Noel Bastin 2007 ANAE
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Rééducation neuropsychologique
des troubles de l’attention
et de l’inhibition chez l’enfant
M.-P. NOËL*,**, L. BASTIN **, J. SCHNEIDER** et D. POTTELLE***
*Docteur en psychologie, professeur dans le Laboratoire de cognition et développement. Adresse de correspondance : Faculté de
psychologie et des sciences de l’éducation, Université catholique de Louvain, 10 place C. Mercier, 1 348 Louvain-la-Neuve, Belgique.
E-mail : [email protected]
** Neuropsychologues au Centre de consultations psychologiques spécialisées en neuropsychologie de l’enfant, Université catholique
de Louvain, Louvain-la-Neuve, Belgique.
***Neuropsychologue au Centre neurologique William Lennox, Ottignies, Belgique.
Face à ces troubles, différentes approches thérapeutiques La rééducation de l’attention sélective visuelle comporte
sont utilisées. La plus courante est certainement l’appro- des repérages de cibles visuelles dans le cadre de jeux de
che médicamenteuse correspondant le plus souvent, à une barrages (par exemple, barrer les « e » dans un texte),
prise de stimulants (dont le méthylphénidate). Une autre des recherches de cibles dans des environnements visuels
approche utilisée est la thérapie cognitivo-comportemen- très complexes (livres « Où est Charly ? », par exemple),
tale. Cette démarche thérapeutique est souvent couplée à des repérages de différences entre deux dessins… La réé-
la prise médicamenteuse et son efficacité, en isolé, semble ducation de l’attention sélective auditive comporte des
malheureusement insuffisante (Paule, Rowland, Ferguson repérages de cibles auditives (un mot dans un texte lu, un
et al., 2000). son dans une liste de mots entendus, etc.). La rééduca-
Dans notre centre de consultations, nous avons déve- tion de l’attention divisée consiste à proposer à l’enfant
loppé une troisième approche axée autour d’une réédu- des jeux dans lesquels il doit à la fois repérer, simultané-
cation neuropsychologique. Notre démarche comporte ment, des cibles visuelles et des cibles auditives. Et enfin,
deux étapes : réaliser un bilan cognitif complet pour la rééducation de l’inhibition utilise des exercices dans
spécifier les difficultés de l’enfant et mettre en place une lesquels l’enfant doit inhiber des automatismes verbaux
rééducation neuropsychologique ciblée sur les déficits ou moteurs. Dans le premier cas, il s’agit, par exemple, de
objectivés. jeux comme le « ni oui ni non » (dans lequel l’enfant doit
répondre à des questions sans utiliser les mots « oui » et
Dans le cadre d’une plainte de type ADHD, le bilan « non ») ou d’exercices où l’enfant doit lire le plus vite
neuropsychologique doit particulièrement approfon- possible une séquence de « o » et de « a » qui sont, le
dir l’examen des fonctions attentionnelles et exécutives. plus souvent, mais pas toujours, disposés en alternance
L’examen des fonctions attentionnelles doit inclure une (aoaoaoaoaooaoaoaoaao…). Dans le second, il s’agit de
évaluation des trois composantes principales de l’atten- jeux comme celui du « Jacques a dit » (le meneur de jeu
tion (Cooley et Morris, 1990), soit l’attention sélective donne des ordres au joueur, celui-ci doit obtempérer le
visuelle et auditive (c’est-à-dire, la capacité de sélec- plus vite possible mais seulement si ces demandes sont
tionner, dans l’environnement, les informations cibles précédées de « Jacques a dit ») ou encore d’exercices où
et d’ignorer les stimulations non pertinentes ou distrac- il faut barrer, très vite, toutes les lettres d’un texte sauf
trices), l’attention soutenue (c’est-à-dire la capacité de le « o ».
maintenir un niveau d’attention suffisant pendant une
longue période de temps) et l’attention divisée (c’est-à- Deux études ont été menées à propos de ce type de pro-
dire, la capacité de répartir son attention entre plusieurs gramme thérapeutique. Dans la première, nous avons
tâches ou sources d’information). Des faiblesses au ni- évalué l’efficacité de prises en charge des problèmes
veau exécutif ont régulièrement été observées dans les d’attention ou d’inhibition de 16 patients. Dans la se-
études d’enfants porteurs d’ADHD : 40/60 études mesu- conde, nous nous sommes posé la question de savoir si,
rant les fonctions exécutives chez des enfants diagnosti- en cas de trouble mixte touchant à la fois l’attention et
qués ADHD mettent en évidence des performances infé- l’inhibition, il était préférable de commencer par une réé-
rieures à celles d’enfants contrôles (Pennington, Groisser ducation de l’une ou de l’autre de ces fonctions. Par ce
et Welsh, 1993). Ces difficultés exécutives touchent aussi biais, nous tenterons de mettre à l’épreuve l’hypothèse de
bien les capacités de planification motrice, de flexibilité, Barkley (1997) selon lequel le trouble d’inhibition serait
de mémoire de travail que d’inhibition. Selon Barkley bien central et conduirait à un problème attentionnel et
(1997), le déficit d’inhibition serait néanmoins le facteur non l’inverse.
Etude 1 : efficacité des prises en rééducation de 45 minutes par semaine pendant 20 semai-
charge neuropsychologiques de nes. Avant et après la phase de rééducation, les enfants ont
l’attention et de l’inhibition été soumis à une ligne de base composée de différents tests
cognitifs mesurant les capacités d’attention et d’inhibition.
Population Plus précisément, le test de barrage du D2 (Brickencamp,
1969) et l’épreuve des carrés de la TEA (Zimmerman et
Dans cette étude, nous avons examiné l’efficacité des prises Fimm, 1994) ont été utilisés comme mesures d’attention
en charge cognitives de 16 enfants âgés de 8 à 16 ans (âge sélective visuelle. Dans le D2, l’enfant doit repérer une ci-
moyen de 11 ; 7 ans ± 2 mois ; 8 filles). Tous ces enfants ble visuelle et barrer le plus grand nombre d’exemplaires
présentaient des troubles de l’attention et de l’inhibition de cette cible parmi un ensemble de stimuli incluant des
(sans trouble merologique) mais les composantes touchées distracteurs. Dans l’épreuve des carrés, l’enfant doit suivre
variaient d’un enfant à l’autre, certains présentant des alté- le mouvement d’un ensemble de croix sur l’écran d’un or-
rations dans plusieurs de ces composants. Plus précisément, dinateur et réagir dès que l’assemblage des croix forme un
l’attention sélective visuelle était altérée chez 14 enfants, carré. L’épreuve des sons de la TEA a été utilisée comme
l’attention sélective auditive chez 8 d’entre eux, l’attention mesure d’attention sélective auditive : l’enfant entend une
divisée chez 6 enfants et l’attention soutenue chez 3 d’entre suite de sons aigus et graves et doit repérer la succession de
eux. Les difficultés d’inhibition comportementale étaient deux sons identiques. La mesure d’attention divisée vient
visibles chez 11 enfants et les difficultés d’inhibition cogni- également de la TEA et exige, de la part de l’enfant, de ré-
tive chez 10 d’entre eux. pérer la succession directe de deux sons graves ou aigus ou
la formation d’un carré par l’ensemble des croix défilant sur
Méthode l’écran. Le Zazzo 10 minutes (Zazzo, 1972) dans lequel l’en-
fant doit repérer deux cibles visuelles parmi un ensemble de
Un bilan complet des fonctions cognitives a été réalisé afin distracteurs et en barrer un maximum pendant 10 minutes
de déterminer les domaines déficitaires de ces enfants. Tous est notre mesure d’attention soutenue. Différentes mesures
présentaient des altérations significatives au niveau des d’inhibition sont également prises. L’épreuve du go/no-go
fonctions attentionnelles et inhibitrices. Les rééducations de la TEA constitue notre mesure d’inhibition comporte-
menées étaient spécifiquement orientées vers la ou les fonc- mentale : des « x » et des « + » défilent à l’écran ; l’enfant
tions atteintes. Chaque enfant bénéficiait d’une séance de doit réagir rapidement à l’apparition des « x » mais s’abs-
Tableau 1. Différences dans les performances attentionnelles et d’inhibition
avant et après la rééducation neuropsychologique (moyenne et déviation standard de scores z).
a : Nous n’avons pu calculer un score z pour le pourcentage d’erreurs. C’est donc une mesure brute qui est donnée ici.
* nb signes = nombres de signes correctement traités.
tenir de toute réponse devant les « + ». Enfin, la quatrième de 26 items était présentée : 9 items portaient sur l’inattention
planche du Stroop (Albaret et Migliore, 1999) dans laquelle (par exemple : « mon enfant éprouve des difficultés à rester
l’enfant doit dénommer la couleur de l’encre et ne pas lire le attentif dans ses tâches ou dans ses jeux »), 6 sur l’hyperac-
mot écrit est notre mesure d’inhibition cognitive. tivité (par exemple, « mon enfant remue sans cesse les mains
et les pieds, se tortille sur son siège »), 3 sur l’impulsivité (par
Résultats exemple, « mon enfant éprouve des difficultés à attendre son
tour ») et 8 sur l’opposition (par exemple, « mon enfant fait
Des tests Wilcoxon pour observations pairées ont été calcu- délibérément des choses qui ennuient autrui »). Pour chaque
lées sur les scores z de chaque variable considérée dans les item, le parent devait apprécier si l’item s’appliquait beaucoup
tests (voir tableau 1, page précédente) ; tant pour les erreurs (cote de 3), assez bien (2), juste un peu (1) ou pas du tout (0) à
que pour les TR, un score z négatif est donné pour des son enfant et ce, à la fois, pour la période avant la rééducation
performances moins bonnes que la norme (c’est-à-dire des et actuellement. Seuls 8 questionnaires ont été complétés dont
temps plus longs et un taux d’erreurs plus important). Ces l’un comportant uniquement une cotation sur l’état actuel de
comparaisons montrent des améliorations significatives au l’enfant. Une moyenne des cotations obtenues pour les items
niveau des tâches d’attention sélective visuelle (D2, TEA d’une même échelle a été calculée.
carré pour les omissions et les erreurs), d’attention sélective Des tests pour observations pairées montrent une éva-
auditive (TEA son pour les temps de réponse), d’attention luation plus positive de l’enfant sur l’échelle d’attention
divisée (TEA pour les temps de réponse, les omissions et les où l’évaluation moyenne passe de 2,22±0,37 (soit, « as-
erreurs) et d’attention soutenue (Zazzo 10’ pour les erreurs). sez bien ») à 1,02±0,32 (soit, « juste un peu » ; t(6)=7,492,
Des améliorations significatives sont également observées p < 0,0001). Une évolution positive mais n’atteignant pas
dans les mesures d’inhibition comportementale (Go/no-go le seuil de signification s’observe également pour l’échel-
pour les temps de réponse) et d’inhibition cognitive (plan- le d’hyperactivité (moyenne de 0,70±0,54 à 0,29±0,25 ;
che 4 du Stroop pour les temps de réponse et les erreurs). t(6)=2,246, p=0,066), d’impulsivité (moyenne de 0,91±0,87
Toutefois, cette analyse globale masque la force des effets ob- à 0,47±0,46 ; t(6)=1,991, p=0,94) et d’opposition (moyenne
servés étant donné qu’au départ, chaque enfant ne présentait de 0,76±0,68 à 0,31±0,27 ; t(6)=1,620, ns).
pas un score déficitaire dans chacune des tâches utilisées. Pour En outre, les commentaires laissés par les parents sur les
illustrer ce point, la figure 1 présente pour chaque test, les sco- questionnaires montrent tous des changements positifs de
res z obtenus en pré-et en post-thérapie pour l’enfant qui avait l’enfant. Pour illustrer ce point, quelques-uns de ces com-
le score z le plus bas au départ. Par exemple, Elise 12 ans a ob- mentaires sont rapportés ici : « il y a eu une très grande diffé-
tenu le plus mauvais score pour les omissions de la tâche d’at- rence après la rééducation et une plus grande prise en charge
tention sélective auditive (TEA son Om). Elle obtient en effet d’elle-même par Céline, elle se sent aussi beaucoup mieux
un score z de -2.84. Après la rééducation, son score est de .60. dans sa peau et est très sociable » ; « un grand apaisement,
Pour la tâche d’attention divisée de la TEA, le score d’erreur Timoté est mûr, se prend mieux en charge, est beaucoup plus
le plus mauvais (TEAdiver) est celui de Xavier, 13 ans, avec un gentil et plus responsable dans son travail scolaire » ; « Elise
score z de -4,22. Après la rééducation, il dépasse la moyenne est plus partie prenante dans toutes les situations ».
! des normes de son âge et obtient un score z de .63. En résumé, il apparaît que ces rééducations sont efficaces et
que leur bénéfice apparaît à la fois dans des mesures objec-
tives des capacités cognitives mais aussi dans des mesures
comportementales complétées par les parents. Toutefois, on
peut regretter ici que les évaluations des parents sur le mo-
ment préthérapie aient été collectées a posteriori. D’autre
part, aucune intervention contrôle n’a été menée. Il est donc
assez normal que les parents rapportent un effet positif de la
thérapie qu’ils ont décidée pour leur enfant et payée ! Dans la
seconde étude, une série de contraintes supplémentaires ont
été adoptées de manière à pallier certaines de ces lacunes.
Figure 1. Scores z obtenus en pré-et en post-thérapie pour chaque Il arrive fréquemment que des enfants présentent à la fois
test par l’enfant qui avait le score le plus bas au départ dans le des difficultés d’attention et des difficultés d’inhibition.
test en question.
Dans ce cas, se pose la question de savoir par quoi com-
Enfin, outre ces mesures objectives dans des tests cognitifs, mencer la rééducation. Selon les propositions théoriques
nous avons évalué l’impact comportemental des rééducations de Barkley (1997), une rééducation de l’inhibition devrait
en demandant aux parents des enfants de compléter un ques- aussi entraîner des effets positifs sur les autres symptômes
tionnaire reprenant essentiellement les critères du DSMIV en de l’ADHD et, en particulier, sur les capacités attentionnel-
matière de troubles de l’attention et d’hyperactivité. Une série les et exécutives de l’enfant.
du groupe AI augmentent encore au cours des 15 séances Tableau 3. Moyenne des scores z pour différentes mesures de
de rééducation de l’inhibition suivant les rééducations de fonction exécutives, avant toute rééducation (T 1), après 15 séan-
l’attention (Zazzo : score z de -0,93 à 0,41 ; barrage D2 et ces (T 2) et en fin de 30 séances (T 3) pour les groupes IA et AI.
NEPSY : score z de -0,77 à 0,02). Groupe IA AI
En revanche, les rééducations de l’attention données aux
Temps T1 T2 T3 T1 T2 T3
enfants du second groupe entraînent une dégradation des
performances dans les tests d’inhibition, qu’il s’agisse du Tests
test du jour/nuit (score z moyen passe de -3,02 à -3,48 pour Tour Londres : -0,56 1,38 1,76 0,007 1,04 1,76
les temps de réponse et de 0,81 à -,95 pour les erreurs), du réussite au 1er
coup
test du tapping (les scores z passent de -1,92 à -4,4 pour
les temps de réponse) et pour le Stroop (le score z pour les Tour de Londres : -1,6 -0,86 1,62 -0,53 1,52 1,52
erreurs passe de -1,86 à -3,41). n d’essais
Empan chiffres -1,12 -0,78 -0,78 -1,46 -1,8 0,32
3
jour/nuit-TR tapping-TR Stroop-err envers
2 Flexibilité Stroop : -3,44 0,26 0,99 -0,81 -1,1 0,91
1 erreur
0
-1 Flexibilité du -0,82 0 0,42 -5,6 -4,8 -1,86
-2 TMT : TR
-3
-4 montre une amélioration significative de l’indice d’hyperac-
-5 tivité entre le début et la fin de la prise en charge (la moyen-
-6
-7
ne passe de 80,3±4 à 56,7±9, Wilcoxon Z score = 2,21,
p=0,027). Alors que chacun des 6 enfants avait un score
Louis 1
Louis 2
Louis 3
Aline 1
Aline 2
Aline 3
Tina 1
Tina 2
Tina 3
Marc 1
Marc 2
Marc 3
Tom 1
Tom 2
Tom 3
Lou 1
Lou 2
Lou 3
des effets positifs sur les autres fonctions exécutives ainsi al. : Intellectual performance and school failure in children with
que sur le QI de performance. Enfin, ces améliorations sont attention deficit hyperactivity disorder and their siblings. Journal
of Abnormal Psychology, 102, 1993, pp. 616-623.
visibles dans les tests cognitifs mais elles sont également re-
pérées par les parents ou les autres adultes s’occupant des GERSDADT (C. L), HONG (Y.J.) et DIAMOND (A.) : The
enfants. Par ailleurs, le déficit d’inhibition semble être cen- relationship between cognition and action : performance of
tral dans le cas de la symptomatologie de l’ADHD, comme children 3 1/2-7 years old on a Stroop-like day-night test. Cognition,
le suggérait Barkley (1997). En effet, une rééducation de 53(2), 1994, pp. 129-153.
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