
cette période de sa vie, on laissera les élèves exprimer librement leurs hypothèses et leurs
réactions, à condition qu’ils les justifient par des références précises au tableau.
1 De bas en haut on distingue :
– au premier plan, un support (une table ?) constitué d’un assemblage de carreaux gris-beige ;
– sur le support une tête humaine sans cou, les yeux clos, coiffée d’un bonnet, peut-être en
pierre, d’aspect plutôt féminin ;
– au deuxième plan, derrière le support à gauche, le torse et la tête d’un personnage mascu-
lin de profil, regardant vers la droite, vêtu d’une sorte d’armure ; la tête est nue, le profil
gauche se fond dans l’arrière-plan noir ;

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– à droite, trois petites têtes humaines dotées d’une paire d’ailes, voletant en arc de cercle et
regardant le personnage et la tête ; celle du milieu semble sourire.
Il est difficile de déterminer avec précision la nature des objets et personnages représentés. Ils
restent énigmatiques parce que :
– on ne sait pas quelle matière les constitue : est-ce de la pierre ? Ce seraient alors des statues ;
– on ne sait pas à quel univers ils appartiennent : les figures ailées ne sont pas réalistes, s’agit-
il d’une représentation religieuse ? ;
– on ne sait pas quelle histoire raconte la tableau, ni même s’il en raconte une (pas de réfé-
rence claire à des mythes, des religions, des événements historiques).
On fera comparer les réponses à la première question concernant la lithographie de Daumier
(voir livre de l’élève p. 26) et celle-ci, pour montrer les différences entre une image à caractère
réaliste, ou en tout cas référentiel, et une image symbolique, onirique, ou énigmatique.
2 Moine : pour la tête, à cause du capuchon ?
Angelot : pour les petites têtes ailées.
Prison, captif : à cause de l’homme en armure (gardien ?) ; à cause du titre.
Tête : à cause du premier plan et des figures ailées.
On pourrait proposer aussi :
– sculpture : à cause de la matière de la tête, qui fait penser à la pierre ;
– rêve : les yeux fermés de la tête au premier plan suggèrent que l’arrière-plan représente des
éléments de rêve, d’autant plus que les figures ailées n’appartiennent pas au monde réaliste ;
– guerre : à cause de ce qui ressemble à une armure.
3 Qui est « le prisonnier » ? On peut penser qu’il s’agit du personnage du deuxième plan, qui
semble être un homme, peut-être un guerrier.
La prison peut être le lieu représenté – il est sombre et angoissant. Ce peut être aussi l’armure,
qui entrave les mouvements, ou la pierre, si le personnage est en fait une statue.
L’ensemble du tableau pourrait être constitué des pensées d’un prisonnier, les figures ailées
renvoyant à l’idée d’évasion, de liberté, la tête aux yeux clos préfigurant une exécution pro-
chaine ?
4 Grande liberté bien sûr pour cette question, qui pourra se doubler d’un travail de vocabu-
laire sur la synonymie.
Quelques suggestions pour qualifier la représentation : mystérieuse, énigmatique / troublante,
inquiétante, angoissante, oppressante, sinistre / fantastique, onirique, « surréaliste »…

Prolongements
Ce site remarquable (www.odilonredon.net) comporte de nombreux liens vers des tableaux,
des estampes, des livres de l’artiste (par exemple L’esprit gardien des eaux, 1878, Dans le rêve,
1879, L’Homme Cactus, L’Araignée qui pleure et L’Araignée qui sourit, 1881, À Edgar Poe, 1883,
L’Hommage à Goya, L’Œuf, 1885 , La Nuit, 1886, Tête de martyr coupée, 1894, etc.).
Tout au long du dernier quart du XIXe siècle reviennent comme des obsessions dans les œuvres
d’Odilon Redon, le thème de la tête humaine, souvent coupée, les éléments ailés, les yeux
clos ; on retrouve aussi le recours à des éléments énigmatiques, fantastiques, oniriques, et la
création d’atmosphères troublantes, angoissantes, renforcées par l’utilisation presque exclu-
sive du noir et blanc.
Sur le thème du Prisonnier, on peut y lire : « De 1875 à 1880, c’est la “période la plus angois-
sée” de ses “Noirs”. Le thème du Prisonnier est souvent décrit dans ses œuvres, apparaissant
tantôt derrière les barreaux d’une fenêtre ou isolé dans le cauchemar d’une rêverie solitaire ou
d’une hallucination démoniaque obsédante. »

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w Pause lecture 3 ➜ p. 63 à 67
« Ceci est la question. »
Le procès (l. 1 à 136)/
Avez-vous bien lu ?
Les délibérations durent un quart d’heure (l. 127).

De l’hôpital au tribunal (l. 1 à 26)


1 Aux deux questions posées, Claude répond par un seul mot : « oui » et « parce que ». Ces
deux réponses sont mises en relief par l’emploi de l’italique.
La brièveté des réponses renvoie au caractère « taiseux » de Claude, mais aussi au fait qu’il
assume pleinement la responsabilité de son crime : son « oui » n’appelle aucun commentaire.
Quant au « parce que », il rappelle ironiquement la réponse obtuse de monsieur D., et le pou-
voir arbitraire qu’il exerçait : en l’occurrence, c’est Claude qui a exercé un pouvoir absolu en le
tuant. Il a ainsi rétabli l’équilibre entre eux, ce que souligne l’emploi par Claude de la formule
même par laquelle le directeur le torturait.
2 La phrase est constituée de deux propositions indépendantes construites sur un parallé-
lisme : pronom indéfini sujet / verbe à l’imparfait / déterminant possessif + nom COD :
– les uns (= les médecins) / guérissaient / ses blessures ;
– les autres (= les juges) / dressaient / son échafaud.
Ce parallélisme se double d’une antithèse qu’il souligne : pendant que la médecine œuvre à la
guérison de Claude, la justice prépare sa condamnation à mort.
Cette antithèse, renforcée par l’absence de mot de liaison (asyndète), est à la fois tragique et
ironique : elle dénonce le fait que Claude est condamné d’avance (on prépare non pas son pro-
cès mais son exécution) et l’acharnement de la société à exercer son pouvoir de répression
– elle refuse de laisser Claude mourir de ses blessures, et fait tout pour le guérir et le mettre
elle-même à mort.

Dans « l’hippodrome » (l. 27 à 63)


3 Claude se comporte en accusé modèle. Il soigne son apparence (« il s’était fait raser avec
soin », l. 28). Il fait en sorte que le procès se déroule normalement en convainquant ses cama-
rades de déposer à la barre – il prouve ainsi qu’il a sur eux plus de pouvoir que le président !
Il écoute attentivement les dépositions et les rectifie, même quand il s’agit de « faits à la
charge de l’accusé » (l. 43). Enfin, il soutient son ami Albin, effondré par l’épreuve qu’il endure.
Ce comportement met en évidence les qualités de Claude : courage, exigence de justice,
volonté d’assumer tous ses actes, sens de l’amitié.
Cette attitude, ainsi que l’exposé des faits et le comportement des autres prisonniers, pro-
voque une forte émotion : « les femmes qui étaient là pleurèrent » (l. 47-48). Selon les
conceptions de l’époque, les femmes sont moins intelligentes mais plus sensibles que les
hommes ; elles représentent ici la part de la société accessible à la compassion.
4 Dans ce passage, le narrateur se livre à une charge ironique contre la justice. Le juge d’ins-
truction « demand[e] avec beaucoup d’intérêt » des nouvelles de la santé de l’homme qu’il
veut faire condamner à mort (l. 5).
Au procès, le procureur du roi agit comme si la sécurité publique était menacée. Le narrateur
ironise sur le déploiement de forces en recourant à la métonymie et à l’hyperbole (« toutes les
baïonnettes de l’arrondissement », l. 32), ainsi qu’à l’expression « avait encombré la salle »
(l. 31) – et non « protégé la salle » – qui souligne l’inutilité de la mesure.
Le président du tribunal est traité lui aussi de façon ironique : il ne parvient pas à imposer son
autorité sur les détenus, alors que, d’un mot, Claude obtient qu’ils acceptent de témoigner.
Le procureur est caricaturé par son langage – les témoins prisonniers sont, dans sa bouche, des
« scélérats » (l. 33), terme qui dévalorise d’emblée leur témoignage, au mépris de l’impartia-
lité requise dans un tribunal. Claude d’ailleurs reprend ironiquement le terme pour souligner
les qualités de cœur d’Albin : « voilà un scélérat qui partage son pain » (l. 52-53).

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Les discours du procureur et de l’avocat de la défense sont également dévalorisés et moqués
par le narrateur. Il ne mentionne que le début du réquisitoire du procureur, fait de formules
toutes faites. Le « etc. » (l. 58) indique qu’il est inutile de continuer : le procureur ne fait que
répéter un discours passe-partout facile à imaginer, que le narrateur qualifie de « mémorable
» (l. 59) par antiphrase ironique. Quant au discours de l’avocat, il n’en rapporte pas un seul
mot, et en fait le parfait symétrique de celui du procureur.
Ces deux discours au tribunal sont comparés à des « évolutions » habituelles de chevaux dres-
sés dans un « hippodrome » (l. 61-62) : violente satire de l’exercice de la justice, rabaissée à
l’exécution de figures équestres, alors que la vie d’un homme est en jeu.

« Pourquoi ? » (l. 64 à 136)


5 Claude souligne le mal que lui a fait le directeur en répétant trois fois la formule « pendant
quatre ans » (l. 96, 97 et 99), et en recourant à la gradation « tous les jours, toutes les heures,
toutes les minutes » (l. 97-98). Ces figures permettent de mettre en évidence la différence
entre une provocation matérielle ponctuelle (« un coup de poing », l. 93) et une « provocation
morale » (l. 114) indéfiniment répétée.
La phrase « je n’ai pas été provoqué » est évidemment une antiphrase prononcée sur un ton
ironique et amer : le tribunal et la loi ne reconnaissent pas la « provocation morale », alors
que, selon Claude, c’est elle qui explique et justifie le crime.
6 Pour Claude, les bonnes questions que le tribunal devrait poser sont « pourquoi cet
homme a-t-il volé ? » et « pourquoi cet homme a-t-il tué ? ».
Les juges et les jurés ne répondent pas à ces questions. Ils s’en tiennent aux faits : il a volé, il a
tué, la loi le condamne à mort. Un quart d’heure de délibération suffit, puisque personne ne
conteste les faits.
Les questions de Claude concernent les causes, les circonstances des faits. Il a volé parce que
sa famille et lui mouraient de faim. Il a tué un homme parce que celui-ci le provoquait et le
torturait moralement sans motif.
Mais la justice ne prend pas en compte ces causes et ces circonstances. Si elle le faisait, elle
serait obligée de mettre en accusation la société (qui ne donne pas de travail aux ouvriers) et
ceux qui la servent (comme le directeur sadique des ateliers de Clairvaux). Il est plus simple
d’en tenir aux faits et d’exécuter les « scélérats ».

L’exécution (l. 137 à 215)/


Avez-vous bien lu ?
Claude fait porter à Albin ses ciseaux et sa ration de pain (l. 180-183).

Un condamné serein
1 Il peut y avoir plusieurs raisons concomitantes au refus de Claude de se pourvoir en cassa-
tion. D’une part, il n’y a pas eu d’irrégularité dans son procès ; d’autre part, il a toujours consi-
déré comme inévitable que l’assassinat de monsieur D. entraîne sa propre mort (voir l. 251,
p. 36 : « donner la sienne propre »), puisque c’est la loi. Enfin, il sait qu’il n’a aucune clémence
à attendre de l’institution judiciaire, qu’il a vue de nouveau à l’œuvre pendant les débats au
tribunal.
Il se résout à formuler son pourvoi « par complaisance » pour une des sœurs qui l’a soigné
(l. 141). Cette indication ajoute au portrait de Claude une humanité supplémentaire : il est
capable de reconnaissance et de gratitude, il est sensible aux sentiments de ceux qui lui veu-
lent du bien et il cherche à leur faire plaisir. Le fait qu’il s’agisse en l’occurrence d’accéder aux
prières d’une religieuse annonce l’ouverture de Claude aux paroles du prêtre et les considéra-
tions du narrateur, à la fin du récit, sur l’importance d’une éducation chrétienne. Il suggère
que si Claude avait été entouré, aimé et bien conseillé, il aurait eu une conduite complète-
ment différente.
2 Claude reçoit « froidement » (l. 161) l’annonce de son exécution imminente, et réagit en
faisant de l’humour noir : il plaisante sur « la nuit prochaine », qui lui promet un bon sommeil,
et sur l’épidémie de choléra, qui ne lui fait pas peur.

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On pourra rappeler l’histoire que raconte Freud dans Le Mot d’esprit et ses rapports avec l’in-
conscient. Un condamné qu’on emmène à la potence un lundi s’exclame : « Eh bien, la
semaine commence bien ! ».
Dans les lignes 164 à 166, Hugo se moque des récits moralisateurs qui prêtent toujours aux
personnages célèbres des paroles grandioses qu’ils auraient prononcées au moment de mou-
rir. Le « Il paraît » traduit le scepticisme du narrateur qui soupçonne ces récits d’enjoliver la
réalité pour construire des scènes légendaires et exemplaires.
On pourra faire chercher sur Internet quelques exemples de ces paroles ultimes que transmet
la postérité :
– Socrate : « Nous devons un coq à Esculape ».
– L’empereur Auguste : « Acta est fabula », « La pièce est jouée ».
– Néron : « Quel artiste périt en moi ! ».
– Rabelais : « Tirez le rideau, la farce est jouée ».
– Voltaire : « Je m’arrêterais de mourir s’il me venait un bon mot ou une bonne idée ».
– Madame Rolland : « Ô liberté ! Que de crimes on commet en ton nom ! ».
– Danton : « Tu montreras ma tête au peuple, elle en vaut la peine ».

La religion
3 Avant de mourir, Claude écoute le prêtre, s’accuse et regrette « de ne pas avoir été instruit
dans la religion ». Il prouve ainsi qu’il est accessible au remords et au repentir. Le narrateur
continue à préparer son argumentation finale sur la nécessité d’une éducation chrétienne.
Les dons à Albin ont aussi une signification symbolique. Les ciseaux sont à la fois le seul bien
qui évoque le passé de Claude, son attachement pour sa femme, et l’instrument par lequel il a
voulu se donner la mort. Albin devient ainsi le dépositaire de ce qui a le plus compté pour
Claude, et grâce aux ciseaux ils sont tous les deux réunis d’une certaine manière.
Quant au don du pain, il renvoie évidemment au premier partage qui a marqué la naissance de
leur amitié. En poussant plus loin l’interprétation, on peut y voir un écho profane de l’eucha-
ristie chrétienne : le pain est le corps du Christ, manger le pain, c’est s’incorporer le Christ. Si
Albin mange le pain de Claude, il mêle symboliquement le corps de Claude au sien, il se l’in-
corpore, lui assurant ainsi une forme de survie.
4 La croix que fixe Claude en montant sur l’échafaud est appelée « gibet du Christ » (l. 197).
Au sens strict, le terme est impropre : le « gibet » désigne la potence d’où pend la corde qui
sert à exécuter les condamnés par pendaison. Mais cette expression insiste sur le fait que le
Christ en croix est lui aussi un condamné à mort, victime d’une justice aveugle et impitoyable.
La scène confère donc à l’exécution de Claude une dimension biblique en assimilant Claude au
Christ.

Contre la peine de mort


5 La guillotine est désignée par les expressions « la hideuse mécanique » (l. 200) et « la
machine » (l. 212). Elles insistent sur l’absence totale d’humanité dans le processus de la mise
à mort. Le condamné est pris dans un mécanisme froid et inexorable. En précisant de surcroît
que, par la suite, la guillotine reste « debout au milieu » de la foule et qu’elle n’est même
« pas lavée » (l. 212-213), le narrateur ajoute à l’horreur.
6 La date de l’exécution a été choisie pour correspondre au « jour de marché » (l. 192), afin
qu’il y ait le plus de spectateurs possible. Ce choix s’explique par la conviction que la peine
capitale serait dissuasive, et que le fait de la voir appliquée détournerait les délinquants de
commettre des crimes.
Le narrateur est indigné par cette pratique et il le fait comprendre à deux reprises. D’une part,
pour lui, sont « à demi-sauvages » (l. 194) les villes qui pratiquent les exécutions publiques les
jours d’affluence. D’autre part, il dénonce par l’ironie l’illusion qui prête un caractère dissuasif à
la peine de mort : aux lignes 211 à 214, il décrit une émeute de commerçants du marché prêts
à lyncher un employé pour une question d’argent, et ce, juste après l’exécution de Claude, au
pied de la guillotine encore éclaboussée de son sang ! L’expression antiphrastique « Le doux
peuple que vous font ces lois-là ! » (l. 215) suggère même que le spectacle de la violence judi-
ciaire contribue à libérer la violence des spectateurs, et non à la purger ou à la réfréner.

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Remarque : Ces précisions sur l’exécution de Claude Gueux s’écartent quelque peu de la
vérité. La date est inexacte (1er juin, et non 8) et la concomitance avec le marché avait juste-
ment été évitée par les autorités qui avaient avancé l’exécution au vendredi.
Mais elles sont utiles à l’argumentation contre la peine de mort que veut mener Hugo, en
réfutant l’argument de ceux qui affirment que les exécutions capitales ont une valeur exem-
plaire et dissuasive.

« Le grand problème du peuple au XIXe siècle » (l. 216 à 404)/


Avez-vous bien lu ?
Victor réclame plus d’éducation pour le peuple (l. 336 sq).

« Qui est réellement coupable ? » (l. 216 à 249)


1 Le pronom « nous » est employé :
– aux lignes 216 et 217 pour désigner le narrateur ;
– aux lignes 237, 239, 240, 241, 247 pour désigner à la fois le narrateur et les lecteurs en tant
que membres de « la société » ; le narrateur s’inclut et inclut ses lecteurs au nombre des
« coupable[s] » (l. 235) indirects des crimes commis par Claude Gueux et ses semblables.
L’emploi de ce « nous » englobant signale la visée argumentative du récit, et particulièrement de
sa conclusion. Il s’agit pour l’auteur d’obtenir chez ses lecteurs une prise de conscience de leur
responsabilité collective, en tant que membres d’une société qui n’offre pas les mêmes chances
à tous. Les lecteurs font partie des privilégiés – ils ont appris à lire, et donc à réfléchir. Ils doivent
désormais agir, en faisant pression sur « ceux qui gouvernent » (l. 248).

Débats futiles (l. 250 à 295)


2 Des lignes 250 à 278, le narrateur s’adresse aux « députés ou ministres » (l. 258), aux
« gouvernants et législateurs » (l. 265), aux « orateurs politiques » (l. 271-272), c’est-à-dire au
gouvernement et aux députés des deux chambres (des députés et des pairs).
Il le fait sur un ton ironique, en se moquant des sujets dont débattent ces institutions. Il
évoque successivement :
– les débats budgétaires portant sur des détails sans grande importance, ce que souligne
l’emploi métaphorique et dévalorisant du verbe « écheniller » (l. 252) ;
– l’entretien de la Garde nationale, que le narrateur juge manifestement inutile et ridicule,
comme en témoignent les termes « déguisé en soldat », « monter patriotiquement la garde
à la porte du comte de Lobau », « parader », « le bon plaisir de mon épicier » (l. 253-256) ;
– les discussions stériles et qui ne débouchent sur aucune action (« pleines d’avortements »,
l. 260). Il donne comme exemples les débats sur l’art moderne et sur la littérature du temps
auxquels se livrent les députés – lorsqu’il s’agit, en particulier, d’attribuer des subventions aux
théâtres. Le narrateur se moque de la violence verbale des orateurs sur des sujets d’ordre
esthétique (« questionner à grands cris », l. 262, « ferraillent », l. 272, « s’enfoncer les uns les
autres dans la gorge … jusqu’à la garde », l. 274 à 276), et de l’ignorance qu’ils révèlent dans
leurs discours (« sans savoir ce qu’on dit », l. 262, « conférences classiques qui font hausser les
épaules aux maîtres d’école de banlieue », l. 265 à 267, « prouver par là qu’on ne connaît ni
Phèdre, … ni Rodogune », l. 269 à 271, « grandes fautes de français », l. 276).
La tonalité ironique de ce passage est soulignée par l’emploi d’antiphrases, reprises en ana-
phore, pour introduire diverses critiques. Les expressions « il est très important » (l. 251, 252,
258), « il est essentiel » (l. 260-261), « il est expédient » (l. 264), « il est utile » (l. 267), « il est
indispensable » (l. 271), « tout cela est important » (l. 277), sont en effet appliquées à des
débats dont l’auteur veut justement souligner l’inutilité, voire la sottise !

La souffrance du peuple (l. 296 à 404)


3 Dans ces lignes, la misère sociale est considérée comme une maladie.
Le champ lexical de la maladie comporte les termes : « ulcères », « corps (social) », « sang »,
« consultation », « chevet du malade », « maladie », « traitez », « palliatif », « cautérisation »,
« gangrenait la plaie », « vésicatoire », « mauvais sang », « amputation ».
Reformulation de la thèse : la misère est une maladie de la société que le système pénal en
vigueur ne guérit pas.

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4 Liste des réformes proposées :
– suppression des bagnes (« le boulet ») et de la peine de mort (« le couperet ») (l. 323-336) ;
– création d’écoles pour les enfants du peuple (l. 336 à 363) ;
– création d’ateliers pour les adultes (l. 339) ;
– développement de l’instruction religieuse et morale (l. 364 à 395).
Ce discours n’a rien de révolutionnaire, car il ne vise pas à changer l’ordre établi dans la
société : « Quoi que vous fassiez, le sort de la grande foule, de la multitude, de la majorité, sera
toujours relativement pauvre, et malheureux, et triste » (l. 371 à 373). Les réformes que Hugo
propose pourraient être mises en application dans le cadre politique existant, et sans remettre
en cause la domination des riches sur le peuple.
On sent d’ailleurs nettement, des lignes 364 à 370, la crainte que le peuple instruit ne fasse de
« mauvaises lectures », c’est-à-dire des lectures qui lui donneraient des idées politiques,
potentiellement dangereuses pour les classes dirigeantes. L’exigence de l’éducation chrétienne
vise donc à apprendre aux pauvres à s’accommoder de leur pauvreté ici-bas, en attendant l’ac-
cès au paradis après leur mort (l. 381 à 385). D’où l’affirmation tranquille que « la part du
pauvre est aussi riche que la part du riche. »… On pourra évidemment engager la discussion
sur ce point de vue – et le rapprocher éventuellement de celui de Voltaire, par exemple, écri-
vant dans une lettre au duc de Brunswick : « La croyance des peines et des récompenses après
la mort est un frein dont le peuple a besoin. »
5 Le dernier paragraphe développe la métaphore du jardinage (« cultivez », « défrichez »,
« arrosez », « fécondez », et aussi « couper »…) pour évoquer l’éducation intellectuelle
(« éclairez-la », métaphore des « lumières » de l’intelligence) et morale du peuple. Elle sug-
gère que la peine de mort est non seulement une forme de barbarie, mais aussi un gâchis : elle
revient à couper une tête qui pourrait être utile et productive si elle était bien employée
– d’où la dernière injonction « utilisez-la ».
La métaphore est renforcée par l’accumulation des verbes à l’impératif : elle est ainsi plus
convaincante, et tout en montrant l’ampleur de la tâche, elle invite à s’y atteler avec détermi-
nation et enthousiasme.
Victor Hugo exprime ici, dès 1834, l’absolue nécessité d’éduquer le peuple, idéal pour lequel il
ne cessera de combattre tout au long de sa vie.

Vers l’expression\
Vocabulaire
1. Le solde est la différence entre le crédit et le débit d’un compte.
Les soldes, désignant des marchandises vendues au rabais, est aussi un mot masculin : cer-
taines boutiques font des soldes permanents.
La solde est la rémunération versée aux militaires.
L’expression « être à la solde de » signifie être acheté par quelqu’un pour commettre des
actes répréhensibles.
Un salarié peut décider de prendre un « congé sans solde », s’il en a les moyens !
2. Monarchie est formé sur deux mots grecs : monos, « seul » et arkhein, « conduire », « com-
mander ».
– Sur monos sont formés les mots : monologue, Monique, monomanie, monocle, mono-
culture, monogamie, monographie, monoplace, monopole, monosyllabe, monothéisme,
monotone.
Bouleversé par la mort du père de Chimène, qu’il a tué en duel, Rodrigue exprime sa dou-
leur dans un monologue célèbre.
– Sur arkein sont formés : anarchie, oligarchie, hiérarchie.
Si personne ne fait respecter la loi, ce sera l’anarchie, et tout le monde en pâtira.
3. Les baïonnettes [de l’arrondissement] : tous les hommes autorisés à porter un fusil muni
d’une baïonnette.
La Grèce [sait lire] : tous les habitants de la Grèce.
– Un bon fusil : un bon chasseur.
– Une belle plume : un écrivain talentueux.
– Une fine lame : un bon escrimeur.
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– Un cordon bleu : un(e) bon(ne) cuisinier (cuisinière).
– Un premier violon : un musicien placé au premier rang des violons dans l’orchestre. Le
premier violon est celui qui dirige le pupitre des violons.

À vous de jouer
n Prononcez un discours
On peut lire sous les images de l’orateur les paroles suivantes :
– « Oh ! Monsieur, si vous saviez combien je suis heureux de vous inspirer presque de la
pitié. »
– « J’ai le droit de vous dire : pas cela, ou pas vous ! »
– « Et moi, je vous dis : Prenez garde ! »
– « Je suis à la disposition de la Chambre. »
– « Je demande la parole. »

n Faites des recherches


On trouvera sur Internet de nombreux sites permettant de cerner la question de la peine de
mort.
On se reportera d’abord au site de La Documentation française www.ladocumentationfran-
caise.fr/dossiers/...peine-mort/peine-mort.shtm... et à l’article récent de Sandrine Morel, dans
Le Monde du 17 juillet 2013 : « Peine de mort : l’obstination des abolitionnistes ».
Pour une approche plus littéraire, on trouvera sur le site http://lettres.ac-rouen.fr/francais
/dernier/biblio.html, une bibliographie très complète et organisée méthodiquement (Textes
sur la peine de mort / Victor Hugo et la peine de mort / Ouvrages pédagogiques / Romans,
récits et documents : Du côté du condamné - Du côté du bourreau).

Du texte à l’image/
1. Jacques-Louis David, La Mort de Socrate
1 Socrate est un philosophe de la Grèce antique, qui vécut au Ve siècle avant J. C. (de - 470 à
- 399). Il n’a laissé aucune œuvre écrite, mais nous connaissons sa vie et sa pensée, les circons-
tances de son procès et de sa mort, grâce aux ouvrages de ses disciples, en particulier, Platon.
Il exerçait sur ses auditeurs une influence profonde et fut accusé de plusieurs crimes : corrup-
tion de la jeunesse, rejet des dieux de la cité, introduction de nouvelles divinités. Il fut
condamné à mort et exécuté (par absorption d’un poison, la cigüe), malgré plusieurs offres
d’évasion. Il voulut par sa mort affirmer qu’il respectait les lois de la cité.
Le personnage est mis en valeur par David de plusieurs manières :
– La composition du tableau le place presque au centre de l’image, la main tendue vers la
coupe se trouve à l’intersection des diagonales et des médianes.
– La posture du personnage diffère de celle de tous les autres témoins : alors qu’ils sont acca-
blés, prostrés, en pleurs, lui seul se tient bien droit, le bras gauche dirigé vers le haut, en train
de s’asseoir sur le lit (on vient de libérer ses pieds des fers) ; sa main droite s’apprête à saisir la
coupe de cigüe.
– Tous les personnages sont vêtus de manteaux colorés. Socrate, à demi dénudé, est seule-
ment drapé de blanc.
– La lumière provient de la partie haute à gauche du tableau : elle tombe en diagonale sur le
torse de Socrate.
2 Points communs entre les deux récits :
– un personnage central condamné à mort, qui accepte sa condamnation avec sérénité ;
– un ensemble de « disciples » pleins de vénération pour le « maître », qui leur enseigne
sagesse ou justice ;
– le refus des propositions d’évasion ;
– les marques de vertu, de fidélité, d’amour : legs d’objets, gestes symboliques.
Comme le tableau de David, le récit de Hugo est un exemplum virtutis, modèle à suivre en
matière de conduite et de morale. Dans le cas de Claude Gueux, il s’agit d’un renversement
spectaculaire, puisque sa condamnation à mort sanctionne un assassinat, un crime de sang,
alors que Socrate symbolise le sage persécuté injustement pour ses idées.

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2. James Ensor, Le Bon Juge
1 Le tableau comporte :
– au premier plan, les têtes des personnes jugées vues de dos ; celle de gauche est tenue par
un gendarme, celle de droite souffre d’un mal de dents ;
– au deuxième plan, une longue table portant divers objets : encriers, couteau et scie, mor-
ceaux de corps humain ; à droite, un avocat en train de prononcer sa plaidoirie ;
– au troisième plan, un groupe de cinq juges importants, vêtus de rouge et assis ;
– au quatrième plan, des magistrats en noir et debout ; tous ces magistrats semblent porter
des masques, souriants, sévères ou grotesques ;
– au dernier plan, un mur, la partie inférieure d’un tableau représentant le Christ en croix, et
un pan de meuble (une chaire ?) décoré des symboles de la Justice (une balance à plateaux).
Le découpage des plans est facilité par la construction géométrique du tableau, fait d’une
superposition de bandes horizontales qui en occupent toute la largeur, ainsi que par l’emploi
des couleurs qui suit le même principe d’horizontalité.
Le regard du spectateur se trouve placé au même plan que celui des justiciables, face aux juges
et aux assesseurs. Ce dispositif rappelle celui d’un théâtre, dans lequel les spectateurs font face
aux acteurs. Il incite le spectateur à considérer l’institution judiciaire comme un jeu théâtral,
un artifice, une mascarade.
2 Les éléments comiques sont nombreux, on tentera de les classer :
– les physionomies caricaturales : les têtes grimaçantes des juges évoquent des masques de
carnaval, qui accentuent chacun un détail de la physionomie (grosseur ou forme de la tête, du
nez, parfois rouge vif, clownesque, des moustaches, rides et mimiques). Les prévenus sont trai-
tés sur le même mode : l’un a mal aux dents, l’autre est presque étranglé par la poigne du gen-
darme. L’avocat est hirsute et postillonne abondamment. Ainsi, tous les personnages participent
à une mascarade, et les juges rappellent les marionnettes de foire sur lesquels les passants
s’exercent au jeu de massacre.
– les détails saugrenus : on découvre un escargot sur la toque d’un assesseur, une toile d’arai-
gnée entre les têtes de ses deux voisins de droite, un crâne entre les mains du dernier ; une
autre araignée au-dessus du nez de l’avocat (et sa toile dans l’angle supérieur du meuble) ; un
nez, un pied, un dentier, (un œil ?) sur la table des pièces à conviction ; l’inscription Mort aux
vaches sous la main de l’avocat ; les petits dessins crayonnés par les juges (l’un a dessiné l’ac-
cusé qui a mal aux dents, un autre l’avocat et sa goutte au nez, celui du centre cache à moitié
un dessin peut-être licencieux).
La présence de ces éléments dans un tribunal, outre sa cocasserie, a des fonctions satiriques évi-
dentes. Dans ce lieu où on est censé rendre la justice, rien, manifestement, n’est fait sérieuse-
ment : les juges s’ennuient, n’écoutent pas, pensent à autre chose ou s’amusent. Les toiles d’arai-
gnées dénoncent la lenteur et l’immobilisme de l’institution judiciaire. Dernier détail : en haut à
droite, dans le médaillon décoratif, la balance, symbole de la Justice, est représentée en déséqui-
libre, avec un plateau haut et un plateau bas – dans ce tribunal, la Justice n’est pas juste !
Compte tenu du caractère violemment satirique du tableau, on montrera que le titre, Le Bon
juge (appelé souvent aussi Les Bons juges), est une antiphrase destinée à dénoncer l’iniquité de
l’institution judiciaire – ce que corrobore le documents ci-dessous.

Document de présentation du tableau avant sa mise aux enchères chez Christie’s


[Il s’agit] d’un tableau typiquement « ensorien », satirique au plus haut degré et chargé d’une
verve extraordinaire. Ensor y fustige l’iniquité des procès et le système juridique belge, incarné ici
par des juges aux visages grotesques, critique qu’il infligea également aux pouvoirs civil et reli-
gieux, aux médecins, aux gendarmes ou encore aux musiciens.
Cynique, caricaturale et féroce, cette œuvre renverrait, selon certains auteurs, à l’affaire
Coucke et Goethals qui fit scandale en Belgique en 1860. Celle-ci porte le nom de deux
ouvriers flamands accusés de meurtre qui ne parlaient pas le français, mais qui furent cepen-
dant jugés dans la langue de Voltaire. Peu de temps après leur condamnation à mort et leur
exécution à Charleroi, l’on retrouvait les véritables coupables...
Au sommet du tableau, les pieds crucifiés de Jésus symbolisent quant à eux avec éloquence ce
que l’artiste pouvait considérer comme l’une des plus graves iniquités de l’Histoire...

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3 On a vu à la question 2 comment Ensor a modifié la représentation traditionnelle de la
Justice : elle montre en principe une jeune femme aux yeux bandés (garantie d’impartialité)
qui tient une balance aux plateaux en équilibre (garantie d’équité). Le tableau représente au
contraire une balance dont les plateaux sont complètement déséquilibrés – une Justice
injuste, donc.
Au centre, on peut voir à l’arrière-plan le bas d’un tableau représentant les pieds d’un Christ
crucifié. Ce qui est inhabituel, c’est que l’image soit coupée par le cadrage choisi, mais en
revanche, c’est le seul élément du tableau d’Ensor qui ne relève pas de la caricature. Il a pour
fonction de rappeler la tradition chrétienne, en particulier la Crucifixion du Christ, symbole
d’une justice inique qui envoie à la mort un innocent pour des raisons politiques et religieuses
(tout comme l’exécution de Socrate dans la tradition antique). Le rapprochement entre ce
symbole et la parodie de justice qui se déroule juste au-dessous renforce évidemment la
dénonciation de l’institution judiciaire, et donne au tableau une portée plus vaste que la
simple satire : il rappelle que bafouer la justice entraîne des tragédies s’ensuivent, pour les
accusés mais aussi pour l’humanité dans son essence même.

Prolongements
DRAGUET Michel, James Ensor, Monographies, Gallimard, 1999.
DRAGUET Michel, James Ensor au musée d’Orsay, Beaux-Arts éditions, 2009.

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w Vers le brevet ➜ p. 68-69
Un procès aux assises (texte l. 87 à 138, p. 50 à 52)

Questions

15 points

I. Le point de vue du procureur (1 point)


1 « Par conséquent » introduit un rapport logique de conséquence. On pourrait le remplacer
par « donc ».
Selon le procureur, il n’y a pas eu de provocation de la part du directeur, parce que celui-ci n’a
jamais agressé physiquement Claude Gueux. (1 point)

II. Le discours de Claude Gueux (6 points)


2 « Quoi ! » est ici un pronom exclamatif et « Ah ! » une interjection : ces deux classes
grammaticales imposent l’usage du point d’exclamation. Dans ces deux cas, l’exclamation tra-
duit l’indignation de Claude Gueux, quand il entend la conclusion du procureur du roi.
À la ligne 99, le point d’exclamation vient souligner l’expression « pendant quatre ans » (répé-
tée trois fois). Claude veut faire partager à l’auditoire sa souffrance, aggravée par la durée du
supplice. (1 point)
3 Réécriture : Si un homme ivre me donne un coup de poing et que je le tue, j’ai été provo-
qué, donc (ou par conséquent) vous me faites grâce et vous m’envoyez aux galères.
C’est la notion de « provocation physique » qui permet aux juges de décider d’une peine de
galères au lieu de la peine de mort pour assassinat. On considère que la première violence,
exercée par la victime, constitue une circonstance atténuante pour le meurtrier, qui ne fait que
répondre à l’agression qu’il a subie. (2 points)
4 Vous et tu sont des pronoms personnels.
Ils sont mis en italique car, dans cette phrase, ils ne sont pas employés normalement, comme
pronoms représentant des personnes déjà mentionnées. Ils constituent plutôt des locutions
verbales avec le verbe dire : « je lui dis vous » = « je le vouvoie », « il me dit tu » = « il me
tutoie ».
Claude fait une sorte de commentaire grammatical sur la façon dont ils s’adressent l’un à
l’autre, et sur la valeur des deux pronoms.
Il établit une différence entre sa conduite envers le directeur, qui reste respectueuse
– il emploie le vouvoiement quand il lui parle – et celle du directeur envers lui. Celui-ci
s’adresse à Claude en le tutoyant, ce qui traduit à son égard un certain mépris, une volonté de
le rabaisser et de marquer la supériorité et le pouvoir qu’il a sur lui. (2 points)
5 Si j’avais réagi à une simple agression physique, vous m’auriez condamné aux galères, et
vous me condamnez à mort alors que j’ai répondu à des agressions morales répétées et bien
plus douloureuses !
ou bien :
Vous m’épargneriez la mort si j’avais répondu à un coup de poing ; or, j’ai répondu à des tor-
tures morales bien pires, et vous me coupez la tête !
ou encore, en exprimant l’implicite de façon plus abstraite :
Votre code est injuste : il admet comme circonstance atténuante qu’on réponde à une provo-
cation physique, mais pas qu’on réponde à une torture morale ! (1 point)

III. Une condamnation expéditive (6 points)


6 a. L’adjectif impartial est constitué du radical partial et du préfixe -im, qui correspond à
une négation.
Synonymes : équitable, juste, objectif, neutre.
Antonymes : partial, injuste, subjectif, tendancieux. (1 point)

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b. Le président n’est absolument pas impartial, son résumé de la vie de Claude ne met en évi-
dence que les mauvais côtés. Les termes employés sont tous péjoratifs : « vilaine vie »,
« monstre », « concubinage », « fille publique », « volé ». Si on compare ce résumé avec la
présentation du narrateur au début du récit, on s’aperçoit que le président passe sous silence
tout ce qui peut révéler les bons côtés de Claude : les qualités de l’ouvrier, la prise en charge
de l’enfant, le souci de nourrir sa famille dans la misère.
De même, « il avait tué » fait l’impasse sur le contexte, sur tous les éléments qui ont conduit
Claude à l’assassinat. De plus, l’enchaînement des propositions (« il avait commencé par… »,
« puis… », « puis… ») suggère que l’assassinat est l’aboutissement logique de l’immoralité et
du vol.
Le président est donc partial, il parle « à charge », car il impute le crime à la nature « mons-
trueuse » de Claude, sans faire aucune part aux circonstances.
En écrivant que « le président fit son résumé impartial », Hugo se moque de ce discours et en
dénoncer l’injustice : il emploie la figure de l’antiphrase, qui consiste à dire littéralement
(« résumé impartial ») le contraire de ce que le lecteur doit comprendre grâce au contexte
(le résumé est partial). (1 point)
7 Le narrateur précise que la délibération a duré « un quart d’heure », ce qui montre que les
jurés étaient d’emblée tous d’accord et convaincus de la culpabilité de Claude.
Le narrateur suggère également que ces jurés ne sont pas très intelligents : d’une part, il rappelle,
avec une certaine condescendance, que ce sont des provinciaux (« douze Champenois »),
d’autre part, il affirme que plusieurs d’entre eux se sont laissé influencer par le nom de
« Gueux » – ce qui dénote chez eux une bonne part de superstition, de préjugés.
Le destin de Claude repose ainsi sur des jurés qui, comme le président, s’en tiennent aux faits
bruts, et ne prennent pas en compte le contexte et les circonstances pour tenter de com-
prendre le geste de Claude et lui appliquer une peine plus juste. (1 point)
8 Cet est un déterminant démonstratif.
Par cette expression, Claude se désigne lui-même en se plaçant du point de vue des jurés. Il
aurait souhaité que, en parlant de lui, ceux-ci se posent la question : « pourquoi cet homme a-
t-il tué ? ».
« Cet homme » insiste aussi sur le caractère universel de sa situation : ce n’est pas uniquement
un dénommé « Gueux » qui a volé et tué, plus ou moins prédestiné au crime par son patro-
nyme ; c’est un homme, un être humain dans toute sa complexité et qui mériterait, comme
tout autre homme à sa place, qu’on s’interroge sur le « pourquoi » de ses actes. (2 points)
9 Dans cet emploi, faits signifie « passés », quand on parle de temps imposés, passés à l’armée,
par exemple, en prison ou au bagne.
L’expression, dans la bouche de Claude, renvoie à son âge, et donc à sa vie tout entière. Elle est
humoristique, dans le sens où il parle de ses années de vie comme s’il s’agissait d’années de
prison, et comme si sa condamnation à mort correspondait à sa libération. Mais cet humour
est évidemment « la politesse du désespoir », une manière de tourner en plaisanterie ce qui
en vérité est une tragédie. (1 point)

Conclusion (2 points)
10 Le narrateur souhaite que le lecteur comprenne l’injustice de la peine de mort appliquée
à Claude Gueux. Dans ce but, il oriente son jugement de plusieurs manières :
– il donne la parole plusieurs fois et longuement à Claude, qui explique lui-même quels rai-
sonnements les juges et les jurés auraient dû mener, d’une part sur les circonstances qui l’ont
conduit à voler, d’autre part sur les « provocations morales » qu’il a endurées de la part du
directeur de la prison.
– Son argumentation est solide et elle est faite à la première personne, par l’intéressé lui-
même, ce qui la rend plus émouvante pour le lecteur.
– En outre, le narrateur interrompt le récit et donne son sentiment sur ce discours : il en fait
un éloge appuyé (« Mouvement sublime, selon nous »), et souligne sa grande portée juridique
(« toute une théorie de la provocation morale oubliée par la loi »), bien supérieure à celle du
système en vigueur (« échelle mal proportionnée des circonstances atténuantes »).
– À l’inverse, le discours du président est escamoté, et surtout discrédité aux yeux du lecteur par
le recours à l’ironie (« résumé impartial et lumineux »). Il en va de même pour la délibération
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éclair des jurés, présentés comme des provinciaux pleins de préjugés et qui ne s’embarrassent
pas de nuances.
Tous ces procédés visent à persuader le lecteur que le crime de Claude Gueux ne méritait pas
d’être puni de mort, parce qu’il résulte de circonstances (misère sociale, tempérament et com-
portement de la victime) qui ne l’excusent pas mais qui l’expliquent et devraient entraîner
une peine plus modérée. (1 point)

Réécriture
5 points
Après un quart d’heure de délibération, sur la déclaration des douze Champenois qu’on
appelle Messieurs les jurés, Claude Gueux est condamné à mort.
Il est certain que, dès l’ouverture des débats, plusieurs d’entre eux ont remarqué que l’accusé
s’appelle Gueux, ce qui leur a fait une impression profonde.
On lit (ou a lu) son arrêt à Claude, qui se contente (ou s’est contenté) de dire :
– C’est bien. Mais pourquoi cet homme a-t-il volé ? Pourquoi cet homme a-t-il tué ? Voilà
deux questions auxquelles ils ne répondent pas.

Rédaction
Sujet d’imagination
1. Préparation du travail
Avant de se lancer dans l’écriture du dialogue, il convient de faire un portrait précis des deux
jurés en désaccord, ainsi que celui de quelques jurés favorables à la peine de mort – le choix
des arguments et du langage (niveau de langue, références personnelles ou culturelles) en
dépendra.
On imaginera par exemple, comme jurés réfractaires, une mère de famille (qui s’identifiera à la
compagne de Claude Gueux), un homme jeune (qui aura été sensible aux liens entre Claude et
Albin), un visiteur de prison (qui comprendra la faim, la violence du milieu carcéral), un chré-
tien sincère (hostile par principe à la peine de mort), etc.

2. Arguments
On établira des listes d’arguments pour chaque intervenant (on peut décider de faire parler
deux jurés pour la mort).
• Pour la peine de mort :
– Il n’y a aucun doute sur la culpabilité de Claude, il a avoué son crime, qui a été public.
– La peine de mort est prévue par la loi en cas d’assassinat.
– Claude Gueux est un « monstre » : son crime est sauvage – préméditation, choix de la
hache, les coups inutiles, etc.
– Il est mauvais par nature : fréquentation d’une prostituée, concubinage, vol.
– Il doit donc être éliminé pour ne plus nuire à la société.
• Pour des circonstances atténuantes :
– Claude Gueux reconnaît son crime et sa responsabilité.
– Mais il a été torturé moralement par le directeur alors qu’il était un prisonnier modèle.
– Il est capable de sentiments humains altruistes et désintéressés : il s’est occupé de sa
femme et de son enfant, c’est pour eux qu’il a volé ; il a pris Albin sous sa protection ; il a
donné de bons conseils aux jeunes détenus.
– Il est apprécié de ses codétenus, qu’il n’a jamais poussés à la désobéissance, au contraire.
– Il est certainement récupérable pour la société : c’est un bon ouvrier, un bon collègue, il
peut avoir une bonne influence dans une équipe.
– Il sait faire la différence entre le bien et le mal ; il a le sens de la justice, à sa manière ; il n’a
pas agi de façon impulsive, il a réfléchi avant de choisir la mort pour le directeur.
– Les hommes ne doivent pas répondre à la violence par la violence. Nul ne peut reprendre
une vie, c’est l’apanage de Dieu, aux yeux des croyants.
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3. Exemples
Ils seront constitués essentiellement de références détaillées au récit de Hugo : histoire de la
femme et de l’enfant, paroles et décisions du directeur, actes de Claude.

Sujet de réflexion
On puisera les arguments et les exemples dans les listes établies pour le sujet d’imagination.
On pourra y ajouter des réflexions et des questions plus générales, étayées par des exemples
réels :
– sur la responsabilité personnelle et sur la responsabilité de la société ou des « circons-
tances » (par exemple, celle du bijoutier agressé qui a tiré dans le dos son jeune voleur en
fuite, en septembre 2013, à Nice) ;
– sur la peine de mort : efficacité, exemplarité (études des statistiques de récidive), moralité ;
– aux yeux de la religion chrétienne (loi du talion vs « tu ne tueras point »), aux yeux des phi-
losophies humanistes (« la vie humaine n’a pas de prix »), etc.

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Compte rendu de l’« autre lecture »
Le Gueux de Guy de Maupassant, p. 79 à 86
Ce compte rendu peut être donné en entier ou en choisissant une ou deux parties du question-
naire qui suit l’ordre de la lecture.

w Questions
I. Cloche (l. 1 à 75)/
1 Quel est le nom du gueux ? Pourquoi s’appelle-t-il ainsi ? Quel est son surnom ? À quoi
le doit-il ?
2 Quel âge a-t-il ? Quelles sont les causes de son infirmité ?
3 Citez les grandes étapes de la vie du mendiant. Dans quel sens évolue-t-elle ?
4 Nommez la figure utilisée aux lignes 54 et 70. À quoi le gueux est-il assimilé ? Quels
autres détails ou expressions renforcent ce rapprochement dans les 75 premières lignes du
récit ?
5 Comment les villageois se comportent-ils avec le gueux ?
6 Pourquoi Cloche a-t-il peur des gendarmes ? Que risque-t-il ?
7 Relevez les tournures négatives des lignes 1 à 75 : pourquoi, selon vous, sont-elles si nom-
breuses ?

II. La faim (l. 75 à 130)/


8 Quel rôle joue dans le récit l’expression « depuis deux jours » (l. 76) ? Faites la liste des
temps de l’indicatif employés des lignes 75 à 94, et dites quelles sont leurs valeurs.
9 En quelle saison l’histoire se passe-t-elle ? Comment cette saison agit-elle sur le compor-
tement des humains ?
10 Les répliques des paysans étaient-elles prévisibles pour le lecteur ? Comment ont-elles été
préparées dans le début du récit ?
11 Relevez les éléments qui scandent la progression de l’épuisement du mendiant. Quels
effets la faim a-t-elle sur lui ?
12 Cloche s’est-il arrêté dans une ferme pauvre ? Quel élément le prouve ?

III. Le vol (l. 131 à 166)/


13 Relevez deux interventions du narrateur des lignes 131 à 138 : quel élément grammatical
vous permet de les repérer ? Commentez leur sens.
14 Par quoi les actes du mendiant sont-ils commandés ? En est-il responsable ? Commentez
l’emploi du terme « sa chasse » (l. 152).
15 Comment le narrateur a-t-il créé l’effet de surprise des lignes 154 à 157 ?
16 Comment s’explique la violence des paysans ? Ont-ils tous les mêmes mobiles ?

IV. « Quelle surprise ! » (l. 167 à 210)/


17 Quelles intentions les gendarmes prêtent-ils à Cloche ? Pourquoi ?
18 On l’avait pris enfin ! Bon débarras. (l. 188) : qui prononce ces paroles ? Pourquoi ne sont-
elles pas mises entre guillemets ?
19 Combien de temps dure le trajet jusqu’au chef-lieu de canton ? Depuis combien de temps
Cloche n’a-t-il pas mangé ?
20 Quelles explications le narrateur donne-t-il au silence de Cloche ?

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21 Qui peut prononcer l’exclamation finale ? Commentez son sens en fonction des différents
locuteurs possibles.

V. Une nouvelle « engagée » ?/


22 Cherchez et rédigez en deux phrases les définitions des mots « nouvelle » et « réaliste ».
En quoi le texte Le Gueux correspond-il à ces définitions ?
23 Quelles sont les ressemblances et les différences entre l’histoire de Cloche et celle de
Claude Gueux ? La société joue-t-elle le même rôle dans les deux destins ?
24 Diriez-vous que cette nouvelle est « engagée », comme le roman de Victor Hugo ?
Justifiez votre réponse.
25 Cherchez la définition du mot « tragique » en littérature. : en quoi le destin de Cloche est-
il tragique ? Peut-on en dire autant de celui de Claude Gueux ?

Prolongements : Texte et images


Justifiez le choix des reproductions des pages 81 et 87. Cherchez ces tableaux en couleur sur
Internet et faites-en une étude détaillée. Présentez les résultats de votre travail sous la forme
d’un fichier informatique.

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w Corrigé
I. Cloche (l. 1 à 75)/
1 Le nom du gueux est Toussaint, parce que c’est le 1er novembre, jour de la Toussaint, qu’il
a été trouvé abandonné dans un fossé (l. 10-12). Il est surnommé Cloche parce qu’il se
balance entre ses deux béquilles comme le fait une cloche entre ses montants (l. 73-75).
2 Cloche a été estropié quand il avait quinze ans (l. 3). On le voit se traîner sur ses béquilles
depuis quarante ans (l. 26-27). Il a donc cinquante-cinq ans au moment où commence le récit.
Son infirmité est due à un accident : une voiture lui a écrasé les jambes (l. 3-4). Il se trouvait
sur la chaussée parce qu’il était ivre : le boulanger s’était amusé à le faire boire (l. 13-15). Cette
infirmité n’est donc pas naturelle, elle a été causée par la bêtise, le mépris et la cruauté d’un
habitant du village.
3 Enfant, le mendiant a d’abord été élevé dans le village « par charité » (l. 12), peut-être
grâce au curé des Billettes, qui l’avait trouvé. Ensuite, il a été soutenu par les aumônes de la
baronne d’Avary (l. 17-24). Après sa mort, il a vécu des dons des villageois. Mais au bout de
quarante ans, leur capacité de compassion s’est épuisée. Le sort du mendiant devient à
chaque étape plus difficile et plus précaire.
4 l. 54 : « rasé comme un lièvre au gîte » - l. 70 : « il vivait comme les bêtes des bois ». Ces
deux figures sont des comparaisons :
– l’outil de comparaison est la préposition « comme » ;
– le comparé est le mendiant, les comparants « un lièvre » et « les bêtes des bois » ;
– les éléments communs sont, dans la première figure, le fait de se fondre dans le paysage
(« rasé »), dans la deuxième figure le mode de vie (« vivait »).
Ces deux figures assimilent le gueux à un animal sauvage, et plus précisément à un gibier.
Ce rapprochement entre le gueux et un animal apparaît plusieurs fois :
– l. 18-19 : la baronne lui abandonne « une espèce de niche pleine de paille, à côté du pou-
lailler », ce qui l’assimile à un chien ;
– l. 61, l. 67 : il dort « sous les granges » ou « dans les étables », comme les animaux de ferme,
chiens, volailles, vaches, ou « dans les greniers à fourrages » comme les animaux sauvages,
écureuils, chauve-souris, rongeurs.
5 Les villageois ont permis à Cloche de tout juste survivre – « on ne lui donnait guère »
(l. 25) – mais de mauvaise grâce, car « on était fatigué de lui » (l. 26). Ils souhaiteraient le voir
disparaître de leur univers (l. 37 à 41).
6 La peur du gueux à la vue des gendarmes est présentée comme un instinct atavique, inhé-
rent à l’extrême pauvreté de ses parents.
Cette peur est justifiée par les lois du XIXe siècle. Le gueux sait que les gendarmes peuvent lui
ôter la liberté. En effet, Napoléon Ier a institué, en 1808, l’obligation de créer dans chaque
département un « dépôt de mendicité », où sont enfermés les marginaux (vagabonds, men-
diants, prostituées). Ils en ressortent en principe au bout d’un an, après avoir reçu une « réédu-
cation morale » et une formation à un métier.
En Normandie, sous la Monarchie de Juillet, s’est en outre mis en place le « système Barbet »,
destiné à éradiquer complètement la mendicité par la remise au travail de tous les indigents
valides (voir le document p. 42-45 du présent ouvrage).
En fuyant les gendarmes, Cloche préserve ainsi sa liberté et son mode de vie, même s’il est
précaire, pour éviter des mesures d’éloignement, de rééducation, et d’enfermement avec
d’autres malheureux comme lui. Il préfère rester dans le seul environnement qu’il connaisse.
7 Il faut relever (on pourra y inclure des expressions qui impliquent la négation par leur sens,
comme « demeuré étranger à » ou « ignorait ») :
« demeuré étranger à toute instruction » (l. 12-13) – « ne savait rien faire autre chose » (l. 15-
16) – « on ne lui donnait guère » (l. 25) – « il ne voulait point s’en aller » (l. 29) – « il ne
connaissait pas autre chose » (l. 30) – « il n’aurait jamais passé les limites qu’il était accoutumé
de ne point franchir » (l. 33-34) – « il ignorait » (l. 35) – « il ne se le demandait pas » (l. 36-37)
– « il ne répondait pas » (l. 41-42) – « qui ne le connaissaient pas » (l. 45) – « il n’avait jamais

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eu d’affaire avec eux » (l. 56) – « qu’il n’avait point connus » (l. 58) – « il n’avait pas de refuge…
pas d’abri » (l. 59-60) – « sans connaître personne, sans aimer personne » (l. 71).
Cette accumulation de négations souligne le dénuement absolu dans lequel vit le gueux :
dénuement matériel, mais aussi intellectuel, social, affectif. Il ne possède rien, ne sait rien, ne
connaît rien, n’intéresse personne, et ne se fie à personne. En cela aussi, il est proche de l’ani-
mal sauvage, tout entier dans son instinct. Et en cela aussi il est un personnage pathétique et
tragique.

II. La faim (l. 75 à 130)/


8 L’expression « Depuis deux jours » reprend le récit amorcé par la première phrase (« Il
avait connu des jours meilleurs », l. 1), et interrompu dès la deuxième phrase par un retour en
arrière ou analepse.
Dans les lignes 75 à 94, on trouve surtout :
• le plus-que-parfait : avait mangé – avait parcouru.
• l’imparfait : donnait – voulait – criaient – déclaraient – avait – restait – fallait – se sentait.
• le passé simple : se mit.
Ces trois temps sont ceux du récit au passé : le plus-que-parfait marque l’antériorité de l’ac-
tion par rapport à l’action principale, l’imparfait est le temps de l’action qui dure ou se répète,
le passé simple de l’action ponctuelle ou de premier plan par rapport aux actions à l’imparfait.
On trouve en outre, dans les phrases entre guillemets :
• le présent : veux-tu – on peut.
• le passé composé : j’ai donné.
Ces deux temps sont ceux des paroles rapportées au discours direct, telles qu’elles auraient pu
être prononcées par les personnages.
9 L’histoire se passe en hiver, en décembre (l. 95), par une journée froide, sombre et ven-
teuse (l. 95-97). Ce temps a sur les paysans un effet négatif : il les rend tristes, agressifs et
égoïstes, ils se replient sur eux-mêmes et perdent le sens de la compassion et de la solidarité
(l. 119 à 122).
10 Le lecteur ne peut pas être surpris par les refus des paysans. Le narrateur a indiqué, dès les
lignes 26-27 : « on était fatigué de lui » ; plus loin, il a répété que les paysans étaient « las de
le rencontrer » (l. 37-38) et qu’ils lui suggéraient d’aller mendier dans d’autres contrées.
11 Après avoir indiqué que Cloche n’a rien mangé depuis deux jours (l. 75), le narrateur
marque la progression de sa fatigue, qui va croissant avec la longueur des trajets qu’il doit
s’imposer et la faiblesse qui découle du manque de nourriture (« il se sentait las à ne plus se
traîner », l. 92-93 – « l’estropié allait lentement », « d’un effort pénible », l. 98-99 – « telle-
ment exténué qu’il ne pouvait plus lever ses bâtons », l. 118-119).
La faim a sur le gueux des effets physiques, puisqu’il doit fournir des efforts alors qu’il a « le
ventre aussi vide que sa poche » (l. 93), et qu’il subit une véritable torture (l. 128-129). Mais
la faim a aussi des effets intellectuels et psychologiques : elle le plonge dans la « détresse »
(l. 103), crée dans son esprit de la confusion (l. 104) et le laisse incapable de comprendre ce
qui lui arrive (l. 129-130).
12 La ferme où Cloche a échoué ne semble pas misérable. Le fermier est appelé maître
Chiquet, expression qui laisse entendre qu’il est propriétaire, ou en tout cas qu’il dirige le
domaine (ce qui sera confirmé ensuite par la mention des « gens de la ferme » qui prêtent
main forte au « patron », l. 162-163).

III. Le vol (l. 131 à 166)/


13 Le narrateur intervient aux lignes 131-132 et 133-134. Ces interventions se repèrent à
l’irruption du présent de vérité générale (« demeure » – « espère ») dans le cours du récit au
passé.
Le narrateur affirme que même dans les situations les plus désespérées, les hommes atten-
dent toujours une aide de leurs congénères, ou « du ciel » – Dieu ou hasard. Cette attente irra-
tionnelle, cet espoir inaltérable seraient inhérents à notre espèce.

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14 Le mendiant agit exclusivement sous l’empire de la faim, qui met en action l’instinct de
survie – en l’occurrence ici, celui de la « chasse ». Il n’est pas vraiment responsable de son
geste, dans la mesure où l’épuisement l’empêche de penser : il n’est pas poussé par une
« idée », qui supposerait un plan prémédité, mais par la « sensation » que la poule serait
bonne à manger (l. 143-145), et cette sensation déclenche le jet de la pierre, comme par un
simple réflexe de chasseur. Là encore, le comportement de Cloche est tout proche de celui
d’un animal, pour qui la chasse est un instinct de prédateur qui assure sa survie.
C’est pourquoi il ne peut pas s’interroger sur la portée morale de son acte (l. 146-147) : il faudrait
pour cela qu’il puisse penser, mais la pensée est un luxe réservé à ceux qui ont le ventre plein.
15 L’effet de surprise est créé par le choix du point de vue narratif : le récit s’intéresse aux
sensations, aux gestes et aux mouvements du seul personnage de Cloche, c’est lui que le
regard suit pendant qu’il se dirige vers sa proie. Par un effet de « restriction de champ »,
comme on dirait au cinéma, le reste du décor est invisible ; ainsi, pas plus que le mendiant, le
lecteur ne voit venir le fermier et ses gens. Il prend conscience de leur présence au même
moment que Cloche, et la surprise du lecteur fait écho au choc physique que le mendiant
reçoit dans le dos.
16 Le fermier se déchaîne sur Cloche parce qu’il a été volé ; pour lui, ce n’est qu’un marau-
deur qui mérite d’être rossé.
Les employés de la ferme imitent leur « patron » sans doute par soumission à son autorité,
mais aussi, probablement, par plaisir sadique : c’est ce que suggère l’expression « assommer le
mendiant » (l. 163), ainsi que le fait qu’ils ne s’arrêtent que lorsqu’ils sont « las de le battre »
(l. 164), quand cela ne les amuse plus.

IV. « Quelle surprise ! » (l. 167 à 210)/


17 Les gendarmes redoutent que Cloche ne se montre agressif, et qu’il ne se rebelle contre
leur autorité. Cette crainte leur a été inspirée par les mensonges de maître Choquet, qui pré-
tend avoir été attaqué violemment par le mendiant (l. 172-173).
18 Ces paroles sont celles du personnel de la ferme qui se réjouit de voir emmener le gueux.
Elles ne sont pas entre guillemets, car elles sont rapportées au discours indirect libre.
Au discours direct, on aurait : Ils disaient : « On t’a pris enfin ! Bon débarras. »
Au discours indirect on aurait : Ils disaient qu’on l’avait enfin pris et que c’était bien d’être débar-
rassé de lui.
Le narrateur choisit la solution du discours indirect libre, qui est la plus économe, la plus
rapide, car elle « fond » le discours rapporté dans le cours du récit.
19 Le trajet jusqu’au chef-lieu de canton dure de midi, moment de l’arrivée des gendarmes
(l. 170), à la tombée de la nuit (l. 196 ; en décembre il doit être environ 17 heures). Pendant
trois jours et deux nuits (dont une « à moitié mort » et « saignant », l. 167), Cloche n’a rien
mangé. La nuit qu’il va passer en prison sera la troisième où il restera avec le ventre vide.
20 Le narrateur donne trois explications au silence de Cloche : d’une part, il ne comprend pas
ce qui lui arrive (l. 201-202), d’autre part, faute de pratique, il ne connaît plus très bien
« l’usage de sa langue » (l. 204) – technique de la parole ou maîtrise du français –, enfin, il ne
parvient pas à penser de façon claire (l. 204-205). La misère, la faim et la solitude absolue l’ont
donc privé de ce qui caractérise l’humanité par rapport aux animaux : la pensée et le langage,
qui se nourrissent l’un de l’autre.
21 Quelle surprise ! est encore (voir question 2) une parole ou une pensée rapportée au dis-
cours indirect libre, comme le prouve le point d’exclamation.
Elle peut être attribuée aux gendarmes et aux autorités qui découvrent Cloche. Elle traduit
dans ce cas leur inconscience des réalités, leur incapacité à se mettre à la place du gueux et à
deviner qu’il avait besoin de manger. Elle révèle leur sottise, leur indifférence, leur cruauté, leur
mépris pour les faibles et les pauvres, qu’on ne traite pas comme des personnes normales.
Cette parole peut aussi être attribuée au narrateur. Dans ce cas, elle est ironique : elle se
moque des gendarmes et des autorités, dénonce leur sottise et leur incompétence. En effet, il
faut être stupide pour s’étonner qu’un mendiant infirme et épuisé meure de faim quand il a
passé trois jours et trois nuits sans manger !
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V. Une nouvelle « engagée » ?/
22 Une nouvelle est un récit court, qui peut être lu d’un seul trait, sans interruption.
Un récit réaliste se déroule dans un cadre ordinaire, avec des personnages qui auraient pu
exister, et raconte des événements qui auraient pu se produire dans la vie réelle.
« Le Gueux » correspond à tous les éléments de ces définitions : le récit est très bref ; l’histoire
se déroule dans des lieux géographiquement déterminés (voir les noms de villages) ; les per-
sonnages (mendiant, baronne, curé, fermiers, gendarmes) peuvent se rencontrer dans le
monde réel ; les événements sont plausibles.
23 Cloche est un infirme et un meurt-de-faim que personne ne veut aider et qui meurt du
fait de l’indifférence et de l’insensibilité de ceux qui l’entourent, pour le simple fait d’avoir
tenté de voler une poule pour manger.
Claude est lui un ouvrier capable de gagner sa vie, de mener une vie de famille. Mais faute
d’emploi, lui aussi est contraint de voler pour manger et faire manger sa famille, et lui aussi en
meurt.
Les points communs entre les deux histoires s’arrêtent là. Il n’y a pas d’équivalent à l’assassinat
de M. D. et à la condamnation à mort délibérée, par la justice, dans l’histoire de Cloche.
Pour Cloche, la société est dure, cruelle et sans compassion. Pour Claude, elle est irresponsable
quand elle ne lui donne pas de travail, sadique quand elle prend les traits de M. D., et impi-
toyable quand elle applique la peine de mort.
24 Victor Hugo espère, à travers l’histoire de Claude, faire réfléchir lecteurs et politiques sur
le fonctionnement de la société et de la justice, et il propose des solutions pour que la situa-
tion devienne meilleure. En ce sens, son roman est bien « engagé » : il participe à un combat
pour modifier la société réelle.
Maupassant propose un récit beaucoup plus désespérant : Cloche est victime avant tout de
l’indifférence des gens à la misère d’autrui. Rien qui ressemble à une lueur d’espoir dans son
récit, encore moins à des solutions pour changer la société ou les mentalités. Contrairement
à Victor Hugo, Maupassant est bien trop pessimiste pour écrire des récits engagés.
25 On parle de tragédie ou de tragique en littérature quand les personnages se trouvent seuls
face à des forces qui les dépassent, et à un destin inéluctable (la fatalité) qui les conduit à la
mort.
On peut dire que le destin de Cloche est tragique : depuis son enfance, tout se ligue contre lui,
tout va de mal en pis. Dans ses trois dernières journées, rien ne vient adoucir son sort – même
le temps, le ciel, le vent, jouent contre lui.
Pour Claude, les choses sont un peu différentes : il a eu dans sa vie une femme qui l’a aimé,
une amitié profonde en prison, l’aide des sœurs, de ses codétenus, du prêtre. Il est certes victime
d’une société injuste, de lois inadaptées, mais il n’est pas victime d’une fatalité impossible à
détourner, puisque justement Hugo propose des changements qui permettraient d’éviter que
d’autres subissent le même sort que lui.

Document complémentaire sur la mendicité à Rouen en 1840


BARBET Henri (maire et député de Rouen), Suppression de la mendicité à Rouen, lettre adressée à
M. Chapuis-Montlaville, député de Saône-et-Loire, 1841.
Mon cher collègue,
Je viens, en exécution de ma promesse, vous faire connaître les moyens que j’ai employés pour
faire disparaître la mendicité de la ville de Rouen.
Permettez-moi de mettre d’abord sous vos yeux l’état et l’importance de la population men-
diante ; j’aborderai ensuite les détails.
Lorsque, en juillet 1830, je pris la direction des affaires de la ville, je résolus de réaliser un plan
auquel j’avais longtemps réfléchi. Mais avant de prendre une mesure aussi grave, avant de
changer des habitudes enracinées depuis des siècles, il fallut, pour ne pas être arrêté, dans ma
volonté bien ferme et bien déterminée ; il fallut, dis-je, rechercher le nombre des personnes qui
vivaient de la mendicité, depuis combien de temps elles en vivaient ; il fallut déterminer
encore l’importance de ces familles, le nombre des femmes et des enfants, la proportion des
valides et des invalides.
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L’examen de ces faits me révéla des choses bien extraordinaires dont la connaissance, si elle
était rendue publique, engagerait vivement tous les administrateurs à prendre des mesures
pour anéantir cette lèpre, qui dévore la société et la démoralise presque à l’égal des repris de
justice. Combien de crimes commis par des mendiants sont restés impunis, à cause de cette
facilité de voyager qui leur est accordée, même par le Gouvernement, au moyen des secours
de route !
Mais je reviens à mon sujet. Je constatai d’abord que le nombre des mendiants qui apparte-
naient à la ville de Rouen et qui y exerçaient, était de 600 à peu près de tout âge et de tout
sexe.
Une centaine environ comptait quatre ou cinq générations qui s’étaient succédé à la porte
d’une église, d’un hôtel, ou sur quelque point des promenades publiques. Ils parlaient de cette
place comme d’une propriété, dont plusieurs avaient disposé en faveur de tel ou tel enfant.
C’était comme une dot, un héritage, que quelques-uns avaient vendu pour une somme d’ar-
gent ou une rente viagère, faute d’héritier qui eût voulu en continuer la possession.
Le nombre des hommes était moins considérable que celui des femmes : c’était à peu près
1/5e, autant d’enfants, et les trois autres cinquièmes de femmes.
Il n’y avait pas plus de 1/6e d’invalides ; la plupart par plaies ou membres amputés, les autres
par vieillesse. Il y avait à peine 1/20e de ces derniers.
Je dois remarquer ici que, parmi ceux qui étaient couverts de plaies, un grand nombre les
simulait ; d’autres étalaient la privation d’un membre, qu’ils avaient réellement. En sévissant
contre ces malheureux, j’ai fait beaucoup de miracles : j’ai rendu la vue à des aveugles, guéri
des plaies jusqu’alors incurables, redressé des boiteux qui ont jeté les béquilles dont ils se ser-
vaient depuis vingt ans, retrouvé des membres perdus depuis longues années. Vous le voyez,
mon cher collègue, sans diplôme de la faculté, j’ai fait des cures merveilleuses.
Il m’a été bien difficile de constater les causes qui avaient poussé tous ces misérables à la
mendicité ; c’est qu’en effet, à l’exception de ceux qui en faisaient métier, la grande majorité a
disparu à la nouvelle des recherches dont ils étaient l’objet.
En général, la mendicité se recrute de paresseux que rien ne peut faire travailler. Le plus grand
nombre ont été élevés dans cette pratique dès l’enfance. Les personnes tombées dans la
misère pour toute sorte de causes ne se déterminent pas aisément à aller implorer dans la rue
la charité publique ; elles suivent la marche moins avilissante comme moins productive de
s’adresser à quelques maisons connues pour leur bienfaisance. Ainsi, en effet, elles ont peine à
vivre, tandis que les autres amassent de 3 à 4 fr. par jour. Récemment, le Journal de Rouen par-
lait d’un mendiant d’habitude chez lequel on avait trouvé plusieurs milliers de francs. J’en
pourrais citer plusieurs ; les journaux ont enregistré beaucoup de faits de ce genre, et ils n’ont
pas tout publié.
Après avoir constaté toutes les observations précédentes, après avoir calculé les sacrifices que
j’allais mettre directement à la charge de la caisse municipale, conséquemment de mes conci-
toyens, je commençai l’exécution de mon projet.
L’expérience m’avait convaincu que les dépôts de mendicité n’avaient pas rempli le but qu’on
s’était proposé ; on les a d’ailleurs abandonnés aujourd’hui ; ils sont trop dispendieux en tous
temps, insuffisants lorsque les travaux perdent de leur activité ; et trop considérables dans les
moments de prospérité. De plus, il eût été impossible de maintenir un matériel assez considé-
rable et assez varié pour occuper des ouvriers de toutes les professions. J’organisai alors en
grand un genre de travail à la portée de toutes les personnes valides : le balayage des rues pour
les femmes et les enfants ; les travaux de terrassement dans les rues non pavées et les prome-
nades publiques, et les plantations pour les hommes. Le prix de la journée fut fixé de 30 à
40 cent. pour les femmes, de 60 à 70 cent. pour les hommes. J’eus soin de m’arrêter à un taux
assez bas, afin que les ouvriers ne préférassent pas le travail des ateliers de charité à celui des
fabriques, où l’on est plus tenu, et où la durée du travail est aussi plus longue.
Des mesures furent prises pour secourir à domicile les quelques vieillards et infirmes qui ne
voulurent pas entrer dans les hôpitaux. Je signalerai, en passant, comme fait significatif, que 24
ou 25 seulement consentirent à y entrer.
Après avoir pris ainsi toutes les mesures conseillées par la prudence et par l’humanité ; après
m’être assuré du concours du clergé, que je dois remercier de son loyal appui, lorsqu’il a été
bien certain que tous les malheureux invalides seraient secourus dans la proportion de leurs

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besoins1 ; après m’être concerté avec M. le procureur du roi et MM. les membres du tribunal
civil, dont l’assistance m’était indispensable2, je continuai alors l’entière réalisation de mes
projets.
J’ai d’abord fait signifier aux valides de tout sexe qu’ils eussent à se pourvoir d’ouvrage, parce
qu’ils ne seraient pas tolérés mendiants. Quelques arrestations et mises pendant vingt-quatre
heures dans les prisons municipales firent justice de la résistance de quelques-uns ; ceux qui
arguèrent le manque d’ouvrage furent admis aux ateliers de charité ; je déterminai les 24 ou
25 vieillards et infirmes dont je vous ai parlé à entrer dans les hôpitaux ; d’autres préférèrent
rester au sein de leurs familles où je leur fis distribuer des secours.
La plus grande partie de cette population céda donc à mes injonctions ; et je vis qu’il ne res-
tait qu’un petit nombre de rebelles, trop faible pour embarrasser l’action de la justice.
C’est alors que je rendis une ordonnance municipale qui supprimait immédiatement la men-
dicité dans la ville de Rouen ; cette ordonnance fut sanctionnée par M. le président. Alors les
poursuites furent exercées contre les récalcitrants qui finirent par se lasser, et se décidèrent à
prendre quelque état ; durant l’apprentissage, ils reçurent assistance. Le reste fut admis dans
les ateliers de charité.
Cette mesure, regardée jusque-là comme impossible, a reçu maintenant une exécution com-
plète. Beaucoup l’approuvaient ; quelques-uns craignaient que tous ces malheureux souffris-
sent trop d’être privés des secours de la charité publique ; ils préféraient donc regarder la men-
dicité comme un mal incurable. Les faits sont heureusement venus démentir toutes ces
prévisions. Dans cette ville où l’on trouvait un mendiant à chaque pas dans les rues, sur les
promenades, à la porte des églises et des boutiques ; dans cette ville où la vue était blessée par
des plaies hideuses et factices étalées avec d’autant plus d’empressement qu’on attendait
davantage de la commisération des passants ; dans cette même ville où des bandes de men-
diants allaient, par centaines, à des jours fixes, demander l’aumône aux personnes habituées à
la donner périodiquement et sans distinction d’individus ; dans cette même ville aujourd’hui à
peine si on rencontre, à de longs intervalles, quelque mendiant honteux immédiatement
arrêté par l’incessante surveillance de la police.
Mais, je me saurais trop vous le répéter, il faut absolument l’assistance du clergé et de la jus-
tice ; sans cela on se flatterait vainement de réussir. Il importe aussi que la plus active sur-
veillance ne soit jamais relâchée, car le mal reviendrait bien vite ; il est si doux de vivre sans tra-
vailler. Puis, il ne faut pas craindre de le dire, car ce fait honore l’humanité, on gagne plus à
implorer la charité qu’à travailler ; c’est pour cela qu’il faut tant de fermeté pour supprimer les
mendiants.
Le maire expose les conséquences de la suppression de la mendicité sur les finances de sa ville,
puis il poursuit son argumentation.
Voilà le résultat positif de mes mesures pour la suppression de la mendicité.
Quelques personnes avaient craint qu’elles occasionnassent des charges plus considérables
pour les hôpitaux ; mais il n’en a rien été, et cela ne pouvait être, puisqu’il n’y avait que très
peu de vieillards et d’infirmes dans la population mendiante. Il en est de même des bureaux de
bienfaisance, puisqu’il résulte des tableaux publiés, le 13 mars 1841, qu’à partir de 1832,
époque de mon travail, jusques et y compris 1837, le nombre des individus inscrits auxdits
bureaux et y recevant des secours n’a pas sensiblement augmenté. C’est seulement depuis
cette année que le chiffre a grossi, ce qu’il faut attribuer à un nouveau règlement des bureaux.
J’ajouterai même que, pour les hôpitaux, l’effet contraire devra se produire. Dans l’ancien état
de choses, ces établissements étaient destinés à recevoir tour à tour des individus habitués à
vivre de la charité publique ; cela est incontestable. Aujourd’hui ces mêmes individus, accoutu-
més à se suffire avec le produit de leur travail, aimeront mieux passer une courte maladie dans
leur famille, plutôt que d’aller dans les asiles destinés aux malheureux. En tout cas, il ne peut y
en avoir un plus grand nombre.
Vous le voyez, mon cher collègue, tous les pronostics qu’une fausse philanthropie se plaît à
répandre contre toute tentative ayant pour but la suppression de la mendicité, ne se sont pas
réalisés. J’ai réussi complètement ; j’ai atteint le but que je m’étais proposé. Satisfaction a été
donnée à la morale et à l’humanité, en même temps que les habitants de Rouen sont déchar-
gés d’un impôt énorme ; pour compensation de ces immenses avantages, la caisse municipale
n’a pas eu grande dépense à supporter.

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Vous m’avez demandé si j’avais eu besoin de recourir à l’impôt ; mais vous penserez avec moi
que cela était inutile pour faire face à une dépense de 24,000 fr. Je l’ai prise sur l’excédent des
recettes du budget.
Maintenant, tout en continuant les mesures qui tendent à perfectionner cette œuvre, je m’oc-
cupe de faire disparaître une autre classe de malheureux : je veux parler des vagabonds ; c’est
là que se recrutent les voleurs et les escrocs. J’ai déjà commencé l’exécution de cette œuvre,
et j’espère pouvoir, avant un an, vous transmettre des résultats qui vous étonneront.
Vous me trouverez peut-être un peu long ; mais j’ai pensé qu’il fallait entrer dans les détails,
afin que vous puissiez mieux saisir tout l’ensemble des faits et des résultats que j’ai obtenus.
Agréez, etc.
Notes
1. J’avais craint de l’opposition de la part du clergé, que les préceptes religieux obligent à
secourir tous les malheureux qui n’ont pas de quoi vivre. Mais Mgr. le prince de Croï, cardinal
archevêque, et M. Fayet, vicaire général, comprirent aisément que je poursuivais uniquement
ceux qui exploitent la charité publique au profit de leur paresse. Dès lors, ils m’accordèrent
leur concours avec un zèle que le reste du clergé a constamment imité.
2. Du côté de la magistrature, je redoutais que sa bonne volonté fût enchaînée par le texte de
la loi. Le décret impérial du 5 juillet 1808 ne parle en effet que des dépôts de mendicité. Mais
le tribunal a sagement interprété l’esprit de la loi, en reconnaissant que si elle mentionne seu-
lement les dépôts, c’est qu’à cette époque il n’y avait pas d’autre moyen connu. Le tribunal a
donc décidé que mon organisation remplissait les vues de la loi, et que par conséquent ses dis-
positions devaient être appliquées aux récalcitrants.

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Bibliographie
o Ouvrages et articles
– FEY (Dominique) et HERBELOT (Lydie), Crimes et châtiments dans l’Aube, « L’affaire Claude
Gueux. Du criminel de droit commun au héros hugolien », éd. Dominique-Guéniot, 2008,
pp. 135-182.
– MIGOZZI (Jacques), « L’engagement d’une écriture : stratégies énonciatives du Dernier jour
d’un condamné à Claude Gueux », in Bellet et Court : G comme Hugo, CIEREC, 1987.
– LAFORGUE (Pierre), L’Éros romantique : « Claude Gueux ou l’amour et le partage en prison »
(sur l’intertexte évangélique), PUF, « Littératures modernes », 1998, p. 163-180.
– PETREY (Sandy), « L’exécution de Claude Gueux », Compte rendu de la communication au
Groupe Hugo du 28 avril 1990, Groupe Hugo Paris VII.
http://groupugo.div.jussieu.fr/Groupugo/90-04-28petrey.htm
– PICON (Jérôme) et VIOLANTE (Isabel), Victor Hugo contre la peine de mort, avant-propos de
Robert Badinter, éditions Textuel, 2001. Textes précédés de « L’acte et la parole, les stratégies
de Victor Hugo contre la peine de mort », Delphine Gleizes, pp. 15-41, et suivis de « Sur la
peine de mort en France de la Restauration au début de la IIIe République », Benoît Chabert,
pp. 169-173 ; avec des moulages de têtes de suppliciés et des dessins de Hugo.

o Sites Internet
– Extrait du registre d’écrou de Claude Gueux à Clairvaux, avec des commentaires :
http://www.victorhugo2002.culture.fr/culture/celebrations/hugo/fr/ow_archiv_mor3.htm
– Notice biographique de Claude Gueux rédigée par Salaville, directeur de la prison de
Clairvaux :
http://www.victorhugo2002.culture.fr/culture/celebrations/hugo/fr/ow_archiv_mor4.htm
– Dossier sur « L’Affaire Claude Gueux » dans le Journal du conseil général de l’Aube, n° 40,
printemps 2002 :
http://www.mnd45.fr/bilder/ressources11_12/c_gueux_affaire.pdf
– Sur la question de la « pénalité » au XIXe siècle :
http://prison.eu.org/spip.php?article1780

Édition : Marion Craheix


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Mise en page : ScienTech Livre

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