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Comment éviter le piège de la dette après la pandémie ? | Cairn.

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Comment éviter le piège de la dette après la


pandémie ?
Olivier Klein
Dans Revue d'économie financière 2021/1 (N° 140), pages
281 à 292

Article

P lus la pandémie dure, plus les États doivent soutenir l'économie –


à juste titre –, notamment les entreprises dans les secteurs les
plus touchés et les ménages qui en dépendent, et plus les banques
1

centrales doivent soutenir les États en achetant leur surcroît de dette.


La conséquence en est que la dette augmente. La question est donc de
savoir, dans l'après-Covid, comment l'on gérera ce fort surcroît de
dette, venant après une montée mondiale de l'endettement depuis au
moins deux décennies. Ainsi se construit le « piège de la dette ». Soit
les banques centrales se retireront peu à peu de leur politique de
quantitative easing et les taux d'intérêt longs remonteront en
pouvant provoquer l'insolvabilité de nombre d'entreprises et d'États,
s'ils n'ont pas redonné une trajectoire crédible à leur dette. Soit elles

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ne le feront pas et exacerberont les bulles financières et immobilières


déjà présentes avec à terme leur éclatement et des conséquences
économiques et sociales désastreuses. Et, in fine, une possible perte de
confiance dans la monnaie. Quelles politiques peut-on alors mener
pour éviter au mieux ce piège ?

Il y a de fausses pistes et d'autres à considérer, aucune solution 2


n'étant évidente, ni facile.

PREMIÈRE FAUSSE PISTE

La première fausse piste est celle défendue par certains économistes 3


énonçant qu'au fond l'endettement peut être sans limites, parce que
les taux d'intérêt sont proches de zéro. Plus précisément, les taux
d'intérêt nominaux étant inférieurs aux taux de croissance
nominaux, la soutenabilité de la dette serait assurée. Ainsi, de facto, le
niveau de la dette importerait finalement peu. Mais le modèle sous-
jacent, qui est bien connu, n'est vrai que sous certaines conditions.

Quatre raisons de mettre en doute ce modèle

Première raison
Une telle situation de taux d'intérêt durablement inférieurs aux taux 4
de croissance engendre quasi inéluctablement des cycles financiers,
c'est-à-dire des bulles sur les actifs patrimoniaux (notamment actions
et immobilier, mais aussi or, art, etc.), avec une tendance au
surendettement et à des prises de risque trop fortes et sous-
rémunérées chez les investisseurs (ménages comme gestionnaires
d'actifs). En fin de compte, cela conduit à une vulnérabilité

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grandissante tant du passif des emprunteurs que de l'actif des


investisseurs. Des crises financières majeures en résultent tôt ou
tard, avec des conséquences économiques et sociales bien connues
maintenant. En outre, ces crises abaissent la croissance potentielle de
façon durable. Ces sujets étant aujourd'hui bien documentés, nous ne
démontrerons pas ici ce point, explicité clairement par ailleurs.
Ajoutons enfin que les politiques macroprudentielles, pour
indispensables qu'elles soient, restent très insuffisantes pour contrer
les cycles financiers. D'une part, parce qu'elles restent nationales et
qu'il est difficile d'agir contre la compétitivité des banques de son
propre pays et, d'autre part et surtout, parce qu'elles ne touchent que
les banques à ce jour, alors que les dernières décennies ont vu
fortement monter le poids relatif des marchés financiers dans le
système de financement national et international.

Deuxième raison
Nonobstant les crises financières engendrées, les taux trop bas, trop 5
longtemps, pèsent eux-mêmes sur le trend de croissance. Ce n'est pas
toujours bien compris. D'après le modèle usuel, le taux d'intérêt
naturel, calculé à partir de déterminants qui sont des variables
réelles, est de plus en plus bas depuis quelques décennies. Il est même
très bas ces dernières années, voire même inférieur à zéro dans la
zone euro. Le taux naturel extrêmement bas, voire négatif, serait la
manifestation d'une épargne supérieure à l'investissement ex ante et
d'une inflation trop basse, inférieure à sa cible. Cela justifierait donc
d'amener les taux effectifs toujours plus bas pour pousser l'épargne à
la baisse et l'investissement à la hausse, et remonter parallèlement le
taux d'inflation. Cependant, peut-être existe-t-il une anomalie dans le
raisonnement. Cette idée, si elle est partiellement vraie, est aussi

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partiellement erronée, car le régime monétaire, c'est-à-dire la


politique monétaire qui s'inscrit dans le temps long, influence en
réalité aussi l'économie et la croissance sur le long terme.

Ainsi, si pendant trop longtemps, le taux d'intérêt est inférieur au 6


taux de croissance, la politique monétaire influe-t-elle sur l'économie
réelle de par la mauvaise allocation des capitaux qui en résulte.
Certaines entreprises en effet restent en vie, alors que si les taux
d'intérêt avaient été proches du taux de croissance, elles auraient été
durablement en perte et auraient de fait disparu (ces entreprises sont
appelées « zombies »). Restant en vie, elles faussent l'allocation des
capitaux, perturbent la santé des entreprises saines et compétitives et
empêchent le phénomène naturel de destruction/création nécessaire
à tout dynamisme économique des pays développés. C'est l'une des
raisons du déclin constaté des gains de productivité. En outre, les
taux d'intérêt trop bas, trop longtemps, facilitent aussi l'endettement.
Il est beaucoup plus facile de s'endetter quand le taux d'intérêt est
durablement inférieur au taux de croissance. Et le surendettement
induit conduit inéluctablement à une baisse de l'investissement, ce
qui influence négativement à nouveau les gains de productivité.

Pour poursuivre notre démonstration, considérons le modèle 7


traditionnel selon lequel une baisse des taux entraîne une baisse de
l'épargne et une hausse de l'investissement, qui est valable en temps
normal. En réalité, si l'on baisse les taux trop longtemps en dessous
du taux de croissance, et à un niveau proche de zéro, cela provoque
tôt ou tard une hausse de l'épargne. Acceptons que l'illusion
monétaire puisse y jouer un rôle. On a pu le constater récemment, y
compris avant la pandémie, les ménages accumulent bien davantage
d'épargne pour compenser le manque d'intérêts reçus, afin
d'atteindre malgré tout le capital qu'ils jugent nécessaire pour leur

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retraite. Ajoutons qu'afficher en permanence des taux trop bas pour


longtemps finit aussi par peser sur les anticipations des entreprises.
L'avenir ainsi annoncé fait entrevoir un taux de croissance nominal
très faible, qui n'incite que peu à entreprendre. Sans compter, en
outre, que des taux nuls ou négatifs brouillent tous les calculs
économiques.

Enfin, les taux d'intérêt trop bas, trop longtemps, créant des bulles, 8
engendrent des inégalités patrimoniales qui, outre les conséquences
sociales induites, peuvent pénaliser la consommation. Ce ne sont pas
les ménages dont la propension à consommer est la plus élevée qui
s'enrichissent le plus.

Il y a dès lors, pour l'ensemble des raisons précitées, un piège 9


manifeste à maintenir des taux trop bas, trop longtemps. Il faut
utiliser un modèle a-monétaire et a-financier pour croire que la
finance et la monnaie ne rétroagissent pas significativement sur
l'économie réelle.

Pour éviter la déflation et permettre à l'économie de rebondir, il est 10


évidemment nécessaire d'amener les taux d'intérêt en dessous des
taux de croissance lors d'une crise majeure, y compris par des
politiques de quantitative easing lorsque les taux d'intérêt sont déjà
très bas, et notamment lors de crises de surendettement comme celle
de 2007-2009. Mais les conserver très bas et en dessous du taux de
croissance lorsque celle-ci est revenue, que les crédits ont retrouvé un
rythme normal, etc., induit un affaiblissement structurel de la
croissance, de par les mécanismes présentés ci-dessus, puis, en
retour, finit par peser sur le niveau des taux d'intérêt lui-même.

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Notons enfin que dans le modèle usuel, la courbe de Phillips indique 11


que plus l'emploi s'accroît, plus l'inflation monte. Ainsi, ce même
modèle indique symétriquement que, si l'inflation reste très basse, en
dessous de sa cible, l'économie est encore loin du plein-emploi. C'est-
à-dire que l'épargne est supérieure à l'investissement, ex ante. Ce qui
indique également que le taux d'intérêt naturel, variable modélisée et
non observable, est en dessous du taux d'intérêt effectif, concluant
ainsi à la nécessité de pousser encore ce dernier à la baisse. Mais
depuis des années et jusqu'à maintenant, la courbe de Phillips ne
fonctionne plus, l'augmentation de l'emploi n'entraînant plus la
hausse des prix.

Cela signifie qu'amener sans cesse les taux plus bas pendant des 12
phases de croissance « normale », à la poursuite d'un taux d'intérêt
naturel lui-même en baisse, résulterait peut-être d'une interprétation
partiellement erronée. Une interprétation qui pourrait avoir des
conséquences négatives sur l'économie, eu égard aux effets décrits ci-
dessus. La question alors de la cible d'inflation pendant ce régime
d'inflation, à un niveau inférieur, mais proche, à 2 %, se poserait avec
acuité.

Nous sommes convaincus qu'une inflation trop basse est dangereuse, 13


car elle entraîne des possibilités élevées de tomber en déflation, de
par l'impossibilité alors de provoquer des ajustements souples
permettant aux agents privés de réagir à une récession sans
provoquer des cascades de licenciements ou de faillites. Une inflation
trop basse ne permet plus, en effet, d'abaisser les taux d'intérêt réels,
ni les salaires réels, facteurs pourtant d'ajustements moins
douloureux économiquement et socialement. Mais, si l'inflation
structurelle est très basse, significativement inférieure à 2 %, pendant
une phase longue de l'économie, de par les effets de la mondialisation

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et de la révolution technologique, chercher à tout prix à la faire


remonter, par une politique monétaire en permanence ultra-
accommodante, ne conduit-il pas à provoquer les effets très négatifs
explicités précédemment dus à des taux d'intérêt trop longuement
inférieurs aux taux de croissance ? Nous pensons qu'il est nécessaire
que les banques centrales maintiennent un objectif d'inflation, c'est-
à-dire un objectif d'ancrage nominal ; mais les cibles choisies doivent
être adaptées au régime économique et financier de longue période
en vigueur.

Troisième raison
L'idée selon laquelle les taux d'intérêt en dessous des taux de 14
croissance assurent durablement la solvabilité des États repose sur
une série d'hypothèses héroïques. Tout d'abord, l'hypothèse selon
laquelle l'inflation ne reviendra pas significativement avant
longtemps. L'inflation ne repartira en effet probablement pas dans
l'immédiat, mais, à quelques années de là, qui sait si la politique
américaine ne relancera pas l'inflation avec un déficit budgétaire très
élevé, l'augmentation des salaires, etc. ? Quelle sera l'influence sur les
prix d'une éventuelle reprise très forte après la Covid-19, faisant face
à des goulots d'étranglement ? Quel sera l'effet de la réorganisation de
certaines chaînes de production et des circuits
d'approvisionnement ? Quel sera l'effet enfin du coût de la nécessaire
transition énergétique sur le régime d'inflation ? Une certaine
inflation serait d'ailleurs légitime et utile, dès lors qu'elle ne se
transforme pas en régime inflationniste, c'est-à-dire en une
indexation généralisée. Mais, si l'inflation dépassait durablement sa
cible, soit les banques centrales réagiraient et, eu égard à la quantité
considérable de dettes, provoqueraient des insolvabilités privées et

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publiques qui pourraient connaître un enchaînement catastrophique,


si la trajectoire annoncée par les uns comme par les autres de la dette
n'était pas maîtrisée ou pas crédible. Soit les banques centrales ne
réagiraient pas et elles s'exposeraient dès lors à une dangereuse perte
de crédibilité du fait de leur incapacité à maîtriser l'inflation. Elles
sont en effet garantes de l'ancrage nominal, c'est-à-dire d'une
inflation modérée et maîtrisée.

De plus, même sans augmentation significative et non désirée de 15


l'inflation, lorsque les banques centrales n'achèteront plus la quasi-
totalité du surcroît de dettes publiques parce que la croissance sera
revenue à la normale, il faudra qu'il y ait encore des acquéreurs.
L'idée selon laquelle les acheteurs seraient appétents pour acheter de
la dette avec des taux d'intérêt à zéro ou négatifs paraît peu réaliste.
C'est pour cela d'ailleurs que les investisseurs, particuliers comme
institutionnels, nous l'avons vu, prennent des risques
disproportionnés pour obtenir un peu de rendement.

Ajoutons enfin qu'il ne suffit pas que les taux d'intérêt remontent 16
pour que l'équation usuelle indique que les conditions de la solvabilité
des États ne sont pas réunies. En effet, même si les taux d'intérêt
restaient encore longtemps à leur niveau d'aujourd'hui, un choc assez
fort et durable pourrait faire baisser le taux de croissance lui-même et
mettre ainsi en doute la trajectoire de solvabilité anticipée. Ou même
un déficit public primaire durablement aggravé pourrait contrarier la
solvabilité, même facilitée parallèlement par un taux d'intérêt
inférieur au taux de croissance.

Donc il y a bien un piège de la dette, qu'il y ait un regain d'inflation 17


durable et non désirée ou pas. Si les banques centrales laissent ou
font remonter les taux, que ce soit pour des raisons de retour à une
croissance normale et au plein-emploi ou pour respecter leurs
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objectifs d'inflation en cas de dérapage de cette dernière, les effets


sur une économie très endettée ne seront supportables que si les
États comme les agents privés ont annoncé et entamé une trajectoire
de solvabilité crédible. Et si les banques centrales ne le font pas, c'est
elles qui perdront leur crédibilité enclenchant alors des dynamiques
déstabilisantes, monétaires et financières, et in fine économiques et
sociales, potentiellement catastrophiques. Dont la dynamique
destructrice de fuite devant la monnaie, analysée ci-dessous.

Quatrième raison
À terme, si la dette augmente sans cesse par l'effet de l'argent 18
magique, la contrainte monétaire, c'est-à-dire la contrainte de
paiement, sera de plus en plus inexistante. Or, comme le dit très
justement Michel Aglietta, la confiance dans la monnaie est l'alpha et
l'omega de la société. Le système monétaire est un système de
règlement des dettes. La confiance dans la monnaie repose donc sur
le fait que le système de règlement des dettes emporte la confiance en
étant efficace. Si les ménages peuvent dépenser durablement plus
qu'ils ne gagnent, si les entreprises peuvent financer leurs pertes sans
limites, si les États ne connaissent aucune contrainte quant au
développement de leur propre dette, c'est le système monétaire lui-
même qui ne sera plus efficace, ni crédible. C'est alors la valeur même
de la monnaie qui sera mise en doute et, tôt ou tard, on risquera une
fuite devant la monnaie, avec l'apparition de monnaies privées non
bancaires, de cryptomonnaies, etc. On peut aisément imaginer, c'est
d'ailleurs en cours, que des GAFA (Google, Amazon, Facebook ou
Apple), plus solvables que les États et qui gèrent des quantités
gigantesques d'échanges commerciaux et de règlements, puissent
émettre leur propre monnaie. Les ménages ne préféreront-ils pas à

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terme avoir ce genre de monnaie en ce cas ? Ce serait très dangereux


et destructeur pour la société. L'or et aussi certains actifs réels
pourraient être également des lignes de fuite vis-à-vis de la monnaie.
Pensons à l'hyperinflation allemande, aux assignats, etc. Le paiement
des indemnités exigées par les vainqueurs de la Première Guerre
mondiale a obligé l'État allemand à dépenser beaucoup plus qu'il ne le
pouvait. La banque centrale a été obligée de le financer. Elle a ensuite
couru après l'hyperinflation en mettant à chaque fois la quantité de
monnaie nécessaire pour que les échanges puissent être réalisés. Cela
a engendré l'apparition de monnaies privées locales, comme, de la
part de grands groupes, l'émission d'obligations avec des très petites
coupures pouvant servir de monnaie à la place du mark. Cette
situation a été destructrice pour la société.

DEUXIÈME FAUSSE PISTE

D'autres économistes veulent annuler tout ou partie de la dette 19


détenue par les banques centrales. Notons d'entrée que l'idée
exprimée est orthogonale avec celle sur laquelle repose la première
piste. L'abandon ne peut être indispensable que si la quantité de dette
en jeu n'est pas soutenable. Les deux propositions sont donc
antinomiques.

L'idée de l'abandon par les banques centrales ne tient pas. On doit, 20


d'une part, considérer les États et les banques centrales en consolidé
pour avoir une vue juste des mécanismes en jeu. Les banques
centrales étant la plupart du temps possédées par les États, ce que
gagne une banque centrale est de ce fait gagné par les États. Un tel
abandon de dette, d'autre part, entraînerait une grave perte de
crédibilité tant des banques centrales que des États. L'expérience
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crédibilité tant des banques centrales que des États. L'expérience


historique prouve en effet que les annulations de dettes publiques ne
sont que très rarement des succès et qu'au contraire, ils induisent des
coûts très lourds sur le temps long. L'annulation de la dette semble
donc purement et simplement inenvisageable.

TROISIÈME FAUSSE PISTE

Provoquer une hausse des impôts, et notamment de l'impôt sur la 21


fortune. En premier lieu, les montants de tels impôts ne se
comparent en rien au montant des dettes. Les échelles sont tout
autres. Dans certains pays, où les impôts sont bas, on peut
parfaitement comprendre qu'augmenter les impôts sur PIB participe
des solutions à mettre en place. En France, les impôts sont parmi les
plus élevés sur PIB des pays développés, y compris d'ailleurs le taux
d'impôt sur le capital actuel, même après réforme, qui reste parmi le
plus élevé des pays comparables. Une telle augmentation serait donc
très dangereuse pour la demande. Comme ce serait très dangereux
pour l'offre, car là encore il est nécessaire, pendant la phase de
reconstruction, que l'on incite les entrepreneurs à entreprendre et à
innover et que l'on favorise la compétitivité. Cela faciliterait tant le
développement des capacités de production que l'attractivité du pays.
D'ailleurs, le nombre de créations d'entreprise est en hausse
significative en ce moment. Cette phase de puissante mutation, que
la Covid-19 ne crée pas mais qu'elle accélère considérablement, doit
être bien accompagnée.

QUATRIÈME FAUSSE PISTE

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L'emprunt obligatoire consiste à ponctionner une partie de l'épargne 22


des ménages et à financer ainsi les dettes des États. L'épargne due à
la pandémie étant abondante, cette idée semble se développer. Il est
certes vrai que les dépôts dans les banques, depuis la pandémie, se
sont fortement accrus de la part des ménages, mais aussi des
entreprises qui ne sont que peu ou pas affectées. Mais cette idée
comporte plusieurs erreurs possibles d'analyse. Premièrement, un tel
emprunt obligatoire serait très probablement ressenti comme
confiscatoire et abaisserait considérablement la confiance dans les
États, ce qui, dans l'état du monde actuel, ne semble pas souhaitable.
Deuxièmement, il y aurait consécutivement une reconstruction des
patrimoines car les ménages auraient peur de ne pas être remboursés
dans le futur ou de voir leur créance rongée par l'inflation à long
terme. Cela déclencherait un effet délétère sur la consommation, avec
pour corollaire une augmentation de l'épargne. Qui plus est, la
situation est totalement différente d'avec celle de l'immédiat après-
guerre qui connaissait une thésaurisation des ménages dans les bas
de laine, l'idée étant alors de mobiliser de l'épargne stérile.
Aujourd'hui, l'économie européenne est totalement bancarisée. 99 %
des ménages en France ont un ou plusieurs comptes en banque.
Quand ils « thésaurisent » de nos jours, c'est beaucoup en dépôts
bancaires. Cette épargne est ainsi mobilisée par les banques pour le
crédit à l'économie. Cette épargne n'est donc ni oisive ni stérile. Un
emprunt obligatoire reviendrait en fait à déplacer l'épargne qui
finance l'économie privée vers le financement de l'État.

QUELLES VOIES SONT ALORS POSSIBLES POUR SORTIR


PAR LE HAUT DU PIÈGE DE LA DETTE ?

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Les dettes des entreprises tout d'abord. En France, on sait que la dette 23
sur PIB des entreprises a beaucoup augmenté cette dernière
décennie, plus vite que la moyenne des pays de la zone euro, et
maintenant l'a dépassée. Il faut donc augmenter le capital des
entreprises par rapport à la dette. Les prêts participatifs sont une voie
à poursuivre, mais ce n'est pas la seule possibilité pour ce faire, parce
qu'ils restent de la dette, même subordonnée, et qu'ils coûtent
relativement cher. Sans doute les obligations convertibles doivent-
elles également être considérées, par exemple. Quoi qu'il en soit, il
faut inciter les ménages à mobiliser une partie de leur épargne vers le
capital des entreprises en améliorant leur fiscalité en tel cas ou en
garantissant une partie du capital ainsi investi. Il ne faut pas non plus
omettre que les banques et les assurances ont vu fortement
augmenter, avec Bâle III et Solvency II, le capital réglementaire
requis sur leurs placements en capital dans les entreprises. Ne serait-
ce pas, au moins temporairement, utile à l'économie européenne et
même favorable, in fine, au risque des banques, d'alléger le coût en
capital réglementaire de tels placements ?

Pour la dette publique, en premier lieu, il faudrait distinguer la dette 24


Covid-19 et accepter que le surcroît de dette publique dû à la Covid-19
puisse être refinancée assez longuement en le « roulant » par la
banque centrale. Les dettes des États, comme celles des entreprises,
ne s'éteignent pas en réalité. À leur échéance, elles sont remboursées
par de nouvelles dettes émises aux conditions de marché du moment.
Les nouvelles dettes refinancent les dettes précédentes. L'important
pour l'émetteur n'est donc pas de réduire quoi qu'il arrive sa dette,
mais d'assurer une trajectoire de solvabilité qui lui permette lors des
échéances successives de trouver des acquéreurs à ses nouvelles
émissions, et ce à des conditions « normales ». Afin de ne pas trop
peser sur le marché de la dette publique, lors des refinancements
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peser sur le marché de la dette publique, lors des refinancements


futurs, afin de ne pas compromettre la solvabilité des États, les
banques centrales pourraient ainsi assurer sur un temps
suffisamment long le refinancement du seul surcroît de dette
publique dû à la pandémie. Cela ne correspondrait ni à un
quelconque abandon, ni à une monétisation permanente de la dette
publique.

Augmenter la croissance potentielle


En second lieu, il est indispensable d'élever le taux de croissance 25
[1]
nominal pour rendre la dette publique​ plus facilement soutenable.
Une plus forte croissance apporte plus de revenus aux États, ce qui
joue favorablement sur le solde des finances publiques, comme sur le
PIB, donc sur le numérateur et le dénominateur du taux de dette
publique. Le taux d'endettement s'en trouve donc doublement
amélioré.

Il ne faut pas de politique d'austérité, car il ne faut pas entrer dans ce 26


cercle vicieux. Pour augmenter le taux de croissance, il est
indispensable de mener des politiques de soutien de la demande,
jusqu'au retour d'un taux de croissance « normal ». Mais les politiques
structurelles sont également indispensables. Leur finalité est
d'augmenter le potentiel de croissance. L'indispensable réforme de
l'État, en France, permettrait d'améliorer l'efficacité de l'argent
dépensé et d'améliorer à terme les facteurs de compétitivité de
l'économie. La dépense publique française est plus élevée, en
proportion du PIB, que celle de la quasi-totalité des économies
européennes, avec une efficacité finale trop faible. Le rapport
efficacité/coût de la dépense publique, dans de nombreux domaines,
se compare souvent de façon défavorable à celui des pays semblables.

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Mais ces réformes sont difficiles à réaliser pendant les crises


économiques et ne sont pas d'un effet rapide. Elles n'en restent pas
moins essentielles.

La réforme de la retraite, consistant à augmenter le nombre 27


d'annuités pour prendre en compte l'évolution démographique, est
d'une forte efficacité et à résultats plus rapides. Le déficit du régime
des retraites contribue, en outre, largement au déficit public. On
comprend aisément que l'allongement de la durée de vie, comme les
exemples étrangers en démontrent l'évidence, nécessite d'augmenter
le nombre d'annuités pour avoir droit à une retraite pleine. Cette
réforme, très utile à la maîtrise de la dépense publique, serait
également une preuve additionnelle que la France prend le problème
de la dette au sérieux. Enfin, la réforme des retraites n'abîme pas la
croissance ; au contraire, elle permet d'inciter les Français à moins
épargner grâce à la diminution ou même à la suppression de leur
crainte de ne pas avoir une retraite suffisante ou prévisible. Et parce
que cette réforme augmente la population active, elle augmente le
potentiel de croissance.

La réforme de l'assurance chômage peut également être utile à la 28


croissance potentielle. Même en cette période, le nombre d'emplois
non pourvus reste considérable. Une assurance chômage incitant
mieux à trouver un emploi, tout en créant un curseur des différents
critères d'allocation se déplaçant en fonction des indicateurs du
marché de l'emploi, semble adaptée. Et, parallèlement, il faut
renforcer l'aspect sécurité ou protection des personnes, si l'on
flexibilise à juste titre davantage les emplois. Les mutations
économiques accélérées en cours et à venir vont nécessiter en effet
encore davantage de changer de métier et d'entreprise

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qu'auparavant. Une meilleure protection individuelle, notamment


par une meilleure formation initiale et une formation professionnelle
plus intense et plus efficace, en est donc un corollaire indispensable.

CONCLUSION

Ainsi, pour ne pas provoquer de retour en arrière dans une croissance 29


renaissante, il faut à l'évidence que la politique monétaire et la
politique budgétaire de soutien et de relance persistent tant qu'une
croissance stabilisée n'est pas retrouvée. Mais il faudra rapidement
donner un engagement clair des États, comme des banques centrales,
à poursuivre une trajectoire sur plusieurs années permettant de
revenir à la « normale » et s'y tenir de façon scrupuleuse, pour donner
confiance dans la dette et in fine dans la monnaie. Le développement
sans limite de la dette provoquerait de très graves crises monétaires
et financières, même si le moment en est toujours difficilement
prévisible. L'engagement sur une trajectoire de moyen terme de
soutenabilité des finances publiques, notamment par une meilleure
gestion des finances publiques, comme l'augmentation du potentiel
de croissance, est indispensable. Ce qui n'exclut pas le financement
de certains investissements porteurs de croissance durable.
L'engagement d'un retour progressif et prudent de la politique
monétaire à une pratique permettant de conduire les taux d'intérêt
nominaux vers les taux de croissance nominaux, lorsque la croissance
est satisfaisante, est tout autant nécessaire. On sait en effet
clairement depuis la dernière grande crise financière qu'un taux de
croissance satisfaisant et régulier et un taux d'inflation maîtrisé et à
l'objectif ne suffisent pas à entraîner l'absence de bulles et de crises
financières. La politique monétaire se doit donc de rechercher
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simultanément la stabilité économique (en fermant l’output gap), la


stabilité monétaire (en fermant le gap d'inflation entre le taux
d'inflation constaté et la cible poursuivie) et la stabilité financière (en
prévenant autant que possible – et non seulement en réparant – les
bulles sur les marchés financiers et immobiliers, ainsi que
l'accroissement anormal du ratio de dettes sur PIB).

C'est une voie de sortie étroite, mais probablement la seule jouable. 30

Notes

Le raisonnement est également valable pour les agents privés.

Résumé

Il y a de fausses pistes et d'autres à considérer ; aucune solution


n'étant évidente ni facile.
Parmi les fausses pistes défendues par certains économistes figure
l'idée de la soutenabilité durable de la dette, quel que soit son
montant. Mais aussi celle de son annulation. Deux solutions
antinomiques. L'augmentation des impôts comme la mise en place
d'un emprunt obligatoire sont deux autres fausses voies qui seraient
notamment défavorables à l'offre comme à la demande.
Quant aux pistes envisageables pour sortir par le haut du piège de la
dette, et s'agissant d'abord de la dette privée, des mesures favorisant

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l'augmentation des capitaux propres des entreprises sont


nécessaires.
Pour la dette publique, les banques centrales doivent pouvoir assurer
sur un temps suffisamment long le refinancement « roulant » de la
dette Covid.
Enfin et surtout, tout en maintenant les politiques de soutien de la
demande jusqu'au retour d'une croissance normale, il faut augmenter
le potentiel de croissance, en menant des politiques structurelles. La
plus forte croissance nominale conduira à réduire peu à peu le taux
d'endettement public, tant par le numérateur et le dénominateur.
Classification JEL : E42, E44, F21, F30, G30.

What Paths Could Be Taken to Best Escape Falling into the


Debt Trap?
There are false leads, and others to consider, but no obvious or easy
solution.
Among the false leads defended by certain economists is the idea that
the debt is sustainable, no matter the amount, for a very extended
period of time. Or, by some others, cancelling it. Two opposite
solutions. Tax increases as well as a mandatory government bond
issue are also two non-solutions that would have adverse effects
notably on both supply and demand.
Regarding the possible paths for exiting the debt trap through equity,
firstly with respect to private debt, measures favouring capital
increases by companies are necessary.
For the public debt, the central banks will have to be able to continue
to roll over the Covid debt for a sufficiently long period.
Last but not least, while maintaining policies to support demand
until the return of normalised growth, the growth potential must be
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until the return of normalised growth, the growth potential must be


increased, through the implementation of structural policies, starting
with the pension and unemployment reforms. Stronger nominal
growth will gradually lead to a reduction in the government debt
ratio, through both its numerator and denominator.
Classification JEL : E42, E44, F21, F30, G30.

Plan
Première fausse piste
Quatre raisons de mettre en doute ce modèle

Deuxième fausse piste

Troisième fausse piste

Quatrième fausse piste

Quelles voies sont alors possibles pour sortir par le haut du piège de
la dette ?
Augmenter la croissance potentielle

Conclusion

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Auteur
Olivier Klein

Professeur affilié, notamment cours de macroéconomie financière et cours de politique


monétaire, co-responsable de la Majeure et du Master de Financial Economics, HEC ;
directeur général, BRED.

[email protected]

Mis en ligne sur Cairn.info le 20/07/2021


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Mis en ligne sur Cairn.info le 20/07/2021

https://doi-org.ressources.univ-poitiers.fr/10.3917/ecofi.141.0281

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