J Neurenf 2006 11 001

Télécharger au format pdf ou txt
Télécharger au format pdf ou txt
Vous êtes sur la page 1sur 6

Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 55 (2007) 168–173

http://france.elsevier.com/direct/NEUADO/

Article original

Les enjeux de l’évaluation du trouble déficitaire


attentionnel avec hyperactivité (TDAH) : à propos de deux cas d’enfants
Stakes in attention-deficit/hyperactivity disorder (ADHD):
on the subject of two children cases
V. Aubrona,b,*, G. Michelb,c,e, D. Purper-Ouakilb,c, S. Corteseb,d, M.-C. Mourenb
a
Département de psychologie, Upres 2114, université François-Rabelais, 3, rue des Tanneurs, BP 4103, 37041 Tours cedex 01, France
b
Service de psychopathologie de l’enfant et de l’adolescent, hôpital Robert-Debré, 48, boulevard Sérurier, 75019 Paris, France
c
Inserm U675, « Analyse phénotypique, développementale et génétique des comportements addictifs », faculté Xavier Bichat, 75018, Paris, France
d
Servizio di neuropsychiatrica infantile, dipartimento materno infantile e di biologica-genetica, università degli Studi di Verona, Verona, Italie
e
Laboratoire de psychologie, université Bordeaux-II, 3 ter place de la Victoire, 33076 Bordeaux cedex, France

Reçu le 21 avril 2006 ; accepté le 30 novembre 2006

Résumé
Les troubles du comportement constituent un des principaux motifs de consultation. L’enjeu de la consultation sera de repérer la sémiologie
des troubles afin d’émettre un diagnostic et pouvoir ainsi mettre en place les moyens thérapeutiques adaptés aux difficultés de l’enfant. Dans les
comportements externalisés, il est nécessaire de différencier l’hyperactivité motrice de l’instabilité pouvant être réactionnelle et/ou liée à un
trouble de la personnalité pouvant évoluer vers une pathologie limite. Au travers de deux cas cliniques issus de notre pratique, nous discuterons
le diagnostic d’un point de vue psychopathologique. Dans le premier cas, l’enfant présente un TDAH avec prédominance des troubles attention-
nels et dans le second cas une instabilité réactionnelle liée à une relation conflictuelle mère/enfant. Afin d’établir le diagnostic, pour chaque cas
nous nous sommes appuyés sur un bilan psychologique complet (entretien clinique, échelles standardisées, bilan intellectuel…).
© 2007 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
Abstract
Behaviours disorders are main consultation motive in child psychiatry. The consultation is aimed to diagnose ADHD in order to prescribe the
appropriate treatment to children difficulties. In externalizing disorders, it is necessary to distinguish hyperactivity from psychomotor instability
(reactive or inherent to personality disorder) that could lead to borderline personality disorders. We presented two cases reports originally from
our practice and we shall discuss the diagnosis with psychopathological approach. In the first case, the child suffers from ADHD with major
attention deficit disorders and in the second case, the child suffers from reactive instability linked to conflicting relationship with mother’s. For
both cases, we based our diagnosis on a complete psychological assessment (standardised scales, clinical interview, intelligence scale…).
© 2007 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Mots clés : Evaluation psychologique ; Trouble Déficitaire Attentionnel avec Hyperactivité (TDAH) ; Adolescents ; Cas clinique

Keywords: Psychological assessment; Attention-Deficit/Hyperactivity Disorder (ADHD); Child; Adolescent; Case report

* Auteurcorrespondant.
Adresse e-mail : [email protected] (V. Aubron).

0222-9617/$ - see front matter © 2007 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
doi:10.1016/j.neurenf.2006.11.001
V. Aubron et al. / Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 55 (2007) 168–173 169

1. Introduction globalisante de l’enfant. De plus, dans cette pathologie, il est


nécessaire d’avoir une évaluation plurisource qui tient compte
Les troubles du comportement chez l’enfant constituent de l’observation et du ressenti de l’enfant, des parents et par-
aujourd’hui un des principaux motifs de consultation en pédo- fois des enseignants, afin d’évaluer les retentissements dans les
psychiatrie [8]. Cette recrudescence peut sans doute trouver milieux de vie de l’enfant. La présentation de deux cas clini-
son origine dans la conjonction de plusieurs objectifs en psy- ques va nous permettre d’expliciter les difficultés diagnosti-
chopathologie de l’enfant tels que l’amélioration des moyens ques auxquelles les cliniciens sont confrontés.
diagnostiques au travers du développement des instruments
standardisés et des modèles classificatoires ainsi que l’intérêt 2. Le cas d’Hugo
croissant pour le dépistage précoce des troubles du comporte-
ment [17]. Cependant, la distinction entre les indices sémiolo- Hugo, 11 ans, consulte dans un service de psychopathologie
giques révélateurs d’un trouble psychopathologique et les indi- de l’enfant et de l’adolescent à la demande de ses parents et de
ces sémiologiques relatifs au développement (ex. protestations l’école pour trouble du comportement et difficultés scolaires.
saines au cours de l’adolescent) est souvent difficile à faire Sur le plan de l’histoire familiale, Hugo est le cadet d’une fra-
dans la clinique de l’enfant. trie de quatre : il a deux frères (14 et 2 ans) et une sœur (six
Néanmoins, les grandes classifications nosographiques décri- ans). Le développement psychomoteur est normal, nous ne
vent un certain nombre de troubles du comportement répondant notons pas d’évènements de vie négatifs. Hugo a présenté des
à des critères symptomatologiques précis. En effet, parmi les difficultés scolaires dès la maternelle (ex. bavardage, agitation
troubles du comportement, dans le DSM IV-TR [12], nous psychomotrice, perturbation du fonctionnement de la classe). À
retrouvons le terme de « Trouble déficit de l’attention–hyperac- la maison, la mère rapporte des difficultés d’endormissement et
tivité ou TDAH » qui regroupe trois formes cliniques : un climat conflictuel au moment des devoirs. Elle décrit une
lenteur au travail, Hugo ne persévère pas dans ses devoirs, il
● la forme inattention prédominante ; s’agite, se met en colère, refuse de travailler, trouve toujours
● la forme hyperactivité–impulsivité prédominante ; une raison pour se lever. Hugo est suivi pour une rééducation
● la forme mixte. orthophonique concernant une dyslexie depuis trois ans. Paral-
lèlement, il a été suivi en psychothérapie pendant deux ans. La
Alors que dans la CIM-10 [3], la catégorie diagnostique psychologue a évoqué un état dépressif ainsi qu’une probable
principale est celle de « trouble hyperkinétique » exigeant la efficience limite pour expliquer ses difficultés scolaires bien
présence concomitante de symptômes d’inattention, d’impulsi- qu’aucun test de niveau n’ait été effectué. Malgré ce suivi,
vité ou d’hyperactivité. Dans l’approche psychodynamique du aucune amélioration n’est observée. Au contraire, d’après les
fonctionnement mental de l’enfant et l’adolescent (classifica- parents, la symptomatologie d’Hugo semble s’accentuer avec
tion française des troubles mentaux de l’enfant et l’adolescent le temps. Sa scolarité devient de plus en plus difficile avec
— CFTMEA) [14], on retrouve le terme « hyperkinésie avec un risque de redoublement pour cette année.
trouble de l’attention ». Notons que l’instabilité psychomotrice Lors du premier entretien, Hugo se montre timide et inquiet
ne s’inscrit pas forcément dans le cadre des pathologies évo- mais s’inscrit facilement dans la relation. Cependant, les diffi-
quées ci-dessus. Aussi, l’instabilité psychomotrice peut être cultés attentionnelles sont au premier plan du tableau clinique,
réactionnelle et/ou liée à un trouble de la personnalité. avec une distractibilité très importante et des troubles de la
Si l’on tient compte des critères les plus restreints (CIM-10), concentration qui nécessiteront que les questions soient posées
la prévalence du trouble est estimée à 2 % de la population plusieurs fois. Alors que l’agitation psychomotrice et l’impul-
d’âge scolaire (3–4 % chez les garçons et 1 % chez les filles) sivité (motrice et verbale) sont peu présentes en début d’entre-
[13]. Les études utilisant le DSM montrent des prévalences tien, elles augmentent de façon très nette au cours de celui-ci.
plus importantes. En population générale d’âge scolaire, en La sémiologie rapportée par Hugo est concordante avec celle
moyenne 5 % des enfants remplissent les critères du DSM- observée en situation d’entretien et de bilan. Il décrit depuis
III-R [2]. En revanche, l’étude de Baumgaertel [1], se referant plusieurs années d’importantes difficultés cognitives (ex. inat-
aux critères du DSM IV, montre une prévalence de 17,8 % tention, problèmes de concentration, de mémorisation, de pla-
(9 % pour la forme inattentive, 3,9 % pour la forme hyperac- nification…). Toutes ces perturbations de la sphère cognitive
tive et 4,8 % pour la forme mixte). sont très invalidantes sur le plan scolaire. Il manque de persé-
Cependant, bien que les critères du DSM-IV-TR ou de la vérance lors de tâches nécessitant des efforts cognitifs soute-
CIM-10 soient très précis, dans la clinique infantojuvénile le nus, et a tendance à parler en classe. Il se plaint de maladresses,
diagnostic de TDAH peut s’avérer complexe à poser puisque d’oublis qui conduisent souvent à des remontrances, voire des
certains critères sémiologiques peuvent être remplis sans que punitions. Hugo décrit aussi l’adoption de conduites à risques
cela corresponde à un trouble avéré. Aussi, il apparaît que (ex. escalade des murs de l’école, conduites dangereuses à
l’utilisation conjointe d’échelles/d’outils standardisés puisse bicyclette, etc.) ayant pour conséquence des blessures multiples
représenter une aide appréciable sur le plan diagnostic sans (ex. membres fracturés, hématomes au visage…).
toutefois que ceux-ci ne se substituent au jugement clinique Plus précisément, Hugo décrit ses conduites comme résultant
du praticien. Le TDAH doit être diagnostiqué après une ana- d’une forte impulsivité non maîtrisée, combinée à une absence
lyse psychopathologique fine prenant en compte une approche totale d’anticipation du danger. Il évoquera aussi d’autres
170 V. Aubron et al. / Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 55 (2007) 168–173

conduites à risques inconnues des parents comme des conduites profil clinique de TDAH, avec un taux très significatif
d’essais vis-à-vis du tabac et de l’alcool. Lorsque nous explo- d’erreurs par omissions, et des temps de réaction augmentant
rons la symptomatologie affective et notamment dépressive, au fil de l’épreuve.
Hugo se montre très banalisant en début d’entretien, adoptant L’entretien avec les parents confirma lui aussi les résultats
des attitudes de prestance, puis progressivement, moins défensif, soulignés lors du bilan psychologique. Hugo a toujours été
Hugo décrira un fond continu de tristesse, il évoquera un senti- considéré comme un enfant rêveur, comme étant toujours
ment de découragement en retenant ses larmes sans en évoquer dans la lune… Dans la vie quotidienne, il ne fait pas ce qui
les motifs. Une sémiologie anxieuse sera par la suite mise en lui est demandé non par provocation ou refus mais par omis-
évidence, Hugo exprime une tension intérieure, des difficultés sion, alors que c’est un garçon qui a envie de bien faire et de
d’endormissement, des cauchemars fréquents et s’inquiète beau- faire plaisir à son entourage.
coup pour son avenir professionnel. Hugo supporte difficilement En regroupant les informations cliniques de façon plurisource
l’échec et souffre d’une profonde disqualification du soi. Cette mais aussi de façon plurimodale (entretien, questionnaires, test
altération de l’estime de soi est associée à un vécu persécutif. Il cognitif), le bilan psychologique a permis de montrer qu’Hugo
craint d’être mis en difficulté, d’être critiqué, ce qui engendre souffrait d’un Trouble déficit attentionnel avec hyperactivité
des colères, des conduites d’opposition, voire de la violence avérée avec une prédominance des difficultés attentionnelles.
par réaction. Ce sentiment est d’autant plus fort que le frère Un vécu anxiodépressif est aussi associé. Aussi, compte tenu
aîné d’Hugo est brillant sur le plan scolaire et apparaît pour les du caractère invalidant de ses difficultés, du risque d’un échec
parents comme le modèle à suivre. scolaire, voire d’éventuelles autres conséquences délétères, une
Lors du bilan psychologique, Hugo a obtenu au test d’effi- prise en charge pharmacologique sous méthylphénidate a été
cience intellectuelle (WISC-III-R) les résultats suivants : 96 en proposée à Hugo afin de restaurer sa concentration et de dimi-
Quotient intellectuel verbal (QIV), 78 en Quotient intellectuel nuer ses difficultés attentionnelles. Cette prise en charge a été
de performance (QIP) et 86 en Quotient intellectuel total (QIT), combinée avec une psychothérapie d’orientation psychodyna-
soulignant une dissociation interscalaire significative. Durant la mique centrée sur un travail de renarcissisation (cf. travail sur
passation, on notera une anxiété de performance élevée, une l’estime de soi) et la gestion des débordements pulsionnels.
impulsivité motrice qui augmente durant les tests chronométrés Des entretiens de type guidance parentale orientés sur les attitu-
(cf. QIP) ainsi que des difficultés attentionnelles et de concen- des éducatives (parfois pathogènes) ainsi que les exigences vis-
trations majeures. Les stratégies cognitives de résolution de à-vis de la scolarité ont été proposée aux parents.
problèmes se mettront en place difficilement.
Au Thematic Apperception Test (TAT), Hugo se montre très 3. Le cas de Romain
coopérant, mais la mobilisation de l’imaginaire est faible. On
note une bonne perception des stimuli et une absence de bizar- Romain, 13 ans, est adressé par le médecin de famille dans
reries. Dans son protocole, des éléments anxiodépressifs, voire le service de psychopathologie de l’enfant et de l’adolescent
dysphoriques sont présents et semblent se nouer autour de pour confirmer le diagnostic d’un TDAH. La mère est reçue
l’estime de soi. La résolution des conflits intrapsychiques en consultation avec son fils, qu’elle décrit d’emblée comme
semble principalement axée sur le passage à l’acte associé étant un enfant hyperactif devant bénéficier d’un traitement
secondairement à une culpabilité. médicamenteux de type psychostimulant (cf. méthylphénidate).
Les troubles du comportement n’étant pas si manifestes lors Romain est né d’une grossesse gémellaire à sept mois avec un
de l’entretien et du bilan, nous avons demandé aux parents petit poids de naissance. La grossesse fut difficile puisque
d’Hugo de remplir la version parent de l’échelle de Conners Madame fut hospitalisée à partir du sixième mois. Romain a
[6] qui vise à explorer les perturbations comportementales au une sœur jumelle avec laquelle les relations semblent conflic-
domicile : l’opposition, les difficultés attentionnelles et l’hype- tuelles. La mère décrit Romain comme étant agité, bruyant
ractivité. La version enseignante [5] a elle aussi été utilisée. La depuis sa petite enfance. Les difficultés se seraient accentuées
confrontation des résultats de ces deux échelles a permis de à l’entrée au cours préparatoire (CP), notamment sur le plan
mettre en évidence des difficultés envahissantes et non situa- moteur et attentionnel, de plus sa symptomatologie aurait com-
tionnelles. De plus, ces instruments ont permis de souligner la mencé à perturber le fonctionnement de la classe. Romain a été
prédominance des troubles attentionnels sur les troubles exter- suivi en psychothérapie pendant trois ans sans que cela
nalisés. En effet, le score obtenu dans la sous-dimension hyper- n’apporte de réels changements d’après la mère puisque
activité est nettement inférieur à celui retrouvé dans la sous- Romain a redoublé son CE2. La mère décrit de nombreux
dimension inattention. conflits à la maison surtout entre elle et son fils. Le père, très
Afin de compléter l’évaluation de la symptomatologie du occupé par son travail, semble relativement peu investi dans les
TDAH, nous avons proposé à Hugo le Continuous Perfor- décisions familiales. Actuellement, Romain est scolarisé en
mance Test (CPT : test d’attention sur ordinateur) [4]. Au classe de 5e, il présente des difficultés d’apprentissage à
début du test, Hugo a montré de bonnes capacités de concen- l’école, et les conflits à la maison persistent et s’accentuent.
tration, mais au fil de l’épreuve, nous avons observé que La mère évoquera le projet d’un internat pour son fils. Lors
l’attention devenait de plus en plus diffuse. Hugo ne fixait du premier entretien, la mère se décrit comme lasse et fatiguée
plus autant l’écran, il regardait souvent autour de lui (distracti- du comportement de son fils, il est opposant, insolent, provo-
bilité). Les résultats de ce test ont pu mettre en évidence un cateur, impulsif et n’écoute jamais ce qu’elle lui dit. Persuadée
V. Aubron et al. / Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 55 (2007) 168–173 171

que son fils présente un TDAH, elle pense que le seul remède à psychomotrice ayant valeur de symptôme répondant à des
ses difficultés se trouve dans une médicalisation. Romain sera conduites de virilisation vis-à-vis de sa sœur jumelle mais
hospitalisé pendant une semaine afin d’effectuer un bilan com- aussi sans doute envers son père (peu présent dans le fonction-
plet sur le plan clinique, psychologique, orthophonique, péda- nement familial et relativement disqualifié par la mère).
gogique et comportemental. De plus, cette hospitalisation per- L’adolescent évoque la rivalité existante entre sa sœur jumelle
mettra à Romain d’échapper temporairement au climat de et lui-même. Rivalité qui semble être nourrie par des réactions
tension régnant entre sa mère et lui. Lors des entretiens psy- et des attitudes parentales dysfonctionnelles valorisant la sœur
chologiques, Romain se montre très compliant et s’investit sans et disqualifiant Romain. Ce dernier présente donc un trouble
aucune difficulté dans la relation. Une évaluation de son effi- des apprentissages de type dyslexie, dysorthographie avec
cience intellectuelle (WISC-III-R) est réalisée afin d’évaluer à une instabilité psychomotrice associée à une mésestime de soi
la fois son niveau mais aussi ses capacités attentionnelles, de dans un contexte familial actuellement difficile.
concentration et son impulsivité lors d’une épreuve qui le met Le diagnostic de TDAH ne sera pas retenu, on argumentera
dans une situation dite « scolaire ». Ce test a été effectué sans plutôt en faveur d’une instabilité réactionnelle face à la situa-
aucune réticence, aucun déficit de l’attention n’a été relevé tion conflictuelle avec sa mère. Le trouble oppositionnel avec
même lors des subtests nécessitant un effort cognitif soutenu, provocation (TOP) a aussi été évalué par le biais de la K-SADS
ni d’éléments d’hyperactivité motrice. Une discrète impulsivité [10] et ne correspond en rien à un trouble avéré. Cependant,
n’a été soulignée que sur le plan moteur et non cognitif, et notons que le comportement agité de Romain présent depuis la
n’apparaît pas comme invalidante. En revanche, celle-ci maternelle semble le mettre de plus en plus en difficultés tant
semble davantage être reliée à une dimension anxieuse avec sur le plan scolaire que social. Le caractère chronique de toutes
une anticipation systématique de l’échec, un besoin constant ces manifestations est donc un élément important à prendre en
de réassurance et une forte sensibilité au renforcement positif. compte puisqu’il peut inscrire Romain dans une trajectoire
Il obtient des résultats très homogènes le situant dans la zone développementale pathogène. C’est sans doute dans la relation
d’efficience moyenne, le QIV obtenu est de 107, 108 au QIP mère/fils que se tissent les troubles du comportement de
soit 108 en QIT. Aucune dissociation interscalaire n’est obser- Romain. Cependant, il sera impossible de travailler sur cette
vée. Le test projectif (TAT) a montré une bonne mobilisation relation dyadique. En effet, la mère de Romain restera très
du potentiel imaginaire. Les récits sont bien construits avec une défensive et insistera sur le fait que son fils est un enfant diffi-
forte prégnance dépressive orientée essentiellement sur l’estime cile et que toutes les difficultés actuelles viennent exclusive-
de soi et un conflit identitaire (cf. gémellité). Les imagos paren- ment de la présence d’un TDAH et qu’il lui paraît nécessaire
tales sont perçues comme peu étayantes. Les évaluations du de le traiter avec le méthylphénidate. Compte tenu de ces élé-
comportement de Romain en milieu scolaire via les échelles ments, nous avons proposé une thérapie familiale ainsi qu’un
de Conners remplies par les enseignants n’ont pas permis de suivi psychothérapeutique centré sur l’affirmation de soi pour
souligner d’éléments plaidant en faveur d’un TDAH. En revan- Romain (cf. groupe d’affirmation pour enfants), cependant la
che, l’évaluation effectuée par les parents a permis de souligner mère de Romain a rejeté toutes propositions thérapeutiques.
une forte composante hyperactive (agitation motrice, impulsi-
vité) et oppositionnelle. Aussi, la comparaison des deux échel- 4. Discussion psychopathologique
les met en évidence une différence significative. En effet, la
mère décrit Romain comme étant très opposant, impulsif et Ces deux cas issus de notre pratique clinique montrent la
hyperactif tandis que l’évaluation réalisée par le père est beau- complexité diagnostique du TDAH ainsi que les enjeux et les
coup plus nuancée. Les difficultés de Romain ne sont pas enva- dérives qui sont liés à cette pathologie. Par exemple, le cas
hissantes, elles sont au contraire sélectives puisqu’elles ne d’Hugo relève d’un trouble avéré alors que sa symptomatolo-
s’observent uniquement que dans la relation avec sa mère. gie ne se caractérise pas d’emblée par une sémiologie externa-
L’examen orthophonique n’a pas relevé d’instabilité motrice lisée. En effet, trop souvent les cliniciens s’appuient sur
ou attentionnelle. Romain fait preuve d’une certaine provoca- l’hyperkinésie pour diagnostiquer le TDAH alors que des for-
tion ludique facilement recadrable en situation duelle. Il semble mes inattentives existent [9]. Il a d’ailleurs été montré que les
que le comportement ne soit qu’une attitude de prestance ayant enfants ayant des formes inattentives prédominantes sont sou-
pour fonction de masquer une importante anxiété de perfor- vent diagnostiqués tardivement [2]. Elles le sont généralement
mance. Cependant, des difficultés sur le plan du langage écrit dans un contexte d’échec scolaire ancien qui contraste avec des
ont pu être mises en évidence : la lecture n’est pas fonction- capacités intellectuelles normales ou subnormales de l’enfant
nelle de plus concernant la transcription, on note un trouble ou à la faveur d’une comorbidité anxiodépressive importante.
des apprentissages. Afin de mettre en évidence la présence ou L’hyperactivité motrice peut être alors discrète, voire absente
non de difficultés attentionnelles, nous avons proposé à chez ces enfants souvent décrits comme rêveurs, détachés de ce
Romain le Continuous Performance Test (CPT). Il est resté qui se passe autour d’eux, comme étant « dans leur bulle »
très concentré durant l’épreuve, faisant peu d’erreurs. L’indica- [15]. Ce cas est aussi éclairant sur la nature de la comorbidité
tion donnée par le CPT infirme la présence d’un profil patho- observée chez les enfants hyperactifs. En effet, il apparaît que
logique. Aussi, l’évaluation plurisource et plurimodale permet la présence d’une dimension dépressive chez Hugo est la
de rejeter le diagnostic de TDAH pour Romain. Les troubles conséquence de ses difficultés attentionnelles. Certaines études
du comportement semblent davantage relever d’une instabilité mettent en évidence que le TDAH précède les troubles dépres-
172 V. Aubron et al. / Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 55 (2007) 168–173

sifs dans la majorité des cas [15]. La plupart des enfants ayant les troubles psychopathologiques ainsi que leur contexte
un TDAH connaissent des stress chroniques dans leur vie d’apparition en intégrant toutes les connaissances afin de se
quotidienne : rejet des pairs, des adultes, mésentente familiale, rapprocher au plus près des difficultés de l’enfant. L’évaluation
vécu d’échec, faible estime de soi… de celles-ci s’appuie sur l’entretien clinique qui peut aussi
De par les enjeux que ce trouble soulève, il est nécessaire s’étayer sur la passation de différentes échelles standardisées
d’utiliser des instruments permettant au psychologue d’évaluer (Kiddie-SADS, Conners…). Ces échelles permettent de quan-
et/ou de confirmer le jugement clinique. Grâce à l’utilisation tifier et d’apprécier le niveau de fonctionnement de l’enfant et
complémentaire d’échelles et de tests, il a pu être mis en évi- de l’adolescent. Ces deux approches (entretien clinique, passa-
dence que les difficultés attentionnelles étaient centrales et enva- tion d’échelle) ne sont pas antinomiques, au contraire elles
hissantes chez Hugo. Ce qui n’était pas le cas de Romain. Pour visent toutes deux les mêmes objectifs à savoir évaluer les
ce dernier, il semble que ce soit la relation conflictuelle mère/fils troubles du comportement de l’enfant (forme, sévérité, comor-
qui soit incriminée dans ces difficultés. Dans ce cas précis, bidité), leur retentissement mais aussi apprécier l’existence ou
l’utilisation d’instruments standardisés aura aussi été un atout non de conflits familiaux et repérer les facteurs impliqués dans
majeur, qui nous aura permis de réfuter le diagnostic de leur éthiopathogénie.
TDAH, alors que celui-ci avait été évoqué tant par le médecin L’évaluation clinique d’une symptomatologie évocatrice
traitant que par la mère. La psychopathologie de Romain semble d’un TDAH doit donc relever d’une démarche rigoureuse
davantage relever d’une instabilité que d’une hyperactivité. Les s’appuyant sur trois axes : pluridisciplinaire, plurimodale et
travaux de Mallarive et Bourgeois [11] sur les familles d’enfants plurisource afin de faire la différence entre un trouble avéré
instables sont en ce sens assez éclairants. Ces auteurs ont et une instabilité bruyante qui peut être gênante pour l’entou-
observé qu’il existait parfois du côté maternel une « distorsion rage mais ne relevant pas d’un TDAH (cf. cas de Romain).
constante et précoce du lien mère/enfant ». Celle-ci serait Tripp et al. [16] prônent l’importance des épreuves
l’expression d’une discrète pathologie maternelle se traduisant neuropsychologiques ; ces dernières seraient nécessaires au
par une attitude hyperprotectrice masquant un rejet profond de diagnostic optimal du trouble.
l’enfant. C’est aussi ce que Flavigny [7] évoque récemment dans Comme les principaux symptômes repérables du TDAH
ses travaux : « Nous y reconnaissons, dans le cadre d’une rela- sont comportementaux et perturbant les relations avec l’entou-
tion à un garçon, une attitude inconsciente de sollicitation inces- rage, il est souvent présumé que le diagnostic syndromique de
tueuse de la part de la mère renforcée par un effacement du TDAH est aisé dans la mesure où celui-ci se limitera au repé-
père ; la mère entretenant une proximité de relation avec son rage de la sémiologie externalisée. Or, dans les formes inatten-
fils cachant en fait des fantasmes agressifs et de mort ; le père tionnelles, ce sont les symptômes cognitifs qui sont au premier
disqualifié par la mère, mais se disqualifiant lui-même par rap- plan et l’enfant ne montrera pas toujours d’instabilité psycho-
port à une référence paternelle ». Effectivement, la mère de motrice durant la consultation.
Romain rencontre beaucoup de difficultés à s’investir dans les Par ailleurs, à la différence d’une instabilité psychomotrice
relations masculines (Romain, père de Romain). La mère ne réactionnelle ou contextuelle, le TDAH existe depuis plusieurs
semble pas investir la relation avec son fils. années et affecte différents domaines : l’école, la famille, les
Nous savons que les manifestations cliniques de l’hyperac- loisirs… Aussi, les aspects chroniques et envahissants sont
tivité sont concomitantes à plusieurs pathologies : les troubles des éléments déterminants à prendre en considération dans le
réactionnels, les troubles dépressifs, les troubles de structura- repérage d’un trouble psychopathologique.
tion de type pathologie limite ainsi que dans les dysharmonies L’étape consécutive à celle de l’évaluation est celle de la
évolutives [14]. Dans la mesure où la personnalité de Romain prise en charge qui se doit d’être adaptée à l’enfant selon sa
se façonne progressivement, nous pouvons nous demander si le pathologie. Dans le cas d’un TDAH, la prise en charge peut
contexte familial et plus particulièrement la dynamique rela- s’effectuer à plusieurs niveaux : individuelle (psychothérapie
tionnelle mère/fils n’inscrirait-elle pas cet enfant dans un fonc- d’approche psychodynamique ou cognitivocomportementale),
tionnement pseudolimite. Fonctionnement limite qui partage pédagogique, éducative (au niveau familial : thérapie familiale,
lui aussi certaines similitudes telles que l’intolérance, l’impul- groupe de soutien, approche éducative…).
sivité, avec le TDAH. En tout état de cause, il semble important de continuer les
Aussi, compte tenu des interrogations posées par ces deux recherches dans ce champ clinique afin de faire prendre cons-
cas cliniques, il est important de progresser dans l’identifica- cience de la complexité diagnostique de ce trouble.
tion d’indices sémiologiques rattachés à des formes spécifiques
Références
d’hyperactivité chez l’enfant.
[1] Baumgaertel A, Wolraich ML, Dietrich M. Comparison of diagnostic cri-
5. Conclusion teria for attention deficit disorder in a german elementary school sample.
J Am Acad Child Adolesc Psychiatry 1995;34:629–38.
En ayant une approche intégrative et quel que soit son réfé- [2] Bouvard M, Le Heuzey MF, Mouren-Siméoni MC. L’hyperactivité de
rentiel théorique (approches psychodynamique, cognitiviste, l’enfance à l’âge adulte. Paris: Édition Doin « Collection Conduites »,
2e édition; 2006.
systémique, etc.), le clinicien aura une vision globale des diffi- [3] Classification internationale des troubles mentaux et des troubles du
cultés de l’enfant. En effet, lors de la consultation, le clinicien comportement. CIM-10/ICD-10. Critères diagnostiques pour la recher-
se doit, dans une attitude empathique, d’historiciser, d’évaluer che. Organisation mondiale de la santé. Paris: Masson; 1994.
V. Aubron et al. / Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 55 (2007) 168–173 173

[4] Conners CK, Jett JL. Attention deficit hyperactivity disorders (in adult Present and Lifetime Version (K-SADS-PL): initial reliability and vali-
and children). The lastest assessment and treatement strategies. Kansas dity data. J Am Acad Adoles Psychiatry 1997;36(7):980–8.
City MO: Compact clinicals; 1999. [11] Malarrive J, Bourgeois M. L’enfant hyperkinétique : aspects psychopa-
[5] Conners CK, Sitarenios G, Parker JD, Epstein JN. Revision and restan- thologiques. Annales Médico Psychologique 1976;1(1):107–19.
dardization of the Conners Teacher Rating Scale (CTRS-R): factor struc- [12] Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, 4e édition, texte
ture, reliability, and criterion validity. J Abnorm Child Psychol 1998;26 révisé, trad française par JD Guelfi et al. Paris: Masson; 2003 (1120 P).
(4):279–91. [13] Martin-Guehl C. Données épidémiologiques (DSM-ICD) : déficit d’atten-
[6] Conners CK, Sitarenios G, Parker JD, Epstein JN. The revised Conners’ tion avec hyperactivité. Neuropsy News 2004;3(5):223–7.
Parent Rating Scale (CPRS-R): factor structure, reliability, and criterion [14] Mises R, Quemada N, Botbol M, Bursztejn C, Durand B, Garrabe J,
validity. J Abnorm Child Psychol 1998;26(4):257–68. et al. Nouvelle version de la classification française des troubles mentaux
[7] Flavigny C. Psychodynamique de l’instabilité infantile. In: L’hyperacti- de l’enfant et de l’adolescent. Annales Médico Psychologique 2002;160
vité infantile : débats et enjeux sous la direction de Ménechal J. Dunod; (3):257–78.
2004. [15] Purper-Ouakil D, Wohl M, Cortese S, Michel G, Mouren MC. Le trouble
[8] Fourneret P, Boutiere C, Revol O. Trouble hyperactif avec déficit de déficitaire de l’attention–hyperactivité (TDAH) de l’enfant et de l’adoles-
l’attention ou dysharmonie d’evolution ? Soyons surs. Arch Pediatr cent. Annales Médico Psychologique 2006;164:63–72.
2005;12:1168–73. [16] Tripp G, Ryan J, Peace K. Neuropsychological functioning in children
[9] Gazon V. De la psychomotricité et de la place du corps dans l’hyperacti- with DSM-IV combined type attention Deficit Disorder. Aut N Z J Psy-
vité. Annales Médico Psychologique 2006;164:620–4. chiatry 2002;36:771–9.
[10] Kaufman J, Birmaher B, Bent B, Rao Y, Flynn C, Moreci P, et al. Sche- [17] Trouble des conduites chez l’enfant et l’adolescent : expertise collective.
dule for Affective Disorders and Schizophrenia for Scool-Age children. Ed : Inserm, 2005.

Vous aimerez peut-être aussi