2015 AZRAFIL Diff (101-200)

Télécharger au format pdf ou txt
Télécharger au format pdf ou txt
Vous êtes sur la page 1sur 100

jusqu'à présent et à chaque demande du délégataire à prolonger son contrat pour voir

amortir toutes les installations qu’il a plantées. Donc le besoin à cette pratique n’est pas
encore apparu dans l’horizon. En revanche, c’est vrai qu’il n’y a aucune loi qui autorise
ces droits, mais il n’y a aussi aucune loi qui les prohibe.

2- La conservation de la propriété publique

165. « La gestion déléguée constitue un moyen de « se débarrasser » du service


sans le privatiser »185 . Cette expression reflète la réalité libanaise sur la question des
délégations de service public. En effet, la détermination de la durée des délégations de
service public instaurée par l’article 89 de la Constitution libanaise avait un objectif,
complètement différent des objectifs soutenus par la loi Sapin, à savoir la protection de la
propriété publique. À l’époque du mandat, la majeure crainte des libanais se matérialisait
dans l’abandon des autorités françaises d’une partie du territoire Libanais ou du
renoncement aux intérêts propres au peuple libanais au profit des pays ou des sociétés
étrangères. Et eu égard, aux circonstances selon lesquelles les services publics du pays
nécessitaient, dans le meilleur des cas, une modernisation et dans le pire des cas une
instauration, la concession était la seule et la plus efficace solution pour la construction et
la gestion des services publics pour un certain moment avant de les rendre aux libanais, le
temps nécessaire pour que ces derniers puissent, au regard des autorités du mandat, gérer
leur propres services. C’est pourquoi, en imposant une durée déterminée, l’article 89 était
clair sur l’interdiction d’une concession perpétuelle ou d’une acquisition du service par la
société concessionnaire186. Et pour garantir cet objectif, et barrer la route devant toute
tentative de privatisation187 le constituant libanais avait veillé à ce que cette détermination
figure dans une loi. Ainsi toute modification de celle-ci ne pourra s’établir que par une
autre loi. Le constituant considérait qu’une telle détermination ne pourrait être laissée au
pouvoir discrétionnaire de l’Administration.

166. En revanche, La protection des collectivités, la bonne gestion du service

185
TREPPOZ Armelle, Recherches sur la transparence dans la passation des conventions de délégation de
services publics locaux, op. cit., p. 21
186
CHIHA Ibrahim Abd El Aziz, Traité des dispositions et les principes du droit administratif, maison
universitaire, 1997, p. 769
187
CHOKR Zouheir, Interprétation de l’article 89 de la constitution, entretien du 20/08/2012

101
ou même l’attribution du meilleur service à l’usager viennent en second lieu et profitent
de la détermination de la durée sans que cette dernière soit établie pour satisfaire leurs
besoins.

Donc l’article 89 constitue une garantie constitutionnelle de la propriété publique et


l’interdiction de la privatisation. La durée en elle-même n’était pas cherchée par le
législateur qui n’a soumis la fixation à aucune règle stricte pour encourager l’initiative
privée à s’immiscer dans la gestion du service public 188 et la contribution à sa
modernisation tout en lui conservant le droit de gain incontesté tant qu’il ne durera pour
toujours.

167. Dans le même sens de la protection de la propriété publique, certains


textes viennent limiter la liberté de la collectivité du choix de son délégataire. Il s’agit de
l’article 78 du code du commerce qui exige qu’au mois un tiers des actions de toute
société délégataire d’un service public soit possédé par des libanais. De même l’article 26
de la loi sur les municipalités prohibe à tout membre du conseil municipal la détention
d’un contrat de délégation de service public dans le cadre municipal. Le même principe
est appliqué aux membres du parlement en vertu des lois électorales189.

Paragraphe 2 : Les principes sacrifiés par la détermination

168. Ce projet de loi a fait l’objet de vives controverses contemporaines lancées


avant sa promulgation et qui n’ont arrêté d’être évoquées après cette date. Avant
l’intervention du juge constitutionnel, les contestations étaient à la fois législatives et
parlementaires (A). Cependant, si la décision du Conseil a pu mettre un terme aux débats
parlementaires, elle n’est pas parvenue à sécher l’encre des critiques doctrinales. Par
ailleurs, le juge constitutionnel a réussi à bénéficier de l’imprécision des dispositions
conflictuelles pour rendre une décision tranchante mais aussi conciliante (B) entre les
objectifs avancés par la loi, et les principes administratifs et constitutionnels existants
avant son avenue.

188
Idem
189
Article 29 de la loi électorale de 1960

102
A- Les contestations législatives et doctrinales

169. Pour aboutir aux objectifs dressés par le projet de loi, le législateur n’a pas
hésité à risquer la tradition de la gestion déléguée en sa totalité. Aux yeux des saisissants
de ce projet, le législateur a admis le sacrifice non seulement des principes propres aux
délégations de service public (2), mais aussi des principes à valeur constitutionnelle (1).

1- Le sacrifice des principes à valeur constitutionnelle

170. Selon les parlementaires, le projet de loi anticorruption méconnaissait des


principes à valeur constitutionnelle dont la libre administration des collectivités locales,
notamment en faisant obstacle à la continuité de leurs services publics (a) et la liberté
d'entreprendre des entreprises susceptibles d'être délégataires (b).

a- La libre administration

171. « La « libre administration », se présente comme une liberté


constitutionnellement reconnue et garantie dont le respect s'impose au législateur »190.
Ce principe figurait sous l’article 87 dans la constitution de 1946 avant d’être inséré au
troisième alinéa de l’article 72 de la Constitution actuelle qui dispose : « Dans les
conditions prévues par la loi, ces collectivités s'administrent librement par des conseils
élus et disposent d'un pouvoir règlementaire pour l'exercice de leurs compétences ». Les
parlementaires jugeaient souhaitable que la Constitution consacre l’existence des
collectivités territoriales et le principe de leur autonomie « car elles constituent un des
éléments du corps politique de l'Etat »191. Ce principe s’est ensuite vu accordé une valeur
constitutionnelle par le Conseil Constitutionnel lui-même dans sa décision du 23 mai
1979, Territoire de Nouvelle Calédonie 192 . Mais la décision n’était pas d’une grande
clarté car elle n’employait pas le terme « principe » et ne mentionnait pas les dispositions
constitutionnelles de références. Il a ensuite été réaffirmé par l’article 1 er de la loi no 82-
213 relative aux droits et libertés des communes, des départements et des régions du 2

190
ROUX André, « Le principe constitutionnel de la libre administration des collectivités territoriales »,
RFDA no 3, mai-juin 1992 p. 435, spec. p. 436
191
Ibid, spec. p. 437
192
Conseil Constitutionnel, 23 mai 1979, no 79-l04 DC, Territoire de Nouvelle Calédonie, Rec. p. 27,
comm Favoreu.

103
mars 1982 qui a clôturé l’ère des tutelles administratives, et définitivement consacré par
les décisions du Conseil Constitutionnel sur les lois de décentralisation de 1982 193 et
finalement rappelé par la loi du 6 février 1992, la première à avoir évoqué les contrats de
délégation de service public.

172. Ce principe se trouve confronté au principe d’égalité, ces deux termes


étant considérés comme « potentiellement antinomiques » 194 . Autant on augmente le
champ de compétence des collectivités locales, autant on risque fort de heurter le principe
d’égalité au niveau nationale, chaque collectivité étant tentée d’édicter des règles
différentes d’une collectivité à une autre. C’est pourquoi, le principe de libre
administration n’est pas absolu et doit tenir compte du caractère indivisible de la
République195.

173. Bien que la consécration du principe de libre administration eusse pour


effet de protéger les collectivités locales contre l’intervention du pouvoir règlementaire
national sans fondement législatif, et de les protéger aussi contre les atteintes qui
pourraient leur être portées par le pouvoir législatif, il appartenait, cependant, au
législateur, en vertu de l’article 34 de la Constitution, de déterminer « les principes
fondamentaux de la libre administration des collectivités locales, de leurs compétences et
de leurs ressources ». Tout en admettant la mise en œuvre de ce principe par le biais
d’une loi, les parlementaires, dans leur saisine du Conseil Constitutionnel ont rappelé que
cette règlementation édictée ne devait porter atteinte substantiellement à cette liberté, ce
qui n’était pas le cas dans la loi anticorruption. Il serait inhérent que le Conseil
Constitutionnel prenne position pour déterminer l’étendue de ce principe et « tracer ainsi
les limites assignées à l’intervention du législateur qui, compétent pour mettre en œuvre

193
Conseil Constitutionnel, 5 janvier 1982, no 81-134 DC, Loi autorisant le gouvernement par application
de l'article 38 de la Constitution, à prendre des mesures d’ordre social, Rec. p. 15 ; Conseil
Constitutionnel, 25 février 1982, no 82-137 DC, Droits et libertés des communes, départements et régions
Rec. p. 38 ; Conseil Constitutionnel, 25 février 1982, no 82-138 DC, Statut particulier de la région de
Corse, Rec. p. 41
194
VERPEAUX Michel, « Principe d’égalité et libre administration des collectivités territoriales », in Les
collectivités locales et le droit, les mutations actuelles, Actes du colloque du 24 et 25 juin 1999 organisé à
Pau, Dalloz, 2001, p. 47, spec. p. 48
195
Ibid, spec. p. 52

104
le principe, ne saurait le mettre en cause »196.

174. Les députés dans leur saisine du Conseil Constitutionnel faisaient grief à la
limitation stricte de la durée d’entraver considérablement la libre action des collectivités
locales qui, en n’ayant plus le libre choix de la durée qui leur convient, ne pourront plus
en conséquence « appliquer les tarifs qui ont leur préférence puisqu'il est établi que
ceux-ci varient notamment en fonction de la durée de la convention »197.

175. Quant aux sénateurs, ils évoquaient à leur tour, que la dernière phrase du
premier alinéa de l'article 40 en interdisant la collectivité locale délégante de fixer, pour
une délégation de service public, une durée supérieure à la durée normale
d'amortissement des installations mises en œuvre, restreint considérablement la liberté
d'appréciation de la collectivité délégante. Les sénateurs ont ajouté que la loi censée
règlementer la libre administration devait poursuivre un objectif de valeur
constitutionnelle. Or il est moins indéniable qu’une telle valeur pouvait être reconnue à
l'objectif de transparence que la loi tend à primer. Et, quand bien même cet objectif aurait
une valeur constitutionnelle, l'interdiction, telle qu’elle est présentée dans la loi, constitue
une grave atteinte au principe de libre administration des collectivités territoriales.
« En effet, la liberté de déterminer la durée de tels contrats est, pour une collectivité
locale, un élément essentiel de son droit à s'administrer librement : la durée de la
convention est au cœur de l'équilibre contractuel et elle conditionne la politique tarifaire
de la collectivité délégante. En effet, la fixation d'une durée de délégation plus ou moins
longue a une incidence directe sur les tarifs qui seront imposés aux usagers du service
198
public » .
À leur avis, le législateur pouvait, sans porter atteinte au principe de libre administration,
prévoir que les délégations de service public des collectivités locales doivent être limitées
en durée tout en laissant aux collectivités locales la possibilité d'apprécier la durée à
retenir en fonction d'un certain nombre de critères. « A cet égard, l'interdiction de fixation
d'une durée supérieure à la durée normale d'amortissement des installations constitue

196
ROUX André, « Le principe constitutionnel de la libre administration des collectivités territoriales »,
art. prec., spec. p. 435.
197
Conseil Constitutionnel, 20 janvier 1993, Décision 92-316 DC, Saisine de 60 députés, site du CC
198
Idem

105
une restriction injustifiée au principe de libre administration, car elle conditionne des
éléments fondamentaux de la convention de délégation»199.

b- La liberté d’entreprendre

176. Souvent rattachée au droit de propriété, cette liberté est une composante de
la liberté de commerce et de l'industrie avec le principe de libre concurrence. « Aspect du
principe général de liberté, la liberté d'entreprendre dépasse le commerce et l'industrie.
Entreprendre, c'est beaucoup plus généralement la possibilité pour un particulier
d'exercer une activité hors de contraintes trop strictes »200.

177. Ce principe a été consacré comme liberté constitutionnelle par dix


décisions du Conseil Constitutionnel, à savoir les décisions : no 81-132 DC du 16 janvier
1982, no 82-141 DC du 27 juillet 1982, no 82-150 DC du 30 décembre 1982, no 84-172
DC du 26 juin 1984, no 84-181 DC des 10 et 11 octobre 1984, no 85-200 DC du 16
janvier 1986, no 89-254 DC du 4 juillet 1989, no 89-268 DC du 29 décembre 1989, no 89-
209 DC du 22 janvier 1990, et no 90-283 DC du 8 janvier 1991.

La décision du 16 janvier 1982201 constitue la décision fondamentale qui a fait de cette


liberté un droit fondamental de la première génération. De leur part, les décisions 89-254
DC du 4 juillet 1989 et 90-283 DC du 8 janvier 1991 ont avoué que comme tous les
droits fondamentaux, la liberté d'entreprendre peut connaitre certaines limitations mais
que ces limitations ne doivent ni excéder ce qui est nécessaire à la réalisation du but
poursuivi ni conduire à une dénaturation de ladite liberté.

178. En l’espèce, les députés ont considéré que la dénaturation a eu lieu. Ils
évoquaient devant le Conseil Constitutionnel la question des dérogations introduites au
deuxième alinéa de l'article 40 qui restreignent étroitement les possibilités dont dispose la
collectivité délégante pour prolonger la convention. Il s’agit surtout de la limitation
numérique de la prolongation (un an ou un tiers de la durée initiale) qui porte atteinte à la

199
Idem
200
THERON Jean-Pierre., « À propos de la liberté d’entreprendre », in Etudes en l’honneur du doyen
Péquignot, « l’interventionnisme économique de la puissance publique », Université de Montpellier I,
CREAM, 1984, Tome 2, p. 675
201
Conseil Constitutionnel, 16 janvier 1982, no 81-132 DC, Loi de nationalisation, Rec. p. 18

106
liberté contractuelle des collectivités territoriales. « Ces remarques valent en ce qui
concerne les entreprises qui contractent avec les collectivités : la liberté contractuelle du
délégataire est restreinte dans les mêmes proportions que celles du délégant, ce qui
l'empêche d'établir des prévisions pour ses investissements et ses tarifs, toutes
restrictions qui sont de nature à porter atteinte au principe de la liberté
d'entreprendre »202.

179. En outre, la liberté de contracter est indissociable de la liberté


d'entreprendre : il serait inconcevable que celle-ci puisse s'exercer si n'est pas reconnue
simultanément au profit de son bénéficiaire la possibilité de passer librement convention
avec toute personne de son choix. Ce principe, fondamental en droit civil, serait,
récemment203, transporté au droit public. Il consiste en la liberté de la personne publique
de recourir aux procédés conventionnels, liberté de déterminer le type de contrat, liberté
de choix de contractant, et liberté de déterminer les clauses du contrat. La faculté de fixer
la durée d’une convention de DSP constitue l’une des composantes majeures de la liberté
contractuelle surtout qu’elle détermine leur marge de négociation 204 . En effet, la
formulation de la requête visait à inviter le Conseil Constitutionnel à se prononcer sur la
valeur constitutionnelle de ce principe205. Dans sa décision du 20 janvier 1993, le Conseil
206
confirma, pour la première fois ce principe, mais sans pour autant le
constitutionnaliser. Il appartiendrait toujours au législateur d’en tracer les limites 207 .
Selon les députés, c’est l’encadrement des procédures de passation des contrats de
délégation de service public et l’obligation de mise en concurrence qui auront pour effet
de limiter la liberté des collectivités locales.

2- Le sacrifice des principes propres aux délégations de service public

180. Nonobstant l’affirmation du ministre de l’économie qui assura : « Nous

202
Conseil Constitutionnel, 20 janvier 1993, Décision 92-316 DC, Saisine de 60 sénateurs, site du CC
203
FORT François-Xavier, « Les aspects administratifs de la liberté contractuelle », in contrats publics :
mélanges en l’honneur du professeur Michel GUIBAL, université Montpellier I, volume I, p. 27, spec. p. 32
204
MAHOUACHI Mohamed, La liberté contractuelle des collectivités territoriales, Thèse, université de
droit, d’économie et des sciences d’Aix-Marseille, 2001, PUAM 2002, p. 205
205
Ibid, p. 206
206
TREPPOZ Armelle, Recherches sur la transparence dans la passation des conventions de délégation de
services publics locaux, op. cit., p. 391
207
Conseil Constitutionnel, 20 mars 1997, Décision 97-388 DC, JO 26 mars 1997

107
voulons rendre le régime des délégations plus transparent, mais nous y conservons des
procédures de libre négociation et de libre choix » 208 , les parlementaires étaient
persuadés que le projet de loi a entravé les principes propres aux délégations de service
public, à savoir l’intuitu personae (a), et la libre négociation (b).

a- L’intuitu personae

181. Elle n’est cachée à personne, la réalité que la notion de l’intuitu personae
gouvernait le système de l’attribution des conventions de délégation de service public.
Elle manifestait clairement le pouvoir discrétionnaire qu’a la personne publique délégante
de « choisir le prestataire de service public qui, par ses références, la connaissance qu'il
a du secteur, la confiance qu'il inspire, parait lui apporter le maximum de garanties de
bonne exécution du service »209. Cette notion, libérale, exprime en même temps la liberté
contractuelle, la liberté de mettre ou de ne pas mettre en concurrence, et la libre
administration des collectivités publiques.

« L’intuitu personae apparait comme étant, au mieux, l'attribution d'un contrat sans mise
en concurrence claire mais précédée de négociations, au pire, elle désignerait
l'attribution d'un contrat sans concurrence ni négociation » 210 . En vertu de cette
compétence, les collectivités territoriales attribuent l’exploitation de leurs services
publics en considération de la personne de leur contractant211. Ce principe constituait à la
fois un critère de qualification des délégations de service public et un élément de
distinction par rapport aux marchés publics. À cet égard, le libre choix du délégataire
était justifié par le concept de l’organisation du service et de la satisfaction de l’intérêt
général212.

182. Les défendeurs du projet de loi ont soulevé la marge de corruption que

208
SAPIN Michel, ministre de l’économie et des finances, JOAN 3 ème séance du 16 octobre 1992, p. 3842,
spec. p. 3877
209
DELAIRE Yves, La délégation des services publics locaux, Berger-Levrault, 3ème édition, novembre
2008. p. 226
210
GUIBAL Michel, « Commentaire de la loi n° 93-122 du 29 janvier 1993 relative à la prévention de la
corruption et à la transparence de la vie économique », art. prec., spec. p. 191
211
DELAIRE Yves, La délégation des services publics locaux, op. cit., p. 225
212
TREPPOZ Armelle, Recherches sur la transparence dans la passation des conventions de délégation de
services publics locaux, op. cit., p. 411

108
peut dissimuler une attribution de gré à gré sans publicité ni concurrence, sans critères ni
discussion. Selon eux, le champ de l’intuitu personae constitue le terrain fertile des
opérations de corruption auxquelles s’affronte le projet de loi anti-corruption et que ce ne
serait que par l’encadrement de ce principe libérale que se réaliserait la moralisation du
droit précontractuel des personnes publiques. Il ne s’agit pas d’une disparition de cette
notion fondamentale dans les conventions de délégation de service public. Il s’agit plutôt
d’une « véritable mutation de la notion »213, d’un remplacement de l’ancienne par une
nouvelle « qui procède à la fois de la technique de l'appel d'offres et de la technique du
marché négocié. Elle nait de l'atténuation de ce qui s'oppose à la négociation dans
l'appel d'offres, et à la formalisation de la mise en concurrence dans le marché
négocié »214.

183. Les opposants du projet de loi contestaient à la concurrence de mettre fin


au principe de l’intuitu personae, et rappelaient pour cela les propos du rapport
BOUCHERY que « le choix de déléguer l'exploitation d'un service public est inhérent à
la responsabilité d'organisation du service public qui incombe à une collectivité publique
; il doit reposer sur la confiance et donc sur l'intuitu personae et il ne saurait être
question de remettre en cause le droit, pour une collectivité publique, de choisir la
personne à laquelle elle juge utile de confier l'exécution d'un service public »215. Au sein
des commissions, le sénateur Christophe BONNOTTE, rapporteur du projet de loi, reprit
que « la liberté de choisir le délégataire est [...] consubstantielle à la délégation de
service public »216. Pour sa part, le ministre de l'Economie et des Finances, représentant
des défendeurs du projet de loi, assura qu’ : « Il n'est évidemment pas question de revenir
sur ce principe de notre droit public. Cela est d'autant moins envisageable que, pour ce
qui est des collectivités locales, le principe de libre administration s'opposerait à ce que
le libre choix des délégataires soit bridé de quelque façon que ce soit »217. Pourtant ces

213
GUIBAL Michel, « Commentaire de la loi n° 93-122 du 29 janvier 1993 relative à la prévention de la
corruption et à la transparence de la vie économique », art. prec., spec. p. 189
214
Ibid, spec. p. 192
215
MARCOU Gérard, « La notion de délégation de service public après la loi du 29 janvier 1993 », RFDA
1994 p. 875, spec. p. 886
216
SAPIN Michel, ministre de l’économie et des finances, JOAN, 1ère séance du 13 oct. 1992, p. 3600, spec.
p. 3684
217
Ibid, spec. p. 3607

109
déclarations n’étaient pas suffisantes pour rassurer les opposants qui n’ont trouvé que le
recours au Conseil Constitutionnel pour sauver la spécificité des contrats de délégation de
service public. Selon eux, la conciliation entre deux contradictions ne pourrait avoir lieu.
Il y aurait toujours un principe qui emportera l’autre et ce n’est surtout pas le principe de
l’intuitu personae qu’ils accepteront sa scarification.

184. Au Liban, ce principe est corolaire à la notion de service public. Autant le


contrat entre la personne publique et son contractant est lié au service public, autant
l’effet du principe de l’intuitu personae est important218. C’est pourquoi il est le principe
fondamental sur lequel se base toute délégation de service public. Concept règlementé à
l’article 36 du cahier des charges et des dispositions générales, n’a connu
jusqu’aujourd’hui aucune atténuation ou soumission à une conciliation avec un autre
principe. Il est placé en premier lieu dans le choix du délégant et dans l’exécution du
contrat. Le Conseil d’Etat admettait le pouvoir discrétionnaire qu’a l’Administration dans
le choix de son délégant sous réserve d’un non détournement du but principal qui est
l’intérêt du service219. L’Administration choisit directement son délégataire sans passer
par les règles de l’adjudication publique 220 . Ce choix porte principalement sur la
compétence, la bonne réputation, les capacités personnelles, techniques et financières, et
parfois la nationalité du délégataire. Ces critères détermineront le cadre du principe de
l’intuitu personae221 et ne seraient être exigés que pour assurer l’intérêt du principe et des
usagers. Cependant, et en partant de là, on ne voit pas pourquoi ce principe ne serait
rationalisé surtout que l’étude des critères demandés d’une façon objective est
concevable. En le faisant, on arrive de plus en plus à une décision unanime ou unique qui
ne laissera pas grande place à l’intuitu personae pour choisir le contractant convenable, ce
dernier serait élu par sa satisfaction nette et claire des critères demandés. Et pourtant, il
importe de mentionner une décision du Conseil d’Etat libanais222 qui n’a pas reconnu de

218
NABOLSI Nasri Mansour, Les effets des contrats administratifs en droit libanais, Thèse 2010,
Université Arabe de Beyrouth, p. 37
219
CE Lib., du 28 novembre 1995, no 108, RJA, 1997, Tome 1, p. 173
220
EL KHOURY Youssef Saadallah, Recueil du droit administratif, tome 2, la gestion des services publics,
l’établissement public et les contrats de concessions, 1ère édition 1999, sans éditeur, p. 277
221
NABOLSI Nasri Mansour, Les effets des contrats administratifs en droit libanais, op. cit., p. 39
222
CE Lib. du 27 mai 1935, no 54, Bulletin judiciaire libanais- Recueil des décisions du CE, Tome 3, p.
167

110
semblables après, et qui jugeait que l’Administration n’est pas libre dans l’octroi des
concessions, au contraire, elle est contrainte de ne pas interdire à quelqu’un ce qu’elle a
autorisé à un autre pour une raison qui n’a pas été demandée dans le second cas, sinon sa
décision ne se trouvera pas à l’abri d’une annulation suite à un recours pour excès de
pouvoir.

b- La libre négociation

185. Définie par M. Lionel BELLENGER comme une « sorte de formule


magique utilisée dans les secteurs de la vie sociale, économique, ou politique »223 la
négociation recouvre, « lato sensu, tous les processus par lesquels au moins deux parties
évoluent ensemble depuis un point ou elles partagent une question ou un problème
jusqu'à un point ou elles s’accordent sur une réponse ou une solution communes »224.

186. La libre négociation trouve sa source dans le principe de l’intuitu personae


et elle s’est enracinée dans le domaine des contrats de délégation de service public avec
les lois de décentralisation225 qui ont fait disparaitre les autorisations préalables du préfet
et le caractère impératif des documents types du ministère de l’intérieur. Elle constituait
de ce fait, la voie normale de l'attribution des délégations de service public classiques.
Ainsi en présentant le projet de loi anti-corruption, un souci général attira l’esprit des
parlementaires et serait exprimé par les propos de M. HYEST qui pensait que : « Les
concessions peuvent faire l’objet d’aménagements et tout le monde admet qu’il doit y
avoir une plus grande transparence. Personnellement je ne trouve pas anormal qu’il y ait
plusieurs candidatures, à conditions que soit respecté le fondement de la concession de
service public, à savoir la libre négociation »226. Cependant l’introduction de l'obligation
de publicité et de mise en concurrence conduisait inévitablement à encadrer cette liberté
et la limiter. Ainsi les liens changent. « De la règle non écrite « la concurrence par la
négociation » on est passé à une autre règle non écrite : « la concurrence sans

223
BELLENGER Lionel, « La négociation », P.U.F., collection Que sais-je ?, 8ème édition, 2011, p. 27.
224
COLSON Aurélien, « Contrat et négociation », in contrats publics : mélanges en l’honneur du
professeur Michel GUIBAL, université Montpellier I, volume I, p. 13
225
MONDOU Christophe, Les conventions de délégation de service public des collectivités territoriales,
Montreuil, Editions du PAPYRUS, janvier 2006, p. 101
226
HYEST Jean-Jacques, JOAN, 3ème séance du 16 octobre 1992, p. 3842, spec. p. 3871

111
négociation ». Bien entendu, cette nouvelle règle souffre des exceptions et des
aménagements. Mais elle implique l'interdiction de négocier à certains moments de la
procédure d'attribution, l'impossibilité de négocier sur certaines matières et l'obligation
de négocier avec tous les candidats lorsqu'il est possible de négocier. La contradiction «
concurrence-négociation » est en voie de disparition dans le droit des délégations de
service public »227 où sera retenue une mise en concurrence formalisée prolongée par une
négociation. Cette réalité serait contestée par les opposants à ce projet de loi qui virent
dans cette mutation une déviation des spécificités sur lesquelles se construisait l’histoire
des délégations de service public. Quoique le gouvernement, en défendant son projet ait
essayé de calmer la fureur des opposants en déclarant, à travers son ministre de
l’équipement et du logement M. BIANCO qu’ : « une fois les offres reçues, la liberté de
négociation d'abord, de choix ensuite, reste totale »228. Cette affirmation, nette qu’elle
soit, n’a pas empêché les contestants de s’en méfier et par la suite de saisir le Conseil
Constitutionnel

B- L’intervention tranchante et conciliante du Conseil Constitutionnel

187. Saisi par 84 députés et 75 sénateurs, le Conseil constitutionnel,


« vérificateur désormais inévitable de l'orthodoxie juridique des textes politiquement
lourds »229 ne s’est pas attardé pour rendre une décision (1) déclarant conformes à la
Constitution les dispositions relatives à la durée des délégations. Pourtant cette décision,
si elle a su comment faire arrêter les débats parlementaires, n’a pas pu tenir la doctrine
d’étudier son écho (2).

1- La décision du Conseil Constitutionnel

188. Concernant la procédure de publicité préalable et l’absence de réciprocité


dans le domaine des délégations de service public dans les Etats de la Communauté
économique européenne, le Conseil Constitutionnel constate « qu'aucune disposition ni

227
GUIBAL Michel, « Transparence et délégation de service public», op. cit., spec. p. 17
228
BIANCO Jean-Louis, ministre de l’équipement et du logement, JOS, séance du 3 décembre 1992, p.
3630, spec. p. 3632
229
GUIBAL Michel, « Commentaire de la loi n° 93-122 du 29 janvier 1993 relative à la prévention de la
corruption et à la transparence de la vie économique », op. cit,. spec. p. 186

112
aucun principe de valeur constitutionnelle ne fait obstacle à ce qu'une loi française
accorde des droits à des personnes physiques ou morales étrangères alors même que
l'État dont elles dépendent ne donnerait pas les mêmes droits à des personnes physiques
ou morales françaises »230 et que par la suite cette procédure ne porte pas atteinte au
principe d'égalité devant les charges publiques.

189. Concernant les dispositions que les parlementaires alléguaient qu’elles


portaient atteinte contre les principes de libre administration et de la liberté
d’entreprendre, le Conseil précise que « la liberté d'entreprendre n'est ni générale ni
absolue ; que le législateur peut y apporter des limitations exigées par l'intérêt général à
la condition que celles-ci n'aient pas pour conséquence d'en dénaturer la portée ; que les
limitations prévues par l'article 40 […] ne portent pas à la liberté d'entreprendre une
atteinte telle qu'elle en dénaturerait la portée »231.

190. Quant à l’intuitu personae, le Conseil rassurait dans sa décision que la


sélection des candidats ferait désormais l'objet d'une règlementation alors que le choix du
cocontractant demeure libre. Il s’agit surtout d’une réorientation du choix et non d’une
imposition puisqu’il revient aux collectivités elles-mêmes de fixer les critères de
sélection.

191. Pour la négociation, celle-ci demeure libre mais elle sera opérée avec une
ou des entreprises ayant présenté une offre, c'est-à-dire avec celles dont les garanties
professionnelles et financières et les garanties du respect des lois du service public ont été
examinées et jugées satisfaisantes. Donc après l’étape de l’examen objectif des critères
demandés, la libre négociation retourne sur la scène des délégations de service public.

192. Eu égard à l’article 34 de la Constitution, le Conseil considérait que pour


atteindre les objectifs de la transparence il serait licite qu’une loi proscrive la conclusion
de contrats de délégation de service public à durée indéterminée et lie au contraire cette
durée à des critères concernant la nature et le montant des investissements à réaliser par le
délégataire, puisque même si cette durée va être limitée à la durée normale

230
Conseil Constitutionnel, 20 janvier 1993, Décision 92-316 DC, Rec. p. 14, spec. p. 21
231
Ibid, spec. p. 22

113
d'amortissement du bien, la marge d’appréciation serait toujours conservée aux
collectivités concernées pour la négociation des contrats dans chaque cas d'espèce sous le
contrôle du juge, d’une part, en raison de l’absence, dans la loi, d’une définition de la
notion de « durée normale d'amortissement des installations » qui limitait la durée
maximale des délégations, et d’autre part « eu égard à la multiplicité des modes de calcul
d'amortissement ainsi qu'à la diversité et à la complexité des installations susceptibles
d'être concernées » 232 . Et que, pour plus de précision, en renvoyant la fixation des
modalités d’application du présent article à un décret en Conseil d'État, le législateur
bloqua la voie à l'autorité règlementaire de définir par des règles de portée générale la
durée normale d'amortissement en laissant ainsi à chaque collectivité le droit d’agir au
coup par coup, sous le contrôle du juge qui examinera concrètement chaque cas d'espèce.

193. Quant aux conditions de prolongation, le conseil considéra que les motifs
d’intérêt général liés surtout à la continuité du service justifiaient la prolongation pour un
an et que les prolongations en cas de travaux non prévus au contrat initial pris en charge
par le délégataire à la demande du délégant, qui seraient de nature à modifier l'économie
générale de la délégation et qui ne pourraient être amortis pendant la durée de la
convention restant à courir que par une augmentation des prix manifestement excessive
constituent aussi des motifs justifiés de la prolongation. Mais « en imposant alors, par
surcroit, en toutes circonstances que ces prolongations ne puissent augmenter de plus
d'un tiers la durée initialement prévue sans égard à la diversité et à la complexité des
situations susceptibles d'être ainsi affectées » 233, le Conseil a considéré que le législateur
a prescrit de façon trop générale et absolue une contrainte excessive non justifiée qui
méconnait le principe de la libre administration et par la suite il l’a déclaré comme non
conforme à la Constitution. En effet le conseil a estimé que dans certaines situations les
collectivités devaient disposer d’une durée qui ne soit sans péril impérativement limité
notamment en cas de délégations dans des domaines sujettes à des mutations importantes
imputables au progrès des techniques ou aux contraintes croissantes imposées par la

232
Conseil Constitutionnel, 20 janvier 1993, Décision 92-316 DC, Rec. p. 14, spec. p. 22
233
Idem

114
législation234.

2- L’écho de la décision

194. En dépit des motifs avancés par le Conseil Constitutionnel, cette décision
faisait l’objet d’un large champ d’analyses et de critiques. Le premier reproche adressé au
conseil Constitutionnel est qu’il a bénéficié de l’imprécision de la loi pour juger les
dispositions incriminées conformes à la constitution et Il n’a de ce fait « censuré que
certaines dispositions dont l'automatisme et la rigidité ont été tenues pour
inconstitutionnelles »235.

195. En se basant strictement sur cette imprécision, le conseil jugeait la


conservation du principe de l’intuitu personae. Selon lui, c’est vrai que le législateur a
posé la nature des garanties que doivent remplir les candidats, mais il a laissé aux seules
collectivités locales le soin de définir leur contenu. La détermination des conditions que
doivent satisfaire les délégataires assurera non seulement la liberté de gestion des
collectivités locales, mais également, le maintien de l’intuitu personae dans le choix du
délégataire236. Cette imprécision aurait dû être vue comme une « imperfection »237 et non
comme un gilet de sauvetage de la noyade de la loi.

196. Le conseil accorda implicitement par cette décision, une valeur


constitutionnelle aux principes de la transparence et de la concurrence du fait qu’il a
cherché à établir une conciliation entre ces objectifs et des principes de valeur
constitutionnelle, tel le principe de libre administration des collectivités locales ou le
principe d'égalité 238. Une simple observation superficielle de cette décision et de tous les
contournements qu’a usés le conseil pour finir à constater que la liberté d’administration
n’a pas été menacée, nous conduit à déduire clairement que le principe de « liberté
234
POUYAUD Dominique, « Concurrence, transparence et libre administration, À propos de la décision du
Conseil Constitutionnel n° 92-316 DC du 20 janvier 1993 sur la loi du 29 janvier 1993 » RFDA 1993 p.
902, spec. p. 907
235
Ibid, spec. p. 904
236
TREPPOZ Armelle, Recherches sur la transparence dans la passation des conventions de délégation de
services publics locaux, op. cit., p. 391
237
POUYAUD Dominique, « Concurrence, transparence et libre administration, À propos de la décision du
Conseil Constitutionnel n° 92-316 DC du 20 janvier 1993 sur la loi du 29 janvier 1993 », op. cit., spec. p.
906
238
Ibid, spec. p. 904

115
administrative » n’était vraiment, aux yeux du conseil, qu’« un terme vague et vide »239
comme l’a qualifié M. TROPER ou comme raisonnait M. BOULOUIS « plus
prometteuse que précise »240.

197. La Loi Sapin a inversé les postulats des conventions de délégations de


service public. Au lieu que les exigences de l’intérêt général sollicitent le libre choix des
délégants, il devient au contraire d'intérêt général, d'établir une procédure de sélection. Le
principe de l'intuitu personae est considéré maintenu par la persistance de l'importance
des qualités personnelles des délégataires. « Aujourd'hui, la conclusion du contrat en
fonction des qualités de la personne a acquis plus d'importance que la conclusion du
contrat en fonction de l'identité de la personne. Cela tient notamment à la nature des
délégataires. Ce sont, le plus souvent, des personnes morales et non plus des personnes
physiques. L'identité des membres de la société n’est plus l'élément primordial. Ce qui
compte c'est le savoir faire du groupe »241.

Si la limitation de la durée suivait un objectif précis qui est celui d'éviter la soumission
indéfinie des personnes publiques à leurs délégataires et d'être parfois prisonnières de
cette situation du fait de l'ancienneté des liens établis, ce but sacré a coûté à la délégation
un sacrifice de l’une de ses composantes fondamentales à savoir la liberté contractuelle.
Le choix de la durée, qui découle de cette liberté, assurait à la collectivité un bénéfice
irremplaçable en tant qu’elle constitue une « arme de discussion pour la collectivité dans
la négociation qu'elle entreprend » et un « moyen pour elle de déterminer sa politique
d'investissement, de tarif et de prix »242. La Loi Sapin a simplement privé la collectivité
de ce privilège. Le conseil ne voyait pas dans la fixation de la durée une fin en elle-
même, mais un moyen de garantir la transparence et la concurrence.

239
TROPER Michel, « Libre administration et théorie générale du droit, le concept de libre
administration », in La libre administration des collectivités locales, Colloque 1984, Economica, Paris, p.
62
240
BOULOUIS Jean, « Une nouvelle conception institutionnelle de l’administration territoriale », AJDA 20
mai 1982, p. 304
241
TREPPOZ Armelle, Recherches sur la transparence dans la passation des conventions de délégation de
services publics locaux, op. cit., p. 416
242
POUYAUD Dominique, « Concurrence, transparence et libre administration, À propos de la décision du
Conseil constitutionnel n° 92-316 DC du 20 janvier 1993 sur la loi du 29 janvier 1993 », art. prec., spec. p.
906

116
198. Si la Loi Sapin présenta l’avantage de rappeler, à travers l’article 40, la
proportionnalité qui doit exister entre la durée du contrat et les prestations demandées, le
conseil a failli se rappeler et rappeler avec lui le législateur qu’il ne peut exister de règle
générale applicable aux conventions de délégation de service public, ni concernant
l'ensemble des conventions de délégation de service public, ni concernant les différents
secteurs couverts par la délégation de service public. « Ce sont en fait les conditions
propres à chaque contrat qui doivent déterminer sa durée, ce qui rend particulièrement
malaisé l'édiction de règles de caractère général »243, et de ce fait annuler les contraintes
régissant la détermination de la durée de ces contrats. Ce qu’il n’a pas fait.

199. Quant aux motifs de la prolongation incarnés par la bonne exécution du


service public et l'extension du champ géographique de la convention de délégation,
l’ambigüité de ces termes serait clarifiée, pour le gouvernement, par la limitation de la
prolongation du contrat à un tiers de la convention initiale, « mais en faisant sauter cette
réserve, le Conseil Constitutionnel a, en pratique, vidé la loi d'une bonne partie de son
efficacité »244. En effet, les critiques sur l’ambigüité des dispositions relatives aux cas de
prolongation sont nombreuses et seront traitées un peu plus loin.

200. En réalité le Conseil Constitutionnel s’est forcé de neutraliser les


dispositions vagues de la loi pour leur garantir la conformité à la Constitution. Cependant
la précision de certaines dispositions et l’impossibilité du contournement et de
l’atténuation de leur sens ont obligé le Conseil à aborder de front le problème du seuil et à
annoncer leur inconstitutionnalité. Il s’agit de la disposition ne permettant la prolongation
de la durée de la convention que dans la limite du tiers de la durée initialement prévue.
Par cette censure le Conseil a établi une proportionnalité entre les limitations imposées
par la loi et l’objectif constitutionnel poursuivi à savoir la liberté d’administration.

201. En ce qui nous concerne le plus, la durée des délégations, On partage


l’avis de M. POUYAUD qui ne conçoit en quoi la corrélation entre la limitation de la

243
AUBY Jean-François, « La durée des conventions de délégation de service public », art. prec., spec.
p. 13
244
LUCHAIRE Yves, « Brèves observations sur la loi du 29 janvier 1993 relative à la transparence des
activités économiques et à la prévention de la corruption », 1ère partie, LPA, no 18, 11 février 1994, p. 4,
spec. p. 8

117
durée des conventions et les objectifs poursuivis par l'article 40 de la loi. En effet, « la
concurrence notamment est un moyen d'obtenir le prix le plus favorable pour les usagers
et sa réalisation semble plus surement atteinte par la liberté de négociation de la
convention que par la succession de conventions distinctes qui privilégient une catégorie
de contractants attirés par le court terme»245. La limitation de la durée ne présentera
aucun atout aux objectifs de la transparence et de la concurrence puisqu’elle est censée
remplir d’autres fonctions. Au contraire, ces objectifs auraient été atteints par la seule
instauration des règles de publicité et les procédures de négociation sans toucher à la
limitation de la durée des délégations.

202. En revanche, pour bien voir le côté plein du verre, par cette décision le
juge s’est gardé, à lui seul, le droit de préciser les conditions de mise en œuvre du
principe de libre administration étant donné que le seuil dont le franchissement entraîne la
censure de la loi ne peut être déterminé que concrètement, au cas par cas, en se basant sur
les effets de la disposition contestée sur la liberté d’action des autorités locales. Ainsi la
portée de la décision est claire. Il revient au juge d’exercer un contrôle de la nécessité et
de la proportionnalité des restrictions apportées par la loi à la libre administration. Au cas
où ces restrictions semblent être excessives et injustifiées, elles porteront atteintes au
principe de la libre administration et seront par la suite non conformes à l’article 72 de la
Constitution. Dans ce sens, le législateur n’est plus souverain : il doit justifier de ses actes
au regard de la Constitution.

245
POUYAUD Dominique, « Concurrence, transparence et libre administration, À propos de la décision du
Conseil constitutionnel n° 92-316 DC du 20 janvier 1993 sur la loi du 29 janvier 1993 » art. prec., spec. p.
905

118
Conclusion du Chapitre I

203. Quelles que soient les raisons et quels que soient les objectifs poursuivis,
la durée est désormais déterminée en France comme au Liban. Cependant, à l’heure où la
loi anti-corruption a été promulguée et la décision du Conseil Constitutionnel rendue, il
était encore prématuré de parler des conséquences et des impacts de cette loi sur la
pratique des délégations de service public. Les juristes ne possédaient à l’époque que la
possibilité de prévoir la situation contractuelle des collectivités publiques dans un avenir
proche. Pour les plus optimistes d’entre eux, la loi répondait certainement à des exigences
nouvelles dans le domaine des services publics. Les postulats immuables n’existent point
dans un domaine où la mutabilité constitue le pilier principal.

204. Selon eux, si l’adoption du principe de l’intuitu personae était justifiée,


avant cette loi, par la satisfaction de l’intérêt général, pourquoi ne pas considérer qu’« Il
peut être d'intérêt général que le choix du cocontractant soit précédé d'un certain
formalisme afin de permettre à autorité délégante de comparer les mérites respectifs des
candidats. De cette comparaison, il résulte pour l’Administration une meilleure
connaissance des qualités personnelles des entreprises qui l’autorise à conclure un
contrat en fonction de ces derniers. « Confiance et concurrence ne sont pas
incompatibles, au contraire elles se renforcent mutuellement » »246. Ainsi l'intérêt général
ne serait pas incompatible avec l’obligation de respecter une certaine transparence et
concurrence dans la passation des conventions de délégations de service public. Ce temps
là, n’est plus le temps de la totale liberté des collectivités publiques

205. Pourtant, la loi Sapin conserverait une grande marge de liberté à la


collectivité en n'entendant pas permettre à l'autorité règlementaire de définir par des
règles de portée générale la durée normale d'amortissement. Cette loi serait considérée
comme « une simple directive laissant toujours les personnes publiques et notamment les
collectivités locales libres de fixer la durée des conventions, sous la réserve du contrôle

246
TREPPOZ Armelle, Recherches sur la transparence dans la passation des conventions de délégation de
services publics locaux, op. cit., p. 411

119
de l'erreur manifeste d'appréciation par le juge administratif, éclairé par les termes de la
loi »247.

206. Pour les plus pessimistes d’entre eux, cette loi, dans ses dispositions
relatives aux délégations de services publics, « pose en fait plus de problèmes qu'elle n'en
résout. Si on ne peut que partager l'intention du gouvernement de moraliser la vie
politique et d'imposer davantage de transparence en matière de délégation de services
publics, il n'est pas certain que, dans sa rédaction actuelle, son objectif en ce domaine
puisse être atteint »248. En considérant que les imperfections rédactionnelles et la brutalité
des mesures prises résultaient des pressions médiatiques des évènements sous lesquelles
la législation a été adoptée249, ils réclamaient une retouche rectificative à la reforme sans
quoi la législation resterait loin de couvrir le champ d'application du principe de
transparence ni, partant, de satisfaire pleinement à ses exigences250. Cependant pour les
plus pessimistes des pessimistes, cette loi ne pouvait dans aucun cas être justifiée ni
acceptée « parce que, tout le monde le sait, ce n’est pas en compliquant les procédures
qu’on améliore la transparence ; on permet aux plus malins de mieux s’en sortir ! »251

En attendant l’avènement d’une évidence qui confirme ou invalide ces hypothèses, ces
prévisions restaient des mots dans l’air.

247
CHÉROT Jean-Yves, Droit public économique, Economica, Paris, 2007, 2ème édition, p. 774
248
LUCHAIRE Yves, « Brèves observations sur la loi du 29 janvier 1993 relative à la transparence des
activités économiques et à la prévention de la corruption », 1ère partie, art. prec., p. 4
249
Ibid, spec. p. 5
250
LLORENS François, « Principe de transparence et contrats publics », art. prec., spec. p. 11
251
HYEST Jean-Jacques, JOAN, 3ème séance du 16 octobre 1992, p. 3842, spec. p. 3872

120
Chapitre II - Les dispositifs d'encadrement de la durée

207. Les conventions de délégation de service public d’aujourd’hui se


distinguent nettement des conventions d’autrefois sur le plan de l’encadrement et de la
règlementation. En effet, depuis le XIXe siècle la concession n’était soumise à aucune
règle législative de portée générale 252 . La volonté des parties connaissait une liberté
incontraignable dans la formation du contrat. La personne publique, responsable du
service, déterminait, en plein accord avec son concessionnaire, les conditions essentielles
de conclusion de la concession. La durée, comme tous les éléments déterminant de la
négociation, n’était pas fixée par référence à un usage ou à une limite légale. La seule
règle générale, à laquelle elle était soumise, était l’exigence d’être simplement assez
longue pour permettre au concessionnaire de se rémunérer. Mais depuis la survenue des
lois particulières sur les délégations de service public, les choses ont changé.
« Déterminer la durée d'une délégation de service public est un temps fort du processus
de conclusion de ce contrat »253 . Dès lors, les conventions en général et la durée en
particulier sont de plus en plus règlementées quoique cette règlementation ne soit pas
toujours nette à l’œil nu et nécessite l’intervention du juge pour la clarifier.

208. Afin que l’étude de l’encadrement de la durée soit efficace, il importe de


commencer par étudier le contexte de l’encadrement, c'est-à-dire, son cadre spatio-
temporel (section I), partiellement établi par la loi Sapin, pour savoir qui est la partie
responsable de la détermination, quand déterminer, et dans quel instrument contractuel
fixer la durée de la convention de délégation de service public. En outre, pour achever
l’encadrement de la durée il ne faut pas se contenter de la fixer au moment de la
conclusion du contrat mais aussi veiller à assurer une garantie de l’encadrement tout au
long de l’exécution de la convention. Dans ce sens, la Loi Sapin a veillé à mettre fin à

252
GUGLIELMI Gilles J., KOUBI Geneviève, Droit du service public, Montchrestien, 3ème édition, 2011,
p. 475
253
BRENET François, Note sous CE, 4 juillet 2012, n° 352417, Communauté d'agglomération de Chartres
Métropole et Société Véolia eau, « Détermination de la durée des délégations de service public et sanction
du défaut d'information des conseillers communautaires dans le cadre d'un déféré préfectoral », Revue
juridique de l'économie publique, n° 704, janvier 2013, comm. 2

121
certaines pratiques qui entravaient la délimitation de la durée et à en encadrer d’autres, et
ceci en vue d’un raffinement de l’encadrement (section II).

Section I : Le cadre spatio-temporel de la détermination de la durée

209. Certaines clauses, susceptibles d’être introduites dans une convention de


délégation de service public, font parfois l’objet d’une règlementation dont le respect
s’impose à l’Administration. Tel est le cas en particulier des clauses relatives à la durée
du contrat. Dans le souci de barrer la route à toute tentative d’en user pour favoriser la
corruption, le législateur a dressé un cadre spatio-temporel à l’intérieur duquel, la durée
s’établit et ne peut, en aucun cas, dépasser ses frontières.

210. Malheureusement, c’est depuis cette phase préliminaire, qui faillit être la
plus claire, que les confusions entouraient, surtout, le droit libanais sur la fixation de la
durée des délégations de service public. Si la situation législative en France n’était guère
meilleure, le juge administratif français a au moins réussi à combler les lacunes, et à
présenter une phase bien claire et règlementée ce qui n’était pas le cas du juge libanais
qui n’a pas trouvé le chemin pour sortir de l’obscurité des textes.

211. Par ailleurs, les règles de la durée, initialement élaborées pour les
concessions, ont subi avec les législations une double modification. Dans le sens d’un
élargissement, elles se trouvent applicables à la catégorie plus générale des contrats de
délégation de service public. Mais dans l’autre sens, le principe de liberté de fixation de
la durée a été abandonné 254 . Ainsi, mis à part les facteurs desquels dépend la
détermination de la durée, et qui seront étudiés plus tard, la liberté de choisir qui, où, et
quand déterminer la durée d’une délégation, se trouve désormais restreinte.

Il faut tout d’abord revenir sur la nature de la clause de la durée (paragraphe 1), avant de
préciser la phase de son introduction dans le contrat (paragraphe 2).

Paragraphe 1 : La nature de la clause de durée

254
GUGLIELMI Gilles J., KOUBI Geneviève, Droit du service public, op. cit., p. 476

122
212. Si la nature mixte 255 du contrat de délégation de service public est
désormais admise et ne pose plus de problème, la question de la clause de la durée de ce
contrat continue à susciter une interrogation sur sa nature surtout après la fixation par la
loi de la partie responsable de sa détermination. On ne peut que relever une contradiction,
au moins apparente, en comparant ou en essayant de raccorder, d’une part, l’unanimité de
la doctrine qui considère que la clause de la durée est contractuelle, et, d’autre part, la
netteté de la Loi Sapin qui fait supporter à la collectivité la charge de la détermination de
la durée. A cette ambigüité, s’ajoute une spécificité libanaise qui semble introduire, en
plus de la détermination contractuelle de la durée, une détermination législative qui remet
sur scène la discussion sur la personne responsable de la détermination de la durée et la
nature même de cette clause. Ainsi il s’agit de voir en premier lieu la notion générale sur
le support contractuel de la clause de durée (A) avant de s’intéresser à la théorie
particulière du support législatif de cette clause (B)

A- Le support contractuel de la clause de durée

213. L’alinéa premier de l’article 40 de la loi du 29 janvier 1993 dispose que :


« Les conventions de délégation de service public doivent être limitées dans leur durée.
Celle-ci est déterminée par la collectivité en fonction des prestations demandées au
délégataire ». Cet alinéa, s’il semble être clair sur le choix unilatéral de la durée (2), ne
l’est pas au niveau de la place de la durée dans les cahiers des charges (1).

1- La place de la durée dans les cahiers des charges

214. L’acte de concession, représentant la convention entre les deux parties,


constitue l’élément essentiel de la concession. À la vue de sa brièveté, cet acte est
obligatoirement précédé, suivi ou même accompagné d’autres documents plus
développés qui déterminent les droits et obligations des parties, formant ainsi les sources
des clauses de la concession auxquelles renvoie l’acte de concession et constituant avec
ce dernier un tout256. Il s’agit souvent d’un cahier des charges particulier qui peut à son
tour renvoyer à un cahier des charges-types. Ce dernier avec d’autres de son type,
255
EL KOTB Marwan, Les modalités de privatisation des services publics, la concession, les sociétés
mixtes, les BOT, la délégation de service public, étude comparée, El Halabi, 1ère édition, 2009, p. 92
256
CE Lib., du 6 juillet 2004, no 732, non publié

123
constituent des modèles de cahiers des charges conçus et élaborés à l’avance par
l’Administration pour tel ou tel type général de contrats de concession, et susceptibles
d’être rendus applicables à une concession déterminée par l’acte de concession. C’est en
vertu de l’ordonnance du 24 février 1945 portant création d’un conseil national des
services publics départementaux et communaux, que le ministre de l’intérieur était chargé
d’établir des cahiers des charges-types « obligatoirement applicables aux services publics
interdépartementaux, départementaux, intercommunaux et communaux qui sont exploités
sous le régime de la concession ou de l’affermage ». Une théorie, pourtant erronée mais
dominante à l’époque, instaurée par le Conseil d’Etat dans sa décision du 5 mai 1961257
considérait les clauses des cahiers des charges comme purement règlementaires. Cette
théorie prendra fin258 définitivement avec la survenance de la loi no 82-213 du 2 mars
1982 relative aux droits et aux libertés des communes, des départements et des régions
qui fera perdre aux cahiers de charges-types leur caractère obligatoire. Ainsi le ministre
de l’intérieur a, en vertu de la nouvelle loi, pour mission « d’établir des modèles de
cahiers des charges auxquels les communes peuvent se référer pour leurs services
exploités sous le régime de la concession ou de l’affermage ». Le cahier des charges-
types ne constitue aujourd’hui point une altération au principe du libre choix de la
collectivité puisqu’il ne possède qu’un caractère indicatif et n’est de ce fait opposable au
concessionnaire que si l’acte de concession s’y réfère. Au Liban, c’est l’Administration
concernée qui dresse les cahiers des charges-types et ces derniers n’ont qu’une valeur
indicative. Cependant après avoir considéré, pour un long moment, que la totalité des
clauses du cahier de charge sont des clauses purement règlementaires, le Conseil d’Etat
libanais259 bouleversa cette théorie et adopta la distinction française, en optant pour la
présence, dans les cahiers des charges, des clauses règlementaires, modifiables
unilatéralement par l’Administration260, et des clauses contractuelles qui ne peuvent être
modifiées que par un mutuel accord des deux parties. Rappelons au passage que
l’affermage, dans la mesure où il est de même nature que la concession, présente les

257
CE du 5 mai 1961, Ville de Lyon, C.J.E.G. 1961, p. 175
258
DE LAUBADERE Andrée, DELVOLVÉ Pierre, MODERNE Franck, Traité des contrats administratifs,
LGDJ, 2ème édition, 1983, Tome 1, p. 694
259
CE Lib., du 2 juillet 1969, no 410, Société d’électricité du Liban Nord/ l’Etat, Recueil administratif,
1969, p. 175
260
CE Lib., du 21 novembre 1956, no 551, Recueil administratif 1957, p. 36

124
mêmes singularités qu’elle, spécialement en ce qui concerne son caractère mixte261.

215. Ainsi, ces contrats comportent des éléments de caractère règlementaire et


d’autres de caractère contractuel. C’est selon les catégories des clauses que se fait la
distinction262. Sont règlementaires, les clauses du cahier des charges qui concernent la
gestion, l’organisation et le fonctionnement du service. Et sont par la suite contractuelles,
les clauses qui concernent les avantages divers 263 consentis par l’Administration au
concessionnaire et qui ont déterminé celui-ci à traiter. Ces dernières n’intéressent en rien
le public et ne touchent même pas aux règles et conditions de fonctionnement du service.
En application de cette distinction le doyen DUGUIT proposa un éclaircissement
acceptable 264 consistant à considérer comme règlementaires, les dispositions du cahier
des charges qui seraient susceptibles de se retrouver si le service était exploité en régie, et
comme contractuelles, les dispositions qui ne se concevraient pas dans une exploitation
en régie parce qu’elles n’y auraient pas d’objet. D’autres auteurs 265 ajoutent aux clauses
règlementaires, celles qui concernent la nature et l’étendue du service à assurer, les
garanties à offrir aux usagers, l’aménagement des structures de la concession. Ces clauses
constituent l’exception et sont soumises au pouvoir de modification unilatéral que détient
l’Administration. À noter que cette dernière bénéficie de l’opportunité de modifier les
clauses contractuelles mais assortie d’une juste indemnisation du délégataire.

216. Dès lors, la catégorie des clauses contractuelles se limiterait d’une part aux
garanties financières assurées au délégataire (promesses d’avance, de subventions,
garanties d’intérêts) ou aux autres garanties d’ordre divers, tel que, notamment, le
privilège d’exclusivité quelquefois consenti par l’Administration au délégataire, d’autre
part à la durée de la délégation, laquelle constitue aussi, une garantie reconnue au
délégataire. Le seul thème qui ne trouvait pas son application dans cette hypothèse était,
selon DUGUIT, celui du tarif des redevances que la convention autorise le

261
DE LAUBADERE Andrée, DELVOLVÉ Pierre, MODERNE Franck, Traité des contrats administratifs,
Tome 1, op. cit., p. 320
262
Ibid, p. 104
263
LINOTTE Didier, ROMI Raphael, Services publics et droit public économique, éditions du Juris-
Classeur, Litec, 5 ème édition, 2003, p. 329
264
DE LAUBADERE Andrée, DELVOLVÉ Pierre, MODERNE Franck, Traité des contrats administratifs,
Tome 1, op. cit., p. 107
265
LINOTTE Didier, ROMI Raphael, Services publics et droit public économique, op. cit., p. 330

125
concessionnaire à percevoir. Bien que cet élément mette en relief les intérêts financiers
du concessionnaire, il constituait un élément essentiel du fonctionnement du service et
faisait partie des clauses règlementaires. Pourtant la jurisprudence française appliquait à
cette clause, en ce qui concerne ses modifications, les règles applicables aux clauses
contractuelles266. La clause relative aux tarifs demeure controversable au Liban. Elle a été
pour une longue période considérée par la doctrine 267 et la jurisprudence 268 comme
règlementaire. Aujourd’hui 269 , elle est normalement déterminée dans le cahier des
charges en tant que clause contractuelle, plus rarement elle est déterminée
unilatéralement par l’Administration, et exceptionnellement le soin de sa fixation peut
être laissé au délégataire.

217. En effet, afin d’aider les collectivités locales, le ministre de l’intérieur a


élaboré, en application de l’article L. 321-1 du code des communes, un barème indicatif
des durées recommandées270, à citer :

Objet du modèle Durée recommandée

I- Ordures ménagères

1- Modèle de contrat pour la 5 ans (cette durée peut être augmentée,


collecte et l’évacuation des sans toutefois dépasser 10 ans, si le
ordures ménagères (circulaire montant des immobilisations consacrées
no 81-79 du 21 octobre 1981) au service qui a fait l’objet du contrat est
supérieur à 1,5 fois le chiffre d’affaires

266
DE LAUBADERE Andrée, DELVOLVÉ Pierre, MODERNE Franck, Traité des contrats administratifs,
Tome 1, op. cit., p. 108
267
EL KHOURY Youssef Saadallah, Recueil du droit administratif, Tome 2, La gestion du service public :
l’établissement public et les contrats de concession, 1ère édition, sans éditeur, p. 270 ; NASR Pierre, « Les
délégations de services publics d’eau et d’électricité et les projets de téléphériques, étude juridique,
théorique et pratique », Revue de la Justice, 1979, p. 14, spec. p. 37
268
CE Lib, 12 juillet 1963, no 1134, Recueil administratif 1964, p. 39
269
EL KHOURY Youssef Saadallah, Recueil du droit administratif, Tome 2, La gestion du service public :
l’établissement public et les contrats de concession, 1ère édition, sans éditeur, pp. 348, 349, 350, 351
270
Ministère de l’intérieur, Recueil des modèles de cahiers des charges et règlements de service, La
Documentation Française, Paris, 1987.

126
hors taxes annuel prévu par le contrat)

De 5 à 15 ans (la durée des contrats


dépend essentiellement du type de
matériels de l’installation. Les contrats,
puisqu’ils comportent le gros entretien et
2- Modèle de contrat pour le renouvellement de l’installation, ne
l’exploitation d’installations peuvent être conclus pour une durée trop
de traitement par incinération courte faute de quoi cette clause serait non
des résidus urbains avec ou seulement sans valeur pratique mais
sans récupération de chaleur entrainerait pour la collectivité des
(circulaire no 86-142 du 19 dépenses inutiles. Lorsqu’en outre il y a
mars 1988) eu concours simultané pour la
construction de l’installation et pour son
exploitation, cette durée ne devra pas être
inferieure à celle pour laquelle
l’installation à été proposée.

Toutefois, la durée du contrat ne devrait


pas dépasser :

- 5 ans pour les installations


composées de fours de capacité
nominale inferieure à 1,5
tonne/heure

- 10 ans pour les installations


composées de fours de capacité
nominale supérieure

- 15 ans pour les installations


importantes, et notamment pour

127
celles avec récupération de chaleur

II- Chauffage urbain

1- Modèle de contrat pour la 24 ans sans possibilité de tacite


distribution d’énergie reconduction
calorifique par Concession
(circulaire no 82-183 du 23
novembre 1982)

2- Modèle de contrat pour la


distribution d’énergie 12 ans maximum (dans le cas des
calorifique par affermages dont les ouvrages sont à
Affermage (circulaire no 82- établir, en cours d’établissement ou en
183 du 23 novembre 1982) cours d’extension, cette durée ne devrait
pas dépasser 16 ans)

III- Pompes funèbres

Modèle de contrat pour la concession du 6 ans


service extérieur des pompes funèbres
(circulaire no 85-42 du 18 février 1985)

IV- Assainissement

Modèle de cahier des charges pour 12 ans maximum


l’exploitation par affermage d’un service
d’assainissement (modèle annexé au
décret du 16 octobre 1981)

128
V- Distribution d’eau potable 12 ans

Modèle de cahier des charges pour


l’exploitation par affermage d’un service
de distribution publique d’eau potable
(modèle annexé au décret du 17 mars
1980)

VI- Stationnement payant

1- Modèle de contrat pour l’exploitation 6 ans maximum


du stationnement payant sur voirie
(circulaire no 82-111 du 15 juillet
1982)

2- Modèle de contrat pour parc de


stationnement (circulaire no 82-111
du 15 juillet 1982) : 6 ans maximum pour un parc de surface
isolé

24 ans pour un parc en ouvrage


- Concession (exceptionnellement portée à 30 ans dans
le cas de mise en compétition entre
plusieurs candidats, effectuée en bonne et
due forme)

6 ans pour un parc de surface isolé

- Affermage 12 ans pour un parc en ouvrage (titre


exceptionnel, lors de la première mise en

129
service d’un parc en ouvrage et lorsque les
conditions d’exploitation sont très
incertaines, il pourra être envisagé une
durée de 15 ans)

6 ans maximum

- Gérance

Ainsi la référence obligatoire à la durée que les cahiers des charges-types ont veillé à
montrer rend sans doute les assemblées délibérantes des collectivités locales attentives à
cet aspect essentiel de la convention. Leur mérite est de permettre un minimum
d’unification sur tout le territoire national de l’ensemble des règles applicables à un
même type de délégation.

2- Le choix consensuel ou unilatéral de la durée

218. En résumé de ce qui vient d’être dit, Le contenu du cahier des charges doit
se conformer aux dispositions de l’article L. 1411-2 du CGCT qui limite notamment, la
durée des conventions de délégation de service public. Pourtant la nature de la clause de
durée n’est pas aussi évidente qu’elle parait l’être. Bien que la majorité des auteurs voient
dans la durée, qui constitue une garantie accordée au concessionnaire, une clause
contractuelle, et que ce n’est qu’en sa fonction que le délégataire a accepté la gestion du
service, son élaboration crée un doute sur cette évidence. L’article 40 de la Loi Sapin
paraît clair sur le choix unilatéral et non consensuel de la durée en disposant qu’elle est
« déterminée par la collectivité ». Il nous semble, même si la pratique en montre souvent
le contraire, que le terme contractuel doit toujours s’associer avec le terme consensuel, or
si la détermination de cette clause se fait unilatéralement par la collectivité comment
pourrons nous encore la considérer comme contractuelle ? Pourtant, certains considèrent

130
que la rédaction unilatérale et préalable de la durée ne dissimule en aucun sens son
caractère contractuel puisqu’il suffit de lier la détermination de la durée aux « prestations
demandées par le délégataire » pour montrer que celle-ci constitue un élément
négociable à tel point que certains auteurs voient dans le procédé de sa détermination
« une négociation dans la négociation »271.

219. Cependant cette clause est une clause particulière car si elle constitue un
avantage garanti au concessionnaire, elle intéresse en même temps l’organisation du
service. « C’est dire que, quoique contractuelle, elle cesse d’être immuable lorsqu’entre
en jeu l’intérêt de l’organisation du service ; elle relève alors du régime du contrat
administratif » 272 . L’Administration aura donc toujours le droit de la modifier ou de
mettre une fin anticipée à la délégation pour supprimer le service qu’elle juge devenir
inutile ou bien pour le réorganiser.

220. La doctrine libanaise 273 , pour sa part, avait admis sans hésitation le
caractère contractuel de la clause de la durée vu qu’elle constitue l’élément en fonction
duquel se calcule la rémunération et les gains du délégataire274, et elle avait clairement
annoncé que sa détermination doit résulter d’un consensus entre les deux parties. En
principe l’Administration ne peut imposer une durée sur laquelle il n’y a pas eu un
accord. Cette hypothèse est valable pour tous les contrats administratifs sans exception275.
Les auteurs affirment que la simple figuration de la durée dans les cahiers de charges
préparés unilatéralement par l’Administration ne signifie point que la durée est
règlementaire car les propositions des candidats et les discussions qui s’engageront par la
suite permettront d’affiner le cahier des charges de la délégation. Cependant, peu
nombreux qu’ils soient, certains auteurs considèrent que la durée est une clause

271
LUCHAIRE Yves, « Brèves observations sur la loi du 29 janvier 1993 relative à la transparence des
activités économiques et à la prévention de la corruption », 1ère partie, LPA, no 18, 11 février 1994, p. 4
272
DE LAUBADERE Andrée, DELVOLVÉ Pierre, MODERNE Franck, Traité des contrats administratifs,
LGDJ, 2ème édition, 1984, Tome 2, p. 435
273
EL KHOURY Youssef Saadallah, Recueil du droit administratif, Tome 2, La gestion du service public :
l’établissement public et les contrats de concession, op. cit., p. 271 ; ABD EL WAHHAB Mohammed
Refaat, Les principes et les dispositions du droit administratif, Al Halabi, 2002, p. 338
274
NASRALLAH Abbas, Le droit administratif spécial, Dar Bilal, 2012, p. 32
275
NABOLSI Nasri Mansour, Les effets des contrats administratifs en droit libanais, Thèse 2010,
Université Arabe de Beyrouth, p. 26

131
règlementaire 276 puisqu’elle doit figurer dans la loi autorisant la passation de la
délégation. On partage ce point de vue en raison non seulement de la détermination
unilatérale de celle-ci mais aussi du support qui la détermine, à savoir la loi au Liban.

221. Pourtant, la durée fait partie des conditions dont l’Administration ne peut
procéder à la modification unilatérale277 quoi qu’elle la détermine toute seule au départ du
contrat, ce qui conduit à revenir à l’hypothèse de la durée comme clause contractuelle.

222. En outre, concernant l’organe responsable de la détermination au sein de


l’Administration, que ce soit en France ou au Liban, la proposition peut bien venir de
l’exécutif mais c’est définitivement l’assemblée délibérante qui prend la décision finale
puisque le sujet concerne un service public et affecte de ce point de vue les finances
publiques de l’Etat278. Cette affirmation a été reprise et confirmée par le Conseil d’Etat :
« Lorsqu’il entend autoriser le maire à souscrire une convention de délégation de service
public, le conseil municipal doit, sauf à méconnaitre l'étendue de sa compétence, se
prononcer sur tous les éléments essentiels du contrat à intervenir, au nombre desquels
figurent notamment l'objet précis de celui-ci ainsi que les éléments financiers exacts et
l'identité de son attributaire »279. Ce pouvoir ne saurait être vidé de sa substance par une
insuffisance d’information du conseil municipal sur le contenu des contrats. Ainsi, même
si le délégataire avait été choisi après un appel d’offres, dès lors que le conseil municipal
n’avait pas bénéficié d’une information complète lorsqu’il a voté sa première
délibération, il devait se prononcer sur l’identité et l’offre du concessionnaire retenu à la
fin de la procédure de consultation. Cette jurisprudence avait le mérite d’étendre les
règles appliquées dans les domaines des marchés, des baux et des transactions au
domaine des délégations de service public. A noter qu’au Liban ce n’est pas le maire qui
représente l’exécutif des collectivités locales mais c’est le président du conseil municipal.

276
CHOKR Zouheir, Interprétation de l’article 89 de la constitution, entretien du 20/08/2012
277
AL TAMMAWI Sleiman, Les principes généraux des contrats administratifs, Dar Al Fekr Al Arabi,
5ème édition, 1991, p. 476
278
EL KOTB Marwan, Les modalités de privatisation des services publics, la concession, les sociétés
mixtes, les BOT, la délégation de service public, op. cit., p. 98
279
DREYFUS Jean-David, Note sous CE du 10 janvier 2007, no 284063, Société des pompes funèbres et
conseillers funéraires du Roussillon, AJDA 2007, p. 636 ; PELLISSIER Gilles, Note sous CE du 10 janvier
2007, no 284063, Société des pompes funèbres et conseillers funéraires du Roussillon, Droit Administratif,
mars 2007, comm. 39, p. 20

132
B- Le support législatif de la clause de durée

223. La complexité et l’ambigüité de la procédure au Liban ne s’arrêtent pas à


ce stade. Le fait de connaitre la nature de la durée et la partie responsable de sa
détermination ne constitue point la vraie difficulté. En plus de la figuration de la durée
dans le cahier des charges, celle-ci doit être déterminée, en vertu de l’article 89 de la
Constitution, aussi dans une loi. Et le grand défi est de pouvoir deviner à quel point la
durée doit être déterminée par la loi et s’il s’agit d’une loi type ou spécifique (1), ainsi sur
la possibilité de voir octroyer des délégations de service public par le biais d’un décret
(2).

1- Les controverses sur la loi type ou spécifique

224. Avant de penser à la nature de la loi dans laquelle la durée des conventions
de délégations de service public doit être définie, il importe de trancher la polémique sur
la figuration ou non de la durée dans une loi. L’article 89 de la Constitution, à sa brièveté,
pose un principe sans le clarifier et ni le législateur, ni la doctrine, ni même la
jurisprudence n’ont présenté une explication satisfaisante. Et si par hasard l’on trouve une
certaine tentative de détermination des contrats visés par cet article, aucune ne s’intéresse
à la durée de ces conventions. Reprenons l’article 89 pour mieux le décortiquer :
« Aucune concession ayant pour objet l'exploitation d'une richesse naturelle du pays ou
un service d'utilité publique, ni aucun monopole ne pourront être accordés qu'en vertu
d'une loi et pour un temps limité ». Il est clair que l’article impose l’octroi des
concessions par une loi et que ces contrats soient pour une durée limitée. Mais est-ce que
cette durée doit être déterminée dans la loi d’octroi ? Ou suffit-il qu’elle soit déterminée
dans les cahiers de charges ? À cette question aucune réponse n’est ferme. Des grands
juristes de droit constitutionnel considèrent que la durée doit être déterminée dans la loi
elle même280 d’une telle façon que le législateur ne laisse pas à l’Administration la liberté
de choisir la durée à son propre gré. Cette dernière pourra toujours proposer une durée
dans le projet de loi présenté au parlement avec tous les arguments indispensables qui
280
CHOKR Zouheir, Interprétation de l’article 89 de la constitution, entretien du 20/08/2012 ; FAHMI
Moustafa Abou Zeid, Le régime parlementaire au Liban, Al Dar Al Masriya, 1ère édition, 1969, p. 471 ;
ABD EL WAHHAB Mohammed Refaat, les principes et les dispositions du droit administratif, op. cit., p.
346

133
permettent au législateur de décider tout en conciliant entre les besoins du service,
l’exigence d’une bonne gestion et l’équilibre financier du contrat. Quoique cette analyse
soit logique et corresponde aux ambitions du constituant à l’époque qui n’avait que le
souci de protéger les propriétés publiques, d’interdire les concessions perpétuelles et la
privatisation des services publics, à notre avis, si l’article voulait que la durée soit
déterminée dans la loi d’octroi, il aurait mieux dit « en vertu d'une loi et pour un temps
limité dans la loi elle même » ou encore « pour un temps limité en vertu d'une loi » mais
la version adoptée nous invite à penser que la délégation doit être octroyée en vertu d’une
loi et doit être octroyée pour une durée déterminée mais la détermination de la durée peut
bien être faite dans le contrat ou dans la loi ou autrement.

225. Admettons que cette durée est déterminée en vertu de la loi, une autre
interrogation surgit. S’agirait-il d’une loi type, loi cadre, qui régirait les modalités
d’octroi de toutes les délégations de même type ? Ainsi l’Administration organisera la
passation de ces conventions de DSP en conformité avec celle-ci sans se trouver dans
l’obligation d’assister à la promulgation d’une nouvelle loi à chaque reprise, ou bien
s’agirait-il d’une loi spécifique qu’il faut promulguer à chaque fois que l’Administration
décide d’octroyer une DSP ? La majorité de la doctrine considère que les termes de
l’article sont clairs quant à la nécessité d’une loi spécifique à chaque délégation281.

226. Dans le cadre de son interprétation de l’article 89, M. CHOKR différencie


une concession et un affermage au niveau de la détermination de la durée. Selon lui, une
loi spécifique n’est demandée qu’en cas de concession vu l’importance des exigences
requises et la différenciation entre un cas pratique et un autre. Or pour les autres contrats
de délégation de service public, comme c’est le cas de l’affermage, il serait suffisant de
promulguer une loi type pour chaque domaine sans nécessité de voir promulguer à
chaque fois une loi spécifique dans la mesure où il n’y aurait pas de nouvelles
installations à instaurer et vu le rapprochement qui qualifie l’ensemble des contrats
concernant le même type de service.

281
CHIHA Ibrahim Abd El Aziz, Les régimes politiques et le droit constitutionnel, étude analytique du
régime constitutionnel libanais, El Dar Al Jamiiya, Beyrouth, 4ème édition, p. 765 ; CHIHA Ibrahim Abd El
Aziz, Traité des dispositions et les principes du droit administratif, El Dar Al Jamiiya, Beyrouth, 1997, p.
769 ; FAHMI Moustafa Abou Zeid, Le régime parlementaire au Liban, op. cit., p. 470

134
227. Pour sa part, le Conseil Constitutionnel a exprimé brièvement mais
clairement son avis dans sa décision no 2/2002282 sur la loi no 393/2002283 où il considère
que si l’article 89 de la Constitution supposait la promulgation d’une loi pour toute
délégation ou concession, elle n’a pas exigé une loi spécifique à chaque fois que le même
service est délégué tant qu’il existe auparavant une loi qui régit sa délégation en
conformité avec l’article 89.

228. Concernant les services publics locaux certains284 continuent à considérer


que la délégation d’un service public local nécessite une autorisation préalable ainsi
qu’une certification postérieure de la part du gouvernement en application de l’alinéa 5 de
l’article 2 de l’arrêté no 2511 du Haut-commissaire du 20 mars 1924 relatif à La loi
d’octroi des concessions. Ce qui n’est pas trop admissible, non seulement parce que la
référence ambigüe au terme « gouvernement », qui rendait incertaine l’application de cet
arrêté au moment de sa promulgation, ne va pas, à fortiori, la permettre aujourd’hui, mais
parce que le décret-loi était clair sur les actes nécessitant l’approbation du gouvernement
et les mentionnait restrictivement. Cependant les actes de l’article 50 du décret-loi, qui
concernaient indirectement les DSP, ne font pas partie des actes soumis à l’approbation
postérieure. Pourtant ce qui complique la situation, c’est l’absence de preuve qui
confirme ou infirme cette hypothèse, surtout que la pratique n’a pas montré le recours des
collectivités locales à ces types de conventions. L’utilisation de ceux-ci était restée au
niveau de l’Etat qui s’en est servi dans les domaines de la production et de la distribution
de l’électricité, des ports et des téléphériques 285 . Cependant, la Cours des comptes a
exprimé dans un avis rendu en 2000286, que les contrats de BOT (qui sont considère au
Liban des contrats de DSP comme on va le prouver plus tard) octroyés par le conseil
municipal au niveau local nécessitent la promulgation d’une loi les autorisant, alors que
le département de la législation et des consultations auprès du ministère de la justice

282
CC Lib., du 3 juillet 2002, no 2-2002, JO no 40 du 11 juillet 2002, p. 4907
283
Loi no 393/2002 du 1er juin 2002, relative à l’autorisation du gouvernement d’octroyer deux délégations
pour fournir les services téléphoniques portables, JO no 31 du 1er juin 2002, p. 3901
284
EL KOTB Marwan, Les modalités de privatisation des services publics, la concession, les sociétés
mixtes, les BOT, la délégation de service public, op. cit., pp. 99- 100- 103- 104
285
Ibid, p. 96
286
Cour des Comptes Lib., Avis du 18 février 2000, n o 20/2000, site de la cour des comptes libanaise

135
paraissait confuse sur ce point. Après avoir considéré, dans un premier temps 287, que les
DSP au niveau local exigent, comme les DSP nationales, d’être octroyées en vertu d’une
loi, le département est revenu sur ses pas un mois plus tard 288 en considérant que le
conseil municipal peut toujours octroyer des DSP conformément à l’article 2 de l’arrêté
no 2511 du 20 mars 1924 après autorisation préalable du gouvernement qui certifie
postérieurement le contrat.

229. À notre avis, l’octroi d’une délégation de service public nécessite au


niveau local, comme au niveau national, la promulgation d’une loi spécifique à chaque
délégation, car, d’une part l’article 89 parle de service public en général et ne se limite
pas aux services publics nationaux, et d’autre part, si l’objectif de cette loi c’est la
protection du service public, de la propriété publique et des deniers publics, rien n’interdit
que le service public local soit aussi important que le service public national et nécessite
une protection similaire. Ce qui appuie ce point de vue est que la décentralisation au
Liban demeure inachevée. De surcroit, si la Constitution avait interdit au gouvernement
lui-même la passation de tels contrats sans l’autorisation du parlement, serait-il logique,
qu’elle la permette aux collectivités ? Il serait certainement illogique que les collectivités
aient plus d’autorité que le gouvernement lui-même au niveau de la gestion des services
publics. Dès lors, on ne peut parler d’une transmission des compétences du parlement, au
niveau des services publics nationaux, aux conseils communaux, dans le cadre des
services publics locaux. Et tant qu’un grand nombre de contrats municipaux, beaucoup
moins importants que la délégation de service public, sont soumis au contrôle du pouvoir
de tutelle, les délégations devraient à fortiori être soumises à un contrôle pareil. Et si
l’article 50 du décret-loi no 118 du 30 juin 1977 relatif à la Loi des municipalités289, qui
concerne la création et la gestion d’un nombre restrictif de services publics, ne mentionne
rien sur l’autorité responsable de l’authentification de tels actes, ce n’est pas parce que le
conseil municipal pourrait passer de tels contrats sans restriction, mais c’est parce que le
législateur était conscient que l’article 89 est toujours présent et qu’il est inutile de le

287
Département de la législation et des consultations auprès du ministère de la justice, Avis du 9/10/2000,
no 652/2000
288
Département de la législation et des consultations auprès du ministère de la justice, Avis du 27
novembre 2000 no 759/2000, Recueil de jurisprudence, Tome 3, SADER, Beyrouth 2004, p. 3261
289
Décret-loi no 118 du 30 juin 1977 relatif à la Loi des municipalités, JO. no 20 du 7 juillet 1977

136
reprendre puisqu’il s’applique d’office. Ainsi, s’il avait l’intention d’écarter l’application
de cet article et de l’interpréter restrictivement comme concernant exclusivement les
services publics nationaux, il lui aurait fallu mentionner ceci expressément à l’article 50
du décret-loi.

230. Toutefois, et pour conclure sur ce point, la cour des comptes a rendu en
290
2008 un avis qui réaffirme que les DSP locales exigent la promulgation d’une loi et
ceci pour plusieurs raisons. Premièrement parce que la Constitution en exigeant une Loi
pour déléguer les services publics, n’a pas distingué entre service public local ou national,
et de ce fait la relativisation du texte est interdite tant que le texte ne la permet pas.
Deuxièmement parce que la Constitution est supérieure au texte législatif et donc ses
dispositions emportent celles de l’arrêté 2511. Et finalement parce que cet arrêté en
soumettant tous les DSP à l’authentification du haut commissaire signifiait la soumission
de ces contrats à une validation législative puisque le haut commissaire à l’époque
représentait ce pouvoir.

2- La théorie de l’octroi des délégations par décret

231. La règle générale est que toute délégation de service public, qu’il s’agit
d’un service public local ou national, nécessite la promulgation d’une loi. Ainsi la
délégation ne peut être donnée par voie d’un décret sans marquer une violation de la loi et
de la Constitution291 ouvrant la voie à un recours d’annulation pour excès de pouvoir292.
Pourtant cette règle n’est pas absolue et peut être atténuée par deux pratiques.

La première, renvoie aux lois d’habilitation par lesquels le législatif autorise l’exécutif
d’octroyer des délégations de service public par le biais d’un décret. Cette pratique n’est
pas moins utilisée au Liban. On cite l’exemple de la loi du 1 er Aout 1962293 relative aux
lignes de transports aériens par moyens des câbles métalliques, qui dispose dans son
troisième article que le conseil des ministres pourra, en vertu d’un décret et sur

290
Cour des Comptes Lib., Avis du 24 juin 2008, n o 46/2008, site de la cour des comptes libanaise
291
NASRALLAH Abbas, Droit administratif spécial, Dar Bilal, 2012, p. 37
292
C. Cass. Lib., chambre administrative, no 21 du 20 décembre 1951, Bulletin judiciaire, 4ème année, p.
383
293
Loi du 1er aout 1962 relative aux lignes de transports aériens par moyens des câbles métalliques, JO no
32 du 8 août 1962, p. 1254

137
proposition du ministre des travaux publics, octroyer une concession de construction et
d’exploitation des téléphériques et certifier l’acte de concession. Dans ce cas la durée de
la concession serait déterminée par un décret et non par une loi. Pourtant pour la
modification de cette durée, la règle principale instaurée par l’article 89 retrouve sa place
ce qui exige une intervention législative. Cette hypothèse a été confirmée par le Conseil
d’Etat294 pour mettre fin aux interprétations contradictoires.

La deuxième trouve sa source dans l’article 58 de la Constitution libanaise qui dispose


que : « Le présidente de la République peut, par décret pris sur l’avis conforme du
Conseil des ministres, rendre exécutoire tout projet de loi qui aura été déclaré urgent par
le gouvernement dans le décret de transmission pris sur l’avis conforme du Conseil des
ministres et sur lequel la Chambre n’aura pas statué dans les quarante jours qui suivent
son inscription à l’ordre du jour d’une séance plénière et sa lecture au cours de cette
séance ».

232. En conséquence, bien que la Constitution ait pris le soin de réserver


formellement l’aménagement de certains domaines aux lois telles les dispositions
relatives à l’établissement des impôts, du budget, aux emprunts publics et aux
concessions, rangées sous le titre des « Finances », elle a laissé la porte ouverte à certains
échappements en situation d’urgence

233. Il faut reconnaître, en effet, que dans la rédaction de l'article 58, n'apparait
aucun terme dont le sens pourrait impliquer une délimitation quelconque de son champ
d'application. Ainsi tout projet de loi avancé par le gouvernement remplissant les
conditions exigées par cet article aura force de loi une fois le délai des quarante jours est
dépassé, si urgence est justifiée. Dans un sens liminaire, L’octroi d’une délégation de
service public peut bien constituer un objet d’un projet de loi urgent. Et en application de
cette hypothèse la délégation serait octroyée exceptionnellement en vertu d’un décret. Et
par la suite c’est dans ce décret que va figurer la durée limitée de cette convention.

234. L'on est bien en droit, dans ces conditions, de concevoir un doute sérieux
sur la constitutionnalité et la légalité à la fois de nombreux décrets mettant en exécution
294
CE Lib., du 28 janvier 1982, Bulletin judiciaire 1987, p. 232

138
des projets de loi revêtus du caractère d'urgence, dont l'objet est de nature à empiéter sur
les matières que la Constitution a nommément confinées dans le domaine de la loi,

Le Conseil Constitutionnel apporta une interprétation distincte dans sa décision no


2/2002295 sur la loi no 393/2002 autorisant le gouvernement à octroyer deux permis pour
fournir les services du téléphone mobile. Dans le cadre de sa défense de la loi, le Conseil
juge que cette loi avait fixé les principes et les règles généraux ainsi que la durée de la
délégation et n’a laissé au gouvernement que la tache de prendre les mesures nécessaires
pour l’application de celle-ci par la voie d’un décret, ce qui entre nettement dans les
compétences du gouvernement en vertu de la Constitution. Par la suite, le Conseil décide
que la loi est conforme à la Constitution parce qu’elle n’a pas délégué les compétences du
pouvoir législatif à l’exécutif et n’a, de ce fait, pas violé le principe de la séparation des
pouvoirs.

Et malgré la restriction des cas dans lesquels la délégation peut être octroyée par un
décret, l’Administration n’a pas manqué des moyens de manipulation pour pouvoir faire
passer des délégations sans l’approbation du parlement par le biais non seulement des
décrets mais aussi des arrêtés ministériels296. Cette pratique a souvent été critiquée en
vain par le département de la législation et des consultations auprès du ministère de la
justice en affirmant la prohibition d’octroyer de tels contrats par le biais de l’exécutif297.

235. Par ailleurs, la question qui se pose lors de la détermination, et qui


intéresse surtout les candidats, est de savoir le moment durant lequel cette durée est
déterminée.

Paragraphe 2 : La phase de détermination de la durée

236. Mettant à part, le cadre spatial de la détermination de la durée des


conventions de délégation de service public, l’encadrement demeure inachevé si le

295
CC Lib., du 3 juillet 2002, no 2-2002, JO no 40 du 11 juillet 2002, p. 4907
296
Arrêté ministériel libanais, no 79 du 19 septembre 1986, exploitation du Resort du Palais du Mir
Amin ; Arrêté ministériel libanais, no 116 du 9 avril 1994, exploitation du Resort de Saida ; Arrêté
ministériel libanais, no 117 du 9 avril 1994, exploitation du Resort de Tyr ; Arrêté ministériel libanais, no
186 du 18 novembre 1993, exploitation de la Grotte de Jeita.
297
Département de la législation et des consultations auprès du ministère de la justice, Avis du 29 avril
1999 no 133/199, Recueil de jurisprudence, Tome 3, SADER, Beyrouth 2004, p. 4263

139
moment de la détermination reste dissimulé. Parce que divulguer cette phase permet, non
seulement de vérifier la partie responsable de sa détermination et sa nature contractuelle,
mais aussi de dévoiler l’importance de cette clause dans l’équilibre du contrat, et à
l’encontre des autres clauses financières. Donc il est important de déterminer avec
précision le moment de la fixation de la durée (A).

237. D’autre part, si la détermination du moment de la fixation de la durée


intéresse les candidats et leur assure une égalité, la détermination du point de départ de la
durée du contrat (B) est de sa part aussi indispensable puisqu’il profite tant aux usagers
qu’à l’Administration qui puisse, à partir de ce point, compter le temps restant pour la fin
de la délégation et le retour de son service sous sa propre gestion.

A- Le moment de la détermination de la durée

238. Les textes libanais comme français ont manqué la fixation de cette période.
On voit bien que la durée doit être déterminée et ceci avant l’octroi de la délégation. Mais
à quel moment précisément ? Face à ce silence législatif la doctrine libanaise ne s’est pas
unifiée et l’obscurité des pratiques n’a pas incité le juge libanais à mettre fin à cette
incertitude (1). Cependant, le juge administratif s’est efforcé de trouver une solution
admissible à la fois par la collectivité et les candidats concurrents à travers une
restauration jurisprudentielle (2) des lacunes.

1- L’absence d’unanimité doctrinale libanaise

239. La doctrine au Liban était plus réunie sur l’adoption d’une loi spécifique
pour chaque délégation et donc à l’écartement de la loi cadre, cependant elle parait moins
d’accord sur la question de l’antériorité ou la postériorité de la loi. Certains auteurs sont
sûrs qu’il s’agit d’une loi d’autorisation antérieure298 à la passation du contrat et que la
durée est déterminée dans celle-ci, d’autres sont aussi bien sûrs qu’il s’agit d’une loi
d’authentification, postérieure 299 à la conclusion du contrat et que la durée est reprise

298
FAHMI Moustafa Abou Zeid, Le régime parlementaire au Liban, op. cit., p. 471 ; RAYHAN Wafik, les
voies de modernisation dans l’acte administratif, Thèse, Université Libanaise 2000, p. 23 ; CHOKR
Zouheir, Interprétation de l’article 89 de la constitution, entretien du 20/08/2012
299
EL KOTB Marwan, Les modalités de privatisation des services publics, la concession, les sociétés

140
dans celle-ci après qu’elle a été déterminée dans le cahier des charges. D’autres pensent
qu’il doit s’agir de deux lois, antérieure et postérieure, et que la durée soit déterminée
dans la première et vérifiée dans la seconde et ceci exclusivement pour certains services,
surtout les plus importants et fondamentales300. La logique impose, selon ces derniers, la
présence de deux lois, une antérieure autorisant le recours à une délégation de service
public en posant les conditions et les principes que l’Administration est tenue de
respecter, et une postérieure certifiant le contrat passé et vérifiant le respect de
l’Administration aux dispositions de la loi d’autorisation. Rappelons au passage, que
l’approbation des grandes concessions de l’Etat en France nécessitait l’intervention du
législateur301 avant l’adoption de la Constitution de 1958 qui a conféré cette compétence
au pouvoir règlementaire.

240. L’hypothèse de la loi antérieure suppose la promulgation d’une loi


d’autorisation de passation de la convention en déterminant la durée et il revient à
l’Administration de choisir librement son contractant et les autres clauses du contrat. A
noter que dans certaines lois on peut même trouver le nom du délégataire que le
gouvernement a déjà préalablement choisi. Ainsi, la loi sera antérieure au contrat mais
pas à l’accord entre les deux parties. Toutefois, cette antériorité ne mettra pas le service
public à l’abri et retiendra une certaine dangerosité à l’égard des deniers publics 302, car la
fixation de l’objet du contrat et de sa durée ne suffiront pas pour empêcher toute tentative
de corruption ou de détournement de la loi que peut contenir le contrat. Une vérification
postérieure à la conclusion s’avère cependant indispensable surtout si l’on suppose que
l’on est vraiment dans une époque de méfiance à l’égard de l’Administration et de fin de
la théorie que l’on appelait au Liban théorie de la liberté absolue.

241. Quant à la jurisprudence administrative quoi qu’elle n’ait pas été saisie
pour procès ou même avis sur ce sujet, ses magistrats avaient des avis divergents.
L’ancien président du Conseil d’Etat Libanais, M. EL KHOURY considérait

mixtes, les BOT, la délégation de service public, op. cit., p. 99


300
CHOKR Zouheir, Interprétation de l’article 89 de la constitution, entretien du 20/08/2012
301
DE LAUBADERE Andrée, DELVOLVE Pierre, MODERNE Franck, Traité des contrats administratifs,
Tome 2, op. cit., p. 679
302
MOUROUWE Hiam, Le droit administratif spécial, les grands services publics et leurs modes de
gestion, l’expropriation, les travaux publics, le droit de l’urbanisme, MAJD, 2003, p. 104

141
expressément dans son manuel de droit administratif 303 que cette loi ne peut être que
postérieure. Le contrat de concession muni de tous ses documents sera soumis au contrôle
postérieur du parlement sinon le contrat serait entaché de nullité. D’autres magistrats
avaient un avis opposé et considéraient que la loi est antérieure à la passation de la
convention 304 . La loi d’autorisation précisera le bénéficiaire de la délégation octroyée
ainsi que sa durée en laissant à l’Administration la tâche de signer le contrat et d’établir
un cahier de charges déterminant les droits et les obligations des deux parties 305 . En
revanche, la seule autorité compétente pour intervenir et trancher définitivement ce
dilemme est le Conseil Constitutionnel, mais ce dernier n’a jamais été saisi sur ce point
malgré l’abondance des lois confiant la gestion des services publics sous forme de
délégation.

242. Pour sa part, la pratique des conventions de délégations de services publics


au Liban n’a fait emporter aucune des hypothèses sur l’autre, puisque autant qu’il y a des
exemples de lois antérieures 306 , il existe des lois postérieures 307 . Toutefois, la durée
déterminée dans les lois d’autorisation représente parfois la durée maximale permise et
non la durée effective du contrat, mais souvent l’Administration et son délégataire ne
choisissent pas, dans le contrat, une durée inferieure à celle-ci308. Cependant la totalité
des lois d’autorisations antérieures aux années 90 mentionnaient en plus de la durée de la
convention le nom du délégataire309 ce qui confirme d’une part, l’hypothèse de la nature

303
EL KHOURY Youssef Saadallah, Recueil du droit administratif, Tome 2, La gestion du service public :
l’établissement public et les contrats de concession, op. cit., p. 279
304
JABER Walid, La durée des DSP, entretien du 09/07/2012
305
ABOU RJEILY Khalil Saiid, « Les contrats administratifs au Liban », RJA, no 9, 1996, p. 7, spec. p. 16
306
Loi no 218/1993 du 13 mai 1993, relative à l’autorisation du Ministère des Postes
et Télécommunications libanais de passer un appel d’offre universel pour la réalisation du projet du
système radiophonique, JO no 20 du 20 mai 1993, p. 413 ; Loi no 393/2002 du 1er juin 2002, relative à
l’autorisation du gouvernement d’octroyer deux délégations pour fournir les services téléphoniques
portables, JO no 31 du 1er juin 2002, p. 3901 ; Loi no 549/2003 du 20 octobre 2003, relative à la
planification, financement, développement, reconstruction et exploitation des raffineries de Tripoli et du
Zahrani, JO no 48 annexe du 22 octobre 2003, p. 161
307
Loi du 31 mai 1930 relative à l’authentification de la concession de distribution de l’énergie électrique
octroyée à la société d’éclairage de la ville de Bhamdoun. Le cahier de charge fixant la durée de la
concession dans son article 21 date du 17 avril 1930, donc antérieur à la loi ; contrat de gestion et
d’exploitation du port de Beyrouth datant de 13 avril 1960 et validé par la Loi du 31 mai 1960
308
Décret no 8206 du 13 juillet 2002 en application de la loi no 393/2002 du 1er juin 2002, relative à
l’autorisation du gouvernement d’octroyer deux délégations pour fournir les services téléphoniques
portables, JO no 40 annexe du 15 juillet 2002, p. 5
309
Loi du 25 mai 1950 relative à l’octroi de l’exploitation de la zone franche à Tripoli, JO no 22 du 31 mai

142
contractuelle de la durée et son caractère négociable et prouve d’autre part, que même si
la loi où figure la durée est antérieure à la passation du contrat, elle reste postérieure à la
négociation de la délégation, ce qui veut dire que l’Administration déterminait la durée
du contrat par un accord tacite et préalable avec le délégataire qu’elle a librement choisi.
Ceci était admis sans aucune contestation, au moins doctrinale, surtout en raison de
l’absence de concurrence et la passation des contrats de gré à gré en domaine des DSP.
Néanmoins, depuis les années 90 et avec la survenue et le développement de la pratique
des BOT dans le système juridique Libanais avec tout ce qui l’accompagne d’exigence de
mise en concurrence et de publicité préalable, la détermination de la durée s’est divisée
en deux phases : Dans la première, le parlement détermine la durée maximale autorisée
dans la dite délégation. Dans la deuxième, la durée serait présentée comme une clause
négociable entre l’Administration et son délégataire mais qui est probablement
déterminée par la première dans la phase d’appel d’offre mais rien n’interdit qu’elle soit
modifiée au cours des négociations. Cependant, aucun procès n’a été enregistré contestant
le changement de la durée entre le document de l’appel d’offre et le cahier de charges
final et ceci pour la simple raison, comme on vient de dire, que l’Administration adopte
souvent la durée maximale autorisée ce qui convient à tous les candidats qui ne
présenteront plus, de ce fait, une offre avec une durée inferieure à ce plafond. Le principe
de transparence des procédures n'impose pas, au Liban et surtout en matière de délégation
de service public, l'établissement de critères de sélection dans la mesure où la collectivité
publique choisit librement son délégataire.

243. Pour conclure sur ce point et trancher en même temps la nature de la


clause de la durée au Liban, le département de la législation et des consultations auprès
du ministère de la justice a annoncé dans un avis rendu en 2000310 que la durée peut être
déterminée aussi bien par le pouvoir législatif que par l’Administration contractante dans
l’hypothèse où le législateur habilite cette dernière par le biais d’une loi d’autorisation de
passer un contrat de DSP en lui laissant la faculté de déterminer sa durée. Dans le premier

1950, p. 337 ; Loi du 23 mai 1929 relative à l’usage des cascades de la rivière de Safa pour la production
de l’énergie électrique, JO no 2239 du 27 mai 1929, p. 2
310
Département de la législation et des consultations auprès du ministère de la justice Lib., Avis du 11
septembre 2000, no 560/2000 sur la suspension de la durée de la concession d’électricité de Zahlé, Recueil
de jurisprudence, Tome 3, SADER, Beyrouth 2004, p. 3302, spec. p. 3305

143
cas, la durée aura le critère règlementaire, dans le second, elle aura le critère d’une clause
contractuelle.

2- La restauration jurisprudentielle française

244. La situation en France n’était pas moins ambiguë. L’article 40 de la Loi


Sapin devenu article L. 1411-2 du CGCT ne présentait aucune mention concernant le
moment de la détermination de la durée dans la convention. Il se contentait d’exiger la
fixation de celle-ci par la collectivité sans présenter aucune indication supplémentaire sur
les modalités de la fixation.

245. Par ailleurs, il résulte de l’article 38 de la loi codifié à l’article L. 1411-1


du CGCT et de l’article 1er du décret no 93-471 du 24 mars 1993 codifié à l’article R.
1411-1 du CGCT que la délégation est soumise à une procédure de publicité permettant
la présentation de plusieurs offres concurrentes. Les candidats seront sélectionnés en
fonction de « leurs garanties professionnelles et financières ». Cette publicité doit
également préciser « les modalités de présentation de ces offres » et mentionner « les
caractéristiques essentielles de la convention envisagée, notamment son objet et sa
nature ». Une fois les candidatures retenues par la commission d’ouverture des plis,
l’article L. 1411-1 ajoute que « La collectivité adresse à chacun des candidats un
document définissant les caractéristiques quantitatives et qualitatives des prestations
ainsi que, s'il y a lieu, les conditions de tarification du service rendu à l'usager ».
Pourtant ces dispositions n’ont pas le mérite de déterminer fermement si la durée doit
figurer parmi les caractéristiques essentielles que doit contenir l’avis d’appel à
candidatures ou parmi les caractéristiques devant figurer au document fourni plus tard par
la collectivité.

246. Le juge administratif s’est efforcé, et à plusieurs reprises, de trouver une


réponse à cette polémique. Sa jurisprudence n’était pas constante, et révélait des montées
et des descentes dans la position du juge administratif sur ce point.

Jusqu'à l’an 2000, la durée était déterminée précisément dans l’avis d’appel public à
candidatures. On pensait qu’elle constituait l’un des facteurs encourageant ou

144
décourageant les candidats à présenter leurs offres. Les modèles d’avis d’appel public à
candidatures de l’époque311 reflétaient cette pensée.

247. Dans une première déviation, Le Tribunal administratif de Versailles 312


considéra que le délégant est tenu, lors de la procédure de publicité ou de recueil des
offres, d’informer les candidats des caractéristiques quantitatives et qualitatives des
prestations attendues et notamment de la durée de la délégation. Si la mention de la durée
ne figure ni dans l’appel public à la concurrence ni dans le dossier de consultation la
convention a été passée en violation de ces obligations.

248. Dans une démarche beaucoup plus lente, le Conseil d’Etat jugea, en
premier lieu, une procédure comme régulière bien que l’avis d’appel public à la
concurrence ne mentionne pas la durée de la convention. Cependant le Conseil d’Etat
atténuait sa décision en jugeant que c’est seulement dans la mesure où cette information
figurait dans le dossier de consultation remis aux candidats qui ont répondu à l’avis.
Ainsi, l’absence de précision de l’avis est levée dès la première phase de consultation. Le
commissaire retenait que la durée est au nombre des éléments fondamentaux de la
description de la DSP, mais il se posait des questions pertinentes à relever : « en quoi le
fait de ne pas mentionner cette durée dans l’avis d’appel à concurrence a-t-il pu, au
stade de cet avis, constituer un manquement concret à une obligation de publicité ou de
mise en concurrence ? En quoi cela a-t-il pu dissuader certains operateurs, ou en mettre
inutilement d’autres en mouvement ? »313

249. En 2003 le commissaire du gouvernement dans ses conclusions sur l’arrêt


AP-HP 314 considéra que la durée de la DSP ne fait pas nécessairement partie des
caractéristiques essentielles de la concession, mais qu’elle continue à devoir être portée
systématiquement à la connaissance des candidats présélectionnés avant qu’ils ne

311
CADIEU Pascal, LE ROY Richard, La procédure des contrats de délégation de service public, éditions
Territorial- L’essentiel sur, Voiron, avril 1999, p. 43.
312
TA Versailles 6 janvier 2000, Préfet Essonne c/ Vigneux-sur-Seine, Droit administratif 2000, comm
no55, p. 19
313
PIVETEAU Denis, Conclusions sur CE 25 juillet 2001, no 231319, Syndicat des eaux de l’Iffernet,
BJCP no 19, novembre 2001, p. 530, spec. p. 533
314
PIVETEAU Denis, Conclusions sur CE 28 mai 2003, no 248429, AP-HP, BJCP, no 30, septembre 2003,
p. 390

145
présentent leurs offres. Cette solution n’a pas été vue comme « un infléchissement »315 à
celle de 2001, au contraire, la durée continue à être essentielle devant figurer dans l’avis
d’appel à candidatures sauf lorsque cette durée est usuelle.

250. Cependant dans un jugement du tribunal administratif de Marseille, le juge


a considéré que « si la durée de la délégation fait partie des caractéristiques
quantitatives et qualitatives des prestations attendues dont les candidats doivent être
informés, l'avis d'appel public à la concurrence précise que la durée de la délégation se
situe entre treize et dix-huit ans à compter de la notification ; qu'ainsi la procédure n'est
pas entachée d'irrégularité sur ce point, aucune obligation n'imposant de préciser une
durée ferme » 316 . Dans la même ligne de pensée, le Conseil d’Etat considéra que si
l'autorité délégante a choisi de faire connaitre ses critères de sélection des offres dans
l’avis d’appel public à candidature, elle ne peut modifier ceux-ci en cours de procédure
sans méconnaitre les principes de transparence et d'égalité de traitement des candidats.
Elle peut simplement préciser le sens et la portée de ces critères317. Ceci revient à dire que
la collectivité publique n’est même pas obligée de déterminer la durée depuis la phase de
l’avis d’appel à candidatures.

Au contraire, cette solution a paru être rejetée par le Tribunal administratif de Caen dans
une affaire où la société requérante prétendait qu’en ce bornant à rappeler, dans l’avis de
publication à la concurrence, la durée maximale applicable aux conventions de
délégations de casinos et en s’abstenant de déterminer la durée de la concession à
octroyer, la collectivité aurait méconnu les dispositions de l’article L. 1411-2 du CGCT et
porté atteinte aux principes d’égalité et de transparence. Le tribunal jugea que la durée
maximale ne saurait suffire à renseigner les candidats, pour la présentation de l’offre, sur
ce qui constitue une « caractéristique » de la convention au sens de l’article L. 1411-1 du
CGCT318. La cour administrative d'appel de Marseille estima, à son tour, que « la durée

315
CHEYLAN Fréderic, Conclusions sur TA Caen, 2 mai 2006, no 0500398, Société des hôtels et casinos
de Deauville, BJCP, septembre 2006, n° 47, p. 286, spec. p. 288
316
TA Marseille, 6 juillet 2005, no 053889, Société SOMEDIS
317
ECKERT Gabriel, Note sous CE, 20 octobre 2006, no 287198, Communauté d'agglomération Salon –
Étang de Berre – Durance, Contrats et Marchés publics, n° 12, Décembre 2006, comm. 322, p. 17
318
CHEYLAN Fréderic, Conclusions sur TA Caen, 2 mai 2006, no 0500398, Société des hôtels et casinos
de Deauville, BJCP, septembre 2006, no 47, p. 286, spec. p. 288

146
de la délégation, qui doit être déterminée par la collectivité délégante en fonction des
prestations qu'elle demande au délégataire, constitue l'une des caractéristiques
quantitatives dont les candidats admis à présenter une offre doivent obligatoirement être
informés préalablement au dépôt de leur offre »319.

251. Dans sa décision Musée Rodin, le Conseil d’Etat jugea que le musée en
n’ayant pas fait connaitre aux candidats la durée de délégation, « le juge des référés n’a
donc pas commis d’erreur de droit en jugeant que l’établissement public (…) en ne
portant pas à la connaissance des candidats la caractéristique essentielle de la
délégation relative à sa durée (…) avait par conséquent méconnu les règles de publicité
et de mise en concurrence » 320 . Cependant cette jurisprudence fut critiquée 321 car en
imposant dans un contrat d’affermage, où les investissements à réaliser sont nuls,
d’indiquer la durée même prévisionnelle, on contraint le délégant à figer sa mise en
concurrence. La duree d’une delegation est fonction de son equilibre financier, c’est
pourquoi l’obligation de son indication préalable limiterait « et l’initiative des candidats
et l’amplitude de leurs propositions tarifaires ». Il serait préférable de laisser aux
concurrents la liberté de détermination des investissements qu’ils souhaiteraient réaliser
et d’en tirer les conséquences en termes d’équilibre financier et de durée322.

252. Dans un arrêt du 15 décembre de la même année323, le Conseil d’Etat a


confirmé le jugement du Tribunal administratif. Dans ce cas d’espèce l'avis d'appel public
à la concurrence fixait la durée de la convention à quinze ans, tout en proposant aux
entreprises intéressées des options portant sur des durées de dix ou de vingt ans. L’un des
moyens avancés par les requérants était l'insuffisance de l’information sur les critères
d'appréciation des offres au regard des différentes possibilités de durée. Le juge des
référés précontractuels a estimé « que la collectivité délégante, en fixant, dans l'avis
d'appel public à la concurrence, la durée de principe du contrat à quinze ans, tout en

319
ECKERT Gabriel, Note sous CAA Marseille, 26 mars 2007, n° 04MA00412, Commune
Briançon, «Durée des délégations de service public », Contrats et Marchés publics no 6, juin 2007, comm.
193, p. 29, spec. p. 30
320
CE, 23 mai 2008, no 306153, Musée Rodin, Rec. 2008, tables, p. 805
321
LINDITCH Florian, Note sous CE, 23 mai 2008, no 306153, Musée Rodin, JCP A, no 31-35, 28 juillet
2008, 2184, p. 26, spec. p. 28
322
Idem
323
CE, 15 décembre 2008, no 312350, Communauté intercommunale des villes solidaires.

147
proposant aux sociétés candidates des options portant sur des durées de dix et vingt ans,
sans préciser les circonstances qui étaient de nature à justifier une offre sur dix ou sur
vingt ans, ni les conditions dans lesquelles elle apprécierait les différentes offres au
regard de la durée du contrat, n'avait pas donné aux entreprises candidates à la
délégation de service public une information suffisante sur les critères d'appréciation des
offres concurrentes »324. Le Conseil d’Etat considéra qu’en jugeant que l'imprécision qui
découlait des documents soumis aux entreprises était susceptible de léser les sociétés
requérantes, le juge des référés n'a pas entaché son raisonnement d'erreur de droit, et
qu’en « ayant souverainement apprécié que l'absence de précision quant à la durée
exacte de la délégation ne donnait pas aux entreprises candidates une information
suffisante sur les critères d'appréciation des offres, le juge des référés n'a pas commis
d'erreur de droit en jugeant que la communauté intercommunale des villes solidaires
avait pour ce motif méconnu ses obligations de publicité et de mise en concurrence »325.

253. Cependant l’intérêt de cette décision c’est qu’elle confirma l’idée que la
durée de la délégation de service public peut ne pas être fixée par la collectivité délégante
dans les pièces de la procédure de passation que ce soit dans l’avis d'appel public à
concurrence ou dans le cahier des charges de la procédure, mais peut être un des aspects
sur lesquels portent la mise en concurrence et la discussion des offres. De surplus, les
autorités délégantes peuvent faire de la durée de la convention de délégation de service
public qu'elles entendaient conclure un objet de négociation326 en prouvant que ni le Code
général des collectivités territoriales ni le Conseil Constitutionnel n'ont exigé d'indiquer
préalablement et exactement la durée de la délégation. En cela le Conseil d'État met fin
aux hésitations des juges du fond. Ce qui compte pour le juge c’est que la collectivité
délégante veille, lorsque la détermination de la durée de la délégation de service public
est soumise à la concurrence, à apporter aux entreprises candidates « une information

324
ECKERT Gabriel, Note sous CE, 15 décembre 2008, no 312350, Communauté intercommunale des
villes solidaires, «La mise en concurrence peut porter sur la durée de la délégation de service public»,
Contrats et Marchés publics no 2, février 2009, comm. 58, p. 31.
325
Ibid, spec. p. 32
326
DIEU Frédéric, Note sous CE, 15 décembre 2008, no 312350, Communauté intercommunale des villes
solidaires, et CE, 4 février 2009 no 312411, Communauté urbaine Arras, « De la durée fixée à la durée
négociée - L'évolution de la jurisprudence relative à la durée des conventions de délégation de service
public », La Semaine Juridique Administrations et Collectivités territoriales no 18, 27 Avril 2009, 2102, p.
27

148
suffisante sur les critères d'appréciation des offres ».

254. Toutefois, le Conseil d'État considéra que la collectivité peut indiquer les
durées potentielles de la délégation au regard desquelles s'exerce la concurrence, à
condition que ces potentialités n'induisent pas une incertitude telle qu'elle empêcherait les
candidats de présenter utilement une offre et que donc la publication d'une durée
« fourchette » dans l'avis d'appel public à la concurrence n’est pas interdit 327. Il apparait
donc que l'autorité délégante n'est pas tenue, dès la procédure de passation, de fixer une
durée contractuelle fixe et invariable. Elle peut prévoir une durée plafond assortie de
plusieurs options plus courtes. Ce n’est donc qu’au stade de la négociation des offres que
sera choisie la durée précise et ferme du contrat « puisque c'est seulement à ce stade, et
même à l'issue de ce stade, que seront connues les prestations ou les investissements
demandés au délégataire »328.

255. À la vue de cette décision, la collectivité publique est dorénavant invitée,


dans le cas d’une proposition d’une durée contractuelle plafond, d’indiquer clairement,
outre les précisions apportées sur les critères de sélection, qu'il s'agit d'une durée
maximale et que les offres pourront proposer une période d'exécution plus courte. Dans
sa décision du 21 mai 2010, le Conseil d’Etat considéra que « la solution la plus
sécurisante consiste d'ailleurs pour l'autorité délégante à proposer différentes durées en
fonction desquelles, et dans la limite de la durée plafond, les candidats pourront formuler
leur offre » 329. En l’espèce, le Conseil d'État a écarté le moyen tiré de la différence de
rédaction entre l'avis d'appel public à la concurrence et le règlement de consultation parce
qu’il a considéré qu'il ne s'agissait pas d'une durée plafond mais d'une durée ferme.

Pourtant le Conseil d’Etat avait déjà confirmé cette idée à l’avance en décidant que
« pour assurer le respect des principes généraux du droit de la commande publique, la

327
ECKERT Gabriel, Note sous CE, 4 février 2009, no 312411, Communauté urbaine d’Arras, « Durée de
la délégation de service public », Contrats et Marchés publics no 4, avril 2009, comm. 142, p. 35
328
DIEU Frédéric, Note sous CE, 15 décembre 2008, no 312350, Communauté intercommunale des villes
solidaires, et CE, 4 février 2009 no 312411, Communauté urbaine Arras, « De la durée fixée à la durée
négociée - L'évolution de la jurisprudence relative à la durée des conventions de délégation de service
public », art. prec., spec. p. 29
329
VILA Jean-Baptiste, Note sous CE, 21 mai 2010, no 334845, Commune Bordeaux / Société Les
Nouveaux Golfs de France, La Semaine Juridique Administrations et Collectivités territoriales n° 39, 27
Septembre 2010, 2291, p. 28, spec. p. 31

149
personne publique doit apporter aux candidats à l'attribution d'une délégation de service
public, avant le dépôt de leurs offres, une information sur les critères de sélection des
offres ; et la circonstance que les dispositions de l'article 38 de la loi du 29 janvier 1993
relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des
procédures publiques prévoient seulement que, après avoir dressé la liste des candidats
admis à présenter une offre, la collectivité publique « adresse à chacun des candidats un
document définissant les caractéristiques quantitatives et qualitatives des prestations
ainsi que, s'il y a lieu, les conditions de tarification du service rendu à l'usager », est sans
incidence sur l'obligation d'informer également ces candidats des critères de sélection de
leurs offres »330. Le Conseil d’Etat jugeait, contrairement à la conclusion du rapporteur,
que, pour respecter le principe de la libre négociation, il ne serait pas nécessaire à cette
phase de fixer une hiérarchisation ou pondération331. Ainsi la collectivité publique n'est
pas tenue d'informer les candidats des modalités de mise en œuvre de des critères de
sélection des offres. Elle choisit le délégataire, après négociation, au regard d'une
appréciation globale des critères, sans être contrainte par des modalités de mise en œuvre
préalablement déterminées 332 . Cependant ce qui est intéressant à relever, est que le
Conseil d’Etat avait jugé que l’avis d’appel à candidatures ou le règlement de
consultation doit indiquer les critères de sélection des offres. Donc la durée peut être
déterminée tant dans l’une que dans l’autre, la seule exigence étant que les candidats en
soient informés avant le dépôt de leurs offres.

Dans le même sens, un arrêt plus récent rendu par la Cour d’Appel de Marseille affirme
que la durée de la convention de délégation de service public à conclure peut ne pas
figurer, à priori, ni dans l'avis d'appel à la concurrence ni dans le dossier de consultation
des entreprises. Ces deux documents peuvent se contenter uniquement de l'indication
d'une durée minimale333

330
DREYFUS Jean-David, Note sous CE du 23 décembre 2009, no 328827, Etablissement public du musée
et du domaine national de Versailles, « L'obligation d'informer les candidats à une délégation de service
public des critères de sélection des offres », AJDA, 2010, p. 500
331
Idem
332
DREYFUS Jean-David, Note sous CE du 23 décembre 2009, no 328827, Etablissement public du musée
et du domaine national de Versailles, « L'obligation d'informer les candidats à une délégation de service
public des critères de sélection des offres », art. prec., spec. p. 502
333
UBAUD-BERGERON Marion, Note sous CAA Marseille, 15 mars 2013, no 10MA01965, Société

150
256. Toutefois, au cours des négociations, les candidats sont autorisés à
modifier leurs offres334. Mais la liberté de négociation n’est pas absolue. Elle trouve sa
limite dans le contenu du document descriptif des prestations et dans l’obligation de
respecter le principe d’égalité entre les candidats. « Seules les modifications non
substantielles peuvent être apportées aux conditions fixées initialement et en ce cas tous
les candidats doivent être mis à même de modifier leurs offres »335.

B- Le point de départ de la durée

257. Il est vrai que la détermination de la durée s’opère par la connaissance de


son terme, mais aussi par son point de départ qui doit être précisément fixé336. Dans le cas
contraire, la convention peut être considérée comme non limitée dans sa durée, ce qui est
contraire au premier alinéa de l'article L. 1411-2 du C.G.C.T. selon lequel les conventions
de délégation de service public doivent être limitées dans leur durée. Par ailleurs, il peut
s’agir de cas évidents (1) où le point de départ est bien déterminé à l’avance, mais il peut
y avoir certains cas plus complexes (2) où seul le juge administratif a pu le déterminer.

1- Les cas les plus évidents

258. Avant 1982, le point de départ, à la fois, pour les contrats de concessions
et d’affermage était la date de l’approbation du contrat par l’autorité compétente, à savoir
l’autorité de tutelle pour les contrats passés par les collectivités locales337. Cette référence
figurait dans certains cahiers de charges-types de concession338 et d’affermage339. À noter
que cette approbation, qui est normalement expresse, pouvait être tacite, si à l’échéance

ADPRY, Contrats et Marchés publics 2013, comm. 172


334
CASAS Didier, Conclusions sur CE 9 aout 2006, CGE, BJCP no 49/ 2006, p. 448.
335
PIVETEAU Denis, Conclusions sur CE 15 juin 2001, SIAEP de Saint-Martin de Re, BJCP 2001, no 18,
p. 415
336
CAA Bordeaux, 15 novembre 1999, Savary et Teisseire, no 97BX02131, in DELAIRE Yves, La
délégation des services publics locaux, Paris, Berger-Levrault, 3ème édition, novembre 2008, p. 301
337
DE LAUBADERE Andrée, DELVOLVE Pierre, MODERNE Franck, Traité des contrats administratifs,
op. cit., Tome 2, p. 679
338
Article 13 du décret no 66-36 du 6 janvier 1966, cahier des charges type des concessions d’opération de
construction à usage locatif, JO du 9 janvier 1966, p. 289, spec. p. 290
339
Article 22 du décret du 28 novembre 1953, cahier des charges général pour l’affermage de gares
routières publiques de voyageurs, JO du 6 décembre 1953, p. 10886, spec. p. 10888 ; Décret du 16 octobre
1981, cahier des charges type pour l’exploitation par affermage d’un service d’assainissement, JO du 23
octobre 1981, p. 9383.

151
du délai accordé à l’autorité compétente pour émettre son approbation aucune décision
n’était intervenue. La loi de décentralisation est venue mettre fin au système
d’approbation tacite et expresse. Ainsi, la référence à cette date pour détecter le point de
départ de la durée de la convention n’est plus valable. Au surplus, les cahiers de charges
types n’ont plus désormais qu’un critère indicatif qui servira comme modèle aux
collectivités territoriales sans aucune obligation de s’y conformer. Par ailleurs, certains
cahiers stipulaient que la durée est fixée à partir du moment de la signature de la
convention : « à partir de la date d’intervention de l’acte de concession »340. D’autres
déterminaient le point de départ de la durée en fonction de la mise en service des
installations ou de la mise à la disposition du cocontractant des installations affectées au
service : « année de la mise en service de la moitié de la longueur de l’autoroute »341.
Cette date pouvait même être déterminée par les parties contractantes342.

259. Au Liban, la situation est à peu près semblable, il n’existe pas une seule
règle de détermination du point de départ de la durée de la convention mais souvent celle-
ci est fixée dans la loi d’octroi de la délégation. Ainsi celle-ci est souvent liée à la date
d’authentification du contrat 343 . Pourtant la référence à la loi d’authentification figure
dans le cahier de charge lui-même ou dans le contrat de concession344. Dans ce cas, et
sauf stipulation contraire, la durée commence à couler à partir de la promulgation de la
loi et n’aura aucun rapport avec le début ou la fin des travaux et il faut de ce fait revenir à
cette date là pour déterminer la fin de la délégation. Cependant au cas où la durée est
déterminée par la loi elle-même, cette dernière peut disposer que le compteur est mis en
marche à partir de la date de la promulgation ou bien d’une date postérieure qui sera bien
déterminée.

340
Article 31 du décret no 48-450 du 16 mars 1948, Cahier des charges général pour les concessions de
gares routières de voyageurs, JO du 19 mars 1948, p. 2770, spec. p. 2773.
341
Article 36 du décret du 12 mai 1970, Cahier des charges de la construction et de l’exploitation des
autoroutes A. 10 et A. 11, JO du 13 mai 1970, p. 4509, spec. p. 4515
342
Article 3 de la circulaire du 23 novembre 1982, Modèle de contrat pour la distribution d’énergie par
concession, JO du 5 mars 1983, p. 2392
343
Article 21 du cahier des charges de la concession de distribution de l’énergie électrique à Bhamdoun, du
17 avril 1931
344
Département de la législation et des consultations auprès du ministère de la justice Lib., Avis du 14
septembre 2000, no 597/2000 sur l’ajournement du point de départ de la durée de la concession octroyée à
la société d’électricité de Jbeil, Recueil de jurisprudence, Tome 3, SADER, Beyrouth 2004, p. 3306

152
Il arrive aussi que le point de départ de la durée soit fixé dans le contrat lui-même ou bien
même le contrat pourrait faire référence, pour la détermination du point de départ, à un
décret qui serait élaboré par l’Administration345. Et cette date peut bien être différente de
la date de signature du contrat.

2- Les cas un peu plus complexes

260. Généralement, les conventions de délégation de service public entrent en


vigueur dès leur signature et leur transmission au contrôle de légalité. Il n’est pas normal,
qu’une convention puisse adopter une durée qui commence à courir à une date antérieure
au commencement d'exécution346, mais semble bien pouvoir fixer le point de départ de
leur durée à une date postérieure347. Cependant la seule condition exigée, est que celui-ci
soit déterminé avec suffisamment de précision. À défaut de précision, le juge
administratif se permet d’annuler la procédure de passation de cette délégation car une
telle ambigüité portera atteinte à l’article L. 1411-2 du CGCT aux termes duquel « les
conventions de délégation de service public doivent être limitées dans leur durée ».

Tel était le cas d'une convention dont une clause indiquait que la durée du contrat
« commence à courir seulement à compter du premier jour du semestre civil suivant la
date de mise en exploitation intégrale » des immeubles dont la rénovation était prévue
alors que les délais d’exécution de ces obligations n'étaient ni déterminés ni
déterminables. En effet la cour d’appel de Bordeaux348 avait considéré « qu'aux termes de
l'article 15 du traité de concession litigieux, « compte tenu des caractéristiques
particulières de l'opération [...], le présent contrat prendra effet le 1er avril 1996. Il aura
une durée de trente ans commençant à courir seulement à compter du premier jour du
semestre civil suivant la date de mise en exploitation intégrale de l'ensemble du dispositif
décrit à l'article 11 » ; qu'en vertu des stipulations dudit article 11 le déroulement des
travaux comprend six phases dont une phase 5 (début des travaux de rénovation du
bâtiment de la halle B en fonction de sa destination définitive précisée par l'avenant
prévu à l'article 66) et une phase 6 (remise des bâtiments à la collectivité en toute
345
NABOLSI Nasri Mansour, Les effets des contrats administratifs en droit libanais, op. cit., p. 27
346
CE, du 4 février 1991 Ville de Caen, Rec. CE Tables p. 755
347
CE, 4 juillet 1975, Société générale technique, Rec. CE, tables p. 1129
348
CAA Bordeaux, 15 novembre 1999, n° 97BX02131, MM. Savary et Teisseire, AJDA 2000 p. 271

153
propriété dès leur achèvement et mise en exploitation progressive puis intégrale de la
halle B) ; qu'en l'absence de toute précision, d'une part, quant à la date à laquelle la
destination définitive de la halle B devait être précisée, d'autre part, quant aux délais
dans lesquels les travaux de rénovation du bâtiment de ladite halle devaient commencer,
et, enfin, quant au délai dans lequel la mise en exploitation de la même halle devait
intervenir, le traité de concession ne peut être regardé comme limité dans sa durée ;
qu'ainsi l'article 15 de ce traité ne répond pas aux exigences posées par l'article 40 de la
loi du 29 janvier 1993 précité ; qu'en approuvant ledit article, lequel présente un
caractère indissociable des autres clauses eu égard à l'économie générale du contrat, le
conseil municipal a entaché sa délibération d'illégalité »349

261. La solution au Liban est plus simple mais beaucoup plus dangereuse. En
effet l’absence de détermination du point de départ de la durée de la convention, n’affecte
pas cette dernière qui ne sera pas entachée de nullité. Il revient, dans ce cas, au juge
administratif de prendre sur lui cette mission. À noter que le juge ne peut intervenir
d’office mais il serait obligé d’attendre qu’un litige aura lieu entre les contractants. Cette
observation n’est ni justifiée ni conforme à l’esprit de l’article 89 et il serait peut être
temps que le juge administratif se comporte comme un vrai juge du contrat et sanctionne
les contrats qui ne mentionnent pas clairement leur point de départ.

Dans sa décision, le Conseil d’Etat libanais avait considéré que l’Administration pourrait
ajourner, pour une durée n’excédant pas un an, l’exécution des travaux publics
conformément à l’article 34 du cahier des charges et des dispositions générales. Il s’agit
d’un des privilèges de l’Administration qui ne lui fait supporter une responsabilité pour
faute 350 . Ainsi dans les conventions de délégations de service public nécessitant
l’accomplissement de certains travaux avant la gestion du service, l’Administration
pourra renvoyer le début de ces travaux jusqu'à un an et ainsi renvoyer le point de départ
de la durée un temps équivalent. Cependant ce droit n’est pas absolu et l’Administration
est soumise à une obligation d’indemniser son délégataire pour ce retard. Et une fois, la
durée d’un an est dépassée sans que l’autorisation de commencement de l’exécution soit

349
CAA Bordeaux, 15 novembre 1999, n° 97BX02131, MM. Savary et Teisseire, AJDA 2000 p. 271
350
CE Lib., no 117 du 2 juillet 1987, RJA 1989, p. 196

154
donnée, le délégataire pourrait demander la résiliation du contrat sur la charge de
l’Administration351.

262. Que ce soit au niveau de la place de la durée ou aussi et surtout au niveau


de la phase de la détermination de la durée et son point de départ, la variété des décisions
rendues par les juridictions libanaises et françaises ainsi que les différents points de vue
doctrinaux mettent en évidence l’ampleur de ce problème, montrent l’embarras qui
affecte les juridictions en raison de l’absence de l’unanimité, et reflètent en particulier
l’importance de la détermination de cette clause et l’absence d’accord sur son rôle et sa
place vis-à-vis de la collectivité, le délégataire et le service public.

Pourtant étudier la détermination de la durée revient automatiquement à étudier les


encadrements de sa prolongation tout le long de l’exécution du contrat, car prétendre
limiter la durée des DSP sans engager la question de leur prolongation aurait en effet
sérieusement obéré l’efficacité de la Loi du 29 janvier 1993.

Section II : Le raffinement de l’encadrement

263. Avant l’intervention de la Loi Sapin, les délégations de service public


pouvaient être renouvelées ou prolongées au delà du terme initialement prévue sans
aucune contrainte à part le consensus des parties contractantes. Cette situation assurait, en
pratique, aux délégataires une gestion perpétuelle du service qu’ils ont une fois détenue.
Cette prolongation et ce renouvellement peuvent bien intervenir au cours de l’exécution
du contrat ou également au moment de son expiration. Ainsi les parties expriment leur
volonté de renouveler ou de prolonger le contrat par le biais d’un avenant à la
convention352.

264. Pourtant l’arrivée de la Loi Sapin va renverser les règles. Après des années
de reconductions incontrôlées des conventions ainsi de la mise sur la charge du
délégataire des dépenses injustifiables, on assistera à la suppression des pratiques
désormais inappropriées (paragraphe 1). Toutefois, pour des raisons liées à l’intérêt du

351
Tribunal administrative spécial, du 15 décembre 1958, Recueil AL CHIDIAC, 1959, p. 13
352
DE LAUBADERE Andrée, DELVOLVÉ Pierre, MODERNE Franck, Traité des contrats administratifs,
Tome 2, op. cit., p. 685.

155
service, la prolongation de la convention est maintenue (paragraphe 2). Mais cette
prolongation ne ressemble en aucun cas à la prolongation connue auparavant. Si les
contractants pouvaient prolonger infiniment la délégation sans être soumis à aucune
obligation de forme ou de fond, la loi Sapin a dressé un encadrement de cette
prolongation au delà duquel toute prolongation serait jugée inadmissible et par la suite
abrogée par le juge du contrat.

Paragraphe 1 : La suppression des pratiques inappropriées

265. Dans le but de garantir la périodicité de la mise en concurrence, la Loi


Sapin a choisi de limiter rigoureusement leur durée. Il s’est avéré nécessaire de mettre fin
à la situation maladive qui gouvernait la pratique des délégations de service public et qui
se manifestait par les reconductions continues des contrats en cours. L’autorisation de
prolongation et du renouvellement figurait normalement dans les cahiers des charges
types353 qui prévoyaient de tels changements. Dans le cas contraire ils n’étaient admis
que d’une façon exceptionnelle, étant donné que le contrat devait être exécuté durant la
durée prévue initialement354. Pourtant la forme la plus reconnue de l’autorisation de la
prolongation et du renouvellement est la disposition présente dans le contrat lui-même.

Cette pratique de renouvellement a été strictement prohibée (A) à partir de la loi du 29


janvier 1993. D’ailleurs, elle n’était pas la seule pratique défendue par la loi. Il en est de
même pour la pratique des droits d’entrée versés par le candidat pour réserver sa place
dans la délégation à mener. Ceux-ci ne seront autorisés que s’ils sont justifiés (B)

A- La stricte prohibition de la reconduction

266. La rédaction initiale du projet de loi entendait interdire absolument toute


clause de reconduction tacite et expresse, pourtant la rédaction finale marqua un
renoncement parlementaire (1) à cette interdiction. Toutefois, c’est l’initiative

353
Article 28 du décret no 60-1288 du 22 novembre 1960, Cahier des charges type pour les concessions de
distribution publique d’énergie électrique, JO du 5-6 décembre 1960, p. 11905 ; Article 26 du décret no 61-
1191 du 27 octobre 1961, Cahier des charges type pour les concessions de distribution publique de gaz, JO
du 3 novembre 1961, p. 9996, spec. p. 10001
354
DE LAUBADERE Andrée, DELVOLVÉ Pierre, MODERNE Franck, Traité des contrats administratifs,
Tome 2, op. cit., p. 686

156
jurisprudentielle (2) qui assura une application correcte de ce principe.

1- Un renoncement parlementaire

267. Juste avant 1993, rien n'interdisait de prévoir, dans une convention de
délégation de service public, une tacite reconduction pour des périodes indéterminées.
Les exemples justificatifs355 sont très nombreux : D’abord, les décrets du 13 aout 1947 et
du 19 avril 1952 concernant les cahiers des charges types applicables au service extérieur
des pompes funèbres, qui stipulaient que les concessions seront reconduites tacitement,
sauf dénonciation un an au moins avant l'expiration du contrat. L’on peut évoquer aussi
l’article 28 du cahier des charges type pour les concessions de distribution publique
356
d’énergie électrique qui dispose que : « le renouvellement de la concession doit
intervenir un an au moins avant la date de son expiration. L’autorité concédante a le
droit de ne pas renouveler la concession si le maintien du service ne présente plus
d'intérêt soit par suite des circonstances économiques ou techniques de caractère
permanent soit parce que l'autorité concédante juge préférable d'organiser un service
nouveau. L'autorité concédante doit, sous peine de forclusion, notifier son intention de ne
pas renouveler la concession deux ans au moins avant son expiration ». Ensuite, la
convention type pour la gestion « aux risques et périls » des services de transports publics
d'intérêt local énonçait que le renouvellement se fera par tacite reconduction, sauf
dénonciation par l'une des parties adressée à l'autre avant l'expiration de la période en
cours (décret no 81-328 du l0 mars 1981, portant approbation de conventions types et de
cahiers des charges types pour l'exploitation des services de transports publics d'intérêt
local). On signalera encore le contrat-type relatif à l'exécution de services de transports
d'élèves soumis aux dispositions du décret du 4 mai 1973, on cite aussi l’arrêté du 12 juin
1973, qui disposait dans son article 9 que le contrat peut être renouvelé par tacite
reconduction « au cas où l'autorisation préfectorale est elle-même reconduite » et sauf
dénonciation par l'une ou l'autre partie 105 jours au moins avant la date prévue pour la
rentrée scolaire de l’année suivante.

355
Idem
356
Article 28 du décret no 60-1288 du 22 novembre 1960, Cahier des charges type pour les concessions de
distribution publique d’énergie électrique, JO du 5-6 décembre 1960, p. 11905

157
En suivant la même ligne de pensée, le Conseil d’Etat considérait 357 que lorsqu’il s’agit
d’une reconduction tacite qui n’a pas été sujet d’une contestation d’aucune des deux
parties, il convient de tenir en compte de la durée résultant du renouvellement pour savoir
le terme du contrat.

268. Dans certaines hypothèses, le renouvellement ne pouvait être que expresse


et conforme à certains critères de forme. Par exemple le décret no 64-829 du 30 juillet
1964, énonçait dans son article 23 que : « avant le début de la dernière année
d’application de la convention, les deux parties devront se faire mutuellement savoir si
elles désirent ou non reconduire la présente convention. Dans le cas d’un accord mutuel
pour la reconduction, un avenant précisant notamment la durée de la période de
reconduction devra être signé par les deux parties avant les neuf derniers mois
d’application de la convention »358.

269. Si ces exemples de cahiers de charges montrent une chose, c’est que
normalement le renouvellement était automatique. Donc le renouvellement était le cas
général, et le non renouvellement l’exception. C’est pourquoi, c’était en cas de non
renouvellement que les deux parties devaient manifester clairement leur volonté et non en
cas contraire.

Cette pratique maladive faisait des DSP des contrats viagers. Ainsi la première étape vers
un régime transparent qui met en relief l’égalité et la concurrence commence par une
limitation, voire une prohibition de ce type de clause.

270. Un retour rapide aux débats parlementaires manifeste une énigme qui n’a
jamais été révélée. L’article 28 du projet de loi dans sa version d’origine dispose que
« Les conventions de délégation de service public ne peuvent comporter de clause, ni
faire l'objet de reconduction tacite ou expresse, Toute clause de ce type, y compris celles
qui figurent dans des conventions en cours d'exécution, est réputée non écrite ». Cette
rédaction était nette, elle conduisait non seulement à interdire ce type de clause dans les
conventions à venir, mais aussi à interdire rétroactivement leur présence dans les contrats
357
CE 27 janvier 1960, Société du Casino et des bains de mer de la ville de Dieppe, AJDA 1960.II, no 157,
p. 188
358
Article 23 du décret no 64-829 du 30 juillet 1964, JO 9 aout 1964, p. 7349, spec. p. 7352

158
en cours. Et si les deux chambres n’étaient pas totalement d’accord sur l’interdiction des
clauses de reconduction expresse, elles s’étaient, au moins, consenties sur l’interdiction
des clauses de reconduction tacite. Et pourtant, la rédaction finale de cet article a omis
cette interdiction qui a été supprimée lors de la dernière lecture par l’Assemblée nationale
suite à l’amendement no 95 présenté par le gouvernement et adopté inopinément sans
aucune contestation. « Malgré ce silence, et compte tenu des débats précédents, on peut
estimer que c'est donc en pleine connaissance de cause que le gouvernement prit sa
décision puisqu'il avait auparavant formellement défendu le principe de l'interdiction de
ce type de clauses alors que Sénat et Assemblée nationale étaient d'accord pour interdire
au moins les clauses tacites. Ainsi, les clauses de tacites reconductions n'ont pas été
rétroactivement supprimées et, à défaut de cette législative rétroactive, peuvent donc
encore produire leurs effets »359.

271. Dès lors, l’on peut distinguer trois situations. La première concernant les
contrats signés avant le 29 janvier 1993, la deuxième, les contrats conclus entre le 29
janvier 1993 et le 31 mars 1993 mentionnée à l’article 47 de la loi, et enfin les contrats
conclus après le 31 mars 1993. Les contrats signés avant l’entrée en vigueur de la loi n’y
sont pas soumis, notamment pour ce qui concerne les clauses de tacite reconduction y
figurant expressément. Ce qui implique que l’Administration ne pourra réduire la durée
des contrats en cours ni interdire leur reconduction sauf si elle utilise son droit de
modification unilatérale, sous réserve impérative d’indemniser son délégataire. Pourtant,
l’absence de la clause expresse de tacite reconduction dans le contrat, suscitera, pour le
renouvellement dudit contrat, la conclusion d’une nouvelle convention et par la suite,
l’application de la Loi Sapin. Les contrats signés entre l’entrée en vigueur de la loi et le
31 mars 1993 sont soumis forcément à l’article 40 de la loi.

272. Une interprétation correcte de l’article 89 de la Constitution libanaise


aurait surement interdit les reconductions des conventions de DSP que ce soit d’une
manière tacite ou expresse, puisque le seul objectif de faire distinguer la durée des autres
clauses de la convention et de la faire figurer dans l’article 89, était de limiter cette durée

359
LUCHAIRE Yves, « Brèves observations sur la loi du 29 janvier 1993 relative à la transparence des
activités économiques et à la prévention de la corruption », 2ème partie, art. prec., p. 4.

159
pour interdire toute tentative de privatisation. Donc si la durée doit être limitée, c’est que
la reconduction est interdite dans toutes ses formes. Pourtant les cahiers de charges des
anciennes concessions imposaient au délégant d’informer leurs délégataires un ou deux
ans avant la fin de la concession de leur volonté de récupérer le service. Ce qui montre
que la reconduction était automatique !

273. Ainsi au Liban, le contrat pourrait bien contenir une clause autorisant la
reconduction tacite ou expresse. S’il s’agissait d’une clause de tacite reconduction, il
revient à la partie renonçant au renouvellement, de le signaler expressément à l’autre
partie et ceci au moment déterminé dans le contrat lui-même. À défaut de déclaration, le
contrat serait renouvelé automatiquement. Et s’il s’agissait d’une clause de reconduction
expresse, la partie désirant le renouvellement devrait respecter la procédure signalée dans
le contrat. Dans certains cas, le contrat ne stipulait pas la possibilité de reconduction,
mais, cette absence n’interdit pas les parties de se mettre d’accord sur la reconduction du
contrat par le biais d’un avenant intervenant au cours de son exécution ou à son terme360.

2- Une initiative jurisprudentielle

274. Dès lors, en vertu de la Loi Sapin, et sans le dire, il n’est plus possible
d’insérer dans une convention de DSP une clause autorisant la reconduction du contrat
faute de porter atteinte au principe de la transparence et de la périodicité des conventions.
De surcroit, l'apparition de critères déterminés de prolongation suppose, implicitement,
l'interdiction des clauses de reconduction tacite et même expresse. Elles auraient pour
conséquence de détourner la transparence initiale en évitant l'appel à de nouvelles offres.
Par contre, la loi n'a pas d'effet rétroactif au regard des contrats intervenus avant son
application et permet donc le jeu des tacites reconductions pour ces contrats si celles-ci
ont été prévues au contrat initial.

275. Cependant, concernant les clauses de tacite reconduction contenues dans


les conventions signées avant l’entrée en vigueur de la Loi Sapin, la pratique était
beaucoup plus conforme avec l’esprit de la loi, qui voulait la limitation de cette pratique

360
EL KHOURY Youssef Saadallah, Recueil du droit administratif, Tome 2, la gestion des services
publics, l’établissement public et les contrats de concession, op. cit., p. 368

160
nonobstant l’antériorité du contrat à la loi, que le texte lui même. En effet, une réponse
ministérielle affirma que les dispositions contenues dans cette loi visant à limiter la durée
des conventions sont d'interprétation stricte. Dans tous les cas de prolongation, quelle
qu'en soit la forme, au terme de la dernière reconduction intervenue avant le vote de la
loi, la collectivité délégante devra, en raison du renouvellement de la délégation, procéder
aux formalités de publicité et de mise en concurrence361.

276. Selon la commission centrale des marchés, le Conseil d'Etat se serait


prononcé dans ce même sens dans un avis du 27 juin 1996 362 . En effet, le juge
administratif considérait de longue date que la tacite reconduction donne lieu à un
nouveau contrat 363 . En conséquence, ce dernier ne pourra être conclu que s’il est
conforme à la législation en vigueur.

277. Le Conseil d’Etat n’a manqué aucune occasion pour montrer qu’il relève
des dispositions d’ordre public de la loi Sapin relatives à la procédure de passation des
délégations de service public et à leur durée, la nullité des clauses de tacite reconduction.
L’affaire Commune Paita, reflète, effectivement, cette affirmation. Alors que la cour
d’appel considérait que la tacite reconduction n'est que la continuation des mêmes
engagements de l’ancien contrat, et que l'accord exprimé, lors de la conclusion du contrat,
vaudrait jusqu'à la dénonciation du contrat, puisque cet accord porte également sur les
éventuelles tacites reconductions ultérieures, Le Conseil d’Etat avait un avis totalement
différent. Il considéra que le contrat résultant de l'application d'une clause de tacite
reconduction a le caractère d'un nouveau contrat. En effet, le jeu de la clause de tacite
reconduction réduirait considérablement la portée des formalités de passation des DSP et
placerait le cocontractant, ayant emporté le service au terme de la procédure initiale, à
l'abri de ses concurrents, tout au moins aussi longtemps que la collectivité publique ne
dénoncerait pas le contrat364. c’est pourquoi le Conseil d’Etat décida que la « clause de
tacite reconduction d’un contrat qui, en raison de sa nature et de son montant, ne peut
être passée qu’après que les obligations de publicité et de mise en concurrence prévues
361
RM, no 3976, JOAN Q, Débats parlementaires, 20 septembre 1993, p. 3085.
362
CE, avis du 27 juin 1996, Contrats et Marchés publics, no 3/97, p. 4.
363
CE, 25 mai 1951, Dobroukness, Recueil, p. 291 ; CE, 23 mai 1979, Commune de Fontenay-le-fleury,
Recueil, p. 226 ; TA Poitiers, 19 oct. 1995, Préfet de la Charente-Maritime, CJEG, 1996, p. 273
364
CE 29 novembre 2000, no 205143, Commune de Paita, AJDA 2001, p. 101

161
par la règlementation applicable ont été respectées, a pour objet de permettre la
passation d’un nouveau contrat sans que soient respectées de telles obligations ; qu’une
telle clause ne peut être que nulle, de sorte qu’un contrat passé en application de cette
clause, qui a été conclu selon une procédure irrégulière, est également nul ». Cette
solution se range dans la ligne de l'évolution actuelle du droit des contrats en réduisant
fortement l'utilité des clauses de tacite reconduction. Cette position a été confirmée à
propos d’un contrat d'exploitation d'un port de plaisance conclu en 1986. En effet, la cour
administrative d'appel, dans sa décision du 23 janvier 2003, adopta un raisonnement en
trois temps 365 . Elle considéra, d'abord, que le contrat résultant de l'application d'une
clause de tacite reconduction est un nouveau contrat. Ensuite, elle qualifia cette nouvelle
convention, par laquelle une commune confie à un prestataire l'exploitation d'un port de
plaisance, de délégation de service public. La cour précisa enfin l'impact de l'entrée en
vigueur de la Loi Sapin sur les conventions en cours d'exécution. Elle jugea que les
clauses de tacite reconduction contenues dans des contrats de délégation de service public
conclus antérieurement à l'entrée en vigueur de la Loi Sapin ne peuvent plus recevoir
d'application. « Les collectivités publiques sont désormais tenues de s'opposer à la
reconduction des contrats ; elles sont en situation de compétence liée »366.

Ainsi, d’après cette interprétation jurisprudentielle, le principe de limitation de la durée


entraînera la nullité des clauses de tacite reconduction et ceci quand bien même ces
clauses auraient été stipulées dans une convention conclue antérieurement à l'adoption de
la loi Sapin. Le Conseil d’Etat le rappelle explicitement, encore une fois, dans son avis du
19 avril 2005 : « il résulte du principe de durée limitée des délégations de service public
que les clauses de tacite reconduction qui peuvent y figurer sont nulles et privées de tout
effet »367.

278. Une réponse ministérielle affirmera l’hypothèse de L'application


immédiate de l’article L. 1411-2 aux délégations dévouées avant l’intervention de la Loi
Sapin. Ainsi cette application immédiate a pour mérite d'éviter, par le jeu des clauses de
365
DREYFUS Jean-David, Note sous CAA Marseille, 23 janvier 2003, Commune de Six-Fours-les-plages,
AJDA, 2003, p. 1161.
366
Idem
367
Avis du Conseil d'État, section des travaux publics, no 371234 du 19 avril 2005, EDCE, p. 197, spec. p.
199

162
reconduction, la création d'un cas de prolongation des délégations de service public non
prévu par la loi, et contraire au principe de limitation de la durée des délégations qui la
sous-tend368.

B- L’autorisation justifiée des droits d’entrée

279. Parmi les pratiques contestées, auxquelles la Loi Sapin est venue remédier,
figure celle des droits d’entrée qui constitue une atteinte, aussi grave que la pratique de la
reconduction, aux principes de l’égalité, de la transparence et de la mise en concurrence.
Ainsi, le législateur avait bien fait de poser une limitation textuelle de cette notion (1) en
n’autorisant que les droits d’entrée justifiés, mais c’est aux éclaircissements
jurisprudentiels (2) que revient le mérite d’encadrer son application.

1- La limitation textuelle de cette notion

280. Il s’agit d’une ancienne notion qui consiste, pour une entreprise désirant
l’obtention d’une concession ou d’un affermage, et afin de convaincre la collectivité
délégante de lui confier la gestion du service, à s'engager à réaliser des travaux ou à
verser au budget de la collectivité une contribution « volontaire » 369, voire à prendre en
charge certains services ou dettes, quitte ensuite à répercuter sur le prix facturé les
charges correspondantes. Cette pratique s'est allègrement amplifiée en raison surtout des
difficultés financières que rencontraient de nombreuses collectivités désireuses de fournir
rapidement à leurs citoyens certains équipements difficiles à financer. Reconnue sous le
nom de droit d’entrée, cette pratique ne soulevait « pas de contestation sérieuse de la part
des usagers, eu égard à la relative modicité du prix du service rendu, le coût de la
contribution du délégataire étant généralement épongé par les gains de productivité »370.
Elle n'a jamais été interdite, au contraire elle a été autorisée et organisée par certains
textes, voire par la jurisprudence371.

368
RM, JOS Q, n° 13236, Débat parlementaire, 30 mai 1996, p. 1330
369
BOITEAU Claudie, Les conventions de délégation de service public : Transparence et service public
local, Paris, Imprimerie Nationale, Coll. Action locale, 2 ème édition, 2007, p. 152
370
DEVES Claude, "Les droits d'entrée dans les délégations de service public", AJDA 20 septembre 1996 p.
631
371
CE 29 avril 1987, Commune d'Elancourt, Lebon p. 153

163
281. Les droits d’entrée constituent une notion dont la définition textuelle était
imprécise et qui n’a pas été suffisamment abordée par la doctrine ni par les législations
avant 1993. Cependant, la situation changera avec les années 90. Ainsi divers rapport,
entre autres le rapport Bouchery, ont dénoncé cette pratique. Cette contestation s’est
manifestée dans le projet de loi anti-corruption et lors des débats parlementaires sur ce
projet. En effet, le rapport Durand précisait, concernant le futur article 40 de la loi du 29
janvier 1993 que : « Le dernier alinéa tend à faire obstacle à une autre source d'abus
provenant des clauses apparemment avantageuses pour la commune et destinées à
favoriser la conclusion d'un contrat de délégation. Par exemple, le cocontractant prend à
sa charge une partie de la dette de la collectivité ou s'engage à réaliser un équipement à
ses frais. En réalité, cette clause apparemment avantageuse comporte de multiples
inconvénients : il apparaît souvent à l'examen que les conditions prévues au contrat
permettent au bénéficiaire de se rembourser - et bien au-delà - sur l'usager, et que
l'équipement proposé est réalisé en dehors de toutes les procédures prévues par le Code
des marchés publics, ne correspond pas aux besoins de la collectivité, est livré sans
contrôle de la personne bénéficiaire. Le cas type est la réalisation d'un stade en échange
d'une concession de distribution d'eau »372. Pourtant la rédaction initiale du dernier alinéa
de cet article ne marquait pas expressément le terme de « droits d’entrée » mais y faisait
allusion. Il se contentait, en effet, de disposer que « les conventions de délégation de
service public ne peuvent contenir de clauses par lesquelles le délégataire prend à sa
charge l’exécution de services, ou de paiements étrangers à l'objet de la délégation ». A
signaler que cet alinéa n’est pas l’œuvre de la Loi Sapin, il existait long temps avant à
l'article L. 2222-1 du code général des collectivités territoriales qui disposait : « Dans les
contrats portant concession de service public, les communes ainsi que les établissements
publics communaux ne peuvent pas insérer de clauses par lesquelles le concessionnaire
prend à sa charge l'exécution de travaux étrangers à l'objet de la concession ».

282. D’ailleurs, la notion de « droits d’entrée » et de « redevances » est apparue

372
Rapport no 2941, fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de
l’administration générale de la république sur le projet de Loi (no 2918) relatif à la prévention de la
corruption et a la transparence de la vie économique et des procédures publiques, par DURAND Yves,
JOAN, 1992-1993, p. 112

164
pour la première fois dans un amendement 373 présenté par M. MICAUX lors de la
première lecture du projet de loi par l’Assemblée nationale. Il complétait l’article 28 du
projet de loi par l’alinéa suivant : « les montants et les modes de calcul des droits
d’entrée et des redevances versés par le délégataire à la collectivité délégante, doivent
être justifiés dans ces conventions ». Alors que la commission trouva que cet
amendement est déjà présent clairement dans l’alinéa initiale, le gouvernement
s’apparente favorable à son adoption en le trouvant s’inscrire dans la même ligne droite
de sa volonté d’une plus grande transparence en raison de la précision supplémentaire
qu’il vient ajouter à l’article 28. Cet amendement fut adopté par l’Assemblée nationale et
ne fut l’objet d’aucune contestation ultérieure par aucun des parlementaires.

283. Dès lors, la rédaction finale de cet alinéa est la suivante : « Les
conventions de délégation de service public ne peuvent contenir de clauses par lesquelles
le délégataire prend à sa charge l’exécution de services ou de paiements étrangers à
l’objet de la délégation.

Les montants et les modes de calcul des droits d’entrée et des redevances versées par le
délégataire à la collectivité délégante doivent être justifiés dans ces conventions ».

2- Les éclaircissements jurisprudentiels

284. En réalité, la seule définition que l’on a pu avoir sur les droits d’entrée est
en réalité une définition négative selon laquelle les droits d’entrée sont des « versements
forfaitaires effectuées en une seule fois au moment de l’attribution de la délégation, ne
sont ni la contrepartie d’une prestation ni la prise en charge d’une dépense effectuée par
le délégant et transférée au délégataire »374.

285. Au fil des années, le Conseil d’Etat a réussi, à travers sa large


interprétation de cet alinéa, à barrer la route aux tentatives de faire passer certaines
dépenses préalables, dont la justification semble être inappropriée avec l’objet de la
convention. Dès lors, trois types de versements sont susceptibles de correspondre à des

373
Amendement no 324, JOAN, 3ème séance du 16 octobre 1992, p. 3842, spec. p. 3880
374
BOITEAU Claudie, Les conventions de délégation de service public : Transparence et service public
local, op. cit., p. 153

165
droits d'entrée375 et sont par la suite interdits : D’abord, les sommes ayant pour objet la
prise en charge des emprunts de la collectivité délégante, ensuite, celles ayant pour objet
le remboursement de subventions antérieurement accordées par la collectivité et enfin,
naturellement, celles versées en contrepartie d'un droit d'exploitation376.

286. Ainsi, étant donné que les collectivités locales ne doivent prendre en
charge, sur leur propre budget, les dépenses d'un service public industriel et commercial
et qu’il incombe normalement aux usagers d’assumer ces sommes, le Conseil d’Etat
n’hésita pas à juger comme étant injustifiés, les remboursements des sommes accordées
antérieurement par la commune. De la sorte, le Conseil d’Etat décida « qu’il incombe
notamment au service de prendre en charge sur ses ressources propres, à l'exclusion de
toute subvention d'équilibre versée par la collectivité territoriale dont il relève, les
déficits qui pourraient résulter tant d'impayés antérieurs que de dépenses
d'investissement »377.

287. Pourtant la justification de la prise en charge des emprunts ou du


remboursement des subventions est relativement facile à opérer, sur le plan juridique et
économique, en comparaison avec la justification du droit d'exploitation dont les
fondements sont plus difficiles à trouver dans les principes du droit des délégations et des
services publics378.

Ainsi, dans sa décision, Wajs et Monnier379, le Conseil d’Etat constata que les sommes
versées par la société concessionnaire d’autoroute, et destinées à couvrir les charges de
fonctionnement de la gendarmerie en service sur son réseau, constituent des dépenses
étrangères à l’exploitation du service délégué. La haute juridiction rappela que l’exercice
par la gendarmerie nationale des missions de surveillance et de sécurité des usagers
incombe à la charge de l’Etat et jugea que la société concessionnaire pourra dans la
limite, participer aux frais de contrôle exercé sur elle par le concédant, à condition qu’il

375
DEVES Claude, « Les droits d'entrée dans les délégations de service public », art. prec., spec. p. 633
376
SYMCHOWICZ Nil et PROOT Philippe, « L’avis du 19 avril 2005 : d’utiles précisions sur le contenu et
le régime d’exécution des conventions de délégation de service public », AJDA 10 juillet 2006, p. 1371,
spec. p. 1375
377
CE 30 juillet 2003, Compagnie générale des eaux, Lebon tables p. 674
378
DEVES Claude, "Les droits d'entrée dans les délégations de service public", op. cit., spec. p. 636
379
CE, 30 octobre 1996, Wajs et Monnier, no 136071, RFDA 1997, p. 726.

166
ne s’agisse pas d’une contribution forfaitaire. Ainsi pour que la redevance versée par le
délégataire soit justifiée, elle doit correspondre exactement à compenser les charges
supportées par la personne publique délégante à condition que ces charges résultent
d’opérations ou de situations qui constituent des prestations directement rendues aux
usagers380.

Dans une affaire similaire381, le Conseil d’Etat considéra que la délibération qui a donné
lieu à l’offre, qualifiée de mieux-disant, et qui prévoyait un paiement versé à la ville sans
relation avec la valeur des prestations fournies par celle ci au délégataire, est entachée
d’une erreur de droit il s’agissait notamment des « droits d’usage des installations
concédées, [des] loyers ainsi que divers redevances au bénéfice de la commune qui sont
répercutées sur le tarif payé par les usagers ». Le Conseil d'Etat s'était prononcé sur cette
question uniquement au vu de la règle selon laquelle l'usager du service public ne saurait
supporter, à travers le tarif du service, que des dépenses liées au service qui lui est rendu.
La haute juridiction était consciente que la seule partie offensée par ces dépenses serait
l’usager. « Ainsi, qu'il s'agisse des redevances ou droits d'entrée, les paiements du
délégataire au délégant ne sont légaux qu'à partir du moment où ils correspondent à une
prestation réelle de la collectivité, à destination des usagers du service public délégué,
puisque l'objet de la délégation est de rendre service aux usagers »382.

288. À l’instar des droits d’entrée, les seuls cas de redevances susceptibles
d’être accueillies et admises par le juge administratif sont celles ayant une étroite relation
avec l’objet du contrat. Le montant et le mode de calcule des redevances demandées au
délégataire doivent être justifiées dans la convention de DSP. Ils doivent traduire « un
rapport de proportionnalité entre la redevance et l’avantage offert à l’occupant
délégataire »383 . Si le versement de la redevance est normalement périodique, aucune
règle n’interdit qu’il fasse l’objet d’un unique versement au début de contrat. Dans ce cas

380
GUGLIELMI Gilles J., KOUBI Geneviève, Droit du service public, Montchrestien, 3ème édition, 2011. p
439
381
CE, 30 septembre 1996, no 156176, Société stéphanoise des eaux et ville de Saint-Etienne, Lebon p. 355
382
SYMCHOWICZ Nil et PROOT Philippe, « L’avis du 19 avril 2005 : d’utiles précisions sur le contenu et
le régime d’exécution des conventions de délégation de service public », art. prec., spec. p. 1375
383
BOITEAU Claudie, Les conventions de délégation de service public : Transparence et service public
local, op. cit., p. 156

167
une précaution maximale est exigée. En effet la seule redevance acceptée est celle qui
constitue la contrepartie réelle d'un service rendu. Dès lors que cette redevance est versée
en une seule fois, elle risquerait d’être assimilée à un versement d’une somme d’argent
injustifiée puisque ce versement rémunèrera des services à rendre mais qui ne le sont pas
au moment où est effectué ce paiement.

289. Ainsi, la redevance doit être calculée de la manière la plus précise, de


façon qu'elle corresponde au service rendu. Dès lors, la collectivité locale ne pourra pas
instituer une redevance qui dépasse exagérément le service rendu. Toutefois, la
collectivité conserve une certaine marge de manœuvre384.

290. Dans son avis du 19 avril 2005, la section des travaux publics du Conseil
d’Etat présentera de nouveaux éclaircissements sur le sujet des droits d’entrée. Ces droits
peuvent bien correspondre « au coût des investissements non amortis que la personne
publique a dû rembourser au délégataire sortant dont la convention a été résiliée. Mais
ces droits d’entrée ne peuvent couvrir les frais résultant de la faute commise par la
personne publique en résiliant illégalement une délégation : le prix de la faute est par
nature étranger à l’objet de la délégation »385.

291. Sur la question de savoir si un droit d'entrée peut comprendre la somme


versée par l'indemnisation au titre de la cession des « biens de reprise », l'avis apporte
une solution convaincante en considérant que, « s'agissant de « biens utiles à la
délégation », leur coût correspond à une somme en relation avec le service public. De
cette hypothèse, l’on doit sans doute rapprocher celle évoquée par l'avis, concernant la
question des investissements nouveaux en cours de contrat, qui peuvent faire l'objet d'une
indemnisation, en fin de contrat, à hauteur de leur valeur non amortie. Elles aussi, de
manière encore plus évidente que le coût supporté pour l'acquisition des biens de reprise,
sont en relation avec le service public »386.

384
DEVES Claude, « Les droits d'entrée dans les délégations de service public », art. prec., spec. p. 636
385
SCHWARTZ Richard et TERNEYRE Philippe, « Quelles sont les règles de modification par avenant et
de résiliation des délégations de service public ? Qui est propriétaire des biens affectes au service
public ? », BJCP no 45, avril 2006, p. 107, spec p. 112.
386
SYMCHOWICZ Nil et PROOT Philippe, « L’avis du 19 avril 2005 : d’utiles précisions sur le contenu et
le régime d’exécution des conventions de délégation de service public », art. prec., spec. p. 1376

168
292. Ainsi la seule condition d’autorisation des droits d’entrée est qu’ils ne
soient pas étrangers à l’objet de la délégation. Ils doivent être justifiés par la convention
dans leurs montants et leurs modes de calcul. Le privilège de ce strict encadrement des
droits d’entrée est d’une part garantir le maximum de transparence possible dans les
procédures de passation des DSP et d’autre part assurer une égalité irréprochable entre
tous les candidats et enfin certifier un calcul exact de la durée de la convention. Les deux
parties ne peuvent plus chercher des raisons extérieures pour justifier les longues durées
décidées.

Dès lors, le principe de la transparence, de la concurrence et de la limitation de la durée


justifie la prohibition de la reconduction et la restriction des cas de versement des droits
d’entrée. Mais ce principe justifierait surtout l'encadrement des conditions de
prolongation des délégations de service public.

Paragraphe 2 : Le maintien d’une prolongation conditionnée

293. La prolongation est une augmentation de la durée initialement prévue dans


la convention de DSP. La question de savoir la nature juridique de la prolongation, si elle
constitue un nouveau contrat succédant au précédent ou s’il s’agit d’un prolongement du
contrat précédemment conclu et qui en fait partie, n’est pas compliquée. La prolongation,
tant qu’elle n’a pas pour effet de modifier l’objet de la convention, ne constitue pas en
principe une novation de la convention initiale. Elle a seulement pour effet d’en permettre
la continuation et « l’idée de continuation exclue celle de changement »387. Pourtant cette
prolongation s’effectue sans publicité ni mise en concurrence préalable, c.à.d. en
l’absence d’une transparence. Pour cette raison « L'encadrement de la durée initiale
aurait été dénué de toute effectivité pratique si le législateur n'avait pas posé des
conditions très précises quant à une éventuelle prolongation celle-ci »388.

294. En effet, la prolongation faisait l’objet de nombreuses controverses

387
GUGLIELMI Gilles J., KOUBI Geneviève, Droit du service public, Montchrestien, 3ème édition, 2011, p
480.
388
HOEPFFNER Hélène, « Le régime des modifications conventionnelles des conventions de délégation de
service public - À propos de l'avis du Conseil d'État du 19 avril 2005 », Contrats et Marchés publics no 12,
décembre 2006, Etude 19, p.6, spec. p. 8

169
doctrinales pour la facilité par laquelle celle-ci est accordée avant 1993. Ainsi, pour
atteindre l’objectif de la durée déterminée, le législateur de 1993 s’est vu dans
l’obligation de prohiber, en premier lieu, les prolongations tacites en imposant avant
chaque prorogation un vote de l’assemblée délibérante qui permet d’assurer le maintien
d’une « transparence minimale »389 en interdisant les occultes accords entre le pouvoir
exécutif de la personne publique et le délégataire.

295. En second lieu, le législateur était conscient que pour les contrats de DSP,
qualifiés par Laurent RICHER de « relationnels » 390 , il n’est souvent pas évident de
prévoir l'ensemble des coûts et des recettes ainsi que l'ensemble des difficultés
susceptibles d'être rencontrées au cours de leur exécution. C’est pourquoi il s’avère
indispensable de garder une certaine « dynamique contractuelle » 391 , au niveau de la
prolongation pour permettre l’évolution du contrat au cours de son exécution, en fonction
des besoins, des techniques et du contexte économique afin de garder un service public de
qualité au meilleur coût. Ainsi, pour répondre à cette exigence de mutabilité du service
public, et la concilier en même temps avec les exigences de mise en concurrence qui
veulent une stabilité des relations contractuelles, le législateur a restreint le champ des
prolongations permises à deux seules possibilités qui ne nécessitent pas de publicité
préalable, à savoir l’intérêt général du service (A), et sur demande conditionnée de
l’Administration (B).

A- Une prolongation dans l’intérêt du service

296. La convention de délégation de service public ne peut être prolongée, aux


termes de l’article 40 a) de la Loi Sapin que « pour des motifs d’intérêt général. La durée
de la prolongation ne peut alors excéder un an ». Si la prolongation, pour motif d’intérêt
général, est limitée à un an en France (1), elle est non restrictive au Liban (2).

1- Une prolongation limitée à un an en France

389
TREPPOZ Armelle, Recherches sur la transparence dans la passation des conventions de délégation de
services publics locaux, Thèse, Limoges, 16 juillet 1997, p. 438
390
HOEPFFNER Hélène, « Le régime des modifications conventionnelles des conventions de délégation de
service public - À propos de l'avis du Conseil d'État du 19 avril 2005 », art. prec., p.6
391
MÉNÉMÉNIS Alain, Exécution des délégations de service public : rapports entre le délégant et le
délégataire : Contrats et Marchés publics 2003, chron. 11, p. 39

170
297. Cette première restriction à la possibilité de prolongation d’une convention
de DSP était prévue depuis la rédaction initiale du projet de loi anticorruption. En effet,
pour ne pas lui reprocher la rigidité du texte, et tout en évitant à tout prix que la notion
d'intérêt général, par définition très vague, ne conduise à d'éventuels abus, le
gouvernement proposa de limiter cette prolongation à un an seulement. « Cette
disposition vise à laisser au cocontractant le temps nécessaire pour prendre toutes
dispositions en vue d’assurer la continuité du service public au regard des nouvelles
exigences de la loi »392.

298. Ainsi, pour rester dans la ligne droite de l’esprit de la Loi Sapin, ce type de
prolongation ne peut pas excéder un an. Cette disposition demeurait sans modification
depuis l’application de la loi Sapin. Brève dans ses expressions, elle reflétait diverses
ambigüités qui ont laissé la porte ouverte aux débats doctrinaux et aux interprétations
jurisprudentielles, dont la plus importante est celle qui lie la durée d’un an au temps
légitimement nécessaire au lancement d'une nouvelle procédure pour le renouvellement
du contrat.

299. Malgré cette ambigüité qui semble permettre une interprétation extensive
de la notion d'intérêt général, le juge administratif a adopté une interprétation
relativement restrictive notamment dans la décision de la cour d’appel Cour
Administrative d’Appel de Paris du 10 juillet 2003, Société Sogères393. Dès lors, le sens
de cette notion, ne doit être pris dans l’absolu, « mais relativement à l'objet du contrat de
concession. Ainsi, l'adaptation nécessaire d'un objectif, qui relève de la direction
stratégique du service public fournit un motif d’intérêt général, parce que le principe de
mutabilité du service public doit être respecté »394.

Est légale la prolongation de quelques mois d’une délégation de service public si, à la
date de son achèvement, la procédure de passation d’une nouvelle convention n’a pas été
menée à son terme pour divers raisons dont les plus connues sont l’échec des

392
LUCHAIRE Yves, « Brèves observations sur la loi du 29 janvier 1993 relative à la transparence des
activités économiques et à la prévention de la corruption », 1ère partie, art. prec., spec. p. 7
393
HOEPFFNER Hélène, « Le régime des modifications conventionnelles des conventions de délégation de
service public - À propos de l'avis du Conseil d'État du 19 avril 2005 », art. prec., spec. p. 8
394
GUGLIELMI Gilles J., KOUBI Geneviève, Droit du service public, op. cit., p 481

171
négociations avec les entreprises, ou l’impossibilité de trouver un candidat susceptible de
correspondre aux demandes de l’Administration, ou encore l’annulation par le juge de la
procédure de passation. L’impossibilité de mettre en œuvre une telle passation va
d’évidence à l’encontre de la continuité des prestations à fournir aux usagers, d’où la
nécessité d’une prolongation du contrat initial. Il a été ainsi jugé que la collectivité
publique peut, sans illégalité, confier la gestion du service à titre provisoire à un
prestataire en vue d'assurer la continuité du service sans respecter la procédure prévue
aux articles L. 1411 et suivants du Code général des collectivités locales, à condition que
la mise en œuvre de ladite procédure soit rendu impossible en raison de l'urgence 395.
Pourtant, si la non soumission aux règles de formes exigées, aboutirait à des incidences
financières, ce qui est généralement le cas, la prolongation d'une convention de
délégation de service public ne peut résulter d'une décision unilatérale mais nécessite
dans ce cas la conclusion d'un avenant396.

300. Ainsi, il est évident que la prolongation pour un motif d'intérêt général
vise, pour l'essentiel, à garantir la continuité du service public. Dans ce cadre, seront donc
admises, les prorogations dans l’objectif de résoudre les difficultés que peut rencontrer la
collectivité publique pour reprendre le service en régie du fait d'une insuffisance de
moyens financiers ou de compétences techniques. Sont également admises les
prorogations nécessaires pour organiser une mise en concurrence en vue de l'attribution
d'une nouvelle délégation. En effet, ce sont, avant tout, les impératifs de mise en
concurrence qui empêchent un élargissement de la technique de prolongations de ces
contrats au delà d’un an397.

301. Cependant, cette disposition ne doit pas être strictement interprétée surtout
dans les cas d’imprévoyance de la collectivité dans la mise en œuvre de la procédure de
délégation, voire l’annulation juridique de la procédure, et ceci afin de pouvoir garantir la
continuité du service, sauf en cas de fraude manifeste.

395
CAA Marseille, 25 juin 2007, no 05MA00197, Commune de Sanary-sur-Mer, AJDA, 2007, p. 2165
396
CAA Douai, 16 novembre 2006, Syndicat mixte d'exploitation des transports en commun de la
communauté urbaine de Lille, no 05DA00233
397
UBAUD-BERGERON Marion, La mutabilité du contrat administratif, Thèse, Université Montpellier 1,
18 décembre 2004, p. 407

172
302. Dans sa décision Commune Ramatuelle398, le Conseil d’Etat se démarqua
de la jurisprudence antérieure en censurant l’arrêt de la cour d’Appel de Marseille qui
avait subordonné la prolongation du a) de l’article L. 1411-2 du CGCT, à l’impossibilité
de la commune de la prise en charge directe du service public. Selon la Haute assemblée,
le juge administratif n'a pas, sauf à commettre une erreur de droit, à subordonner la
légalité de la décision de prolongation, à des conditions supplémentaires telle
l'impossibilité de prise en charge directe du service par la collectivité délégante. Suivre
l’interprétation de la cour d’appel « aurait implicitement conduit à considérer la régie
comme le mode normal de gestion d’un service public »399. Or la liberté de la collectivité
publique de choisir le mode de gestion de ses services publics est déjà tranchée. En effet,
le Conseil d’Etat avait raison de ne pas suivre la cour d’appel, car de surcroit, « selon la
technicité du service public en cause, ou l’importance de la collectivité, la condition
posée par la cour administrative aurait pu être systématiquement ou jamais remplie »400.
Ainsi, dès lors que la réalité du motif d'intérêt général est constatée par le juge
administratif, toute autre condition posée par ce juge pour valider la décision de
prolongation d'une DSP est irrégulière401.

303. Dans une interprétation large mais intéressante de l’article L. 1411-2 a), La
Cour d’Appel de Marseille a considéré que la nécessité d'assurer la continuité du service
public, à la suite de l'annulation des conventions existantes, dans l'attente de
l'aboutissement d'une nouvelle procédure de mise en concurrence, constitue un motif
d'intérêt général suffisant pour justifier la conclusion par la Commune d'Orange, d'une
convention d'exploitation provisoire de ses services d'eau et d'assainissement pendant
sept mois 402 . Ainsi la prolongation pour motif d'intérêt général d'une convention de
délégation de service public peut intervenir alors même que cette convention a été

398
DELACOUR Éric, Note sous l’arrêt CE, 8 juin 2005, n° 255987 et n° 256200, Sieur Tomaselli et
Commune de Ramatuelle, « Prolongation et intérêt général », Contrats et Marchés publics n° 9,
Septembre 2005, comm. 222, p. 24
399
BOITEAU Claudie, Les conventions de délégation de service public : Transparence et service public
local, op. cit., p. 147
400
Ibid, p. 148
401
DELACOUR Éric, Note sous l’arrêt CE, 8 juin 2005, n° 255987 et n° 256200, Sieur Tomaselli et
Commune de Ramatuelle, « Prolongation et intérêt général », Contrats et Marchés publics n° 9,
Septembre 2005, comm. 222, p. 24
402
DIEU Frédéric, Note sous CAA Marseille, 9 avril 2009, n° 07MA02807, Commune Orange, Droit
Administratif n° 11, Novembre 2009, comm. 146, p. 24

173
annulée. En suivant le rapport du rapporteur public, la cour d’appel jugea que les
dispositions de l'article L. 1411-2 a) autorisent la collectivité délégante à prolonger un
contrat qui a expiré.

304. La première hypothèse apparait donc, sous réserve de l’appréciation du


juge, comme une souplesse 403 permettant à la collectivité, dans la majorité des cas,
d’assurer les conditions indispensables pour la préparation d’une nouvelle remise en
concurrence du service délégué. Ainsi, le motif d’intérêt général répond à la nécessité
d’assumer la continuité du service, y compris à la suite de l’annulation d’une procédure
de délégation de service public. Pourtant, l’obligation de la soumission de la prolongation
dans ce cas à l’appréciation du juge assure l’encadrement, la transparence, et le contrôle
de cette prorogation.

2- Une prolongation non restrictive au Liban

305. Si la prolongation en France connait avec la survenue de la loi Sapin une


certaine délimitation, le cas au Liban est différent malgré la gravité de la situation des
DSP. Mis à part la brièveté des textes et leur ambigüité, qui sont pareils au Liban comme
en France, le vrai problème au Liban est d’une part, l’absence de l’interprétation des
textes législatifs par les juridictions qui se contentent de cette ambigüité pour juger
légaux le flux de prolongation pour motifs d’intérêt général, et d’autre part, l’absence de
la concurrence qui justifie l’intérêt et le droit des candidats évincés de saisir le juge.

306. En effet, le principe de la mutabilité du service public constitue un élément


fondamental dans des modes de gestion. C’est l’intérêt général du service qui exige cette
mutabilité404 et justifie par la suite une large interprétation de tout texte règlementaire ou
contractuel des cahiers des charges. Ainsi, l’hypothèse de la prolongation au Liban trouve
son fondement, surtout, dans les nécessités de l’intérêt général405. Dès lors, le contrat peut
bien contenir une clause autorisant la prolongation, et dans ce cas la prolongation aura

403
DELAIRE Yves, La délégation des services publics locaux, Paris, Berger-Levrault, 3ème édition,
novembre 2008, p. 308
404
MOROUWE Hiam, Droit administratif spécial, les grands services publics et leurs modes de gestion,
l’expropriation, les travaux publics et l’urbanisme, MAJD, 2003, p. 105
405
EL KHOURY Youssef Saadallah, Recueil du droit administratif, Tome 2, la gestion des services
publics, l’établissement public et les contrats de concession, 1ère édition, sans éditeur 1999, p. 367

174
lieu tacitement ou expressément suivant les dispositions du contrat lui-même. Et même en
absence d’une telle clause, la pratique a montré que les cocontractants peuvent prolonger
le contrat par le biais d’un avenant conclu lors de l’exécution ou après la fin du contrat.
Mais dans ce cas la prolongation doit être soumise aux procédures d’authentification406
exigées par l’article 89 de la Constitution.

307. Théoriquement, le mérite de fixer la durée, au Liban, dans la loi c’est que
sa prolongation ne peut s’accomplir simplement par une modification du contrat mais
sollicite la promulgation d’une nouvelle loi présentant la nouvelle durée. Une telle
exigence visait à réduire, au moins en principe, la tentative de l’Administration de
prolonger le contrat et par la suite, à protéger la personne publique d’une éventuelle
soumission à la volonté des grands délégataires qui cherchaient à élargir leur marge de
profit.

C’est vrai que l’article 89 en lui-même n’a rien mentionné sur la prolongation desdits
contrats, mais déjà on le savait très bien que s’il a exigé la fixation de la durée en dépit de
toutes les autres clauses du contrat c’est parce qu’il veillait à avoir des conventions à
durée limitée. Ainsi on peut considérer que l’article 89 dans son esprit 407 interdisait toute
prolongation sans motifs raisonnables et exigeants. Car la pratique des DSP continue à
être considérée une exception à la gestion directe du service, exigée par les conditions de
fondation de l’Etat. Et dans ce sens, les prolongations sont des exceptions aux exceptions
et doivent être complètement encadrées ce qui fait que l’administration est interdite de
prolonger ou de renouveler les contrats sous peine d’une responsabilité juridique et
politique du gouvernement devant le parlement. Ainsi, selon le professeur CHOKR, les
lois autorisant la prolongation doivent être déférées et sanctionnées par le Conseil
Constitutionnel pour violation de l’article 89. Pourtant, la pratique montre un flux lois de
prolongation et aucune d’elle n’a été soumise au control du Conseil Constitutionnel.
Néanmoins, si le législateur aperçoit la nécessité de prolonger une convention il doit
élaborer une loi avec tous les éléments permettant au Conseil Constitutionnel d’exercer
son contrôle sur l’équilibre financier du contrat et l’intérêt général.

406
Ibid, p. 369
407
CHOKR Zouheir, Interprétation de l’article 89 de la constitution, entretien du 20/08/2012

175
B- Une prolongation sur demande de l’Administration

308. Cette possibilité n'était pas prévue dans le texte originel du projet de loi.
Elle résulte des objections faites par certains parlementaires de la commission408 déléguée
par le Senat pour étudier le projet de loi, qui estimèrent le texte trop rigide et souhaitaient
lui donner quelque souplesse. Cette hypothèse de prolongation a connu un progrès
continu (1) qui s’est achevé en 2010 pour aboutir à des conditions strictes de son
application (2).

1- Le progrès continu de l’alinéa b)

309. Cet alinéa est apparu pour la première fois lors de l’étude du projet de loi
anticorruption par la commission délégué du Senat. C’est l’amendement no 149 présenté
par M. BONNET, le rapporteur, et qui disposait qu’ « une délégation de service peut être
prolongée lorsque la bonne exécution du service public impose, en cours de convention,
la réalisation par le délégataire d’investissements non prévus initialement et de nature à
modifier l’économie générale de la délégation ». Cette modification fut adoptée par le
Senat lors de sa première lecture malgré l’objection du gouvernement qui jugea les motifs
de la prolongation légitimes, mais trouva l’expression « investissements non prévus
initialement et de nature à modifier l’économie générale de la délégation » un peu
large409. Cet alinéa prend sa forme finale devant la commission déléguée de l’Assemblée
nationale lors de la deuxième étude du projet de loi : « b) Lorsque le délégataire est
contraint, pour la bonne exécution du service public ou l’extension de son champ
géographique et à la demande du délégant, de réaliser des travaux non prévus au contrat
initial, de nature à modifier l’économie générale de la délégation et qui ne pourraient
être amortis pendant la durée de la convention restant à courir que par une
augmentation de prix manifestement excessive. En aucun cas, la ou les prolongations
décidées à compter de la date de publication de la présente loi ne peuvent au total

408
Rapport no 61 fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage
universel, du règlement et d’administration générale sur le projet de loi adopte par l’assemblée nationale
après déclaration d’urgence, relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie
économique et des procédures publiques, par BONNET Christian, JOS, documents parlementaires, 1ère
session 1992-1993.
409
BIANCO Jean-Louis, ministre de l’équipement, du logement et des transports, JOS Débats
parlementaires séance du 3 décembre 1992, p. 630, spec. p. 3634.

176
augmenter la durée de la convention de plus d’un tiers de la durée initialement prévue ».
À savoir, la dernière phrase du b) fut abrogée par le Conseil Constitutionnel 410 pour avoir
porté atteinte au principe de la libre administration. Ainsi, dans le cas où la prolongation
se fonde sur la nécessité de réaliser des travaux, la durée de la prolongation, et
contrairement à la première hypothèse, n’est pas limitée.

310. L’objectif principal du législateur était d’autoriser la prolongation de la


délégation afin d'en préserver l'équilibre qui risquerait d'être rompu en raison des
nouvelles contraintes imposées par la collectivité délégante 411. La durée prolongée est
celle nécessaire pour l'amortissement des investissements projetés. Cette mesure évitera
que la modification de l'économie contractuelle subséquente ne se traduise par une
augmentation du prix des prestations manifestement excessive.

311. Néanmoins, ce texte d’origine négligeait les cas des délégations sans
travaux. Par ailleurs, l’application de la loi anticorruption a révélé, quelques mois après
sa mise en œuvre, certaines difficultés de prolongation. En effet, la notion de travaux est
apparue à la fois floue et précise. « Elle est précise en ce qu'elle désigne « l’ensemble des
activités humaines coordonnées en vue de produire quelque chose ». Elle est également
floue en ce qu'elle nécessite une qualification : travail de construction, travail
immobilier, travail de rénovation, d'extension. Dans tous les cas, elle désigne une
opération matérielle, concrète » 412 . C’est pourquoi cet alinéa a connu de nombreux
assouplissements ultérieurs concernant les critères de prolongations. En réalité, le
changement de la majorité politique du gouvernement 413 a permis de substituer à
l’expression « travaux supplémentaires » l’expression « investissements matériels ou
immatériels » en vertu de l’article 70 I de la loi du 8 aout 1994414. La première expression
est apparue trop restrictive pour couvrir l’ensemble des demandes du délégant

410
Conseil constitutionnel, 20 janvier 1993, Décision 92-316 DC, Rec. p. 14, spec. pp. 22-23
411
AUBY Jean-Bernard, KIRAT Thierry, MARTY Frederic, VIDAL Laurent, Economie et droit du contrat
administratif, L’allocation des risque dans les marchés publics et les délégations de service public, La
Documentation française, Paris, 2005, p. 267
412
TREPPOZ Armelle, Recherches sur la transparence dans la passation des conventions de délégation de
services publics locaux, op. cit., p. 440
413
Ibid, spec. p. 443
414
Loi no 94-679 du 8 août 1994 portant diverses dispositions d'ordre économique et financier, JORF
n°184 du 10 août 1994 p. 11668

177
susceptibles de déséquilibrer le contrat sans pourtant exiger l’accomplissement d’aucun
travail mais, par exemple, la modernisation d’un matériel. Cette substitution a permis de
faire intervenir aussi les études comme raison de prolongement vu leur nécessité dans
certains domaines (transport urbain et scolaire) et leur coût énorme qui incombe au
délégataire. Elle peut designer aussi tout achat à long terme et ne se limite pas à la simple
activité matérielle. Cela permet de prendre en compte « l'ensemble des dépenses
supplémentaires intervenant à la demande de la collectivité publique en cours de contrat
et susceptibles de bouleverser l'équilibre de celui-ci » 415 . Ce nouveau critère englobe
donc en gros, des travaux, des acquisitions, des études, des recherches, des prestations de
maitrise d'œuvre. Néanmoins, un an plus tard, ce même alinéa a reconnu une nouvelle
modification. Il semblait que « le législateur soit tombé d'un excès à l'autre. D'un critère
trop strict, il est passé à un critère trop large. Il est difficile d'apprécier l’opportunité des
études ou recherches et même de vérifier concrètement si elles ont été effectuées »416.
417
Ainsi certains procès portés devant les tribunaux ont montré que certains
« investissements immatériels », telles que des études, avaient pu dissimuler des pratiques
de corruption. C’est pourquoi, et comme preuve de durcissement de la loi, la Loi no 95-
127 du 8 février 1995 relative aux marchés publics et délégations de service public, a
supprimé dans son article 1er le mot « immatériels » et limita cette hypothèse de
prolongation aux seuls « investissements matériels », ce qui constitue la rédaction
actuelle.

312. La date de cette loi, à elle seule, requiert un intérêt majeur, puisqu’elle est
intervenue avant l’écoulement d’un an sur la loi du 8 aout 1994 ce qui montre que la
pratique a relevé un grand nombre d’abus de telle façon que les objectifs de la Loi Sapin
ont été mis en cause. Ainsi, lors des débats parlementaires certains parlementaires ont
considéré que la majorité des études ont été détournées et c’est pourquoi il faut supprimer
le mot « immatériels ». À notre avis, l’une des importantes interventions soutenant cette

415
Rapport no 1349, fait au nom de la commission des finances, de l’économie générale et du plan, sur le
projet de loi (no 1281) portant diverses dispositions d’ordre économique et financier par M. Gérard
TREMEGE, JOAN, documents parlementaires, 10ème session 1994, p. 264
416
TREPPOZ Armelle, Recherches sur la transparence dans la passation des conventions de délégation de
services publics locaux, op. cit., p. 443
417
BOITEAU Claudie, Les conventions de délégation de service public : Transparence et service public
local, op. cit., p. 149

178
suppression était celle de M. AUBERT 418 qui a considéré que cette proposition de loi
permet de résoudre l’un des importants problèmes, que rencontre la DSP, à savoir les
conditions de prolongation. Puisque d’après lui le concessionnaire cherche souvent à se
trouver en situation de monopole c’est pourquoi il souhaite « naturellement que la notion
d’investissements soit la plus large possible ». C’est pourquoi il faut opter pour la notion
la plus restrictive qui est celle «d’investissements matériels ». Cette solution adoptée n’a
pas satisfait à tous. Ainsi, M. CLEMENT 419 , ministre délégué aux relations avec
l’assemblée nationale, considéra qu’ « il faut bien que l’on puisse, dans un certain
nombre de cas, faire des études. Ce n’est pas parce que certains d’entre elles ont été
détournées que toutes les études sont mauvaises ».

313. Par ailleurs, pour bien déterminer ce que recouvre exactement la notion
d'investissements matériels, M. René ROUQUET adressa une question au ministre de
l’intérieur. La réponse, rendue pourtant par le ministre de la fonction publique, précisa
que « la lecture des travaux parlementaires fait apparaitre que cette disposition concerne
des investissements (constructions et acquisitions, notamment) qui portent tant sur des
biens immobiliers que sur des biens mobiliers (véhicules, par exemple). Les travaux
préparatoires de la loi conduisent par ailleurs à une interprétation souple de la notion
d'investissements matériels puisque le législateur n'a pas entendu exclure de celle-ci les
brevets, les équipements informatiques et l'acquisition de logiciels. Ce qui semble
dorénavant exclu du champ d'application de l'article L. 1411-2, alinéa 2, du code général
des collectivités territoriales concerne la réalisation d'études ou de prestations
intellectuelles qui peuvent parfois dissimuler des pratiques contre lesquelles les lois
précitées ont justement pour objectif de lutter »420. Ainsi toute prestation intellectuelle
(marché d'études, de maitrise d'œuvre…) serait exclue, même si elle se rattache à
l'exécution du contrat de délégation.

314. Finalement, la rédaction du b) de l’article L. 1411-2 du CGCT a été

418
AUBERT François, 2ème séance du 15 décembre 1994, JO AN, débats parlementaires, compte-rendu,
décembre 1994, p. 9165, spec. p : 9184- 9185.
419
CLEMENT Pascal, 2ème séance du 15 décembre 1994, JO AN, débats parlementaires, compte-rendu,
décembre 1994, p. 9165, spec. p. 9184- 9185
420
RM, no 13236, JOS Q, Débat parlementaire, 30 mai 1996, p. 1330

179
finalisée par l’art 85-I) de la loi du 12 juillet 2010 421 : « Lorsque le délégataire est
contraint, à la demande du délégant, de réaliser des investissements matériels non prévus
au contrat initial de nature à modifier l'économie générale de la délégation et qui ne
pourraient être amortis pendant la durée de la convention restant à courir que par une
augmentation de prix manifestement excessive.
Ces dispositions s'appliquent lorsque les investissements matériels sont motivés par :

- la bonne exécution du service public ;


- l'extension du champ géographique de la délégation ;
- l'utilisation nouvelle ou accrue d'énergies renouvelables ou de récupération, si la
durée de la convention restant à courir avant son terme est supérieure à trois ans
;
- la réalisation d'une opération pilote d'injection et de stockage de dioxyde de
carbone, à la condition que la prolongation n'excède pas la durée restant à courir
de l'autorisation d'injection et de stockage. »

315. En effet, le but de cette addition était d'ajouter explicitement les


investissements liés au développement des énergies renouvelables parmi les causes qui
peuvent conduire à une augmentation de la durée de concession d'un réseau de chaleur.
« Ces investissements sont en effet souvent importants, nécessitant plusieurs années pour
en tirer le bénéfice en économies de fonctionnement, ce qui peut stériliser toute volonté
de développer les énergies renouvelables dans les dernières années de concession ».
Mais toutefois, et afin d'éviter les effets d'aubaine, le législateur a imposé que la
prolongation ne peut être possible que si la durée restant à courir de la concession est d'au
moins trois ans.

Avec cette loi du 12 juillet 2010, on peut considérer que les hypothèses de prolongation
des DSP sont bien déterminées et encadrées.

2- Les conditions strictes de son application

421
Loi no 2010-788 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l'environnement, JOFR no 0160
du 13 juillet 2010 p. 12905.

180
316. La Loi Sapin a dorénavant posé trois conditions de prolongation relatives à
l’alinéa b) de l’article L. 1411-2 que le juge administratif a développées.

317. En premier lieu, « les investissements doivent être demandés par le


délégant », ce qui signifie que le délégataire n'a aucune alternative, et qu'il est contraint
de réaliser lesdits travaux. Cette condition constitue une mesure de protection de la
collectivité locale, qui ne se trouverait jamais dans l’obligation de prolonger un contrat en
raison des investissements, à utilité incertaine, accomplis par le délégataire de sa seule
initiative. Comme le souligne le professeur Yves Luchaire, il s'agit d'une mesure visant à
faire échec à la notion de travaux utiles422. Cette condition rappelle le droit du délégant de
surveiller l’exécution de la délégation. Elle lui permet de juger l'opportunité de ces
travaux. Pourtant, ces investissements exigés par le délégant, se font normalement sur
demande du délégataire lui-même. Dans tout les cas, la décision refusant de prolonger
une délégation de service à la demande du délégataire sur le fondement de l'article
L.1411-2 b n'est pas détachable du contrat de concession à laquelle elle se rapporte et ne
peut donc faire l'objet d'une demande d'annulation. Elle ne peut donner lieu qu’à une
demande de réparation dans le cadre d'un recours de plein contentieux 423. Le Conseil
d’Etat dans son avis du 19 avril 2005 réaffirme que ces investissements ne doivent pas
être de simple opportunité ou de ceux qui incomberaient normalement au délégataire. Il
s’agit, en réalité, des investissements non prévus au contrat initial que le délégataire se
voit « contraint » de les réaliser.

318. En second lieu, les investissements doivent être d’une part, « non prévus
lors de la conclusion du contrat » 424 et d’autre part, « indispensables au bon
fonctionnement du service ou à son extension géographique ». Cette condition est
interprétée strictement par la jurisprudence, de sorte que ces investissements ne peuvent
relever de la simple opportunité. Ils doivent être, effectivement, impliqués nécessairement

422
LUCHAIRE Yves, « Brèves observations sur la loi du 29 janvier 1993 relative à la transparence des
activités économiques et à la prévention de la corruption », 1ère partie, LPA, no 18, 11 février 1994, p. 4,
spec. p. 8
423
TA Nice, 9 novembre 2007 Société du Parking de la promenade du Paillon c/ Commune de Nice, no
0305363, AJDA, 2008, p.758
424
SCHWARTZ R. Note sous CAA Nantes, 13 nov. 2001, Syndicat intercommunal des eaux de Port-de-
Roche, BJCP 23/2002, p. 325.

181
par un fonctionnement du service public adapté aux besoins des usagers, compte tenu de
la durée restant à courir de la convention. Ainsi, entre dans les prévisions de l'article
L.1411-2-b l'avenant de prolongation d'un contrat d'affermage de l'assainissement qui a
pour objet de réaliser et financer les travaux d’adaptation d’une station d’épuration dans
le but d’améliorer le fonctionnement des équipements par la réduction de la pollution
olfactive qui s'était développée à la suite du raccordement de nouveaux usagers au
réseau 425 . En revanche, est illégale la prolongation, intervenue moins d’un an avant
l’expiration de la délégation, pour réalisation d’une installation de cogénération, dans le
cadre d’une délégation de chauffage urbain, en raison de l’absence de contrainte. En
l’espèce il s’agissait de l’absence de raison technique ou financière, justifiant la
réalisation de ces investissements426.

319. En troisième lieu, les investissements doivent être de nature à « modifier


l'économie générale de la délégation », sans pour autant la bouleverser 427 . Comme
l'indique le professeur Nil SYMCHOWICZ « si les mots ont un sens, on ne saurait
assimiler la notion de modification à celle de bouleversement » 428 . Entre ces deux
expressions existe « une différence d’échelle dans le changement des données
contractuelles »429. L’application de cet alinéa exigerait la prise en compte de certaines
précautions dans l’explication de ces dispositions. D'abord les investissements en cause
doivent être de nature à modifier l'économie générale d'un contrat, mais ne doivent pas
conduire à la bouleverser pour ne pas remettre profondément en cause, pendant son
exécution, les conditions essentielles de sa conclusion. En liaison avec cela, l'objet du
contrat ne saurait être dénaturé. De ce fait, tout avenant de prolongation, entrainant une
modification à un point tel que le contrat pourrait être requalifié, serait jugé illégal430.
Dans le cadre de l’affermage, par exemple, la prolongation ne saurait être admise pour

425
CAA Lyon, 8 février 2005, Commune d'Auxerre-Société Lyonnaise des eaux, Contrats et Marchés
publics, 2005, no 125 ; MÉNÉMÉNIS Alain, Note sous CAA Lyon, 8 février 2005, Commune d’Auxerre, no
99LY00655 , et CAA Versailles, 3 mars 2005, Communauté d’agglomération de Cergy-Pontoise, Droit
Administratif, 2005, comm. 101, p. 25
426
CE, 29 décembre 2004, Société Soccram, Droit Administratif, 2005, comm. 35, p. 22.
427
LOINTIER Philippe, Conclusions sur TA Dijon, no 98-5227, 5 janvier 1999, Sieur Roycourt, BJCP no
3/1999, p. 295
428
SYMCHOWICZ Nil, « La notion de délégation de service public », AJDA, 1998, p. 200, spec. p. 205
429
Idem
430
CELERIER Thibaut, Conclusions sur TA Lille, 2 juillet 1998, Préfet du Nord, BJCP, 1998, no 1, p. 72

182
confier à un fermier des travaux d'une trop grande ampleur, le contrat risquant dès lors
une requalification imposant de nouvelles procédures de mise en concurrence. Dans le
même sens, la cour administrative d'appel de Versailles rappelle que, s'il peut être
envisagé de « modifier l'économie générale » du contrat, un avenant ne saurait
« bouleverser l'équilibre » de la délégation : c'est alors à un nouveau contrat qu'on a
affaire431. A ce titre aussi, on peut citer un jugement du tribunal administratif de Dijon qui
jugea illégal l’avenant de prolongation d’un contrat d’affermage d’un réseau
d’assainissement dont l’un des motifs était la réalisation des travaux qui ne pouvaient être
regardés comme effectués au bénéfice de la bonne exécution du service public432, mais au
raccordement au réseau de plusieurs entreprises intervenant dans des domaines divers,
ces raccordements ayant été effectués sans aucune contrepartie. Pour le juge, « la charge
que constituent ces autorisations de branchement sans contrepartie ne saurait être
transférée sur les autres usagers du service public d'assainissement ».

320. L’article L.1411-2 limitait les conditions de la prolongation en exigeant


que les nouveaux investissements ne doivent pouvoir être amortis pendant la durée de la
convention restant à courir que par une « augmentation de prix manifestement
excessive », sans pour autant préciser si le caractère excessif doit s'apprécier par rapport
au prix initial ou par rapport à un prix considéré comme normal. Dans ce sens, a été jugée
légale, la prolongation d’un contrat d’affermage pour une durée de 15 ans, afin de
permettre à l’affermeur du service d’assainissement de financer des travaux pour réparer
des dégâts consécutifs à des intempéries. Le tribunal considéra que la prolongation ne
méconnaitrait pas l’article L. 1411-2 dès lors qu'il est établi que l'amortissement sur la
durée restante, 18 mois, aurait entrainé une hausse des tarifs de 110%433.

321. En effet, Si le a) de l’article L. 1411-2 visait assurer premièrement une


continuité du service, l’alinéa b) vise à protéger le délégataire des exigences du délégant.
Ainsi, s'il parait normal que le premier effectue des travaux d’entretien courant ou ceux
mentionnés dans le contrat initial, il est également juste qu’il reçoive une compensation
431
MÉNÉMÉNIS Alain, Note sous CAA Lyon, 8 février 2005, Commune d’Auxerre, no 99LY00655 , et
CAA Versailles, 3 mars 2005, Communauté d’agglomération de Cergy-Pontoise, art. prec., spec. p. 26
432
LOINTIER Philippe, Conclusions sur TA Dijon, no 98-5227 du 5 janvier 1999, Sieur Roycourt, prec., p.
295
433
TA Bastia, 5 octobre 1995, Préfet de la Haute-Corse, no 94758

183
financière dès lors que « l'économie générale de la délégation » a été modifiée. C’est
dans le but de maintenir de l'équilibre financier du contrat que cet alinéa puise son
existence. Il est normal, que « le cocontractant de l'Administration a conclu son
engagement en fonction de certaines conditions, notamment sur le plan financier. Au
moment de l’accord des volontés, l'équilibre financier du contrat est souvent déterminant.
Si donc des modifications aux conventions primitives surviennent en cours d’exécution, il
conviendra de tout faire pour maintenir l'équilibre financier du contrat, appelé équation
financière »434. C’est pourquoi, et afin de concilier le droit du gestionnaire à cet équilibre
et celui des usagers à payer un prix raisonnable, il s’avère indispensable que la
compensation financière du délégataire soit être étalée dans le temps. Pourtant, il arrive
que le temps restant à courir entre la réalisation des travaux et la fin de la convention de
délégation de service public ne soit suffisant pour réaliser ce juste équilibre. Il faudra
donc prolonger la durée de la convention pour le temps nécessaire à compenser ces
investissements. C’est pourquoi, dans cette hypothèse, la prolongation n'est pas limitée
dans le temps.

322. De surcroit, le mérite de ce deuxième motif de prolongation est de


permettre, par une négociation maintenue dans le cadre du contrat, l'adaptation nécessaire
du contrat à d’éventuelles évolutions des besoins du service public, car les
investissements « doivent être impliqués nécessairement par un fonctionnement du
service public adapté aux besoins des usagers »435. Ainsi, la réalisation d'investissements
matériels non prévus au contrat initial ne peut permettre la prolongation de la durée du
contrat que dans le seul cas où ces investissements sont justifiés pour des exigences
propres au service.

323. Dans le cadre de cette hypothèse de prolongation, la loi n’a pas


expressément limité la durée de la prolongation. « Mais tant l'application du régime
général de la loi, que, le motif de la prolongation qui repose sur l'effet d'investissements
imprévus, indiquent que cette durée ne saurait excéder la durée d’amortissement des

434
GEORGEL J., « Exécution du contrat administratif. Situation du cocontractant de l'Administration », in
Juris-Classeur Administratif, fascicule 512, 1991, no 51.
435
CE, 29 décembre 2004, n° 239681, Société Soccram, Droit Administratif, no 3, mars 2005, comm. 35, p.
22

184
nouveaux investissements »436.

324. Par ailleurs, la notion « d'augmentation excessive des prix » n'est pas
précisément définie. Cette notion de prix n'a pas la même signification selon les
conventions de délégation de service public en cause et il serait normal de se demander à
partir de quel seuil une augmentation excessive pourra être avancée. Il revient au juge
d’estimer la présence d’une augmentation excessive des tarifs ou non. Ainsi il a été jugé
qu'une augmentation du tarif du service, tel que facturé aux usagers, de plus de 30 % est
substantielle et peut être considérée comme manifestement excessive 437 . Dans cette
décision qui concernait un avenant prévoyant de nouveaux travaux confiés à un fermier,
le juge a fait prévaloir l'article L. 1411-2 du C.G.C.T. sur la distinction entre concession
et affermage, et a donc écarté la possible requalification de l'une ou l'autre. Sans doute,
dans certains cas, conviendra-t-il d'affiner un tel pourcentage, afin qu'il tienne compte de
plusieurs éléments, telle la nature du service constaté ou la situation des différentes
catégories d'usagers.

325. Enfin, l'article L. 1411-2 du C.G.C.T. fait expressément mention de deux


conditions alternative que sont l'extension du champ géographique du service public ou la
bonne exécution de ce dernier, Si la première condition est facilement vérifiable, il n'en
n'est pas de même avec la seconde, qui est susceptible d'appeler des interprétations
diverses. Globalement, il convient évidemment que toute prolongation de contrat fondée
sur les dispositions de cet article ait un rapport direct avec l'exécution même du service
considéré, et non avec des éléments ou des considérations extérieures à cette exécution.

326. D’ailleurs, cette hypothèse de prolongation révèle l’analogie existante avec


la théorie jurisprudentielle du fait du prince où l’Administration se trouve obligée de
compenser son délégataire, notamment sur le plan financier, lorsqu’elle lui impose de
nouvelles obligations dans le cadre de l’exercice de son pouvoir de modification
unilatérale du contrat. « Il s'agit bien en effet ici d'investissements matériels nouveaux,
demandés par le délégant, et donc imposés par lui. Cette partie de l'article L. 1411-2 du

436
GUGLIELMI Gilles J., KOUBI Geneviève, Droit du service public, Montchrestien, 3ème édition, 2011, p
482
437
TA Grenoble, 31 janvier 1997, M.T.P., 28 mars 1997, p. 46

185
C.G.C.T. présente donc une solution d'équité, qui permet de préserver l'équilibre du
contrat alors qu'il aurait pu être rompu du fait des nouvelles contraintes imposées par la
collectivité délégante »438.

327. Pour finir, sur les hypothèses de prolongation, il importe de signaler que
les motifs de ces prolongations sont alternatifs et non cumulatifs. Par ailleurs, l’on
pourrait se demander si le motif de bonne exécution du service ne se confond pas avec le
motif d'intérêt général. Mais il est vrai que l'hypothèse est différente, car en l'occurrence,
la prolongation dans le cadre de la bonne exécution du service public exige la réalisation
de travaux non prévus au contrat initial439.

438
BERBARI Mireille, BRIAND Serge, CALLON Jean-Eric, MIROUSE Véronique, PEYRICAL Jean-
Marc, RIBAULT Gwenaëlle, Délégations de service public: notion, passation, exécution, contentieux
administratif, contentieux pénal, contrôle chambres régionales des comptes, Administration Territoriale,
Guide pratique, Litec, Paris, 2000, p. 75
439
LUCHAIRE Yves, « Brèves observations sur la loi du 29 janvier 1993 relative à la transparence des
activités économiques et à la prévention de la corruption », 1ère partie, op. cit., spec. p. 8

186
Conclusion du Chapitre II

328. Ainsi, le législateur, et après lui, la jurisprudence ont réussi à encadrer la


durée lors de la conclusion du contrat en précisant clairement le moment de sa
détermination ainsi que le moment de son déclenchement. En revanche, le législateur a
gardé à l’esprit la réalité que les conventions de délégation de service public constituent,
eu égard à leur objet et leur durée que ce que les économistes ont coutume d'appeler des
« contrats incomplets »440. En effet, il est souvent impossible de prévoir avec précision
satisfaisante, lors de leur conclusion, « les modifications qui devront leur être apportées
pour adapter le service rendu aux évolutions des besoins, des techniques ou du contexte
économique et qui sont susceptibles d'affecter l'équilibre économique sur lequel ils sont
fondés »441.

329. Dès lors, dans le souci de concilier, la souplesse dans les relations
contractuelles, la mutabilité du service public et, l'effectivité, la périodicité de la
concurrence, et les exigences de la transparence, le législateur a défini deux hypothèses
dans lesquelles le contrat peut être prorogé. En dehors de ces dispositions légales, la
convention ne pourra être prolongée par avenant.

330. Ainsi, le premier apport de la Loi Sapin était l’encadrement de la durée des
délégations de service public ainsi que les modalités de leur éventuelle prolongation afin
de garantir une mise en concurrence effective et périodique de l'attribution et du
renouvellement de ces contrats442.

331. Ces dispositions constituaient une nouveauté attendue et souhaitée dans le


monde des délégations de service public. L’on n’exagère point si l’on considère que la

440
BOUINOT Jean, « Comment assurer l’égal accès à l’information juridique, technique et économique
avant le contrat, en cours et lors de son renouvellment ? », in La gestion déléguée du service public, Actes
du colloque du 14 et 15 novembre 1996 au Senat, RFDA 1997, no 3, no suppl. p. 41
441
MÉNÉMÉNIS Alain, note sous CAA Lyon, 8 février 2005, Commune d’Auxerre, n o 99LY00655 , et
CAA Versailles, 3 mars 2005, Communauté d’agglomération de Cergy-Pontoise, op. cit., spec. p. 26
442
ECKERT Gabriel, « Durée des délégations de service public », Contrats et Marchés publics, n° 4, avril
2004, p. 38

187
Loi Sapin est désormais un point de repère entre les situations qui existaient avant et
après son intervention.

188
Conclusion du Titre I

332. Jusqu’ici, la loi a présenté des règles claires, ou qui sont rendues claires, eu
égard à l’interprétation adoptée par la jurisprudence. Elle a réussi à promouvoir les
principes de la transparence et l’intérêt d’une mise en concurrence périodique, et en
même temps inquiéter les collectivités sur la dangerosité que révèlent les délégations de
longue durée et la liberté incontrôlée de prolongation et de leur reconduction, sur la
collectivité en premier plan et sur le service aussi.

333. Ainsi peut-on considérer qu’on a tourné la page sur les débats concernant
les principes apportés par la loi Sapin et toutes les incertitudes se rapportant au moment
de la détermination de la durée et les possibilités de sa prolongation.

334. En revanche, en mettant de coté les dispositions claires, la Loi Sapin, dans
le souci d’un meilleur encadrement de la durée et d’une détermination optimale de celle-
ci, l’a liée à des notions loin d’être stables ou faciles à déterminer. L’on est passé d’une
ambigüité à une ambigüité plus compliquée à laquelle le juge n’a pas jusqu’ici réussi à
mettre un terme.

189
Titre II- L'échec de l'encadrement de la durée

335. Le régime français est incontestablement marqué, beaucoup plus que le


régime Libanais, du sceau de la transparence à tous ses niveaux. Il était évident que la
prise en compte du temps, spécifiquement, était au cœur des préoccupations juridiques443.
D’ailleurs cet intéressement était clairement reflété par la Loi Sapin, en introduisant un
certain nombre de dispositions sur la durée des conventions de délégation de service
public, « dispositions dont ni le principe ni l'application ne sont aisés »444.

336. En effet, la loi Sapin ne s’était pas contentée de poser un principe qui est
celui de la limitation de la durée des conventions de délégation de service public, mais
elle a exigé que celle-ci soit établie préalablement en fonction de l’amortissement des
installations à implanter.

Quoique ce rapport, dans sa généralité, soit séduisant et impressionnant, surtout en nous


faisant croire qu’à travers cette liaison aucune rente de situation pour le délégataire ne
pourra être détectée, on ne peut se laisser prendre par le rêve d’aboutir à de justes
ambitions en se référant à des techniques utopiques. Un tel rapport ne pourra être mis en
œuvre en raison de la complexité de la détermination sous des paramètres variables
(Chapitre I). Le problème n’est pas dans le but mais dans les moyens qui permettent sa
réalisation.

337. Dans ce sens, la détermination telle que proposée par la Loi Sapin ne
pourra satisfaire à ses objectifs, non seulement par ce que le rapport de la
durée/amortissement n’est pas opportun mais aussi en raison des lacunes que comporte la
loi. À fortiori, dans un Etat comme le Liban, où la détermination est uniquement liée,
dans son principe général, à l’article 89 de la Constitution, on ne pourra jamais espérer un
réel encadrement contractuel de la durée. D’où l’échec de la détermination (Chapitre II).

443
LINDITCH Florian, « Recherche sur la place de l'amortissement en droit administratif », AJDA 1996 p.
l00
444
AUBY Jean-François, « La durée des conventions de délégation de service public », LPA, no 32, 13
mars 1996, p. 12

190
Chapitre I – La complexité de la détermination sous paramètres
variables

338. Il existait, de façon générale, bien avant la Loi Sapin, différents textes qui
limitaient la durée de certaines délégations, et qui étaient, pour une période déterminée,
d’une application forcée. Pourtant, la nouveauté qu’apporte la Loi Sapin réside dans ce
que cette dernière a posé le principe de la limitation de la durée du contrat en définissant
les paramètres permettant de fixer la durée de chaque contrat. En effet le législateur ne
s’est pas contenté de définir, comme on vient de le voir, le moment de la détermination,
le support, et la partie responsable de la fixation mais aussi les modalités de la
détermination.

339. Dans ce sens, l’article 40 précise que la durée « est déterminée par la
collectivité en fonction des prestations demandées au délégataire. Lorsque les
installations sont à la charge du délégataire, la convention de délégation tient compte,
pour la détermination de sa durée, de la nature et du montant de l’investissement à
réaliser et ne peut dans ce cas dépasser la durée normale d’amortissement des
installations mises en œuvre ».

340. Cette technique juridique remarquable a été peu étudiée par les juristes
avant la Loi Sapin, elle était plutôt utilisée dans le domaine de la gestion. Cependant, elle
a été reprise en droit privé, droit fiscal, droit commercial avant d’être récemment admise
expressément par le droit administratif. Cette transposition dans les contrats de DSP a eu
des conséquences profondes, car la notion n’a pas été suffisamment clarifiée dans les
textes.

341. Le législateur a désiré par ce rapport durée/amortissement concrétiser et


matérialiser la relation contractuelle entre le délégant et son délégataire. Ainsi
l’amortissement peut être considéré comme constituant une condition de légalité445 de la
convention de DSP. Pourtant l’exclusivité de ce rapport s’est avérée trompeuse (Section
445
LINDITCH Florian, « Recherche sur la place de l'amortissement en droit administratif », art. prec. p. l00

191
I) en raison de l’absence d’une définition unanime et précise de la durée normale
d’amortissement.

342. Toutefois, même si la référence à l’amortissement révèle un certain degré


de rationalisme et de crédibilité, elle est loin d’être adoptée aveuglement dans les DSP,
par ce qu’elle n’est pas, d’une part, le seul facteur dans la fixation de la durée et, d’autre
part, en raison de la variabilité des enjeux déterminant la durée (Section II).

Section I : L’exclusivité trompeuse du rapport durée/amortissement

343. La notion d'amortissement « repose sur la volonté de préserver la valeur


d'un investissement, et à travers lui celle d'une activité humaine, en reconstituant
artificiellement celle-ci au fur et à mesure des altérations que lui fait subir l'écoulement
du temps »446.

344. La Loi Sapin soutient, par ses termes, l’exclusivité d’un rapport entre la
durée contractuelle et l’amortissement comme seul moyen de pouvoir déterminer cette
durée. Pour autant avant de pouvoir adopter ou dénoncer cette hypothèse, la notion
d’amortissement mérite d’être étudiée et présentée selon ses différentes significations
(paragraphe 1).

345. En outre, face à la variété des définitions et des significations que peut
comprendre la notion d’amortissement en droit public, et face à l’imprécision du
législateur et du Conseil Constitutionnel, il serait normal de se trouver devant une
adoption hésitante de la notion de « durée normale d’amortissement » (paragraphe 2).

Paragraphe 1 : La présentation des différentes possibilités de signification du terme


amortissement

346. Transposée du droit privé, la notion d’amortissement a reçue de multiples


définitions qui ont tenté d’être utilisées dans le domaine des délégations de service
public.

446
Ibid, p. l00.

192
Dans son sens générique, « l’amortissement est la constatation annuelle, en charge
d’exploitation et en diminution de valeur d’actif, de la perte progressive de valeur
d’usage des immobilisations inscrites au bilan »447. Autrement dit, Il représente « une
opération de gestion d’un actif immobilisé, permettant de repartir sur la durée de vie
utile de ce dernier son montant amortissable ; c'est-à-dire ses pertes de valeurs et les
dotations financières correspondantes »448.

Cette nouvelle notion a été transférée, pour la première fois, vers les contrats publics, par
le biais de la Loi Sapin. Elle a été présentée par le législateur d’une façon un peu critique.
En effet, ce dernier se comportait comme si cette notion était si concrète qu’elle ne
nécessitait, de sa part, aucune explication ou élucidation de l’ambigüité qui l’entoure.

347. Suivre le raisonnement du législateur nous met devant une obligation


primordiale de définir le terme de l’amortissement. Or les recherches ainsi que les
diverses utilisations de cette notion dans l’ensemble du système du droit public et privé
montrent que cette notion acquiert différentes possibilités de significations. Certaines
recherches préfèrent adopter une distinction tripartite de cette notion (A), d’autres optent
pour une distinction fonctionnelle dualiste de l’amortissement (B). La présentation de ces
différents types acquiert une importance majeure étant donné que ni le législateur n’était
clair sur le type visé par l’article 40, ni le Conseil Constitutionnel n’était précis, par la
suite, sur le type à privilégier dans son interprétation de l’article 40.

A- Une distinction tripartite de la notion d’amortissement

348. Une première définition de la notion d’amortissement, normalement


adoptée en domaine du droit public, présente trois branches de la notion, qui peuvent être,
l’une comme les deux autres, employées en droit des délégations de services publics. Ces
trois branches sont d’origine doctrinale et sont par la suite adoptées à des degrés
différents par la jurisprudence administrative. Il ne s’agit pas de dévoiler un secret en
annonçant que l’adoption de l’une ou de l’autre de ces définitions entraine des résultats

447
MENTRÉ Paul, « Les durées d’amortissement », Rapport au ministre d’Etat ministre de l’économie, des
finances et de la privatisation, La Documentation Française, 1987, p. 7
448
VILA Jean-Baptiste, Recherches sur la notion d'amortissement en matière de contrats administratifs,
Thèse Toulouse I Capitole, 2009, p. 25

193
très variables au niveau de la durée choisie.

Ainsi, les trois types d’amortissements sont : l’amortissement comptable (1), économique
(2) et financier (3).

1- L'amortissement comptable

349. L’amortissement comptable ou fiscal, est celui qui retient la durée de vie
normale du bien. En effet, la fonction comptable représente la première fonction de
l’amortissement par laquelle ce dernier représente « la somme qui doit être déduite du
résultat brut pour que l’entreprise ne distribue pas des revenus entamant son patrimoine
; c’est la somme qui permet de reconstituer le patrimoine grâce à des investissements de
renouvellement »449.

Autrement, l’amortissement comptable constitue « la constatation comptable d’un


amoindrissement de valeur d’un élément d’actif résultant de l’usage, du temps, du
changement de technique ou de toute autre cause dont les effets sont jugés
irréversibles »450.

350. Dans un sens plus clair et simple, l'amortissement comptable et fiscal


désigne les usages professionnels résultant des normes comptables et des pratiques
fiscales451. Il est en effet régi, principalement, par les dispositions du Code général des
impôts et est le seul retenu par les services des impôts pour la détermination du résultat et
de l'imposition. Il est calculé « en fonction d'une durée de vie théorique de
l'immobilisation » 452. Par exemple, s'agissant des bâtiments commerciaux, la durée de
l’amortissement comptable est au minimum de 20 ans et elle est assise sur le coût
historique d'acquisition.

351. Ainsi, la durée calculée en fonction de l’amortissement fiscal serait la

449
MELYON Gérard et NOGUERA Remédios, Comptabilité générale, ESKA, 4ème édition, 2004, note no
53, p. 351
450
VILA Jean-Baptiste, Recherches sur la notion d'amortissement en matière de contrats administratifs,
op. cit., p. 25
451
DELAIRE Yves, La délégation des services publics locaux, Paris, Berger-Levrault, 3ème édition,
novembre 2008, p. 302
452
GUGLIELMI Gilles J., KOUBI Geneviève, Droit du service public, op. cit., p. 478

194
durée pendant laquelle « l'exploitant est autorisé à inscrire une dotation représentant la
dépréciation du bien dans son compte de résultat. Les règles fiscales fixent des
fourchettes d'amortissement, à l’intérieur desquelles l'exploitant opère son choix. Si
l'exploitation est bénéficiaire, l'exploitant a intérêt à amortir sur une durée courte » 453.

352. Cette définition prouve la soumission des biens aux effets du temps à
travers la dépréciation de leur valeur. On peut parler d’une usure, détérioration
(diminution de valeur), disparition (extinction) ou même d’une obsolescence (désuétude
en raison du progrès technologique). La fonction de l’amortissement sera dans ce cas de
retracer l’ensemble des pertes de valeurs des actifs immobilisés au passif du bilan de
l’entreprise454.

2- L’amortissement économique

353. Le deuxième type d’amortissement est l’amortissement économique. Cet


amortissement vise à établir une compensation 455 entre, d'une part, les ressources
dégagées par l'exploitation du service concédé et, d'autre part, les charges subies par le
délégataire et qui se rapportent principalement aux coûts des investissements réalisés, aux
charges d'exploitation et enfin le remboursement des emprunts éventuellement contractés.

D’une façon plus simple, l’on entend par amortissement économique, le temps nécessaire
pour que « le revenu procuré par un investissement en couvre la charge. Il est qualifié
fréquemment de « temps de retour » d'un investissement » 456.

354. Parmi les différents types d’amortissements, l’amortissement économique


constitue l’amortissement le plus malléable qui établit l’équilibre général dans le contrat.
C’est l'amortissement que les entreprises pratiquent normalement pour avoir une idée
réelle de la dépréciation de leurs immobilisations. Ainsi la durée calculée en fonction de
l'amortissement économique doit tenir compte des conditions globales de rentabilisation

453
LONG Marceau (dir.), Négocier, gérer et contrôler une délégation de service public, Institut de la
gestion déléguée, La Documentation française, Paris, 1999, p. 67
454
VILA Jean-Baptiste, Recherches sur la notion d'amortissement en matière de contrats administratifs,
op. cit., p. 25
455
DELAIRE Yves, La délégation des services publics locaux, Berger-Levrault, Paris, 3ème édition,
novembre 2008, p. 302
456
LONG Marceau (dir.), Négocier, gérer et contrôler une délégation de service public, op. cit. p. 67

195
de l'activité. Elle vise, selon AUBY J.-F. « les conditions dans lesquelles un délégataire
peut dégager, sur son exploitation, les ressources permettant d'une part de couvrir
l'exploitation courante du service, d'autre part les charges liées à l'investissement quelle
que soit la manière dont cet investissement est financé (financement sur fonds propres,
457
financement sur prêts bancaires, financement sur crédit-bail) » . Cette notion
d’amortissement économique représente « la résultante de la marge qui chaque année
peut être dégagée sur l'exploitation pour couvrir la charge (financière) de
l'investissement » 458. Cette dernière englobe, selon cette approche, des dépenses annexes
à l'immobilisation principale, voire des couts qui ne seraient pas considérés comme
immobilisés (communication, formation). Cette marge dépend notamment de nombreux
facteurs comme « les conditions de rentabilité de l'activité (...), le choix stratégique fait
par la collectivité en matière de tarifs » et « le caractère exclusif ou non exclusif de la
prestation fournie aux usagers ». Dans le premier cas le tarif d’équilibre ne pourra pas
être remis en cause par les usagers, alors que dans le second, le tarif d’équilibre,
déterminé par les conditions de la concurrence peut justifier la variété des durées
proposées. Cette marge peut, de même, tenir compte du fait que la dépense nécessaire au
renouvellement de l'installation serait supérieure à la dépense initiale en raison de
l'évolution technologique et des changements techniques qui rendent inappropriés les
biens antérieurement acquis. L’avantage que requiert l’amortissement économique c’est
qu’il peut recommander certains modes de calcul que la fiscalité ne peut autoriser,
notamment l’amortissement progressif.

355. Dès lors, l'amortissement économique doit résulter du « chiffrage


prévisionnel des investissements et des conditions d'exploitation » 459 . Ce chiffrage
prévisionnel serait préalablement déterminé en commun accord entre les deux parties de
la délégation, et il aura une double mission : lors de la négociation, il servira les parties
dans le choix de la durée du contrat, et à posteriori, il servira comme une base pour
effectuer le contrôle de légalité par le représentant de l’Etat et par la suite, en cas de
nécessité, le contrôle du tribunal administratif ou la chambre régionale des comptes.

457
AUBY Jean-François, « la délégation de service public : Premier bilan et perspectives », RDP 1996, p.
1095, spec. p. 1107
458
Idem
459
Idem

196
3- L’amortissement financier

356. Par amortissement financier, on désigne la durée des prêts, lorsque prêt il y
a, sollicitée pour couvrir le financement de l'équipement. « Cette durée dépend des
pratiques bancaires au moment où l'investissement est financé, et de la part de
l'investissement couverte par emprunt » 460 . C’est cette durée du prêt qui constitue la
principale distinction entre l'amortissement économique et l'amortissement financier461.

357. Cependant, certains auteurs ont trouvé que la notion d'amortissement


financier est trompeuse 462 , et ceci pour plusieurs raisons. Selon M. AUBY, les
organismes financiers adoptent certaines pratiques de détermination de durée qui n’ont
pas nécessairement un rapport particulier avec l'amortissement économique d'un service
public. Il évoque l’exemple des prêts qui sont rarement donné pour de durées supérieures
à 20 ans, alors qu’il existe des équipements publics de très grande taille qui nécessitent
pour leur amortissement économique, une durée parfois supérieures à 20 ans.

C’est ainsi que fonctionne le système du marché financier. Dès lors, face à certaines
conventions de délégation de service public qui nécessitent l’installation des équipements
de longue durée de vie, le délégataire recourt souvent à bâtir des contrats durant lesquels
l'amortissement financier va se développer sur une partie du contrat, la fin de celui-ci
serait de sorte que le concessionnaire puisse récupérer les déficits qu’il a dû supporter
pendant les années où il était contraint à couvrir, à la fois, les charges d'exploitation et les
charges d'amortissement d'emprunt463.

358. Pourtant, l’un des désavantages de la notion d'amortissement financier est


qu’elle ne prend point en considération la participation propre du délégataire au capital.
Or il est certain que plus la participation en capital apportée par le délégataire sera élevée,
moins les charges d'emprunt le seront. Et par conséquent il serait normal que les
emprunts soient souscrits pour des durées plus courtes que si la totalité de

460
LONG Marceau (dir.), Négocier, gérer et contrôler une délégation de service public, op. cit., p. 67
461
DELAIRE Yves, La délégation des services publics locaux, op. cit., p. 302
462
AUBY Jean-François, « La durée des conventions de délégation de service public », art. prec., spec. p.
13
463
Idem

197
l'investissement était couverte par des prêts.

C’est ce critère de l’amortissement financier qui fait obstacle à ce que la durée


contractuelle lui soit équivalente étant donné qu’on ne peut négliger la présence des
investissements dont les coûts sont couverts par des capitaux propres ne relevant pas de
prêts bancaires et que ces apports en capitaux doivent également être rémunérés.
« Considérer donc l'amortissement financier pour servir de base au calcul de la durée
normale d'un contrat est donc une approche insuffisante, même si on peut le corriger en
calculant un taux de rémunération de fonds propres »464.

359. D’une façon générale, ces méthodes d’amortissement sont fondées sur la
465
durée probable d’utilisation du bien . Cette définition tripartite de la notion
d’amortissement est la plus connue et elle est souvent trouvée dans les manuels de droit
public. Pourtant certains auteurs préfèrent une autre classification de cette notion.

B- Une distinction fonctionnelle dualiste de l’amortissement

360. Quoique la distinction tripartite de la notion de l’amortissement est assez


claire et précise, certaines études ont opéré une seconde vision plutôt fonctionnelle de
cette notion qui permet de l’établir suivant deux volets : l’amortissement industriel et
commercial (1), et l’amortissement de caducité (2).

1- L’amortissement industriel et commercial

361. L’amortissement industriel et commercial désigne généralement la


déduction opérée sur les produits d'exploitation, par les entreprises relevant de l'impôt sur
le revenu (bénéfices industriels et commerciaux) ou de l'impôt sur les sociétés, en vue de
constater et de compenser la dépréciation que subissent avec le temps certaines
immobilisations sujettes à dépérissement. Cette procédure de dépréciation conduit
normalement « à constater une accélération de la dégradation des immobilisations pour
des raisons externes ou internes en relation avec la politique de gestion de l’entreprise.

464
Idem
465
DEL PRETE Didier, L’avenant dans les contrats administratif, Thèse, Aix-en-Provence, 6 décembre
2002, p. 350

198
Mais elle contribue aussi à opérer une correction artificielle du décalage constaté : la
base amortissable étant modifiée pour tenir compte de la valeur la plus faible »466.

362. Cet amortissement désigne également « l'opération consistant à étaler sur


un nombre réduit d'exercices, certaines dépenses importantes dont le montant est
provisoirement inscrit à l'actif du bilan sous un poste d'actif (valeurs immobilisées) ne
correspondant en fait à aucune valeur réelle. Tel est le cas de la déduction échelonnée
des frais d'établissement »467.

363. Cette dénomination se réfère à la notion de l’amortissement comptable.


Elle sert à constater le niveau d’utilisation des actifs de l’entreprise. Elle constitue un
simple moyen de mesure de la dépréciation de ces actifs et de la perte de valeur des biens
du fait de son usure ou de l'écoulement du temps. « Ainsi, le montant des annuités dépend
de la durée d'utilisation prévisible du bien lors de son entrée en fonction – sa durée de
vie, en quelque sorte »468.

364. D’ailleurs, l’amortissement technique et industriel présente trois


caractères469 : le premier est sa certitude, cette dépréciation étant inévitable. Le second est
la dissimulation ou l’illusion que crée l’immobilisation en service car la diminution de sa
valeur, pour indiscutable qu'elle soit, reste généralement dissimulée sous une apparence
extérieure inchangée. Et ce n’est que lors de la vente, ou lors de la mise hors de service
de l'élément que la moins-value véritable sera mise en évidence. Finalement, le troisième
caractère est celui de l'imprécision du montant de la dépréciation subie au cours d'un
exercice donné. Théoriquement, une telle détermination exige une comparaison entre la
valeur de la réalisation de l'immobilisation à la date de clôture dudit exercice et celle
qu'elle comportait à la fin de la période d'imposition précédente. Mais étant donné qu’une
telle comparaison est quasi-impossible en raison des difficultés que présenterait une
estimation exacte de la perte subie, les sociétés recourent à une évaluation annuelle

466
VILA Jean-Baptiste, Recherches sur la notion d'amortissement en matière de contrats administratifs,
op. cit., p. 223
467
http://bofip.impots.gouv.fr/bofip/4544-PGP.html
468
COLLET Martin, Note sous CE, 11 janvier 2008, Société Sogeparc France, « L’amortissement fiscal
des biens de retour dans les concessions de service public », RJEP, n° 655, Juillet 2008, étude 6, p. 3, spec.
p. 4
469
http://bofip.impots.gouv.fr/bofip/4544-PGP.html?identifiant=BOI-BIC-AMT-10-10-20120912

199
forfaitaire d’une somme fixée, pour chaque élément d'actif, d'après la durée probable de
son utilisation suivant un plan préétabli.

365. Du point de vue de la fonction industrielle/technique de l’amortissement,


la durée normale d’amortissement représente la durée nécessaire pour que la valeur du
patrimoine financé par le délégataire soit techniquement nulle470.

366. Pourtant, l’objectif de la technique de l’amortissement, en général, ne


serait pas seulement d’appréhender les effets du temps sur le patrimoine, que
l’amortissement technique et industriel assure, mais de permettre à l’entreprise
d’anticiper financièrement le renouvellement des actifs qui ne participeront plus à la
471
production . C’est pourquoi l’amortissement technique est complété par
l’amortissement de caducité.

2- L’amortissement de caducité

367. Par opposition aux amortissements de droit commun, qualifiés


d’amortissements techniques ou industriels, un amortissement dit de caducité vient
s’intéresser restrictivement aux concessions de service public. Dans ces types de
délégation, le concessionnaire est dans l’obligation de rendre gratuitement les
installations à la fin de la délégation à la personne publique.

368. En gardant à l’esprit que la conception de l’amortissement fiscal se base


sur la déduction d'annuité, dont le montant dépend de la valeur initiale du bien et de sa
durée de vie prévisible, et qui, de ce fait, incite le délégataire à faire état, dans ses
écritures comptables, de la perte de valeur du bien en question, et à dégager en franchise
d'impôt les sommes qui permettront de remplacer ou de renouveler le bien une fois celui-
ci devenu obsolète, ce type d’amortissement ne peut être adopté dans les contrats de
concession. La principale raison de la non application de ce mécanisme est que, dans ce
type de contrat, le concessionnaire est appelé à remettre gratuitement les ouvrages
installés à la personne publique sans avoir à les renouveler. Pour répondre à cette réalité,

470
VILA Jean-Baptiste, Recherches sur la notion d'amortissement en matière de contrats administratifs,
op. cit., p. 30
471
Ibid, p. 26

200

Vous aimerez peut-être aussi