Doctrine de La Grace Par Nicolas Cabasilas

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Doctrine de la grâce par Nicolas Cabasilas

Introduction

La doctrine de Nicolas Cabasilas est inséparable du témoignage de saint Grégoire Palamas, pour des
raisons géographiques, et par ses écrits. C'est tout le palamisme qui et exprimé chez lui. Il ne s'agit
pas d'une doctrine nouvelle. La tendance actuelle, dans les autres écoles chrétiennes que l'Eglise
orthodoxe, consiste à dire que saint Grégoire Palamas a inventé une doctrine au 14° siècle, sans
fondement ancien, etc...;

Saint Grégoire Palamas serait le promoteur d'une nouvelle théologie qui lui serait propre, mais qui ne
pourrait pas être considérée comme vraiment dans la lignée des Pères: dans les orthodoxes, qui se
réclament généralement de la pensée de Palamas, seraient des gens attachées à une pensée du 14°
siècle....

Au contraire, il est assez facile de démontrer ( à partir du moment où l'on est de bonne foi) que ce qu'à
dit saint Grégoire Palamas était ce que disaient au moins les Pères cappadociens. Les Pères
apostoliques, saint Irénée s'expriment différemment, mais en tout cas le fondement de l'enseignement
de saint Grégoire Palamas est dans saint Basile, saint Jean Chrysostome, saint Maxime le
confesseur...Dans la Tradition dont Palamas est le témoin et largement attestée.

Cette doctrine est une précision apportée dans le domaine de la grâce essentiellement.

Doctrine de la grâce par Nicolas Cabasilas

Dans l'ensemble les Pères orientaux ont toujours considérés que la grâce était divine. Ils ne l'ont
pas forcément dit de manière explicite. Mais certains textes des pères cappadociens prouvent qu'ils
pensaient de cette façon-là. Ceci est la doctrine générale des Pères orientaux, grecs et syriens.

Les Pères latins n'ont absolument rien dit de précis sur ce domaine-là. Quand ils parlaient de la
grâce, c'était suffisamment ambigu pour que cela ait été utilisé après pour élaborer la doctrine de la
grâce créée. les Pères grecs dans l'ensemble sont plus riches au point de vue de la terminologie: ce
sont eux qui ont donné la langue des conciles. Il y a une grande supériorité de la patristique grecque
dans le domaine au moins de la terminologie, de la formulation. Ce sont les Pères grecs qui ont
inventé le mot Trinité.

Cette doctrine qui est la nôtre aujourd'hui encore, consiste à dire que la grâce déifie l'homme:
c'est la grâce déifiante. Nous ne parlons pas tellement du salut en tant que tel, nous parlons de
déification.

Le salut est essentiellement (chez les Cappadociens, chez les Pères grecs ensuite) sanctification et
déification de l'homme. Ce n'est pas uniquement rachat, comme dans l'Occident médiéval, où l'œuvre
du Christ est toujours rachat, une rédemption. Ce n'est pas suffisant, bien sûr le Christ a racheté, mais
ce n'est pas le fond de notre espérance et de notre vie. Ce qui fait notre espérance et notre vie, c'est
le Christ qui nous ouvre la porte de l'Esprit Saint et donc donne la capacité d'être déifiés, d'être des
saints.

En Lui, dans le Christ même, l'humanité est sanctifiée. On ne peut pas dissocier rédemption et
déification dans une christologie orthodoxe. Il y a une base scripturaire qui est le texte de l'Apôtre
Pierre dans son Epître où il parle des croyants: "Vous êtes participants de la nature divine". Ce
n'est pas une invention des orthodoxes ou des pères orientaux, c'est saint Pierre qui dit cela.

Qu'est-ce que cela veut dire que des créatures comme nous peuvent participer à la nature divine ?
Comment ce qui est créé peut participer à ce qui est incréé ?

C'est dans le Christ même qu'est le fondement de cette participation: c'est parce qu'en Christ les deux
natures sont unies et s'interpénètrent - même là encore, c'est une élaboration des conciles du 5°
siècle, qui ont précisé cette caractéristique du Christ qui est Celui en qui l'humain et le divin participent
l'un à l'autre.

La phrase de saint Pierre se complète admirablement avec le texte du concile de Chalcédoine et des
conciles postérieurs. Mais les chrétiens n'ont pas voulu abandonner la vision du Dieu transcendant. Il
ne nous suffit pas de dire que Dieu est participable. Si nous disons cela nous risquons de déformer la
foi, de la réduire à un seul aspect. C'est cela qu'on vu les Pères grecs: il fallait dire et ceci et cela. Ce
n'était pas possible, suivant les exigences de la foi orthodoxe elle-même, de ne pas préciser de quoi
on parlait: Dieu demeure inaccessible. Dieu est inaccessible en Son essence. Affirmant cela, que
veut dire la phase de Saint Pierre ? Que se passe-t-il dans l'Incarnation si Dieu est inaccessible ? que
se passe-t-il en Christ pour que l'humain et le divin s'interpénètre ?

Si Dieu est inaccessible, qu'est-ce que le Christ ? Comment allez-vous m'expliquer, à moi incroyant,
que le Christ qui est Dieu donc inaccessible, je Le touche, Il me parle, des gens l'ont connu ?

Les Pères grecs ont formulé une antinomie (une affirmation de deux dimensions de la vérité) en
insistant toujours sur ce côté inaccessible de la nature divine ou de l'essence divine, et en décrivant la
participation à cette nature par les énergies (incréées), ou la grâce (divine). C'est partir de cela qu'ils
ont développé particulièrement cette doctrine de la grâce.

La grâce est divine, incréée, mais c'est par elle que nous avons une participation à la nature divine,
car elle nous pénètre. Donc Dieu est inaccessible en Son essence, et Il est participable par Ses
énergies incréées.

Saint Grégoire Palamas n'est pas le premier à dire cela. Saint Basile de Césarée (lettre 234) dit ceci :
" Toute en affirmant que nous connaissons Dieu dans Ses énergies, nous ne promettons guère de
l'approcher dans Son essence même, car si Ses énergies descendent jusqu'à nous, Son essence
reste inaccessible".
Cette double affirmation permet d'être réaliste, de crucifier son intelligence devant le mystère même
de Dieu et de ne pas renoncer à nommer les choses. C'est toujours la position de la théologie:
acceptons d'avoir notre intelligence crucifiée par une antinomie, mais essayons quand même d'avoir
une pensée théologique.

Est proposée aux baptisés une participation réelle aux énergies de Dieu, grâce à laquelle une
déification est possible: car seul Dieu est Dieu, et seul Dieu est saint. Seule cette participation
permet une sanctification. La déification, c'est être Dieu par participation à Lui un jour.

Ce n'est pas une doctrine. Il fallait rendre compte du vécu des chrétiens. Qu'elle est notre espérance,
qu'est-ce que être saint, quel est l'idéal chrétien ?

Ou bien l'idéal chrétien est purement un idéal moral ou bien il est un idéal de déification. Cela n'a
aucun rapport. S'il n'y a pas de déification, contentons-nous d'une morale, et il en faut une bonne.
Mais le christianisme propose plus: il propose à l'homme de devenir saint. "Soyez parfaits comme
votre Père céleste est parfait" dit le Christ.

Dans la pensée des Pères, Dieu étant Tout-puissant, Il est capable de dépasser Sa propre
transcendance. Il déborde de cet absolu. Il Se déverse, Il dépasse Sa propre transcendance par
amour pour Sa créature. Nicolas Cabasilas reprendra beaucoup cette expression là: il parlera de
l'amour fou de Dieu, l'amour passionné de Dieu pour l'homme qui les fait déborder, par un
déversement de l'amour divin. Dieu a créé l'humanité par un débordement d'amour, pas pour une
raison ou une autre. Car même Sa transcendance ne Le limite pas. Il est très important de ne pas
enfermer Dieu même dans l'infini, dans la déité, la divinité. Dieu n'est pas enfermé par le divin.

Saint Grégoire Palamas explique cela : "La nature divine doit être dite en même temps imparticipable,
et dans un certains sens, participable". Le rôle des énergies, de la grâce, est de nous faire participer à
la nature, qui en même temps est imparticipable.

"Nous arrivons à la participation de la nature de Dieu et cependant elle reste totalement inaccessible.
Il faut que nous affirmions les deux choses à la fois et que nous gardions leur antinomie comme
critère de la piété".

Il y a autour de saint Grégoire Palamas et du Mont Athos une utilisation d'autres textes du Nouveau
Testament (pas seulement de l'épître de saint Pierre), en particulier de l'Evangile de la
Transfiguration. La doctrine des énergies divines, de la grâce déifiante, s'est transformée en doctrine
de la lumière: grâce déifiante, énergie incréée ou lumière divine sont les mêmes réalité.

Dans ce mystère que nous célébrons le 6 août dans la liturgie, le Christ prend ses disciples à l'écart,
et il est transfiguré devant eux entre Moise et Elie. Les Apôtres, Pierre, Jacques et Jean, tombent la
face contre terre devant cette irradiation du Christ, et en même temps ils se trouvent bien puisque
saint Pierre dit: Seigneur, il est heureux que nous soyons ici; si Tu le veux, je vais faire ici trois
tentes....(Mat 17,4). Mais le Christ les renvoie au monde.
Que s'est-il passé ? Les pères du 14° siècle byzantin ont comme intérêt d'être des réalistes. Ils
refusent absolument d'interpréter ces textes comme des textes métaphoriques ce qui est étranger à la
mentalité orthodoxe. L'attitude orthodoxe est très souvent celle d'un réalisme spirituel.

Pour répondre donc à cette question: On a puisé dans cette connaissance de la grâce déifiante ou de
l'énergie incréée, et on a commenté le mystère de la Transfiguration en disant que c'est le moment où
l'humanité du Christ s'est montrée absolument diaphane, irradiante non d'une lumière humaine,
cosmique, créée, mais de la lumière divine qui procède de la nature qui est en Lui, divine. C'est cette
nature divine qui irradie de Son Corps, de Son humanité. Cela rend compte de l'union de l'humain et
du divin. L'humain et le divin ne sont pas juxtaposés comme deux parties, mais l'humanité du
Christ irradie la divinité du Christ.

Nous avons toujours besoin de préciser cela. Nous avons beaucoup de mal à concevoir à quel point
l'humain et le divin peuvent être unis dans la Personne du Christ. Si nous ne sommes pas un peu
critiques à l'égard de notre propre foi nous avons tendance à voir en fait deux êtres.

Comment contemplons-nous ce mystère là ? Essayons de le contempler comme les Pères


anciens l'on contemplé, c'est à dire sans séparer l'humain et le divin. Le signe de leur union est cette
irradiation du divin. C'est aussi l'expérience des saints qui ont été lumineux. Surtout c'est important car
l'expérience spirituelle à laquelle fait allusion saint Grégoire Palamas et Nicolas Cabasilas serait une
expérience de l'irradiation de la lumière divine dans le cœur de l'homme. Expérience de
l'illumination, soit de l'esprit, soit du cœur, soit des deux conjoints: illumination du noùs, du cardia
(cœur), distinctement ou conjointement. C'est une même lumière, qui peut irradier de l'un et/ou de
l'autre, soit à l'intérieur de l'être humain, soit à l'extérieur de l'être humain.

C'est très important: on rapporte le mystère de la Transfiguration à l'expérience personnelle, intime.


De la lumière de la Transfiguration, du Mont Thabor, saint Grégoire Palamas dit: "L'illumination et la
grâce divine et déifiante n'est pas l'essence mais l'énergie de Dieu". La lumière du Mont Thabor,
ce n'est pas l'essence, la nature divine qui apparaît comme telle, mais c'est l'énergie de Dieu
procédant de Sa nature qui apparaît.

Cette énergie divine vient avec la communion des Personnes divines. "Elle vient par
l'opération commune de la Trinité". La théologie orthodoxe est très scripturaire. Ici cette phrase se
rapporte au texte de l'Evangile. Le Père est présent, et l'Esprit est Celui qui communique ces
énergies. L'Evangile de la Transfiguration est très fortement trinitaire (il n'est pas uniquement
christocentrique) comme l'Evangile de la Théophanie.

Les énergies divines qui procèdent de la nature sont communiquées à l'homme, elles transfigurent
l'humain, mais le Père est présent et l'Esprit communique ces énergies. C'est une "opération
commune de la Trinité". Cette doctrine là est la base pour l'expérience spirituelle et pour la doctrine
des sacrements.
Beaucoup plus proche de nous, cette doctrine a été développée très précisément par le métropolite
Philarète de Moscou (fin 18° siècle - début 19° siècle). "Dieu désire communiquer Sa béatitude, Se
faire des participants de Sa gloire. Il suscite Ses perfections infinies et elles se dévoilent dans Ses
créatures. Sa gloire Se manifeste dan les puissances célestes, Se reflète dans l'homme, revêt la
magnificence du monde invisible. Il la donne, ceux qu'il en fait participants la reçoivent elle retourne à
Lui et dans cette circonvolution perpétuelle pour ainsi parler, de la gloire divine, consiste la vie
bienheureuse, la félicité des créatures".

Deux éléments ici importants. Il présente Dieu comme un Dieu personnel (Dieu désire communiquer
Sa béatitude, et c'est la raison même de la création). Dieu ne peut rester comme cela sans faire
participer Sa vie à d'autres qu'à Lui-même.

L'autre point est que cette grâce retourne à Dieu. Philarète de Moscou parle d'une "circonvolution
perpétuelle": la grâce qui vient de Dieu, qui pénètrent les créatures, qui illumine, les sanctifie, les
déifie, lui revient. il y a donc une circulation de grâce entre Dieu qui est la source et nous. Cette grâce
ne s'arrêtera pas. Un texte de la Bible dit que la rosée de Dieu Lui revient. Dieu donne, et cela Lui
revient. J'insiste là dessus parce que c'est la base de la vie sacramentelle chrétienne. Dans
l'eucharistie nous "rendons grâce", c'est à dire que nous entrons dans ce mouvement de
"circonvolution perpétuelle". La grâce nous vient du Père elle nous atteint extérieurement et
intérieurement (si nous l'acceptons), elle nous pénètre, et nous la renvoyons: nous tendons grâces.

Le Christ est constamment Celui qui est plein de la grâce du Père mais qui la renvoie: en irradiant
autour de Lui vers les hommes, et vers Son Père dans Sa prière. Quand il expire sur la Croix, c'est
l'action de grâce par excellence. Cette grâce qui est en Lui retourne: "Père, entre Tes mains, Je
remets Mon Esprit".

Il ne cesse pas d'être Dieu pour autant , mais Il est dans cette circulation de la grâce, qui
probablement est une circulation intérieure à la vie trinitaire, des Personnes divines. Cette vie
trinitaire, cette circulation de la grâce entre les Personnes divines nous est communiquée, et
nous pouvons aussi être des personnes entre qui et par qui cette grâce circule, et retourne
toujours à la source. Il y a quelque chose de circulaire dans le mouvement de la grâce, ce n'est pas
uniquement quelque chose que Dieu nous donne et avec lequel on se débrouille.

il y a une réception, assimilation et restitution. Comme dans toute la liturgie: il y a une acceptation,
assimilation et restitution. Qui parle ? C'est Dieu. C'est à Dieu que nous répondons. Toute les
structures de réponse correspond à cela.

Le thème de la "gloire" est un thème biblique. Je veux insister toujours sur les bases bibliques de la
pensée orthodoxe. Il ne s'agit pas d'une pensée spéculative, d'un platonisme, c'est faux. La pensée
patristique est profondément biblique. Cette gloire qui se manifeste dans les puissances célestes se
rapproche du texte Habacuc : "Le saint vient de la montagne de Pharan Sa majesté couvre les cieux
et Sa gloire remplit la terre". C'est un des nombreux textes bibliques qui montre l'irradiation de la
gloire divine dans la création.
Cette gloire, cette lumière n'est pas une lumière qui se voit avec les yeux de chair. Il faut que les yeux
de chair soient transfigurées pour la voir. Cette lumière est invisible pour des yeux de chair s'ils ne
sont pas transfigurés. Cela implique une transformation, une transfiguration du créé pour qu'il
devienne apte à voir l'incréé. La vision des Apôtres sur le Mont Thabor est une vision réelle.

Ces énergies (divines) ne sont pas un rapport entre la créateur et la créature. Ce n'est pas
entre Dieu et nous, une médiation, une distance. Les énergies de Dieu sont en nous. Dieu est en
nous. Il ne faut pas se laisser se développer un espace entre Dieu et nous, sinon l'Incarnation
ne sert à rien. Elles restent incréées, nous déifient, mais il n'y a pas de confusion.

Dans la théologie occidentale médiévale on a conçu une grâce comme un lien. cela introduit une
distance entre Dieu et nous, un intermédiaire créé. La grâce est en nous sans confusion,
l'habitation de Dieu en nous.

Pour conclure voici une phrase de saint Maxime le Confesseur qui est antérieur: "Dieu nous a créé
pour que nous devenions participant de la nature divine, pour que nous entrions dans l'éternité, pour
que nous apparaissions semblable à Lui, étant déifiés par la grâce qui produit tous les êtres existants
et amène à l'existence tous ceux qui n'existent pas".

Saint Basile (4° siècle), saint Maxime le Confesseur (7°), saint Grégoire Palamas ( 14°), le métropolite
Philarète de Moscou (19°) enseignent la même chose: une grâce déifiante, et nous donne la même
espérance, un but pour notre vie: être participants à la nature divine.

C'est sur cette base là que l'on peut comprendre la théologie sacramentelle de Nicolas Cabasilas: les
sacrements sont les moyens de sanctification et de déification de l'homme, car ils sont les "canaux de
la grâce". Quand nous communions au Corps et Sang du Christ, nous recevons ces énergies
défiantes, dans la mesure où nous nous préparons.

Il y a une dimension cosmique à tout cela: l'ensemble des créatures participent à la grâce. La
bénédiction de Dieu et sur tout le monde, "sur les bons et sur les méchants". Il ne faut pas que
l'homme refuse cette bénédiction. il y a ceux qui l'acceptent parce que Dieu les choisit pour servir.

Père Marc Antoine Costa de Beauregard

(Sources : "Patristique - Nicolas Cabasilas" - cours 2 – pages 9/18 - Institut orthodoxe Français de Paris – Saint
Denys l’Aréopagite – Père Marc Antoine Costa de Beauregard –– Année 1983/1984)

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