Pindare N'aspire Pas À La Vie Immortelle (M. Briand)
Pindare N'aspire Pas À La Vie Immortelle (M. Briand)
Pindare N'aspire Pas À La Vie Immortelle (M. Briand)
Michel Briand
Éditeur
Université Nice-Sophia Antipolis
Édition électronique
URL : http://rursus.revues.org/468
DOI : 10.4000/rursus.468
ISSN : 1951-669X
Référence électronique
Michel Briand, « « Ô mon âme, n'aspire pas à la vie immortelle … Sur les avatars de Pindare, Pythique III,
61-62, des scholiastes anciens à Saint-John Perse, Paul Valéry, Albert Camus, et à l'entour » », Rursus
[En ligne], 6 | 2011, mis en ligne le 01 février 2011, consulté le 30 septembre 2016. URL : http://
rursus.revues.org/468 ; DOI : 10.4000/rursus.468
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selon une visée morale analogue, reliant narration intégrée et cadre encomiastique,
comme il est habituel chez Pindare. Notre citation apparaît au début de la troisième
épode, sur cinq pour l'ensemble de l'ode, à un moment rythmiquement marqué, sans
enjambement interstrophique : dans la triade « lyrique », le déplacement du choeur se
fait, selon la plupart des critiques anciens ou modernes, dans les strophes et antistrophes,
avant un arrêt qui, certes agrémenté de gestes, autorisait une meilleure écoute du texte.
Les épodes 1 et 2 concernent le récit mythologique : v. 15-16, « Et portant la semence pure
du dieu, / elle (Koronis) n'attendit pas la table du mariage … »11, et v. 38-40, « Mais quand,
sur le mur en bois (du bûcher), ses parents / placèrent la jeune fille, et que autour d'elle
l'éclat / violent d'Héphaïstos, alors Apollon dit : ‘Non, pas plus longtemps …’ » Les épodes
4 et 5 concernent Hiéron : v. 84-86, « Une part de bonheur t'accompagne. / Et c'est vers
un roi meneur de peuple que regarde, / parmi les humains, le grand destin. Une vie sûre
… » ; v. 107-109, « Modeste dans les circonstances modestes, grand dans les grandes, /
voilà ce que je serai. Et, toujours, dans mon esprit, / j'honorerai la divinité qui s'attache à
moi, en la servant selon les moyens dont je dispose. »
7 Ainsi, proche du centre de l'ode, notre distique est mis en valeur, par sa place après une
pause rythmique et syntaxique forte et par le réseau thématique tissé avec les autres
débuts d'épode, entre lesquels il constitue une transition : la troisième épode, par sa
dominante gnomique, est à la fois mythologique, à propos de Chiron, et liée à la
pragmatique actuelle de l'ode, la maladie du dédicataire royal. D'où la complexité, teintée
de réflexivité, des vers 63-66, et l'enjambement, entre les vers 69 et 70, de la troisième
épode à la quatrième strophe (qui débute typiquement par une expansion relative, où
Hiéron, non nommé mais décrit, prend la place centrale, qu'il ne quittera plus jusqu'à la
fin de l'ode, « vers mon hôte étnéen / qui sur Syracuse règne, comme roi … ») :
Et si le sage Chiron habitait encore son antre, et si, dans son
coeur, nos hymnes de miel pouvaient mettre
un charme, je l'aurais persuadé de procurer un médecin
aussi maintenant, pour les maladies fiévreuses des hommes nobles,
quelqu'un qu'on appelle fils de Latô ou de son père.
8 À l'inverse, les vers 61-62, construits suivant un rythme progressif, en quatre éléments de
longueur croissante (une, quatre, sept, puis neuf syllabes), succèdent à un break-off passage
typique12, une aposiopèse moralisante, qui clôt le mythe, par une référence expressive au
châtiment toujours imposé par les dieux, surtout Zeus maître de la foudre, aux humains
et héros hybristiques (ici Esculape, qui, contre de l'argent, tente de faire échapper un
homme, Hippolyte ou Tyndare, notamment, d'après les scholies, à la mort) : v. 58-60, « la
foudre ardente leur lança le malheur. / Il faut demander ce qui convient, aux divinités,
avec notre esprit mortel, / en connaissant ce qui est à nos pieds, et quelles destinées nous
avons. » Cette disposition générale fait de nos deux vers, à la fois adresse à soi-même et
conseil général, la morale de toute l'ode et son akmê rituelle, ce que Race appelle « the
παραίνεσις of the entire ode », entre la négation du v. 61, qui clôt brutalement le
mythe, par l'action punitive de Zeus, et les v. 62 et suivants, qui commencent le
développement positif, consolatoire, exprimé en termes, positifs, d'obligation, de mesure,
de respect de la condition humaine et des dieux13.
9 En résumé, loin d'être une digression ou un appendice, par rapport à la trame générale du
poème, qui se déploie surtout sur le plan narratif puis encomiastique, ces deux vers
gnomiques sont essentiels à l'économie de l'ode, reliant l'intrigue éthique du mythe, sur
l'invention de la médecine, et la nécessité fatale de toujours laisser aux dieux le dernier
mot, et la morale actuelle du cadre mélique, où Pindare affirme à la fois les pouvoirs de sa
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Py. III, Schol. 110a. τὰν d' ἔμπρακτον: οἷον, τοιούτοις ἐπιχείρει ἃ δύναται
πραχθῆναι. τοῦτο γὰρ σημαίνει τὸ ἔμπρακτον. b. ἣν δέον ἐστὶ πρᾶξιν ἀνύειν,
ταύτην διαπράττου. πρὸς δὲ τὸ ἄντλει καὶ τὴν μηχανὴν ἐπήγαγεν22.
13 Cette question intéresse en revanche peu les critiques modernes, qui étudient plutôt le
sens du verbe ἄντλειn« écoper, dissiper, puiser », noyau d'une image vive23. Ainsi,
encore à titre d'exemple, Gildersleeve, 274 :τὰν δ' ἔμπρακτον ἄντλει μαχανάν:
« Exhaust all practicable means, » « drain each resource », et Farnell, 140, ἄντλει: « from
the literal sens, ‘to pump the water out of the hold’, comes the metaphorical, ‘to drain to
the dregs’, ‘to use to the full’», cf. Eur. Hipp. 1049 : λυπρὸν ἀντλήσεις βίον24. « La
dernière référence est de bonne méthode, expliquant l'expression pindarique par de
quasi-contemporains : chez Pindare comme chez Euripide, le verbe, qui peut renvoyer à
l'action d'irriguer ou de désaltérer, figure la vie et l'habileté comme de l'eau à puiser et
consommer. L'image est reformulée, avec l'idée d'exhaustivité, par Burnett, 138 : « but of
what's possible take the last / drop ! »
14 On sait que la définition du poème lyrique comme lieu typique de l'expression de soi a ses
sources alexandrines, développées ici dans les scholies et les modernes qui s'en inspirent,
en particulier depuis Hegel. Dans cette conception de la poésie, qui n'est pas que
romantique, le lyrisme peut être la formulation d'un dialogue intérieur, de soi à soi,
radicalement différent de ce qu'impliquent les usages culturels, sociaux et rituels de la
poésie mélique telle qu' historiens et anthropologues de la littérature peuvent les
reconstruire, à l'époque archaïque et proto-classique, de Sappho à Pindare. Nous voyons
moins en quoi le vocatif, « chère âme », ne peut pas aussi s'adresser à Hiéron : d'une part,
les marqueurs de l'énonciation peuvent avoir des référents multiples, stratifiés, ici le
choriste, le poète et le dédicataire - commanditaire ; d'autre part, dans la langue de
Pindare, comme dans celle des poètes dont il utilise le formulaire, l'épithète philos n'est
pas seulement affective, mais aussi sociale, et la relation de philotês qui relie poète et
tyran n'est pas qu'une amitié moderne, inter-individuelle, sentimentale, mais aussi une
relation économique et politique, une connivence de classe, qui fait de chacun le meilleur
dans son domaine, parole et pouvoir25. Enfin, « être l'ami du roi », pour un poète, est un
topos de la poésie d'éloge, comme de la rhétorique épidictique, ce qu'a compris, parmi
d'autres, Ronsard. L'expression « chère âme » participe de plusieurs réseaux sémantiques
co-présents dans toute la troisième Pythique : de la mise en scène d'une affection sincère,
de la part d'un poète plein d'empathie pour le roi hospitalier qui l'accueille avec
libéralité, à la réalisation, par le rite poétique, d'un échange de bons procédés, gloire et
piété contre participation à la richesse et au pouvoir aristocratiques. Un critique26 va
jusqu'à évoquer une sorte d'« ironie subtile », antiphrastique et encomiastique à la fois, à
propos par exemple de l'emploi du mot τύραννον, v. 85, au début de la quatrième épode,
qui fait écho, on l'a vu plus haut, à notre passage de la troisième : la poésie de cour,
surtout quand elle s'adresse à un souverain qui se veut protecteur des arts et de la
philosophie, ne refuse pas toute familiarité entre le conseiller et le roi, dont les positions
se renforcent ainsi mutuellement.
15 Il n'en reste pas moins que l'expression « chère âme » entre dans une série bien attestée,
dans la poésie archaïque, épique ou mélique, de vocatifs de noms de parties du corps
désignant des organes de la pensée, du sentiment et de la connaissance, tels que les étudie
en particulier S. Darcus Sullivan27. Et le système de la délégation chorale, associé au
caractère gnomique du passage, permet de voir ici à la fois une adresse du poète à lui-
même, mise en scène spectaculaire par les choristes, et une réflexion générale, où le
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langue moderne à ce qu'elle ne peut plus rendre, et, d'une autre manière, visible aussi
dans la poésie même de Hölderlin, de la re-vivifier, voire sublimer32.
Nicht, liebe Seele, Leben unsterbliches
Suche ; die thunliche erschöpfe die Kunst.
19 Dans ce sens, la traduction de Pindare, dans un genre mariant épique, dans son mode
d'énonciation, et tragique, dans l'intensité fatale qui s'y montre, réprimée, permet de
retrouver / inventer une poésie première, que fonde une tension, entre rite et spectacle,
pensée mystique et sensations vives, suivant un « jeu antagoniste du dire et du taire »,
allié à la fois à un « hommage au silence » et une « conjuration du silence ». La relation du
poète moderne avec cet hellénisme non classique, est empreinte de nostalgie, mais aussi
de bonheur, fugace et fort33. Sur ce point, les usages heideggériens des références à
Pindare sont différents, malgré l'affinité, profonde et proclamée, du philosophe avec le
poète qu'il étudie ; Heidegger cite, en le décontextualisant, une seule fois Pindare, dans
une formule gnomique de silence marqué, Néméenne V 18, non comme référence poétique
mais comme argument d'autorité, en réponse muette à une série de questions que lui
pose son interlocuteur, après guerre, à la fois sur un possible voyage en Grèce et, plus
grave, sur son passé politique34 : « Und das Schweigen oft ist das Weiseste für den
Menschen (…) im Sinn zu halten »35.
20 Mais c'est la relation de Saint-John Perse, contemporain de Valéry, avec Pindare qui peut
nous éclairer le mieux, par différence et analogie. La fascination de l'auteur des Éloges
pour l'archaïsme, originel et vif, en partie d'après une « médiation nietzschéenne -
directe ou indirecte »36, que Valéry n'ignore pas non plus, est connue, ainsi que son
intérêt pour ce qu'il appelle « lyrisme d'apparat »37. Comme beaucoup en son temps,
Saint-John Perse apprécie Pindare en « Dorien », non athénien, au style à la fois rude et
ornementé, fragmentaire et savant, épique et érudit38 : un modèle revendiqué, pour sa
propre écriture. Paradoxalement, cette reconstruction de Pindare doit plus à Wilamowitz
qu'à Nietzsche : le philologue allemand, non philosophe, aux tentations historicistes, fait,
lui même à la fin de sa vie, du poète thébain le « dernier prophète de la vie dorienne » 39.
Le poète français y voit plutôt une source vivace, rude et cosmique, passionnée, tendue,
entre noblesse et vigueur, raison et vie, mais voilée par la prééminence classique du texte
sur la voix et de la forme sur l'action40 :
Lavez le sel de l'atticisme et le miel de l'euphuisme, lavez, lavez la literie du songe
et la litière du savoir : au coeur de l'homme sans refus, au coeur de l'homme sans
dégoût, lavez, lavez, ô Pluies ! les plus beaux dons de l'homme … au coeur des
hommes les mieux doués pour les grandes oeuvres de raison. 41
21 Pendant quatre ans, à partir de 1904-5, Saint-John Perse traduit les strophe et antistrophe
I de la première Pythique et les Pythique III et XII, dans un travail désigné modestement
comme « une étude de métrique et de structure verbale », non prévu pour la publication42
, et en partie inspiré d'une édition scolaire, avec traduction juxtalinéaire43, mais en fait
plus significatif44 : Leger semble affirmer, en particulier dans ses lettres de janvier-mars
1908 à Frizeau, comme dans les notices et notes de sa traduction, que ce Pindare
« harmonieux et modéré, terriblement continent », s'associe finalement, tout en s'y
opposant, à un « Pindare imaginé »45, chantant et dansant, mais avec mesure. L'« ivresse
pindarique », qui relève du lyrisme choral, et non individuel, est une « ivresse du nombre
et des cl2s musicales », qui soumet le flux mouvementé de la voix poétique à une stricte
discipline musicale et chorégraphique46, que Leger admire et regrette : « Vous savez assez
ce que je pense de l' ‘Attique’. Pindare, hélas ! demeure pour moi un grand poète-né
dévoyé par une civilisation d'emprunt ». Ajoutons que ces remarques restrictives47 sont à
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nuancer par la réalité des lectures de Leger, dont l'intérêt pour Pindare s'est poursuivi
longtemps, voire accru, comme le montre son exemplaire souligné et annoté de la
traduction anglaise des Odes par Lattimore48. La ritualité de la parole persienne tire une
part de son énergie, sensorielle, tactile et visuelle notamment, de sa référence pindarique,
mais ce lien essentiel est à repérer dans des effets poétiques, précis, constants, plus que
dans des affirmations théoriques49 : il rejoint les travaux philologiques de J. Duchemin,
par une sensibilité particulière aux thématiques de la lumière, de l'ombre et des couleurs
50
, qu'on retrouve chez Valéry, par l'expression constante d'une ambiguïté créatrice de
l'éloge et de l'élégie51, et par une conception supérieure du poète, « dispensateur
d'immortalité » et interprète du kosmos52.
22 Or, cette tension, entre ivresse et mesure, force et harmonie, a quelque chose à voir avec
la poétique de Perse, ample et minutieuse, et avec le rythme et le contenu gnomique des
deux vers de Pindare étudiés ici. Rappelons-en la traduction de 1908 :
N'aspire point, ô mon âme, à une existence immortelle
et n'assume aucun œuvre que tu ne puisses parfaire.
23 Cette traduction se crée en rapport avec celles dont disposait le poète moderne, celle de
J.-F. Boissonade, en 1867 (« O mon âme ! n'affecte point l'immortalité ; emploie tes efforts
à quelque œuvre possible ») et celle d'É. Sommer, en 1847 (« Ne souhaite point, ô mon
âme, une existence immortelle ; et n'entreprends rien que tu ne puisses accomplir »). On
remarque le choix du vers long, chez Leger, et du distique équilibré, qui supprime le rejet
du premier verbe, en grec ; l'archaïsme de ‘point’, pour ‘pas’53 ou ‘parfaire’, pour
‘accomplir’ ; ou la notion de difficulté que connote le verbe ‘assumer’ 54. Les notes de
Leger, soulignant sa pratique de traducteur - poète55, sont claires : les questions de
rythme, et donc, s'agissant de littérature écrite, de disposition dans la page, sont
centrales56 ; l'ordre des mots du texte de départ, moins que chez Hölderlin, et plus dans
d'autres passages, prime sur celui de la langue d'arrivée, ainsi re-poétisée ; les traits les
plus typiques (images concrètes, archaïsmes, ellipses, progressions heurtées ou sinueuses
57
) sont respectés et transposés, autant que possible58. Mais ce travail d'invention, qui
aboutit à une langue propre, soit un français poétique reformé par ce que Leger admire
chez Pindare, provoque des modifications notables par ailleurs : « St-L.L. adopte, comme
Sommer, une formulation en tournure négative qui n'apparaît pas chez Pindare, créant
ainsi un parallélisme avec le vers précédent »59.
24 Enfin, Perse, moins sensible que d'autres, en apparence, aux beautés sombres des
fragments poétiques archaïques, de facture héraclitéenne, par exemple, n'utilise pas ce
passage pindarique, ni d'autres d'ailleurs, comme épitaphe en exergue à un poème. La
poétique de l'éloge repose ici sur le souffle et le rite, plus que sur le monument et
l'écriture, et, plus que par son énigmatique obscurité, c'est par ses clartés fulgurantes que
Pindare fascine Perse60 : il s'agit encore, plus que d'une fragmentation, de la possible
isolation, passagère, d'un instant sublime, non pas détaché, mais intégré dans le flux
général d'une oeuvre libre, active, joyeuse, dont c'est l'ampleur, constellée de moments
intenses, qui d'abord inspire le poète moderne61. Dans cette perspective, immanente et
sensible, la poésie de Pindare, comme celle de certains modernes, Perse ou Valéry, est une
poésie d'action, tournée vers la célébration de la vie présente, énergique et complexe,
sans transcendance. C'est ce que constate C. Camelin, après avoir cité son dernier poème,
Sècheresse : « S'agit-il d'éclairer dans les cavernes platoniciennes le flux mobile des
apparences, quitte à rester à distance de l'Être transcendant ? L'exclamation de Nocturne,
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signification ni valeur, pour la plupart des lecteurs contemporains, puisqu'il n'y a ici
aucune traduction, même en note :
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Et ces diverses tentatives de restitution d'un couple de vers grecs infinis, malgré ou à
cause de leur laconisme épigrammatique (qui est un effet de son extraction), sont à
rapprocher du contenu et de la forme du Cimetière marin, qui, par inversion du rapport
traditionnel entre exergue et texte, pourrait en être la meilleure « traduction »,
amplificatoire, explicative et complexe à la fois.
34 Mais cet effet d'optique rétrospectif est à corriger. D'abord, comme tente de le faire J. T.
Hamilton72, en comparant en détail les poèmes de Pindare et de Valéry, et le traitement,
distinct et similaire à la fois, qu'y connaît le thème de la mort et de l'immortalité. La
parole poétique pourrait constituer le thème principal des deux textes, antique et
moderne73, et le comparatiste peut être tenté, à la suite de Valéry, de dégager Pindare de
la tradition, notamment ronsardienne, d'une « poétique sacerdotale, sinon obscure » 74,
pour l'associer à un autre mouvement de fond où il « devient le paradigme d'une
objectification du langage », et traduit en termes (post-)valéryens les deux membres de
l'épigraphe : « Ne permets pas que les mots du poème se dissolvent en un sens
immatériel », mais « Épuise la mécanique praticable », c'est-à-dire « Adhère aux mots sur
la page, ces objets d'encre, dont la mécanique fait naître le poème »75. Le Cimetière marin et
le fragment pindarique seraient deux monuments exprimant la même idée, par des
moyens analogues, telles les allitérations en m - p - l / r : ils constitueraient deux objets
rétifs à l'interprétation et au temps, signant par leur existence l'immortalité inattendue
que produit la poésie, quand elle est action « machinale » et objectification de la parole.
Grâce à une commune résistance à la mort, par l'immanence actuelle, en même temps
qu'une méfiance absolue à l'égard de toute quête d'immortalité, transcendante76.
Hamilton part de l'anecdote évoquée par Valéry77, selon lequel, lors d'une conférence à la
Sorbonne sur son œuvre, il s'était senti « comme un auteur mort » et, dans un
commentaire plus récent, en rapport avec Camus, le critique interprète le poème
valéryen78, avec son épigraphe, comme une « renunciation of abstract ideals in favor of
simple living », exprimée par la mise en scène sensible d'une tension entre le désir
d'immortalité par la poésie et le besoin de vivre79. Cette tension semble propre à
rapprocher Pindare et Valéry, plus qu'une commune visée littéraire, où la poésie, en tant
que monument, dépasserait les effets de la mort : le goût pour la vie, même précaire et
brève, ou parce que précaire et brève, vivifie aussi la poésie pindarique, en tant que rite
actuel et éloge du présent par la parole, plutôt que par l'écrit.
35 Un dernier complément, pour nuancer, sans fin, ce qui précède80 : la poésie valéryenne, et
spécifiquement Le Cimetière marin, peut être aussi autre chose que la fabrication d'objets
monumentaux81. Comme le montre D. Anzieu82, en se concentrant sur l'incipit, les enjeux
qui président à la création et la réception du poème, loin d'être strictement intellectuels,
concernent les sens et le corps, dans leur relation, complexe et changeante, avec
l'inconscient et le monde. Et, là encore, l'exergue pindarique, dont il est proposé une
autre traduction, au second terme un peu obscur, joue un rôle central, même replié entre
parenthèses ou en note, dans l'interprétation critique83 : « Le Cimetière marin est une
exploration parallèle des ressources du corps et des possibilités de la pensée (cf.
l'épigraphe pindarique : À la vie éternelle ne prétends point, épuise seulement d'inventer
le faisable). Dans ces deux explorations, la volonté de totalisation est nette chez le
narrateur ». Et, plus loin, au delà de l'éternel conflit du corps et de l'ordre, et des pulsions
de vie et de mort, où peut se perdre l'adolescent comme l'obsédé : « dans ce poème
exemplaire Valéry, me semble-t-il, a décrit un mécanisme obsessionnel nécessairement à
l'œuvre dans tout travail créateur, le surinvestissement narcissique de la pensée
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37 On pourrait laisser le dernier mot à Marguerite Yourcenar, qui, de son Pindare, paru en
1932, à La Couronne et la Lyre, en 1979, peut relier, par ses études d'histoire littéraire, ses
travaux de traduction comme ses propres oeuvres, Perse, Valéry et notre époque. La fin
de sa monographie91, à partir du fragment 123 S.-M., tiré d'un Éloge et non d'une Épinicie92,
reconstruit, comme dans les fictions biographiques anciennes, d'origine alexandrine 93, le
récit émouvant de la mort du poète, endormi au théâtre, à quatre-vingt six ans, aux côtés
de son jeune aimé, en interprétant cette anecdote comme le signe mélancolique du fait
que même la parole poétique n'offre pas l'immortalité : « Son oeuvre n'est plus connue
que de quelques commentateurs. La seule leçon que puisse nous donner cette vie, si
éloignée de la nôtre, c'est que la gloire après tout n'est qu'une concession temporaire 94. »
On note aussi le complément bibliographique et historique, qui, après cet épilogue 95,
renvoie, pour le domaine français aux traductions de Boissonade et Puech et aux études
de Croiset. Le résumé de la réception est schématique et fort : « Pindare fut souvent imité
en France, particulièrement par Ronsard et les poètes de son école. Ces tentatives presque
toujours malheureuses se reproduisirent au XVIIe siècle », et, après de vigoureuses
attaques et incompréhensions, « dès la fin du XVIIIe siècle, le renouvellement de la
philologie remit en honneur ce poète difficile. » De même, dans son recueil de traductions
poétiques, La Couronne et la Lyre96, Yourcenar allie approche historique et biographique et
considérations esthétiques et philosophiques plus larges (p. ex. 152, « Aucun Grec n'a
jamais surévalué la condition humaine »). Sur ce dernier point, est significative la place
accordée aux fragments intitulés « Le sort de l'homme » (Huitième Pythique, 95-100, sur
l'homme éphémère, « rêve d'une ombre ») et « Pour Théoxène de Ténédos » (fr. 123 S.-M.,
sur la fuite irrémédiable du temps et de la jeunesse et sur la puissance lumineuse de
l'amour). Yourcenar ne cite pas la troisième Pythique mais la tonalité générale des textes
qu'elle a choisi de traduire est similaire, élégiaque et harmonieuse : injonction à ne pas
dépasser la mesure humaine, tout en « épuisant » ce qui peut l'être, tant qu'il est temps 97.
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NOTES
1. Cet enseignement, qui fut déterminant pour moi, était assuré par Évelyne Caduc et Ned Bastet.
2. Rappelons aussi que cette université est en partie issue, dans les années soixante, du Centre
Universitaire Méditerranéen, fondé à Nice, en 1933, par Paul Valéry même.
3. Mme Manessy, que j'associe vivement à cet hommage, fut ensuite ma directrice de thèse, pour
un travail intitulé Ombres et lumière chez Pindare : études lexicales et sémantiques, ANRT, Lille III,
1990.
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22. « la … possible : c'est-à-dire entreprends des choses qui peuvent être faites, voilà ce que
signifie le mot emprakton. b. « l'action qu'il convient d'achever, accomplis-la. (Le poète) a ajouté
antlei et makhanan ».
23. Duchemin, 1967, 50 : « épuiser l'eau amassée au fond d'une embarcation. » Sur le goût de
Pindare pour les figurations concrètes du destin, voir Michel Briand, « La figuration poétique des
météores dans l'épinicie classique : gestes divins et passions humaines », in C. Cusset (dir.), La
météorologie dans l'Antiquité, entre science et croyance. Colloque de l'Université de Toulouse-Le Mirail,
2/4-05-02, Publ. de l'Univ. de Saint-Étienne, 2003, 217-242, et, sur le rapport imagination /
spectacle, « Light and Vision in Pindar's Olympian Odes : Interplays of Imagination and
Performance », The Look of Lyric : Greek and the Visual, Conference at the European Cultural Centre
of Delphi, July 17-19, org. Stanford Univ. & Radboud Univ. Nijmegen.
24. En fait, v. 898 et 1049 (cette occurrence étant refusée par de nombreux éditeurs), dans un
discours de Thésée sur Hippolyte, qu'il vient de condamner, « sur un sol étranger, il épuisera une
vie de douleurs » (trad. L. Méridier).
25. À la mise en scène de la philotês s'adjoint celle de la xenia, cf. Briand, 2003, A. Neumann-
Hartmann, 147-163, et, par exemple, les travaux de Leslie Kurke, comme The Traffic in Praise :
Pindar and the Poetics of Social Economy, Ithaca, Cornell UP, 1991.
26. Voir B. Gentili in Pindaro. Le Pitiche, intr., testo e trad. di B. Gentili, commento a cura di P.
Angeli Bernardini, E. Cingano, B. Gentili e P. Giannini, Milano, 1995, 79 sqq. (cité par Ferrari, 2008,
55) : « Dall'età arcaica all'età classica la nozione di tirannide ha sotto il profilo politico un'
accesione ambivalente, positiva e negativa, in rapporto ai contesti nei quali essa compare e
all'ideologia che professa chi ne fa uso. Nel caso specifico della terza Pitica l'uso del termine
tyrannos è chiramente antifrastico : nel momento stesso in cui pindaro tesse l'elogio del monarca
per la sua prestigiosa posizione politica, ne adombra con sottile ironia l'aspetto negativo ; un'
ironia che sembra scorgersi anche nella scelta iperbolica dei personaggi del mito, due celeberrimi
eroi sovrani. Tale ambiguità lasciava aperte per l'uditorio e per il committente diverse modalità
di ricezione : positiva, negativa, o positiva e negativa insieme. La condizione di sovrano potente e
di uomo due volte sventurato è il volto a due facce della verità di cui Ierone deve prendere atto.
Egli gioisca di quell' unico bene avuto dagli dei e non dimentichi che la prosperità umana non
dura quando incombe in tutta la sua pienezza. » La traduction de Ferrari me semble, par ailleurs,
l'une des plus proches du rythme et du sens pindariques et, en même temps, lisible : « No, anima
mia, non ambire a vita / imperitura, ma sfrutta vie praticabili. »
27. Cf. Darcus Sullivan, 2002.
28. Cf. Brix, 1995 ; Girot, 2002 ; et Thomas Schmitz, Pindar in der französischen Renaissance : Studien
zu seiner Rezeption in Philologie, Dichtungstheorie und Dichtung, Göttingen, Vanderhoeck & Ruprecht,
Hypomnemata 101, 1993.
29. Cf. Hamilton, 2003, 151-184, chap. 7 « Between Ancients and Moderns », sur les
condamnations néo-classiques (et néanmoins modernes) du galimatias pindarique, confus et
lourd, notamment par Ch. Perrault, puis J. C. Gottsched ou S. Johnson (qui dénonce notamment
les pindarisants modernes, tels A. Cowley).
30. Sur le riche dossier de Pindare vu par Hölderlin, cf. Bertaux, 1936 ; Benn, 1962 ; Harrison,
1975. Plus largement, voir Jacques Taminiaux, La nostalgie de la Grèce à l'aube de l'idéalisme allemand.
Kant et les Grecs dans l'itinéraire de Schiller, de Hölderlin et de Hegel, La haye, M. Nijhoff, 1967.
31. Cf. Hamilton, 2003, 282-306, chap. 12 « Remnants gone over », à propos de la figure de
Pindare, où Hölderlin voit l'alliance réussie de l'épique et du tragique. Le critique qualifie les
traductions du poète allemand de « pyrotechniques » et considère que « the innovation of
Hölderlin's formulation rests in his perception of the Greeks as artists, as those who, like the
moderns, have learned an art ». La dialectique physis / tekhnê ne se pose pas en ces termes, chez
Pindare, qui revendique sa double excellence, mais ce qui nous occupe ici, c'est le point de vue du
poète pré-romantique, en particulier dans la traduction, plus tendue et polysémique, des
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Fragments. Pour le pindarisme de Hölderlin, le non-spécialiste trouve une synthèse claire dans le
Nachwort de Gerhard Kurz, in Friedrich Hölderlin, Gedichte. Eine Auswahl, Philipp Reclam,
Stuttgart, 2003, 221-235, notamment les chap. Poetische Rede, sur l'énonciation « oratoire »,et
Formen und Themen, sur les stylèmes et thématiques pindariques dans l'œuvre de Hölderlin
(triade lyrique, enjambements, transitions abruptes, association de phrases brèves et longues,
effets d'oralité, réflexivité …). Cf. aussi Martin Vöhler, Pindar-rezeptionen. Sechs Studien zum Wandel
des Pindarverständnisses von Erasmus bis Herder, Heidelberg, Winter, 2005.
32. Cf. Hölderlin, 1952.
33. Ce point est développé, avec d'autres références, dans un travail sur un cas typique
d'hétérogénéité du discours, plus exhibée chez Hölderlin, plus constitutive chez Pindare, le
« silence marqué » : Briand, 1996, 225-227.
34. Pour des précisions sur ce point, et une autre mise en perspective, voir Briand, 1996, 226 et
235 (notes).
35. M. Heidegger - E. Kästner, Briefwechsel 1954-1974, hrsgb. H.W. Petzet, Insel, Frankfurt am Main,
1986, lettre 25, p. 69.
36. Chehab, 2001, sur un phénomène analogue dans Anabase, en particulier 28 et 39, sur
l'intertexte parménidien (le char des Muses, au début du Poème, ou dans la première Isthmique et
la neuvième Olympique) ou plutarquien (p. ex. les Dialogues pythiques et l'enthousiasme apollinien
qui s'y met en scène). Cf. Jean Bollack, « Une esthétique de l'origine : Saint-John Perse », in La
Grèce de Personne, Seuil, 1997, 223-245 (notes : 430-435).
37. Woronoff, 2001, 15, citant la Notice d'introduction à la traduction de la douzième Pythique : « En
lisant, ne jamais perdre de vue l'exigence du lyrisme d'apparat : l'épinicie est chantée ou plutôt
incantée par un choeur, qui souvent danse en même temps ».
38. Woronoff, 2001, 13 et 16 à 24. Voir aussi Briand, 2003.
39. Hamilton, 2003, 23-37.
40. Camelin, 1998, 76-79 « Saint-Leger Leger et la poésie de Pindare : une relation conflictuelle »
et 84 sqq. « Éloges et l'ordre du monde selon les Épinicies ». Voir aussi Colette Camelin, « Saint-
John Perse lecteur de Pindare », Rev. d'hist. littér. de la France, vol. 91, 4-5, 1991, 591-611.
41. Exil, Pluies VII, OC 150-151.
42. Lettre à Gabriel Frizeau, mars 1908, OC 742-743 : « un travail d'étude pour ma commodité
personnelle ». La relation de Paul Claudel avec Eschyle, par exemple, autre référence ressentie
comme plus archaïque que classique, est très différente, publique, constamment revendiquée :
Alexandre, 2001. Leger module de de fait sa position, selon son interlocuteur, et distingue les
années antérieures et sa maturié, plus distanciée : « Oui ! j'aime Pindare ; et son oeuvre (…) aura
été pour moi une aide puissante à vivre » (lettre à Claudel, juin 1911, OC 659-660, cité par Henry,
1986, 14, n. 19).
43. Les Pythiques, E. Sommer & Th. Fix, Hachette, 1887). Le texte est celui des Pindari Carmina, cum
versione latina et notis a Chr. Gottl. Heyne, Londoni, Oxonii, 1815.
44. Alexandre, 2001, notamment 49-52.
45. Lettre à Gabriel Frizeau, janvier 2008, OC 731-733. Cette lettre contient aussi la traduction
partielle de la première Pythique, accompagnée de quelques notes critiques.
46. « Nulle prodigalité réelle chez ce grand asservi ».
47. OC 742 : « sur le fond, Pindare ne me passionne pas autant que vous voulez encore le croire :
ses thèmes m'ennuient. Mais l'admirant aujourd'hui avec plus de détachement, et d'un point de
vue plus littéral, je n'aimerais pas non plus trahir cette haute figure d'honneur … »
48. The Odes of Pindar, transl. by Richmond Lattimore, The University of Chicago Press, 1947,
volume de la bibliothèque de Perse, annoté, sans grec, conservé à la Fondation Saint-John Perse.
Cf. Camelin, 1998, 12 et 75-97 (« Le Blanc Royaume : Éloges et les Épinicies », 75-97), et Camelin &
Gardes - Tamine, 2001, 172.
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49. Camelin & Gardes - Tamine, chap. 2 « La parole séparée », 55-104, en particulier p. 64 sqq. et
75 sqq.
50. Duchemin, 1955, 193-228, « La mystique de l'or, de la lumière et des couleurs ».
51. Duchemin, 1955, 269-296, « Poésie triomphale et symbolisme funéraire ».
52. Duchemin, 1955, 297-334.
53. Henry, 1986, 180.
54. Henry, 1986, 95 : « Pour transposer le terme grec ἀντλέω signifiant ‘écoper, vider l'eau de la
cale’ (besogne ingrate sur les navires de l'époque), fréquemment employé par les écrivains grecs
au sens figuré de ‘supporter quelque chose de pénible’, St-L. L. recourt à assumer qui implique
plus que les trois autres traductions, l'idée d'une certaine difficulté. »
55. Henry, 1986, 95, 146-155 « Le texte de Saint-Leger Leger en tant que traduction »), 156-183
(« Le texte de Saint-Leger Leger en tant qu'écrit poétique », 186, 235 (à propos des enjambements
et des versets, « en réalité, plus qu'un modèle, Pindare a été un révélateur »).
56. Leger cité par Henry, 1986, 47 : « J'ai disposé le texte suivant le système de métrique proposé
par Dissen ; et j'ai voulu ds. La traduct., conserver le même rapport entre les vers de la strophe ».
Voir aussi Alexandre, 2001, 56 « ce calque obéit à un critère visuel et graphique plus que
métrique ».
57. « … chez Pindare (le plus délibérément musicien de tous les poètes) le vers est envahi et
toute la strophe (… « invahi » serait mieux) d'incidences qui font que la ligne mélodique ondule
parmi toutes les surprises d'une danse » (Lettre à Gabriel Frizeau, mars 1911, OC 752).
58. Henry, 1986, 23-25 et 184-229, et Alexandre, 2001, 61-62 : « Ce refus de normalisation
syntaxique, commun à Claudel et à Perse, témoigne autant d'un souci de ne pas affadir le texte de
départ que d'une volonté de faire naître des formes nouvelles dans le texte d'arrivée, formes
nouvelles dont les traducteurs nourriront leur propre écriture ».
59. Henry, 1986, 95.
60. Camelin, 1998, 244 sqq. « Les contraires d'Héraclite ». Saint-John Perse souligne la préface de
R. Lattimore, XIII « Pindare éclaire un moment intense, ou une série de moments intenses dans
une histoire déjà connue », et XIV « dans ses passages les plus éblouissants, Pindare est
parfaitement clair ». Ce qui permet de retrouver, par un autre chemin, Héraclite : Strophe II, OC
282, « Et ma prérogative sur les mers est de rêver pour vous ce rêve du réel .. Ils m'ont appelé
l'Obscur et j'habitais l'éclat ».
61. Camelin, 1998, 133 sqq. et 136 (« Syntaxe de l'éclair, pur langage de l'exil »).
62. Camelin & Gardes - Tamine, 2002, 82 sqq.
63. OC 89.
64. de Lussy, 1996, 370 et 569, plus largement sur l'histoire du poème, 151-161 et 548-570.
65. L'épigraphe disparaît d'éditions ultérieures, pour reparaître en 1926, cf. Moutote, 1984,
28-29.
66. Larnaudie, 1992, 19-22. Cf. Daniel Moutote, « La poésie grecque dans l'œuvre de Paul
Valéry », Bulletin des Études Valéryennes, n° 35, mars 1984, 35-82.De fait, c'est seulement à son
huitième état que le poème garde le seul titre connu depuis : auparavant l'expression latine Mare
nostrum domine, dans les diverses versions connues, surtout avant l'amplification des derniers
temps, et donne au texte un timbre plus latin et moins archaïque. On rappellera ici l'épigraphe
finalement mise en exergue de La Pythie, en 1933, tirée de l'Énéide de Virgile, IV, 499 (Haec effata
silet ; pallor simul occupat ora, « elle reste silencieuse, tandis que la pâleur gagne son visage », à
propos de Didon qui feint de vouloir soigner sa passion par la magie) : cf. de Lussy, 559.
67. Pozzi, 1987, 130-133. Voir de Lussy, 1996, 585-606, à propos notamment de la coïncidence
entre cette rencontre décisive et la rupture de Valéry avec la « grande poésie ».
68. Pozzi, 1987, 258 et 365 (« la dame qui vient de sa chimie, et qui, sur son lit, ouvre Pindare
pour oublier le pyrrol »).
69. Cf. Lloyd J. Austin, « Le Cimetière marin. Genèse du poème », Cahiers de l'AIEF, 3-5, 1953.
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RÉSUMÉS
Cette étude tente de retracer le chemin parcouru par les v. 61-62 de la IIIe Pythique de Pindare,
depuis leur contexte historique et énonciatif initial et leur rôle dans l'économie générale de
l'ode, sur les plans pragmatique, éthique et esthétique, jusqu'aux traductions qu'en donnent
Hölderlin ou Saint-John Perse et l'exergue qu'en tirent Paul Valéry, pour Le Cimetière marin, et
Albert Camus, pour Le mythe de Sisyphe. Les usages changeants de ce distique permettent
d'explorer diverses conceptions de l'hellénisme et de la poésie, en relation avec les thèmes
fondamentaux, dans des oeuvres aux registres et significations variées, de la condition humaine,
entre nécessaire joie de vivre et refus de l'immortalité.
« Ô mon âme, n'aspire pas à la vie immortelle … About some various uses of Pindar's third Pythian Ode,
61-62, from ancient scholies to Saint-Johne Perse, Paul Valéry, Albert Camus, and around » In this
study, I intend to describe the reception and interpretation of Pindar's third Pythian Ode, 61-62,
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from their first historical and performative context and their function in the general
organisation of the ode, on the pragmatic, aesthetic, and ethical levels, to the translations by
Hölderlin and Saint-John Perse and the epigraphs to Paul Valéry's Le Cimetière marin and Albert
Camus's Le mythe de Sisyphe. The changing uses of these two verses help to examine various
conceptions of hellenism and poetry, related to the primary subjects of human condition,
between an essential joy of living and the refusal of immortality.
INDEX
Mots-clés : interprétation, Pindare, poésie, relecture, Valéry
Keywords : Pindar, Poetry
AUTEUR
MICHEL BRIAND
Université de Poitiers, Équipe FoReLL EA 3816
Professeur de langue et littérature grecque à l'université de Poitiers, EA 3816 (FoReLL).
Recherches notamment sur des questions de théorie et pragmatique littéraire appliquées à la
poésie épique et mélique archaïque et hellénistique, et à la fiction narrative d'époque impériale,
et sur des questions d'esthétique et d'anthropologie culturelle (fiction, danse, gender, dialogue
des arts …). Travaux sur Homère, Pindare, Sappho, Callimaque, Lucien, Achille Tatius, Longus …
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