Les Regles de La Methode Sociologique Demile Durk
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Les Regles de La Methode Sociologique Demile Durk
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Frédéric Rouvière
Aix-Marseille Université
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Frédéric ROUVIÈRE
Professeur à l’Université Paul Cézanne (Aix-Marseille III)
Laboratoire de théorie du droit (EA 892)
Contre toute attente, la lecture d’Emile Durkheim peut contribuer à définir l’objet et la méthode de la recherche
en droit. Cet apport est manifeste si l’attention se concentre moins sur le contenu sociologique du texte de
Durkheim que sur la façon dont il pose le problème de l’autonomie de la sociologie en tant que discipline
scientifique. Le but de cette contribution est de montrer que le droit peut tirer parti de cette réflexion sur
l’autonomie du savoir sociologique.
Emile Durkheim and The Rules of the sociological method: methodological lessons for Legal research.
Against all odds, the reading of Emile Durkheim may help define the object and method of legal research.
Durkheim’s contribution is obvious if the focus is less on the sociological content of the text rather than on how
he raises the issue of autonomy of sociology as a scientific discipline. The aim of this contribution is to show that
Law can take advantage of this reflection on the autonomy of sociological knowledge.
1
Abréviée par la suite en notes en RMS. L’édition utilisée est la suivante : E. Durkheim, Les règles de la méthode
sociologique, Flammarion, Champs, 1988. L’ouvrage contient en outre une étude sur « l’instauration du
raisonnement expérimental en sociologie » par J.-M. Berthelot et une courte biographie ainsi qu’une bibliographie
auxquelles nous renvoyons.
2
2
Ph. Jestaz ; Chr. Jamin, La doctrine, Dalloz, Méthodes du droit, 2004, pp.139-141. C’est d’ailleurs à cette époque
que paraissent les ouvrages emblématiques de la forme actuelle de la recherche juridique : Planiol est l’auteur du
Traité élémentaire de droit civil (1899), premier ouvrage de forme dogmatique et Gény de la Méthode d’interprétation
et sources en droit privé positif (1899), première tentative de réflexion théorique sur la nouvelle forme de la
connaissance juridique.
3
S. Pimont, « Peut-on réduire le droit en théories générales ? », RTD civ. 2009, pp.417-431
4
J.-P. Chazal, « De la théorie générale à la théorie critique du contrat », RDC 2003, pp.27-34.
5
E. Savaux, La théorie générale du contrat : mythe ou réalité ?, LGDJ, Bibl. de droit privé, tome 264, 1997.
6
RMS, p.93.
7
Pour une critique générale du phénomène de l’inflation de l’information juridique: D. Bureau, N. Molfessis,
« L’asphyxie doctrinale », Etudes à la mémoire du Professeur Oppetit, Litec, 2009, p.45 et s.
3
ce sont les opinions et tendances d’une juridiction que l’on chercherait à saisir à
travers l’actualité jurisprudentielle. Signes patents de cette tendance : la collecte des
arrêts des juges du fond et l’étude des masses jurisprudentielles. Pourtant, si la
jurisprudence était uniquement conçue comme un phénomène sociologique, les
juristes seraient en train de plaider pour la disparation de leur propre métier. Il ne
s’agit donc pas d’imiter.
Adapter les règles de la méthode sociologique, c’est encore renoncer à faire une
recherche propre. Cet angle d’attaque rappelle celui utilisé naguère par KELSEN :
adapter en droit les exigences d’empiricité et d’objectivité propres à la conception
alors dominante des sciences de la nature. Le succès propre de cette entreprise a
oblitéré la réflexion sur la dogmatique, cette activité des juristes qui consiste à
déterminer la ou les normes applicables voire à les systématiser 8. Or ce qu’il importe
de formuler n’est pas une (énième) nouvelle méthode mais bien la méthode qui est à
la base même de cette activité dogmatique. L’adaptation n’est pas cette dernière voie.
8
M. Troper, La théorie du Droit, le Droit, l’Etat, PUF, Léviathan, 2001, spéc. p.12.
9
RMS, p.237, en conclusion de l’ouvrage: « La sociologie n’est donc l’annexe d’aucune autre science ; elle est en
elle-même une science distincte et autonome ».
10
RMS, chap. III, pp.140-168.
11
RMS, chap. V, pp. 182-216.
12
RMS, chap. VI, pp.217-232.
13
RMS, chap. I, pp.95-107.
14
RMS, chap. II, pp.108-139.
4
I. Le problème de l’objet
certain ensemble de faits ce qui justifie alors qu’aucune autre discipline n’ait de
prétention à les étudier. La première leçon à tirer du point de vue de la recherche
juridique est alors que l’objet de celle-ci ne devrait pas être un ensemble de faits qui
constitue le champ d’une discipline préexistante.
formules, institutions etc. Cette distinction permet de faire la part entre la répétition
(à la source du fait) et la « consistance »23 que les faits acquièrent par la suite, leur
forme propre24 qui les constitue en tant que faits sociaux. Ensuite, il faudra penser
l’effet de ces formes sociales dans le réel, par exemple en se demandant pourquoi
certains courants d’opinion conduisent de façon inégale au mariage, à la natalité, au
suicide etc25.
Un problème analogue a été une fois encore rencontré par DURKHEIM. Il s’agit
toujours pour la sociologie naissante de distinguer l’individuel et le collectif. Les
statistiques du suicide ou de la natalité ont bien une nature collective qui les rend ces
23
Le mot est de Durkheim : RMS, p.101.
24
RMS, p.101 : « [ces manières d’agir ou de penser] prennent ainsi un corps, une forme sensible qui leur est
propre et constituent une réalité sui generis, très distincte des faits individuels qui la manifestent ».
25
RMS, pp.101-102.
7
faits sociaux26. Ce à quoi il est possible de rétorquer que néanmoins, même les
manifestations privées sont sociales « puisqu’elles reproduisent en partie un modèle
collectif »27. Pourtant, comme ces manifestations privées dépendent aussi des
circonstances propres de l’individu au plan matériel, biologique et psychique, elles
ne sont pas en elles-mêmes sociologiques 28. Ainsi, c’est bien parce que le phénomène
est collectif qu’il est général et non l’inverse 29 : un sentiment collectif d’une assemblée
n’est pas simplement le point commun entre tous les sentiments individuels 30. Voilà
où se trouve l’objet de la sociologie : dans le collectif.
26
RMS, p.102 : « Comme chacun de ces faits comprend tous les cas particuliers indistinctement, les circonstances
individuelles qui peuvent avoir quelque part dans la production du phénomène s’y neutralisent mutuellement et,
par suite, ne contribuent pas à le déterminer ».
27
RMS, ibidem.
28
RMS, ibidem.
29
RMS, p.103 : « [le phénomène] est dans chaque partie parce qu’il est dans le tout, loin qu’il soit dans le tout
parce qu’il est dans les parties ».
30
RMS, ibidem.
31
Epistémologiquement, on peut remarquer que la notion de « fait brut » est très problématique : existe-t-il
vraiment des éléments de la réalité qui sont perçus indépendamment de toute idée ou représentation ? Mais c’est
un autre débat, de plus grande portée.
8
sociologie dépend d’une élaboration théorique. Ce qui importe ici n’est pas de
critiquer cet aspect mais de le rendre conscient dans l’analyse. D’ailleurs, le fait social
doit lui-même être défini et ne sera appréhendé que par ce prisme : « est fait social
toute manière de faire, fixée ou non, susceptible d’exercer sur l’individu une contrainte
extérieure »32.
Ce qui est troublant c’est que le critère de la contrainte est également celui de
la règle de droit. La différence se situe dans le fait que DURKHEIM vise une contrainte
réelle (effective) tandis que celle de la règle de droit n’est que potentielle. Toutes les
règles ne sont pas effectivement appliquées et cela n’est pas forcément pathologique.
Le législateur a pu, par exemple, réglementer un contrat qui n’est presque jamais ou
rarement utilisé dans la pratique. Dans le même ordre d’idée, les juristes préfèrent
volontiers dire qu’ils étudient des règles ou des normes plutôt que des textes. Mais
parler de règles ou normes, c’est déjà s’engager dans une théorisation poussée de
l’objet. Pourtant, se limiter au concept de « texte » émanant de sources (critère
organique du parlement et de la juridiction) suffit à isoler un objet pour la recherche
juridique. Certains rétorqueront peut-être que c’est justement insuffisant. Mais à y
regarder de plus près, se donner comme objet les normes (entendues ici comme les
significations d’un acte de volonté) c’est déjà appliquer une méthode à un objet car
comment connaître les normes sans support matériel, autrement dit sans texte ? Si la
volonté ne s’extériorise pas dans un support durable elle ne pourra être objet d’une
analyse durable et sa circulation même (nécessaire pour constituer un savoir) serait
problématique. Ce n’est pas un hasard, si, depuis Rome, l’écrit n’a fait que
progresser : qu’on songe au seul exemple du corpus iuris civilis et de son influence.
Ainsi, la recherche juridique a sans doute réussi à délimiter son objet mais à la
différence de la sociologie sa méthode demeure largement indéterminée et c’est sur
ce point que la lecture de DURKHEIM est certainement la plus profitable.
7 « Considérer les faits comme des choses » – Cet apophtegme est le plus
connu de DURKHEIM et nous n’en ferons pas un nouveau commentaire général. Ce
qu’il importe de souligner est que cette maxime doit permettre à la sociologie de
passer des images et des concepts grossiers au savoir scientifiquement constitué 33. La
clé de ce passage réside bien dans la méthode. Or si la recherche juridique peut isoler
32
RMS, p.107.
33
RMS, p.108 , adde, même page :« C’est que, en effet, la réflexion est antérieure à la science qui ne fait que s’en
servir avec plus de méthode ».
9
un objet propre, sa méthode propre n’a pu être identifiée de la même façon ce qui
rend les préceptes développés à ce sujet d’autant plus intéressants. Ici, l’alternative
entre les faits et les idées est tranchée : l’objet exclusif de la sociologie doit être
empirique et factuel, voilà ce que veut dire « considérer les faits sociaux comme des
choses ». Il s’agit d’appliquer une méthode à un matériau empirique et non à une
idée34. Cette façon de procéder devrait conduire à considérer que la recherche a pour
objet des textes (élément empirique composé d’une suite de signes linguistiques) et
non des normes qui sont des significations et donc des éléments non factuels, non
perceptibles directement par les sens mais relevant au contraire de l’intelligible (en
tant que propriété d’un objet de pensée)35. Dans cette optique, le véritable sens de la
méthode va consister à se demander comment attribuer une signification aux textes
ce qui suppose de caractériser le rapport entre le fait (social ou textuel) et la
signification de celui-ci.
34
RMS, pp.108-109.
35
Bien sûr, rien n’interdit de considérer que la signification est dans les choses ou que la signification est elle-
même une chose. Mais cette question philosophique demanderait à être traitée à part entière. Encore, rappelons
que nous ne proposons ici rien de définitif mais seulement quelques pistes dont la recherche juridique pourrait
s’inspirer ; bref des problèmes plutôt que des réponses.
36
RMS, p.109 : « On peut faire appel aux faits pour confirmer ces notions ou les conclusions qu'on en tire. Mais
les faits n'interviennent alors que secondairement, à titre d'exemples ou de preuves confirmatoires ; ils ne sont pas
l'objet de la science. Celle-ci va des idées aux choses, non des choses aux idées ».
37
RMS, ibidem.
38
RMS, ibidem.
39
RMS, ibidem.
10
des cas »40. En effet, les arrêts jugés « dissidents » sont souvent passés sous silence
dans la présentation du droit positif41 ou présentés comme des exceptions, ce qui est
bien l’aveu que la théorie n’est valable que dans la généralité des cas.
Or tel était bien le reproche fait aux débuts de la sociologie : elle a traité les
concepts et non les choses42. Prendre l’idée pour matière première c’est se condamner
à traiter de simples vues de l’esprit43. En raisonnant de cette façon, on ne fait pas une
recherche proprement sociologique parce qu’on substitue d’emblée nos idées à la
réalité et du coup, on s’interdit de la connaître 44. Aller des idées aux choses c’est
feindre d’être empirique et confondre les faits avec des arguments 45. La conclusion
est sans appel : « la méthode voudrait donc que l'on s'interdît tout usage de ces concepts,
tant qu'ils ne sont pas scientifiquement constitués »46. Autrement dit, les concepts ne
doivent pas être confirmés par les faits : au contraire, les concepts doivent être
élaborés à partir des faits. L’idée n’est pas le point de départ mais le point d’arrivée.
40
RMS, ibidem.
41
Pour une série d’exemples de l’utilisation doctrinale du silence, v. M. Boudot, Le dogme de la solution unique.
Contribution à une théorie de la doctrine en droit privé, thèse, Aix-en-Provence, 1999, n°180-191, pp.288-303.
42
RMS, p.112.
43
RMS, pp.113-114 : « Puisque, d'ailleurs, on ne conçoit pas que l'évolution sociale puisse être autre chose que le
développement de quelque idée humaine, il paraît tout naturel de la définir par l'idée que s'en font les hommes.
Or, en procédant ainsi, non seulement on reste dans l'idéologie, mais on donne comme objet à la sociologie un
concept qui n'a rien de proprement sociologique ».
44
RMS, p.115 : « C'est donc encore une certaine manière de concevoir la réalité sociale qui se substitue à cette
réalité ».
45
RMS, ibidem : « Aussi, quoiqu'il [Spencer] affecte de procéder empiriquement, comme les faits accumulés dans
sa sociologie sont employés à illustrer des analyses de notions plutôt qu'à décrire et à expliquer des choses, ils
semblent bien n'être là que pour faire figure d'arguments ».
46
RMS, ibidem.
47
RMS, ibidem.
48
RMS, p.116.
49
RMS, p.119.
11
Ces considérations invitent à la réflexion sur la façon dont les théories censées
rendre compte du droit positif sont élaborées. Si leur pertinence est jugée à leur
capacité à retrouver au sein des lois et arrêts des formules doctrinales, il est clair ce
procédé est étranger à la constitution scientifique des concepts dont parle DURKHEIM.
En opérant de la sorte, le juriste se comporte comme si les faits pouvaient présenter
en eux-mêmes leur propre principe d’organisation, bref comme si la lecture du
contenu des arrêts suffisait à ordonner le phénomène légal ou jurisprudentiel. C’est
là le développement d’une idée initiale dans toutes ses dimensions, bref ce que
DURKHEIM a qualifié de morale. Pire, la méthode juridique dogmatique en vigueur
semble une fois encore concentrer tous les défauts dénoncés : elle prend comme objet
d’analyse la motivation de l’arrêt (donc des idées) plus qu’elle ne considère le cas qui
y est relaté (les faits). De même, ces idées correspondent à celles des juges et ne
résultent pas d’une constitution scientifique. Bref, il manque une théorie de la
recherche juridique qui explique comment les juristes doivent élaborer leurs
concepts, voilà au fond ce que souligne le rapprochement avec l’ouvrage de
DURKHEIM.
50
RMS, p.117.
51
RMS, p.120 : « Traiter des phénomènes comme des choses, c'est les traiter en qualité de data qui constituent le
point de départ de la science »
52
RMS, p.121 : « Il est possible que la vie sociale ne soit que le développement de certaines notions ; mais, à
supposer que cela soit, ces notions ne sont pas données immédiatement. On ne peut donc les atteindre
directement, mais seulement à travers la réalité phénoménale qui les exprime ».
53
RMS, p.125 : « Il faut donc que le sociologue, soit au moment où il détermine l'objet de ses recherches, soit dans
le cours de ses démonstrations, s'interdise résolument l'emploi de ces concepts qui se sont formés en dehors de la
science et pour des besoins qui n'ont rien de scientifique ».
54
RMS, p.126.
55
RMS, p.127.
12
b) Définir les choses étudiées est alors l’exigence véritable mais elle suppose
de posséder une théorie de la définition qui, il faut l’avouer, fait défaut dans la
théorie du droit actuelle. Définir la définition est une entreprise redoutable et le
célèbre Vocabulaire juridique n’échappe pas à cette difficulté que Gérard CORNU expose
56
RMS, p.129.
57
RMS, p.128.
58
RMS, p.130 : « Ce qu'il faut, c'est constituer de toutes pièces des concepts nouveaux, appropriés aux besoins de
la science et exprimés à l'aide d'une terminologie spéciale. Ce n'est pas, sans doute, que le concept vulgaire soit
inutile au savant ; il sert d'indicateur »
59
RMS, p.136 : « Elle a besoin de concepts qui expriment adéquatement les choses, telles qu'elles sont, non telles
qu'il est utile à la pratique de les concevoir. Or ceux qui se sont constitués en dehors de son action ne répondent
pas à cette condition ».
60
RMS, p.137.
13
61
G. Cornu (dir.), Vocabulaire juridique, PUF, quadrige dicopoches, 8ème éd., 2007, préface, p.XI.
14
Ainsi la définition sera rigoureuse et stable si elle rend compte d’un ensemble de faits
qui peuvent être unifiés sous elle et par conséquent justifier l’annulation relative du
contrat. Dans cette voie, une nouvelle difficulté fait jour : la seule présence du
terme « violence » dans un jugement ne signifie pas nécessairement que le concept de
violence est mobilisé dans le raisonnement et, inversement, l’absence du terme ne
veut pas nécessairement dire que le concept est absent ! On retrouve ce point dans la
substitution de motifs qu’opère parfois la Cour de cassation comme le permet le
Code de procédure civile62 : peu importe que les juges aient usé du mot de
« violence » s’ils ont parfaitement appliqué le concept d’erreur pour justifier
l’annulation du contrat. Peu importe également que les juges aient reconnu à tort
l’existence d’une violence si les faits peuvent être qualifiés d’erreur par la Cour de
cassation. Autrement dit, peu importent les termes, le tout est que le concept qui
justifie le résultat demandé (ici la nullité relative) trouve bien à s’appliquer. Pour
résumer, c’est la possibilité de se référer à des critères objectifs et stables qui permet
de conférer à une qualification son unité et sa cohérence dans ses mises en œuvre
successives car c’est toujours un même concept qui sera visé.
CPC, art. 620 al. 1 : « La Cour de cassation peut rejeter le pourvoi en substituant un motif de pur droit à un
62
motif erroné ; elle le peut également en faisant abstraction d'un motif de droit erroné mais surabondant ».
63
RMS, pp.169-181.
64
RMS, p.171
65
RMS, ibidem : « N'est-ce pas une règle de ne s'élever au général qu'après avoir observé le particulier et tout le
particulier ? ».
15
examiner, il ne faut sélectionner que les faits décisifs ou cruciaux 66 qui aideront à la
constitution des types qui sont des points de repères qui permettent de classer les
faits à venir67. Le but est de parvenir à des types simples (indécomposables) qui
seront aisés à manier et guideront les futures analyses 68, bref de parvenir à des types
analogues à ceux qui existent en biologie69.
Ces développements ne font pas autre chose que spécifier les règles
applicables pour la constitution de concepts particuliers, plus précisément pour
répondre au besoin de classification. Ce problème a déjà fait l’objet d’une
remarquable étude dans le domaine juridique 70 mais ses préconisations ne semblent
pas avoir influencé durablement la façon de concevoir l’élaboration des théories
générales. En effet, la notion de classification peut se ramener en définitive à une
définition des définitions, autrement dit à la question de leur insertion dans un
complexe de concepts plus vaste. A cet égard, la seule lecture de PLANIOL est très
significative sur ce point. L’auteur discute notamment de la personnalité morale, de
la distinction des droits réels et personnels, de l’unité de la faute ou de la
responsabilité71. Ces théories synthétisent un ensemble plus vaste de concepts qui
rend ainsi la matière juridique plus aisée à manier pour sa connaissance et finalement
pour son application. On retrouve ici par analogie la question de la constitution des
types sociaux voire biologiques.
La difficulté juridique propre est que ces théories ne peuvent être utiles que si
elles reposent elles-mêmes sur des concepts qui unifient l’ensemble des faits visés par
une catégorie. Ainsi, pour rester sur l’exemple de la violence, il faudrait, à compter
de 1804 (promulgation du Code civil) recenser l’intégralité des applications qui ont
été effectuées pour tenter d’en donner une définition unitaire. La tâche est si grande
au regard du bénéfice escompté qu’il est bien évident qu’elle ne sera sans doute
jamais menée à bien. C’est pourquoi DURKHEIM préconise de s’en tenir, comme en
sciences, aux faits cruciaux et décisifs. Cela voudrait dire que la recherche juridique
n’aurait à la rigueur besoin que de quelques exemples soigneusement choisis pour
créer ses concepts. Mais comment les choisir ? Il y aurait bien sûr les hypothèses
66
RMS, p.172.
67
RMS, p.173 : à propos de la classification : « Son rôle est de nous mettre en mains des points de repère auxquels
nous puissions rattacher d'autres observations que celles qui nous ont fourni ces points de repère eux-mêmes.
Mais, pour cela, il faut qu'elle soit faite, non d'après un inventaire complet de tous les caractères individuels, mais
d'après un petit nombre d'entre eux, soigneusement choisis ».
68
RMS, pp.174-175.
69
RMS, p.180.
70
Ch. Eisenmann, « Quelques problèmes de méthodologie des définitions et des classifications en science
juridique », Archives de philosophie du droit, 1966, pp.25-43.
71
Ph. Rémy, « Planiol, un civiliste à la belle-époque », RTD civ. 2002, n°26-30, pp.43-45.
16
typiques, centrales et indiscutables, ces exemples que l’on donne au profane pour lui
faire intuitivement comprendre de quoi traite le concept en question. Ainsi, pour le
cas de violence, l’exemple d’un futur marié qui se présenterait devant le maire
couverts d’ecchymoses. Mais ce qui rend l’analyse difficile, ce sont les cas-limites,
c’est-à-dire ceux qui se situent à la frontière des critères d’une catégorie. En les
excluant ou les admettant dans la catégorie, les juges prennent implicitement parti
sur une définition que la recherche juridique se doit de formuler de façon explicite.
C’est ainsi que le fait d’admettre en jurisprudence comme cas de violence le
harcèlement sexuel, la contrainte économique ou la menace d’une voie de droit
conduit à se demander ce que ces hypothèses de fait (à examiner dans le détail) ont
en commun d’un point de vue conceptuel. A cet égard le critère de la contrainte est
suffisamment vague pour tous les englober mais trop peu précis pour argumenter
sur ce qui décide de l’entrée de tel fait sous la catégorie de violence. Or c’est bien le
critère conceptuel qui permet d’orienter la recherche vers le fait censé l’exemplifier,
bref vers le fait apportant la preuve de l’existence d’une violence au sens juridique (la
signification conceptuelle juridique du terme « violence »). Si cet objectif est bien
celui que la recherche juridique semble s’être assigné au moins depuis le tournant du
20ème siècle, il reste que la confrontation avec l’écrit de DURKHEIM fait saillir l’absence
d’un dispositif théorique méthodologique comparable dans le domaine juridique.
quelconque légitimité à exister aux côtés de ses sœurs cadettes que sont la sociologie,
l’économie ou la politique et qui se disputent le droit d’aînesse dans l’appréhension
de la matière juridique ?