Le Rorschach en Clinique de L'enfant Et de L'adolescent. Approche Psychanalytique-2015

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Sommaire

PRÉSENTATION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . V

AVANT-PROPOS . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . VII

CHAPITRE 1 L’ÉPREUVE DE RORSCHACH . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1

CHAPITRE 2 MÉTHODOLOGIE DE L’ÉPREUVE DE RORSCHACH


EN CLINIQUE DE L’ENFANT ET DE L’ADOLESCENT . . . . . . . . . . . . 13

CHAPITRE 3 EXPRESSION PROJECTIVE AU RORSCHACH


ET DÉVELOPPEMENT PSYCHOAFFECTIF DE L’ENFANT ET
DE L’ADOLESCENT . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 167
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CHAPITRE 4 ILLUSTRATIONS CLINIQUES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 273

TABLE DES MATIÈRES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 363

BIBLIOGRAPHIE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 367
Présentation

ET OUVRAGE est destiné aux étudiants de Master et Doctorat en

C
Psychologie clinique et Psychopathologie, ainsi qu’aux praticiens
(psychologues cliniciens, psychologues scolaires) intervenant dans
le champ de la psychopathologie de l’enfant et de l’adolescent et
se propose de constituer une référence pour la pratique de cette
épreuve.
Il vise à présenter les bases de la pratique de l’épreuve du Rorschach
en clinique et en psychopathologie de l’enfant, tant du point de vue
méthodologique que du point de vue de l’interprétation clinique.
Résolument inscrit dans la perspective ouverte par les fondateurs d’une
approche psychanalytique des épreuves projectives, et du Rorschach en
particulier (D. Lagache, D. Anzieu, N. Rausch de Traubenberg), et nourri
des apports fondamentaux des travaux de C. Chabert, cet ouvrage envisage
l’épreuve de Rorschach comme un « dispositif à symboliser », c’est-à-dire
comme une situation mettant à l’épreuve les processus de symbolisation de
l’enfant dans leur mise en œuvre, leur déploiement et leurs avatars.
Cette approche permet de proposer des repères pour une lecture des
productions de l’enfant au Rorschach, tout à la fois inscrits dans la
perspective du développement psychoaffectif de l’enfant et de l’adolescent
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et de ses empêchements, tant au plan de l’organisation pulsionnelle que de


la structuration du lien à l’objet. En filigrane, se profilera le repérage des
différentes formes expressives de l’angoisse et des mécanismes de défense
qui contribuent à construire le tableau clinique et psychopathologique de
l’enfant et de l’adolescent en appui sur les productions projectives, dans
la perspective d’une évaluation du fonctionnement psychique. Ainsi, la
démarche psychopathologique se présente-t-elle dans une dynamique de
continuité au regard des processus qui sous-tendent l’évolution de l’enfant
et de l’adolescent, donnant toute sa place aux ressources et potentiels du
sujet en devenir, dans un temps de la vie où la vie psychique se présente
dans toute sa plasticité.
Avant-propos

OUT le monde – ou presque – connaît l’épreuve de Rorschach.

T
Elle représente, en quelque sorte, le paradigme des outils du
psychologue, elle est sollicitée tout autant par la littérature que
par la publicité pour signifier l’accès possible à une part cachée
de l’individu et, de ce fait, pour définir le commerce singulier
qu’entretient le psychologue avec cette terra incognita que représente
l’Inconscient.
Avec ses dix cartes1 , composées de taches d’encre organisées autour d’un
axe symétrique par la technique du plié/déplié, l’épreuve de Rorschach porte
en elle cette part de mystère et de fascination propre à définir la complexité
de la psyché humaine.
Avec ses dix cartes, et sa consigne qui mobilise l’imaginer, véritable
invitation au voyage dans le monde de la création et de la créativité, l’épreuve
de Rorschach propose un espace de rencontre privilégié dans la clinique de
l’enfant et de l’adolescent.
Mais pourquoi, dans ce contexte, un nouvel ouvrage traitant de la pratique
de l’épreuve de Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent ? Quelle
est la nécessité d’un tel projet au regard de la littérature disponible en langue
française ?
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En outre, quelle est la légitimité d’un ouvrage portant sur une épreuve
dont on pourra fêter bientôt le quatre-vingt-dixième anniversaire de la
publication (Rorschach, 1921) et qui a largement fait ses preuves depuis lors
dans la pratique des psychologues, aussi bien en France que dans de multiples
pays du monde ? En d’autres termes, pour reprendre une interrogation qui
m’est largement adressée par des non-spécialistes de l’épreuve, y-a-t-il encore

1. Dans le champ de la clinique de l’enfant et de l’adolescent, et au regard des écueils rencontrés dans
la pratique clinique, je préfère l’utilisation du terme de carte à celui de planche, dans la mesure de
l’ambiguïté de ce dernier substantif : le terme de planche, de par la polysémie qu’il recèle, entretient
parfois une confusion dans la situation de passation de l’épreuve, confusion qui tend à brouiller la
nécessaire ambiguïté de la situation et qui rend difficile l’interprétation clinique des productions.
VIII Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

quelque chose à chercher, à trouver et à exposer du côté de cet ancêtre des


épreuves cliniques qu’est l’épreuve projective de Rorschach ?
La recherche en psychologie clinique, dans le champ de la psychopa-
thologie de l’enfant et de l’adolescent, s’est considérablement enrichie, ces
dernières années, de travaux qui ancrent une approche de la personnalité
de l’enfant et de l’adolescent dans une perspective psychodynamique :
c’est ainsi que je me référerai particulièrement aux travaux issus de la
clinique psychanalytique1, dans la mesure où ils autorisent une approche
qui prend en compte le sujet, enfant ou adolescent, dans la complexité de
ses investissements, tant sur le plan synchronique que diachronique. Le
développement d’une clinique du familial et de la transmission (Ruffiot,
1990 ; Roman, 1999) donne corps, par ailleurs, à une inscription des
processus concourant au développement normal et pathologique de l’enfant
et de l’adolescent dans une histoire groupale des investissements dont il
convient d’interroger les ressorts.
La recherche en psychologie clinique, orientée sur la clinique des
dispositifs, s’est elle aussi attachée à élaborer des positions de cohérence
quant au recours aux différents outils du psychologue clinicien : c’est
particulièrement à partir du modèle de la cure analytique que se sont
déployées un certain nombre de propositions (Anzieu, 1970 ; Chabert,
1997 ; Roussillon, 1995) qui renouvellent les perspectives de la pratique
de l’épreuve de Rorschach, tout particulièrement en clinique de l’enfant
et de l’adolescent, du fait de l’extrême sensibilité de ce temps de la vie
psychique aux effets de processus, et de dispositifs. La discussion, toujours
actuelle, autour de la question de la projection participe de cette démarche
épistémologique.
De plus, la production scientifique consacrée à la clinique projective dans
le champ de l’enfance et de l’adolescence se montre particulièrement riche :
en témoignent les nombreux articles publiés dans les différentes revues du
domaine. Il sera fait ponctuellement référence à ces travaux qui, chacun à
leur manière, apportent leur contribution au renouvellement de la pratique
du Rorschach (et d’autres épreuves projectives) en clinique de l’enfant et de
l’adolescent.

1. S. Lebovici & M. Soulé (1970), R. Misès (1990), D. Marcelli (2009), B. Golse (1994, 1999) pour
ne citer que quelques-uns des principaux auteurs à partir desquels se sont construites les références
qui constituent le fondement théorique et clinique de cet ouvrage.
Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent IX

Le sens de cet ouvrage tient donc dans cette double confrontation des
avancées psychopathologiques et méthodologiques en clinique de l’enfant
et de l’adolescent.
Mais cet ouvrage est, avant tout peut-être, un ouvrage de praticien, à
destination des futurs praticiens et des praticiens de la psychologie clinique :
inscrit dans une position de psychologue clinicien, praticien de l’épreuve de
Rorschach (et d’autres épreuves cliniques et projectives), position éclairée
par les apports de la recherche actuelle, il se veut résolument orienté sur
les enjeux de la rencontre clinique, médiatisée par l’épreuve projective de
Rorschach.
Les champs dans lesquels se trouve sollicitée la pratique de l’épreuve de
Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent sont vastes et variés :
consultation en psychiatrie infanto-juvénile ou en pédiatrie, indication de
prise en charge psychothérapique, consultation en psychologie scolaire,
consultation et/ou expertise judiciaire dans le domaine de la protection des
mineurs, des enjeux des séparations parentales ou de la délinquance des
mineurs...
La diversité de ces champs de pratique de l’épreuve projective pour le
psychologue justifie la nécessité d’un outil privilégié, qui se propose comme
unificateur de la pratique du psychologue1 , point de repère méthodologique
pour une pratique suffisamment dégagée des enjeux contre-transférentiels
auxquels donne nécessairement lieu le choix de l’épreuve par le psychologue.

Rorschach et médiation
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L’épreuve de Rorschach appartient à ce que l’on peut reconnaître comme


les outils de médiation dans le champ de la psychologie clinique. Le terme
de médiation est ici à comprendre dans une acception quasi-littérale, au
sens où l’épreuve de Rorschach vient se proposer ici comme entremise dans
la relation entre l’enfant ou l’adolescent et le psychologue clinicien.
L’épreuve, constituée dans sa matérialité d’un jeu de dix cartes stan-
dardisées, va ainsi, au même titre que d’autres supports utilisés par le
psychologue clinicien (dessins, pâte à modeler, matériel de jeu dans une
pratique individuelle, tout comme le photolangage© ou le psychodrame

1. En écho aux propositions lumineuses de D. Lagache sur l’unité de la psychologie (Lagache, 1949).
X Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

dans une pratique groupale..), proposer une configuration particulière de la


relation clinique.
La principale caractéristique de cette nouvelle configuration tient dans ce
que j’ai nommé un dégagement du lien du regard (Roman, 1998), dégagement
autorisé par l’introduction de l’objet médiateur qui propose alors une
alternative au déploiement des pulsions partielles (particulièrement dans
sa valence persécutoire) lié à l’investissement du regard dans la relation
clinique.
Par ailleurs, la dimension que l’on pourrait qualifier de ludique propre au
matériel de l’épreuve de Rorschach (avec ses taches grises et colorées, à la
fois étranges et familières,) contribue également à la qualité de médiation.
Il conviendra bien sûr de revenir de manière plus précise sur la dimension
de jeu instaurée par la proposition de l’épreuve de Rorschach et de spécifier
ce qu’il en est de l’ouverture d’une aire de transitionnalité à partir de la
situation projective initiée par la proposition de l’épreuve de Rorschach
(Chabert, 1997).
Cette part de jeu, inhérente à l’épreuve de Rorschach, est bien sûr précieuse
pour le psychologue dans sa rencontre avec l’enfant ou l’adolescent : face à
des situations qui se déploient de l’inhibition à l’opposition caractérielle, le
psychologue se trouve confronté de manière récurrente, dans le cadre de la
consultation, à la nécessité d’une médiatisation de la rencontre.
C’est dans cette mesure qu’il me paraît important d’insister sur la fonction
de l’épreuve projective de Rorschach comme support de la relation clinique,
lieu de cristallisation des enjeux transféro-contre-transférentiels, au travers
d’une modalité de transfert latéral via le matériel de l’épreuve.
En d’autres termes, si l’épreuve de Rorschach, en fonction de l’ambiguïté
de sa proposition (nous y reviendrons dans le chapitre consacré à la
méthodologie), ouvre l’espace d’un possible dans la rencontre, elle substitue
au risque séducteur du regard – en le tenant à distance –, un autre risque,
celui de l’offre séductrice propre à la situation de l’épreuve.
C’est au sein de cette tension et dans une prise en compte de celle-ci,
que va pouvoir naître le sens de la production des réponses face aux
cartes de l’épreuve de Rorschach ; c’est dans cet espace que pourra jouer la
dimension de l’interprétation1 clinique comme support de l’évaluation de
la personnalité de l’enfant et de l’adolescent.

1. Peut-être convient-il plutôt de parler de lecture clinique du matériel recueilli, afin de se prémunir
d’un nouveau risque de confusion : si le modèle de la théorie psychanalytique viendra éclairer tout
à la fois les enjeux du dispositif de l’épreuve de Rorschach et ceux des données cliniques qui s’y
attachent, il ne saurait être question de recourir au modèle de l’interprétation dans le transfert qui
Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent XI

Rorschach et pratique de l’examen psychologique

Dans la pratique clinique du psychologue auprès d’enfants et d’adolescents,


l’épreuve de Rorschach constitue l’un des outils à sa disposition : si j’insiste
sur l’intérêt méthodologique d’une référence suffisamment stable à un outil
clinique au regard de la diversité des champs de pratique et de la diversité des
cliniques rencontrées (cf. supra), il me paraît tout aussi important de situer
l’épreuve de Rorschach à une juste place, afin de se départir du risque d’une
dérive de type idéologique qui consisterait à ériger cette épreuve en figure
idéale et totalisante... si ce n’est totalitaire dans son application. C’est ainsi
que si l’épreuve de Rorschach va représenter le socle à partir duquel va se
construire la démarche de consultation ou de bilan, il ne représente que l’un
des dispositifs auquel le clinicien aura recours. J’ai défendu cette position
dans un précédent ouvrage chez le même éditeur, Les épreuves projectives
dans l’examen psychologique (2006), auquel le lecteur peut se référer.
Cette approche volontairement limitative de l’utilisation de cette épreuve
par le psychologue procède d’une double nécessité, en terme de démarche
clinique d’une part, et en terme de mise en jeu de potentialités d’écart dans
la rencontre d’autre part.
• En premier lieu, pour ce qui concerne la construction de l’intervention
clinique, il s’agit de considérer que la passation d’une épreuve projective
telle que l’épreuve de Rorschach s’inscrit dans une démarche globale
du psychologue, démarche qui vise à prendre en compte l’enfant
ou l’adolescent dans une histoire : histoire d’un symptôme et/ou
d’une demande, histoire d’un groupe-famille et d’autres appartenances
groupales, histoire d’un lien qui se tisse avec le psychologue et/ou avec
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l’institution. La proposition de l’épreuve de Rorschach ne peut en aucun


cas faire l’économie de l’écoute de la spécificité de la place du sujet dans
ces différents réseaux de parole, et elle ne peut que prendre appui sur
ceux-ci à partir d’une proposition d’entretien.
• En second lieu, la convocation de plusieurs dispositifs cliniques, dans un
même espace de consultation, permet de fonder un écart suffisant entre
la production du sujet et le sujet lui-même, entre les productions du

spécifie la pratique analytique, mais d’entendre le discours produit sur l’arrière-plan des modalités
transféro-contre-transfiérentielles engagées dans la situation projective.
XII Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

sujet confronté à des dispositifs différenciés dans leur sollicitation, entre


différents temps de l’histoire du sujet :
– la proposition de plusieurs épreuves projectives (épreuve de Rorschach
et une autre au minimum) garantit le psychologue face au risque
d’une identification de l’enfant ou de l’adolescent à ses productions
et, partant, de s’inscrire dans une modalité d’investissement dans
le registre de l’objet partiel ; dans cette mesure, la nécessité de la
construction d’un dispositif de consultation comportant au moins
deux épreuves s’impose ;
– la proposition de plus d’une épreuve projective, en référence à la
complémentarité des épreuves (C. Chabert, 1998), autorise des
sollicitations différenciées : on a ainsi coutume de distinguer épreuves
structurales et épreuves thématiques, comme le rappellent D. Anzieu et
C. Chabert (1983), pour rendre compte d’une différenciation qui porte
sur la qualité des organisateurs du stimulus donné à voir dans le cadre
de la passation ; dans le cas des épreuves structurales (dont le Rorschach
constitue le prototype 1 ), le caractère non-structuré du stimulus engage
l’enfant ou l’adolescent à en proposer une organisation singulière au
travers d’une verbalisation qui va contenir les modalités de son rapport
au monde au regard de sa structuration interne, alors que les épreuves
thématiques (à l’instar du TAT, du CAT ou du Patte-Noire), au travers
de leur dimension figurative, explicitement orientée sur l’expression
d’une conflictualité, inviteront le sujet à engager ses motions défensives
au travers de la construction d’un récit élaboré dans la rencontre
avec chaque planche. La différenciation de ces matériels peut se
traduire, en termes d’enjeux psychodynamiques (Chabert, 1995), par
un appel privilégié des problématiques identitaires-narcissiques dans
les épreuves structurales, et objectales identificatoires dans les épreuves
thématiques : nous reviendrons par ailleurs sur la manière dont ces
enjeux vont venir se croiser dans l’épreuve de Rorschach ;
– la proposition d’une rencontre en deux temps différenciés participe
également d’une inscription historique de la démarche du psychologue :

1. L’épreuve du Z de H. Zulliger (1959) appartient également au groupe des épreuves structurales


dans lequel il me semble également pertinent d’adjoindre une épreuve de dessin comme le dessin
libre (Roman, 1993), voire la spécificité de la sollicitation portée par certains éléments de l’épreuve
de jeu du Scéno-test (Von Staabs, 1964), en l’occurrence les éléments de construction contenus dans
cette épreuve : la portée structurale de ces dispositifs tient dans la contrainte à organiser qu’ils recèlent,
en dehors de toute mobilisation a priori figurative.
Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent XIII

dans la construction d’une histoire à deux, s’appuyant sur une


temporalité avec l’enfant ou l’adolescent va pouvoir jouer dans le
cours de la consultation, se déploie un espace dans lequel la dimension
de l’après-coup peut prendre sens.
On le voit, la pratique de l’épreuve de Rorschach avec l’enfant ou
l’adolescent ne peut être pensée en dehors du contexte général de la
consultation et des modalités de la construction des dispositifs en mesure
de soutenir la rencontre clinique.
La mobilisation d’autres épreuves projectives, en fonction de l’âge du
sujet, viendra apporter un contrepoint indispensable à la passation de cette
seule épreuve. J’ai eu l’occasion d’évoquer, de manière incidente et outre
l’épreuve de Rorschach, les différentes épreuves projectives à la disposition
du psychologue. Je préciserai, dans un chapitre ultérieur1 , de quelle manière
ces épreuves pourront être sollicitées au regard de l’âge de l’enfant ; pour
l’heure, je présenterai un panorama général des épreuves projectives les plus
connues et les plus utilisées dans la pratique clinique (voir aussi sur ce point
P. Roman, 2006) :
• Les épreuves graphiques, dessin libre ou dessin à consigne ; citons, parmi
ces dernières, le dessin de famille (Corman, 1961), le D 10 (Le Men,
1966) ou l’AT 9 (Durand, 1988) ;
• Les épreuves de jeu, à consigne libre comme le Scéno-Test (von Staabs,
1964) ou la Mallette Projective Première Enfance (Roman, 2004, 20052 )
ou à consigne dirigée comme le test du Village par exemple (Monod,
1973) ;
• Les épreuves verbales, à partir d’un support non figuratif (Rorschach, test
de Z) ou figuratif (TAT, CAT, Patte-Noire...).
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Par ailleurs, l’examen clinique gagnera à être éclairé et enrichi de


l’articulation avec les éléments issus de la passation d’épreuves cognitives
mise au travail, le cas échéant : les modèles de lecture clinique des modalités
de structuration des stratégies cognitives, telles qu’elles apparaissent en
particulier dans les échelles de Wechsler (WPPSI, WISC) ou dans d’autres

1. Cf infra : Chapitre 3 – Repères pour une pratique, p. 217.


2. La Mallette Projective Première Enfance est un dispositif d’épreuve projective récemment élaboré,
épreuve de jeu destinée aux tout-jeunes enfants (6 mois à 4 ans).
XIV Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

épreuves cognitives (K.ABC) seront particulièrement précieux pour donner


un cadre méthodologique et théorique à cette articulation1.
L’épreuve de Rorschach, pour ce qui la concerne, peut être proposée à
l’enfant à partir d’un accès suffisant au langage2 , et, à partir de là, de manière
inconditionnelle quel que soit l’âge de l’enfant ou de l’adolescent : le très
large champ clinique ainsi couvert constitue, bien sûr, un atout précieux
pour le recours à ce dispositif.

1. Voir à ce sujet, en particulier, les travaux de S. Bourgès (1973) ou, plus récemment, de R. Debray
(1998), ou de C. Arbisio (2004) et de M. Emmanuelli (2004).
2. Il conviendra de discuter plus précisément, particulièrement avec les travaux de M. Boekholt
(1996), la question de l’âge à partir duquel la passation du Rorschach peut être proposée.
CHAPITRE
1

L’épreuve de Rorschach
Sommaire

Histoire d’une pratique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Page 5

Normalité et pathologie : Rorschach et clinique de l’enfant et de


l’adolescent . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Page 7

Pour une approche psychodynamique de l’épreuve de Rorschach . Page 9


Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent 3

E NE reviendrai pas ici sur l’historique de l’épreuve de Rorschach,

J
traité de manière très documentée en particulier par E. Bohm
(1951). Je rappelle simplement que le contexte de l’émergence de la
psychanalyse, comme pratique et comme corpus théorique, consti-
tue le fond sur lequel s’élabore le Psychodiagnostic d’H. Rorschach
au début du XXe siècle. Si l’on ne peut ignorer l’influence de la pensée
psychanalytique sur la mise en œuvre de l’outil clinique du Psychodiagnostic,
ainsi que le montre J. Ellenberger (1954), il convient de rappeler que la
démarche d’H. Rorschach suivra davantage la voie de la caractérologie, et
s’appuiera de manière extrêmement rigoureuse sur une démarche empirique.
Le Psychodiagnostic est considéré par son concepteur non seulement
comme une épreuve d’imagination (Rorschach, 1921, p. 3), mais également
comme une épreuve qui met en jeu la perception et l’idée et implique un
travail d’association : H. Rorschach s’appuie alors sur les travaux d’E. Bleuler
(il cite le Lehrbuch der Psychiatrie 1 d’E. Bleuler publié en 1916) pour définir
les trois termes qui fondent la perception :
« Dans la perception interviennent donc les trois processus de la sensation,
du souvenir et de l’association. » (Rorschach, 1921, p. 3).
Ainsi, dans les attendus même de la méthode, H. Rorschach indique de
quelle manière la dimension de la sollicitation cognitive de l’épreuve a partie
liée avec l’engagement du sujet dans son histoire, et la manière dont il va se
trouver affecté par le stimulus qui lui est proposé.
Peut-être convient-il d’ajouter également deux points d’ancrage de la
méthode d’interprétation libre de taches fortuites dans le champ de l’imaginaire
et des dispositifs de symbolisation, dont la pratique de l’épreuve de Rorschach
auprès d’enfants et d’adolescents ne peut faire l’économie :
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• En premier lieu, mentionnons les propositions de L. de Vinci, parues à


Vienne en 1882 sous le titre Buch von der Malerei 2 , qui font apparaître
tout l’intérêt psychologique de l’interprétation des taches, alors même
qu’A. Binet, en 1895, fut le premier à proposer un dispositif d’évaluation
de l’intelligence à partir des taches d’encre ;
• En second lieu, indiquons le déploiement du vaste mouvement artistique
de l’expressionnisme, et de l’expressionnisme allemand en particulier,
qui met l’accent sur l’émergence de la résonance intérieure (Kandinsky,
1912) et sur l’ancrage perceptif de cette trace au travers de la production

1. En français : Manuel de Psychiatrie.


2. En français : Livre de la peinture.
4 L’épreuve de Rorschach

picturale ; H. Rorschach, quant à lui, parlera de Type de résonance intime


pour traduire les modalités selon lesquelles le sujet va se laisser affecter1
par le stimulus. Si nous n’avons pas de preuve formelle d’une rencontre
entre les travaux de l’expressionnisme abstrait et du suprématisme d’une
part et l’invention par H. Rorschach de son épreuve des taches d’encre
d’autre part, plusieurs indices nous poussent à faire l’hypothèse que
ces démarches s’inscrivent, à tout le moins, dans un même faisceau de
préoccupation, voire d’un même réseau de sens, que l’on peut résumer,
de manière un peu caricaturale de la manière suivante : il s’agit pour l’un
comme pour l’autre de faire émerger, à partir du support graphique et/ou
pictural, l’essence de la vie psychique, dans une démarche qui emprunte
au processus de la création (création de formes et de couleurs pour le
peintre, création de représentation face à des formes et des couleurs
présentées au sujet pour le clinicien2 ).
Quelques éléments factuels, liés à la biographie d’H. Rorschach, per-
mettent de donner corps à cette hypothèse même si à ce jour aucune donnée
formelle ne permet d’attester d’une influence directe d’un mouvement
pictural sur l’invention du Psychodiagnostic :
• L’on sait qu’H. Rorschach, issu d’une famille d’artistes et artiste lui-même,
a séjourné en Russie, qu’il y a travaillé et qu’il s’est marié avec une jeune
femme russe ;
• La Russie est le pays d’où est originaire W. Kandinsky, pays qu’il a quitté
pour l’Europe de l’Ouest dès le début du XXe siècle ;
• La lecture de l’ouvrage princeps de W. Kandinsky, Du spirituel dans l’art
(1912), tend à conforter la congruence des approches des deux auteurs,
autour de la quête d’une voie d’expression de la subjectivité au travers du
médium de la création.
La correspondance d’H. Rorschach, publiée en 2004, et qui concerne
principalement la période où il est en Russie (où il vivra quelques temps,
jeune marié, avec sa femme), porte essentiellement sur ses occupations
professionnelles et sur l’attention qu’il porte à sa famille laissée à distance.
Cette correspondance laisse toutefois entrevoir les préoccupations de son
entourage, et de F. Minkowska en particulier, pour les mouvements artis-
tiques contemporains : cette dernière, en particulier, associait H. Rorschach

1. Voir infra : La cotation, clinique de la production projective, p. 62.


2. On peut à ce sujet se référer à l’un des textes de l’auteur qui aborde ces questions : P. Roman
(2007), in « Cliniques de la création ».
Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent 5

et V. Van Gogh, les considérant dans une parenté avec elle-même dans leur
qualité d’être « sensoriels1 ».

Histoire d’une pratique

La pratique de l’épreuve de Rorschach en clinique infanto-juvénile est une


pratique ancienne, qui s’est développée assez rapidement dans le fil de la
publication de son ouvrage Psychodiagnostic par H. Rorschach (1921).
M. Leichtmann (1996), dans un ouvrage abordant une perspective
développementale de la pratique du Rorschach en clinique infantile, rappelle
que cette pratique s’inscrit sur l’expérience d’un jeu populaire, chez les
enfants, jeu consistant en la réalisation de taches d’encre et le décryptage de
celles-ci.
H. Rorschach, quant à lui, ne prend pas en compte de manière explicite
la population infanto-juvénile pour l’élaboration de sa méthode et il faudra
attendre, en Europe, les années 1930 et les travaux de M. Loosli-Ustéri
(1929, 1932, 1934) pour une formalisation de la pratique du Rorschach
auprès d’enfants et d’adolescents : en 1938, M Loosli-Ustéri propose le
premier manuel pratique de l’épreuve de Rorschach en clinique infantile,
manuel qui comprend tout à la fois des éléments concernant la spécificité
de la méthode et les fondements de l’interprétation des protocoles au regard
de l’apparition des différents facteurs mis en évidence dans la production
des réponses.
Dans la lignée de ce travail, on doit à C. Beizmann (1961) la poursuite de
l’investigation des avancées cliniques et psychopathologiques de l’épreuve
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de Rorschach : C. Beizmann mettra tout particulièrement l’accent sur une


approche clinique et génétique de l’épreuve, en tentant de dégager de
manière systématique des modalités de traitement perceptif et d’expression
différenciés en fonction de l’âge de l’enfant.
Aux États-Unis, il semble que c’est un peu plus tardivement, essentielle-
ment avec les travaux de B. Klopfer (1942) puis ceux de F. Halpern (1953),
que se sont construites les bases de la pratique de l’épreuve de Rorschach
auprès des enfants et des adolescents.
Depuis, s’est déployée une pratique constante de l’épreuve dans ce champ
de la clinique. Les travaux de J. Exner (1974), qui se sont employés à élaborer

1. Cf. H. Rorschach, Briefwechsel, p. 88.


6 L’épreuve de Rorschach

un « système intégré » pour la pratique de l’épreuve de Rorschach, prennent


d’ailleurs en compte la pratique auprès d’enfants et d’adolescents.
Qu’en est-il du développement de la pratique de l’épreuve de Rorschach
en clinique infanto-juvénile en France ?
N. Rausch de Traubenberg (1997), à qui l’on doit l’inscription de cette
pratique dans la pratique des psychologues cliniciens intervenant dans des
institutions accueillant des enfants et des adolescents (secteur hospitalier
général et psychiatrique, institutions de l’enfance inadaptée, centres de
consultations), rapporte la période héroïque, à la fin des années 1940, de
l’introduction de l’épreuve de Rorschach dans les services de psychiatrie
infanto-juvénile : il s’agissait alors de vaincre des résistances et de proposer
un nouveau modèle d’investigation de la personnalité prenant en compte la
dynamique de la vie psychique et les différents registres de conflictualité qui
l’anime. Je crois que l’on peut dire, en ce sens, que l’épreuve de Rorschach,
au travers de l’engagement clinique qu’elle requiert, est ainsi venue soutenir
un mouvement de pensée qui a accompagné la naissance de la psychiatrie et
de la psychopathologie infanto-juvénile contemporaine.
Il faut considérer que cette période correspond également à l’émergence
de la pratique du psychologue, pratique fondée sur un métier dont la
spécificité s’est construite progressivement, particulièrement dans un double
mouvement d’appui et d’écart au regard du modèle médical.
L’épreuve de Rorschach, créée par un médecin psychiatre suisse allemand,
devenait alors l’un des outils à partir desquels le psychologue allait pouvoir
revendiquer sa différence et, par là-même, son identité...
Les travaux de N. Rausch de Traubenberg en collaboration avec M.-
F. Boizou (1977) ont largement contribué à un ancrage de la pratique de
l’épreuve de Rorschach dans le champ de la psychologie clinique en proposant
l’élaboration de repères, dans une perspective résolument clinique, autour
de l’articulation entre normalité et pathologie au décours du développement
psychoaffectif de l’enfant.
En prolongement de ces travaux, l’équipe du Laboratoire de psychologie
projective de l’Université R. Descartes-Paris V, et M. Boekholt (1996)
et M. Emmanuelli (1992, 2004, 2009) tout particulièrement, a affirmé
l’inscription de l’épreuve de Rorschach en clinique de l’enfant et de
l’adolescent, en affinant l’ancrage de cette pratique dans le référentiel de la
théorie psychanalytique, en appui sur les travaux menés en clinique adulte
par C. Chabert (1997, 1998), à la suite des travaux de D. Anzieu (1970).
Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent 7

Normalité et pathologie : Rorschach et clinique


de l’enfant et de l’adolescent

On le sait, la clinique de l’enfant et de l’adolescent confronte de manière


spécifique le psychologue à d’importants questionnements sur la définition
d’une norme à l’aune de laquelle pourraient se mesurer des écarts permettant
de définir une psychopathologie.
En effet, la difficulté à circonscrire une structure psychique de l’enfant, et
peut-être plus encore une structure psychique de l’adolescent, mais également
l’instabilité des aménagements dans un temps dominé par la maturation et
le développement des différents organisateurs et des différentes fonctions
de la vie psychique, placent le clinicien d’une part dans la nécessité de ne
pas s’arrêter à une définition restrictive de la normalité et d’autre part à
interroger la dynamique des processus, au regard des différentes étapes du
développement psychoaffectif.
La définition de la normalité dans le champ de la clinique de l’enfant
et de l’adolescent est une question complexe. D. Marcelli (1996) en borne
les contours, à partir des différents points de vue qui permettent son
élaboration : celui de la conduite, de la structure, du développement et de
l’environnement. Je retiendrai de ses propositions la nécessité de l’inscription
du symptôme dans le contexte des engagements relationnels de l’enfant :
l’interrogation du clinicien portera moins alors sur le caractère pathologique
de tels conduite ou symptôme que sur la manière dont ceux-ci témoignent
d’un potentiel organisateur ou désorganisateur.
C’est à ce point que l’épreuve de Rorschach représente un analyseur
privilégié de la vie psychique de l’enfant : l’analyse des modalités de prise de
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position de l’enfant ou de l’adolescent à l’égard de la situation projective rend


compte en effet, au travers des arbitrages intrapsychiques qu’elle sous-tend,
du registre des aménagements présents, dans l’implicite des organisateurs
de la réponse proposée face à la planche...
Cette dimension vient singulièrement s’actualiser dans une forme
spécifique de l’organisation défensive, que l’on peut définir avec la notion
de défense paradoxale (Roussillon, 1991), dont j’ai proposé de travailler
une expression particulière autour de la figure du clivage à l’adolescence
(Roman, 2000).
Car au regard des questions liées à l’articulation du normal et du
pathologique, le temps de l’adolescence constitue bien un temps singulier,
qui condense, d’une certaine manière, les enjeux de cette intégration :
8 L’épreuve de Rorschach

l’adolescence constitue, en effet, ce temps énigmatique au travers duquel se


trouvent intriqués processus progrédients et régrédients, mouvement vers la
vie et mouvements pris dans la mort. Les mouvements psychotique (Chabert,
1990) et mélancolique (C. Chabert, 2003) qui infiltrent l’adolescence
constituent des analyseurs privilégiés de la capacité de l’épreuve de Rorschach
à accompagner les différents aléas de la vie psychique, et à les inscrire dans
une discussion clinique, à laquelle les données issues de l’investissement
dans la relation ne sont pas étrangères.
Le choix de la référence au modèle freudien du développement libidinal
(en référence aux différentes étapes d’organisation de la pulsion), en appui
sur les modèles métapsychologiques de la première et de la seconde topique,
tient dans le souci d’une cohérence entre une théorie du dispositif clinique
et une théorie de la personnalité. De plus, une telle référence inscrit la
pensée d’une continuité dans le déploiement des processus, sans rupture
entre normalité et pathologie. C’est à partir de cette continuité que le travail
de la clinique, en appui sur l’épreuve de Rorschach, peut trouver son sens.
Au-delà, il s’agit bien sûr de l’enjeu de la définition diagnostique de la
personnalité de l’enfant ou de l’adolescent : celle-ci ne peut, à mon sens,
se résoudre dans le simple repérage des éléments comportementaux, ainsi
que le proposent les classifications américaines telles que le D.S.M.1 et elle
doit prendre en compte à la fois les éléments dynamiques de la personnalité
de l’enfant, et la perspective de son évolution. En d’autres termes, on ne
peut référer à la pathologie une conduite et/ou un comportement sans en
élaborer le sens au regard de l’histoire de l’enfant ou de l’adolescent.
Je rejoins sur ce point les positions défendues par M. Boekholt (1993),
dans son ouvrage consacré aux épreuves thématiques en clinique infantile,
concernant la référence à une psychopathologie de l’enfant et de l’adolescent
construite dans une perspective trans-nosographique et qui met l’accent
sur les espace-frontières : M. Boekholt (1993, p. 7) évoque à cet endroit
l’intérêt de la prise en compte des « variations de la normale ou des confins
de la pathologie », comme témoins de la richesse et de la complexité de la
clinique de l’enfant et de l’adolescent.
L’épreuve de Rorschach est, en quelque sorte, au service de cette richesse
et de cette complexité, dans ce qu’elle cristallise de l’investissement de la
limite :
– limite entre le réel et l’imaginaire,

1. D.S.M. : Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, publié par l’Association
Américaine de Psychiatrie.
Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent 9

– limite entre la forme et le fond,


– limite entre le dedans et le dehors...
C’est à partir de la confrontation à ces différents registres de la limite,
engageant la triple dimension de l’intrapsychique, de l’intersubjectif et du
trans-psychique, que l’enfant ou l’adolescent va pouvoir témoigner, à partir
de sa production, de ses organisateurs inconscients.
Dans cette orientation psychodynamique, une classification constituera
toutefois l’arrière-plan des développements de cet ouvrage sur l’apport de
l’épreuve de Rorschach à la clinique de l’enfant et de l’adolescent : il s’agit
de la Classification française des troubles mentaux de l’enfant et de l’adolescent,
publiée et actualisée sous la direction de R. Misès (2012), et s’appuyant
tout particulièrement sur les travaux de S. Lebovici (1970, 1985). Cette
classification permet d’organiser, de manière souple et non-univoque, une
pensée des principaux troubles et de leur configuration.
En tout état de cause, l’objectif de cet ouvrage n’est pas celui de
l’élaboration d’une psychopathologie de l’enfant et de l’adolescent au
Rorschach, mais bien plutôt celui de la construction d’un repérage clinique
en mesure de soutenir une pensée de la dynamique de la vie psychique
à partir de l’offre de création qui est contenue dans la proposition de la
passation de l’épreuve de Rorschach.

Pour une approche psychodynamique de l’épreuve


de Rorschach

Je l’ai dit, mon projet est ici celui de l’inscription de la pratique de l’épreuve
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

de Rorschach dans une théorie de la méthode, qui soit en mesure de rendre


compte tout à la fois des enjeux de la proposition de l’épreuve de Rorschach
dans la clinique et d’une analyse dynamique des productions de l’enfant
et de l’adolescent : le choix du modèle de la métapsychologie freudienne,
qui traversera en filigrane cet ouvrage, s’appuie sur sa pertinence à assurer
une continuité de pensée entre les enjeux de la méthode et les enjeux de la
clinique, à partir d’une mise en jeu du travail de la symbolisation1 .

1. En ce sens, cet ouvrage est un prolongement, et un déploiement, d’un certain nombre d’hypothèses
défendues dans le cadre d’un ouvrage collectif : P. ROMAN & Coll., Projection et symbolisation chez
l’enfant, Lyon, P.U.L. 1997.
10 L’épreuve de Rorschach

La poursuite des hypothèses avancées par H. Rorschach en appui sur les


propositions d’E. Bleuler me conduira à développer de nouvelles perspectives
dans le champ de la théorie psychanalytique et des avancées actuelles de
celles-ci, en particulier en référence aux travaux de R. Roussillon (1995) sur
la métapsychologie des processus.
C. Chabert (1995) insiste dans ce sens sur l’outil exceptionnel que
représente la théorie psychanalytique, en mettant l’accent sur le fait
qu’elle permet de mettre au travail les processus engagés dans la rencontre
projective1 : la clarification épistémologique que cette position contient (ce
n’est pas l’épreuve projective elle-même qui est l’objet de l’interprétation
mais le fonctionnement psychique du sujet) est à même de dégager la
pratique de l’épreuve de Rorschach du flou dans lequel elle est bien souvent
tenue, voire attaquée, dans la réduction de sa portée à une dimension
psychométrique2 .
La rencontre avec la planche de Rorschach sera ici considérée comme
instaurant une butée aux opérations de symbolisation de l’enfant ou de
l’adolescent confronté au dispositif clinique de la passation. La nécessité de
structurer l’informe de la tache engage en effet la plasticité des organisateurs
de la vie psychique.
Dans cette perspective, la proposition de l’épreuve de Rorschach permet
de mettre à jour, au décours des modalités de production de l’enfant ou
de l’adolescent, une histoire de ses processus de symbolisation : en effet,
la situation projective vient offrir l’espace d’une répétition au regard des
premières expériences de symbolisation de l’enfant. C’est à la lumière de
ce qui peut se décrypter de la forme et de la qualité de cette répétition que
seront interrogées les productions face à la planche3 .

1. Signalons ici la parution récente (2014) d’un numéro d’hommage de la revue Psychologie clinique
et projective (Erès), en particulier consacré aux apports de N. Rausch de Traubenberg, sous le
titre : Aux fondements psychanalytiques des méthodes projectives. Les travaux contenus dans cette
publication apportent un éclairage précieux sur l’inscription de la pratique des épreuves projectives
dans l’épistémologie psychanalytique.
2. Les propositions méthodologiques de J. Exner, aux États-Unis, reprises de manière prophylactique
dans la formation des étudiants en particulier en France, contient à mon sens ce risque : traduire
la vie psychique d’un sujet en données statistiques, par ailleurs fort savamment construites... dans
la tenue à distance de l’engagement dans la rencontre. Les données recueillies – et le cas échéant,
transmises à des tiers – comportent alors essentiellement une dimension technique, en appui d’une
définition elle aussi statistique d’une symptomatologie psychopathologique (D.S.M.).
3. Voir infra : Méthodologie de l’épreuve de Rorschach en clinique de l’enfance et de l’adolescence,
p. 13.
Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent 11

Le projet de cet ouvrage sera donc de proposer, dans une continuité au


regard des travaux menés par C. Chabert (1997, 1998) en clinique adulte,
ici dans la spécificité de la clinique de l’enfant et d’adolescent :
1. Une lecture des conditions méthodologiques de l’épreuve de Rorschach
en clinique de l’enfant et de l’adolescent qui prenne en compte à la fois la
spécificité de la rencontre avec le matériel et les modalités d’élaboration
de la production projective ;
2. La mise en lumière d’un certain nombre de problématiques qui
traversent les étapes du développement libidinal de l’enfant, soutenant
son évolution, tout en constituant des marqueurs ;
3. La présentation de quelques repères cliniques, construits en appui sur la
présentation de protocoles, en lien avec les principaux organisateurs du
développement psychoaffectif de l’enfant et de l’adolescent ;
4. Le développement de situations de consultation en psychopathologie
de l’enfant et de l’adolescent dans le projet d’une mise en perspective
des propositions contenues dans cet ouvrage au regard de la démarche
praticienne du psychologue clinicien en appui sur l’épreuve de Rorschach.
Par ailleurs, l’ensemble des propos de cet ouvrage sera référé à des
productions Rorschach, dans la perspective d’une illustration de la démarche
méthodologique et de lecture clinique proposée ici, sous la forme de courtes
présentations de protocoles d’enfants ou d’adolescents et/ou de parties de
ceux-ci.
Les protocoles qui constituent les illustrations cliniques de cet ouvrage
sont issus de différents cadres praticiens : cadre de pratique de consultation
privée ou publique, de bilan en institutions, dans le champ judiciaire et
cadre d’une pratique de recherche (groupes témoins et groupes-contrôle
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

non consultants).
Le recueil de plusieurs centaines de protocoles de Rorschach d’enfants et
d’adolescents, garçons et filles âgés de 3 à 19 ans, avec parfois des situations
de re-test, sur une période de près de trente ans, autorise un regard large et
diversifié sur les différentes formes d’expression clinique face à l’épreuve.
CHAPITRE
2

Méthodologie de l’épreuve
de Rorschach en clinique
de l’enfant
et de l’adolescent
Sommaire

Épreuve de Rorschach et travail de l’image . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Page 16

Propositions de méthode . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Page 37

Clinique de la réponse au Rorschach . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Page 76


Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent 15

’ENJEU de ce premier chapitre sera de poser les bases de la pratique

L
de l’épreuve de Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent
à partir des différents points de vue qui concourent à en fonder
la pertinence. J’ai annoncé, en introduction de cet ouvrage,
l’importance que j’attache à la définition de la méthodologie
et à sa discussion, pour ce qui nous intéresse ici, des dispositifs cliniques. En
effet, si la méthode permet de mettre en œuvre les conditions d’observabilité
de la clinique (à partir des contraintes contenues dans le dispositif même,
dans sa dimension technique, voire technicienne), la méthodologie, quant
à elle, dans sa dimension méta, vient interroger les écarts et les tensions au
cœur desquels se situe la méthode : écart et tension entre la méthode et la
(les) théorie(s) qui la sous-tendent, écart et tension entre la méthode et la
(les) clinique(s) à la rencontre de laquelle celle-ci se confronte.
J’ai eu l’occasion de défendre (Roman, 1997), et je reviendrai sur ce point,
la manière dont la rencontre avec l’épreuve de Rorschach mobilise l’activité
de symbolisation du sujet mais, au-delà, mobilise l’histoire du déploiement
de ses processus de symbolisation.
Voici le point-pivot des propositions méthodologiques que je présenterai
dans le présent chapitre, en appui sur une conception, largement partagée
pour ce qui concerne le champ de la pratique clinique (et en référence
au modèle de la cure analytique), de la fonction de butée du dispositif : le
dispositif vient se proposer dans sa résistance aux manifestations de la psyché,
résistance que l’on va pouvoir aborder à partir de trois axes principaux :
– celui de la répétition,
– celui de l’affect,
– celui de la négativité.
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En d’autres termes, il s’agira d’interroger, au travers des productions de


l’enfant ou de l’adolescent face à l’épreuve de Rorschach, de quelle manière
vont se rejouer, dans l’espace singulier de la passation, des expériences
ayant à voir avec l’histoire des processus et des investissements, de quelle
tonalité affective ces expériences se trouvent connotées et, enfin, selon quelles
modalités elles vont être mobilisées par le travail du négatif (refoulement,
déni...).
Les propositions méthodologiques qui vont suivre s’appuieront sur trois
grands groupes de considérations : celles qui ressortissent d’une part des
enjeux perceptivo-projectifs de la rencontre avec la planche de l’épreuve de
Rorschach, d’autre part des conditions de mise en œuvre de la méthode et,
enfin, de la clinique des réponses.
16 Méthodologie de l’épreuve de Rorschach

Épreuve de Rorschach et travail de l’image

L’épreuve de Rorschach est née au siècle de l’image : photographie,


radiographie, cinématographie... tous ces modes de saisie de l’image et
de mise au travail de celle-ci ont contribué, de diverses manières et dans
des projets et perspectives variés, à la construction d’un savoir spécifique,
ainsi que le note M. Sicard (1994). Ce savoir s’appuie sur un travail
de déconstruction de l’objet, travail que l’on peut rapporter, dans le
champ des arts plastiques, à différents mouvements, de l’expressionnisme
de W. Kandinsky au suprématisme de K. Malévitch, sans oublier le
constructivisme de K. Schwitters, pour ne citer que quelques-unes des
figures saillantes qui ont contribué à enrichir l’élaboration de la place de
l’objet dans le champ de la peinture moderne.
Ce travail de déconstruction initié par les techniques « optiques » au début
du XXe siècle, met en jeu une double transformation du lien du regard :
• En premier lieu, l’objet représenté acquiert un statut de permanence
singulier, l’image photographique opérant un détachement radical entre
l’objet d’une part et l’image de l’objet d’autre part, du fait de la réplication
à l’identique ;
• En second lieu, l’objet représenté va quitter son statut d’entité indéfectible
au travers des transformations subies par la traversée des enveloppes que
permet la radiographie, qui organise de premières représentations de
l’intérieur du corps.
C’est dans ce contexte d’incertitude, voire de vacillement du statut de
l’objet, que doit se comprendre la place d’un dispositif clinique tel que
l’épreuve de Rorschach, à la fois sur le plan historique pour en expliciter
les conditions d’émergence et, fondamentalement, sur le plan de l’offre
faite dans le cadre de la relation clinique : la proposition de l’épreuve de
Rorschach à un enfant ou un adolescent met en jeu une démarche de
déconstruction/reconstruction de l’image au regard du caractère astructuré
du matériel :
• en tant qu’il se présente dans une radicale « étrangèreté » (« cela ne
ressemble à rien ») ;
• en tant qu’il évoque un connu qui échappe, mais dont il s’agira de préciser
les contours et les enveloppes (« cela me rappelle quelque chose mais
quoi ? »).
Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent 17

Tout comme l’image (fixe ou animée, photo – ou radiographique...), dans


son émergence au travers des premières techniques, l’épreuve de Rorschach
place l’enfant ou l’adolescent face à l’intrication d’un familier et d’un
non-familier, que l’on peut référer à l’Unheimlich de S. Freud (1919), et
dont la psyché aura à dénouer les fils, au travers de la proposition d’une
figuration suffisamment acceptable.
Il peut être ici l’occasion de rappeler que c’est au regard de ce contexte
scientifique et technique du début du siècle dernier que furent baptisées
projectives les méthodes cliniques engageant les mouvements perceptifs dans
un projet d’interprétation : en 1939, L. Frank, aux États-Unis, propose en
effet la dénomination de projective methods pour les dispositifs cliniques
dont la consigne sollicite la participation de l’expérience subjective dans
la production de la réponse – en opposition à des dispositifs qui seraient
réputés mobiliser exclusivement une participation cognitive.
La référence à la projection est alors triple, dans ses implications mathé-
matique, physique et optique (Anzieu, 1970) et sont répertoriées comme
méthodes projectives les épreuves alors disponibles pour les cliniciens :
épreuve d’association de mots de C.-J. Jung, épreuve de Rorschach et TAT
(Thematic Aperception Test) de Murray.

Les planches de Rorschach : jouer avec les taches

Avec D.-W. Winnicott (1971), le jeu prend une place centrale, tout
particulièrement dans le champ de la clinique de l’enfant – et, par
extension, dans celui de la clinique de l’adolescent – particulièrement
lorsque l’on aborde la question de la place des dispositifs d’investigation
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

de la personnalité : le jeu en constitue tout autant le support matériel à


partir duquel va pouvoir se construire la relation clinique, que le processus
de référence mobilisé dans le lien et/ou la métaphore pour figurer les
mouvements engagés par la psyché. Sur le versant de l’expérience, le jeu
conduit à interroger le rapport aux expériences précoces de l’enfant ou de
l’adolescent, en tant qu’il constitue le support du développement libidinal
au décours de la construction du monde. Sur le versant du processus, le jeu
mobilise les potentialités de l’enfant ou de l’adolescent à s’engager dans le
« comme si », au sens de l’investissement d’une aire d’illusion, soutenant le
déploiement de l’imaginaire.
18 Méthodologie de l’épreuve de Rorschach

➤ Expérience du jeu et hallucination


La problématique du jeu, on le sait, ne peut être séparée de celle de l’objet,
et de la prise de position subjective dans l’expérience de la rencontre avec
celui-ci. Les propositions de D.-W. Winnicott sur l’objet trouvé-créé et sur
les conditions d’instauration de celui-ci témoigne de l’engagement fondateur
du jeu dans l’établissement des liens de l’enfant avec son environnement.
Il est toutefois un point sur lequel je souhaite insister, particulièrement
dans ce qui nous intéresse ici de la confrontation à l’image engagée par
l’épreuve de Rorschach : on ne peut couper l’expérience du jeu d’une autre
expérience, plus archaïque, qui est celle de l’hallucination.
D’une certaine manière, le modèle de l’hallucination (Freud, 1900),
construit à partir de l’expérience de la satisfaction, croise cette première
conception de l’objet : pour que l’objet soit investi par la psyché, il y a
nécessité, pourrait-on dire, qu’il soit désiré 1 par lui.
Ainsi, c’est de la rencontre entre un objet qui se propose, qui se présente
– pour reprendre une formulation de D.-W. Winnicott (object presenting) – et
un sujet en tension, que s’inaugure l’espace d’une intériorisation potentielle,
le creusement d’une profondeur de la vie psychique permettant d’accueillir
l’altérité de l’objet.
Dans le modèle de l’hallucination, c’est de l’absence que s’origine la
tension : absence du sein de la mère, absence de la satisfaction du désir. La
construction de l’objet et, au-delà, son intériorisation, viserait alors à pallier
l’absence. Le creusement d’une intériorité propre à accueillir l’objet et ses
qualités procéderait de la nécessité de différer une rencontre.
L’hallucination vise à construire au-dedans ce qui fait défaut au-dehors
et c’est tout en même temps dans l’espace qui va s’instaurer entre ces
deux topiques (différenciation dedans-dehors) et dans la reconnaissance
de l’adéquation entre la production de l’enfant (l’image hallucinée) et
l’expérience de la réalité interne (matérialisée par le retour du sein de la
mère), que s’établit la première expérience de jeu accessible à une élaboration
secondarisée. Là se situe le paradoxe au sein duquel D.-W. Winnicott (1971)
nous propose de travailler : c’est de l’absence de l’objet que naît l’objet, c’est
de sa création interne à la psyché que dépend une potentielle rencontre dans
la réalité externe. L’objet n’est pas donné en-soi, il se construit en appui sur
les expériences proposées par l’environnement et l’on peut dire que le jeu

1. Le terme de désir est ici à entendre dans son acceptation la plus primaire, comme traduisant une
tension en direction de l’objet.
Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent 19

va contenir, fondamentalement pour l’enfant, une fonction de dégagement,


d’échappée à I’égard de la situation de chaos et d’indifférenciation des
expériences primaires.
Au travers de cette déconstruction de la position de l’objet, on voit
apparaître en filigrane la question du dispositif méthodologique qui autorise
le repérage de son émergence : l’objectif de la méthode est alors de construire
la réalité psychique comme objet spécifique, dans une circulation paradoxale
impliquant les positions respectives du sujet et de l’objet.

➤ Épreuve de Rorschach et jeu de la bobine


Le jeu de la bobine décrit par S. Freud (1920) permet de figurer la
problématique de la construction de la différenciation entre réalité interne
et réalité externe à partir de la mise au travail de l’hallucination dans
l’expérience de l’absence. À mon sens, le jeu de la bobine constitue une
figuration paradigmatique de la situation projective, et de la situation
clinique ouverte par l’épreuve de Rorschach en particulier. Ici, ce n’est pas
avec la bobine que l’enfant est appelé à jouer mais avec les taches et, au-delà,
avec les éprouvés et les images-souvenirs qui en accompagnent la perception
(Rorschach, 1921, p. 5).
Dans le contexte d’une participation transitionnelle de la scène projective,
évoquée précédemment avec la référence à l’expérience du trouvé-créé, je
propose que la situation de passation de l’épreuve de Rorschach puisse être
pensée en lien avec le jeu de la bobine de par la qualité de son élaboration
dans le projet de faire advenir une représentation de l’absence – et non pas
seulement de l’objet absent. Une telle approche du jeu me paraît constituer
une modélisation suffisamment complexe pour pouvoir s’en saisir, à titre
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

heuristique, dans l’exploration méthodologique qui sous-tend la présentation


de la situation projective.
Dans le jeu de la bobine, le fil représente ce lien entre l’éprouvé de la
présence et l’éprouvé de l’absence, alors même que la bobine figure un objet
en devenir, instable dans sa présentation, encore en risque de faillite quant
à sa permanence. Ainsi, le stimulus présent sur la planche de Rorschach
pourrait-il représenter la bobine, alors même que la consigne1, portée par le
psychologue dans le cadre de la relation clinique, figurerait une trace du fil

1. La question de la consigne est, à mon sens, une question extrêmement sensible dans ce qu’elle
engage de l’épreuve de la symbolisation. Nous y reviendrons dans la prochaine partie, consacrée aux
propositions de méthode.
20 Méthodologie de l’épreuve de Rorschach

dont le sujet aurait à se saisir dans le projet de la production verbale de la


réponse.
J’ai déjà affirmé que la situation projective permet que se rejoue un éprouvé
des expériences primaires, dans la mesure où elle se construit, comme cadre
pour symboliser, dans la continuité du premier cadre de symbolisation de
l’enfant qu’est la mère.
C’est dans la mesure de la perméabilité des espaces internes et externes de
l’enfant – culminant, de ce point de vue, dans les expressions adolescentes –
et de la plasticité des mouvements intrapsychiques qui les mobilisent, que
les modalités d’investissement de ce dispositif auront à être repérées.
Dans ce cadre, et en référence avec le jeu de la bobine, il me semble que
l’on peut retenir trois indices qui reprennent les trois organisateurs de ce jeu,
dans le projet de repérer les points de butée des opérations de symbolisation
dans la confrontation à l’épreuve projective. Il s’agira de distinguer :
• la qualité et l’efficience des procédures de différenciation du stimulus, qui
témoignent de la reconnaissance de l’objet, dont C. Beizmann (1970)
a pu décrire l’évolution dans le champ de la clinique infantile et au
regard desquelles j’attache une importance toute particulière quant à la
dynamique qui s’établit entre la figure et le fond de la planche ;
• les modalités d’investissement de la motricité sur l’axe décharge/intériorisation,
en ce qu’elles rendent compte d’une part de la potentialité d’instauration
de la permanence de l’objet et d’autre part de l’établissement d’une aire
de jeu interne ;
• la nature du recours au langage, en tant que support opérationnalisant
la réponse face à la planche de l’épreuve de Rorschach, tant dans une
lignée élaboratrice que régressive. C’est essentiellement dans le langage – y
compris dans les blancs de celui-ci – que se traduira le niveau d’élaboration
de la symbolisation et que s’exprimeront tout particulièrement ce que je
nomme les catastrophes de symbolisation (ratés de la verbalisation, ruptures,
glissements, confusion...).

➤ Jeu et objet
Dans la rencontre avec la planche de l’épreuve de Rorschach, se trouve ainsi
mise en jeu la manière dont le sujet va être en mesure de répéter quelque
chose de l’expérience du lien à l’objet.
Dans cette perspective, il me semble que l’on peut, à la suite des travaux
de D.-W. Winnicott (1971), décrire en trois temps distincts l’histoire de
Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent 21

l’objet et de ses avatars, trois temps consistant en trois modalités de rencontre


et de construction de l’objectalité, tout à la fois spécifique, et articulées :
1. L’épreuve de la destructivité, où il est question de la destruction, dans
la violence, de l’objet chargé des motions haineuses liées à la rencontre
menaçante de l’altérité ;
2. L’épreuve de la perte, dans le face à face au vide laissé par l’objet, vide
laissé par la trace de l’objet dans la vie psychique ;
3. L’épreuve du trouvé-créé, consistant à faire exister l’objet dans la
continuité de l’expérience subjective, permettant une mise en jeu des
objets internes sur un fond de stabilité et de sécurité suffisantes.
De l’énoncé de ces configurations, émergent trois grandes lignées cliniques,
que la confrontation à l’épreuve de Rorschach va permettre de repérer. Dans
une perspective diachronique, ces trois lignées peuvent apparaître comme
des marqueurs des procédures d’élaboration du lien à l’objet. C’est dans
cette perspective que l’on peut appréhender une histoire des procédures de
symbolisation, au travers de ce qui se construit – se reconstruit, pourrait-on
dire – dans la rencontre avec le matériel de l’épreuve projective. Dans une
perspective synchronique, la coexistence d’éléments appartenant à différentes
lignées et porteurs d’une inscription historique spécifique enrichit la lecture
clinique des protocoles d’enfants ou d’adolescents.
Ce sont ces lignées cliniques que je souhaite pouvoir accompagner au
fil de la clinique de l’épreuve de Rorschach, en proposant d’ores et déjà
quelques indicateurs de leur expression projective, afin de structurer une
clinique de l’objet au Rorschach, qui seront regroupés autour de quatre pôles
principaux :
1. Celui de la discrimination du stimulus, qui rend compte des moda-
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lités d’investissement, par l’enfant ou l’adolescent, de l’objet dans sa


valence intégrité/morcellement d’une part et dans la perspective de la
différenciation figure/fond, Moi/non-Moi, sujet/objet d’autre part ;
2. Celui du registre du lien à l’objet trouvé, tel qu’il peut s’exprimer sur son
versant persécuteur, avec le repérage, au travers des réponses elles-mêmes
et/ou dans l’environnement (verbal ou non-verbal) de celles-ci, d’indices
de l’attaque de l’objet dans son intégrité ;
3. Celui de la tonalité dépressive du protocole, qui peut apparaître soit
dans la dimension de l’affect dépressif, porté par les réponses elles-mêmes
et/ou par la verbalisation qui les accompagne, soit dans la dimension de
l’accès à la constitution de l’autre séparé qui se traduit particulièrement au
travers du mode de traitement et d’investissement de l’axe de symétrie ;
22 Méthodologie de l’épreuve de Rorschach

4. Celui de l’élaboration des supports identitaires et identificatoires, comme


espace de figuration d’une organisation fantasmatique, que l’on va lire au
décours de l’émergence des figurations humaines et/ou de leurs substituts.
Dans la mise à l’épreuve des modalités de lien à l’objet initiée par la
rencontre avec la planche de l’épreuve de Rorschach, l’enfant et l’adolescent
vont se trouver conduits à mettre en jeu leurs objets internes, selon des
modalités dont les modèles théoriques qui se dégagent de la pratique de la
cure analytique permettent de rendre compte.

Projection, rêve et régression

La question de la projection, inscrite en filigrane dans la dénomination des


épreuves projectives, engage à ouvrir le débat sur les processus sous-tendus
par la rencontre du sujet avec la planche de l’épreuve de Rorschach.

➤ Projection et épreuves projectives


Je l’ai dit, c’est dans un contexte un peu particulier que le terme de
projection va se trouver associé, par L. Frank (1939), à un certain nombre
d’épreuves de personnalité, dans les années 1930 aux Etats-Unis, autour
d’une préoccupation qui touche au statut de la perception.
La conception que L. Frank possède de la projection est, à cette époque,
peu empreinte de métapsychologie freudienne : elle est davantage liée au
développement des techniques ayant trait au traitement du visuel depuis
le début du siècle (cinématographie, photographie, radiographie) et prise,
de ce fait, dans une identification de type analogique entre deux modes
de traitement de l’image (dans le cadre des progrès de l’optique et dans
le cadre de la proposition des épreuves d’imagination) qui concourent à
la production d’un savoir. Au fond, l’on peut dire que ce choix du terme
projective est porteur de l’ambiguïté à laquelle se trouvent confrontés les
cliniciens entre la fin du siècle dernier et les premières années de ce siècle :
M. Sicard (1994) en analyse les enjeux autour du recours à l’image comme
nouvelle modalité de production d’un savoir qui vient se superposer, voire
supplanter un savoir construit sur l’observation et le regard porté, dans une
extériorité, sur le patient.
Ainsi, au même titre que le rayon X projeté au travers du corps du patient
en dévoilera l’anatomie inaccessible au regard, ainsi l’épreuve projective, telle
une radiographie de la psyché, en proposera une figuration.
Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent 23

Avec le recul du temps, il nous est possible de mesurer l’écart qui


s’établit entre deux acceptions du terme projection qui ne se réfèrent ni au
même champ scientifique, ni au même champ épistémologique : comment
les lois de la physique et/ou de l’optique pourraient-elles rendre compte,
analogiquement, de la réalité psychique au même titre que de la réalité
anatomique ? Comment, par ailleurs, peut-on assimiler deux ordres de
savoir (celui de la physique et celui de la psychologie clinique) fondés sur
des modèles expérimentaux inconciliables ?
À la suite de la contribution de L. Frank, un certain nombre de cliniciens,
tant aux États-Unis qu’en Europe, vont s’attacher à proposer un ancrage
de la méthodologie projective (et de l’épreuve de Rorschach en particulier)
dans le champ de la conceptuologie psychanalytique (D. Rapaport, S. Beck
et W. Klopfer outre-Atlantique ; A. Ombredane, D. Lagache et M. Loosli-
Ustéri en Europe francophone). Toutefois nous pouvons noter, à la suite de
P.-M. Lerner (1991) en ce qui concerne les États-Unis, qu’il faudra attendre
la fin des années 1940 pour qu’une ré-élaboration théorique vienne soutenir
la pratique d’une épreuve qui s’était alors assez largement répandue, sur des
bases essentiellement empiriques.
Dans ce sens, le concept de projection est alors sollicité dans son acception
freudienne, au travers de la double définition défensive et non-défensive
(Sami-Ali, 1986), pathologique (sur le versant de la paranoïa) et non-
pathologique (avec le modèle de la superstition et de la formation du
jugement d’une part et la participation de la projection dans le rêve d’autre
part).
Sami-Ali (1986) proposera la synthèse la plus construite sur cette question,
sans résoudre toutefois de manière totalement convaincante, me semble-t-il,
l’ambiguïté du choix de cette terminologie. À l’issue d’un parcours des textes
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freudiens, Sami-Ali propose une définition de la projection dans les épreuves


projectives :
« La projection est un comportement imageant qui met en cause la
relation du Moi avec le monde et qui implique que le monde fonctionne
comme analogon du Moi ou d’une partie du Moi. Ce comportement est
essentiellement une activité interprétative plus ou moins étendue, plus
ou moins explicite, dont le fondement repose sur l’aspect expressif des
choses et dont le but est le dégagement d’un équivalent perceptif d’une
expérience vécue (...). La projection apparaît donc comme un phénomène
symbolique d’une structure ambiguë : synthèse du sujet et de l’objet, il
est expression de soi et connaissance du monde et de ce fait susceptible
d’un déchiffrage dans les deux sens, latent et manifeste. »
24 Méthodologie de l’épreuve de Rorschach

Si cette proposition permet d’échapper, en quelque sorte, à la domination


psychopathologique du modèle de la paranoïa sur la méthode projective, en
introduisant la composante de la transitionnalité au sein de la définition du
concept de projection, elle n’éclaire la dynamique des processus qu’en tant
qu’elle postule et maintient, a contrario, une nécessaire coupure entre monde
interne et réalité externe : c’est dans des termes proches que C. Chabert
(1998) présente le travail de la projection, travail qui s’établit entre le
perçu (monde de l’objet) et le représenté, comme témoin du non-perçu
(monde interne, support de la subjectivité). La fonction à proprement
parler psychique s’établirait d’une part de la différenciation interne/externe
(Moi/non-Moi) et d’autre part de la fonction de jugement (bon/mauvais).

➤ Le modèle du rêve

C’est à partir du croisement de la question de la projection et de celle du


destin de l’activité perceptive mobilisée dans la rencontre avec la planche
de l’épreuve de Rorschach que la convocation du modèle du rêve trouve sa
pertinence.
Il est peut-être bon de rappeler que cette préoccupation est au cœur de la
démarche originale d’H. Rorschach, au temps de l’élaboration de son outil
méthodologique. Ainsi, en 1921, dans son Psychodiagnostic, H. Rorschach
cite E. Bleuler (1916) pour tenter de donner corps au processus d’élaboration
de la réponse face à la planche :
« Les perceptions se forment de la manière suivante : les sensations,
ou mieux, les groupes de sensations provoquent l’ecphorie des images-
souvenirs d’anciens groupes de sensations, de manière à susciter en nous
un complexe de souvenirs de sensations dont les éléments, du fait de
leur concomitance dans des expériences antérieures ont acquis une solide
cohésion et se différencient des autres groupes de sensations. Dans la
perception interviennent donc les trois processus de la sensation, du
souvenir et de l’association. »
En arrière-plan se profile une double interrogation qui porte tant sur
le statut de la perception que sur les relations que celle-ci entretient avec
l’une des formations de l’Inconscient les plus liées à la fois aux images et aux
souvenirs, à savoir le rêve.
Sur le plan du statut de la perception, ce sont sans doute les travaux récents
portant sur le travail de la symbolisation, et en particulier les propositions
Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent 25

de R. Roussillon (1997), qui sont le plus à même d’apporter des éléments


de repérage du point de vue des épreuves projectives1 .
Quant aux relations qu’entretiennent perception et rêve, H. Ellenberger
(1954) mentionne l’acuité de cette question, dans le temps de la genèse
de l’élaboration du Psychodiagnostic d’H. Rorschach. La liaison opérée par
H. Rorschach entre rêve et perception, dans le contexte du processus de
production de la réponse face à la planche de l’épreuve de Rorschach, semble
pouvoir s’énoncer autour de trois axes :
• Comment peut-on éprouver en rêve des perceptions ?
• De quelle manière des images, mobilisées dans le registre du visuel,
sont-elles en mesure de trouver une traduction en terme de mouvement ?
• Comment envisager la perte de distance, voire la confusion, qui s’opère
entre la position du rêveur et sa propre production onirique ?
Au regard de ces différents enjeux, D. Lagache, dans un célèbre article
intitulé « La rêverie imageante, conduite adaptative au test de Rorschach »
(1957) apporte une contribution essentielle, reprise ultérieurement par
D. Anzieu (1970), avec sa proposition de différencier deux modalités de
conduites du sujet différenciées dans la rencontre avec la planche de l’épreuve
de Rorschach :
• Une conduite percevante/réalisante, qui s’attache à décrire la réalité de
la planche : d’après D. Lagache, la qualité ambiguë du stimulus de la
planche – le caractère peu structuré de la planche, si ce n’est autour de
l’axe symétrique – invite à dépasser ce premier registre de conduite dans
sa forme la plus radicale, la conduite percevante/réalisante se traduit par
un accrochage au contenu manifeste ;
• Une conduite imageante/déréalisante : c’est cette conduite qui est nommée
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par D. Lagache rêverie imageante et qui constitue selon lui la capacité


de l’ouverture d’une aire de jeu au sein de laquelle pourra s’élaborer la
dynamique entre une position d’objectivation et une position de subjecti-
vation de la réalité externe... à l’extrême, la conduite imageante/déréalisante
engage la production de réponses qui se détournent de la référence au
stimulus.
En affirmant la qualité « d’image d’images » de la planche de l’épreuve
de Rorschach, c’est-à-dire la qualité de figuration imagée suffisamment

1. Le développement de ce point de vue sera présenté dans la prochaine partie : Rorschach et travail
de symbolisation, p. 27.
26 Méthodologie de l’épreuve de Rorschach

imparfaite pour qu’elle facilite une capacité de mise en images dont le travail
du rêve constitue le modèle, D. Lagache ouvre une double perspective : celle
du rêve, bien sûr, dans la liaison avec le rêve de cadre et l’écran blanc du
rêve, tel que B. Lewin (1972) a pu en proposer l’élaboration, et celle de la
transitionnalité, au travers de l’investissement du critère d’indécidabilité de
la qualité du stimulus, transitionnalité que C. Chabert (1997) invitera à
considérer comme fondement de la rencontre proposée avec la médiation
de l’épreuve de Rorschach

➤ Régression et projection

Dès 1917, S. Freud insistait sur la nature onirique de la projection tout


comme sur la nature projective du rêve. S. Freud insiste, en effet, sur les
enjeux topiques de l’expérience du rêve, introduisant l’idée du caractère
narcissique de la situation onirique. Sur le plan métaphorique, S. Freud
présente l’entrée dans le sommeil comme initiée par un dépouillement
de notre peau physique et psychique. Ce dépouillement s’accompagnerait
d’une double régression : régression du Moi au stade du narcissisme primitif
et régression de la libido au stade de la satisfaction hallucinatoire du désir
(dans le registre du processus primaire, référé à l’Inconscient). La fonction
spécifique du rêve serait de permettre de résoudre le destin des excitations,
tant internes qu’externes au regard du risque d’entrave du sommeil du
dormeur que celles-ci contiennent. Je cite S. Freud ici, dans ce passage où il
affirme la parenté entre rêve et projection :
« À la place de la revendication interne qui prétendait l’occuper (le rêveur),
s’est mise une expérience vécue externe, dont la revendication a été liquidée.
Un rêve est donc aussi une projection, une extériorisation d’un processus
interne. »
Dans ce contexte et en appui sur la parenté affirmée par S. Freud entre
rêve et projection, se profile en arrière-plan des processus mobilisés dans la
rencontre projective, la perspective de la régression topique – régression du
conscient à l’inconscient, en termes de première topique, ou du Moi au Ça
en termes de seconde topique – accompagnée par les mouvements défensifs
à même de garantir une suffisante intégrité des instances de la psyché au
travers de cette traversée.
En d’autres termes, on pourrait considérer que la sollicitation de la
planche de l’épreuve de Rorschach vient interroger la plasticité des processus
sous-tendant la vie psychique de l’enfant ou de l’adolescent et organisant sa
Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent 27

maturation psycho-affective... Le caractère incomplet du stimulus, marqué


par un manque-à-figurer, engage le travail de la régression alors même
que l’inscription de la tâche à réaliser dans le cadre de la relation clinique
soutient la capacité de l’enfant ou de l’adolescent à risquer la mise en jeu
de ses investissements. C’est particulièrement à cet endroit que se nouent
les modalités d’instauration du lien transféro-contre-transférentiel mobilisé
autour de la passation de l’épreuve de Rorschach. La réponse projective
témoignera alors du compromis élaboré dans le va-et-vient entre processus
primaires et processus secondaires, dans le projet de la réponse à la consigne.
Ainsi, la réponse projective se trouve-t-elle porteuse du registre des conflits
qui affectent la mobilisation pulsionnelle de l’enfant ou de l’adolescent face
à la planche de l’épreuve de Rorschach, dans la tentative qui sera la sienne
d’en proposer une figuration acceptable à plusieurs titres : au regard des
instances de la psyché et au regard de l’engagement dans la rencontre avec
le clinicien.

Rorschach et travail de symbolisation

Au-delà de ces perspectives ouvertes par la référence au modèle du rêve et


dominées par une lecture structurale des engagements de la vie psychique,
la référence à une métapsychologie des processus, telle que R. Roussillon
(1995) en a largement posé les bases, me semble en mesure de préciser la
manière dont l’épreuve de Rorschach participe à une fonction de butée des
opérations de symbolisation de l’enfant et de l’adolescent.

Métapsychologie projective des processus


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L’inscription de la question de la projection dans une métapsychologie des


processus, spécifiée par le modèle de la transitionnalité, conduit R. Roussillon
(1997) à renverser le postulat selon lequel ce qui est de l’ordre du perçu
appartiendrait à la réalité externe et, en conséquence, au monde des objets,
au regard de ce qui appartiendrait à la réalité interne et qui serait spécifié
par la vie psychique.
Le rationnel de ce déplacement de la fonction de la perception, d’une
topique externe à une topique interne, s’ancre dans le souci de tirer les
conséquences de l’inclusion par S. Freud (1923) au sein de sa seconde
topique, d’un pôle perceptif aux côtés du pôle de la Conscience, appartenant
au Moi.
28 Méthodologie de l’épreuve de Rorschach

L’enjeu de la rencontre avec le stimulus de l’épreuve de Rorschach


ne consisterait pas, dans ce modèle, en une confrontation entre monde
interne et réalité externe mais dans une mise en jeu des organisateurs de
l’activité de symbolisation au regard de l’excitation visuelle produite par le
stimulus. Selon cette modélisation, le trajet de l’excitation emprunterait les
voies régrédientes de l’appareil psychique, afin de se construire en liaison
somatique, puis en symbolisation primaire et secondaire ; interrogeant d’une
part la liaison des éprouvés primaires à partir de l’expérience somatique
ainsi que les traces de l’impensé familial et d’autre part les censures liées aux
interdits dans leur élaboration secondarisée, la réponse projective porterait
ainsi la marque de ce cheminement intrapsychique, de ses avatars voire de
ses faillites.
À partir de là, la qualité de la production du sujet pourra être référée
au registre d’élaboration du processus de la réponse, selon le registre dont
elle porte la marque (accès à un niveau de symbolisation, avatar ou court-
circuitage de chacun des niveaux de symbolisation : somatique, primaire et
secondaire).
C’est dans la lignée de cette modélisation dynamique de l’activité
projective que j’ai été amené à élaborer des propositions méthodologiques
dans le champ de la pratique de l’épreuve de Rorschach en clinique infantile
et adolescente, autour de ce que je nomme des catastrophes de symbolisation.
Il s’agit de mettre en évidence, de manière spécifique selon l’enjeu clinique
et/ou psychopathologique dont témoigne la problématique de l’enfant ou de
l’adolescent, des indices permettant de repérer les ratés de la symbolisation face
à la proposition du matériel projectif et d’en établir le registre d’expression1.
Au-delà du repérage de l’engagement de l’activité de symbolisation dans
la rencontre avec l’épreuve projective de Rorschach, se profile la nécessité
de référer cette mise au travail à la spécificité de ce matériel. J’ai déjà insisté
sur le caractère peu structuré des planches de l’épreuve de Rorschach et
sur les espaces en creux qu’elles proposent au regard du déploiement de
l’imaginaire de l’enfant ou de l’adolescent et sur l’invitation qui lui est faite
de se saisir de ce matériel dans une perspective figurative. Il m’est apparu à
ce point-là qu’une liaison était possible avec la notion de médium malléable
défendue par M. Milner (1955, 1998) et reprise par R. Roussillon. Les
conceptions de M. Milner permettent, en particulier, de proposer un lien
entre la problématique de la symbolisation et celle de la régression.

1. La définition des différents critères permettant le repérage de ces indices traversera les
développements des second et troisième chapitres.
Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent 29

➤ Malléabilité, jeu et épreuves projectives


M. Milner insiste sur la manière dont l’enfant, dans sa démarche de
construction du monde, est confronté à sa propre
« (...) capacité à tolérer une perte momentanée du sentiment de soi, un
abandon temporaire d’un Moi distinct, séparé (...). Cela décrit, peut-être,
l’état d’esprit décrit par Berenson (1959) comme le “moment esthétique” »
(p. 46).
M. Milner introduit, à partir de ce constat issu de la pratique psycho-
thérapique, la nécessité de l’introduction d’un intermédiaire dans le lien
avec l’enfant ou l’adolescent, intermédiaire que l’on pourrait aussi nommer
matériau ou médium, dont la fonction est de contenir, d’une certaine
manière, les enjeux projectifs voire persécutoires liées à la rencontre avec la
réalité externe.
C’est dans cette lignée que je souhaite introduire la perspective du
médium malléable comme sous-tendant le recours à l’épreuve de Rorschach
en clinique de l’enfant et de l’adolescent dans une double dimension :
• Celle du médium, au sens de l’intermédiaire mis en évidence par M. Milner,
qui constitue une garantie vis-à-vis des vécus d’intrusion mobilisés dans
le cadre de l’examen psychologique ;
• Celle du malléable, au sens de la potentialité d’appropriation portée par
le matériel lui-même, du fait de l’indécidabilité de ses contours.
J’insiste ici sur l’intrication de ces deux dimensions de l’intermédiaire et
de la malléabilité qui définit les conditions de la participation transitionnelle
dans le champ relationnel.
R. Roussillon, dans sa reprise de cette notion de médium malléable (1991),
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poursuit la voie de M. Milner afin de penser les dispositifs cliniques comme


dispositifs à symboliser1 . Si la définition énoncée par R. Roussillon concerne
en premier lieu, comme support matériel, la pâte à modeler, je proposerai de
l’entendre, au-delà, dans le contexte de l’épreuve projective de Rorschach.
On peut en effet définir la situation projective initiée par l’épreuve de
Rorschach comme une proposition de mise à l’épreuve d’un matériau qui
se caractérise par sa potentialité d’appropriation par le sujet, dans le cadre
d’une mise en jeu médiatisée de l’épreuve de l’image, soutenue au sein d’une
relation clinique qui autorise le déploiement des engagements transférentiels
et contre-transférentiels.

1. Voir aussi Roussillon, R. (2012). Manuel de pratique clinique. Paris : Elsevier-Masson.


30 Méthodologie de l’épreuve de Rorschach

En arrière-plan, il est bien sûr question de proposer à l’enfant ou à


l’adolescent, nous l’avons vu, un espace de réactualisation, de répétition des
expériences infantiles en tant que ces expériences concernent l’élaboration
des premières représentations : le clinicien propose alors, dans le cadre
de la relation clinique, l’espace de la contenance maternelle, en écho à
l’expérience primaire de la constitution de l’enveloppe maternelle primitive
(Roman, 1996, 2001) et au destin de celle-ci.
Pour R. Roussillon (1991), le médium malléable comporte cinq caractéris-
tiques de base qui vont lui conférer la spécificité de la malléabilité, support
privilégié pour la mise en jeu du détruit-trouvé et du trouvé-créé :
– indestructibilité,
– extrême sensibilité,
– indéfinie transformation,
– inconditionnelle disponibilité,
– animation propre (fonction de support du mouvement animiste infantile).
Chacune de ces fonctions vient spécifier les enjeux propres de l’épreuve
de Rorschach :
1. L’indestructibilité porte ici bien sûr moins sur la dimension strictement
matérielle du stimulus que sur sa capacité à se laisser attaquer, dans ses
contours et sa consistance, par les projections de l’enfant ; la construction
symétrique de la planche participe sans nul doute de cette première
fonction ;
2. L’extrême sensibilité du support de l’épreuve de Rorschach se donne
à voir au travers la prégnance et la diversité des modalités sensorielles
de traitement du matériel, qu’il s’agisse de la sensibilité à la couleur
(chromatique ou achromatique) ou aux contrastes de gris ;
3. L’indéfinie transformation tient au potentiel d’indécidabilité de la tache
de Rorschach, et à la manière dont cette qualité propre au matériel est
rendue active au travers de la consigne qui porte sur la sollicitation à
l’imaginaire1 ;
4. L’inconditionnelle disponibilité dont témoigne la situation projective
ouverte par l’épreuve de Rorschach est rendue possible par le caractère

1. Sur un plan strictement expérimental, il n’est qu’à faire le constat de l’extrême diversité des
réponses produites par les enfants et les adolescents face aux planches de l’épreuve de Rorschach
pour confirmer cette fonction d’indéfinie transformation. A contrario, la clinique nous permet de
considérer l’incapacité de l’enfant ou de l’adolescent à se saisir de cette fonction du matériel comme
un signe concourant aux indices mobilisés dans la discussion clinique et psychopathologique.
Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent 31

non-directif de la consigne1 , qui s’appuie à la fois sur l’absence de mention


précise de la qualité du stimulus proposé et sur le caractère relativement
imprécis de la commande à partir de celui-ci ;
5. La fonction d’animation propre, support de l’animisme infantile, est mise
à l’épreuve par la potentialité de rythmicité ouverte par la construction
de la tache autour de l’axe médian, fonction d’animation propre dont
on peut repérer les témoins au travers des réponses dites kinesthésiques,
réponses mettant en jeu, le cas échéant de manière interprétative, le
mouvement au décours de la production de la réponse
Si le médium malléable est conçu par R. Roussillon (1991, p. 137), comme
« l’objet transitionnel du processus de représentation » c’est-à-dire comme l’objet
– au sens d’un espace d’expérience support de la vectorisation interne/externe –
à partir duquel va pouvoir s’élaborer une position subjective au regard de
l’instauration d’une objectalité, on peut dire que l’épreuve de Rorschach
participe bien de ce champ d’expérience proposé à l’enfant ou l’adolescent.
Transférer le concept de médium malléable dans le champ de la situation
projective engage, à mon sens, deux types d’enjeux, l’un théorique et l’autre
méthodologique :
• Sur le plan de l’inscription théorique de la méthode, il y a là, me semble-t-il,
matière à confirmer les positions soutenues jusqu’alors par D. Anzieu
(1970) puis C. Chabert (1983) sur le caractère transitionnel de la situation
projective. La situation projective peut alors être conçue, en tant que cadre
et processus, comme support du processus de représentation, comme objet
transitionnel du processus de représentation. Au-delà du matériel proposé,
c’est donc l’ensemble de la situation qui constitue une sollicitation
transitionnelle : le matériel, la consigne, le lien au clinicien ;
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• Sur le plan méthodologique, les cinq caractéristiques du médium malléable


décrites par R. Roussillon, vont conduire à porter un autre regard sur
la définition des conditions de possibilité de l’instauration de l’aire
transitionnelle d’expérience au sein de la situation projective. À partir
de là, c’est l’ensemble de la disponibilité de la situation projective qui
se trouve réinterrogée, dans sa capacité à se constituer comme butée
au regard des expériences destructrices, dans la plasticité des supports
– animés et non-animés – qu’elle propose et, bien sûr, dans la mobilisation
de la malléabilité du clinicien.

1. Pour s’en tenir, à ce stade de notre développement, à la consigne originale élaborée par H. Rorschach
qui accompagne la présentation successive des dix planches : « qu‘est-ce que cela pourrait être ? ».
32 Méthodologie de l’épreuve de Rorschach

La question de la mise en jeu du clinicien dans le contexte de la situation


projective m’apparaît comme un point tout à fait central : C. Chabert (1995,
p. 95) rappelle que la passation des épreuves projectives, considérée dans
une démarche clinique, s’inscrit dans une clinique des transferts.
On peut dire, dans ce sens, que le lien transféro-contre-transférentiel, au
sein duquel se déploie la situation projective de l’épreuve de Rorschach,
constitue, en fonction de ses modalités d’instauration spécifiques, une figure
prototypique du lien à l’objet de l’enfant ou de l’adolescent.

➤ Cadre et symbolisation

J’ai proposé de travailler cette question de la position du clinicien dans le


cadre de la passation d’épreuves projectives (Roman, 1999) en interrogeant
à partir du dispositif de la cure analytique le mode d’investissement de la
neutralité, et en formulant l’hypothèse d’un déplacement de la fonction-
neutre de l’analyste sur une fonction-neutre portée par le matériel : ne
peut-on alors penser que c’est cette fonction-neutre du matériel, garantie par
le clinicien en ce qu’il énonce une consigne porteuse de tous les possibles,
qui soutient la qualité de médium malléable de la situation projective ?
L’enjeu essentiel me semble être de pouvoir offrir à l’enfant ou à
l’adolescent, dans le cadre de la situation projective, l’actualisation d’un fond
maternel primaire, fond qu’A. Green (1974), en référence au modèle de la
cure analytique et suite aux propositions de J. Bleger (1988, p. 237), propose
de définir comme « fond silencieux, constante qui permet aux variables du
processus un certain jeu ».
C’est ce fond qui serait en mesure de contenir les différents enjeux portés
par la malléabilité de la situation, dans la rencontre spécifique avec le
stimulus de la planche de Rorschach. Cette rencontre force la symbolisation
et, partant, force les processus fondateurs de l’instauration de l’objectalité
(sur le double versant du matériel et du clinicien).
À partir de ces propositions, se dessine la convocation de la position du
fond, comme arrière-plan et comme support au sein du dispositif clinique
de l’épreuve de Rorschach, et se pose la question de son actualisation dans
le cadre de la passation de l’épreuve de Rorschach.
Je propose, dans cette voie, que le fond blanc de la planche de Rorschach
contient un certain nombre de fonctions, propres à constituer un cadre pour
la production des réponses, qui tiennent dans sa qualité de fond muet du
dispositif :
Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent 33

• Le blanc a une fonction de support pour le déploiement du travail de


la symbolisation, voire une fonction d’attracteur de la symbolisation, en
référence aux expériences primaires : le blanc serait alors représentant
de l’enveloppe maternelle primitive1 support des mouvements pulsionnels
en direction de l’objet primaire qui, contenus dans le cadre du matériel,
vont donner corps à l’élaboration représentative ;
• Le blanc est cadre pour la représentation, représentant de l’absence de
représentation (Roman, 1997) : en tant que cadre, on peut considérer, en
rapportant les travaux de J. Bleger (1988) sur le cadre institutionnel au
cadre anthropologique que constitue le blanc, que celui-ci exerce une
fonction de dépôt des mouvements pulsionnels archaïques ;
• Le blanc soutient la fonction de jeu du dispositif en instaurant, dans le
lien dialectique qui l’attache au matériau per se de l’épreuve, une fonction
d’écart autorisant l’établissement d’un jeu pulsionnel et confirmant les
conditions du maintien du comme si, afin de garantir la circulation entre
affect et représentation ;
• Le blanc, dans la figure en creux qu’il énonce, maintient l’unité
des investissements pulsionnels et se propose comme conteneur de
l’ambivalence des engagements affectifs ;
• Le blanc ou la trace en blanc qui inscrit la vacance, soutient, nous
l’avons vu, une fonction-neutre (Roman, 1999) du dispositif projectif ;
fonction-neutre supportée par le clinicien, garante de la vectorisation
pulsionnelle et de ses débordements au travers des règles fondant la
situation projective, règles tout à la fois implicites et objet d’énonciation
au travers de la consigne : libre-association, limitation de l’expression
motrice au matériel de l’épreuve projective...
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On le voit, l’enjeu de la définition du cadre qui organise la rencontre avec


la planche de l’épreuve de Rorschach, engage a priori les conditions dans
lesquelles le clinicien va se trouver mobilisé, tout à la fois dans le temps de la

1. Voici la définition que je propose de l’enveloppe maternelle primitive (Roman, 1996) : « l’enveloppe
maternelle primitive consisterait dans l’intériorisation des qualités des premières rencontres avec la mère-
environnement, rencontres qui se constituent comme siège des premières émergences de la symbolisation ».
J’ai, à différentes reprises, eu l’occasion de soutenir que le premier dispositif à symboliser de l’enfant,
est le corps de la mère. Dans cette lignée, l’enveloppe maternelle primitive représenterait ces premières
expériences du fond sur lequel se sont développés les mouvements de transformation des éprouvés
primaires sur le plan de la sensorialité : support des premières représentations accompagnant le
processus de mise en image de ces éprouvés, l’enveloppe maternelle primitive soutient les procédures
d’auto-information du sujet, mouvement participant de l’élaboration du Moi-peau.
34 Méthodologie de l’épreuve de Rorschach

rencontre clinique et dans le temps de l’élaboration clinique des productions


de l’enfant ou de l’adolescent.

Le fil projectif : un modèle pour penser le travail


de symbolisation dans l’expression projective

L’épreuve projective, et tout particulièrement l’épreuve de Rorschach du


fait de ses formes informes, invite à une mise en images, à une figuration,
dont la production est régie par des processus qui empruntent au travail
du rêve : régression, condensation, déplacement. Si le travail du rêve, tel
que S. Freud (1905) l’a mis en évidence contribue au traitement des restes
diurnes, alors il nous faut penser le processus de production de la réponse
projective (à entendre au sens large du terme : verbalisation bien sûr, mais
aussi graphisme, jeu...) comme se trouvant prise dans un projet mobilisé par
la nécessité de donner forme à des traces en souffrance dans la vie psychique
(comme l’on dit d’un paquet qu’il est en souffrance, c’est-à-dire en suspens
d’une affectation... voire abandonné ?).

➤ L’accueil des objets perdus

Comme le rappelle J.C. Rolland (2006, p. 38) :


« Le rêve n’est pas seulement l’activité psychique du sommeil, il est le
recours octroyé au rêveur de renouer un lien avec les objets auxquels, assez
peu sincèrement, il a dû renoncer dans la vie éveillée. Par là encore il
représente une terre d’accueil où toutes les nostalgies de l’être trouvent
consolation. Tout rêveur parle d’un objet, il accomplit par son rêve le
désir dont l’a frustré la perte de cet objet. »
L’épreuve projective, et l’épreuve de Rorschach en particulier, dans la
mobilisation du travail psychique qu’elle engage, représenterait une « terre
d’accueil » pour ces objets perdus : le fil projectif, quant à lui, permettrait
d’en tisser les contours et le destin.
Le fil projectif peut être défini comme :
« (...) figuration de la continuité et de la discontinuité de l’enveloppe
projective, qui permet de penser dans le même espace le contenant-cadre
et le contenu-processus propres à l’expérience projective » (Roman, 1996,
p. 140).
Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent 35

Le repérage de la nature et de la qualité du fil projectif permettrait de


suivre la trace et le destin de l’objet perdu du sujet, mobilisé par le processus
de symbolisation ouvert par l’épreuve projective, au fil du déploiement de
l’activité projective. Cette notion de fil projectif en appelle par ailleurs une
autre, celle de fil associatif ou de chaîne associative, issu du dispositif de
la cure analytique : ces notions visent à rendre compte de la manière dont,
sous le primat de l’association libre, se déroulent les processus associatifs
(le travail associatif) qui concourent à l’expression dans le cadre de la cure ;
elles témoignent également de la manière dont les images du rêve prennent
forme dans le récit du rêve.
À ce moment encore, convoquons les travaux de J.C. Rolland (2006,
p. 37) :
« (...) Dans la situation analytique, du fait du travail associatif, nous
disposons donc de deux textes en deux langues différentes (dont l’une
nous est étrangère, la langue du rêve, l’autre familière, la langue des
associations) d’un même contenu de pensée. Car il y a fort à parier, du fait
de la profondeur d’où sourd le matériel onirique, du fait que les opérations
commandant au travail du rêve relèvent du fonctionnement psychique
normal, le tout exacerbé par la régression transférentielle, analogon pour
Freud de la régression du sommeil, que les associations qui viennent au
patient autour du rêve rapporté doivent puiser leurs motifs et leurs forces
pulsionnelles aux mêmes sources que celui-ci. »
Il importe de relever que le travail associatif, qu’il se trouve engagé
dans la cure ou face à l’épreuve projective, ne saurait être considéré sans
référence à l’adresse transférentielle sur le fond de laquelle il s’organise. C’est
dans le cadre du jeu transférentiel médiatisé par le matériel de l’épreuve
projective que prend sens le repérage du fil projectif, en ce qu’il témoigne
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de l’engagement des processus de symbolisation et du traitement pulsionnel


qu’il contient.

➤ La notion de fil projectif


La notion de fil projectif (Roman, 1991, 1996) tire son origine d’une
tentative d’explicitation des enjeux du travail de symbolisation dans la
rencontre avec l’absence. Il s’agissait alors de rendre compte du travail
psychique engagé face à ce qui se présente comme manquant dans la planche
de l’épreuve projective et de l’épreuve de Rorschach en particulier, dans le
cadre d’une pratique en clinique infantile : la confrontation au blanc (au sens
du blank anglais, c’est-à-dire ce qui se trouve en défaut d’une inscription)
36 Méthodologie de l’épreuve de Rorschach

dans l’épreuve de Rorschach est alors considérée comme paradigmatique de


l’expérience de séparation, espace d’émergence potentiel de la représentation
de l’objet.
On ne peut par ailleurs isoler la question de la rencontre avec le blanc
dans les épreuves projectives (rencontre de ce qui se trouve en attente
et/ou en souffrance de représentation) avec celle de l’analyse des processus
qui concourent à la différenciation figure/fond : en effet, le traitement
de l’absence implique nécessairement l’engagement dans un travail de
séparation, de partition, entre fond et forme (on peut ici faire référence au
premier clivage organisateur qui, pour D. et A. Anzieu, est celui qui procède
du mouvement ouvert/fermé de la paupière, précurseur du coucou-caché ?).
La notion de fil projectif permet, dans cette perspective, de border les
effets de symbolisation/désymbolisation attachés au traitement de cette
singulière expérience de séparation ouverte par la rencontre avec le blanc.
La définition de différentes configurations du Moi-peau (Roman, 1996),
attachées spécifiquement aux modalités de traitement des surfaces blanches
des planches de Rorschach, ouvre sur la mise en évidence de différentes
figurations du fil projectif : ruptures du fil projectif, fil en anneau de Moebius,
consistance du fil projectif, que l’on peut penser en appui sur la définition des
différents niveaux de dimensionnalité des enveloppes psychiques proposée
par D. Meltzer (1975).
La référence au modèle du rêve, avec le fil projectif, permet de complexifier
et de donner de l’épaisseur à une conception de l’épreuve projective comme
dispositif à symboliser : en effet, en appui sur le modèle du rêve, vont pouvoir
être envisagés les processus de transformation de l’activité projective (ou de
l’activité de symbolisation ouverte par la rencontre de l’épreuve projective).
Le fil projectif permet de rendre compte de ce qui se transforme dans le jeu
entre perception et projection, mais aussi de la trace (et des restes) de ce
processus de transformation dont on peut, à l’instar du récit du rêve, être le
témoin au décours de la production projective. Dès 1917, S. Freud insiste sur
la proximité du rêve et de la projection (« le rêve est aussi une projection »),
tout comme D. Lagache, plus tard en 1957, proposera une lecture de
l’activité projective référée à l’activité onirique : il évoque alors la réponse
projective comme ressortant d’une « rêverie imageante », différenciant les
dimensions « objectivantes » et « subjectivantes » des productions projectives.
En filigrane, c’est la dimension de la plasticité du processus de symbo-
lisation qui se trouve interrogée, processus de symbolisation figuré ici par
le travail du rêve et par les productions projectives qui en constituent les
signes visibles.
Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent 37

Les prochains développements viseront à préciser, sur le plan de la


méthode et sur celui de la démarche de traitement du matériel, les repères
nécessaires à une pratique de l’épreuve de Rorschach congruente à son objet :
la clinique et la psychopathologie de l’enfant et de l’adolescent.

Propositions de méthode

La pratique de l’épreuve de Rorschach est réputée fastidieuse et son


apprentissage long et incertain. Par ailleurs, la pratique de l’épreuve en
clinique de l’enfant et de l’adolescent a fortement partie liée avec les
perspectives de la maturation et/ou des remaniements psychoaffectifs de
sujets en devenir : par hypothèse, les expressions projectives se trouvent liées
à ces évolutions, renforçant ainsi la complexité d’un outil par ailleurs riche
de potentiels dans le champ de la clinique.
Il me semble que l’on peut, de manière un peu arbitraire, différencier
deux axes principaux dans la définition de la formation à la pratique de
l’épreuve de Rorschach :
• Une dimension technique qui concerne essentiellement les conditions de
mise en oeuvre de la passation de l’épreuve et la formalisation de la
cotation de la production projective ;
• Une dimension clinique qui implique une compétence psychopathologique
préalable et rend nécessaire la confrontation à une pratique de la rencontre
dans le cadre de l’examen psychologique.
C’est au fil de cette double fréquentation de l’outil et de la clinique que
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le psychologue pourra développer une pratique des épreuves projectives au


service de la rencontre de l’enfant et de l’adolescent.
Ainsi, cet ouvrage vise-t-il à travailler l’articulation entre ces deux
dimensions, technique et clinique, dans une position nécessairement engagée :
les propositions qui vont suivre sont donc à entendre à la fois comme l’écho
d’une pratique et comme le fruit des recherches engagées autour de la mise
à l’épreuve de la clinique de l’enfant et de l’adolescent dans la rencontre
avec l’épreuve de Rorschach.
Nous aborderons ici les principaux points de méthode relatifs à la pratique
de l’épreuve de Rorschach, tant sur le versant de la passation que sur celui
de la production projective, de son traitement formalisé en termes de cotation
et de la formalisation des données projectives dans la perspective d’une
38 Méthodologie de l’épreuve de Rorschach

démarche d’évaluation du fonctionnement psychique de l’enfant et de


l’adolescent.

La passation de l’épreuve de Rorschach en clinique de l’enfant


et de l’adolescent

➤ Le matériel de l’épreuve
Comme toute épreuve projective, le matériel de l’épreuve de Rorschach
peut être présenté selon deux axes :
• le premier concerne la sollicitation manifeste de la planche et se réfère aux
caractéristiques objectivables de chacune des dix planches ;
• le second concerne la sollicitation latente de la planche et aussi le registre
d’appel implicite contenu dans le matériel projectif.
Les sollicitations manifestes
L’épreuve de Rorschach est ainsi composée de dix planches, que je préfère
nommer cartes dans l’échange avec l’enfant ou l’adolescent1, spécifiées par
les conditions de leur réalisation : taches d’encre disposées sur une feuille,
pliée puis dépliée, se voyant donc organisée sous le primat de la symétrie
(ligne du pliage), symétrie par ailleurs nécessairement imparfaite. Parmi les
dix planches :
• cinq d’entre elles sont réalisées dans des couleurs achromatiques,
s’échelonnant du gris le plus clair au noir le plus profond (ce sont
les planches I, IV, V, VI et VII) ; ces planches sont souvent nommées les
planches noires ;
• deux d’entre elles jouent sur le contraste entre le rouge et le noir, sans
occulter la place des dégradés du gris au noir (planches II et III) ;
l’appellation de ces planches est généralement celle de planches rouges ;
• trois d’entre elles, qui sont les trois dernières dans l’ordre institué de la
passation, se présentent dans des couleurs chromatiques (planches VIII,
IX et X) ; ces planches sont identifiées comme les planches pastel de
l’épreuve.
Par ailleurs, certaines des planches sont marquées par leur caractère
compact ou fermé (I, IV, V, VI, IX), d’autres par leur caractère bilatéral
ou ouvert (II, III, VII, IX, VIII). L’axe de symétrie, qui organise chacune

1. Voir la discussion terminologique à ce sujet, dans les toutes premières pages de l’avant-propos.
Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent 39

des planches, se trouve plus ou moins explicite en fonction des planches, en


plein ou en creux, selon le caractère compact ou bilatéral de la planche.
Les sollicitations latentes
Les sollicitations latentes sont à envisager de manière singulière au regard
de chacune des planches de l’épreuve. Elles correspondent à ce qui, de
manière implicite, se trouve appelé, en termes de processus psychique,
dans la rencontre avec la planche. En d’autres termes, la définition des
sollicitations latentes renvoie aux enjeux psychodynamiques qui sous-tendent
la présentation de chacune des planches, et ce à un double titre :
• au regard de la qualité formelle de chacune des planches ;
• au regard de la place qu’elle occupe dans l’histoire de la passation,
c’est-à-dire l’ordre de la planche considérée au sein de la série des dix
planches, l’agencement de chacune des planches au regard de celle(s) qui
la précède(nt).
On peut alors entendre de quelle manière la prise en compte des
sollicitations latentes, dans leur participation à un système ordonné, pris
dans une temporalité imprimée par le choix de l’enfant ou de l’adolescent
lors de la passation, contribue à penser la qualité du déploiement du fil
projectif.
Les grandes lignes des sollicitations latentes des dix planches de l’épreuve
de Rorschach seront présentées ici1 . On peut considérer, d’une manière
générale, que la quasi-symétrie des dix planches constitue, comme nous
l’avons vu, une sollicitation à la représentation de l’image du corps. C’est sur
ce fond, commun à l’ensemble du matériel, qu’il convient d’appréhender la
spécificité des sollicitations latentes de chaque planche.
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1. Pour élargir la présentation des sollicitations latentes, on peut se référer, en particulier, à deux
ouvrages qui font état de leurs propositions à cet égard, celui de D. Anzieu et C. Chabert (1983) et
celui de N. Rausch de Traubenberg (1977).
40 Méthodologie de l’épreuve de Rorschach

Les dix planches de l’épreuve de Rorschach

La planche I
C’est la planche qui, par définition, introduit l’épreuve et qui, à ce titre, sera éminemment porteuse des enjeux
liés à la rencontre avec l’inconnu, l’imprévisible voire l’étrangeté. Face à cette planche, l’enfant ou l’adolescent
aura donc à trouver un aménagement face à cette situation nouvelle et il en témoignera au travers des réponses
(ou des non-réponses) et/ou des différentes manifestations non-verbales qui les accompagnent. Par ailleurs, au
regard des critères formels qui définissent cette planche (son aspect sombre, massif et relativement uniforme,
et ses découpes aigues, particulièrement dans le blanc), cette planche mobilise la référence à une figure
prégénitale, potentiellement menaçante voire persécutrice. Son caractère unitaire appelle une traduction dans
une forme synthétique ; à ce titre, l’impossibilité pour l’enfant ou l’adolescent d’une proposition synthétique
face à cette planche interroge quant à la mise en jeu de ses potentialités adaptatives.

La planche II
C’est la première de la série des deux planches rouge et noir. Sa bilatéralité marquée invite à l’exploration
des relations spéculaires, organisées autour d’une vacance centrale appelant la dimension de l’incomplétude.
Les enjeux liés à la castration, dans un registre primaire, avec la question de l’intégrité, ou dans un registre
secondaire, avec la question de l’incomplétude sexuée, se trouvent particulièrement activés par la participation
de la couleur rouge. En filigrane, se profile l’appel à la construction d’une représentation qui fait référence à
l’image du corps, en appui sur les deux grands détails noirs bilatéraux.

La planche III
Cette planche possède à coup sûr une place à part parmi l’ensemble des dix planches. Seconde planche rouge
et noir, organisée de manière explicite sur un mode bilatéral, mais ici sur un mode davantage discontinu, elle
mobilise, de manière quasi-évidente, une figuration humaine. Cet appel à la projection d’une figure humaine
entière, le cas échéant investie d’une dimension vitale avec la proposition d’une kinesthésie, vient cependant
buter sur l’ambiguïté qui affecte le stimulus quant aux éléments susceptibles de figurer une appartenance
sexuée, du fait de la présence conjointe d’une forme arrondie, située sur le milieu de la partie médiane noire,
évoquant une poitrine féminine d’une part, et d’un appendice, dans la partie inférieure, support possible de la
figuration d’un sexe masculin. On le comprend, l’enjeu consistera, sur ce plan, pour l’enfant ou l’adolescent
confronté à la planche, à pouvoir mettre en œuvre des stratégies défensives et adaptatives au service d’une
déconflictualisation de cette coexistence bisexuée. Par ailleurs, la participation des deux parties rouges de la
planche, qui sont ici, à la différence de la planche II, clairement détachées de la partie noire principale, invite
à un travail de liaison des différents éléments, dans la construction d’une cohérence.

La planche IV
Après les deux planches rouge et noir, la planche IV confronte à nouveau le sujet à une planche compacte,
sombre et massive. La présence d’un appendice central inférieur particulièrement développé confère à cette
planche son caractère habituellement nommé autour du phallique. À ce titre, la planche IV est considérée
comme celle de la sollicitation à l’égard du masculin et, par extension, du paternel, au travers de la nécessité
de se situer face à un stimulus qui engage le rapport à la puissance. La dramatisation introduite par l’aspect
sombre et massif, colore les mouvements appelés chez l’enfant ou l’adolescent plus particulièrement dans le
registre des angoisses de castration, mais aussi dans le registre d’angoisses plus archaïques (angoisses dépressives,
ou angoisses de persécution en particulier).

La planche V
Cette planche, qui reprend les tonalités sensorielles de la précédente, est organisée, au plan formel, sur un
mode tout à fait différent : elle est sans doute celle qui se présente dans l’équilibre le mieux assuré entre unité et
bilatéralité, ces caractéristiques lui valant le label de planche de l’identité. En effet, face à une telle évidence de
la sollicitation à une figuration unitaire, intègre et vivante, on peut s’attendre à ce que l’enfant ou l’adolescent
ait à mettre en jeu ses propres modèles de structuration identitaire au travers du compromis que représente la
réponse projective. Au regard de la tonalité sensorielle de la planche (le noir sombre du stimulus, mais aussi le
blanc qui l’entoure dont la prégnance est particulière du fait du rassemblement du stimulus au centre de la
Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent 41

planche), elle mobilise également les affects dépressifs et, partant, au travers des réponses fournies, la qualité
des solutions mise en jeu par le sujet, dans le contexte de l’accès à une identité séparée. On peut noter par
ailleurs que cette planche se présente comme un support pour les mécanismes de dégagement, faisant suite à
plusieurs planches (immédiatement suite à la planche IV, mais aussi aux deux planches rouges) dont l’impact
affectif comprend souvent une part dysphorique.

La planche VI
La construction formelle de la planche met l’accent sur la dimension de la bisexualité : une partie supérieure en
plein, de forme ouvertement phallique, et une forme inférieure en creux, se situant dans un registre d’accueil de
par le déploiement de la tache sur la planche et l’ouverture de celle-ci dans la partie la plus basse. La dimension
d’accueil de la partie inférieure se trouve renforcée par un aspect sensoriel de la planche, lié à l’estompage.
La bisexualité constitue donc la sollicitation latente majeure de la planche et elle interroge les organisateurs
inconscients de la bisexualité de l’enfant ou de l’adolescent. Sans doute cette planche se trouve-t-elle être
la plus sensible aux enjeux liés au développement psychoaffectif : en effet, selon le temps de sa maturation
psychique, l’enfant ou l’adolescent se trouvera plus ou moins en mesure de jouer avec la bisexualité et de
construire, au travers de la réponse, des solutions pour la contenir. Il s’agira donc d’être attentif aux stratégies
déployées par le sujet au regard du stade de développement psychoaffectif dans lequel il s’inscrit.

La planche VII
La structuration de cette planche autour d’une grande lacune centrale, ouverte dans sa partie supérieure,
confère à cette planche une référence éminemment féminine et, par extension, maternelle. Les potentialités
de l’enfant ou de l’adolescent à circonscrire cette lacune centrale dans une forme contenante se trouvent
tout particulièrement mises à l’épreuve. On sera attentif à la manière dont l’enfant ou l’adolescent sera en
mesure de construire le rapport figure/fond face à cette planche, et au fait que la construction de ce rapport
figure/fond témoigne des premiers organisateurs du processus de symbolisation.

La planche VIII
Avec la planche VIII, se trouve inaugurée la série des trois planches dites pastel, en référence aux couleurs
douces et plus ou moins estompées qui concourent à leur qualité sensorielle. Face à ces trois planches, les
réactions affectives sont tout spécialement mobilisées. Cette première planche de la série invite à la construction
d’une représentation en appui sur l’aspect composite quoique relativement compact de la planche. On peut
considérer que se trouve engagé ici, pour l’enfant ou l’adolescent dans sa rencontre avec la planche, un
double travail de lien qui concerne d’une part les liaisons intrapsychiques (coexistence de différents éléments,
hétérogènes dans leur qualité formelle ou leur variation sensorielle) et d’autre part les liens intersubjectifs, dans
la mesure de l’appel à la relation porté par la couleur pastel. La partie (bi-latérale) du stimulus, banalement
interprétée sous la forme d’un animal, se constitue bien souvent en organisateur de ces opérations sous le
signe du lien.

La planche IX
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

À la différence de la précédente, cette planche confronte à une forme de complexité, du fait de l’interpénétration
des trois parties qui la composent. Une lacune centrale, ambiguë, puisque davantage translucide que blanche
du fait des traces de couleur qui s’attardent entre les différents éléments du stimulus, contribue à l’appel à la
régression (à un monde peu organisé, peu différencié, a minima chaotique...), appel paradigmatique de cette
planche, avec la mobilisation de fantasmes intra-utérins (on peut penser aux fantasmes de peau commune
décrits par D. Anzieu comme concourant à la constitution du Moi-peau). Dans ce sens, on comprend que le
registre prégénital se trouve tout particulièrement en jeu dans la rencontre de cette planche.

La planche X
On peut la décrire, dans un premier temps et au regard de son positionnement dans l’histoire de la passation,
comme la planche de la séparation : avec la planche X, se clôt l’aventure projective et, avec elle, un mode
singulier de mobilisation de la vie psychique placé sous le signe du regard... sous le regard du psychologue.
Cet enjeu de la séparation se trouve, d’une certaine manière, figuré par le stimulus qui constitue cette dernière
planche : taches dispersées sur le fond blanc de la planche, ici particulièrement invité dans sa qualité de fond
unificateur : ainsi, la réponse de l’enfant ou de l’adolescent va-t-elle s’élaborer sous le primat de la séparation
ou de la rupture ? En d’autres termes, comment, au regard du registre d’angoisses appelées par cette planche,
le sujet va-t-il être en mesure de proposer une représentation suffisamment cohérente, dont les contours
pourront être suffisamment fiables, stables, afin de garantir une intégrité de la représentation ?
42 Méthodologie de l’épreuve de Rorschach

Synthèse 1 – Sollicitations manifestes et latentes des planches

Planche Sollicitation manifeste Sollicitation latente

I compacte – sombre rencontre inconnu/étrangeté


petites lacunes blanches figure maternelle prégénitale

II rouge et noire – bilatérale castration primaire/secondaire


lacune blanche centrale image du corps intégrée

III rouge et noire – bilatérale identification figure humaine


discontinuité du stimulus bisexualité – continuité

IV compacte – sombre et estompée – puissance phallique (masculin/paternel) angoisses


détail phallique primaires/secondaires

V compacte – sombre intégrité – identité


unitaire angoisses dépressives

VI compacte – estompée bisexualité (plein/creux), actif/passif


partition haut/bas affectivité – sensorialité

VII bilatérale – estompée – lacune cen- accueil et complétude (féminin/maternel)


trale blanche contenance versus vide

VIII pastel – compacte/bilatérale affectivité – appel au lien – relation à


lacune intermaculaires l’environnement

IX pastel – compacte confusion/différenciation


lacune blanche centrale fantasmes intra-utérins

X pastel – bilatérale/dispersée unification de la représentation – intégrité


expérience de séparation

Il convient de préciser que le cadre de passation standardisé de l’épreuve


de Rorschach s’appuie sur une présentation successive des planches à l’enfant
ou à l’adolescent, de manière ordonnée, de la planche I à la planche X.

➤ Contexte et enjeux de la passation

Le critère habituel de l’utilisation de l’épreuve de Rorschach en clinique


infantile est celui d’une suffisante maîtrise du langage par l’enfant, ainsi
que de sa capacité à investir la situation de l’épreuve dans une continuité
compatible avec la présentation de dix planches, en trois temps différenciés :
– celui de la passation proprement dite,
– celui de l’enquête,
– celui de l’épreuve des choix.
Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent 43

L’âge généralement admis comme plancher au regard de la passation de


l’épreuve de Rorschach est de 4 ans, même si certains auteurs, M. Boekholt
(1996) en particulier, soutiennent la proposition du recours à l’épreuve de
manière beaucoup plus précoce (2 ans), dans la perspective de l’engagement
dans une situation ludique. M. Boekholt montre bien comment, dans ce
contexte, l’épreuve de Rorschach prend une tonalité particulière, au regard
des potentialités de l’enfant en lien à sa maturation perceptivo-motrice. Les
planches sont investies comme support de jeu et le clinicien aura à prendre
en compte, davantage que les réponses à proprement parler, la spécificité
du traitement de l’excitation suscitée par le matériel : bruitages, motricité,
évocations sensorielles...
Pour ma part, je propose que le critère d’âge de 4 ans à partir duquel
l’épreuve pourra être proposée à l’enfant demeure un repère théorique :
le psychologue devra pouvoir évaluer, en deçà voire au-delà de cet âge,
dans quelle mesure l’enfant sera à même de se confronter à la démarche
d’interprétation ouverte par l’épreuve.
De la période œdipienne à la fin de la période de latence, l’épreuve
de Rorschach est généralement investie sur le mode de la curiosité, avec
un déplacement de cet enjeu au décours de l’évolution psychoaffective de
l’enfant : à la curiosité sexuelle mobilisée de manière prégnante dans le
temps œdipien va succéder une curiosité davantage intellectualisée, sous
la forme d’une approche des planches qui peut se traduire dans les termes
d’une appréhension prioritairement cognitive du stimulus.
Enfin, avec l’entrée dans la pré-adolescence puis l’adolescence, la
proposition de l’épreuve de Rorschach prend un statut autre : elle prend
quasi-explicitement le statut d’une proposition ambiguë, au sens où elle met
en jeu la capacité du pré-adolescent ou de l’adolescent à investir le lien avec
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le clinicien. En effet, la pratique clinique auprès des adolescents montre


bien la nécessité de se tenir à bonne distance : l’épreuve de Rorschach va être
mobilisée dans ce projet, afin de soutenir l’instauration d’une aire partagée,
en appui sur un matériel qui ne soit ni explicitement connoté ou marqué
du sceau de l’enfance voire de la petite enfance1 , ni porteur d’une charge
liée à la sollicitation des performances intellectuelles. Cette dimension de
l’ambiguïté du statut est bien souvent mentionnée par les adolescents au

1. ...Ce qui est souvent le cas de la proposition de dessiner faite à des pré-adolescents, à moins que
l’on ait recours à une épreuve graphique structurée, et faisant explicitement appel à un travail sur
l’imaginaire, telle l’épreuve de l’A.T. 9 (voir à ce sujet : Durand G., L’exploration de l’imaginaire,
1988).
44 Méthodologie de l’épreuve de Rorschach

moment de l’ouverture de la situation projective avec la présentation de


la première planche : cette mention constitue à mon sens la marque de
l’ajustement nécessaire de l’adolescent face à une tâche qui le contraint et
dont il va tenter de s’approprier le projet. La question se posera, dans le fil
de la passation, de la capacité de l’adolescent à dépasser le vécu d’étrangeté
de la situation1 .
Il n’est sans doute pas nécessaire de préciser que l’épreuve de Rorschach,
en tant qu’épreuve historiquement dédiée à la clinique adulte, peut être
proposée aux adolescents sans limitation d’âge.
Au-delà de l’évocation des enjeux différentiels de la passation de l’épreuve
de Rorschach et des incidences de ceux-ci dans la pratique clinique, il
convient de préciser la manière dont la passation de l’épreuve de Rorschach
s’inscrit dans la rencontre avec l’enfant ou l’adolescent.
Nous l’avons évoqué, la proposition de l’épreuve de Rorschach, dans la
perspective d’investigation de la personnalité qu’elle contient, ne saurait être
considérée hors du contexte de la rencontre clinique qui se déploie dans le
cadre de l’entretien inaugural (voire des entretiens inauguraux) avec l’enfant
ou l’adolescent en présence, dans la plupart des situations de consultation,
du (ou des) parent(s). La passation de l’épreuve s’inscrit alors dans le cadre
de la demande, telle qu’elle est en mesure de faire l’objet d’une appropriation
par l’intéressé, au regard du contexte d’émergence de ladite demande.
Qui est le porteur de la demande : le ou les parent(s) ? l’institution
scolaire ? l’instance judiciaire ? le pédopsychiatre préalablement consulté ?...
Quel est l’énoncé de celle-ci : demande de bilan en lien avec une
symptomatologie repérée au sein de la famille ou à l’école ? demande
d’expertise en lien avec une symptomatologie familiale (détermination des
enjeux d’une mesure de garde dans le cadre d’une séparation des parents,
évaluation de la nécessité d’une mesure de protection...) ou avec un
symptôme dans le registre de l’agir (expertise pénale) ? demande d’un
éclairage psychopathologique dans le cadre d’une consultation publique ou
privée ?...
De quelle manière l’enfant ou l’adolescent va-t-il pouvoir investir les
attendus de la demande portée par un autre : en se moulant dans la demande

1. C’est particulièrement dans ce contexte que la proposition d’une passation de deux épreuves
projectives, l’épreuve de Rorschach et le T.A.T., prend tout son sens. En outre, l’épreuve du T.A.T.
est une épreuve qui, par son caractère figuratif, exclut a priori, dans une première confrontation, la
dimension de l’étrangeté : à ce titre, le matériel constitue un support précieux au regard du vacillement
adolescent. À partir de là, il est sans doute inutile de rappeler le caractère complémentaire de l’épreuve
de Rorschach, comme épreuve structurale, et de l’épreuve du T.A.T., comme épreuve thématique.
Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent 45

de l’autre, selon une modalité de soumission, voire de séduction ? ou en


investissant une position de type caractérielle, dans le refus violent ? ou
encore, dans le retrait et l’indifférence avec une participation a minima au
protocole proposé ?
Il n’est pas dans le projet de cet ouvrage de développer les enjeux des
différentes hypothèses quant à l’établissement du cadre de la passation
de l’épreuve de Rorschach : en fonction de l’âge de l’enfant ou de
l’adolescent, en fonction du contexte d’expression de la demande et du
mode d’accompagnement familial, en fonction du registre de conflictualité
mobilisé dans la demande de l’examen psychologique... les réponses
apportées par le psychologue prendront une tonalité différente. Il importe
toutefois de bien mesurer les contours de ces enjeux afin de mettre en
oeuvre, dans le cadre de la consultation, une démarche de construction de la
relation clinique qui autorise l’émergence d’une parole authentique – dans
l’entretien en premier lieu, dans la passation de l’épreuve de Rorschach en
second lieu, et enfin dans le temps de la synthèse – qui engage le psychologue
dans sa démarche à l’égard de l’enfant ou de l’adolescent d’une part et de la
famille ou de ses suppléants d’autre part.

➤ Mise en œuvre de la passation


La passation de l’épreuve de Rorschach consiste dans la présentation
successive et ordonnée des dix planches de l’épreuve, présentation précédée et
accompagnée de la consigne. L’objectif de la consigne traverse les précédents
développements : il s’agit de favoriser le déploiement de l’imaginaire, à partir
d’un support standardisé et proposé dans les mêmes conditions à tous les
sujets.
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Il convient bien sûr de veiller aux conditions de mise en œuvre de


la passation, conditions que l’on peut résumer autour de trois enjeux :
disponibilité, engagement et fiabilité.
1. La disponibilité concerne la posture d’accueil du psychologue dans la
rencontre avec l’autre sujet, au-delà de l’espace temporel ouvert pour la
passation et dont il convient de prévoir que... l’on ne peut pas en prévoir
de manière assurée le terme1 ; ce qui nécessite une forme d’organisation
particulière de la rencontre autour de l’épreuve de Rorschach2 : cette

1. Cf. infra, avec la discussion sur la consigne et le déroulement de la passation.


2. La programmation d’un temps de consultation suffisant permet de véritablement ouvrir la
situation projective : on constate les effets, dans le transfert, d’une posture plus ou moins accueillante
46 Méthodologie de l’épreuve de Rorschach

posture d’accueil implique une écoute des mouvements qui animent


l’enfant ou l’adolescent, afin que puissent être entendues et prises en
compte les réserves, réticences et résistances, avant, pendant et après la
passation. L’adaptation du dispositif s’appuie sur cette attention, dont on
mesure le caractère particulièrement déterminant en clinique de l’enfant
et de l’adolescent. La nécessité d’un espace préservé des sollicitations
extérieures s’impose par ailleurs, comme dans toute situation d’examen
psychologique, dans une perspective de centration sur la tâche assignée
au sujet.
2. L’engagement requis dans la rencontre ouverte par la passation de
l’épreuve de Rorschach passe par le nécessaire partage des éprouvés dans
la rencontre autour du matériel de l’épreuve projective : c’est bien dans le
creuset d’une rencontre partagée, et toujours renouvelée, que se nouent
les enjeux transférentiels que le psychologue devra pouvoir être en mesure
de décrypter au fil du déploiement de la situation projective. La position
spatiale occupée, dans la réalité, par l’enfant ou l’adolescent à l’égard du
psychologue, imprime sa marque à la mise en œuvre transférentielle :
dans ce sens, la position en quart-côté me paraît optimale, car elle ne se
trouve ni entachée par la frontalité du face-à-face (avec son appel à la
position magistrale et/ou aux émergences persécutoires), ni engluée dans
la forme séductrice du côte-à-côte (avec le risque des effets de réduction
de l’altérité qu’il contient).
3. La fiabilité du psychologue s’exerce tout à la fois au plan de la
connaissance de l’épreuve de Rorschach et de la précision méthodologique
que sa pratique requiert (passation, cotation, modèles d’interprétation...)
qu’à celui de l’analyse que le psychologue peut mener sur la mobilisation
de ses enjeux intimes dans le commerce avec l’épreuve : en effet, l’épreuve
de Rorschach ne peut être considérée comme une épreuve anodine dans
la rencontre entre le psychologue et l’enfant ou l’adolescent1 et c’est, pour
une large part, la familiarité dans laquelle le psychologue lui-même se
trouve avec l’épreuve qui conditionne sa capacité à contenir l’expérience
du sujet face aux planches.

des productions de l’enfant ou de l’adolescent : ruptures, censures et autres empêchements à dire,


limitation du temps de passation et/ou du nombre de réponses.
1. On notera que je préfère l’utilisation de l’expression : « proposer l’épreuve de Rorschach » à celle
d’ « administrer l’épreuve de Rorschach » : au-delà de la dimension d’une recherche de l’adhésion du
sujet ouverte par cette première formulation, la place du psychologue, au décours de la passation,
s’y trouve nommée comme partie prenante du champ d’expérience ouvert par la présentation de
l’épreuve.
Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent 47

La situation de la passation de l’épreuve de Rorschach est généralement


présentée au préalable au sujet, enfant ou adolescent, comme une situation
de jeu (« nous allons faire comme un jeu », formulation qui bien sûr évoluera
en fonction de l’âge de l’enfant vers la référence à une situation « d’évaluation
du fonctionnement psychique et de l’organisation de la personnalité ») :
l’objectif est de tenter de démarquer l’épreuve, tant vis-à-vis de l’enfant ou
de l’adolescent que de son environnement, d’une exigence de type scolaire1 .
La consigne
Selon l’âge de l’enfant, mais aussi selon le contexte de la consultation et
les premiers éléments cliniques recueillis, le psychologue trouvera intérêt à
adapter la consigne, nous y reviendrons. En tout état de cause, l’enfant ou
l’adolescent sera mobilisé autour de l’expression d’une curiosité, ainsi que le
propose N. Rausch de Traubenberg :
« J’ai quelque chose à te montrer (..). » (N. Rausch de Traubenberg,
M.F. Boizou, 1977, p. 11)
On pourrait dire que la limite de cette proposition tient dans son caractère
(trop ?) séducteur... qui vient exacerber la dimension nécessairement
empreinte de séduction de l’offre de la rencontre avec la planche de l’épreuve
de Rorschach.
La consigne que l’on retient le plus souvent dans le cadre de la clinique
de l’enfant et de l’adolescent est la suivante, très directement inspirée de
l’ouvrage princeps d’H. Rorschach (1921) et reprise par N. Rausch de
Traubenberg (1970) :
« Je vais te montrer dix cartes, les unes après les autres, et je vais te
demander de dire, pour chacune d’elle, qu’est-ce que cela pourrait être. »
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On le voit, cette consigne possède un caractère minimaliste : elle


mentionne l’essentiel des attendus de la situation projective en nommant à
la fois le support dans son organisation temporelle, mais également dans ce
qu’il engage sur le versant de l’imaginaire, en référence avec le clinicien qui
se présente au cœur même de l’énoncé de la consigne.
Minimaliste, cette formulation permet néanmoins d’ouvrir une histoire,
en introduisant à la dynamique transférentielle (« je vais te montrer (...) et
je vais te demander de dire... »), sur fond d’une inscription chronologique,

1. La proposition de l’épreuve de Rorschach dans le cadre d’un bilan associant épreuves cognitives et
épreuves projectives se trouve particulièrement prise dans le risque d’une mobilisation de l’enfant
dans le registre de la réussite et de la performance.
48 Méthodologie de l’épreuve de Rorschach

sous-tendant un début et une fin (« ...dix cartes, les unes après les autres... »)
et dans une double référence à l’objet de la réalité externe (« ...dix cartes
(...) qu’est-ce que cela pourrait être... ») et aux objets internes, impliqués
dans le travail de l’imaginaire, au travers de la mention d’un conditionnel
ouvrant un certain nombre de possibles (« ...je vais te demander de dire,
pour chacune d’elles, qu’est-ce que cela pourrait être... »).
Il n’est souvent pas inutile de compléter la consigne d’une précision sur
la liberté, certes limitée par les censures plus ou moins conscientes qui
organisent la vie psychique de l’enfant ou de l’adolescent, qui préside à la
production des réponses : celle-ci est souvent nommée en faisant référence à
l’absence de normes de réponses (« il n’y a ni bonne ni mauvaise réponse »).
Selon les situations, et en particulier au regard de ce que le psychologue aura
pu entendre des mobilisations défensives de l’enfant ou de l’adolescent dans
le temps d’entretien préalable, cette indication sera donnée d’emblée, ou
introduite en fonction des réactions du sujet face aux planches et à ce qu’il
construit de l’attente que le psychologue peut avoir à son égard : apparaît ici,
en filigrane, la nécessité de se déprendre d’une situation à tonalité normative
(implicitement référée à la situation scolaire), dans laquelle l’enfant ou
l’adolescent chercherait, dans un registre non exempt de séduction, à offrir
au psychologue les réponses que celui-ci s’attendrait à entendre...
Ajoutons enfin que la situation projective, initiée par la présentation
de la planche de Rorschach accompagnée de la consigne, ouvre un espace
imaginaire pour l’enfant ou l’adolescent dont on ne peut a priori définir le
terme au plan temporel : le temps de présentation des planches n’est pas
codifié, et il convient de transmettre au sujet cette information centrale afin
de donner toute sa place et tout son sens au déploiement de l’imaginaire.
C’est habituellement à l’occasion de la présentation de la première planche, et
de l’interrogation plus ou moins explicitée par l’enfant ou l’adolescent sur le
temps pendant lequel il peut/doit conserver la planche, que le psychologue
sera conduit à indiquer au sujet que c’est à lui d’imprimer sa propre
organisation temporelle à la passation. Sans doute cet élément singulier du
dispositif de passation contribue-t-il à une possible appropriation par l’enfant
ou l’adolescent de la situation projective, et soutient-il un investissement
transitionnel de l’épreuve. On peut considérer en effet que l’expérience du
trouvé-créé initiée par la situation projective, si elle concerne avant tout
le lien complexe qui s’établit entre un trouvé au-dehors avec la planche
et le créé au-dedans avec l’image mentale, ne peut faire l’économie d’une
pré-inscription dans le dispositif même de l’épreuve. Entre les planches,
dont la qualité, la singularité et l’ordonnancement échappent au sujet (le
Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent 49

trouvé du dispositif) et la scansion spatiale (les renversements de planche)1


et temporelle imprimée par le sujet à la situation (le créé du dispositif),
s’inaugure un « espace d’interaction entre réel et imaginaire » pour reprendre
l’heureuse formulation de N. Rausch de Traubenberg (1994).
La discussion sur la forme des consignes est une question récurrente
parmi les cliniciens praticiens de l’épreuve de Rorschach et il est de tradition,
d’une certaine manière, qu’une contribution à la pratique de cette épreuve
ne puisse faire l’économie de la proposition d’une nouvelle consigne. Pour
ma part, je pense nécessaire de s’en tenir, dans le champ de la clinique de
l’enfant et de l’adolescent à la consigne la plus simple et la plus accessible.
Il faut reconnaître néanmoins que les apports de D. Anzieu d’une part et
de C. Chabert d’autre part2 ont permis de mettre l’accent sur les différents
enjeux sous-tendus par l’élaboration et l’énoncé de la consigne, en tant
qu’elle initie l’établissement d’un dispositif à symboliser (Roman, 1997). La
mise en perspective de ces enjeux, propres à l’instauration de la situation
projective, avec ceux de la cure-type permet de penser le dispositif de
l’épreuve de Rorschach au regard de la règle fondamentale dont les réquisits
ont été énoncés par S. Freud :
• Libre-association, avec la mobilisation des représentations face au matériel
peu structuré des planches de l’épreuve3 ;
• Abstinence et suspension de la motricité, avec la référence à un « dire
mais seulement dire », dont on peut mesurer l’enjeu tout à fait spécifique

1. Si les planches sont présentées, de manière standardisée, en position droite, l’enfant ou l’adolescent
a toute latitude, dans son exploration du matériel (et de son monde interne) pour imprimer des
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mouvements de renversement de planche. On notera que le terme de renversement est ici préféré à
celui de retournement, pour rendre compte de la rotation des planches réalisée par le sujet : le terme
de retournement sera réservé à une modalité spécifique de traitement de la planche par l’enfant ou
l’adolescent qui consiste à procéder à un retournement recto/verso de la planche afin de prendre
connaissance des inscriptions portées au dos des planches ; cette curiosité mobilise deux aspects
particuliers dans la saisie du matériel : celui de la numérotation des planches, qui permet de fonder
une position de contrôle sur le matériel, la situation projective et... le psychologue, et celui de la
signature des planches, autour de laquelle pourront s’exprimer les interrogations sur l’origine du
matériel projectif.
2. Il est intéressant de rappeler ici les consignes respectives proposées par D. Anzieu (1983) : « Ce
qu’on vous demande de dire “c’est” tout ce qu’on pourrait voir » et par C. Chabert (1997) : « Je vais vous
montrer dix planches et vous me direz tout ce à quoi elles vous font penser, ce que vous pouvez imaginer à
partir de ces planches. »
3. La question de la non-omission, associée à la libre-association, est explicitement mentionnée dans
la consigne de D. Anzieu et dans celle de C. Chabert : elle ne me paraît pas nécessairement pertinente
dans le cadre de la clinique de l’enfant et de l’adolescent, à l’égard desquels il me paraît prudent de
proposer la plus large ouverture de la sollicitation au travers de la consigne.
50 Méthodologie de l’épreuve de Rorschach

qu’il revêt dans le champ qui nous intéresse, à la fois sur le plan des
engagements transférentiels et moteurs1 .
En contrepoint, il convient de souligner une définition de la posture du
psychologue dans la situation de la passation : si la référence à la « neutralité
bienveillante » peut permettre de signifier la qualité de l’engagement du
psychologue dans la passation de l’épreuve projective de Rorschach, celle-ci
n’épuise pas l’investissement d’une attention et d’une préoccupation du
psychologue à l’égard de l’enfant ou de l’adolescent. Celles-ci pourront être
signifiées selon différentes modalités au fil de la passation, par la voie de
relances en appui sur une répétition de la consigne, ou par la proposition
d’un renversement de planches en mesure de soutenir la production verbale
de l’enfant ou de l’adolescent face à la planche. Une telle intervention peut
s’avérer précieuse afin de tenter de lever des inhibitions massives que l’on
observe parfois chez certains enfants ou adolescents, essentiellement lorsqu’il
s’agit d’inhibitions de type névrotique.
Les temps de la passation
La passation de l’épreuve de Rorschach est classiquement scandée en trois
temps distincts : celui de la présentation des planches, successivement et de
manière ordonnée, celui de l’enquête et, enfin, celui de l’épreuve des choix.
On pourrait y adjoindre un quatrième temps, celui de la transmission, de la
part du psychologue, de sa compréhension du fonctionnement psychique
de l’enfant ou de l’adolescent, transmission souvent nommée « restitution »,
dont il sera question à la fin du présent développement.
• Le temps de la présentation des planches constitue le temps à proprement
parler de la passation de l’épreuve. Il s’agit pour l’enfant ou l’adolescent,
en appui sur la consigne énoncée en début d’épreuve et, le cas échéant,
reprise au fil de celle-ci afin de soutenir le travail de mise en représentation
ouvert par la consigne, de prendre le risque d’une double rencontre,
médiatisée dans la relation transférentielle avec le psychologue : rencontre
de l’inconnu et de l’étrange, de l’Unheimlich de ces planches sans forme
précise (« formes fortuites » indiquait H. Rorschach), et celle de son
monde interne, tel qu’il se trouve sollicité à son insu par le matériel

1. Cette problématique sera reprise ultérieurement, dans le développement consacré à la discussion


sur les déterminants kinesthésiques, que l’on peut situer autour de deux points principaux : celui
d’une clinique spécifique du jeune enfant, âgé de moins de 6 ans, et dont les engagements moteurs
vont prendre une place singulière dans la passation, et celui de la clinique de l’hyperactivité
infantile/instabilité psychomotrice, qui confronte à la limite pourrait-on dire, à la place de la
suspension de la motricité dans le dispositif de passation.
Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent 51

de l’épreuve. Au-delà de l’énoncé inaugural de la consigne (voire de sa


reprise) il est convenu que l’intervention du psychologue sera limitée au
seul soutien du travail associatif de l’enfant ou de l’adolescent suscité par
le matériel de l’épreuve de Rorschach (exceptionnellement le psychologue
peut être amené à interroger l’enfant ou l’adolescent sur un éventuel
doute quant à la localisation et/ou quant au lien entre la localisation et la
représentation proposée.)
La consigne, on le sait, invite à une mise en mots des images et/ou
des éprouvés mobilisés par les planches : cette mise en mots, traduction
structurée en forme de langage, soutient tout à la fois un mouvement de
secondarisation autorisant un dégagement de la plongée dans l’inquiétante
étrangeté des contenus inconscients, et une adresse au psychologue à partir
de laquelle pourra se nouer l’échange avec le psychologue. C’est le plus
souvent sur cet appui langagier que l’enfant ou l’adolescent pourra venir
chercher confirmation des mouvements qui l’habitent face à l’épreuve,
dans une quête de réassurance, de gratification narcissique et/ou dans
une revendication narcissique. C’est aussi sur cet appui langagier, qui se
constitue en corpus de réponses (protocole), que le psychologue pourra
développer une appréhension précise du matériel recueilli, tant au travers
de la cotation des réponses que dans la lecture clinique de l’ensemble de
la verbalisation. Cette appréhension repose sur une saisie écrite au plus
près de la verbalisation de l’enfant ou de l’adolescent1 ;
• Le temps de l’enquête consiste à interroger les productions verbales du
sujet. Ce temps se situe, dans la mesure du possible2 , à l’issue de la
présentation des dix planches, à partir d’une nouvelle présentation de
celles-ci. Cette présentation est accompagnée d’une reprise mot pour mot
de la verbalisation initiale de l’enfant ou de l’adolescent face à la planche, et
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

d’une interrogation du sujet sur ce qui a motivé la production de la réponse.


La raison d’être de l’enquête3 est d’éclairer la démarche de cotation des
réponses, qui exige, au-delà de la reconnaissance de l’appartenance du

1. Cf. infra, le développement consacré à la saisie du protocole.


2. Cf. infra, le développement sur les aménagements du dispositif.
3. De larges débats ont traversé la communauté des praticiens du Rorschach sur la place et le sens de
l’enquête dans la passation de l’épreuve de Rorschach. Si pour certains (Jidouard, 1988), le terme
même fait problème, dans la mesure de la connotation policière qu’elle recèle, pour d’autres (de
Tychey, 2012) elle peut trouver une extension qui ouvre sur une nouvelle pratique de l’épreuve
que l’auteur propose de définir comme une pratique associative du Rorschach. En introduisant ce
second temps ouvert aux associations du sujet, C. de Tychey propose là une alternative à la passation
conjointe d’une épreuve structurale (l’épreuve de Rorschach) et d’une épreuve thématique (l’épreuve
du T.A.T par exemple), dans une pratique essentiellement référée à la clinique adulte.
52 Méthodologie de l’épreuve de Rorschach

contenu langagier de la réponse à une classe de représentation, une


double approche de la localisation (où la réponse a-t-elle été vue ?) et du
déterminant de la réponse (quelle est la qualité de la planche qui a déterminé
la réponse ?).
L’enquête sera introduite par le psychologue à partir de la nécessité,
pour lui, d’affiner sa compréhension de la démarche de l’enfant ou
de l’adolescent : il se place alors résolument en position de non-savoir,
donnant ainsi corps à l’affirmation initiale selon laquelle on ne peut
déterminer de bonne ou de mauvaise réponse face à l’épreuve. L’enquête
pourra s’engager à partir d’une formulation du type : « Je voudrais être
sûr d’avoir bien compris ce que tu as voulu dire ».
L’enquête vise donc, de manière non-directive et non-intrusive à recueillir
les éléments nécessaires au travail de cotation au travers d’une formulation
du type (planche I) : « où as-tu vu la chauve-souris ? » (localisation) et
« qu’est-ce qui fait que tu as dit que cela pouvait être une chauve-souris ? »
(déterminant). L’intérêt du psychologue, en vue de la cotation, tient dans
la reconnaissance d’une part de la localisation de la réponse (tout ou
partie du stimulus) et d’autre part de son déterminant (ici, la dimension
formelle versus la couleur noire de la tache, voire une association entre
ces deux dimensions).
On comprend dans ce sens l’importance de réserver le temps de l’enquête
à la fin de la passation, afin de ne pas introduire de biais dans le recueil
du protocole de réponses. L’enfant ou l’adolescent pourrait, en effet,
se trouver alerté par des interrogations qui émailleraient la passation et
qui, inévitablement, seraient en risque de renforcer un modelage de la
production des réponses au regard d’une attente supposée de la part du
psychologue.
Signalons par ailleurs tout l’intérêt de l’enquête comme second temps
de la passation : celle-ci permet, en particulier, d’évaluer les écarts qui
s’établissent pour l’enfant ou l’adolescent entre chacun de ces deux temps.
Ceux-ci concernent, dans des modalités diverses, l’écart entre production
à la passation et à l’enquête : non-reconnaissance des réponses proposées
à la passation, apport de réponses complémentaires (que l’on nomme
« réponses additionnelles »), commentaires permettant de préciser, ou
d’infléchir la production initiale... L’ensemble de ces manifestations
contribue à la mise en évidence de la qualité des stratégies défensives et à
la souplesse des aménagements de la personnalité.
Enfin, la pratique dite de « l’enquête des limites », dont N. Rausch de
Traubenberg et M.F. Boizou (1984) précisent que nous la devons à
Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent 53

B. Klopfer, autorise une autre appréhension de ces écarts : elle consiste à


proposer à l’enfant ou l’adolescent, lorsqu’elle est absente de sa production,
une réponse considérée comme banale, dans une définition statistique
de cette notion, c’est-à-dire partagée par un nombre significatif de sujets.
Cette pratique apporte un éclairage complémentaire sur la qualité des
censures et sur les potentiels de réaménagement dont témoigne l’enfant
ou l’adolescent : en effet, la capacité – ou l’incapacité – du sujet à se
saisir d’une offre de représentation (« un papillon » à la planche I, « deux
personnes » à la planche III, « deux animaux » à la planche VIII1 ) atteste
du niveau de plasticité de la vie psychique, en appui sur le lien transférentiel
engagé dans la passation. Le psychologue prendra soin de signaler de
manière explicite sur le protocole de réponses :
– son intervention et la nature de celle-ci, c’est-à-dire la proposition
précise faite à l’enfant ou l’adolescent ;
– la réaction verbale et non-verbale de l’enfant ou de l’adolescent au
regard de cette proposition ;
• L’épreuve des choix introduit un troisième registre de sollicitation dans
la passation de l’épreuve de Rorschach : après le temps de l’imaginaire
qui voit l’émergence de représentations plus ou moins secondarisées,
puis celui de l’appel à une position réflexive sur ses propres productions,
le temps de l’épreuve des choix invite l’enfant ou l’adolescent à une
mobilisation de type affectif à l’égard du matériel2 . L’ensemble des dix
planches est disposé devant l’enfant, et il lui est demandé d’opérer un
choix, pour déterminer successivement :
– la carte qu’il préfère, puis la seconde qu’il aime le mieux ;
– la carte qu’il aime le moins, puis la seconde la moins aimée.
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1. Il importe bien sûr que le psychologue conserve trace de la sollicitation qu’il adresse à l’enfant ou
l’adolescent dans le cadre de l’enquête des limites afin de confronter la verbalisation de l’enfant à la
sollicitation initiale.
2. Une variante de l’épreuve des choix est proposée et/ou rapportée par M. Ravit (2002), variante
dont on peut mesurer la pertinence dans la pratique de l’épreuve de Rorschach auprès d’enfants
ou d’adolescents : elle consiste à demander au sujet de déterminer la planche qui serait pour lui la
planche-maman d’une part, et la planche-papa d’autre part ou, d’après M. Ravit, « deux planches qui
pourraient représenter quelque chose de paternel et deux planches qui pourraient représenter quelque
chose de maternel » (p. 35) : on peut reconnaître que ce dispositif permet d’interroger, de manière
explicite, les fondements identificatoires de l’enfant ou de l’adolescent.
54 Méthodologie de l’épreuve de Rorschach

L’enfant ou l’adolescent est par ailleurs invité à expliciter ses choix en


apportant une argumentation pour chacune des planches ayant été retenue
par lui.
En contrepoint des deux premiers temps de la passation, ce temps de
l’épreuve des choix inscrit le sujet dans une double contrainte :
– d’une part celle d’opérer un choix, c’est-à-dire dans le même temps de
renoncer ;
– d’autre part de rendre compte de ce choix, qui est annoncé comme
devant être présidé par un rapport affectif avec le matériel.
Outre que le choix des planches (choix positif et négatif) n’est pas
indifférent, et qu’il mérite d’être mis en perspective avec la production
projective de l’enfant ou de l’adolescent auxdites planches, le processus
même de choix (voire l’impossibilité de choisir et/ou d’expliciter son
choix...) contribue à la compréhension de la dynamique du fonctionne-
ment psychique de l’enfant ou de l’adolescent.
Les aménagements du dispositif de passation
Si la passation avec les enfants en période de latence et les adolescents ne
posent en général pas de difficulté technique particulière au regard de la
passation en clinique adulte, il convient d’apporter quelques précisions sur
les aménagements nécessaires lorsque l’épreuve de Rorschach est proposée à
des très jeunes enfants ou à des enfants ou des adolescents présentant des
troubles psychopathologiques qui affectent de manière massive les processus
de représentation. Deux types d’aménagement doivent être envisagés : ceux
qui concernent d’une part la passation en elle-même et d’autre part la
pratique de l’enquête.
Sans doute les aménagements principaux concernant la passation de
l’épreuve de Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent concernent-ils
le cadre de la passation avec l’énoncé de la consigne, et la nécessité parfois
avérée de renouveler celui-ci à plusieurs reprises, et l’explicitation de la
nécessaire conservation du matériel que représentent les planches de l’épreuve
au regard des différents mouvements de mise à l’épreuve de celles-ci engagés
dans la motricité de l’enfant. En outre, de manière tout à fait exceptionnelle
il convient de mentionner :
• la nécessité qui peut apparaître au psychologue (et dont il ne devrait pas
hésiter à se saisir) de suspendre la passation de l’épreuve de Rorschach
Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent 55

lorsque manifestement l’enfant se trouve débordé par la rencontre avec le


matériel de l’épreuve (cf. des expressions affectives marquées1 ) ;
• l’hypothèse d’avoir à envisager, le cas échéant, une passation en deux
temps distincts au regard de la fragilité des potentiels d’attention et de
concentration de l’enfant ; une telle décision infléchit nécessairement la
lecture clinique du protocole et contribue à l’analyse du fonctionnement
psychique de l’enfant (et plus rarement de l’adolescent).
Les aménagements qui ont trait à l’enquête portent essentiellement sur
le temps auquel se déroule celle-ci : habituellement prévue à la fin de
la passation des dix planches, il peut s’avérer judicieux, au regard de la
labilité des représentations proposées par l’enfant ou l’adolescent (très jeune
enfant, enfant ou adolescent présentant des troubles psychopathologiques
sévères), d’opérer l’enquête au fil de la passation, à l’issue de chaque planche,
face au risque pour le psychologue de se trouver confronté à des formes
d’échappée du processus représentatif qui n’autorisent pas le sujet à investir
une permanence des représentations suscitées par les planches (construites à
partir des planches). Dans ces cas ultimes, l’enquête pourra être réalisée à
l’issue de chaque planche, voire suite à chacune des réponses, en prenant
soin de relater, dans la présentation du protocole, cet élément de méthode
dont on peut penser (cf. supra, p. 54) qu’il ne sera pas sans incidence sur la
production à venir.

➤ La saisie du protocole
Une bonne partie de l’enjeu de la pratique de l‘épreuve de Rorschach tient,
au-delà du respect d’un certain nombre de prescriptions liées à la passation,
dans l’attention mobilisée par le psychologue pour la transcription de la
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verbalisation de l’enfant ou de l’adolescent, au plus près de sa production. Il


s’agit en effet pour le psychologue d’écrire sous la forme d’une prise de note
qui pourra – et qui gagnera à – être reprise dans un temps d’après-coup de

1. Sans aller jusqu’à contraindre à l’arrêt de l’épreuve dans la mesure du sentiment que ces mouvements
pouvaient être suffisamment contenus dans le cadre de la relation clinique, les manifestations affectives
de Jérémie, âgé de 5 ans et 6 mois, face aux planches de l’épreuve de Rorschach peuvent témoigner
de ce type de difficultés : en effet, aux planches II et III, après la proposition à chacune de ces
planches d’une réponse de monstre (à la planche II : « un monstre » et à la planche III « un monstre
avec des dents »), Jérémie mime, avec force grimaces, expressives d’une angoisse insoutenable, ces
représentations, manifestement affecté par la rencontre (terrifiante ?) de ces représentations. Tout se
passe ici comme si Jérémie se trouvait, dans une situation d’effacement de la frontière entre réalité et
imaginaire, envahi par le stimulus de la planche... et inquiété par lui dans son identité...
56 Méthodologie de l’épreuve de Rorschach

la consultation. S’il semble important que le psychologue puisse informer


l’enfant ou l’adolescent de cette prise de note (en la mentionnant dans
sa fonction d’outil de travail « de conservation », de compréhension et
d’élaboration dans la perspective d’une transmission en retour d’une parole
de la part du psychologue), la pratique de cette prise de note n’épuise pas
pour autant les mouvements persécutoires potentiellement suscités par une
démarche qui vise à une forme de contrôle d’une production de l’intime du
sujet.
Il convient de mentionner que cette prise de note ne concerne pas
exclusivement la part verbale de la production de l’enfant ou de l’adolescent,
dans la mesure où l’on ne peut en aucun se couper de la dimension
non-verbale de la passation afin de pouvoir en apprécier le sens. Ainsi,
au-delà de la prise en note du verbatim du sujet (sous la forme du mot à
mot1 )), le psychologue est-il invité à prendre en compte un certain nombre
d’éléments non-verbaux essentiels à la compréhension de la situation :
• Des indications temporelles, qui concernent le début et la fin de l’épreuve,
mais également de manière plus fine le temps consacré à chaque planche
par l’enfant ou l’adolescent, ainsi que le temps de latence, constitutif du
temps qui s’écoule entre la présentation de la planche par le psychologue
et le début de la verbalisation. Dans un contexte d’épreuve projective,
il s’avère inimaginable de considérer la place d’un chronomètre pour
mesurer ces différents éléments temporels ; ainsi, la disposition d’un réveil
posé sur le bureau où se déroule la passation de l’épreuve, laissant défiler
les minutes et les secondes sous le regard du psychologue, autorise les
repérages temporels nécessaires (il suffit alors au psychologue de noter
les temps tels qu’ils défilent pendant la passation, à charge pour lui, à
l’issue de celle-ci, de procéder au décompte nécessaire à une lecture des
données temporelles). Une telle pratique permet de réduire la pression
de la référence au temps comme participant d’une quête de performance,
et à la forme de sanction que peut revêtir le recours au chronomètre ;
• Des indications relatives aux expressions verbales de l’enfant ou de l’adoles-
cent qui n’appartiennent pas en soi au corpus de réponses, c’est-à-dire aux
représentations mobilisées par les planches : onomatopées, exclamations,
remarques personnelles ou remarques concernant le matériel de l’épreuve
de Rorschach, bruitages divers, commentaires... ;

1. Au fil de la pratique le psychologue construit ses propres repères d’abréviation, dans une perspective
d’efficacité, afin d’être en mesure de saisir l’essentiel de la verbalisation...
Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent 57

• Des indications relatives aux expressions non-verbales de l’enfant ou de


l’adolescent : mimiques, gestuelle, mouvements et déplacements, marques
d’émotion... ces indications viennent colorer le protocole de réponses et
apporter des éléments complémentaires pour l’analyse du matériel verbal.
Avant de refermer ce développement consacré à la saisie du protocole, il
importe de ne pas laisser dans l’ombre la question récurrente concernant un
possible enregistrement de la passation afin de dégager le psychologue de
cette tâche, souvent ingrate, qui peut être considérée comme limitée à celle
d’un scribe, et qui peut par ailleurs sembler éloigner le psychologue de sa
posture d’écoute et d’attention dans la relation à l’enfant ou à l’adolescent.
Il convient d’affirmer que la prise de note appartient à la pratique du
psychologue, et que la technique de l’enregistrement audio (voire vidéo) de
la passation, outre les questions éthiques qu’elle engagerait, n’exonère en
aucun cas le psychologue du fastidieux travail de ré-écriture du discours1 . Par
ailleurs, si l’on peut considérer que l’inconvénient majeur de l’enregistrement
audio tient dans la surchauffe persécutoire qu’elle initie, il convient de
mentionner, de plus, la manière dont celui-ci viendrait rompre le lien
d’attention et de préoccupation (qui s’exerce parfois à l’extrême... au risque
de perdre et/ou de ne pas tout contrôler...). En effet, le psychologue, à
l’occasion de la pratique de l’épreuve de Rorschach, se trouve engagé dans
une rencontre singulière, certes médiatisée par une épreuve standardisée,
mais dont les enjeux se présentent nécessairement comme imprévisibles :
dans ce contexte, l’attention soutenue à la parole du sujet, avec les aléas que sa
retranscription produira, appartient de plein droit à l’histoire transférentielle
engagée autour de l’épreuve et contribue à habiter celle-ci. De plus, la part
d’humanité afférente à la saisie du verbatim du discours du sujet introduit
une donnée clinique intéressante en contrepoint du discours lui-même : on
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observe, de manière récurrente, que la manière dont le psychologue se saisit


de cette transcription peut être utilisée par le sujet, enfant ou adolescent, en
forme d’emprise (l’enfant ou l’adolescent produit un discours extrêmement
rapide, sans respiration, empêchant toute forme d’accès à l’absence, au
manque, à la séparation), en forme de contrôle précis et omnipotent (le
sujet dicte au psychologue ce qu’il doit prendre en note, sur fond de la

1. La pratique au sein du Service de consultation de l’enfant et de l’adolescent de l’Université de


Lausanne (Suisse), lieu de consultation et de formation des futurs psychologues, fournit une situation
expérimentale intéressante : les consultations y sont filmées et enregistrées, afin de permettre la
supervision et le travail après-coup sur les postures professionnelles. L’appui sur la vidéo (qui fait
partie du dispositif), n’exonère pas le psychologue en formation de la mise en forme du protocole,
dans la complexité propre à cette tâche...
58 Méthodologie de l’épreuve de Rorschach

manifestation d’un interdit de l’exercice de toute subjectivité...), ou en forme


de séduction, dans une quête de reconnaissance de la part de l’enfant ou de
l’adolescent qui passe par une forme d’identification peu différenciée d’avec
la figure du psychologue.
Enfin, il paraît important de préciser que la pérennité du lien avec l’enfant
ou l’adolescent dans le cours de la passation de l’épreuve primera toujours
sur l’écriture du discours de l’enfant : ce qui aurait manqué à être saisi dans
cette écriture trouvera à se reconstruire à l’issue de la passation, ou bien
fera l’objet d’une note précisant la part qui fait défaut dans la prise en note
du protocole de réponses. En tout état de cause, cet élément appartient à
la situation de la passation et trouvera sa place dans les aspects propres à
spécifier la « clinique de la passation » (Emmanuelli et coll., 2001).

➤ La transmission ou synthèse

Il n’est pas d’examen psychologique, et au sein de celui-ci, de proposition


d’épreuve projective comme celle de Rorschach, qui puisse être considéré en
dehors de la pensée d’une adresse de ses conclusions au principal bénéficiaire
(l’enfant ou l’adolescent) celui que l’on peut nommer comme le « sujet »
de l’examen psychologique. Ce que l’on appelle habituellement restitution,
correspond, de fait, à la transmission d’une synthèse de la compréhension
que le psychologue aura pu construire, au décours de la passation des
différentes épreuves, du fonctionnement psychique du sujet, des zones de
fragilité et/ou de souffrance, des lignes de rupture et de réaménagement, des
potentiels et des ressources mobilisables.
Ce temps de la synthèse appartient de plein droit au dispositif de l’examen
psychologique, il en constitue un point d’aboutissement, qui vectorise la
démarche de la rencontre clinique et lui donne son sens. Par ailleurs, il semble
que la place accordée à ce temps de la synthèse contribue à l’établissement
des garde-fous nécessaires à l’égard de l’engagement de la pulsion du voir
(Bonnet, 1996) dont on peut faire l’hypothèse qu’elle occupe une place
centrale dans la démarche de l’examen psychologique et de la proposition
de l’épreuve de Rorschach en particulier. Car de quoi s’agit-il dans cette
démarche de synthèse ? Il s’agit pour le psychologue de soutenir une position
de sollicitude (que l’on peut inscrire dans le champ du soin maternel, à
la suite de D.W. Winnicott), position qui ouvre sur la transmission d’une
parole, qui contient une reconnaissance de la souffrance (ou de la part
souffrante) de l’enfant ou de l’adolescent. En filigrane, on peut reconnaître
dans ce temps de la synthèse le projet de la construction d’une explicitation
Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent 59

d’un sens à la souffrance, au travers de la proposition d’une figuration et/ou


d’une représentation du fonctionnement psychique.
Il importe par ailleurs de s’attacher à la forme que peut revêtir ce temps de
transmission et d’en préciser les contours et les contenus. En effet, si le temps
de la synthèse, dans le cadre d’un entretien, préalable à tout compte-rendu
écrit de l’examen psychologique, apparaît incontournable, la dimension de
l’écrit constitue un élément déterminant dans le déroulement du processus
ouvert par l’examen psychologique. Cet écrit s’inscrit dans la démarche du
bilan projectif et sera, selon le cadre de l’exercice clinique et la demande qui
est adressée au psychologue, soit exclusivement destiné au sujet, ou à ses
parents lorsqu’il s’agit d’enfant ou d’adolescent, soit également destiné à un
tiers (médecin-psychiatre, magistrat, institution de soin ou éducative...). Il
paraît indispensable que l’enfant ou l’adolescent, par l’intermédiaire de ses
parents soit, en tout état de cause, destinataire d’un exemplaire du rapport
rédigé par le psychologue, ce qui contraint le psychologue, on le comprend,
à user d’une langue et d’un langage suffisamment accessibles pour rendre
compte de l’examen psychologique et de ses conclusions. De fait, dans
ce temps de la transmission, le psychologue se trouve pris au cœur d’une
tension qui s’exerce entre :
• d’une part la nécessité de l’expression de ses compétences spécialisées
dans le champ de l’évaluation du fonctionnement psychique en appui
sur l’épreuve de Rorschach et, le cas échéant, sur d’autres épreuves (qui
implique le recours à un corpus de concepts et de notions complexes) ;
• d’autre part le souci pédagogique d’un partage de sa compréhension de la
problématique du sujet pour lequel il a été sollicité.
On peut ajouter que la nécessité d’une écriture adaptée du compte-
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rendu de bilan projectif contribue à soutenir, pour le psychologue, une


interrogation déontologique et éthique dans son engagement professionnel.
Enfin, il semble impératif que les contours du rapport de bilan projectif
soient suffisamment clairement tracés : en effet, on peut considérer qu’il
doit essentiellement contenir des éléments propres à éclairer la question
autour de laquelle la demande s’est présentée puis construite avec l’enfant ou
l’adolescent, et se garder de toute ambition totalisante (voire totalitaire) dans
l’appréhension du fonctionnement psychique. Outre les éléments propres
à permettre une représentation des conditions de déroulement du bilan
projectif (énoncé de la demande, lieu et nombre de rencontres, épreuves
proposées, conditions de la synthèse), le rapport devrait pouvoir rendre
compte de la dynamique du fonctionnement psychique, nécessairement
60 Méthodologie de l’épreuve de Rorschach

inscrit dans une perspective d’évolution : le registre des angoisses, la


mobilisation défensive, le mode de structuration identitaire et identificatoire,
la qualité des aménagements psychiques dans le jeu relationnel constituent
les thématiques centrales autour desquelles vont s’articuler les termes du
rapport. En filigrane, seront précisés, outre les points d’achoppement
du fonctionnement psychique, le registre des potentiels du sujet qui
permettront de soutenir, le cas échéant, une perspective d’accompagnement
de celui-ci, quelle que soit la nature de cet accompagnement (éducatif,
scolaire, psychothérapique...).
La question de l’évocation d’un diagnostic psychopathologique constitue
bien sûr un point de butée incontournable de la question de la transmission
des éléments de l’examen psychologique : il semble que la clinique de
l’enfant et de l’adolescent, davantage encore que la clinique adulte, doive
engager le psychologue à la plus grande prudence quant à l’évocation d’une
formulation diagnostique, dont on comprend qu’elle se trouverait en risque
d’enfermer le sujet dans une forme de prescription psychopathologique.

La cotation, clinique de la production projective

Le travail de la cotation représente bien souvent la part qui rebute le


psychologue dans la pratique de l’épreuve de Rorschach : elle est considérée
comme mobilisant une exigence extrême, parfois teintée d’une dimension
obsessionnelle qui écarterait le clinicien de la pureté de la rencontre clinique.
De fait, le travail de la cotation du protocole de Rorschach ne constitue
que la première étape de la démarche d’analyse et d’interprétation, dans la
mesure où elle permet une forme de déconstruction des processus à l’œuvre
dans la production de la réponse : en tant que démarche d’objectivation
des processus, cette étape s’avère indispensable en vue de soutenir une
complexité de l’approche clinique et psychopathologique de l’enfant ou de
l’adolescent (nature des angoisses et de la qualité des stratégies défensives,
mode de relation d’objet, structure identitaire et dynamique identificatoire).
Le travail de la cotation se trouve ainsi au carrefour entre l’émergence d’une
représentation par le sujet à partir de la planche de l’épreuve de Rorschach,
support peu structuré, non-figuratif, qui témoigne d’une qualité singulière
des potentiels de symbolisation du sujet d’une part, et une analyse des
processus en jeu dans l’élaboration de ce qui est ici nommé « réponse ».
Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent 61

➤ La réponse au Rorschach
La définition que l’on peut donner de la réponse au Rorschach possède une
dimension tautologique, puisque l’on considère comme « réponse » toute
entité du discours du sujet, suffisamment délimitée dans la dynamique de
l’expression verbale et qui pourra faire l’objet d’une quadruple cotation :
1. Au plan de la localisation de la réponse où il s’agit de pouvoir identifier
clairement quelle part du stimulus, que représente la tache de la planche
de Rorschach, se trouve être le support de la réponse ?
2. Au plan du déterminant de la réponse qui renvoie à la qualité particulière
du stimulus engagée dans la réponse ;
3. Au plan du contenu de la réponse ou, plus précisément, de la classe de
représentation à laquelle appartient la réponse au regard d’une liste
pré-établie ;
4. Au plan du caractère banal ou non de la réponse, caractéristique qui peut
être déterminée en fonction de repères établis à partir de recherches sur
des populations non-consultantes1 ..
A contrario, toute verbalisation ne pouvant répondre aux quatre critères
précédemment énoncés ne sera pas considérée comme une réponse : dans le
projet de la lecture clinique du protocole, le psychologue ne peut cependant
en aucune manière se satisfaire d’une telle restriction du corpus recueilli dans
la rencontre avec les planches de l’épreuve de Rorschach. Il veillera ainsi à
donner toute sa place aux données que l’on dit non cotables du protocole
de verbalisation de l’enfant ou de l’adolescent (exclamations, remarques sur
le matériel, éprouvé subjectif, critiques, nomination des couleurs et/ou des
différents éléments constitutifs des planches, manifestations de chocs...), en
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

accordant une attention particulière au style du discours qui sous-tend la


production des réponses2 .
Chacune des modalités de cotation retenue, dont l’ensemble fonde la
reconnaissance de la réponse à l’épreuve du Rorschach, permet de situer la

1. Ce sont à ce jour les travaux de J. Blomart (1998) qui apportent les éléments les plus actuels pour
l’analyse des banalités dans les protocoles d’enfants et d’adolescents, ainsi que ceux de C. Azoulay &
Coll (2007) pour les adolescents (voir infra, synthèse 5).
2. Les travaux de C. Rebourg (2007), représentent, sur ce point, un apport indéniable ; s’ils
concernent, à ce jour, exclusivement la clinique adulte, ils méritent toutefois d’être entendus comme
un enrichissement majeur dans la prise en compte de la dynamique psychique à l’œuvre dans la
production des réponses. Ces travaux constituent une forme de prolongement de travaux plus anciens,
consacrés à l’analyse des modalités discursives de la réponse au Rorschach, dans une approche marquée
par les apports de la psycholinguistique (Cosnier, 1969).
62 Méthodologie de l’épreuve de Rorschach

nature de l’engagement du sujet face à la planche. Le travail d’objectivation


mobilisé dans la démarche de cotation doit, ainsi que j’en ai évoqué le risque,
se départir du caractère potentiellement obsessionnel qu’une telle pratique
peut appeler, pour être mis au service d’une démarche clinique dont le
projet se trouve celui d’une explicitation du processus de production de la
réponse. Ainsi, la dynamique de la cotation, dans ce qu’elle autorise une telle
explicitation, est-elle aussi importante que le résultat même des cotations.
Afin de souligner la dimension dynamique de cette démarche, il me paraît
important de soutenir l’idée selon laquelle la cotation du protocole appartient
au dispositif même de la passation : dans ce sens, on peut considérer l’intérêt,
à plus d’un titre, que la cotation puisse être réalisée au décours du temps de
l’enquête. Bien sûr une telle pratique requiert une connaissance approfondie
des différents ordres de cotation et une appropriation de la subtilité des
nuances dont la cotation doit pouvoir rendre compte. Outre le fait qu’une
telle démarche donne tout son sens à ce temps de l’enquête, elle introduit
une forme de garantie quant à la mise en œuvre de la cotation, inscrivant
l’enfant ou l’adolescent dans une position de partenaire de la passation en
appui sur l’actualisation de la position en creux qui sera celle du psychologue
à ce temps de l’épreuve.
Au-delà de la définition stricte de la réponse à l’épreuve de Rorschach,
il convient de rappeler l’importance des éléments non-verbaux, ou des
éléments de discours non-représentatifs, qui ponctuent la verbalisation du
sujet : ceux-ci renseignent sur les éléments contextuels de production de
la réponse et autorisent une mise en perspective des réponses sur un fond
de discours qui traduit la tonalité subjective sur le fond de laquelle elles
émergent.
L’ensemble des données issues de la cotation se trouve rassemblé
et synthétisé dans un document nommé « psychogramme1 » : outre la
présentation de ces données, le psychogramme comporte le calcul d’un
certain nombre d’indices qui éclairent le registre des processus de réponses
mobilisé par l’enfant ou l’adolescent. Ce document permet une première
lecture de la dynamique du protocole de Rorschach qui sera prise en compte
dans la perspective intra- et inter-planche (continuum des réponses produites
à une planche donnée, articulation du discours de planche en planche),
dans la perspective de l’évaluation du fil projectif (Roman, 1996) qui
traduit la qualité de l’élaboration du processus représentatif. De premières
hypothèses pourront émerger de cette lecture des données quantitatives

1. Voir modèle de psychogramme proposé p. 65


Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent 63

qui, nécessairement, traduisent une approche qualitative du matériel et qui


spécifient la production projective. La mise au travail de ces hypothèses
nécessite une interrogation en retour du matériel clinique recueilli, dans
une appréhension de la complexité du discours proposé par le sujet face aux
planches.

➤ Présentation du protocole
Le protocole de Rorschach se présente comme la succession de la verbalisation
de l’enfant ou de l’adolescent telle qu’elle se déploie au fil des planches. Au
sein de cette verbalisation, sont identifiées les réponses au sens Rorschach de
l’utilisation de ce terme (voir supra), numérotées en continu de la première
à la dernière planche.
Pour des raisons de commodité dans la perspective du traitement du
protocole, il est proposé d’adopter une présentation du protocole en trois
colonnes1, présentation qui correspond au canevas à partir duquel la
verbalisation de l’enfant ou de l’adolescent pourra être recueillie dans le
temps de la passation :
• La première colonne porte le recueil du corpus de verbalisation, elle est
précédée de la mention de la planche considérée et du temps pendant
lequel l’enfant ou l’adolescent se tient face à la planche2 ;
• La seconde colonne permet, au regard des réponses énoncées lors de la
passation, de porter mention des éléments recueillis à l’enquête (précisions
sur la réponse, inflexion de celles-ci, ajouts de nouvelles réponses) ;
• La troisième colonne est réservée à la cotation de chacune des réponses,
ainsi qu’aux commentaires qui peuvent les accompagner (référence aux
tendances3 qui émergent de la lecture clinique des réponses, hypothèses
de compréhension du processus en jeu dans la production de la réponse

1. Voir en p. 67 et suivantes un exemple de présentation d’un protocole, ici celui d’un enfant de
9 ans et 9 mois.
2. Le temps total indiqué en fin de protocole comprend le temps strictement consacré à la passation
de l’épreuve, le temps de l’enquête, qui est souvent plus important que celui de la passation, n’est pas
pris en compte dans le temps de la passation.
3. On nomme tendance au Rorschach la présence d’un critère de cotation pour lequel un doute
empêche de le considérer comme partie prenante de la cotation. Exemple, planche V, Romain,
12 ans : « un papillon de nuit », enquête : « c’est la forme, les papillons de nuit ont des ailes plus longues,
elles leur servent de gouvernail la nuit ». Dans cette réponse, le caractère sombre de la planche n’est pas
explicitement nommé pour expliciter le choix du « papillon de nuit », alors même que la référence
à la nuit est énoncée de manière prégnante ; une cotation de la prise en compte de la couleur
achromatique (G FC’ A Ban) pourrait apparaître comme une extrapolation au-delà du discours du
pré-adolescent. On pourra préférer une cotation du type : G F+ A Ban > FC’.
64 Méthodologie de l’épreuve de Rorschach

lorsque celui-ci n’apparaît pas dans une telle évidence qu’il peut se trouver
inclus dans la cotation...).

Il n’est pas indifférent, par ailleurs, de se doter de signes conventionnels


qui permettent d’appréhender au plus près la dynamique présidant à la
production du discours de l’enfant ou de l’adolescent. Outre la mention
des différents temps qui organisent les séquences temporelles de l’épreuve,
seront notées, entre parenthèses, les manifestations corporelles, motrices,
émotionnelles de l’enfant ou de l’adolescent.
Par ailleurs, la mention des renversements de planche revêt une importance
tout à fait particulière, dans la mesure où elle rend compte de la qualité et
de la nature de l’investissement moteur dans la production du discours. Les
différents renversements de la planche imprimés par l’enfant ou l’adolescent
seront indiqués à l’aide de signes aisément partageables au sein de la
communauté des psychologues, praticiens des épreuves projectives :
▲ pour la planche interprétée en position droite (l’absence de mention
spécifique implique que la planche se trouve dans la position dans laquelle
elle a été présentée, c’est-à-dire en position droite) ;
pour la planche interprétée après une rotation d’un quart de tour sur

la droite suite à l’intervention de l’enfant ou de l’adolescent ;


pour la planche interprétée après une rotation d’un quart de tour sur
la gauche ;
▼ pour la planche interprétée après une rotation d’un demi-tour.

On prendra soin également de mentionner, à l’aide d’un signe identifiable


(on peut proposer de recourir à l’insertion, avant le signe de renversement de
la planche, d’une initiale placée entre parenthèses – E pour examinateur, ou
C pour clinicien), les cas dans lesquels c’est le psychologue, afin de soutenir
l’enfant ou l’adolescent qui aura réalisé une proposition de renversement
de la planche.
Dans la perspective d’une étude fine de la place de l’investissement moteur
chez des enfants présentant des troubles dans le registre de l’instabilité
psychomotrice, P. Claudon (2006) propose de systématiser la prise en
compte de ces renversements en introduisant un indice supplémentaire
dans la synthèse des données issues de la cotation. L’indice Mp (pour
« mouvement des planches » vise à rendre compte de la fréquence avec
laquelle l’enfant procède à des renversements de planches au fil de la passation.
Ces renversements de planche, pour une part mobilisés au service du travail
de représentation (agir comme soutien au travail de symbolisation versus
agir comme évitement de la symbolisation) doivent être différenciés, comme
Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent 65

le note P. Claudon, de l’expression des agirs corporels qui s’expriment en-


dehors de la mobilisation du matériel de l’épreuve de Rorschach : au même
titre que les procédés hors-jeu dans les épreuves projectives de jeu (Boekholt,
1993 ; Roman, 2005), ces formes expressives témoignent d’une mise en
échec du processus de mise en représentation, échec de la transformation de
la représentation-chose à la représentation-mot.

Modèle de psychogramme
Nom : Sexe : Age : Date :
Prénom :
R: Refus :

Temps total Temps/réponse Temps latence moyen

G: } F: }F% H: }
Gz : } Hd : }H%
Gbl : }G% F+ : }
G Conf: } F+/- : } F+ % (H) :
G Cont: } (Hd) :
F- :
(G) : A: }
K: Ad : } A%
D: }D% Adev :
kp : (A)
Do : kan :
Ddo : kob : Scène :
kex :
Anat :
FC : Sexe :
Dd : CF : Sang :
Ddi : C:
Dde : Bot :
FC’ : Elem :
Dbl : C’F : Frag :
C’ : Obj :
Ddbl : Pays :
Cn Géo :
Type d’appréhension Art :
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

G%: FE : Sci :
D%: EF : Symb :
Dd % : E: Arch :
Dbl % : Abstr :
FClob : Divers :
Succession : ClobF :
Clob : Ban :

F+ % élargi : Ang % :
!
C: Pl + :
TRI : Pl h- :
! !
k/ E :

RC % :
66 Méthodologie de l’épreuve de Rorschach

Exemple de protocole de Rorschach – Steve, 9 ans et 9 mois


Pl. Temps R Passation Enquête Cotation

1 Un papillon. Déjà tu vois les ailes,


I 0:00:10 les deux ailes avec le G F+ A Ban
milieu.
2 ( ?) Une chauve-souris, Les ailes aussi, deux
G F+ A Ban
voilà c’est bon. petites pattes pour pou-
kan
voir se cramponner.

3 Ben deux personnes Coup de pied un peu


un peu qui se qui fait gicler le sang...
II 0:00:30 battent...voilà... deux personnes avec G KC H
un visage rouge qui se
tiennent les mains.

4 Deux personnes qui


III 0:00:35
dansent un peu, aussi...
oui qui s’écartent en Avec la vitesse les petits
fait, voilà (semble traits (D7).
D K H Ban
s’« installer » dans
l’épreuve).
5 (L. 0 :10) (Sourit) Tronc, les feuilles qui
Un vieil arbre, voilà. sont vieilles depuis
IV 0:00:35 longtemps (E ?), la G FE Bot
longueur, on dirait
qu’elles tombent.

6 Ça, ça me refait pen- Les ailes, les petites


ser à une chauve-souris, pattes, les pattes pour
c’est bon. se cramponner fine- G F+ A Ban
V 0:00:20
ment au mur... un peu kan
comme si elle volait,
quoi...

7 À une guitare un peu, Les trucs pour régler


VI 0:00:25 G F+ Obj
voilà. (D2) le manche.

8 Ben... ça a des mains un Ou des visages...


peu collées quoi. (D1+D3)... un peu là
VII 0:00:25 D F- Hd
(D10.)... des mains
lèvent le doigt (D1+D3).

9 C’est un peu un sque- Là les ossements (D4)...


lette... un squelette qui... comme si le squelette G F+ A/Anat
VIII 0:00:35
avec des bêtes qui... poussait les bêtes. Ban
voilà.

10 Ça à une fontaine voilà. L’eau (D8)... y a un petit D/Dbl


IX 0:00:15
tube pour remplir (D5). F- Arch/Elem

11 (L. 0 :10) Ça... je sais pas D1, D7, D8, D9, D6, D4
des petits monstres...
X 0:00:35 DD kan (A)
qui viennent un peu par-
tout... voilà.
Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent 67

Durée totale de la passation : 00:04:25

Pl+ Un peu tous... moi ?

Un peu tous... moi ?J’aime bien tout ce qui est fontaine


IX
un peu, il y a beaucoup de couleurs.

VIII Il y a aussi beaucoup de couleurs et elles vont ensemble.

Pl- II Celle-là je pense, j’aime pas ce qui est violence.


Ben les arbres...normalement ça meurt pas... si ça meurt
IV
mais j’aime pas trop quand ça meurt.

Psychogramme résumé
Temps total : Temps/ réponse : Temps latence moyen :
R = 11
4. 25’ 0. 26’ 0. 02’
G:7 F:7 F% : 63 H:2

D:2 F+ : 5 F+% : 71 Hd : 1

DD : 1 F- : 2 Anat : 1

D/Dbl : 1 H% : 27

K:2

G% : 63 kan : 1 A:4

D% : 37 A% : 37

FE : 1 (A) : 1

Bot : 1

ΣC:0 Arch : 1

T.R.I : 2/0 Elem : 1


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RC% : 27 Ban : 5

Ang% : 18

Le modèle de l’évaluation du fonctionnement psychique


en clinique de l’enfant et de l’adolescent

On l’a dit, le projet de la rencontre de l’enfant ou de l’adolescent en


situation de consultation ne peut en aucun cas se résoudre à la perspective
d’un diagnostic psychopathologique. Dans ce sens, il importe de relever,
avant tout, ce qui permet de spécifier, dans une approche dynamique, les
68 Méthodologie de l’épreuve de Rorschach

grandes lignes du fonctionnement psychique de l’enfant ou de l’adolescent,


en prenant en compte la caractéristique propre de cette population, à savoir
son inscription dans une logique de développement.
Ainsi, je propose de prendre en compte, dans un entrecroisement
des regards, d’une part les différents items qui témoignent du registre
de fonctionnement psychique du sujet, et d’autre part la référence au
développement de l’enfant, considéré dans la logique des modalités de
traitement de la pulsion d’une part, et de la dynamique conflictuelle d’autre
part... et ce, sur le fond de la prise en compte de ce que les projectivistes
de l’École de Paris (Emmanuelli et coll., 2001) nomment la « clinique de
la passation ». Il faut ajouter, par ailleurs, qu’au-delà des aspects péjoratifs
voire psychopathologiques du fonctionnement psychique dont les productions
projectives peuvent témoigner, l’accent sera mis d’une part sur les potentiels
de l’enfant ou de l’adolescent, et d’autre part sur les ressources dont les
productions projectives rendent compte.

➤ Les composantes de l’évaluation du fonctionnement psychique

Dans le fil des propositions des projectivistes de l’École de Paris (Emmanuelli


et coll., 2001), réalisées dans le cadre de la clinique adulte, il me paraît
alors pertinent de retenir trois aspects principaux afin d’élaborer une
compréhension du fonctionnement psychique de l’enfant ou de l’adolescent :
– la clinique de la passation,
– les processus de pensée,
– et le traitement des conflits.
Ces trois aspects seront servis par une lecture attentive de la production
projective, tant au travers des aspects formels (issus de la cotation du
protocole de Rorschach), que des aspects cliniques qualitatifs (issus d’une
approche de la conflictualité sous-jacente, au regard du traitement des
sollicitations latentes des planches).
À partir de là, pourra se tisser une compréhension des principaux
organisateurs de la vie psychique, pris entre mouvements pulsionnels et
représentation.
La clinique de la passation
La prise en compte des éléments liés à la clinique de la passation conduit
à une attention particulière à tout ce qui concourt, dans la situation de
l’épreuve projective, à la production de la réponse face aux planches – ou à
Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent 69

ses empêchements. Outre le climat de la rencontre clinique et de la passation,


on s’attachera à la qualité des engagements transférentiels et à l’ensemble
des éléments qui fondent la spécificité de l’investissement de l’enfant ou de
l’adolescent à l’égard d’une tâche qui le mobilise dans le lien à un adulte,
représentant d’une figure parentale et/ou d’autorité.
On sera également soucieux de relever ce que l’on pourrait nommer
comme le style de la production de l’enfant ou de l’adolescent : éléments
concernant le rythme de la passation, la productivité, avec les éventuelles
ruptures qui se donnent à voir au fil de la production projective. Ce
style concerne non seulement la verbalisation (cf. infra), mais également
l’engagement moteur et sensoriel de l’enfant ou de l’adolescent. Les
différentes manifestations hors-jeu (Boekholt, 1993) de l’enfant ou de
l’adolescent (motricité et/ou verbalisation exercées en dehors de la situation
projective, échappée du cadre de la passation avec des déplacements voire
sorties de la pièce...) seront particulièrement notées, dans la mesure où
elles sont susceptibles de contribuer, on le verra plus tard, au processus de
symbolisation engagé dans la rencontre avec les planches de Rorschach.
Les processus de pensée
On considérera avec M. Emmanuelli (1994) l’importance de considérer la
place des processus de pensée dans le cadre de la passation des épreuves
projectives, et de l’épreuve de Rorschach en particulier pour ce qui nous
intéresse ici. L’attention sera donc portée non seulement sur le contenu du
discours (qualité et étendue du vocabulaire et du déploiement du champ
sémantique) mais également sur la forme du discours (structuration, syntaxe
et organisation des différents constituants du discours). Depuis les travaux
de V. Shentoub et de son équipe (1990) consacrés aux procédés de discours
dans le TAT, on connaît toute l’importance de la prise en compte de la
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forme du discours, envisagée comme porteuse des stratégies défensives du


sujet.
D’une manière plus générale, l’analyse des processus de pensée concernera
la manière dont l’enfant ou l’adolescent s’aménage avec le traitement du
percept qui lui est proposé au travers de la planche de Rorschach, et la
qualité de l’articulation qui s’opère, dans le langage, entre réalité externe et
réalité interne.
Le traitement des conflits
Il s’agit là du troisième volet qui concourt à l’évaluation du fonctionnement
psychique de l’enfant ou de l’adolescent. Dans ce contexte, seront relevés
l’ensemble des indicateurs qui permettent d’appréhender les organisateurs
70 Méthodologie de l’épreuve de Rorschach

de la vie psychique de l’enfant ou de l’adolescent. On peut identifier ces


organisateurs autour de cinq pôles qui, bien sûr, se présentent dans une
étroite intrication :
1. le registre de l’angoisse ;
2. la mobilisation des stratégies défensives ;
3. le mode de relation d’objet ;
4. la construction identitaire ;
5. les repères identificatoires.
Ces cinq pôles feront l’objet d’une évaluation par le psychologue à partir
d’un certain nombre d’indicateurs cliniques, qui seront présentés dans le
troisième chapitre de l’ouvrage.

➤ Le développement de l’enfant et de l’adolescent


Au-delà de l’analyse intrinsèque de la production projective de chaque enfant
ou adolescent, il conviendra de référer celle-ci au temps du développement
psychoaffectif dans lequel il s’inscrit.
Deux types de repères peuvent être mobilisés, au regard de la partition
entre les différents âges de développement d’une part, et du registre prévalent
du traitement de la pulsion d’autre part.
Les différents âges du développement de l’enfant et de l’adolescent
Les âges de développement de l’enfant et de l’adolescent peuvent être décrits
autour de cinq temps différenciés qui renvoient chacun à un organisateur
central, dont on fera l’hypothèse qu’il colore de manière spécifique les
productions projectives et, au-delà, le rapport au monde du sujet, dans la
tension qui se donne à voir entre monde interne et monde de la réalité
externe. Il s’agit du temps de la petite enfance, du temps œdipien, du temps
de la latence, puis du temps de la pré-adolescence et de l’adolescence à
proprement parler. Les enjeux spécifiques de chacun de ces temps seront ici
brièvement présentés, en ce qu’ils constituent l’arrière-fond à partir duquel
seront abordées les productions projectives.
• Le temps de la petite enfance, qui s’échelonne, pour ce qui nous intéresse
ici, entre 2 et 4 ans environ. Il s’agit d’un temps dominé par deux
mouvements conjoints :
– d’une part, un dégagement de la dépendance aux premiers objets
d’investissement, lié non seulement à l’accès à la motricité mais
Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent 71

également au contrôle des échanges entre le corps propre et la réalité


du monde environnant,
– d’autre part, un foisonnement de la vie imaginaire qui tend à donner
corps, au lieu du monde interne, à des mouvements de toute-puissance
qui affectait auparavant prioritairement le lien à la réalité externe ; dans
ce contexte, la qualité de la frontière entre réalité interne et monde de
la réalité externe peut se trouver mise en question ;
• Le temps œdipien, que l’on peut situer entre 5 et 7 ans environ, est
classiquement un temps de bouleversement pulsionnel qui préfigure,
d’une certaine manière, le temps ultérieur de l’adolescence. Le temps
œdipien voit se lier, s’organiser et se vectoriser les mouvements pulsionnels
de l’enfant, et l’on peut dire que l’ensemble de la vie psychique de l’enfant
en porte la trace au travers d’émergences libidinales et agressives qui
mobilisent les engagements relationnels de l’enfant... et, partant, infiltrent
les représentations face aux planches de Rorschach (engagements moteurs,
confrontations...) ;
• Le temps de la latence est, dans la tradition freudienne, considéré comme
le temps du refoulement des désirs œdipiens au profit du déploiement
des pulsions épistémophiliques de l’enfant au service des investissements
intellectuels et culturels. Si l’évolution de la conception de ce temps de
la vie psychique ouvre actuellement sur une perspective moins statique
de ce temps de la latence, avec la notion d’un travail de la latence (F.
Marty, 2005), il n’en reste pas moins que la vie psychique de l’enfant
se trouve dominée par la place des investissements et de la curiosité
intellectuels, qui contribuent à colorer les productions projectives. Le
signe le plus tangible de cette évolution se traduit par le recours à une
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verbalisation plus élaborée, en appui sur le choix d’un vocabulaire plus


riche et imagé, traduisant une maturation du processus de symbolisation ;
• Le temps de la pré-adolescence peut être présenté comme un temps de
vacillement et de remise en question des certitudes construites dans le
temps de l’enfance, sous l’impact de la maturation physiologique liée à la
puberté. Les remaniements pulsionnels confrontent le pré-adolescent à
deux enjeux majeurs qui, chacun à leur manière, engagent le travail de
représentation :
– le premier enjeu concerne la transformation du corps et les nécessaires
réaménagements de l’image du corps qui y est associée dans la rencontre
du regard de l’autre,
72 Méthodologie de l’épreuve de Rorschach

– le second enjeu concerne la réactivation des fantasmes œdipiens


(fantasmes meurtriers et incestueux) et le risque de confusion auquel
cette réactivation confronte le pré-adolescent, pris dans un mouvement
paradoxal, entre dépendance et abandon ;
• Le temps de l’adolescence à proprement parler, enfin, consacre le déve-
loppement psychoaffectif en mobilisant l’adolescent dans une double
perspective :
– celle de la confortation de ses choix d’objet amoureux et, partant, de
ses choix identificatoires ;
– celle de l’investissement de la vie sociale comme espace de dégagement
des investissements de la vie familiale, permettant à l’adolescent de
garantir l’autonomie de sa pensée.
Ce dernier temps de maturation se propose ainsi comme un espace de réca-
pitulation, en forme d’après-coup, des différents temps du développement
de la vie psychique, en appui duquel le sujet pourra accéder à une position
d’adulte, caractérisée par un potentiel de mise en jeu de ses investissements
suffisamment dégagés des différentes expériences d’aliénation, internes ou
externes.
Le registre du traitement pulsionnel
Il s’agit simplement ici de rappeler, à la suite des travaux freudiens et
post-freudiens, de quelle manière la vie psychique de l’enfant, au fil
de son développement, va se trouver dominée et affectée par différents
registres de traitement de la pulsion. Ces registres, on le sait, sont au
nombre de quatre principaux : le registre oral, anal, phallique et génital.
Chacun d’entre eux colore de manière spécifique le rapport au monde
de l’enfant et contribue à une modalité du travail de symbolisation.
Par ailleurs, ils accompagnent le développement de l’enfant en prenant
appui sur la maturation physiologique de celui-ci, dans un mouvement de
complexification progressive de l’intrication des différents registres.
En d’autres termes, à un temps, celui de la petite enfance, où domine
l’expression de pulsions dites partielles (c’est-à-dire non encore intégrées à
un système cohérent et articulé), succède un temps d’unification des pulsions
qui culmine dans le temps de la période œdipienne, dominé par la génitalité.
Pour autant, les différents remaniements qui affecteront la vie psychique
de l’enfant puis de l’adolescent porteront tous trace de ces modalités
partielles d’investissement de la pulsion... considérant que le fonctionnement
psychique, dans les différentes étapes de développement qui le constituent,
Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent 73

ne fait que repasser, sur le mode de la spirale, sur les traces des registres
précédents pour en reformuler l’économie.
La mise en œuvre de l’hypothèse qui sous-tend la pratique d’une épreuve
projective considérée comme un « dispositif à symboliser » consistera alors
à repérer, au décours des productions projectives, la manière dont elles
témoignent de ce travail de transformation pulsionnelle, en mettant l’accent
sur les va-et-vient qui animent la vie psychique dans les différents temps de
son élaboration.

➤ Les potentiels et les ressources


On ne peut bien sûr clore ce développement consacré à la synthèse des
données issues de l’interprétation du protocole de l’épreuve de Rorschach
sans envisager la manière dont le psychologue pourra être en mesure de rendre
compte, dans le temps terminal de la situation projective, le temps de la
transmission à l’enfant ou à l’adolescent et à sa famille, de sa compréhension
du fonctionnement psychique dans ses différents aspects : outre la dimension
psychopathologique, dont on a pu voir avec quelle prudence elle doit être
maniée1, il importe de pouvoir dégager et proposer une intelligibilité des
potentiels et des ressources dont témoigne la passation. D’une manière
générale, on peut dire que l’évaluation des potentiels et des ressources de
l’enfant ou de l’adolescent pourra prendre appui sur plusieurs indicateurs :
• La qualité de la production et de la verbalisation et, au sein de celle-ci, les
potentiels d’ajustement et/ou de réaménagement qui se font jour tout au
long de la passation ; on sera en particulier attentif au déploiement du
fil projectif et aux effets de continuité et de discontinuité de la chaine
associative... bien sûr au regard de la grande variété que recouvrent les
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

différentes planches et les stimuli qui les composent ;


• La qualité de l’adresse au psychologue, figure d’un autre dont il s’agit de
décrypter, par la médiation de l’épreuve de Rorschach, son statut dans la
vie psychique de l’enfant ou de l’adolescent ; la capacité de ce dernier à
prendre appui sur le psychologue, à moduler ses sollicitations, à s’inscrire
dans une histoire avec lui, constituent autant de signes qui permettent
d’entrevoir potentiels et ressources du sujet ;

1. Cf. supra, le développement consacré à la transmission des éléments de compréhension clinique et


psychopathologique qui émerge de la passation de l’épreuve de Rorschach, p. 58
74 Méthodologie de l’épreuve de Rorschach

• La mesure des écarts qui s’établissent au sein de l’examen psychologique


mérite une attention toute particulière ; ces écarts sont à envisager au
regard de l’investissement de l’enfant ou de l’adolescent et ce à plusieurs
niveaux : écart entre deux entretiens et occasions de rencontre entre
l’enfant ou l’adolescent et le psychologue ; écart entre deux passations
d’épreuves (cf. la référence à un dispositif d’examen psychologique
comprenant plus d’une épreuve) ; et, enfin, écart au sein même de la
passation de l’épreuve de Rorschach entre le temps de la passation à
proprement parler et le temps de l’enquête, entre le temps de l’enquête et
le temps de l’épreuve des choix : se met en scène ici la capacité de l’enfant
ou de l’adolescent à mobiliser des modalités réflexives, ainsi qu’à mettre
en œuvre des stratégies de dégagement1, autorisant la reprise d’une forme
de contrôle de l’activité représentative.
C’est en appui sur le repérage de ces trois types de manifestations qui
contribuent à témoigner du processus plus ou moins dynamique dans
lequel la vie psychique de l’enfant ou de l’adolescent se trouve engagée, que
pourront émerger des indices de ses potentiels et de ses ressources.

1. On peut se référer à la manière dont V. Shentoub (1990) propose d’utiliser le terme de dégagement
pour qualifier, face à l’épreuve projective du T.A .T, les modalités selon lesquelles un sujet se trouve
en mesure de construire, dans le récit, une issue à la situation nécessairement conflictuelle à laquelle
confronte chacune des planches de l’épreuve.
Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent 75

Synthèse 2 – Le modèle d’évaluation du fonctionnement psychique1

1. Clinique de la passation
Conditions générales de la consultation ;
Mode d’engagement transférentiel ;
Qualité d’investissement de l’épreuve ;
Climat de la rencontre.
2. Les processus de pensée
Mode d’investissement du langage ;
Déploiement de la pensée (continuité/discontinuité) ;
Registre de la symbolisation ;
Qualité du discours et de l’appréhension du matériel de l’épreuve ;
Adéquation des expressions de l’enfant ou de l’adolescent aux éléments
de la réalité externe.
3. Le traitement des conflits
Registre des angoisses ;
Forme des stratégies défensives ;
Mode de relation d’objet ;
Construction identitaire ;
Repères identificatoires.
4. Synthèse et perspectives cliniques
Principaux éléments concourant à situer le registre du fonctionnement
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psychique (au regard des différents organisateurs de la pulsion, oralité,


analité, phallique, génitalité) ;
Inscription du fonctionnement psychique dans une perspective clinique
et psychopathologique (référence à la CFTMEA R-20122 )
Identification des potentiels et des ressources de l’enfant ou de
l’adolescent ;
Perspectives et propositions de soin.

1. Elaboré en référence à M. Emmanuelli & Coll., 2001.


2. CFTMEA R-2012 : Classification Française des Troubles Mentaux de l’Enfant et de l’Adolescent
(version révisée : R. Misès & Coll., 2012).
76 Méthodologie de l’épreuve de Rorschach

Clinique de la réponse au Rorschach

Si l’on peut envisager la réponse proposée face à la planche de l’épreuve de


Rorschach comme témoignant d’une forme de compromis (entre perception
et représentation, entre désir et défense...), l’enjeu du traitement de la
verbalisation qui sous-tend cette production est de mettre en lumière les
modalités de jeu engagées dans le processus psychique engagé par l’enfant
ou l’adolescent. Pour C. Chabert (1998, p. 36), le processus de la réponse
« (...) correspond à ce qui se passe dans la création – retrouvailles de l’objet
transitionnel ».
C’est dans ce contexte qu’il importe de considérer, ainsi que je l’ai proposé
précédemment, le travail de la cotation comme un processus, et non comme
une fin en soi : le clinicien se voit convoqué, au décours de ce travail, à une
forme d’archéologie de la réponse face à l’épreuve de Rorschach, archéologie
qui le fonde à des investigations qui tout à la fois s’adressent à l’enfant
ou à l’adolescent engagé dans l’épreuve et à sa propre connaissance et/ou
culture de l’épreuve et de sa complexité. Ainsi, le processus de cotation de la
réponse au Rorschach vise-t-il à une objectivation de l’engagement subjectif
de l’enfant ou de l’adolescent dans la production de la réponse ; en d’autres
termes, à une plongée dans le travail de symbolisation mobilisé par l’épreuve
dans le cadre de la situation projective.
Une telle affirmation ne doit pas laisser sous-estimer l’importance et la
rigueur de la démarche de cotation dans la mesure où celle-ci autorise un
premier ancrage en vue de l’évaluation du fonctionnement psychique de
l’enfant ou de l’adolescent ainsi qu’une forme de garde-fou au regard d’une
pratique interprétative (voire sauvagement interprétative) en appui sur les
seuls contenus de discours. En effet, la dimension de standardisation de
l’épreuve, à partir de laquelle se fonde la scientificité de la démarche, inclut
la démarche méthodologique qui concourt à la cotation et à la synthèse des
données issues de celle-ci.
Ce développement se propose d’explorer le monde complexe de la cotation
des réponses au Rorschach, au travers des spécificités auxquelles nous
convoquent les protocoles d’enfants et d’adolescents. Il s’agira tout à la fois :
• de présenter les différents registres de la cotation, en en proposant les
grandes lignes dans une perspective de soutien méthodologique à cette
pratique ;
Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent 77

• de définir le sens de chacun de ces registres de cotation et des formes


expressives qu’ils recèlent, afin d’ouvrir sur les différents axes de lecture
clinique qui se dégagent de leur élaboration.
Chacun des trois grands registres de cotation sera abordé successivement
(mode d’appréhension, déterminant, contenu), discuté de manière appro-
fondie et illustré par des fragments de protocoles. Enfin, une dernière partie
sera consacrée à la synthèse des cotations et à ce que l’on peut nommer
des indices spécifiques qui viennent, en appui sur la cotation, témoigner de
mouvements singuliers dans la vie psychique de l’enfant ou de l’adolescent.
Il convient de préciser cependant que cet ouvrage ne se propose pas
comme un énième guide à la cotation des protocoles de Rorschach, à partir
d’une reprise systématique de chacune d’entre elles. Je renvoie le lecteur,
pour les aspects les plus techniques de la cotation à l’ouvrage incontournable
de N. Rausch de Traubenberg (1970). Pour ma part, mon projet se situe
davantage dans une mise en perspective du régime de cotation avec la
dynamique du fonctionnement psychique de l’enfant et de l’adolescent,
dans la dimension développementale qui la sous-tend.

Discrimination perceptive : les modes d’appréhension

L’analyse du mode d’appréhension de la planche constitue un enjeu majeur


quant à l’engagement dans l’épreuve, dans la mesure où elle nous propose
une première indication quant au mode d’être au monde de l’enfant ou de
l’adolescent. En effet, le mode d’appréhension, que l’on nomme également,
de manière plus explicite mais peut-être réductrice, localisation, renvoie
au mode de traitement perceptif de la planche par le sujet. Le mode
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d’appréhension concerne la découpe du stimulus retenue comme support


d’émergence de la représentation (cotée G pour une réponse globale, D pour
une réponse de grand détail, Dd pour une réponse de petit détail, Dbl pour
une réponse de détail blanc) ; il rend compte des modalités d’inscription
du sujet dans la réalité environnante et de sa capacité à y prendre place
de manière suffisamment différenciée (en appui sur une différenciation
forme/fond) et de manière suffisamment souple, active et créatrice (la
succession des modes d’appréhension fera l’objet d’une analyse particulière).
Aborder les productions au Rorschach à partir du mode d’appréhension
invite à porter un regard singulier sur le registre dans lequel l’enfant ou
l’adolescent se situe dans cette expérience du trouvé-créé de la situation
projective. Comment, en effet, peut-il trouver appui sur la concrétude des
78 Méthodologie de l’épreuve de Rorschach

limites du stimulus pour construire une représentation ? Comment est-il en


mesure d’appréhender la spécificité de chacune des planches, dans la mesure
où elles présentent des configurations différenciées dans l’organisation du
stimulus sur la planche (compact versus bilatéral, unitaire versus découpé,
ouvert versus fermé...) ? De quelle manière la succession des planches
permet-elle à l’enfant ou l’adolescent de jouer avec les écarts proposés par le
stimulus et d’imprimer sa propre marque à celui-ci ? Selon quelles modalités,
enfin, la capacité de l’enfant à construire un fond interne sur lequel viendrait
se projeter la scène de la planche projective, peut-elle être repérée comme
déterminante dans son activité de symbolisation ?
Ces différents aspects seront traités autour de quatre axes principaux,
qui permettront de croiser les questions liées à la cotation des réponses à
l’épreuve de Rorschach.

➤ La différenciation forme/fond (Gbl, Dbl, Ddbl)


La différenciation forme/fond constitue le premier enjeu de la rencontre
avec la planche et, plus précisément, avec le stimulus dont l’enfant ou
l’adolescent aura à se saisir afin de mobiliser un écran interne, sur le mode
de l’écran du rêve, ainsi que le propose B. Lewin (1972), sur lequel pourra
prendre appui le processus de symbolisation. Rappelons que le processus de
symbolisation requiert, outre l’identification du stimulus, sa mise en tension
avec une image interne suffisamment disponible. Ce n’est qu’au prix de
cet écart, qui introduit une profondeur/épaisseur dans l’appréhension du
matériel projectif, que pourra se construire une enveloppe projective 1 , témoin
de l’enveloppe maternelle primitive, matrice du processus de symbolisation.
Car au fond, la problématique de la différenciation forme/fond convoque
aux origines du processus de symbolisation. Si l’on peut considérer que la
rencontre de l’épreuve projective, et de l’épreuve de Rorschach en particulier,
invite à revisiter l’histoire du processus de symbolisation, on comprend de
quelle manière l’attention portée à la dynamique entre forme et fond, figure
et fond, constitue le fondement de toute démarche d’objectivation du mode
de production de la réponse.
Avant d’envisager les prolongements techniques de ces premières réflexions
sur la prise en compte de la différenciation forme/fond, il convient de

1. Pour un développement sur ce point, et une discussion sur les rapports entre projection, création et
symbolisation, voir P. Roman (2001), « Des enveloppes psychiques aux enveloppes projectives: travail
de la symbolisation et paradoxe de la négativité », Psychologie clinique et projective.
Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent 79

s’arrêter sur quelques développements théoriques liés à la notion d’enveloppe


maternelle primitive dans la dimension heuristique qu’elle me paraît contenir.
Ainsi que je l’ai dit (cf. supra) :
« L’enveloppe maternelle primitive consisterait dans l’intériorisation des
qualités des premières rencontres avec la mère-environnement, rencontres
qui se constituent comme siège des premières émergences de la symbolisa-
tion. »
J’ai par ailleurs à différentes reprises eu l’occasion de soutenir que le
premier dispositif à symboliser de l’enfant, c’est le corps de la mère, comme
creuset et comme butée des mouvements qui président au travail de
symbolisation.
Dans cette lignée, l’enveloppe maternelle primitive représenterait ces
premières expériences du fond sur lequel se sont développés les mouvements
de transformation des éprouvés primaires sur le plan de la sensorialité :
support des premières représentations accompagnant le processus de mise
en image de ces éprouvés, l’enveloppe maternelle primitive soutiendrait
les procédures d’auto-information du sujet, mouvement participant de
l’élaboration du Moi-peau, comme préforme du Moi.
Ainsi l’enveloppe maternelle primitive se construit-elle de la qualité des
échanges précoces avec la mère, dans leur dimension de réassurance, de
protection et de contenance, mais également d’élaboration du sens, sur le
fond de la rupture irrémédiable de la fusion des corps de la mère et de l’enfant.
C’est dans cette mesure que je propose de retenir spécifiquement la notion
d’enveloppe maternelle primitive comme analyseur de l’élaboration de la
différenciation forme/fond à l’épreuve de Rorschach. L’enveloppe maternelle
primitive, en tant que figuration de l’espace prototypique du déploiement
de la symbolisation, est mise en jeu dans la rencontre avec un dispositif
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

qui mobilise, au travers du matériel, des éprouvés dont l’engagement de


traitement par l’intermédiaire de la consigne engage sur la voie d’une
répétition, d’une activation des traces de l’histoire des processus : sollicitant
au plus intime les ressources créatrices du sujet, l’épreuve projective autorise,
par l’adresse qu’elle contient, l’inscription dans un champ de relation qui
lui confère une fonction de médiation.
L’enveloppe maternelle primitive constituerait alors un espace de mise
en abyme1 du travail du négatif : c’est à ce titre que je la retiens comme

1. La référence à l’ouvrage d’A. Green (Le travail du négatif, 1993) est ici implicite, et elle traverse
l’ensemble des propositions évoquées dans le présent texte : la perspective de définition des figures du
80 Méthodologie de l’épreuve de Rorschach

analyseur privilégié des procédures de symbolisation dans le cadre de la


méthode projective, témoin des mouvements de paradoxalité initiés par ce
travail du négatif qui met en jeu la qualité de la constitution des enveloppes
psychiques. À partir de là, pourrait être réécrit le paradoxe de la négativité,
dans une réinscription de l’expérience du corps aux fondements même de
l’instauration d’une topique, siège de la vectorisation pulsionnelle au sein
de la vie psychique :
« L’enveloppe maternelle primitive se construit sur la rupture de l’enve-
loppe placentaire, dans la capacité de la mère et de son enfant de traiter
l’effraction de la déchirure dans une figure contenante. » (Roman, 2001).
Au fond, tel est l’enjeu princeps de la rencontre de la planche de Rorschach,
enjeu que l’on peut décliner autour de deux propositions : élaborer une
profondeur, siège de la différenciation, et rétablir une continuité au cœur
de cette rupture radicale qu’engage la différenciation.
C’est tout particulièrement autour de l’appréhension du blanc de la
planche de Rorschach, de la part en creux du matériel, que va se loger
l’analyse du registre de la différenciation au sein duquel se déploient les
processus de symbolisation de l’enfant et de l’adolescent. En filigrane, la
problématique de la différenciation Moi/non-Moi se trouve également
engagée.
Si l’appréhension du blanc est offerte potentiellement dans la présentation
de chacune des planches de l’épreuve de Rorschach, dans la mesure de la
disposition du stimulus sur un fond blanc, elle sera particulièrement marquée
aux planches qui s’organisent autour d’un blanc intermaculaire1 : il s’agit
des planches II, VII et IX et, dans une moindre mesure, des planches I et X.
Il conviendra cependant de ne pas occulter les formes de recours au blanc
qui incluent le fond blanc de la planche comme élément en plein de la
réponse, l’enjeu étant de pouvoir situer d’une part la manière dont ce qui se
donne comme fond est accueilli par l’enfant ou l’adolescent comme forme,
et d’autre part le rapport qui s’établit entre ces deux registres perceptifs dans
la production de la réponse.
Classiquement, trois types de cotation sont proposés pour rendre compte
du travail du blanc dans les protocoles de Rorschach :

négatif permet de contenir les différentes modalités de mise en jeu de la négativité dans les expressions
projectives.
1. On parle parfois de vide intermaculaire, dans une formulation sans doute abusive, en ce qu’elle
préfigure a priori le registre dans lequel le blanc est investi...
Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent 81

– La cotation en Gbl, pour une réponse qui prend en compte la totalité


de la tache en y incluant les parties blanches qui la composent :
Caroline, 9 ans et 4 mois, planche I
« Heu... un papillon, heu une main, il manque des doigts... heu, des
taches... dessus le papillon, des taches sur les ailes du papillon... (Ddbl),
des trous dans ses ailes (Ddbl), et les antennes qui sont pas de la même
taille »
Omar, 17 ans et 3 mois, planche II
(réponse additionnelle, à l’enquête, suite à un refus à la passation) :
« On dirait un monstre avec ses yeux (D rouge supérieur) et sa bouche
ouverte (Dbl central) ».
Ou, de manière moins attendue, pour une réponse qui s’appuie sur
l’introduction de tout ou partie du blanc qui entoure le stimulus :
Agathe, 6 ans et 8 mois, planche V
« La trace d’un animal quand il marche dans la neige. »

– La cotation en Dbl, pour une réponse qui s’appuie sur une découpe
centrée sur une partie blanche significative de la tache1 ;
Louisa, 7 ans, planche II
« Un gros trou » (dans le blanc central).
Félix, 17 ans et 10 mois, planche II
« Vous voulez que je vois quoi ? on dirait une toupie comme ça, comme
ça on dirait un missile. »
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– La cotation en Ddbl, pour une réponse qui s’appuie sur une découpe
centrée sur une partie blanche marginale de la tache.
Amel, 12 ans et 9 mois, planche IX
« Un nez » (dans le petit détail blanc intermaculaire dans le détail axial).
Ces cotations reposent sur une lecture que l’on pourrait qualifier de
statique du mode d’appréhension du blanc comme entité en soi. Elles

1. Une liste des découpes reconnues comme détails significatifs, dans le blanc ou dans d’autres
parties du stimulus, a été établie sur des critères statistiques et fait référence pour la détermination
des Dbl versus Ddbl, de même que pour la détermination des D versus Dd. Voir à ce sujet D. Anzieu,
C. Chabert, 1983, et la Synthèse 3, p. 96.
82 Méthodologie de l’épreuve de Rorschach

prennent en compte l’aspect le plus formel de l’appréhension de la planche,


sans en envisager la dynamique sous-jacente.
À partir de là, je propose, afin de mettre au travail la problématique de
différenciation forme/fond en clinique de l’enfant et de l’adolescent, de
reprendre la distinction proposée par E. Bohm (1951) entre deux modalités
de traitement des espaces intermaculaires :
• d’une part sur le mode du retournement-figure-fond (qu’il traduit par
l’abréviation R.F.F) ;
• d’autre part sur le mode de la fusion-forme-fond (qu’il traduit par
l’abréviation F.F.F).
En effet, au-delà d’une approche formelle de l’utilisation du blanc dans la
production de la réponse, sa place dans le processus de mise en représentation
s’avère tout à fait déterminante en ce qu’elle signe des registres d’élaboration
du mode de rapport au monde spécifiques.
Dans la réponse qui s’établit à partir d’un retournement-forme-fond, la
différenciation entre la figure et le fond est avérée, et elle autorise l’accès
à une épaisseur de la mise en représentation, sans préjuger pour autant de
la qualité contenante de la représentation proposée. Trois des exemples
proposés ci-dessus renvoient à cette forme d’appréhension du blanc en
tant que retournement-forme-fond : celui d’Agathe, celui de Louisa et celui
d’Amel. Cependant, on ne peut considérer que chacune de ces réponses
dans le blanc de la planche de Rorschach possède une valeur équivalente : si
l’on reprend les exemples présentés précédemment, on peut remarquer la
richesse constitutive de ce mode de traitement du rapport entre forme et
fond :
• La réponse d’Amel (planche IX : « un nez »), ou celle de Félix (planche II :
« on dirait une toupie comme ça, comme ça on dirait un missile »)
mobilisent un véritable retournement-forme-fond qui ouvre sur une
figure de différenciation avérée ;
• La réponse d’Agathe (planche V : « la trace d’un animal quand il marche
dans la neige ») quant à elle, mobilise une figure complexe, dans la mesure
de l’interprétation conjointe de la forme (la « trace ») et du fond (« la
neige »), impliquant l’élaboration d’une représentation qui se détache sur
un fond qui est nommé en tant que tel ;
• En revanche, la réponse proposée par Louisa (planche II : « un gros trou »)
interroge sur la fiabilité de l’instauration d’une scène interne, sur laquelle
Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent 83

pourront se déployer des représentations diversifiées, au regard de la mise


en scène d’une attraction du vide.
Dans la réponse qui procède d’une fusion-forme-fond, l’organisation du
rapport entre la forme et le fond s’inscrit dans une ambiguïté, en proposant
de (re-) présenter sur le même plan ce qui est proposé comme fond (le blanc
de la planche de Rorschach) et la forme.
Ainsi Caroline (9 ans et 4 mois) nous en donne une illustration,
lorsqu’elle évoque une représentation de papillon aux ailes tachées et/ou
trouées à la planche I :
« Heu... un papillon, heu une main, il manque des doigts... heu, des
taches... dessus le papillon, des taches sur les ailes du papillon... des... des
trous dans ses ailes et... les antennes qui sont pas de la même taille. »

Son évocation laisse planer une ambiguïté quant au mode de traitement


de la réalité qui l’entoure, dans la mesure de l’indécision qui s’exprime dans
le traitement du blanc de la planche : mise à plat du stimulus («des taches sur
les ailes du papillon ») ou mise à mal du fond interne à partir duquel peuvent
se déployer les représentations (« ... des trous dans ses ailes... »).
D’autres types de réponses de fusion-forme-fond témoignent de manière
plus explicite de la difficulté de l’enfant de construire ce fond interne, stable
et structurant.
Comme celles proposées par Miloud, 6 ans et 9 mois à la planche II :
« Une tête... un tigre », enquête : « les yeux (D2), le nez (Dbl central),
la langue (D3) et la bouche... là le nez du tigre (Dbl central) », puis
« un clown », enquête : « tout là c’est blanc (contours et fond blanc de la
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planche), et les clowns c’est blanc tout là... la pommade du clown. »

Cette séquence de réponses à la planche II de l’épreuve du Rorschach met


en jeu la précarité de la différenciation forme/fond, dans une configuration
au sein de laquelle le blanc tend à se trouver convoqué dans une figure
d’effacement : tout se passe comme si l’émergence de la représentation se
trouvait mise à mal par une saisie du blanc qui porte atteinte à la stabilité
des objets internes.
Sur un mode intermédiaire, d’autres réponses impliquant le blanc
interrogent quant à la constitution d’une enveloppe projective, support
d’une possible figure identificatoire.
84 Méthodologie de l’épreuve de Rorschach

C’est ce que tente de mettre en scène Amar, 8 ans et 8 mois, ici à la


planche X :
« C’est la dernière... c’est la plus dure... c’est dans les chevaliers du
Zodiaque, c’est le méchant... ils ont la moitié du truc en or, eux aussi ils
veulent se prendre l’autre moitié... on voit le méchant », enquête : « le
menton (D 8), les yeux (D 6), la tête (D9 + Ddbl entre D9). »

Comme cela est souvent le cas à la planche X, l’effort d’unification du


stimulus, à une planche qui voit une large dispersion de celui-ci, passe par
la constitution d’une sorte de peau à partir du fond blanc de la planche (ou,
tout du moins, du blanc circonscrit entre les formes roses qui ont valeur
structurante pour cette planche). La fusion-forme-fond soutient ici une
potentialité organisatrice au regard de la dispersion du stimulus, dans le
projet de l’élaboration d’une représentation humaine, largement mobilisée
dans un imaginaire marqué par une quête narcissique/phallique (« ... ils ont
la moitié du truc en or, eux aussi ils veulent se prendre l’autre moitié »)
engagée dans un contexte persécutoire (« on voit le méchant »).
Si l’on ne peut que souscrire aux constats réalisés de manière empirique
par N. Rausch de Traubenberg et M.F. Boizou (1984), ou de manière
statistique par J. Blomart (1998), concernant la faible représentation de
l’appréhension du blanc, en tant qu’appréhension primaire (Dbl ou Ddbl)
par les jeunes enfants (si ce n’est en forme de nomination de l’espace, référée
à des représentations peu élaborées, et non intégrées à une économie générale
de l’interprétation de la planche : « trou », « triangle », « creux »...), il n’en
demeure pas moins que l’implication des espaces intermaculaires traverse
une bonne partie des protocoles d’enfants et d’adolescents.
Chez les jeunes enfants, l’appréhension du blanc se trouve bien souvent
associée à des formes de vacillement, qui portent tout autant sur le processus
de production de la réponse que sur le contenu de représentation et signe,
à ce titre, une marque de doute quant à la qualité des objets internes. On
peut d’ailleurs rapprocher cette manifestation des marques de syncrétisme
qui émaillent la production des réponses globales1 chez les jeunes enfants.
Les grands enfants, les pré-adolescents et les adolescents mobilisent
l’appréhension du blanc dans un projet autre, celui de construire et/ou de
restaurer une continuité face au sentiment que celle-ci se trouve en risque

1. Cf. infra, le développement consacré à la construction d’une entité perceptive.


Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent 85

de leur échapper au regard de la qualité du stimulus qui leur est proposé.


Les espaces intermaculaires seront alors convoqués :
• comme partie prenante des différents composants du stimulus, possible-
ment interprétés pour eux-mêmes ;
• comme constitutif d’un fond de continuité à partir duquel pourra tenter
(ou échouer) à se construire une représentation unifiée.
Il resterait, enfin, à aborder la manière dont les effets de blanc colorent la
production de l’enfant ou de l’adolescent, sans que nécessairement la prise
en compte des espaces intermaculaires puissent faire l’objet d’une cotation
en tant que telle.
Ainsi, Abdel, 12 ans et 1 mois, qui évoque à la planche II :
« À la peau d’une souris, on la coupe et on garde que la peau... ou d’un
ours, d’un animal », enquête : « si on recollait et qu’on mettait quelque
chose dedans, ça ferait un animal, un ours par exemple. »

L’effet de blanc peut être repéré ici dans l’évocation implicite d’un en-creux
de la représentation, manifestement porté par le détail blanc central, à l’égard
duquel ce pré-adolescent tente de proposer une forme de continuité, à partir
de la restauration de sa fonction de contenance (il s’agit de mettre « quelque
chose dedans », pour reprendre la formulation d’Abdel). Pour d’autres, ce
seront les manifestations de rupture qui accompagneront l’appréhension du
blanc...
Au-delà d’une approche phénoménologique de la place de l’appréhension
du blanc dans les productions projectives, il convient d’aborder la valeur
clinique de celle-ci au regard des modes d’expression à partir desquels ils
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apparaissent dans la production projective des enfants et des adolescents. De


manière schématique, trois grandes lignées peuvent être décrites, qui seront
reprises dans le chapitre consacré à la présentation des formes expressives en
fonction de l’âge et du registre de développement psychoaffectif :
• Celle de la rupture de la continuité, dont on peut considérer qu’elle
témoigne d’une mise en question de la représentation de l’intégrité ; cette
lignée se présente de manière différenciée chez de jeunes enfants, avec
les interrogations concernant la construction de l’identité, et chez les
pré-adolescents autour de la remise en jeu des assises identitaires liées à
l’irruption de la puberté ;
• Celle de la confrontation à l’expérience de la perte, expérience dont
l’on connaît, à la suite des travaux de M. Klein (1934, 1940), la
86 Méthodologie de l’épreuve de Rorschach

dimension potentiellement structurante ; dans ce sens, les modalités de


construction des réponses à partir du blanc feront l’objet d’une attention
particulière, afin d’en envisager le niveau d’élaboration dans la perspective
de l’élaboration de la position dépressive infantile ;
• Celle de la rencontre du manque, dans le contexte de la constitution d’un
objet suffisamment stable et fiable, qui met en jeu la dimension de la
complétude au regard du risque porté par la menace de la castration.

➤ La découpe du stimulus (G, D, Dd)


On peut considérer que le choix de la découpe procède de la manière
dont l’enfant ou l’adolescent prend position au regard de la différenciation
forme/fond. En effet, ce choix s’appuie sur la capacité de l’enfant ou de
l’adolescent à opérer une discrimination stable de la figure à l’égard du
fond, et à tracer les contours de la part du stimulus qui fait l’objet d’une
interprétation.
Trois modes d’appréhension peuvent être ici identifiés :
• L’appréhension globale de la planche, cotée G (c’est l’ensemble de la tache
qui est prise en compte par l’enfant ou l’adolescent) ;
• L’appréhension à partir de grands détails1 , dûment répertoriés, cotée D
(une partie délimitée de la planche fait l’objet d’une interprétation) ;
• L’appréhension à partir de petits détails, cotée Dd, dont la définition
s’entend, en négatif, comme référant à tout détail non répertorié dans la
liste des grands détails : de fait, ces petits détails recouvrent une réalité
plurielle, soit détails rares, dont la présence est statistiquement peu attestée,
soit détail de faible amplitude sur l’espace de la planche.
Comme on peut le pressentir, un double enjeu se croise et se télescope dans
le choix de la découpe perceptive du stimulus par l’enfant ou l’adolescent :
ce choix peut être envisagé d’une part en termes de mobilisation psychique,
dans une référence phénoménologique, comme une tension sur l’axe
synthèse/analyse (la réponse dite globale traduisant la capacité de synthèse
de l’enfant ou de l’adolescent alors que la réponse de détail, voire de petit
détail, rend compte de sa capacité d’analyse) ; et d’autre part, au plan
psychodynamique, comme une mise à l’épreuve de la construction de l’objet
total, en appui sur des limites clairement définies. Faisons l’hypothèse,

1. Cf. Synthèse 3, p. 96.


Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent 87

en effet, que la construction de l’objet face à la planche de Rorschach


(c’est-à-dire la construction de la représentation qui en rend compte),
témoigne de la qualité de la structuration des objets internes. Ainsi, l’analyse
de la découpe du stimulus se trouve-t-elle au cœur d’une interrogation sur
le niveau d’adéquation entre le trouvé au-dehors de la planche de l’épreuve
de Rorschach et le créé au-dedans modelé par les organisateurs de la topique
interne de l’enfant ou de l’adolescent.
Dans la perspective du développement psychoaffectif de l’enfant et de
l’adolescent, la question de la constitution de l’objet total est centrale :
elle concerne, en premier lieu, l’origine du déploiement des relations que
l’enfant entretient avec le monde dont il est possible, avec les travaux de
M. Klein (1934), puis de D.W. Winnicott (1957) de se représenter tout
à la fois les invariants et les avatars (avec la place du clivage des objets et
de la destructivité en particulier) et, en second lieu, les réaménagements
adolescents, dont on connaît l’aspect potentiellement dévastateur au plan de
la sécurité des objets internes, sous la pression d’une nouvelle pulsionnalité.
En filigrane, on peut entendre la nécessité de ne pas se limiter, dans la
démarche de déconstruction des réponses énoncées à l’épreuve de Rorschach,
à la seule prise en compte de la découpe du stimulus, dans la mesure où
celui-ci sera coloré par la nature du déterminant qui l’accompagne. En
d’autres termes, c’est dans l’intrication entre les différents critères qui
concourent à la cotation que peut se saisir la complexité des mouvements
qui président à la création d’une réponse Rorschach.
À partir de là, il importe de prendre en compte les différents mouvements
présidant à la découpe du stimulus et à sa mise en forme autour de quelques
points problématiques : quel rapport s’établit, au sein d’un protocole (et/ou
au sein d’un groupe d’âge) entre les différents modes de découpe du stimulus
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

(G, D, Dd), dans la place respective qu’ils occupent et dans leur succession
au fil du protocole ? De quelle manière ces modes d’appréhension, au-delà
de ce qu’ils témoignent d’un type de découpe retenue par l’enfant ou
l’adolescent, peuvent-ils être envisagés du point de vue de la dynamique
de la construction des réponses ? Comment peut-on définir une histoire
des configurations de découpe du stimulus au regard du développement de
l’enfant et de l’adolescent ?
Les réponses globales
En premier lieu, l’approche des différentes formes de réponses globales (G)
permettra de situer la qualité de la démarche visant à la découpe du stimulus,
support de la mise en représentation. On distingue classiquement quatre
formes principales d’appréhension globale de la planche :
88 Méthodologie de l’épreuve de Rorschach

– réponse globale primaire,


– réponse globale élaborée,
– réponse globale juxtaposée,
– réponse globale vague ou impressionniste.
Il conviendra également d’évoquer une modalité de réponse globale qui
peut traverser ces différentes formes, la réponse globale incluant le blanc de la
planche (Gbl). Au fil de son développement, les productions de l’enfant, puis
de l’adolescent, empruntent à ces trois formes, dans des configurations qu’il
convient d’explorer. D’une manière générale, l’appréhension en réponse
globale est considérée comme le témoin d’une démarche synthétique de la
part de l’enfant ou de l’adolescent, qui s’engage dans une appréhension du
monde reposant sur la construction d’une entité plus ou moins structurée.

– Les réponses globales primaires correspondent à une saisie d’emblée du


stimulus dans sa totalité ouvrant sur la production d’une réponse sans
ambiguïté. L’exemple habituel que l’on peut proposer concerne la production
d’une réponse banale.
Flora (13 ans et 1 mois) peut la proposer en ouverture de la planche I :
« Un papillon » ; enquête : « C’est toute la tache, je l’ai vu tout de suite ».

Toutes les réponses globales primaires ne possèdent pas toutefois cette


évidence, signalée comme telle dans la réponse de Flora. Par ailleurs, l’unité
du stimulus (les planches noires et, dans une moindre mesure, les planches
pastel) contribue à autoriser un mode d’approche en forme de réponse
globale primaire, alors que les planches rouge apportent une difficulté
supplémentaire dans un traitement unitaire primaire de la tache. Ainsi,
certaines réponses peuvent être teintées d’une forme de réserve, sans que
pour autant la qualité de la réponse, au sens de la qualité de l’organisateur
interne de la réponse (fiabilité des limites, structure et organisation du
stimulus) n’en soit altérée.
Christian (14 ans) propose la réponse suivante à la planche II :
« Ça serait plutôt un papillon avec les antennes... (D3) et les papillons ils
ont une sorte de petit bout d’ailes (D2) »,
suivie de :
« Une chauve-souris sinon, je vois que des animaux on dirait ben... sinon
je vois pas ce que ça peut être d’autre ».
Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent 89

Cette séquence de réponse introduit une forme de réserve, voire de doute,


qui, semble-t-il, porte moins sur la nature du stimulus lui-même que sur
l’engagement de l’adolescent dans le travail de représentation. On notera
de quelle manière Christian propose une justification, au décours de la
production de la réponse, prenant appui sur les détails rouges de la planche...
sans doute dans une manière de contrôle des parties rouges de la planche,
engageant une émergence pulsionnelle qu’il convient de canaliser. On peut,
de plus, en confirmation de cette hypothèse, entendre la remarque qui suit
la production de la seconde réponse globale primaire (« une chauve-souris »)
comme une manière, marquée par l’ambivalence, de s’attacher aux objets
de l’enfance tout en portant un regard critique sur une telle démarche.
Chez les tout-petits, les réponses globales primaires, si elles sont souvent
présentes, tendent à prendre une forme moins affirmée, ou, en tous les cas,
une forme qui peut interroger le psychologue sur la qualité de la délimitation
et/ou de la structuration du stimulus. Le contexte général du protocole
pourra apporter confirmation ou infirmation de la qualité de ces réponses.
Rémi, 3 ans et 9 mois, propose la séquence de réponses suivante :
– Planche I : « Ça c’est un fantôme », enquête « ils sont comme ça » (Rémi
fait le tour de la tache avec son doigt)
– Planche II : « Un papillon » ; enquête (Rémi fait le tour de la tache avec
son doigt, s’arrête sur le rouge inférieur)
– Planche III : « Ça c’est... je crois que c’est... on pourrait dire que c’est un
autre fantôme », enquête : « ça fait peur, il sauve les gens quand il y a des
monstres » (Rémi fait le tour de l’ensemble des éléments qui constituent
la tache).
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Si cette séquence de réponse permet de situer le caractère de réponse


globale primaire des deux premières réponses aux planches I et II, elle
interroge cependant sur le statut de la réponse proposée par Rémi à la
planche III. Peut-on considérer que le signifiant « fantôme » renvoie à la
structuration d’un engramme clairement identifié comme tel ? ou bien
doit-on considérer que cette réponse constitue une forme de prolongement
de la réponse proposée à la planche I, perdurant dans les investissements
de Rémi et convoquée ici comme recours face à la déstabilisation de la
sollicitation explicitement humaine de la planche III ? L’énoncé de Rémi à
l’enquête, qui s’écarte du stimulus pour proposer une association issue de
90 Méthodologie de l’épreuve de Rorschach

son imaginaire, peut donner crédit à l’hypothèse d’une persévération1 de la


réponse « fantôme » de la planche I.

– Les réponses globales élaborées, dont la particularité a été relevée par S. Beck
(1961) font l’objet d’une cotation particulière au sein des réponses globales :
Gz. Je retiendrai seulement ici la spécification de ces réponses élaborées, qui
reposent sur l’association entre plusieurs éléments du stimulus, identifiés
comme tels, afin de produire une réponse globale, sans reprendre les
propositions de S. Beck de définir différents degrés d’élaboration2 afin de
ne pas alourdir les propositions de cotation.
Ces réponses n’apparaissent que de manière assez exceptionnelle chez les
jeunes enfants.
Maryline (6 ans) tente une telle organisation de la réponse à la
planche III :
« Des oiseaux qui sont à la recherche d’un masque et ils l’ont trouvé...
avec un nœud-papillon au milieu », enquête : « là, la fesse des oiseaux,
un vrai nœud-papillon (D3) et là des chauves-souris (D2) ».

On le voit, Maryline ne peut toutefois véritablement intégrer l’ensemble


des éléments de la planche : le « nœud-papillon » à la passation, puis « les
chauves-souris » à l’enquête, interprétés à partir des détails rouge, ne trouvent
pas à prendre place dans la scène que Maryline tente de construire.
Manoël (10 ans et 10 mois), mobilise de manière constante, tout au
long du protocole, une démarche d’élaboration du stimulus des planches de
Rorschach, et propose, in fine, des réponses globales qui rendent compte de
cette élaboration. Les réponses aux planches III, VIII et IX témoignent de
ce mouvement, puisant largement dans l’imaginaire de l’enfant, et elles se
révèlent plutôt adéquates en termes de structure des représentations :
– Planche III : « là on aurait dit un poste de musique (D7) avec des
instruments en haut (D2) et des personnes qui dansent du classique »,

1. La persévération, à l’épreuve de Rorschach, décrit le phénomène de réitération d’une réponse à


différentes planches, sans que l’adéquation entre le stimulus et la représentation persévérée ne puisse
être véritablement attestée. On peut comprendre le phénomène de persévération comme un avatar
du travail de représentation, au sens où il rendrait compte de la survivance d’une représentation
qui n’aurait pu s’absentifier (être mise en absence) dans l’espace-temps ouvert par le passage de la
présentation d’une planche à une autre. Nous reviendrons sur cette notion en abordant la question
des contenus.
2. Voir sur ce point N. Rausch de Traubenberg et M.F. Boizou (1984).
Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent 91

– Planche VIII : « on aurait dit des personnes (D1) qui taillent un arbre
pour faire une drôle de forme et en dessous de cet arbre il y a des personnes
qui font un pique-nique »,
– Planche IX : « on aurait dit... deux dragons qui se crachent du feu, là
(D3)... et en bas ça serait comme une sorte d’arène où ils sont les deux
dessus », enquête : « leur grand cou (dans D3), et leur corps (D1) ».

Au temps de l’adolescence, ici dans un contexte dysphorique qui n’est pas


sans faire écho avec la problématique de Nicole, 16 ans et 4 mois, au regard
des vécus traumatiques qu’elle a pu connaître, l’élaboration des différentes
parties du stimulus en réponse globale semble tenter de circonscrire, voire
de traiter la difficile rencontre avec la dispersion des taches (et avec leur
couleur ?). Une réponse globale élaborée apparaît à la planche X (mais il
convient de préciser que cette tension vers une élaboration du stimulus est
présente, sans être avérée, dès la planche VIII) :
« Ben on dirait que c’est des animaux qui ont tué... je sais pas... des trucs
bizarres et qui essaient de rentrer quelque part... avec des petites fées
aussi » ; enquête : « Là on dirait deux animaux (D7), du sang (D9) et des
bestioles qu’ils ont tué là (D7) et là les trucs jaunes des petites fées (D2 et
D15)... les fées c’est toujours fait en jaune ou en vert et puis ça a jamais
de forme... ils essaient de rentrer par la porte (D11) ».

On peut ainsi considérer que la valeur des réponses globales élaborées n’est
pas univoque. En effet, tantôt celles-ci renvoient à une tentative d’organiser
le monde, afin de mieux pouvoir se le représenter (on peut ici se référer à
la proposition de Sami-Ali selon laquelle : « la projection est un mode de
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construction du monde1 »), tantôt leur émergence vise à tenter de traiter


les éprouvés souffrants face aux planches (face à un vécu de précarité dans
la rencontre avec le stimulus, dans ses différentes composantes : structure,
couleur...), en appui sur la reconnaissance et la saisie, voire le contrôle défensif
des différentes parties du stimulus. Cependant, toutes rendent compte d’une
approche cognitive complexe du traitement du stimulus, au travers d’une
mobilisation dynamique en direction de la constitution de représentations
élaborées, qui mettent en jeu des opérations de discrimination/analyse et de
combinaison/association des différents éléments du percept.

1. Sami-Ali (1986), De la projection, une étude psychanalytique.


92 Méthodologie de l’épreuve de Rorschach

– Les réponses globales juxtaposées renvoient à des formes de réponses globales


qui peinent à s’organiser dans une mise en représentation complexe des
différentes parties du stimulus qui composent la planche. Elles sont souvent
associées à des planches dans lesquelles les différentes parties du stimulus
sont clairement différenciées, souvent à partir de la différence des couleurs
(planches pastels, VIII, IX et X). Elles témoignent d’une forme d’échec
à construire une représentation unitaire, tout en proposant de référer les
différents éléments à une catégorie ou classe de représentation, dans un
souci de rassembler (parfois à tout prix ?) les parties constituant le tout de la
planche. On peut interroger la parenté entre réponses globales juxtaposées
et réponses globales contaminées, dans la mesure du rapport qui s’établit
entre la partie et le tout (voir infra).
Ainsi, Cyrille (14 ans et 11 mois) propose-t-il à la planche VIII, dans
le contexte d’un protocole restreint (une réponse par planche), la réponse
suivante, qui intervient après plusieurs renversements de planche :
V. « Euh... des habits, un short (D5), une culotte (D4) et en haut (D2)
une armure de soldat. »

La réponse est peu constituée comme réponse unitaire, elle s’organise


effectivement principalement dans un registre de juxtaposition, dans la
mesure de l’absence d’une organisation possible, dans la configuration
humaine sous-jacente, des différents éléments en référence à une image du
corps structurée.

– Les réponses globales vagues ou impressionnistes, par contraste avec les réponses
globales élaborées, se caractérisent par la fragilité de la définition de leur
ancrage formel sur le stimulus de la planche. Souvent associées à une
forme indécise ou à une approche sensorielle du stimulus, ces réponses
témoignent davantage d’un climat que d’une véritable structuration de la
tache. D’une certaine manière, ces réponses vagues ou impressionnistes
marquent une forme de retrait dans le monde imaginaire, au détriment
d’une saisie du stimulus qui repose sur une élaboration de ses différentes
composantes. Ainsi, ces réponses vagues ou impressionnistes témoignent-
elles d’une approche éminemment affective de la tache, dans des inflexions
que l’on peut néanmoins discriminer :
• Les réponses globales vagues mettent en jeu une mise à distance à l’égard
du travail représentatif, elles font l’économie d’une maîtrise perceptive de
Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent 93

la tache au profit d’une réponse qui ne peut véritablement s’inscrire dans


une dynamique d’échange entre l’enfant ou l’adolescent et le psychologue ;
en effet, le défaut d’éléments de repérage, au lieu du stimulus, entrave la
possibilité d’une expérience partagée en appui sur le travail de mise en
représentation de l’enfant ou de l’adolescent. Par ailleurs, il convient de
noter que si, chez les jeunes enfants, ces réponses signent une forme de
limite dans la prise en compte du stimulus et, partant, d’une limite quant
à l’accès au travail représentatif à partir d’une telle situation (Nora, 2 ans
et 5 mois, planche II : « un dessin »), chez des enfants plus grands voire les
adolescents, elles constituent bien souvent une solution économique pour
se dégager d’une forme de conflictualité qui ne peut trouver à se résoudre
en forme de compromis (Fabrice, 13 ans et 8 mois, planche VII : « des
nuages », ou Raphaëlle, 14 ans et 1 mois, planche II, après un temps de
latence d’une minute : « en fait, je vois pas ce que ça pourrait être mais...
ce serait un.... de la fumée noire qui emporte... qui emporte je sais pas...
des personnes » ; ces réponses globales vagues se trouvent la plupart du
temps associées à une formalisation peu précise, coté en F (cf. infra, la
cotation des déterminants) et laissent entrevoir, en creux, l’émergence de
motions anxiogènes face au matériel de l’épreuve ;
• Les réponses globales impressionnistes misent davantage sur ce que
l’on pourrait identifier comme une quête de partage de l’affect avec
le psychologue ; en proposant une réponse qui mobilise l’émergence
d’une expérience affective, souvent à partir des planches pastel, mais
non exclusivement à partir de celles-ci, elles marquent une forme de
subversion de l’élaboration formelle du stimulus au profit de l’expression
d’un éprouvé, parfois peu élaboré, ainsi qu’en témoigne Agathe, 6 ans
et 8 mois, planche X, après plusieurs renversements de planche : « un
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dessin, c’est bon » (enquête : « le dessin d’un bébé qui a fait n’importe
quoi »), ou Virginie, 7 ans et 2 mois, planche VIII : « un arc-en-ciel »
(enquête : « plein de couleurs »). Pour Raphaëlle, 14 ans et 1 mois, la
réponse globale impressionniste semble avoir une fonction proche de
celle de la réponse globale vague évoquée précédemment, celle de tenir
à distance les émergences anxiogènes liées à la couleur : à la planche
IX : « un coucher de soleil » (enquête : « qui se reflète dans l’eau... le
soleil)... tout comme pour Thierry, 18 ans : à la planche II, il propose
une première de ces réponses, prise dans une tension implicite entre un
traitement formel (« concret ») du stimulus et l’évocation d’un éprouvé
de l’ordre de l’intime, après un temps de latence d’une minute : « ça me
dit pas grand chose... je verrais surtout un... une sorte de décoration des
94 Méthodologie de l’épreuve de Rorschach

aborigènes qu’on pourrait faire sur la figure, un rituel, une sorte de rituel
que les aborigènes feraient... c’est ce que je verrais de plus concret... vous
voulez des choses concrètes ? », puis à la planche X : « feu d’artifice... un
feu d’artifice ouais... une sorte de... plus complet, un big-bang de la terre,
tout plein de couleurs ».

– Les réponses globales-blanc : On pourra se reporter au développement


précédent concernant l’approche du blanc au Rorschach1 pour appréhender
de manière plus approfondie la question de la participation des parties
blanches des planches à l’élaboration des réponses. On peut ici préciser que
ces réponses globales-blanc comportent une double particularité :
• d’une part celle de porter sur l’ensemble du stimulus proposé de la
planche, c’est-à-dire tout autant sur l’engramme qui se détache sur le
fond de la planche que sur le fond lui-même ;
• d’autre part celle de considérer, le cas échéant, le fond et la forme sur le
même plan, dans un effet de dédifférenciation du fond et de la figure qui
en émerge.
L’enjeu de ce type de réponse semble être celui d’une saisie totale du
stimulus, dans une forme de maîtrise qui se présente parfois comme une
maîtrise à tout prix lorsque la réponse proposée par l’enfant ou l’adolescent :
• soit implique l’annulation de la différenciation entre figure et fond (cf.
supra, la réponse proposée par Caroline, 9 ans et 4 mois, planche I :
« Heu... un papillon, heu une main, il manque des doigts... heu, des
taches... dessus le papillon, des taches sur les ailes du papillon... (Ddbl),
des trous dans ses ailes (Ddbl), et les antennes qui sont pas de la même
taille » réponse cotée Gbl FC’ A), réponse de fusion-forme-fond ;
• soit engage une interprétation de la planche jusqu’à ses limites ultimes,
données par le bord qui en fonde l’extrémité (Line, 7 ans et 5 mois, à la
planche V : « une chauve-souris dans la neige », réponse cotée Gbl FC’
A/Elem), réponse de retournement forme-fond.
On peut pressentir, en filigrane, que se trouvent condensés dans ce type
de réponse les enjeux de séparation-différenciation.

1. Cf. supra, le développement consacré à la différenciation forme-fond, p. 78.


Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent 95

Les réponses de grand détail


En contrepoint des réponses globales, la production des réponses de grand
détail (D) témoigne de l’inscription de l’enfant ou de l’adolescent dans une
démarche d’analyse du stimulus : le détaillage de certaines parties (voire de
toutes les parties) constitutives du stimulus, associé à l’élaboration d’une
représentation, contribue à une démarche cognitive d’appréhension de la
tache. Classiquement, on considère que cette démarche, dans sa dimension
la plus élaborée, implique une progression dans l’appréhension de la tache :
après un premier mouvement de saisie de la tache dans son ensemble (G),
un second mouvement consiste dans un détaillage plus ou moins exhaustif
des différentes parties qui la constituent au travers de réponses de grands
détails (D), avant de s’attacher, de manière précise voire pointilleuse, à de
petites découpes du stimulus en proposant des réponses dites de petit détail
(Dd). La succession, et la progression, des modes d’appréhension constitue
l’un des éléments d’analyse dynamique du corpus de réponses, de planche
en planche et dans le fil des dix planches de l’épreuve.
La définition de la réponse de grand détail s’appuie sur une compréhension
statistique de la découpe de la tache : en effet, on considère comme réponse
de grand détail une réponse proposée dans une découpe qui est retenue de
manière significative pour la production d’une réponse, quelle que soit la
surface occupée par cette découpe au sein du stimulus. Une liste dressée,
planche par planche, des différents grands détails reconnus comme tels, sert
de support pour la cotation de ce mode d’appréhension1 . Il est entendu que
sera cotée en réponse de grand détail toute réponse prenant appui sur un
des grands détails mentionné sur cette liste ou sur une association de grand
détail.
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1. Une liste pour la cotation des réponses de grand détail est disponible dans l’ouvrage de N. Rausch
de Traubenberg : La pratique du Rorschach (P.U.F, 1970), une autre est proposée par J. Blomart
(1998), enfin, les travaux de M. Emmanuelli et C. Azoulay (2009) conduisent à reconsidérer la liste
des grands détails pour les adolescents. Une liste est proposée dans la synthèse présentée ci-après.
96 Méthodologie de l’épreuve de Rorschach

Synthèse 3 – Liste et localisation des grands détails


Liste des principaux grands détails, établie à partir des propositions de C. Beizmann (1970) et des inflexions
proposées par J. Blomart1 (1998).

Planche I
D1 : saillie médiane (« pinces »)
D2 : détail latéral (droit, gauche ou les deux)
D3 : détail médian inférieur (bas de la partie axiale)
D4 : ensemble de la partie axiale (G – D2)
D5 : détail médian supérieur (haut de la partie axiale)
D7 : bord supérieur de D2
D8 : extrémité latérale de D2

Planche II
D1 : détail latéral (un seul)
D6 : des deux détails latéraux (ensemble du noir)
D2 : rouge supérieur (l’un, ou les deux)
D3 : rouge inférieur
D4 : partie supérieure médiane de D6
Dbl 5 : lacune centrale

Planche III
D1 : ensemble du noir
D2 : rouge supérieur (l’un, ou les deux)
D3 : rouge médian
D4 : détail inférieur médian (limité aux parties les plus foncées, sans la jonction grise)
D7 : ensemble du détail inférieur (y compris le gris central)
D5 : partie inférieure latérale de D1 (« jambe »)
D6 : partie supérieure latérale de D1 (« tête »)
D9 : détail latéral de D1 (« bonhomme »)

Planche IV
D1 : détail axial inférieur
D2 : détail latéral (extrémité)
D6 : détail latéral entier (« botte »)
D3 : détail supérieur médian (« tête »)
D4 : détail latéral supérieur (« bras »)
D5 : ensemble de la partie axiale

1. Pour la localisation des petits détails, se référer aux ouvrages précités.


Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent 97

Planche V
D1 : détail latéral à l’extrémité (« tête de crocodile »)
D2 : détail médian supérieur, l’un ou les deux (« oreilles de lapin »)
D3 : détail médian inférieur, l’un ou les deux (« patte »)
D4 : détail latéral entier (« aile de papillon »)
D6 : ensemble du détail médian supérieur
D7 : détail axial entier
D9 : ensemble du détail médian inférieur

Planche VI
D1 : ensemble de la partie inférieure de la planche
D2 : détail axial supérieur (D5 – D12)
D3 : partie supérieure médiane (« tête de chat avec les moustaches »)
D4 : détail latéral inférieur (1/2 de D2)
D5 : ensemble du détail axial
D6 : saillies de la partie supérieure médiane (« ailes »)
D8 : détail supérieur entier (G – D1)
D9 : détail latéral inférieur
D12 : détail axial inférieur (D5 – D2)

Planche VII
D1 : détail du tiers supérieur
D2 : détail des deux tiers supérieurs
D3 : détail du tiers médian
D4 : détail du tiers inférieur
D5 : saillie supérieure dans D1
Dbl7 : lacune centrale

Planche VIII
D1 : détail latéral (« animal »)
D2 : détail inférieur médian (rose-orange)
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D3/Dbl3 : espace bleu/blanc entre D4 et D5


D4 : détail supérieur médian (gris)
D5 : détail intermédiaire médian (bleu)
D7 : détail inférieur de D2
D8 : détail des deux tiers supérieurs médians (D4+D5)

Planche IX
D1 : détail latéral intermédiaire, l’un ou les deux (vert)
D3 : détail supérieur, l’un ou les deux (orange)
D4 : détail latéral inférieur dans D6 (rose)
D5 : ensemble du détail axial
D6 : détail inférieur (rose)
D7 : projections supérieures dans D3 (brun-orange)
Dbl8 : lacune centrale
D12 : détail latéral supérieur et médian (orange et vert)
98 Méthodologie de l’épreuve de Rorschach

Planche X
D1 : détail latéral bleu
D2 : détail jaune médian
D3 : détail rouge médian (« cerises »)
D4 : détail vert latéral inférieur (« hippocampes »)
D5 : détail vert médian inférieur (« tête de lapin »)
D6 : détail bleu médian (« soutien-gorge »)
D7 : détail gris-brun latéral (« insecte »)
D8 : détail gris latéral supérieur
D9 : détail rose latéral, l’un ou les deux
D10 : détail vert inférieur entier
D11 : détail gris supérieur entier
D12 : détail vert latéral supérieur
D13 : détail brun-rouge latéral inférieur
D14 : détail gris médian (D11 – D8)
D15 : détail jaune latéral
D16 : détail associant D2+D3+D4+D6+D9+D11 (« visage d’une personne »)

Au-delà d’une définition formelle des réponses de grand détail, auxquelles


on peut associer les réponses fournies en appui sur les détails blancs de la
planche (cf. supra), il convient de distinguer deux modalités de construction
de celles-ci : les réponses de grand détail unitaire et les réponses de grand
détail combiné. La distinction entre ces deux types de réponses de grand
détail recouvre pour une part la distinction opérée précédemment entre
réponses globales primaires et réponses globale élaborées.

– Les réponses de grand détail unitaire (D) reposent sur l’appréhension d’une
seule de ces parties identifiées comme significatives pour une telle cotation.
La définition et la description des planches de l’épreuve de Rorschach
mettent en évidence que toutes les planches ne proposent pas la même
disponibilité pour la mise en œuvre d’une découpe en grand détail unitaire :
les planches caractérisées par la bilatéralité (II, III, VII, VIII et X) seront, on
le comprend, davantage accessibles à une telle découpe, alors que les planches
caractérisées par leur dimension compacte nécessiteront un engagement plus
marqué en vue de la découpe en grand détail.
La saisie du stimulus dans une découpe limitée apparaît comme le fruit
d’une démarche qui repose sur la capacité de l’enfant ou de l’adolescent
d’opérer une discrimination perceptive et de prendre appui sur elle pour
l’interprétation du stimulus : cette opération requiert d’être en mesure, afin
de privilégier une partie du stimulus, d’absentifier les parties non retenues
pour cette découpe. Dans cette perspective, la proposition d’une réponse
en appui sur un grand détail unitaire rend compte de la mise en œuvre
Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent 99

d’un processus élaboré dans l’activité de symbolisation de l’enfant ou de


l’adolescent, dans la mesure où il s’inscrit dans une capacité pour celui-ci de
se séparer, opération préalable à toute démarche de construction de l’objet1 .
À ce titre, la production d’une réponse de grand détail unitaire, dans la
mesure de la stabilité de la découpe proposée et/ou de la représentation
qui s’y trouve associée, constitue un témoin de l’accès de l’enfant ou de
l’adolescent à la création d’un objet séparé. On peut d’ailleurs noter que
dans l’histoire du déploiement des processus de symbolisation de l’enfant,
la possibilité pour lui de se dégager d’une approche globale ou globalisante
du stimulus (dépassement des réponses régies par la confabulation ou la
contamination en particulier) requiert un registre de maturation qui ne
s’installe véritablement qu’à partir de l’âge de 7 ou 8 ans.
A contrario, l’impossibilité de produire une réponse de grand détail unitaire
(au travers d’une appréhension exclusive du stimulus dans sa globalité)
interroge sur un mode de construction du monde qui, dans un mouvement
de maîtrise à tout prix, tendrait à éviter toute confrontation à une expérience
de séparation et, par là même, de manque. De la même manière, certaines
formes de découpes de grand détail (les détails dits « oligophrènes » qui
seront abordés dans le développement consacré aux marques de censure dans
la production des réponses) portent la marque d’une actualisation exacerbée
voire traumatique de l’expérience de la séparation.
Pour Amandine, 7 ans et 4 mois, la découpe en grand détail unitaire,
associée à une représentation stable et cohérente, s’avère possible dès la
première planche de l’épreuve (après une première réponse globale attendue
à cette planche : « une chauve-souris ») « et des monsieurs » (chaque détail
latéral D1), puis à nouveau à la planche VIII : « un caméléon » (D1).
Pour Norredine, 11 ans et 5 mois, la découpe en grand détail à la
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planche VII s’anime dans la verbalisation proposée à l’enquête : « deux


lapins » (enquête : « qui se chamaillent »).
Samuel, 17 ans et 3 mois, parviendra à extraire de la compacité de la
planche IX une réponse de grand détail unitaire, tout en exprimant un doute
sur la cohérence de celle-ci : « J’ai plus de mal avec la couleur parce qu’il
faut dissocier... là je vois un violon, plutôt contrebasse dans la forme, c’est
bizarre parce que les ouïes sont en haut ».

1. Cf. supra : Rorschach et travail de la symbolisation, p. 27.


100 Méthodologie de l’épreuve de Rorschach

– Les réponses de grand détail combiné : Cette forme particulière de réponse


de grand détail combiné, que l’on peut coter DD pour la différencier des
réponses de grand détail unitaire, implique que l’enfant ou l’adolescent
puisse, dans un premier temps, prendre appui sur une discrimination
de différentes parties du stimulus en forme de découpes unitaires puis,
dans un second temps, associer ces différentes parties en une réponse
qui les organise en une représentation unitaire. Ces réponses, dans leur
caractère de construction secondaire, peuvent être rapprochées des réponses
globales élaborées (Gz) précédemment évoquées (cf. supra) : elles témoignent
d’un double mouvement de discrimination/construction du monde et se
présentent dans différents niveaux d’élaboration, entre création d’une figure
complexe de représentation et maîtrise du stimulus.
Certaines de ces réponses consistent en une simple juxtaposition de différents
détails constitutifs de la planche, sans pour autant permettre la production
d’une réponse globale.
Ainsi, Steve, 9 ans et 9 mois, propose à la planche X une réponse qui
tente de rassembler une partie des grands détails de la planche : « Je sais
pas... des petits monstres... qui viennent un peu partout » (à l’enquête, Steve
nomme un certain nombre de ces détails localisés en D1, D7, D8, D9, D6,
D4).

Parfois, le recours au grand détail combiné contribue à un évitement de


la réponse globale.
Comme pour Bruno, 11 ans et 10 mois, à la planche IV : « On dirait la
colonne vertébrale d’un monsieur » (enquête : « là le reste, le reste du bras
et là la colonne vertébrale » : D axial + D4).

Il faut souvent attendre le temps de la pré-adolescence ou de l’adolescence


pour voir apparaître de véritables constructions, qui peuvent se présenter
comme des constructions originales.
Ainsi la réponse de Christian, 14 ans, à la planche VIII : « Ça m’a
fait penser un peu à un canapé, avec deux plumes sur le côté comme en
Amérique » (enquête : « les deux coussins et les plumes » : association de D1
et de D2).

Il n’est pas rare, par ailleurs, que ces réponses de grand détail combiné
mettent en jeu une découpe de grand détail (D) et une découpe de grand
Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent 101

détail blanc (Dbl)1 , réponses que l’on pourra identifier par une cotation
DDbl (ou D/Dbl). Le blanc est alors convoqué le plus souvent dans une
figure de fusion-forme-fond.
Comme pour Norredine, 11 ans et 5 mois, à la planche II : « une fusée »
(enquête : « la fusée avec le feu qui sort de la fusée » : Dbl + D 3).
Dans d’autres configurations, le choix d’une association entre une découpe
de grand détail et un détail blanc contribue à une mise en perspective, dans
une actualisation d’un fond sur lequel se découpe une forme.
Ainsi, Vivien, 13 ans et 2 mois, propose-t-il, à la planche III : « ou encore
un col avec un nœud-papillon », réponse qui prend en compte outre le
détail rouge central (D3) le fond blanc sur lequel celui-ci se déploie.
De la même manière, un certain nombre de réponses qui impliquent
le fond de la planche en le convoquant plus ou moins explicitement,
particulièrement à la planche X dont on connaît la dimension éminemment
dispersée du stimulus, se construisent comme des réponses de grand détail
combiné associant le blanc de la planche, dans des configurations soit
architecturales soit de représentation humaine :
Fabrice, 13 ans et 8 mois : « là en bas, on dirait un pont-levis (D8),
ensuite une cour intérieure (Dbl central)... ça fait penser à un château, oui,
vite fait... les remparts (D9), la citadelle (D12)... contre une roche, sinon ils
seraient pas aussi inclinés les remparts ».
Amélie, 16 ans et 2 mois : (elle rit à la présentation de la planche) «alors
là je vois un homme avec les jambes, le corps et la tête » (enquête : « les
jambes, les bras, la tête » : D10 + D1 + D3).
Si la prise en compte du blanc peut assurer une fonction unificatrice au
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

regard de la dispersion du stimulus, celle-ci peut se trouver mise à mal dans


la construction d’une contenance.
Ainsi Ahmed, 17 ans et 6 mois, face à la planche X, dans la suite d’une
série de réponses qui interrogent la représentation de l’intérieur du corps :
« je sais pas, on dirait que c’est là dans le thorax (il se touche la poitrine)
avec le cou là... on dirait... je sais pas » (enquête : « encore une fois qui vient
cette colonne que j’essaie de vous dire depuis tout à l’heure » : cou = D8,
thorax = Ddbl, entre les 2 D9).

1. Nous ne reviendrons pas ici sur la présentation spécifique des réponses proposées dans les grands
ou petits détails blancs, qui ont fait l’objet d’une discussion détaillée dans le développement consacré
à la différenciation forme-fond, p. 81.
102 Méthodologie de l’épreuve de Rorschach

D’une manière générale, on peut considérer que la prise en compte du


blanc, associée dans un grand détail combiné, met en jeu de manière sensible,
tout comme dans la réponse globale-blanc, la dynamique des enveloppes, sa
constitution et sa fragilité.
Les réponses de petit détail
La définition de la réponse de petit détail (Dd) est le plus souvent proposée
en négatif au regard des modes d’appréhension en réponse globale ou en
réponse de grand détail. Les réponses de petit détail correspondent à des
découpes qui, au plan statistique, se caractérisent par le fait qu’elles sont
peu souvent choisies par l’enfant ou l’adolescent. De ce point de vue, leur
émergence peut prendre une double valeur :
• Celle de réponses témoignant d’une forme de créativité, au travers d’une
démarche cognitive élaborée et construite, particulièrement dans la mesure
où la découpe du petit détail s’inscrit dans une cohérence au regard de
l’économie générale du stimulus (découpe liée à la structure de la tache,
ou liée à la discrimination du fait de la couleur) ;
• Celle de réponses témoignant de l’échec et/ou de l’évitement d’une
élaboration du stimulus dans la spécificité de sa structure, qui se traduit
par des propositions de localisations que l’on peut qualifier d’arbitraires,
en appui sur une découpe qui trouve difficilement un appui sur une
caractéristique formelle de la tache et qui se présente comme floue, voire
indécise.
Dans cette perspective, on distinguera, en termes de cotation :

– les réponses de petit détail que l’on pourrait qualifier de tout-venant


(Dd), produites à partir d’une découpe cohérente du stimulus :
Serge, 13 ans et 2 mois, planche VIII : « Autrement ça fait penser à un
peu à un ver de terre » (Dd 26, dans D2).
Christophe, 7 ans, planche II : « Y’a des pattes de cheval là, des pattes
de cheval... et c’est bon » (partie inférieure de D1).

– les réponses de petit détail extérieur (Dde), qui procèdent de la prise


en compte de la découpe extérieure du stimulus, à la limite de la tache, et
qui se présentent le plus souvent sous la forme de représentations de profils
animaux ou humains, ou de découpes géographiques :
Oriane, 10 ans, planche IV : « ... et une tête bizarre de chaque côté,
avant que ce soit le pied, une tête bizarre » (enquête : « une tête de chien »).
Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent 103

La réponse, référée à la prise en compte du grand détail (« avant que ce soit


le pied ») est proposée dans une découpe à la pointe du D1.

– les réponses de petit détail intérieur (Ddi), qui se présentent dans


une adéquation plus ou moins bonne avec la structure du stimulus ; il est
intéressant de noter que les petits détails intérieurs sont, le plus souvent,
référés à une découpe qui s’appuie (ou tente de s’appuyer) sur la qualité des
estompages constitutifs de la tache.

Ainsi, la dynamique sous-jacente à la production des réponses de petit


détail peut-elle être comprise comme renvoyant à la mobilisation, chez
l’enfant ou l’adolescent, d’un mouvement qui tend à une saisie au plus près
de la qualité du matériel qui lui est proposé, et plus particulièrement à un
traitement affiné des limites du stimulus. Si ces réponses permettent de
situer l’enfant ou l’adolescent dans un projet d’élaboration du stimulus, il
convient d’en inscrire la compréhension au sein de la dynamique générale
des modes d’appréhension, pour une planche considérée d’une part, et au fil
des planches d’autre part. Au-delà de la qualité des réponses de petit détail,
c’est en effet au travers de la prise en compte de la succession des modes
d’appréhension que prendra sens l’intervention de celles-ci dans le processus
général de production des réponses. Trois grandes lignes d’interprétation
de la participation des réponses de petit détail à la production projective
s’ouvrent alors :
• La réponse de petit détail témoigne d’une élaboration progressive du
stimulus proposé lorsque les réponses de petit détail s’inscrivent dans une
logique d’analyse progressive du matériel ;
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

• La réponse de petit détail marque le déploiement d’un mouvement de


maîtrise à tout prix du stimulus témoignant de la mobilisation d’angoisses
qui ne trouvent pas à être contenues au travers de stratégies défensives et
de formations de compromis ;
• La réponse de petit détail témoigne d’un désengagement dans l’élaboration
du stimulus et/ou d’un refuge face au débordement qu’engage la rencontre
avec le matériel de l’épreuve projective.

Avant de clore ce chapitre consacré aux modes d’appréhension, il convient


d’aborder deux modalités spécifiques qui affectent l’émergence des modes
d’appréhension avec :
104 Méthodologie de l’épreuve de Rorschach

• d’une part les avatars repérables dans le processus de la construction d’une


entité perceptive, avec les réponses dites confabulées et contaminées ;
• d’autre part l’approche des marques de censures affectant l’élaboration
perceptive du stimulus (G), ou l’élaboration de la représentation (Do,
Ddo).

➤ Avatars dans la construction d’une entité perceptive (contamination


et confabulation)

La construction d’une entité perceptive requiert, on l’a vu, l’engagement dans


un processus complexe qui repose sur deux mouvements qui contribuent à
cette réalisation : la discrimination du stimulus dans ses limites perceptives
et son isolement comme support du processus de symbolisation d’une part,
et l’affectation d’une forme identifiée (et référée dans le langage) au stimulus.
Ce processus complexe, qui sous-tend tout particulièrement l’élaboration
des réponses globales et dont l’on peut penser que sa formalisation se trouve
aboutie vers l’âge de 6 ou 7 ans, rencontre néanmoins des avatars, tant dans
le plus jeune âge de l’enfant, à une époque où la construction d’un objet total
résiste au processus de symbolisation engagé dans et par l’épreuve projective
de Rorschach, que dans un âge plus avancé alors que l’enfant ou l’adolescent
bute sur une telle construction.
Tel est le sens de la proposition de cotations spécifiques qui rendent
compte de ces mouvements non aboutis de construction d’une entité
perceptive, support d’une mise en représentation. Ceux-ci peuvent prendre
deux formes distinctes : la confabulation et la contamination.
Les réponses globales confabulées
On parle de réponses confabulées (ou aussi de réponses syncrétiques) lorsque le
processus de production de la réponse globale repose dans un premier temps
sur une saisie partielle du stimulus, saisie qui dans un second temps trouvera
à se généraliser en direction de l’énoncé d’une représentation qui englobe
l’ensemble du stimulus. Le stimulus dans sa globalité n’aura pas fait l’objet
d’une discrimination en forme de construction perceptive, mais constituera
le support, pour une part arbitraire, de l’énoncé de la représentation. Il
convient de préciser que ces réponses globales confabulées, si elles s’appuient
sur une reconnaissance pertinente d’une partie du stimulus (les « pinces »
que peuvent représenter les petites saillies supérieures de la planche I) se
présentent dans une adéquation relative au regard du stimulus dans son
entier (« un crabe... à cause de ses pinces » toujours à la planche I).
Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent 105

Ces réponses confabulées feront l’objet d’une cotation en GConf ou en


D/G, selon les praticiens de l’épreuve de Rorschach. L’enjeu de ces réponses
globales confabulées, on l’a compris, tient dans une élaboration fragile de
la représentation, dans un mouvement de type pars pro toto, dans lequel la
partie est prise pour le tout.
Typique de la clinique des jeunes enfants, dont la saisie perceptive d’une
partie du stimulus vaut pour l’ensemble de celui-ci, ce mode d’appréhension
singulier tend à disparaître à partir de l’âge de 6 ans. Au-delà, il témoigne de
la persistance de modalités infantiles de symbolisation, selon les cas, trace
régressive passagère dans l’appréhension du monde, ou marque plus durable
d’un retrait de l’enfant ou de l’adolescent dans des modalités infantiles
d’être-au-monde et de construction du monde.
Pour exemple, on peut citer les réponses globales confabulées proposées
par un jeune enfant (Charles), et un enfant en fin de période de latence.
Charles, 6 ans et 3 mois, planche II : « Là il y a une tête, deux têtes... la
il y a un bonhomme, deux, là il y a deux mains » (enquête : « parce qu’il y a
des têtes », localisées en D2) : la confabulation est ici tout à fait clairement
évoquée par l’ enfant lui-même à l’enquête ; c’est bien la reconnaissance
d’une « tête » dans le détail rouge supérieur qui invite à une représentation
humaine dans la globalité de la tache.
Louis, 10 ans et 9 mois, planche IV : « Ça c’est des pieds ça... un
monstre, hein ? » : la confabulation est ici moins avérée, dans la mesure où la
réponse proposée (« monstre ») présente une certaine cohérence à l’égard du
stimulus pris dans sa globalité ; il n’en reste pas moins que la construction
de la réponse globale, à partir d’un seul grand détail de la planche (et non
de la combinaison de plusieurs grands détails comme une réponse globale
élaborée aurait pu en rendre compte) interroge la qualité de construction
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

de la représentation.

Les réponses globales contaminées


Les réponses globales contaminées (cotées GCont) signent l’impossible
discrimination de deux saisies perceptives et représentatives qui, faute
de pouvoir faire l’objet d’une prise en compte successive dans le jeu du
processus de symbolisation, vont se télescoper au travers de la production
d’une réponse unique, témoignant de ce que l’on nomme souvent comme
la fusion absurde de deux représentations.
L’enjeu de ce type de réponse globale tient tout particulièrement dans
l’échec du travail de symbolisation à mettre suffisamment en absence une
première représentation afin de pouvoir en faire advenir une seconde,
106 Méthodologie de l’épreuve de Rorschach

différenciée de la première : cet échec, que l’on peut rapprocher d’un


échec dans le travail de l’hallucination négative au sein du processus
de symbolisation, met en évidence la précarité dans l’établissement d’un
objet séparé, différencié et construit comme objet total. Le télescopage
des représentations constitue un signe d’une difficulté de l’enfant ou de
l’adolescent dans son appréhension du monde en appui sur une claire
distinction entre Moi et non-Moi.
C’est dans ce sens que la présence de telles réponses dans un protocole
d’enfant ou d’adolescent, au-delà de l’âge de 5 ou 6 ans, interroge la
qualité des organisateurs identitaires de l’enfant ou de l’adolescent et ouvre
nécessairement, dans la mesure de la prégnance de telles réponses, sur la
nécessité d’une discussion psychopathologique.
Pour exemple, on peut citer les réponses globales contaminées citées par
un jeune enfant (Émile) et une adolescente (Nathalie).
Émile, 4 ans et 8 mois, planche VI : « Un vaisseau spatial... il a des
moustaches... aussi il s’envole comme un vaisseau ».
Nathalie, 15 ans, planche V : « On dirait une chauve-souris... avec
des ailes de crocodile là, sur les côtés » (enquête : « la tête, les ailes et là
au bout des têtes de crocodile »). La coexistence de la chauve-souris et du
crocodile, proposée dans une formulation condensée des « ailes de crocodile »
manifeste l’impossible séparation des deux représentations, condensée dans
une représentation en forme de compromis, représentation qui tend à se
dé-contaminer à l’enquête (référence à des « têtes de crocodile »).

➤ Les marques de censure : réponses globales amputées et détails oligophrènes


Si la construction de l’entité perceptive peut se trouver mise à mal dans
le traitement perceptif du stimulus, certaines réponses proposées face aux
planches portent implicitement une marque de censure, au plan perceptif
(on parlera alors de réponse globale amputée) ou au plan représentatif (on
parlera alors de détails oligophrènes).
Les réponses globales amputées
Cotées (G) ou G barré, les réponses globales amputées correspondent à
des réponses qui sont données à partir d’une appréhension amputée de
la globalité de la tache. On peut qualifier cette censure de « perceptive »,
dans la mesure où elle porte sur la définition des limites à partir desquelles
le stimulus va être saisi par l’enfant ou l’adolescent. La réponse globale
amputée est une réponse qui se construit à partir de l’ensemble du stimulus
Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent 107

dont l’enfant ou l’adolescent va retirer une partie, le plus souvent de l’ordre


du petit détail mais parfois aussi de l’ordre du grand détail. La nouvelle
délimitation retenue par l’enfant ou l’adolescent prend alors un caractère
singulier, peu attendu.
Il convient bien sûr d’interroger le sens de cette censure, dont l’on peut
tracer deux grandes voies :
– La première voie tient dans une approche névrotique de la censure,
correspondant à la nécessité pour l’enfant ou l’adolescent de recourir à un tel
mouvement afin de garantir la possibilité d’un compromis. La censure porte
généralement dans ce cas sur un appendice de la tache dont la connotation
sexuelle est refusée par le sujet.
Germain (16 ans), propose une réponse de ce type à l’occasion de deux
des dix planches de l’épreuve :
– à la planche IV, face à laquelle il souhaite se départir de l’axe central
de la planche (D1) pour produire une réponse humaine (la première
du protocole), après plusieurs renversements de planche : « Je sais pas...
un gros monsieur un peu, des grosses jambes, des petits bras avec des
yeux, une petite tête, un gros corps... oui voilà... si, un gros monsieur »
(enquête : « une tête de méchant, je sais pas ce que ça vient faire ça... » ;
montre le grand détail axial inférieur) ;
– à la planche VI, à nouveau après plusieurs renversements de planche et
une première réponse en grand détail : « (...) V. Ou un arbre... j’ai pas
beaucoup d’idées... » (enquête : « V. dans ce sens-là, un arbre », Germain
précise qu’il a interprété l’arbre dans la globalité de la tâche amputée du
petit détail supérieur « moustaches » dans D3).
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Il semble assez clair dans ces deux réponses que la sollicitation phallique
du détail inférieur de la planche IV d’une part, le détail supérieur de la
planche VI, dont la parure apporte un élément d’excitation supplémentaire
d’autre part, dans un contexte où l’adolescent s’est trouvé en difficulté
pour proposer une réponse humaine à la planche III (déconflictualisation
impossible de la sollicitation bi-sexuelle de la planche ?), confronte Germain
à une situation extrêmement périlleuse. La seule issue semble pour lui le
recours à un processus de censure qui conduit à la production d’une réponse
globale amputée. Notons que pour chacune de ces réponses, Germain est
en mesure de proposer une représentation, approximative et/ou dénigrée,
de la petite partie du stimulus non interprétée.
108 Méthodologie de l’épreuve de Rorschach

– La seconde voie s’inscrit dans le cadre de censures plus radicales, que


ne sous-tend pas le refoulement et qui affectent le processus de mise en
image en tant que tel. En effet, dans cette configuration, la partie écartée du
stimulus ne se montre en aucun cas accessible au travail de la représentation.
Le protocole de Djamila (8 ans et 6 mois) en fournit un exemple, à la
planche I, dès la première réponse du protocole : « À une bête » (enquête :
Djamila précise que sa réponse s’appuie sur le stimulus dans son ensemble,
excepté le D8). La seconde réponse fournie face à la planche I confirme le
registre des censures : « une chauve-souris » (enquête : « j’ai jamais vu une
chauve-souris avec quatre petits trous et sans bout d’ailes... »). À l’occasion de
cette seconde réponse, Djamila met en évidence une sensibilité au manque
et à l’absence qui tend à attaquer le travail de représentation.
Jonas (9 ans), sur une modalité semblable, propose à la planche II,
après plusieurs renversements de planche, une réponse dans laquelle le
détail rouge inférieur est activement évité : « Deux hommes qui se tapent
les mains comme ça, toc ! ». Jonas accompagne sa verbalisation d’un agir
correspondant à ce qu’il décrit (enquête : « parce qu’ils ont une tête avec un
chapeau et là il y a deux mains et tac ! avec un air de danser... mais juste ça »
– il montre les deux détails noirs, D1, et le détail rouge supérieur, D2).
Les réponses de détail oligophrène
Ces réponses (Do ou Ddo selon la partie du stimulus sur laquelle elles
portent) sont à entendre comme les témoins d’une censure qui porte
sur la représentation elle-même (et non sur le processus qui soutient
son élaboration). Ces réponses tirent leur qualificatif de la nosographie
psychiatrique du début du XXe siècle, les patients oligophrènes présentant
des troubles psychiatriques graves, dans le registre de la psychose.
On cotera une réponse en détail oligophrène lorsqu’une représentation,
habituellement vue dans son ensemble dans une découpe donnée du stimulus,
se trouve limitée à une partie seulement. Si la réponse est proposée comme
partie d’une réponse globale, on cotera la réponse en détail oligophrène
(Do1), si elle est proposée comme partie d’une réponse de grand détail, on
la cotera en petit détail oligophrène (Ddo2 ). À titre de repère, il est possible
de préciser que les réponses de détail oligophrènes (Do ou Ddo) peuvent
être retenues comme telles lorsqu’elles portent sur des réponses banales.
La situation la plus fréquemment rencontrée concerne la représentation
humaine à la planche III : là où l’on peut s’attendre, dans une appréhension

1. Planche III : « une tête de femme » (Do F+ Hd).


2. Planche VIII : « la tête d’un lion » (Ddo F+ Ad).
Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent 109

globale du stimulus (ou tout au moins une appréhension comportant


l’ensemble de la partie noire du stimulus) à la production d’une réponse
mettant en scène un être humain (homme ou femme) dans son intégrité,
apparaît une réponse ne présentant qu’une partie de la représentation
humaine.
Le protocole de Charles (6 ans et 3 mois) en fournit un exemple : « Là il
y a une jambe » (D5), tout comme celui de Karim (7 ans et 1 mois), dans
un registre plus dysphorique, après deux réponses qui témoignent d’une
exploration laborieuse du stimulus : « C’est l’autre jambe qui s’est enlevée,
qui s’est cassée... là il y a un petit espace... » (référence à la partie blanche
entre les différentes parties du stimulus). Si la réponse de Charles renvoie
à une censure de la représentation humaine dans son intégrité, celle de
Karim ouvre explicitement la dimension de la rupture de l’intégrité de la
représentation, en proposant l’image d’une atteinte de celle-ci : sans doute
peut-on considérer que le fond blanc de la planche ne peut, pour Karim,
constituer un arrière-plan suffisamment absentifié, unificateur, dans une
appréhension en creux, des représentations. La saisie en plein du fond blanc
de la planche tend à introduire une rupture là où se présente habituellement
une continuité.
De fait, la réponse cotée en détail oligophrène est une réponse qui
marque une rupture dans le travail représentatif, rupture dont le contexte
et les formes sont susceptibles de varier en fonction de l’âge de l’enfant ou
de l’adolescent et de la dynamique de sa vie psychique. Si cette rupture
évoque, de la manière la plus commune, une marque de clivage (cf. les deux
exemples ci-dessus), certaines réponses de détail oligophrène contribuent
manifestement à une isolation des représentations, au service de stratégies
défensives plus élaborées.
Ainsi, par exemple, Tiphanie (4 ans et 10 mois) propose à la planche III,
comme les deux premières réponses à la planche III : « un monsieur », puis
« une dame », pour désigner chacune des formes bilatérales de la planche.
Sans doute convient-il d’entendre ici, au-delà de sa difficulté à proposer une
représentation unitaire face à cette planche, la marque d’un traitement de
la différence des sexes sur le fond d’un processus d’isolation, permettant de
traiter, en forme d’évitement, la conflictualisation dans la confrontation à
la bisexualité.
De même, Norbert (15 ans et 4 mois) construit, toujours à la planche III,
trois réponses dont deux seront cotées en détail oligophrène : « Un cœur,
des jambes de femme, deux têtes ». Il ne fait ici aucun doute que la
seconde réponse (« jambes de femme ») implique, en première intention, une
110 Méthodologie de l’épreuve de Rorschach

représentation féminine entière qui, en seconde intention, fera l’objet d’une


censure au profit d’une représentation partielle du corps féminin. Celle-ci
trouve un écho dans le déploiement du fil projectif du protocole, en ce que
l’on peut repérer qu’il s’organise autour de représentations porteuses d’une
charge sexuelle peu refoulée : à la planche VII, Norbert propose une réponse
« vagin » et, à l’enquête, précise sa réponse et en élargit la délimitation,
initialement centrée sur le détail axial, pour en proposer une réponse
globale : « le vagin... et les jambes écartées ». L’insistance à une appréhension
partiellisé du corps féminin colore de manière particulière le recours au
détail oligophrène à la planche III et ouvre sur la question de la perversion.

Synthèse 4 – Les modes d’appréhension


G : réponse globale, prenant en compte l’ensemble du stimulus, et qui peut faire l’objet de différentes
qualifications (primaire, juxtaposée, vague, impressionniste)
Gz : réponse globale produite à partir de l’élaboration des différentes parties du stimulus
Gbl : réponse globale incluant le blanc
GConf (ou D/G) : réponse globale confabulée (ou réponse globale syncrétique), formée par généralisation
d’une partie du stimulus à l’ensemble de la tache
GCont : réponse globale contaminée, résultant de la fusion absurde de deux représentations sur une découpe
globale
(G) : réponse globale amputée (nommée aussi G barré), résultant d’une censure perceptive (une petite partie
du stimulus, généralement de l’ordre d’un grand détail, est exclue de la découpe)

D : réponse dans un grand détail identifié comme tel1


DD : réponse de grand détail combiné, construite à partir de l’association de deux ou plusieurs grands détails
Dbl : réponse fournie à partir du grand détail blanc de la planche (cotation limitée à la vacance centrale des
planches II, VII et IX)
D/Dbl : réponse proposée à partir de l’association d’un grand détail et d’un grand détail blanc
Do : détail oligophrène, résultant d’une censure représentative (seule une part d’une représentation entière
banale, appréhendée habituellement en réponse globale, est proposée)

Dd : réponse de petit détail (toute découpe non identifiée comme un grand détail)
Dde : découpe correspondant à un petit détail de bordure (petit détail extérieur)
Ddi : découpe correspondant à un petit détail au cœur du stimulus (petit détail intérieur)
Ddbl : toute découpe dans le blanc de la planche autre que les réponses de grand détail blanc
D/Ddbl : réponse proposée à partir de l’association d’un grand détail et d’un petit détail blanc
Ddo : petit détail oligophrène, résultant d’une censure représentative (seule une part d’une représentation
entière banale, appréhendée habituellement en réponse de grand détail, est proposée)

1. Cf. Synthèse 3 p. 96 consacrée à la détermination des réponses de grand détail, par planche.
Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent 111

Mode de traitement du stimulus : les déterminants

Le déterminant de la réponse correspond au mode de résonance du stimulus


dans la vie psychique de l’enfant ou de l’adolescent et de la contribution
de celle-ci dans la production de la réponse, en fonction des différentes
caractéristiques du stimulus retenues par le sujet :
• La forme, cotée F, associée au mouvement, ou kinesthésie, cotée K ou k
selon le support représentatif à partir de laquelle elle émerge ;
• Le sensoriel, coté C ou C’ pour les couleurs chromatiques ou achroma-
tiques, E ou Clob pour l’estompage ou le clair-obscur.
Ce second registre de cotation rend compte des modalités d’implication
cognitivo-émotionnelle du sujet dans la rencontre avec le matériel, dans
la mesure où se trouve en jeu la qualité d’instauration des liens entre
monde interne et réalité externe... En effet, de la rigidité à l’envahissement,
se jouent l’élaboration et l’investissement des limites à partir des qualités
propres du matériel, mais se joue également la mobilisation affective face
à la tache, dont les expressions affectent la production de la réponse. On
le verra, l’articulation entre les modalités formelles/kinesthésiques d’une
part et sensorielles d’autre part, ouvre sur une compréhension des enjeux
de la transitionnalité dans le travail projectif : un indice spécifique, le Type
de Résonance Intime (T.R.I), figure la tension entre ces deux polarités, et
permet de situer l’engagement de l’enfant ou de l’adolescent, entre ancrage
dans la réalité externe et appel au monde interne (cf. infra, le développement
consacré aux indices spécifiques).
On n’insistera sans doute jamais suffisamment sur la place qu’occupe
la phase de l’enquête au service de la cotation des réponses à l’épreuve de
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Rorschach, et tout particulièrement au service de la cotation du déterminant.


Il s’agit en effet d’être en mesure de spécifier, à partir de la sollicitation
de l’enfant ou de l’adolescent, à quelle qualité du stimulus s’est attachée
son approche perceptive afin de donner corps à la représentation énoncée
face à la planche. En d’autres termes, il convient de déterminer de quelle
manière respectivement la forme, la couleur ou l’estompage participent de
la production de la réponse.
Comme on le verra, la référence à un seul déterminant ne suffit pas
toujours à rendre compte de la richesse et de la complexité du déterminant
de la réponse. La question se pose tout particulièrement lorsqu’une approche
formelle du stimulus concourt à la production de la réponse ; celle-ci se
trouve, dans un certain nombre de cas, associée à un autre déterminant :
112 Méthodologie de l’épreuve de Rorschach

• que celui-ci soit le mouvement, ce qui, par convention dans la tradition


de la cotation des réponses au Rorschach, entraînera la disparition de
la mention du déterminant formel (F) au profit de la seule mention du
déterminant kinesthésique (K)... alors même que le déterminant formel
sous-tend nécessairement la représentation du mouvement1 ;
• ou que celui-ci soit l’un des déterminants sensoriels (C ou C’, E ou Clob),
qui seront alors associés dans la cotation au déterminant formel, soit en
tant que déterminant principal2 , soit en tant que déterminant secondaire
si celui-ci semble intervenir de cette manière dans la production de la
réponse3 .

➤ Les réponses formelles


Le déterminant formel est celui qui regroupe le plus grand nombre des
réponses proposées par les enfants et les adolescents : tout à la fois marque
d’une saisie perceptive du stimulus et d’un appui sur celui-ci, et d’une
contrainte défensive aux limites du stimulus, la réponse formelle témoigne
d’un mouvement adaptatif de base, et d’une inscription dans un registre de
représentation potentiellement partagé. L’ancrage sur les limites de la tache
(ou d’une partie de la tache) autorise un échange avec un tiers, en appui sur
un aspect objectivable de la planche.

1. Malik (10 ans et 1 mois), à la planche III : « on dirait deux personnes là, qui touchent quelque
chose » (enquête : « (...) elles ont deux seaux ») ; cette réponse sera cotée G K H Ban, la référence au
déterminant formel n’apparaît pas dans la cotation, alors même qu’il est nécessairement impliqué
dans l’élaboration de la représentation des « personnes », conditionnant dans un second temps la
projection du mouvement.
2. Noémie (7 ans), à la planche VIII : « là il y a du feu... » (enquête : mentionne le D1) ; cette réponse
sera cotée D CF Elem, la couleur s’avérant décisive dans la production de la réponse, au détriment
de la forme qui, elle, n’apparaît que de manière très secondaire... Juliette (16 ans et 9 mois), à la
planche II : V. « un volcan » (enquête : « ici le haut du volcan – D3 – mais on voit bien l’intérieur de la
terre – Dbl + D2 – mais c’est surtout le haut, la couleur qui fait penser à un volcan » ; cette réponse sera
cotée Gbl CF Pays, afin de rendre compte de la primauté de la prise en compte de la couleur sur la
forme dans le processus de production de la réponse.
3. Brice (6 ans et 4 mois), à la planche IX : « un arbre » (enquête : « la terre – D6 –, le bois – Daxial
- les feuilles vertes – D1 – et les branches marron – D3) ; cette réponse sera cotée G FC Bot. Le
déterminant formel est privilégié dans la mesure des éléments apportés par l’enfant à l’enquête quant
à la construction formelle de la réponse au regard de la correspondance ; le déterminant sensoriel, ici
la couleur, intervient comme second déterminant, dans la mesure du lien explicite proposé entre les
éléments constitutifs de l’arbre et les couleurs de la planche. Flora (13 ans et 1mois), à la planche II :
« un hérisson mort » (enquête : « ça a un trou, c’est gros, c’est noir ») ; cette réponse sera cotée D/Dbl FC’
Adev. De la même manière que pour la réponse précédente, le déterminant formel semble organiser la
représentation, qui se trouve affectée secondairement par la référence à la couleur noire du stimulus.
Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent 113

L’enquête devra permettre de préciser la place qu’occupe le déterminant


formel dans la production de la réponse, tout particulièrement lorsque la
participation d’un déterminant sensoriel peut être identifiée comme venant
infléchir le déterminant formel.
La forme « pure »
Dans l’histoire des processus qui concourent à la maturation cognitive et
psychoaffective de l’enfant, on notera l’évolution progressive de la place des
déterminants formels dans les réponses proposées par les enfants puis les
adolescents. Ainsi que le relève M. Boekholt (1996), c’est le plus souvent sur
un mode sensoriel que les très jeunes enfants vont se saisir du matériel des
planches de Rorschach : la dimension visuelle de l’appréhension du matériel
se déploiera sur le fond d’une approche tactile, qui fonde la capacité de
l’enfant de circonscrire le stimulus qui lui est proposé. Ce n’est généralement
que vers l’âge de 5 ou 6 ans que l’enfant sera en mesure de véritablement
prendre appui sur le stimulus dans sa prescription formelle, et d’affecter à
celui-ci une représentation qui témoigne d’une inscription dans une réalité
délimitée et tangible.
Ainsi, Nora (2 ans et 5 mois), propose-t-elle aux deux premières planches
de l’épreuve :
– Planche I : « Marron et ça marron (renverse la planche)... marron, c’est
sale... marron c’est sale » ;
– Planche II : « Marron (montre le D1)... un dessin (montre le D3) ».

Au travers de ces deux premières planches, qui se présentent comme


paradigmatiques de son protocole, Nora montre de quelle manière son
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

approche du matériel est avant tout sensorielle, dominée par ce que l’on
appelle des nominations-couleur (dont on pourrait ici discuter la pertinence
au regard de l’inadéquation entre le stimulus noir et gris et la référence à la
couleur marron...). Cette approche tente timidement de faire émerger une
forme (« un dessin ») sans que celle-ci ne puisse être définie au-delà d’une
référence à la classe de contenu à laquelle renvoie le signifiant « dessin ».
En contrepoint, on peut considérer les réponses proposées par Brice
(6 ans et 4 mois) aux deux mêmes planches :
– Planche I : « Une abeille... je voulais dire un papillon mais je me suis
trompé » (enquête : « je croyais c’était pas une abeille... avec pas de petits
trucs blancs... moi je sais pas comment ça s’appelle ») ;
114 Méthodologie de l’épreuve de Rorschach

– Planche II : « Ça pourrait être deux garçons qui se tapent les mains...


et puis c’est tout » (enquête : « qui sont avec du sang, je crois qu’ils se
bagarrent »).

Les réponses proposées par Brice à ces deux premières planches montrent
bien comment peut s’élaborer la production d’une réponse dominée par un
déterminant formel (planche I, avec les tâtonnements liés à la construction
des limites du stimulus, en particulier autour de la prise en compte des
parties blanches de la planche...) et tenter de s’articuler déterminant formel et
déterminant sensoriel (planche II) autour de la projection d’un mouvement
sur la planche.
On comprend bien alors l’importance que revêt l’articulation entre
différents modes de détermination des réponses, c’est-à-dire entre différents
modes de mobilisation de l’enfant ou de l’adolescent face aux planches. Si la
dimension de l’ancrage formel garantit une forme d’accès à une organisation
structurée de la représentation, la mobilisation de ce seul ancrage formel
traduirait une rigidification dans l’appréhension du monde, au détriment
de l’expression affective portée par la dimension sensorielle du stimulus.
Nous aurons à envisager, dans le développement consacré aux détermi-
nants sensoriels des réponses, la manière dont la participation formelle se
trouve en mesure de contribuer, à des degrés variés, à une forme de plasticité
dans la construction des représentations.
La qualité formelle de la réponse et la banalité
L’enjeu principal dans la prise en compte du déterminant formel, au-
delà de la reconnaissance de sa participation propre dans le processus de
production de la réponse, tient dans la prise en compte de la qualité des
réponses formelles : celles-ci auront en effet, dans le système inauguré par
H. Rorschach, à être identifiées dans leur valence positive (cotée F+) ou
négative (cotée F-), voire incertaine (cotée F±). La distinction des réponses
formelles selon leur qualité constitue un exercice périlleux, dans la mesure de
la complexité de la définition même de la « bonne forme1 », définition dont
il convient de signaler d’emblée qu’elle ne devrait en aucun cas recouvrir
un élément sous-tendu par un jugement de la valeur des réponses formelles.
On envisagera d’ailleurs le sens que peut revêtir la répartition des réponses

1. On entend, en arrière-plan de la référence à la « bonne forme », la manière dont la pratique du


Rorschach et de sa cotation ont pu être marquées par la référence à la théorie de la Gestalt, qui
met l’accent sur la prégnance, dans le développement psychique de l’enfant, de ce que l’on pourrait
nommer des empreintes formelles.
Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent 115

formelles entre F+ et F-, et la place qu’occupent ces dernières comme témoins


du déploiement imaginaire de l’enfant ou de l’adolescent.
En effet, on peut considérer que la définition de la bonne forme s’appuie
sur deux aspects complémentaires, mais non nécessairement congruents,
qui chacun à leur manière contribue à ce repérage :
• d’une part la référence à un critère statistique, qui conduit à accueillir
comme réponse de bonne forme une réponse qui, dans une localisation
donnée, se présente dans une fréquence suffisante ; c’est dans cette
perspective que des ouvrages présentant des listes de réponse ont été
successivement élaborés au fil des années : celui de C. Beizmann (1966)
est le premier à avoir été publié en France et il a longtemps fait référence,
particulièrement en clinique adulte. Plus proche de nous, l’ouvrage de
J. Blomart (1998) s’est attaché à la spécificité de la détermination de la
qualité formelle chez les enfants de 8 à 16 ans, enfin, M. Emmanuelli et
C. Azoulay (M. Emmanuelli & C. Azoulay, 2009 ; C. Azoulay & Coll,
2012), dans une démarche de réactualisation des normes à l’épreuve de
Rorschach, proposent de l’adolescence à l’âge adulte, un certain nombre
de repères qui concernent, en particulier, la détermination des formes,
mais également la liste des grands détails (cf. supra) et celle des banalités
(cf. infra) ;
• d’autre part la référence à un critère lié à l’adéquation de la réponse à
l’égard du stimulus retenu ; on peut noter à ce propos que l’examen de
l’adéquation ou de la cohérence d’une représentation à l’égard de tout
ou partie du stimulus de la planche comporte nécessairement une part
subjective, que le praticien de l’épreuve de Rorschach doit être en mesure
de revendiquer...
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Ainsi, la pratique du psychologue le conduira à évaluer, pour chacune des


réponses formelles, l’occurrence de la réponse dans le corpus de réponses
rencontré au fil de sa pratique d’une part, et le degré d’adéquation entre la
réponse proposée et le stimulus d’autre part. Si les ouvrages comportant des
listes de réponse peuvent constituer un support pour le travail de cotation de
la qualité des formes, ils ne remplacent en aucun cas l’appui sur une solide
expérience de la pratique de l’épreuve, à partir de laquelle le psychologue
forgera ses critères d’appréciation de la qualité formelle des réponses. On
n’oubliera pas, par ailleurs, que la pratique de l’épreuve projective de
Rorschach s’inscrit dans un lien transférentiel qui infiltre nécessairement
la production des réponses de la part de l’enfant ou de l’adolescent, et qui
116 Méthodologie de l’épreuve de Rorschach

vient colorer de manière singulière la compréhension que le psychologue


peut avoir des ressorts de celles-ci.
Les réponses F+ contribuent à la définition d’un ancrage dans la réalité du
monde environnant de l’enfant ou de l’adolescent : si la délimitation formelle
en constitue une pré-condition, sa cotation en bonne forme parachève un
processus d’inscription dont on a pu montrer qu’il se construisait de manière
progressive dans le temps de maturation psychoaffective de l’enfant.
En complément de la cotation de la bonne forme de la réponse formelle,
se pose la question du critère de banalité de celle-ci : ce critère, qui repose
exclusivement sur une approche statistique de l’occurrence des réponses
proposées, pour une localisation donnée, est établi à partir de différentes
listes proposées par les auteurs au fil du développement de la pratique du
Rorschach : N. Rausch de Traubenberg (1970) pour la clinique adulte,
N. Rausch de Traubenberg, M.F. Boizou (1984) et J. Blomart (1998) pour
la clinique infantile et pré-adolescente.

La liste de banalités proposée page suivante (planche par planche) s’appuie


sur un certain nombre de travaux : ceux, historiques et pionniers de
C. Beizmann (1970) puis de N. Rausch de Traubenberg (1970), puis ceux,
plus récents, publiés par J. Blomart (1998) d’une part et M. Emmanuelli et
C. Azoulay (2009) d’autre part.
Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent 117

Synthèse 5 – Liste des banalités

Planche Banalité

I G : chauve-souris – papillon
G : masque*

II D1 : animaux ou têtes d’animaux**

III G : personnage
D3 : papillon – nœud-papillon

IV —

V G : papillon – chauve-souris

VI G : peau d’animal

VII —

VIII D1 : bêtes, animaux

IX —

X D1 : araignée, crabe
D/Dbl (ou Gbl) : tête humaine*

* nouvelle banalité proposée par C. Azoulay et Coll. (2007)


** banalité proposée classiquement (Beizmann, 1970), et attestée davantage
en clinique de l’enfant que de l’adolescent
118 Méthodologie de l’épreuve de Rorschach

Dans l’histoire du déploiement des processus de réponse dans l’évolution


psychoaffective de l’enfant, l’apparition des réponses banales vient souvent,
en un premier temps, témoigner d’un premier marquage d’une inscription
dans le trouvé de l’épreuve.
Les premières réponses du protocole d’Hamida (4 ans et 1 mois) rendent
compte de cette première inscription :
– Planche I : « Je sais pas... je sais pas (elle éprouve tactilement la surface
de la planche)... t’as fait de la peinture ? » ;
– Planche II : « Papa Noël, ça y est » (enquête : « parce qu’il est tout rouge »),
réponse cotée G CF-H ;
– Planche III : « Un papillon... là (D2), je sais pas » (enquête : localisation
de la réponse en D3), réponse cotée D F+ A Ban ;
– Planche IV : « Je sais pas (prend la planche en main)... un loup... il fait
pipi... après il s’essuie et après il tire la chasse d’eau », réponse cotée
G kan+ A ;
– Planche V : « Je sais pas... un papillon, papillon, papillon », réponse cotée
G F+ A Ban.

Dans cette séquence de réponse, on observe la construction progressive


de l’appréhension du stimulus par Hamida :
• Un premier mouvement de refus1 , qui se traduit par l’absence de réponse
à la planche I ;
• Un second mouvement de construction d’une réponse dominée par un
déterminant sensoriel (la réponse « papa Noël » est construite à partir de
la prise en compte des parties rouges de la planche) ;
• Ce n’est que dans un troisième temps qu’une réponse formelle, réponse
banale, adviendra (« un papillon »), dans une forme de continuité
d’appréhension avec la planche II (c’est à partir du rouge, déterminant
dans la réponse précédente, que se construit la réponse banale) ;
• Puis, aux planches IV et V la détermination formelle s’installe, alternant
F- à la planche IV et F+ banalité à la planche V : il semble que dans

1. On nomme refus la situation dans laquelle un sujet se montre dans l’incapacité de proposer une
réponse face à une planche. Ce terme de refus, malgré sa connotation péjorative, voire caractérielle, est à
entendre dans une acceptation neutre, comme la marque du non-aboutissement du processus de mise
en représentation face à la planche, comme une forme d’empêchement du processus de symbolisation,
dont il convient d’interroger le sens dans le contexte général de la production projective.
Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent 119

la construction de la réponse formelle, c’est l’appui sur le caractère


suffisamment partagé de la représentation qui permet à Hamida de
prendre appui sur le percept dans la qualité de ses limites.
En contrepoint des réponses de bonne qualité formelle (F+), la définition
des réponses cotées F- peut être proposée en creux : ce sont celles qui
n’auront pas été reconnues comme répondant aux deux critères évoqués
précédemment pour la définition de la bonne forme. On ne peut considérer
que ces réponses sont nécessairement peu adéquates, mais leur lien avec le
stimulus, dans sa détermination formelle, n’apparaît pas de manière aussi
convaincante.
De fait, on peut déterminer deux grands types de réponse F-, dont il
convient également de discuter la qualité en fonction du type de localisation
sur lequel elles s’appuient, globalité de la tache ou détail (grand ou petit) :
• d’une part celles qui témoignent d’une forme de désengagement à l’égard
d’un appui sur les limites du percept : celui-ci est envisagé dans les grandes
lignes de son organisation, sans que la représentation qui y est associée
ne se réfère de façon marquée à son organisation :
le protocole de Zouina (4 ans et 7 mois) en donne un exemple, à la
planche I
« un avion » (enquête : « Ça fait comme ça » – elle fait le geste de faire
voler la planche – « ou une fusée, oui une fusée), réponse cotée G F- Obj ;
ou bien celui de Marie-Chantal (9 ans et 6 mois), à la planche IX
« la route » (enquête : localisation en D1), réponse cotée en D F- Pays ;

On peut noter que parmi ces réponses cotées en F-, se trouvent un certain
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nombre de réponses que l’on nomme de persévération ;


• d’autre part celles qui témoignent d’une créativité particulière, et qui
s’éloignent de ce fait des réponses habituellement fournies, mais qui
s’inscrivent dans une recherche particulière à l’égard du stimulus :
à la planche VIII, Sonia (7 ans et 3 mois) propose une réponse qui
illustre ce mode de détermination formelle du stimulus : « un tête... de
robot » (enquête : « le chapeau, les oreilles, la bouche et les yeux », réponse
cotée G F- (Hd)) ;
tout comme à la planche X, la réponse proposée par Norredine (11 ans
et 5 mois) rend compte d’une telle dynamique (précisons qu’il s’agit de
la dernière réponse de la planche, donc du protocole) : « une tête d’ours
120 Méthodologie de l’épreuve de Rorschach

déplumée » (enquête : « on l’a tué parce que son nez il était trop grand »,
réponse cotée D F- Ad).

Ainsi, il convient de considérer avec précaution le rapport qui s’établit entre


les formes F+ et les formes F-. Ce rapport, que l’on calcule généralement en
forme de pourcentage au regard du nombre total de réponses déterminée par
la forme (F+ %), doit être évalué dans le contexte général de la production
de l’enfant. Il vient compléter le calcul du rapport qui s’établit entre les
réponses déterminées par la forme (forme pure) et l’ensemble des réponses
du protocole (F %).
Signalons que ces deux rapports peuvent être modulés par le calcul de ce
que l’on nomme F % élargi et F+ % élargi, dont N. Rausch de Traubenberg
propose qu’ils puissent utilement autoriser une mise en perspective entre la
qualité de saisie formelle du stimulus dans le cadre des formes pures d’une
part (cf. ci-dessus) et celui des formes associées aux kinesthésies ou à des
déterminants sensoriels.
Enfin, il importe de signaler que certaines réponses formelles échappent à
une cotation en F+ ou en F-, du fait de leur indétermination1 : ces réponses,
cotées F±, sont caractérisées par le flou et l’incertitude qui accompagnent
la verbalisation de l’enfant ou de l’adolescent. Cette incertitude porte
généralement sur le contenu de la représentation et sur le lien entre celle-ci
et le stimulus ou la partie du stimulus concernée. On peut comprendre ces
réponses comme témoignant d’une difficulté de l’enfant ou de l’adolescent
d’une part au plan de la discrimination du stimulus et d’autre part au plan
du déploiement du processus de symbolisation. En filigrane, on peut bien
sûr interroger la qualité de l’expérience de la rencontre avec la planche et,
en creux, les mouvements affectifs qui sous-tendent la production de telles
réponses. Nous en proposons deux exemples :
Samuel, 6 ans, à la planche I
« Peut-être une espèce de bête, mais ça ressemble à rien, je peux pas dire
ce que c’est » (G F± A).

1. Il convient ici de rendre attentif le lecteur que la cotation en F± ne peut en aucun cas constituer
une cotation par défaut dans le cas où le psychologue se trouverait en perplexité quant au choix d’une
cotation F+ ou F- ; cette cotation a son propre rationnel qu’il convient de prendre en compte.
Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent 121

Maryline, 11 ans et 3 mois, à la planche VII


« On dirait des sortes de montagnes, c’est pas sûr, on les voit pas bien »
(G F± Géo).

Il est difficile de proposer des données normatives concernant le rapport


entre l’apparition des réponses cotées F+ et celles cotées F- dans un protocole
d’enfant ou d’adolescent. Trois périodes du développement peuvent être à
cet égard identifiées :
• La période de la première enfance (jusqu’à l’entrée dans la période de
latence), au décours de laquelle alternent des expressions contrastées
quant à la qualité formelle des réponses : les protocoles oscillent entre
la prévalence des réponses F+, qui traduit un mouvement de contrôle
perceptif en appui sur la proposition de réponses essentiellement banales
et la prévalence de réponses F-, souvent peu en prise avec le stimulus, qui
marque une forme de débordement de l’imaginaire lié à un maniement
fragile des frontières entre monde interne et réalité externe ;
• La période de la latence, qui voit triompher les marques d’une adaptation
à l’environnement social et culturel, avec la présence affirmée de réponses
F+, qui peuvent prendre la forme de réponses élaborées, réponses qui
alternent avec des réponses F-, qui possèdent un caractère original au
sens d’une construction dont on peut mesurer la pertinence au travers
du discours de l’enfant ;
• La pré-adolescence et l’adolescence, dominées, on le verra, par de forts
mouvements d’inhibition voire de répression, qui conduisent à des
protocoles bien souvent marqués par des pseudo-adaptations dont
témoignent des réponses F+ que l’on peut qualifier de normatives.
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Les travaux de J. Blomart (1998) constituent sur ce point une référence


précieuse, dans la mesure où ils proposent un regard sur l’évolution de l’in-
vestissement des formes (mais aussi des autres déterminants, kinesthésiques
ou sensoriels) en fonction de classes d’âge définies en quatre groupes, à partir
de 8 ans (8–10 ans, 10–12 ans, 12–14 ans et 14–16 ans).

➤ Les réponses kinesthésiques


Les réponses kinesthésiques sont des réponses qui intègrent la dimension
du mouvement comme organisatrice de la production projective. Classi-
quement, on considère la réponse de mouvement comme paradigmatique
d’un aboutissement du processus de la projection engagé dans l’épreuve :
122 Méthodologie de l’épreuve de Rorschach

en effet, le sujet affecte à la planche une qualité dont elle est à coup sûr
dépourvue, celle d’un mouvement engageant une représentation. À ce titre,
on considère que la réponse kinesthésique témoigne d’une modalité élaborée
d’investissement du processus représentatif, dans la mesure où elle rend
compte de la capacité de l’enfant ou de l’adolescent à mobiliser ses objets
internes pour proposer, au travers de la réponse projective, une figuration
de leur nature et de leur qualité. On envisagera toutefois la spécificité des
différentes formes expressives de la kinesthésie dans les protocoles d’enfant
ou d’adolescent, en appui sur une différenciation des types de kinesthésies,
et en fonction de l’âge auquel elles émergent parmi les productions.

On distingue deux grands types de kinesthésies :


• les kinesthésies humaines (cotée K), qui portent sur un contenu de
représentation humain, envisagé dans son entièreté et son intégrité ;
• les kinesthésies dites mineures, qui portent soit sur un contenu de
représentation humain partiel (coté kp), soit sur d’autres contenus de
représentation : animal (kinesthésie animale cotée kan), objet (kinesthésie
d’objet cotée kob), situation explosive (kinesthésie explosive cotée kex).

Au regard de la spécificité de la clinique projective de l’enfant et de


l’adolescent, le choix sera fait ici de présenter d’une part les kinesthésies
humaines, en y intégrant les kinesthésies partielles ; d’autre part les
kinesthésies animales, en ce qu’elles possèdent une place et fonction
spécifique pour les enfants et les adolescents ; et, enfin, les autres kinesthésies
mineures. Notons que la production de kinesthésies, qui impliquent une
différenciation suffisamment fiable entre monde interne et réalité externe,
c’est-à-dire une construction avérée d’objets internes fiables, intervient de
manière marginale chez les très jeunes enfants, souvent remplacée par un
mode d’agir dans l’ici-et-maintenant de la passation. Exceptionnellement
cependant, des réponses de kinesthésies peuvent être proposées par de très
jeunes enfants.
Comme Simon (3 ans et 9 mois) à la planche VIII :
« Un oiseau qui tire les scarabées... c’est magique regarde » (cotée Gz
kan A).

Au plan de la technique de cotation, il faut souligner une particularité


qui conduit à opérer une ellipse de la cotation de la forme, alors même que
Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent 123

celle-ci se trouve engagée de manière quasi-systématique dans l’émergence


du mouvement attribué au stimulus. Par convention, la cotation de la
forme ne sera donc pas portée explicitement, alors même que de manière
implicite celle-ci concourt à la production de la réponse. Seules certaines
kinesthésies explosives par exemple peuvent se construire préférentiellement
sur un déterminant sensoriel, la couleur en l’occurrence, nous y reviendrons
dans le développement consacré aux autres kinesthésies mineures.
Les kinesthésies humaines
Les kinesthésies humaines concernent un mouvement affecté soit à une
représentation humaine soit à des représentations pseudo-humaines ou
para-humaines (géant, monstres, robots...). Le statut de la représentation
support de la kinesthésie, tout comme la qualité d’élaboration du stimulus
dont elle témoigne, constituent bien sûr des éléments déterminants pour
l’analyse de la kinesthésie humaine.
Ce sont les kinesthésies humaines qui, au plus près du processus projectif
(représenter au-dehors un éprouvé/une représentation du dedans), constituent
le support pour l’expression des organisateurs de la vie psychique, en appui
sur une représentation inconsciente du corps : on pourrait ici parler de
l’expression d’une forme de topique corporelle, dont la charge pulsionnelle
vectorise la figuration. Si, comme le propose N. Rausch de Traubenberg
(1994), « le Rorschach teste une image du corps intégrée », c’est bien dans le
cadre des réponses de kinesthésie humaine que la dimension de la projection
de l’image du corps prend tout son sens.
Par ailleurs, au-delà de cette dimension narcissique de la kinesthésie, il
y a lieu de prendre en compte sa dimension objectale, dans la mesure où
c’est elle qui soutient la qualité de la relation à l’objet et l’élaboration
des représentations de relation. C’est à la planche III du Rorschach,
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dont le stimulus appelle tout particulièrement la représentation humaine,


qu’émergent de manière privilégiée les kinesthésies humaines, à partir de ce
double enjeu narcissique (mise en représentation de la représentation d’un
corps entier et intègre) et objectal (traitement de l’énigme de la sollicitation
bisexuelle de la planche).
Agathe (6 ans et 8 mois), à la planche I : « C’est un monstre qui vole »,
réponse cotée G K (H).
Matthias (16 ans et 3 mois), à la planche III : « Deux personnes en train
de se parler à la terrasse d’un café, c’est tout », réponse cotée G K H.
La cotation des kinesthésies humaines ouvre sur une question tout à la
fois technique (méthodologique) et théorique (au sens de la définition
124 Méthodologie de l’épreuve de Rorschach

d’une théorie de la méthode). En effet, il est de pratique usuelle de


procéder à la cotation d’une kinesthésie humaine à partir du moment
où une représentation humaine, entière et intègre, est proposée par le sujet
(C. Chabert, 1998). Il semble que cette pratique comporte le risque d’un
écrasement des enjeux singuliers de la kinesthésie dans la mesure où elle
tend, au regard de la cotation tout du moins, à mettre sur le même plan les
expressions propres à la kinesthésie et les empêchements dans l’émergence
de celle-ci. Afin de permettre une approche fine des mouvements engagés
dans la kinesthésie, je propose :
• d’une part de réserver la cotation de la kinesthésie aux réponses dans
lesquelles un mouvement est avéré et explicitement énoncé par l’enfant
ou l’adolescent :
comme pour Raphaële (14 ans et 1 mois), à la planche III :
« Deux personnes qui jouent de la musique » (enquête : « les personnes
et les tam-tam à côté », réponse cotée G K H Ban) ;

• d’autre part de préciser le statut de certaines formes de kinesthésies peu


déployées, voire empêchées, que l’on peut repérer autour de trois formes
principales : les kinesthésies d’attitude, les kinesthésies réprimées et les
kinesthésies refoulées.

La kinesthésie d’attitude (que l’on peut coter KAtt) peut être décrite comme
une première forme de répression du mouvement, au sens où la charge
pulsionnelle ne peut trouver à se déployer dans une représentation de
relation :
Jean-Bertrand (17 ans et 5 mois), à la planche VII : « Ben (il rit) on
dirait deux... deux bonhommes qui se regardent... qui sont tournés vers là
avec le corps... mais qui se regardent, avec une espèce de plume, un bonnet »
(enquête : « on dirait la tête à Peter-Pan, plus le corps d’une femme, avec
une jupe », réponse cotée G KAtt H). La réponse de Jean-Bertrand face à
la planche, si elle témoigne d’une tentative de construction de la relation à
un autre différencié vient buter, comme nous en informe l’enquête, dans
ce temps singulier de l’adolescence, à une difficile conflictualisation de la
rencontre de la bisexualité.
La répression de la kinesthésie (que l’on peut noter comme une tendance
de la kinesthésie : > Krep), à proprement parler, se trouve quant à elle
Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent 125

marquée par l’énoncé d’une réserve, d’une limitation de l’investissement du


mouvement sur la planche dans la production verbale de la réponse. Cette
répression touche à l’expression pulsionnelle et à ses enjeux de traduction
en terme d’affect et de représentation :
Steven (9 ans et 9 mois), à la planche III :
« Deux personnes qui dansent un peu, aussi... ou qui s’écartent, en
fait, voilà » (enquête : « avec la vitesse, les petits traits », réponse cotée
D K H Ban).

Ici, la répression de la kinesthésie est assez explicitement liée au risque que


représente le rapproché initié par la rencontre entre les deux personnages
(non identifiées au plan sexué) au décours du mouvement projeté sur la
planche. La répression consiste alors ici à limiter les effets du rapprochement,
avec le recours à un écart, qui intervient comme solution secondaire... et
fragile aménagement.
Dans un certain nombre de cas, cette répression peut céder à l’enquête,
même si ce n’est que partiellement :
Tarak (6 ans et 2 mois), à la planche VIII
« On dirait des souris... » (enquête : « ils essaient en train de monter,
le pied de la souris, les souris, c’est petit, là on les voit grandes... c’est
peut-être un rat... les souris elles arriveraient pas à monter », réponse
cotée D F+ A Ban > kan rep).

Enfin, la répression de la kinesthésie peut être observée dans des situations


où l’agir, dans le cadre de la passation, prend le relai de l’expression verbale
du mouvement :
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Marie-Manuelle (8 ans et 1 mois), à la planche III


« Deux dames » puis elle jette la planche en direction du psychologue
(enquête : « elles font un gâteau », réponse cotée G F+ H Ban > K rep ).

Sans doute peut-on considérer que l’empreinte motrice sur la planche


vient, dans un premier temps, signifier, dans l’agir, la répression du
mouvement (et une forme d’échec du processus de symbolisation) qui
pourra, à l’enquête se déployer.
Fabienne (10 ans et 6 mois), à la planche V
« Un oiseau... cui-cui » (elle accompagne sa verbalisation de gestes qui
figurent le vol de l’oiseau, réponse cotée G F+ A Ban > kan rep).
126 Méthodologie de l’épreuve de Rorschach

La motricité paraît ici mobilisée au service de la symbolisation dont la


traduction secondaire (en forme de représentation-mot) ne pourra advenir
ni dans le cadre de la passation, ni dans celui de l’enquête.
On notera que les exemples proposés en appui sur des protocoles de
clinique infantile s’appuient de manière indifférenciée sur la production
de réponses mettant en jeu des représentations humaines et animales. Le
prochain développement consacré aux kinesthésies animales apportera un
éclairage sur ce choix.

Le refoulement de la kinesthésie (que l’on peut noter comme une tendance de la


kinesthésie : > Kref ) résulte d’un processus davantage élaboré, que l’on peut
référer à un registre névrotique du fonctionnement psychique. Il procède
en effet d’un effet de leurre, qui permet de proposer une représentation
acceptable au regard des instances de l’interdit, masquant la prégnance
du désir. Cette modalité de traitement, en creux, du mouvement face aux
planches de Rorschach se rencontre essentiellement dans les protocoles de
pré-adolescents ou d’adolescents :
Valérie (13 ans et 6 mois), à la planche VII
« Euh... euh... deux filles, deux jumelles, qui sont sculptées sur une
pierre, sur une balance » (enquête : « la pierre ça fait une balance, et là les
jumelles elles sont identiques, sauf elles sont face à face », réponse cotée
G F+ H > Kref).

Le recours à la pétrification vient ici au service du refoulement et semble


mobilisé pour tenir à distance les enjeux pulsionnels liés au rapproché
homosexuel.
Parmi les kinesthésies humaines, il convient de mentionner la spécificité
des kinesthésies dites interprétatives dans les protocoles d’enfants ou d’ado-
lescents : ces kinesthésies, qui mettent en scène des figures effrayantes et/ou
menaçantes, témoignent d’un rapport persécutoire au monde environnant.
La dimension interprétative est retenue lorsque la réponse met en scène un
personnage (souvent un pseudo- ou para-humain) dans une forme d’adresse
inquiétante à l’enfant ou à l’adolescent. La place du regard y occupe une
place significative, et c’est bien souvent autour des yeux que se développe la
dimension interprétative de la kinesthésie :
Sébastien (10 ans) à la planche IX
« ! Ça..." une plante carnivore, vue du bas et... ! comment ça s’appelle
ces machins ? une langue de chat... dans mon Alien il y a une méchante
Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent 127

langue... il vient vers toi et il te mange » (enquête : « c’est au plafond... là


le machin pour s’accrocher au plafond, là le système digestif, là la grosse
bouche avec les grosses épines et là la langue », réponse cotée G K (H)).
Amel (12 ans et 9 mois), à la planche IV
« Ah ! géant... un ogre en fait si vous préférez, un loup aussi, ses petits
yeux... il ressemble au loup de Blanche-Neige, non du Chaperon Rouge...
ou aussi de Blanche-Neige... » (enquête : « je le voyais de loin, l’impression
d’être en bas et lui en haut, il me fonce dessus avec ses pattes », réponse
cotée G K (H)).
Aurélie (13 ans et 10 mois), à la planche IX
« Alors là ! là je verrais plutôt comme si quelque chose... je vois la peur,
comme si y a quelque chose d’affreux qui est arrivé... comme si une
personne hantait des personnes, comme un fantôme qui hante les autres
personnes » (enquête : « c’est pas vraiment des personnes mais je me suis
imaginée que c’est des personnes... le fantôme en haut et les deux qui se
regroupent parce qu’ils ont peur », réponse cotée G K (H)).

Les kinesthésies partielles


Une double définition permet d’appréhender la kinesthésie partielle (cotée
kp) : il s’agit soit d’un mouvement affectant la représentation d’une partie
du corps humain, soit d’un mouvement humain localisé dans un petit
détail. Dans un cas comme dans l’autre, la valeur que l’on peut attribuer
à la kinesthésie partielle est à considérer dans une forme de limitation ou
de rétractation de l’engagement imaginaire de l’enfant ou de l’adolescent :
tout se passe alors comme si les appuis sur le monde interne et les objets
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qui le constituent, ne pouvaient être suffisamment fiables pour autoriser le


déploiement de représentations humaines susceptibles de se proposer comme
des points d’ancrage pour l’inscription identitaire et les choix identificatoires.
Deux exemples peuvent en être proposés pour figurer une kinesthésie
portant sur une partie du corps humain :
Martine (15 ans et 7 mois), à la planche IV
« C’est un monsieur couché... il a un bras qui bouge... je sais pas pourquoi
je suis avec les gens... en tous les cas c’est très joli, c’est original... »
(enquête : « les pieds, les bras, la tête », réponse cotée G kp H).
128 Méthodologie de l’épreuve de Rorschach

Romuald (17 ans), à la planche VIII


« Je sais pas, des sortes de mains là... qui tiennent des panthères » (réponse
cotée DD kp Hd/A).

La dimension partielle de ces kinesthésies interroge clairement les


potentiels d’unification pulsionnelle de l’enfant ou de l’adolescent et invite
à une lecture des enjeux de cette découpe au regard de ce dont témoigne la
pulsion partielle qui s’exprime de manière sous-jacente. Sans doute dans ces
deux réponses, et de manière différente, la question de la pulsion d’emprise se
trouve posée sur ses deux versants d’impuissance dans la passivité (Martine)
et de maîtrise phallique (Romuald).
Enfin, la kinesthésie humaine portant sur une représentation limitée
à l’appréhension d’un petit détail peut être illustrée par la réponse de
Sébastien :
Sébastien (10 ans), à la planche X
« Un Alien... en enlevant çà... qui bouge » (localisation dans la moitié de
D1, réponse cotée Dd kp (H)).

Ici, la limitation de la représentation, par ailleurs dans le registre du


pseudo-humain, rend compte du risque de la confrontation à une figure
totale, inquiétante, et potentiellement menaçante (cf. supra, avec l’exemple
de réponse de kinesthésie interprétative proposée à partir du protocole de
Sébastien, planche IX).
Les kinesthésies animales
Les kinesthésies animales, cotées kan, concernent des réponses mettant en
scène le mouvement d’animaux, en principe figurés entiers et intègres. Ces
animaux peuvent également prendre la forme de figures issues d’un monde
imaginaire (mythologie, contes, mondes fantastiques et/ou virtuels...). Il
importe ici de différencier la place et la fonction des kinesthésies animales
en fonction de l’âge.
En effet, dans le temps de l’enfance, compris jusqu’à l’issue de la période
de latence, on peut considérer que les représentations animales, et les
kinesthésies qui y sont associées, constituent des alternatives identificatoires
à l’investissement des représentations humaines. Il convient de penser
cette forme de continuité entre représentations humaines et animales
(particulièrement lorsque ceux-ci sont des animaux que l’on peut qualifier
d’anthropomorphiques : ours, chien...) en lien avec l’investissement privilé-
gié du monde imaginaire par le jeune enfant (fragilité de la différenciation
Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent 129

entre monde interne et réalité externe) puis comme la poursuite de cet


investissement imaginaire sous le primat de la sublimation, dans le temps
de la latence, avec la prégnance de l’offre de figures de substitution dans
l’environnement culturel de l’enfant (littérature, films, jeux vidéos...).
Christophe (7 ans), à la planche II
« Des... éléphants qui... qui font des... de la, un peu de bataille avec leur
trompe et tout » (enquête : « les oreilles, les trompes et ça (D3) c’est je
crois quand ils saignent, ils se font mal, c’est pas des bébés du même
groupe »).
Jonas (9 ans), à la planche VIII
« On dirait un petit animal, deux petits animals qui montent sur quelque
chose, qui montent sur un rocher, sur plusieurs rochers, c’est pareil »
(réponse cotée D/G kan A).
Kamel (11 ans et 5 mois), à la planche X
« Un cheval ou deux chamois en train de courir » (enquête : « quand ils
courent sur une montagne », localisation en D7, réponse cotée D kan A).
La réponse proposée par Christophe exemplarise le mode de recours
substitutif aux représentations animales et aux mouvements qui les affectent
dans le temps de l’enfance : la parenté projective est transparente, traduite
dans la verbalisation par l’enfant avec la référence au « bébé ».
Dans le temps de la pré-adolescence puis de l’adolescence, les repré-
sentations animales et les mouvements qui leur sont affectés tendent à
prendre une autre valeur : ils convient alors d’envisager la valeur régressive
de ces émergences, qui procèdent sur le mode du déplacement, dans un
contexte où la confrontation à la représentation humaine, dans la charge
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pulsionnelle qui lui est attachée, vient parfois déborder les potentiels de
mise en représentation de l’adolescent.
Romain (14 ans et 11 mois), à la planche III
« ! Un singe qui se tape sur la tête (il rit) je verrais bien ça... oui c’est
ça (il retourne la planche) » (enquête : « ! les mains, les yeux », réponse
cotée G kan A).
Jean-Bertrand (17 ans et 5 mois)
« Là un espèce d’animaux de mer, là aussi un animaux de mer... et qui
se battent, par paire ou qui se rencontrent mais je crois plutôt qu’ils se
battent » (réponse cotée G kan A).
130 Méthodologie de l’épreuve de Rorschach

Pour Romain, le recours à la représentation animale et à son animation


semble constituer une alternative face à l’engramme humain de la planche
(il propose sa réponse à partir d’un renversement de la planche, annulant la
prégnance de cet engramme ; la référence aux « mains » des singes trahit la
participation empêchée de la représentation humaine). Pour Jean-Bertrand,
l’appel aux figures animales paraît autoriser, sur le mode du déplacement,
une mise au travail de la problématique du double et du risque qui s’y trouve
attaché.
L’investissement des mouvements d’animaux, dans la mesure de la qualité
du support de la kinesthésie, au côté de la production d’autres modes
de kinesthésie, contribue à rendre compte d’une plasticité du processus
représentatif. Si chez les jeunes enfants, la production de kinesthésies
animales s’inscrit assez clairement dans une modalité de déplacement de la
conflictualité, chez les adolescents elle peut apparaître davantage comme
une voie de dégagement face au risque de la rencontre identificatoire.
Les autres kinesthésies mineures
Les kinesthésies d’objet (kob) concernent soit une représentation qui comporte
en elle-même son potentiel de motricité (tout objet à moteur : voiture, avion,
bateau...), soit une représentation prise dans les restes de l’animisme infantile
et à laquelle sera affectée une capacité motrice propre. Si les premières
de ces formes de kinesthésie sont plutôt l’apanage des grands enfants
aux adolescents, les secondes concernent, bien sûr, davantage les jeunes
enfants. Les kinesthésies d’objet témoignent de la fragilité de la sécurité
interne de l’enfant ou de l’adolescent, face à une réalité de l’environnement
qui peut apparaître comme dangereuse voire menaçante. Sans doute le
caractère persécutoire des réponses de kinesthésie d’objet se trouve-t-il à
interroger, particulièrement lorsque ces réponses reposent sur la survivance
de l’animisme infantile. En effet, si cette dimension apparaît de manière
explicite au travers des kinesthésies interprétatives, véritable expression d’une
menace dans la rencontre de l’autre, elle s’infiltre de manière plus insidieuse
au travers des kinesthésies d’objet, comme par exemple dans la réponse
suivante :
Tiphanie (4 ans et 10 mois), à la planche II
« C’est un fusil, la flèche (D2) ici... et le fusil qui part » (réponse cotée
G kob Obj).
Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent 131

Arthur (6 ans et 2 mois), à la planche VIII


« Là une flèche (D3) » (enquête : « là c’est un truc (il montre le détail
axial)... là c’est une flèche qui fait (il siffle pour imiter le bruit de la flèche)
et elle fonce dans un bonhomme », réponse cotée D ou DD kob Obj).

Même dégagé de l’animisme infantile, l’investissement de kinesthésies


d’objet peut continuer à marquer un point de fragilisation dans le lien à
l’environnement :
Serge (13 ans et 2 mois), à la planche II
« (...) ça peut être un objet volant... autrement ... autrement je sais
pas... oui je vois pas d’autre truc » (enquête : « comme dans les films
de science-fiction... l’objet (D1), les flammes (D3) comme les avions
puissants et là les rayons (D2) je sais pas quoi », réponse cotée G Kob Obj).
Dans un autre registre, Thierry (18 ans), à la planche VIII, tente, au
travers de l’apprivoisement formel de la planche, de contenir le risque
potentiel attaché à la rencontre de l’environnement, après avoir proposé une
première réponse dominée par la détermination sensorielle de la planche :
« Au deuxième abord, je verrais un voilier, un gros voilier, avec des voiles
sur les côtés, venant vers nous... le bleu représente la grand-voile et le
gris l’autre voile... oui ça représenterait plus ça, le voilier, grand voilier »
(enquête : « les vagues sur les côtes », réponse cotée G kob Obj).

Les kinesthésies explosives (kex) s’expriment à partir de représentations


d’explosion, d’éruption ou de tout forme de dislocation d’une entité et
rendent compte de l’affectation d’une énergie interne propre à entrainer
une perte de l’intégrité. Les réponses de kinesthésies explosives sont
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

particulièrement attachées aux planches qui comportent de la couleur,


et de la couleur vive tout spécialement (le rouge des planches II et III,
le orange de la planche IX) ou à la planche qui présente une dispersion
significative du stimulus (planche X). On peut remarquer que ces quatre
planches sont également celles qui mettent en jeu de la manière la plus
marquée la problématique de l’unité du stimulus, de par la place occupée
par le blanc : vacances intermaculaires des planches II et IX, prégnance du
fond blanc de la planche, dans sa double valence de fond organisateur et
d’attraction morcelante.
Dans ce contexte, on comprend que le fondement formel de la kinesthésie
explosive se présente bien souvent comme extrêmement fragile, au profit
d’une approche sensorielle du stimulus. On peut considérer que dans
132 Méthodologie de l’épreuve de Rorschach

la majorité de ces réponses, la couleur constitue le pôle d’arrimage de


la représentation qui ne prend appui que de manière marginale sur la
délimitation des contours du stimulus, dont on peut comprendre qu’ils se
présentent comme vacillants.
Si les réponses déterminées par des kinesthésies explosives peuvent
apparaître dès l’enfance, elles se trouvent alors habituellement limitées
à la planche X de l’épreuve, et contenues a minima dans des représentations
de « feu d’artifice ». Tout se passe comme si cette représentation, de par son
caractère socialement partagé et positivement connoté autorisait une forme
de réassurance face à l’impact lié à la sollicitation de la planche :
Diane (5 ans et 2 mois), à la planche X
« Un feu d’artifice » (réponse cotée G kex Frag).

Au-delà de l’enfance, on assiste à des constructions plus élaborées, qui


font appel, le cas échéant, à des modes d’intellectualisation dont on peut
comprendre qu’ils viennent pallier le vécu d’effraction lié à la rencontre avec
la planche :
Germain (16 ans), à la planche II
« Je peux la tourner ou pas ? (il rit) ! ça me fait penser à rien du tout...
#!" je sais pas ! peut-être un volcan un petit peu là (D3)... un volcan

qui explose "! non je sais pas » (enquête : « le trou au milieu et le rouge
autour, les traits rouges qui partent dans tous les sens, le réservoir là dans
le blanc », réponse cotée D/Dbl kexC Géo).

Les doutes, les différents renversements de planche, la dénégation in fine...


constituent autant de stratégies mises en œuvre par Germain pour tenter de
faire face au vécu d’effraction face à la planche.
Véronique (17 ans et 11 mois), à la planche IX
« !"! Dans ce sens là ça me ferait penser... la partie rose me ferait penser
à une explosion nucléaire, la forme du champignon, le mot qui me vient
à la bouche c’est Hiroshima ou Nagasaki avec le vert et le orange des
retombées radioactives ou de poussière... le mélange des couleurs ferait
penser à ça... je sais même pas si les retombées radioactives sont visibles...
mais c’est pas grave » (enquête : « à la fois net et flou... on voit le pied et
la tête, mais contrairement à un vrai champignon les limites sont floues »,
réponse cotée Gbl kex Div).
Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent 133

On peut repérer ici de quelle manière la construction de la réponse, en


appui sur la délimitation formelle du stimulus et une tentative d’inscription
géopolitique de la réponse, tend à se trouver mise en échec par l’impact
effractif du stimulus quant à la définition des limites.

➤ Les réponses sensorielles


On désigne par réponses sensorielles les réponses qui sont déterminées par
la prise en compte privilégiée d’un aspect sensoriel de la planche :
• La couleur, qu’elle soit chromatique ou achromatique ;
• L’estompage, que l’on peut définir comme la sensibilité au contraste ;
• Les réponses clair-obscur, dont le statut se présente comme singulier et
méritera d’être discuté, que l’on peut définir comme marquées par une
sensibilité particulière à l’aspect sombre et massif de certaines planches.
En contrepoint des réponses formelles dont l’organisateur princeps
porte sur la délimitation rationnelle du stimulus, les réponses sensorielles
témoignent de l’investissement du matériel projectif dans le registre de
l’affectivité. Celle-ci s’exprime au travers du déterminant sensoriel qui
traduit une forme de perméabilité du psychisme à des modalités sensibles
dans le rapport au monde environnant. Dans ce sens, on peut dire que les
réponses déterminées par la seule dimension sensorielle mettent à jour un
mode de relation à l’environnement peu défendu, marqué par une précarité
des dispositifs de pare-excitations de l’enfant ou de l’adolescent : une réponse
« du sang » à la planche II ou III, proposé dans l’un des détails rouges de la
planche, en constitue une référence paradigmatique. L’impact du rouge1 est
ici particulièrement prégnant, sans que l’appui sur le contour du stimulus
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

ne puisse être mobilisé aux fins de border l’éprouvé affectif face à la planche.
La dimension de la saisie affective du stimulus dont rendent compte les
déterminants sensoriels peut être abordée selon trois polarités qui traversent
le développement psycho-affectif de l’enfant et de l’adolescent, sur son
double versant normal et pathologique :
• d’une part au regard d’un mode de saisie du matériel qui, dans les
premiers temps du développement, s’appuie de manière significative sur la

1. La spécificité de la sollicitation du rouge fera l’objet d’une discussion dans la partie consacrée aux
déterminants couleur.
134 Méthodologie de l’épreuve de Rorschach

dimension de l’éprouvé sensoriel ; on verra que chez le très jeune enfant (2–
4 ans), en particulier, cette modalité tend à dominer la verbalisation face
à la planche, sans nécessairement autoriser l’émergence de représentations
constituées en tant que telles (on peut penser que la verbalisation d’une
qualité de sensorialité de la planche renvoie au registre de la représentation-
chose, qui ne peut encore prendre forme de représentation-mot) :

Susanna (6 ans et 4 mois), qui propose à la planche II :


« $ Il y a des pieds (D2), y a du rouge, du noir... moi je crois c’est un
bonhomme qui se bagarre... voilà... (remet la planche en place sur le
tas) une femme ou un bonhomme » (enquête : « les mains (dans D3)
et il prend quelque chose comme ça... invisible », réponse cotée D K
H) ; ici la référence à la couleur semble intervenir comme un appel à la
représentation et plus particulièrement la référence à la couleur rouge
paraît mettre en jeu une représentation possible de la violence ;

• d’autre part comme irruption, quasi-effractive, d’une modalité sensorielle


d’interprétation du stimulus, au sein d’un protocole d’enfant ou
d’adolescent engagé sur la voie de la symbolisation secondaire, irruption
que l’on pourrait rapprocher d’un moment de mise en suspens de l’activité
de contrôle portée par le déterminant formel ; ce type de manifestation
est particulièrement présent au temps de l’adolescence :

Marwan (15 ans) qui, face à la planche II, énonce la réponse suivante :
« Je sais pas... çà me fait penser à la violence parce qu’il y a du sang
et c’est noir... et un petit peu de gentillesse le blanc » (enquête : « c’est
sombre, couleur du sang... en fait c’est dans une personne, c’est sombre,
la violence et un peu de gentil », réponse cotée Gbl CC’ Abstr.) ;

• Enfin, comme témoin d’une faillite des processus de symbolisation, qui


peut s’organiser dans des tableaux psychopathologiques qui évoquent de
manière plus ou moins franche un fonctionnement dans le registre de
la psychose, et se traduit par des réponses qui peuvent comporter un
caractère très cru :

Mohamed (12 ans et 9 mois), à la planche II


« Ça je sais, je crois, je crois... c’est, c’est $ ça se met comme ça ou comme
ça ? % $% c’est... j’ose pas le dire.... un trou de balle... ou une chatte... je sais
Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent 135

pas » (enquête : « on a appris ça en cours, là il y a un trou, la chatte et puis


voilà... », réponse cotée D CF Sex).
Ainsi l’on peut comprendre, en filigrane, que l’un des enjeux principaux
de la présence de réponses sensorielles dans le corpus de réponses proposé par
l’enfant ou l’adolescent, consiste dans l’association du déterminant sensoriel
avec le déterminant formel. Il faut alors distinguer trois grands registres de
traitement de la sensorialité à l’épreuve de Rorschach1 :
• Le déterminant sensoriel intervient comme unique déterminant de la
réponse (cf. l’exemple de réponse « du sang », dans l’un des détails rouges
de la planche I ou II, proposé ci-dessus) : on parle alors de réponse
sensorielle pure dans la mesure où ne transparaît, dans l’énoncé de la
réponse, aucune référence à la dimension formelle de la représentation
(réponse cotée D C Sang) ;
• Le déterminant sensoriel intervient en association avec un déterminant
formel et ce selon deux modalités possibles :
– le déterminant sensoriel domine la production de la réponse et son
encadrement formel n’intervient que de manière secondaire ; on peut
proposer l’exemple d’une réponse, dans l’un des détails rouges de
la planche I ou II, de type : « une tâche de sang » (réponse cotée
D CF Sang),
– le déterminant sensoriel vient colorer la prise en compte prioritairement
formelle du stimulus ; la réponse, proposée dans le détail rouge inférieur
de la planche II (D3) : « des éclaboussures de sang » (réponse cotée
D FC Sang) peut en constituer un exemple ;
• La mise à jour du régime de l’association entre le déterminant sensoriel
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

et le déterminant formel apparaît donc tout à fait décisive dans la


compréhension de la dynamique psychique à l’œuvre dans la production
de la réponse par l’enfant ou l’adolescent, témoignant des tensions entre
deux modalités de construction du monde. À partir d’un même mode
d’appréhension, ouvrant sur un même contenu de représentation, on
peut identifier :
– la dimension de réactivité immédiate au stimulus dans le déterminant
sensoriel pur,

1. Les exemples proposés ici, à partir du déterminant couleur, peuvent bien sûr être extrapolés aux
autres déterminants sensoriels : estompage, couleur achromatique et clair-obscur.
136 Méthodologie de l’épreuve de Rorschach

– la tentative, fragile, de contenir cette réactivité dans l’association des


déterminants sensoriel et formel,
– la prise en compte de l’empreinte sensorielle du stimulus, contenue
dans sa délimitation, au travers de l’association des déterminants formel
et sensoriel.
Au-delà, l’analyse du rapport du déterminant sensoriel et du déterminant
formel devra prendre en compte la qualité de la part de l’engagement formel :
celui-ci, repéré selon les règles habituelles de différenciation entre F+, F-
voire F±, permet de signifier la qualité de cette participation.
Les réponses couleur
Ce sont donc les réponses déterminées par la couleur du stimulus, ici
considérée du point de vue de la couleur chromatique. On rencontre les
réponses couleur dans deux groupes de planches :
• Les planches noires et rouges (planches II et III), c’est alors la couleur
rouge qui constitue le déterminant couleur ;
• Les planches pastels (planches VIII, IX et X), ce sont alors les différentes
couleurs constitutives de ces planches qui peuvent faire l’objet d’une
interprétation de la part de l’enfant ou de l’adolescent.
Le critère de cotation de la réponse couleur, cotée C, tient dans le fait que
la couleur contribue de manière exclusive (C), majeure (CF) ou secondaire
(FC) à la production de la réponse. La décision de la cotation d’une réponse
comme réponse couleur découle du travail de l’enquête qui doit être en
mesure d’éclaircir, en en proposant une déconstruction, le processus de
production de la réponse. Il s’agit en effet de s’assurer que le déterminant de
la couleur est effectivement intervenu dans le choix de la réponse proposée.
D’une manière générale, on évitera de se contenter d’une inférence soutenue
par ce qui, du point de vue de la représentation, peut être mis en lien avec la
représentation. Par exemple, face à une réponse « poumon » à la planche II
(dans le D2, rouge supérieur), si elle ne trouve pas à s’expliciter au décours
de la passation ou lors de l’enquête, la justification d’une cotation incluant la
couleur s’avérera difficile... ce qui n’empêchera pas le psychologue de relever
l’hypothèse de la participation de la couleur par le biais d’une mention
accompagnant la cotation.
Par ailleurs, on sera particulièrement attentif à la présence de réponses
que l’on pourrait qualifier de pseudo-couleur, dans la mesure où la couleur
intervient non pas comme soutien à l’élaboration de la représentation dans
la spécificité de son contenu comme par exemple à la planche VIII (Emma,
Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent 137

6 ans et 5 mois), dans le D1 : « un cochon qui marche » (enquête : « un


cochon, parce que c’est rose ») mais comme critère de différenciation du
stimulus avec une réponse comme celle d’Hugo (10 ans et 4 mois) à la
planche III : « en rouge là en haut, des notes de musique ». Ce type de
réponse, que je qualifie de pseudo-couleur, met en évidence que la mention
de la couleur se trouve au service d’une délimitation formelle du stimulus :
au même titre que la différenciation forme/fond, habituellement implicite
comme support de l’émergence de l’appréhension du stimulus, la référence à
la couleur s’inscrit au regard des autres parties du stimulus, qui se présentent
dans une autre valeur chromatique. Ces réponses seront cotées à partir
du déterminant formel, sans participation de la couleur (dans l’exemple
ci-dessus, cotation de la réponse en D F+ Symb).
Il est intéressant à cet égard de relever que la prise en compte de la couleur
dans la production de la réponse, selon que celle-ci est assumée (inscription
de la couleur dans le processus de production) ou non-assumée (mention de
la couleur comme élément de délimitation du stimulus) traduit la qualité
de l’engagement de l’enfant ou de l’adolescent dans la rencontre avec le
sensoriel de la planche :
• dans le premier cas, on peut considérer que l’enfant se trouve en mesure
tout à la fois de se laisser toucher par la dimension affective associée à
cette valence du stimulus et de traduire ce mode d’affectation, selon des
formes diverses (cf. supra la distinction entre les réponses sensorielles en
fonction de la participation de la dimension formelle), sous la forme
d’une représentation portée par le langage ;
• dans le second cas, on peut considérer que la mention formelle de la
couleur participe d’une modalité de défense (dans le registre de la maîtrise),
face au risque de déstabilisation attaché à la rencontre de l’affect.
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

En filigrane, il importe de considérer que la place singulière qu’occupe


la couleur aux planches de l’épreuve de Rorschach (place centrale, que
la couleur soit chromatique ou achromatique...) impose au psychologue
d’être attentif non seulement à l’expression en plein de son traitement,
mais également à son expression en creux (refus des planches couleur, ratio
significativement différent du nombre de réponses aux planches contenant
de la couleur à l’égard des autres planches, évitement de l’inscription de la
couleur dans le processus de production de la réponse).
Il convient à ce point d’aborder la spécificité des réponses couleur, en
fonction des planches qui constituent le support de leur émergence :
138 Méthodologie de l’épreuve de Rorschach

• Les réponses proposées dans les parties rouges des planches (planches II
et III) renvoient, au regard de la charge attachée au contraste rouge/noir,
au maniement des motions pulsionnelles de l’enfant ou de l’adolescent ;
la qualité spécifique de l’excitation portée par la couleur rouge (cf. les
associations qui y sont attachées dans le registre de l’effraction du corps
avec le sang, ou dans le registre de la sexualité), contraint le sujet à prendre
position face à la mobilisation intime engagée par celle-ci ; à cet égard
on pourrait considérer que le mode de traitement des parties rouges des
planches engage plus spécifiquement le traitement du fond pulsionnel lié
aux excitations internes, qui se déploie de manière plus ou moins liée ;
Steve (9 ans et 9 mois), à la planche II
« Ben deux personnes un peu qui se battent... voilà » (enquête : « coup
de pied un peu qui fait gicler le sang... deux personnes avec un visage
rouge qui se tiennent les mains », réponse cotée G KC H)
Grégoire (17 ans et 5 mois)
« Deux pères Noël... oui c’est tout (...) » (enquête : « les mains (D7),
symétrique, bonnet rouge (D2) et barbe blanche (Dbl) et leur gros
ventre »

• Les réponses proposées aux planches pastel (planches VIII, IX et X),


appréhendées à partir de la participation de la couleur qui les compose,
sont habituellement repérées comme s’inscrivant dans une dynamique
relationnelle ; cette dimension est appelée différemment en fonction
des planches, dans la mesure de l’intrication des surfaces colorées aux
planches VIII et IX de l’épreuve et dans la mesure de la dispersion du
stimulus à la planche X ; dans ce sens, avec le traitement de la couleur aux
planches pastel, c’est, potentiellement, davantage le versant intersubjectif
de l’affect qui se trouve mis en scène au décours des réponses.
Manoël (10 ans et 10 mois), à la planche VIII
« On aurait dit des personnes (D1) qui taillent un arbre pour faire une
drôle de forme et en dessous de cet arbre il y a des personnes qui font
un pique-nique » (enquête : « ils coupent les buissons », réponse cotée
G K Scène).

Si cette réponse ne met pas en évidence de manière explicite la dimension


de l’affect, la double scène évoquée augure de situations qui engagent une
dynamique relationnelle dans le registre de l’échange.
Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent 139

Signalons enfin une notation, plus qu’une cotation, qui se propose de


signifier le point de butée de la détermination des réponses par la couleur et
qui concerne la désignation (la nomination) des couleurs de la planche, sans
élaboration d’une réponse, au sens de la construction d’une représentation.
Ces réponses sont cotées Cn (pour couleur nommée) et s’inscrivent dans une
logique de refus, au sens que H. Rorschach donne à ce terme, de la planche.
En effet, à l’extrême, la limitation de la verbalisation à la nomination des
couleurs conduit à un dégagement radical de la consigne initiale proposée à
l’enfant ou à l’adolescent : « qu’est-ce que cela pourrait être ? », au travers
d’un rabattement sur la description de la matérialité du matériel.
Si l’on peut rencontrer une telle logique de nomination des couleurs chez
les très jeunes enfants (cf. supra, avec ce que je nomme comme approche
sensorielle du matériel et le protocole de Nora, 2 ans et 5 mois), celle-ci se
trouve en mesure de contribuer aux stratégies défensives d’enfants plus âgés,
Karim (8 ans et 11 mois), à la planche X
« De la peinture, avec du bleu et du rose, avec du bleu et du gris »
(enquête : « de la peinture », réponse cotée Cn),

... et peut-être tout particulièrement aux stratégies défensives des


adolescents qui trouvent par cette voie une forme détournée d’expression
d’une opposition sur un versant caractériel ou pseudo-caractériel :
Franck (13 ans et 2 mois), à la planche I
« Du noir et du gris... »
puis à la planche II :
« du noir, du rouge, c’est tout »...
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

L’enquête ne permet pas de dépasser la référence à la dimension sensorielle


brute de la saisie du stimulus.

Il ne faut toutefois pas réduire les nominations couleur à ce versant


défensif. On peut noter en effet que ce type de réponse représente une
déclinaison sensorielle des pseudo-réponses, davantage conditionnées par la
forme que par le déterminant sensoriel que sont les réponses « taches », ou
« taches d’encre ».
Thomas (17 ans et 8 mois), à la planche IX, après une latence de
30 secondes :
140 Méthodologie de l’épreuve de Rorschach

« Des taches de peinture, du rose, du vert, du orange, c’est tout » (enquête :


« y a une personne qui est cachée, on voit les yeux (Ddbl) »).

De manière différée pour Thomas, mais parfois de manière plus explicite,


ces réponses « taches », au même titre que les nominations couleur, peuvent
intervenir en soutien du travail de symbolisation.
La séquence de réponses proposée par Barnabé (14 ans) donne une
illustration de la place de ces réponses couleur dans le processus de production
des réponses :
– planche I : « Une chauve-souris... (E : autre chose ?)... une peinture, une
tache, c’est tout » ;
– planche II : « Ça représente pas grand-chose, rien, je sais pas, une tache...
peut-être un papillon, c’est tout » ;
– planche III : « Quelqu’un qui a pas fini de peindre quelque chose, je vois
pas grand-chose d’autre » (enquête : ça représente rien... si on le continue
on pourrait en faire quelque chose... un personnage (...)) ».

Les réponses estompage


Les réponses déterminées par l’estompage sont rencontrées de manière
privilégiée aux planches qui présentent des nuances de gris (IV, VI et VII),
mais peuvent être identifiées également dans des planches plus sombres (I, II,
III, V), voire dans des planches couleur (planches rouges ou planches pastel).
Classiquement, on différencie trois registres d’estompage (cotés E, et le
cas échéant EF ou FE) :
• les estompages de texture, qui concernent des représentations de pelages
ou de fourrures ;
• les estompages de diffusion, qui s’expriment à partir de la qualité
insaisissable de certaines représentations (on peut penser aux différents
états de la vapeur d’eau par exemple, nuages, brouillard...) ;
• les estompages de perspective, au décours desquels la prise en compte des
contrastes se trouve au service de représentations tri-dimensionnelles.
D’une manière générale, on ne peut qu’être en accord avec N. Rausch de
Traubenberg (1984) lorsqu’elle affirme que la présence d’estompages reste
relativement limitée dans les protocoles de Rorschach en clinique infantile.
Au fond, on peut considérer que le maniement du déterminant sensoriel
de l’estompage renvoie essentiellement aux modalités et à la qualité du travail
psychique de séparation au sein duquel s’inscrit l’enfant ou l’adolescent...
Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent 141

et à une capacité de symbolisation de ce travail. Ce travail de la séparation


peut être envisagé à différents niveaux, selon le type d’estompage mobilisé :

• Dans le cadre des estompages de textures (qui sont les plus fréquents,
voire les seuls observés, chez les enfants), se donnent à voir ce que
l’on pourrait nommer comme les précurseurs et/ou les organisateurs
du Moi-peau : ces réponses permettent de situer de quelle manière se
construit le Moi-peau, en appui sur les fantasmes de « peau commune »
et de « peau arrachée » (Anzieu, 1985) ; à ce titre, l’appel à l’estompage de
texture constitue l’un des indicateurs des enjeux propres à l’élaboration
des premières expériences de séparation, en lien avec les différents temps
qui, au fil du développement psychoaffectif, se trouvent émaillés par une
réactualisation de ces enjeux :
Oriane (10 ans), à la planche VI
« Euh... on dirait un animal bizarre avec des trucs au cou très long et des
petites ailes bizarres avant le cou et on voit un peu de son squelette et c’est
un peu gris clair... vous avez les réponses ? » (réponse cotée G FE A) ;

• Dans le cadre des estompages de diffusion, se trouvent engagés les enjeux


de la construction de l’identité, au travers de la mise en question de la
délimitation des espaces qui émergent du flou et de l’incertitude dominant
les réponses déterminées par ce type d’estompage :
Romuald (5 ans et 3 mois), à la planche VII
« Nuage... » (réponse cotée G FE Frag)
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

ou Cyrielle (8 ans et 5 mois), à la planche VII également


« (...) oh je vois ! ce doit être du nuage... oh non ! un nuage avec des
anges » (enquête : « l’ange (D3) et le nuage en dessous », réponse cotée
G FE Frag/(H)) ;
Steve (9 ans et 9 mois), à la planche IV
« Un vieil arbre » (enquête : « le tronc, les feuilles qui sont vieilles depuis
longtemps (...) » réponse cotée G FE Bot) ;

• Dans le cadre des estompages de perspective, se profile un dégagement


possible d’une forme de confrontation à la bi-dimensionnalité, dont on
peut comprendre que la logique spéculaire constitue le prototype ; ce
142 Méthodologie de l’épreuve de Rorschach

type d’estompage, qui témoigne d’une forme de maturation particulière,


est rare chez les jeunes enfants et est plutôt observé chez les enfants en
période de latence, ou à l’adolescence :
Maïa (8 ans et 6 mois), à la planche IV
« Avec un gros bonhomme là, et un autre bonhomme qui est derrière et
puis c’est tout, je vois pas » (enquête : « les chaussures (D1) et les bras...
l’autre bonhomme (Daxial) parce qu’il y avait les pieds et les talons »,
réponse cotée G FE H).

Au plan de l’expression de ces différents types d’estompage au fil du


développement de l’enfant et de l’adolescent, on peut signaler sans ambiguïté
que l’appui sur l’estompage de perspective constitue une forme élaborée
d’investissement du déterminant de l’estompage que l’on rencontrera de
manière privilégiée dans le temps de latence ou, plus tard, au temps
de la stabilisation des aménagements au temps adolescent. Alors que les
estompages de texture et de diffusion peuvent être rencontrés, de manière
relativement indifférente, à différents moments de la construction de la vie
psychique, rendant compte, ainsi que cela a été mentionné, des temps de
remaniement, y compris dans ses composantes régressives, repérables au
décours du développement psychoaffectif (cf. en particulier les moments de
crise identitaire qui accompagnent tout autant la période œdipienne que la
période de l’entrée dans l’adolescence). On peut entendre, par ailleurs, de
quelle manière le recours à l’estompage s’inscrit dans une problématique
dépressive, problématique à considérer du double point de vue de l’affect
dépressif (cf. supra, l’exemple de réponse du protocole de Steve, 9 ans et
9 mois), ou du processus dépressif (cf. la position dépressive, M. Klein, 1934).
Les réponses de couleur achromatique
Les réponses de couleur achromatique (cotées C’ et, le cas échéant, C’F ou
FC’) correspondent à des réponses qui prennent appui sur un déterminant
lié à la couleur blanche ou noire, en incluant les différentes tonalités de gris.
Le déterminant de couleur achromatique se trouve mobilisé essentielle-
ment aux planches dites noires (les planches I, IV, V, VI et VII), mais il peut
l’être également aux planches noires et rouges (planches II et III) voire aux
planches pastel (VIII, IX et X), dans la mesure où l’appréhension du blanc
peut, dans certains contextes, ouvrir sur des réponses dont le blanc, présent
comme fond de l’ensemble des planches, constitue le déterminant.
On admet généralement que les réponses déterminées par la couleur
achromatique (qui témoignent d’une sensibilité particulière à un aspect
Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent 143

a priori peu gratifiant du stimulus), marquent une forme d’atteinte


narcissique qui prendra des valeurs différentes en fonction de la sensorialité
engagée et des contenus représentatifs qui en émergent : abrasion affective,
dépression, faillite narcissique, effondrement, rupture de la continuité...
représentent autant de tonalités expressives face au déterminant de la
couleur achromatique. Il semble que le recours au déterminant de la couleur
achromatique se présente de manière relativement isolée dans le temps de
l’enfance, pour être davantage investi, on le comprend au regard des enjeux
psychodynamiques qui le sous-tendent, au temps de la pré-adolescence ou
de l’adolescence.
Karim (8 ans et 11 mois), à la planche III
« Des vampires » (enquête : « y sont noirs les vampires », réponse cotée
G FC’ (A)) ou à la planche VIII : « les squelettes ça peut être gris (D4) ?...
un squelette » (réponse cotée D FC’ Anat).
Romain (14 ans et 11 mois), à la planche V
« $% On sait même pas comment ça se regarde, à droite, à gauche... c’est
ça... peut-être un oiseau, je sais pas (retourne la planche) c’est quoi ces
trucs bizarres depuis tout à l’heure ? » (enquête : « un oiseau ? là en fait je
pense à deux sortes d’oiseau qui sont tout en noir mais qui ressemblent
pas à ça, pie mais vous voyez quand vous vous levez des grands oiseaux
noirs... », réponse cotée G FC’ A Ban ?).
Judith (14 ans et 1 mois), à la planche II
« $& En fait je vois ce que ça pourrait être là mais... ce serait un... de la
fumée noire qui emporte je sais pas... des personnes » (enquête : « un
nuage noir, quelque chose de mauvais qui tue les gens » (D2 et D3),
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réponse cotée G C’F Frag/H) ; cette dernière réponse montre la frontière


parfois ténue qui peut exister entre deux choix de cotation, dans la
mesure du questionnement sur la pertinence d’une cotation de cette
dernière réponse en déterminant clair-obscur (cotation de cette réponse
en ClobF ?).

Les réponses clair-obscur


Le déterminant clair-obscur s’inscrit dans une forme de continuité au regard
du déterminant de la couleur achromatique, dans la mesure où il concerne,
au premier chef, la prise en compte de la couleur noire de la planche.
La définition la plus stricte que l’on peut proposer du déterminant
clair-obscur (coté Clob et, le cas échéant, ClobF ou FClob) consiste à le
144 Méthodologie de l’épreuve de Rorschach

considérer comme constitué par la prise en compte, dans la production de


la réponse, de l’aspect sombre et massif de la planche. À ce titre, ce sont
prioritairement les planches dont la structure tant formelle que sensorielle
correspondent à ces deux éléments qui constituent le siège de l’émergence
du déterminant clair-obscur : planche I et IV (la planche IV est la plus
concernée par l’émergence de réponses de clair-obscur), mais aussi parfois,
de manière plus marginale, la planche II (pour le grand détail noir, D1 – cf.
supra, l’exemple de réponse de Judith, 14 ans et 1 mois) ou la planche V,
moins massive mais pour autant parfois vécue dans une tonalité qui appelle
le clair-obscur.
Il paraît important de s’en tenir à une définition centrée sur l’aspect
sombre et massif de la planche, au regard des propositions complémentaires
qui l’accompagnent habituellement, et qui visent à mettre l’accent sur la
charge d’angoisse qui s’y trouverait liée. Il semble que le risque, ce faisant,
serait de se trouver alors engagé à inclure, au sein même de la définition
du déterminant, la perspective de la lecture clinique de celui-ci, dans une
forme de collusion entre les niveaux de traitement du matériel projectif.
Effectivement, la construction d’une réponse à partir d’un déterminant
clair-obscur traduit un affect dysphorique et, au-delà, la prégnance d’une
charge d’angoisse dont il convient de préciser la nature. On sera en particulier
attentif à la qualité, le cas échéant, de l’association du déterminant clair-
obscur et du déterminant formel (voire à la qualité du déterminant formel
lui-même), mais également à la représentation qui en émerge. Certaines
réponses de clair-obscur peuvent renvoyer à ce que W.R. Bion (1962)
nomme les « terreurs sans nom », angoisses qui se présentent en deçà
de toute potentialité représentative. D’autres seront davantage marquées
par une valence persécutoire, dont le stimulus porte l’affect de manière
explicite. Enfin, des angoisses dans un registre névrotique se trouvent parfois
sous-tendues par des réponses de clair-obscur, particulièrement lorsque des
contenus humains (ou para-humains, ou encore anthropomorphes) donnent
corps représentatif au déterminant clair-obscur. Il semble que c’est sans
doute autour de ces réponses clair-obscur que se donne à voir de la manière
la plus nette, le déploiement du processus de symbolisation, de l’affect à la
représentation...
Le déterminant clair-obscur est rencontré essentiellement dans le temps
de la période de latence et dans l’adolescence. Il peut prendre différentes
formes expressives, selon la nature de la participation de la forme à la réponse
conditionnée par le clair-obscur. Certaines réponses vont être exclusivement
déterminées par le clair-obscur et traduisent, de manière massive, une charge
Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent 145

d’angoisse dont la qualité doit être interrogée au regard de la tonalité générale


du protocole.
Marwan (15 ans), à la planche IV
« Ça je sais pas mais on aurait dit ça fait peur... ça fait penser à un
fond noir, à un endroit qui fait peur » (enquête : « $ je sais pas, pas de
couleurs, comme s’il y avait du brouillard ou de l’orage », réponse cotée
G Clob Frag).

Ce type de réponse, qui convoque parfois également des figures abstraites


comme la mort ou la dépression, témoigne de la charge affective mobilisée
dans la rencontre de la planche et de la difficulté de l’enfant ou de l’adolescent
d’en proposer une forme en terme de représentation secondarisée.
D’autres réponses, qui associent le déterminant sensoriel de clair-obscur
d’une part (qui reste souvent appelé dans une forme d’implicite avant
l’adolescence et ce, malgré le travail de l’enquête) et la forme d’autre part,
attestent d’un mouvement de dégagement possible à l’égard de la charge
d’angoisse liée à la rencontre de la planche.
Martin (9 ans et 6 mois), à la planche IV
« (...) encore pareil un monstre » (enquête : « il fait peur, il pourrait lancer
de piques... », réponse cotée G FClob (H)).
Corentin (11 ans), à la planche IV
« Le yéti... c’est bon » (enquête : « je sais pas, dans Tintin, j’avais vu
représenté comme ça, de cette couleur, et puis il a un peu des poils, et son
oeil ici », réponse cotée G Fclob (A), le déterminant estompage pouvant
également être relevé...).
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À l’adolescence, la dimension angoissante peut être davantage assumée,


et elle procède d’ailleurs, à cet endroit, des potentiels d’aménagement de
l’adolescent, comme en témoigne la réponse proposée par :
Véronique (17 ans et 11 mois), à la planche IV toujours :
« $%& (elle fronce les sourcils) % c’est noir ! (elle rit) je verrais moi... un
personnage de dessin animé où un personnage obscur arrive dans l’ombre
et ce serait au moment où le personnage arrive, on attend de voir le
regard méchant... c’est comme ça que... $%$% elle m’inspire pas celle-là »
(enquête : « les grands pieds, le corps, petite tête, un peu bizarre, pas très
sympathique », réponse cotée G FClob (H) > K).
146 Méthodologie de l’épreuve de Rorschach

Synthèse 6 – Les déterminants


F : réponse formelle, déterminée par la découpe, le contour du stimulus (saisie perceptive)
F+ : réponse de bonne qualité formelle (inscription culturelle de la réponse et/ou adéquation au stimulus)
F - : réponse de mauvaise qualité formelle (originalité de la réponse et/ou faible adéquation au stimulus)
F± : réponse incertaine, peu déterminée (au plan perceptif et représentatif)

K : réponse de kinesthésie humaine (mouvement)


KAtt : réponse de kinesthésie d’attitude (faible amplitude du mouvement (regard, posture...)
Krep : kinesthésie réprimée, se traduit par une limitation du déploiement du mouvement au fil de la réponse
Kref : kinesthésie refoulée, les conditions de déploiement du mouvement sont invalidées
kp : réponse de kinesthésie partielle, soit le mouvement porte sur une représentation proposée en appui sur
un petit détail, soit le mouvement concerne une partie du corps humain
kan : kinesthésie animale (mouvement)
kob : kinesthésie d’objet (objet mu par lui-même ou par une action extérieure)
kex : kinesthésie explosive, concerne le mouvement affecté à un feu d’artifice, une bombe, une éruption
volcanique...

C : réponse de couleur pure, déterminée par la seule couleur


CF : réponse déterminée par la couleur, et secondairement par la forme
FC : réponse déterminée par la forme, à laquelle se trouve secondairement associée la couleur
Cn : nomination couleur, réponse limitée à l’énoncé de la couleur de la planche ou d’une partie de la planche

E : réponse d’estompage, déterminée par les seules nuances de gris


EF : réponse déterminée par les nuances de gris et secondairement par la forme
FE : réponse déterminée par la forme et secondairement par les nuances de gris

C’ : réponse de couleur achromatique pure (blanc, gris, noir), déterminée par la seule couleur achromatique
C’F : réponse déterminée par la couleur achromatique, et secondairement par la forme
FC’ : réponse déterminée par la forme, à laquelle se trouve secondairement associée la couleur achromatique

Clob : réponse de clair-obscur, déterminée par le seul aspect sombre et massif de la planche
ClobF : réponse déterminée par l’aspect sombre et massif de la planche et secondairement par la forme
FClob : réponse déterminée par la forme et secondairement par l’aspect sombre et massif de la planche

Témoins de l’imaginaire : les contenus ou représentations

Le dernier ordre de cotation consiste dans la prise en compte du contenu


de la réponse (ou représentation actualisée par la voie de la réponse), dont
C. Chabert (1997) indique qu’il correspond, de fait, au « contenant du
contenu latent ». En d’autres termes, on peut considérer le contenu comme
Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent 147

témoignant de l’expression fantasmatique de l’enfant ou de l’adolescent


et, plus précisément, de l’univers fantasmatique appelé par la planche de
l’épreuve de Rorschach.
La cotation du contenu concerne, en première intention, le repérage
de la classe de représentations à laquelle il appartient, en fonction des
critères de définition de ces classes. Il importe de préciser qu’une réponse est
susceptible de se référer à plus d’une classe de représentation, ce qui invitera
le psychologue à s’interroger sur la pertinence :
• soit de faire le choix de ne conserver dans la cotation que la classe de
représentation qui apparaît comme dominante dans l’expression de la
réponse :

Manoël (10 ans et 10 mois), à la planche III


« Là on aurait dit un poste de musique avec des instruments en haut (D2),
et des personnes qui dansent du classique » (enquête : « poste de musique
au milieu (D7) ») ; la réponse est cotée G K H Ban (la participation du
« poste de musique », malgré sa fonction d’ouverture à la réponse de
kinesthésie humaine, échappe à la cotation, au profit de la représentation
humaine, paradigmatique de cette planche) ;

• soit de faire coexister deux classes de représentation de référence, afin


de souligner la participation conjointe de chacune d’entre elle dans la
production de la réponse :

Joy (9 ans), à la planche VI


« Une étoile de mer accrochée à un bâton, c’est tout » (enquête : « ça
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

fait comme une étoile (D1) et là ça fait une forme de bâton, comme les
indiens ») ; la réponse est cotée Gz F- A/Obj.

En tout état de cause, il importe, pour le psychologue, de construire dans


sa pratique un régime de cotation cohérent, qui présente une continuité tout
à la fois dans la cotation du protocole d’un enfant ou d’un adolescent, et
dans la cotation des différents protocoles dont il aura l’occasion de procéder
à la cotation, afin de garantir la pertinence de ses propres repères cliniques
au travers d’une juste comparaison des données recueillies (cette précaution
est valable tant dans le domaine de la pratique clinique en psychopathologie
que dans celui de la recherche).
148 Méthodologie de l’épreuve de Rorschach

➤ Les classes de représentation


Le modèle de psychogramme préalablement présenté1 propose une liste de
différentes classes de représentations. Sans y revenir de manière exhaustive,
signalons toutefois ici les principales :
– Les représentations humaines, dont on connaît la fonction de support pour
le déploiement des identifications2 ; on distinguera, au sein de cette grande
classe des représentations humaines, les réponses qui proposent des contenus
humains (dans leur entièreté et leur intégrité, au travers de la référence à
des parties de corps humain, à des organes sexuels ou à du sang...) ; ou des
contenus para-humains (qui peuvent, eux aussi, se présenter en forme de
représentation totale ou partielle du corps humain) ; et on notera que les
enfants ne seront véritablement en mesure de mobiliser des représentations
humaines face aux planches (et, qui plus est, sexuées et animées), qu’à partir
d’un temps du développement psychoaffectif qui autorise l’intériorisation
d’un objet total, constitué de manière suffisamment fiable et stable ;
– Les représentations animales, qui peuvent avoir une fonction de substitut aux
représentations humaines, particulièrement pour les jeunes enfants (Bellak,
1950) ; les réponses animales, pour peu que les contenus rencontrent une
dimension anthropomorphe (singe, ours, chien...), peuvent se constituer
comme précurseurs des processus d’identification, premiers supports pour
la mise à l’épreuve dans un jeu de miroir marqué par les investissements
de figures animales (univers des contes et des mythologies modernes dont
l’enfant est entouré, place des objets d’investissement privilégiés de l’enfant,
ours en peluche par exemple...) ; lorsque l’enfant grandit et s’installe dans
la période de latence puis dans l’adolescence, la référence marquée à des
contenus animaux peut interroger dans sa valence régressive ;
– Les autres classes de représentation, qui témoignent, en fonction de la nature
de leur investissement, de la richesse et de la diversité du monde imaginaire
de l’enfant ; les classes sont proposées à titre indicatif, elles ne sont l’objet

1. Cf. supra, p. 65.


2. Il faut souligner la spécificité de la cotation des réponses « Scène » qui, de fait, contiennent une
représentation humaine, et qu’il convient d’intégrer à ces dernières dans le calcul du pourcentage
de représentations humaines au sein du protocole : on cote « Scène » une réponse qui met en scène
plus de deux personnages, dans une dynamique engageant généralement des représentations relevant
d’autre classes de représentation que les représentations humaines. L’exemple de la réponse Manoël
(10 ans et 10 mois) à la planche VIII, déjà citée, illustre ce mode de cotation : « on aurait dit des
personnes (D1) qui taillent un arbre pour faire une drôle de forme et en dessous de cet arbre il y a des
personnes qui font un pique-nique » (enquête : « ils coupent les buissons ») ; cette réponse est cotée
G K Scène.
Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent 149

d’aucune référence statistique ou normative et leur spécification ne vise qu’à


mettre à jour tout à la fois l’amplitude du spectre représentatif de l’enfant ou
de l’adolescent (dont l’investissement par la médiation du langage représente
un aspect essentiel) et du mode de répartition de la production au travers
de la saisie des différentes occurrences.
Ainsi, au-delà de la classification en un certain nombre de classes de repré-
sentations proposées par le psychogramme, il est intéressant d’appréhender
le registre de la participation de la vie imaginaire du sujet, la plasticité
et la richesse des représentations, le registre d’investissement du monde
environnant en écho avec les objets/images internes (qualité des réponses
humaines, H, animales, A ou anatomiques, Anat...), points d’appui de la
vie psychique dans son déploiement fantasmatique. Ce sont ces différents
aspects qui, du point de vue de l’étude des contenus, contribueront à
colorer la lecture clinique du protocole de réponses proposé par l’enfant ou
l’adolescent.
– Le caractère banal ou non de la réponse 1, établi, planche par planche, à partir
d’un critère statistique lié à la fréquence d’apparition d’une représentation
pour une localisation considérée, témoigne du degré d’inscription du sujet
dans le monde social, de sa capacité d’appropriation des objets culturels,
dans la mesure d’une expérience partagée entre moi et l’autre...

➤ La participation du langage
Si la classification des représentations proposées par l’enfant ou l’adolescent
s’impose, dans la perspective d’une objectivation de l’ensemble des processus
qui concourent à la définition de la réponse au sens que H. Rorschach donne
à ce terme, il convient d’insister sur la nécessité d’une prise en compte de la
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qualité du langage qui, par la voie de la verbalisation, soutient l’émergence de


la représentation. On peut considérer que le langage, en tant qu’il témoigne
de la qualité de l’élaboration de la représentation-chose en représentation-
mot, porte trace du travail de symbolisation et de ses avatars. Comme les
travaux portant sur l’analyse des procédés d’élaboration des récits l’ont
bien montré (V. Shentoub, 1990 ; F. Brelet, 1986 ; F. Brelet & C. Chabert,
2003), au-delà du contenu de la verbalisation, il importe d’appréhender
la forme de celle-ci : ainsi, une attention toute particulière conduira à
s’intéresser aux modalités syntaxiques qui sous-tendent l’agencement des

1. Cf. supra, le développement consacré à la qualité formelle des réponses, ainsi que la liste des
banalités proposée de manière usuelle.
150 Méthodologie de l’épreuve de Rorschach

contenus représentatifs afin d’être en mesure de saisir, au plus près de la


matière discursive, les enjeux qui président leur émergence.
Si l’on met l’accent, dans ce cadre, sur le repérage de l’expression
des stratégies défensives au cœur de la forme du discours, on s’attachera
également à envisager, dans la perspective ouverte par l’introduction de la
notion de fil projectif 1 , de quelle manière les manifestations langagières
traduisent des effets de continuité et de discontinuité des processus
psychiques, et, partant, la qualité du travail de symbolisation à l’œuvre
dans la production projective.
À ces différents titres, on pourrait proposer que les contenus représentatifs
constitutifs des réponses à l’épreuve de Rorschach peuvent être envisagés
comme une matière signifiante, déployée dans le langage, au travers du
dégagement d’une figure – figuration, sur le fond de l’enveloppe corporelle
que métaphorise la planche de l’épreuve.

1. Cf. supra : Le fil projectif : un modèle pour penser le travail de symbolisation dans l’expression
projective, p. 34.
Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent 151

Synthèse 7 – Les classes de représentations


Les représentations humaines
H : humain entier/intègre
Hd : détail humain, c’est-à-dire partie du corps humain comme tête, bras, jambe... (à différencier des réponses
anatomiques)
Scène : réponse présentant au moins deux personnes engagées dans un tableau impliquant d’autres éléments
(H) : para-humain entier (monstre, diable, ange, robot...)
(Hd) : détail de para-humain
Anat : intérieur du corps (poumon, rein...) ou humain réduit à ses organes (cadavre, squelette1 ...)
Sex : organe génital féminin ou masculin
Sang (ou Sg) : sang

Les représentations animales


A : animal entier/intègre
Ad : partie du corps d’animal
(A) : para-animal (dragon, vampire...)
(Ad) : partie de para-animal
Adev : animal atteint dans son intégrité (écrasé, ouvert, blessé, amputé...)

Autres représentations
Bot : tout élément végétal (arbre, fleur, légume ou fruit...)
Elem : eau, terre, air, feu
Frag : représentation dont la forme n’est pas a priori définie (rocher, nuage, tache...)
Obj : tout objet inanimé, mobile (y compris véhicules)
Pays : réponse construite à partir de différents éléments qui décrivent un paysage
Géo : élément géographique (côte, volcan...), ou tout ou partie de carte géographique
Art : production artistique (sculpture, tableau...)
Sci : objet attaché à une activité scientifique (éprouvette, tube à essai...)
Symb : symbole mathématique (chiffre), religieux (croix) ou autre
Arch : élément d’architecture (pont, maison, tour...)
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Abstr : évocation de concept (liberté, justice, mort...) ou de sentiment (joie, terreur...)


Divers : représentation qui ne peut s’inscrire dans l’une des classes ci-dessus

1. La cotation Hdép (pour « humain déprécié ») est parfois utilisée ; elle a le mérite de rendre compte
d’une qualité particulière de représentation humaine, ni tout à fait vivant, ni pseudo-humain. La
réponse de Camille, 14 ans et 1 mois, à la planche III, en constitue un exemple : « euh... des survivants
blessés... » (enquête : « les humains avaient presque plus rien sur eux, bras coupé, manque une jambe
et plein de sang ») ; on conçoit ici l’importance de différencier la cotation d’une représentation
humaine intègre, d’une représentation mise à mal dans sa qualité d’enveloppe continue et investie
libidinalement).
152 Méthodologie de l’épreuve de Rorschach

Les phénomènes particuliers1

Sera abordée dans cette dernière partie consacrée à la cotation et à son


exercice, comme démarche de déconstruction de la production projective,
la prise en compte de quelques manifestations qui émergent au décours de
la passation, et dont le repérage contribue à l’analyse clinique des données
recueillies.

➤ La persévération
La persévération est une forme particulière de répétition, portant sur le
contenu de la réponse. La simple répétition consiste dans la réitération d’une
réponse face à une planche.
On peut proposer comme exemple la séquence de réponses proposée par
Yves (8 ans et 8 mois), à la planche I :
« $ un papillon...% une chauve-souris... ▹ % un monstre... c’est tout... $
un papillon, oui ».

La persévération, quant à elle, est repérée lorsqu’un même contenu


représentatif est proposé par l’enfant ou l’adolescent de manière répétée
d’une planche à l’autre. Dans cette configuration, tout se passe comme si
la qualité du stimulus ne possédait qu’un impact limité sur la production
projective, au profit de la trace représentative de l’engramme perceptif.
Une autre manière de considérer la persévération consiste à la penser
comme une impossibilité pour le sujet de se dégager suffisamment d’une
représentation proposée précédemment afin d’autoriser l’émergence d’une
nouvelle production alors que le stimulus présenté se trouve, de fait, modifié.
Le protocole de Oriane (6 ans et 3 mois), en propose une illustration :
– Planche VIII : « flamant rose... normal y’a du rose... flamant violette »
(réponse cotée GConf CF A) ;
– Planche IX : « flamant rose » (réponse cotée GConf CF A) ;

1. Le titre de ce développement reprend d’une part une expression utilisée par E. Bohm (1951) et
d’autre part le titre des deux ouvrages publiés sous la direction de F. Rossel & Coll. : Les phénomènes
particuliers au Rorschach – Une relecture pointilliste (2005) et Les phénomènes particuliers au Rorschach
– Une relecture pointilliste, vol. II (2012). Il est un clin d’œil à une approche originale de l’épreuve de
Rorschach, essentiellement centrée sur la clinique adulte, qui se propose de développer une attention
particulière à la qualité du discours.
Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent 153

– Planche X : « (elle vérifie que c’est bien la dernière planche)... un


flamant rose et des araignées » (localisation de la première réponse en
D9, réponse cotée D CF A ; localisation de la seconde réponse en D1,
réponse cotée D F+ A Ban).

On se trouve ici confronté à un double phénomène : d’une part les


réponses « flamant » proposées par l’enfant se présentent de manière
indifférenciée quelque soit la planche, dans une forme de déni implicite
de la singularité du stimulus, d’autre part l’impact de la couleur rose à la
planche VIII semble contribuer à annihiler les potentiels de discrimination
perceptive de Oriane.
On peut alors comprendre de quelle manière la persévération se propose
comme une forme de rupture de délimitation perceptive, ouverture à
une confusion des espaces qui introduit à ce que l’on pourrait qualifier
comme une hémorragie représentative. Paradoxalement, le phénomène de la
persévération vise à instaurer, de manière artificielle, une continuité qui vise
à pallier le risque introduit par la discontinuité des planches.
À l’extrême, cette quête d’une continuité à tout prix peut aller jusqu’à
affecter la forme du discours, et conduire l’enfant à investir son processus
de production de réponse au travers d’une construction sous une forme
narrative.
Le protocole de Rorschach de Clélia (8 ans et 8 mois), en donne un
exemple tout à fait marquant, dans la mesure où l’ensemble du protocole
est construit en appui sur une première représentation de « chauve-souris »,
qui se déploie en forme d’histoire sur l’ensemble des dix planches. Les seules
modulations qui peuvent être identifiées au décours de sa verbalisation
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

prennent appui sur un investissement du perceptif, qui permet à Clélia une


forme de justification après-coup de la persévération. En voici quelques
exemples :
– Planche I : L. 0.10’ « une chauve-souris, c’est un animal, elle a des ailes,
elle a des yeux, une queue, son ventre et ses mains (?) non ! elle vole aussi
et voilà » (réponse cotée G kan A Ban) ;
– Planche II : « c’est que des chauves-souris... on verra... ses yeux (D2) y
sont en haut à la chauve-souris, on voit pas son ventre (Dbl), on voit que
ses ailes (D1) et la queue elle est toute rouge (D3)... elle a une bouche... elle
vole dans le ciel aussi et voilà (réponse cotée Gbl kan A – Persévération) ;
154 Méthodologie de l’épreuve de Rorschach

– Planche III : « la chauve-souris elle a un nez (D3) et des ailes et elle a des
yeux qui sont là (D2) et elle vole dans le ciel et elle fait des ronds dans le
ciel quand elle vole.. et voilà » (réponse cotée G kan A – Persévération) ;
– Planche VIII : « elle, elle est de toutes les couleurs, du rose, du orange,
du vert, et du vert, deux verts... elle a une bouche, la colonne vertébrale,
des bras... elle se pose sur l’arbre et puis elle vole dans le ciel, et après, elle
voit des amis et il lui dit : « viens dans l’arbre avec moi » et après elle fait
des ronds avec ses amis et après elle fait des carrés aussi avec ses amis »
(réponse cotée G kanC A – Persévération) ;
– Planche IX : « une chauve-souris aussi... elle est rose, vert, orange et du
bleu aussi, elle a un col vert... elle prend ses amis aussi et elle dit : « viens je
vais te montrer ma maman, ses cheveux aussi » et elle s’envole, elle fait des
ronds dans le ciel et des carrés aussi et à ses amis elle demande : « je te tape
pas »... elle demande : « est-ce que je t’ai tapé ? » et ses amis répondent :
« non je t’ai pas tapé » (réponse cotée G KanC A – Persévération).

Cette séquence (discontinue) de réponse exemplarise les enjeux de la


persévération, ici dans une expression extrême : dé-différenciation du
stimulus au profit de la continuité représentative, continuité représentative
prise dans un fil projectif que l’on pourrait qualifier de rigide, tant
Clélia ne manifeste que peu de plasticité dans son jeu avec les taches des
planches et, enfin, tentative secondaire d’arrimage perceptif qui contraste
avec un débordement imaginaire qui conduit l’enfant à des élaborations
quasi-délirantes.
Au plan technique, il faut préciser que la persévération fera l’objet d’une
mention complémentaire, jointe à la cotation de la réponse, ainsi que cela
est indiqué dans les exemples de réponses du protocole de Clélia.

➤ Les remarques de symétrie

Les remarques de symétrie sont assez logiquement appelées par le matériel


des dix planches de l’épreuve de Rorschach, dans la mesure de l’origine
même de leur structuration. L’appui sur la symétrie des planches, dont on a
pu envisager qu’il est rendu possible par la référence implicite à l’expérience
que l’enfant ou l’adolescent peut avoir de la bilatéralité du corps humain,
est tout à fait déterminant pour la production des réponses.
Cette référence à la symétrie des planches prend bien sûr une valeur
particulière lorsque la réponse à cet appel à la symétrie se traduit de manière
Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent 155

explicite dans la verbalisation. Il semble à cet égard que l’on peut distinguer
deux configurations principales :
• d’une part, celle qui permet de penser que la référence à la symétrie, dans
le discours qui accompagne la réponse, soutient la production de celle-ci ;
apparaît ici la nécessité du recours à un étayage, tangible au plan perceptif
et repris dans le langage, afin de soutenir le travail de symbolisation dans
un contexte que l’on peut penser dominé par la fragilité du narcissisme,
a priori, ou a posteriori :
Reza (13 ans et 2 mois), à la planche III
« C’est le même dessin de chaque côté... un homme en train de verser
de l’eau... deux puisque c’est son double » (réponse cotée G K H Ban –
Symétrie) ;
Fatiha (9 ans et 1 mois), à la planche I
L. 0.25’ « Ah là ! (elle rit) ça a la forme d’un papillon... on dirait qu’on
a fait un bout avec ça et après on l’a plié et ça a fait les deux côtés
pareil...voilà » (réponse cotée G F+ A Ban – Symétrie).

• d’autre part, celle dans laquelle la référence à la symétrie obère de manière


plus ou moins radicale la possibilité d’un déploiement du travail de
symbolisation ; la symétrie est alors simplement nommée, souvent de
manière répétitive, parfois sur un mode quasi-incantatoire, sans autoriser
la production de langage, ou alors la symétrie est interprétée en tant que
telle :
Mattéo (10 ans et 2 mois), à la planche VI
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« C’est encore symétrique... y’a des parties plus claires et d’autres plus
foncées... c’est symétrique et c’est symétrique, c’est tout » (refus) ;
Nils (15 ans et 5 mois), à la planche IV1
« $% Je sais pas... une ligne dans un ciel gris... un grand couloir » (réponse
cotée D/G FE Frag).

On le voit, l’enjeu majeur recouvert par la référence à la symétrie concerne


la construction du narcissisme et des repères identitaires... et concerne tout

1. Après un refus aux trois premières planches, introduit de la manière suivante à la planche I (L.
0.30’) : « humm ! une tache de peinture faite sur un cahier puis refermé après avoir séché, réouvert et avoir
donné cette forme ».
156 Méthodologie de l’épreuve de Rorschach

particulièrement le temps de l’adolescence et des remaniements sous le


primat de l’émergence pulsionnelle génitale. À ce titre, l’analyse des processus
de construction de la réponse, engagée à partir de la symétrie, ouvre un
observatoire pertinent des potentialités d’élaboration des ressources du sujet...
à condition d’inscrire cette analyse dans la dynamique potentiellement
contenue par la référence à la symétrie. Il conviendra d’envisager plus tard,
dans le développement consacré aux enjeux identitaires et identificatoires,
quelles formes peuvent prendre les expressions projectives à partir de la
symétrie.

➤ Les éléments non cotables – verbalisation hors des planches

On l’a dit précédemment, la transcription du protocole des réponses de


l’enfant ou de l’adolescent face aux planches de Rorschach nécessite une
attention à l’ensemble du discours de celui-ci, dans sa dimension verbale ou
non-verbale. Ainsi, tout ce qui concerne :
– les mouvements et déplacements pendant la passation,
– les onomatopées, exclamations...,
– les doutes et les demandes de confirmation,
– les interrogations sur l’origine de l’épreuve,
– les commentaires sur le matériel ou la situation,
– les verbalisations hors de l’épreuve...
contribue au corpus textuel qui servira de base à la lecture clinique des
productions. Ces éléments, même s’ils ne font pas l’objet d’une cotation
spécifique dans le système de cotation des réponses au Rorschach, participent
à la dynamique de production des réponses et à la contextualisation de
celles-ci.
Ces différentes expressions tendent à colorer le matériel verbal, constitué
par les réponses à proprement parler, et à rendre compte de l’épaisseur
du fonctionnement psychique de l’enfant ou de l’adolescent. Par ailleurs,
ces expressions permettent d’appréhender les éléments qui concourent à
l’histoire des processus, dans la mesure où elles contiennent les indices de
l’inscription de la réponse dans une temporalité.
Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent 157

➤ La cotation Barrière et Pénétration


Pour clore ce développement consacré à la cotation, il paraît important de
signaler l’existence d’un modèle de cotation complémentaire, élaboré aux
États-Unis par S. Fisher et S.E. Cleveland (1958, 1970), et traduit puis
mis en œuvre par des auteurs français (Anzieu, 1974 ; Sanglade, 1982). Ce
modèle de cotation, qui concerne spécifiquement la cotation du contenu des
réponses, consiste à prendre en compte la qualité de contenant (ou non) des
réponses produites, et elle vient s’ajouter, le cas échéant, dans une colonne
supplémentaire de cotation. À partir d’un travail centré sur des patients
somatiques, les auteurs américains ont proposé la prise en compte, en forme
de cotation, de la qualité des limites des représentations proposées. C’est
ainsi qu’ils proposent de coter une réponse qui actualise une représentation :
• comme une réponse « Barrière » (B) lorsqu’elle fait appel à une bonne
qualité des limites (exemple : une maison, un avion, une boîte...) ;
• comme une réponse « Pénétration » (P), lorsqu’elle renvoie à une effraction
des limites (exemple : une éruption volcanique, la radiographie d’un corps,
un fantôme...) ;
• comme une réponse « Barrière/Pénétration » (BP) lorsqu’elle met en jeu
un double mouvement entre contenance et effraction (exemple : un avion
qui explose en vol, une maison délabrée...).
S. Fisher et S.E. Cleveland proposent une définition précise des critères
fondant les différents registres de cette cotation1 . Ils précisent par ailleurs
que les valeurs normatives attachées à cette cotation sont déterminées par
un rapport de 2 réponses cotées B pour 1 réponse cotée P sur l’ensemble des
réponses du protocole (et généralement 4 réponses B et 2 réponses P pour un
protocole entre 20 et 30 réponses), les réponses BP étant considérées comme
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

signant une forme de mise en échec dans l’établissement des frontières


(frontières internes/externes, frontières du Moi...).

1. Voir Synthèse 8 page suivante.


158 Méthodologie de l’épreuve de Rorschach

Synthèse 8 – Cotation Barrière et Pénétration


Principaux critères de cotation des réponses Barrière et Pénétration
(d’après S. Fisher & S.E. Cleveland, 1958, 1970)

Cotation Barrière (B)


Les références aux vêtements et à tout ce qui est attaché au corps (robe, bracelet)

Les références aux constructions, immeubles, espaces délimités (maison, pont, ville, terrain de football...)

Les références aux véhicules (voiture, avion)

Les références à tout ce qui contient, couvre ou enveloppe (sac, nappe, écran...)

Les références à des êtres possédant des qualités d’enveloppe particulière (poilu...), ainsi qu’un certain

nombre d’animaux contenus dans une liste (chat, taupe, léopard...)

Les références à des animaux possédant une structure protectrice (crabe, escargot, tortue...) ;

Les références à des formations naturelles ou géographiques délimitées volcan, île...)

Cotation Pénétration (P)


Les références à des faits de dislocation, pénétration, destruction de tout objet ou de tout être vivant

(autopsie, chien écrasé, fleur fanée...)

Les références aux ouvertures du corps ou à des actions entraînant une ouverture (anus, narine,

vomissement...)

Les références à des perceptions impliquant le franchissement des frontières (rayon X, robe transparente...)

Les références à des mouvements d’entrée ou de sortie (porte, aspiration de réacteur...)

Les références à des phénomènes naturels d’expulsion (geyser, éruption volcanique...)

Les références à des images insubstantielles, vagues dans leur délimitation (fantôme, ombre...)

Rappel
Les critères ci-dessus constituent le cadre général à partir duquel chaque clinicien est invité à établir sa

propre cotation

Une réponse est cotée B ou P lorsqu’un élément de celle-ci répond à l’un des critères ci-dessus ; si deux

éléments renvoyant à une cotation B d’une part et P d’autre part coexistent dans la réponse, la réponse

sera cotée BP
Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent 159

On comprend sans peine de quelle manière cette cotation peut s’avérer


précieuse pour aborder plus précisément les enjeux liés à la problématique
des enveloppes psychiques (Anzieu, 1986) et, partant, à l’approche des
modalités d’inscription et d’élaboration des relations précoces. Au-delà, la
question de la constitution de l’image du corps se trouve interrogée, à partir
de la délimitation de la frontière entre les espaces internes et externes d’une
part et de la construction de la spécularité d’autre part. Ainsi, cette cotation
ouvre une heuristique particulièrement féconde pour aborder la clinique et
la psychopathologie de l’enfant et de l’adolescent, dans la perspective des
aménagements et ré-aménagements psychiques qui président aux différents
temps du développement de la vie psychique.

Synthèse des cotations et indices spécifiques

Il convient d’aborder, dans cet ultime développement consacré à la


méthodologie, les outils de synthèse des cotations à la disposition du
psychologue, ainsi que le sens qui peut leur être attribué1 .
La synthèse des cotations concerne des éléments se référant d’une part à
la production dans son ensemble, et d’autre part à chacun des registres de la
cotation : mode d’appréhension ou localisation, déterminant, contenu. Pour
chacun de ces registres, des formules permettant une approche statistique des
données issues de la cotation sont proposées. Il importe bien sûr d’apporter
un bémol à un projet de traitement statistique de ces données, bémol qui
concerne tout à la fois la technique et le sens :
• Au plan technique, le degré de validité des pourcentages calculés
est proportionnel au nombre de réponses proposé par l’enfant ou
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

l’adolescent ; ainsi, dans certains cas, lorsque le nombre de réponses


ne dépasse pas une réponse par planche, le calcul de pourcentage s’avère
tout à fait vain ;
• Au plan du sens, si la cotation des réponses se présente comme au service
de l’objectivation des enjeux subjectifs présidant à la production de
la réponse, les données statistiques issues de ces cotations doivent être
considérées non pas en soi, mais dans leur contribution à la compréhension
du fonctionnement psychique.

1. Voir Synthèse 9 p. 161.


160 Méthodologie de l’épreuve de Rorschach

La logique des synthèses et indices élaborés à partir des cotations consiste


tout à la fois à produire une représentation d’ensemble de la production
projective, et à référer les valeurs issues de ces synthèses à des valeurs
normatives : cette question est, nous l’avons vu, particulièrement délicate
à envisager du point de vue de la clinique de l’enfant et de l’adolescent au
regard d’une part de l’aspect partiel des données à notre disposition dans la
littérature, et d’autre part de la grande variabilité inter-individuelle au sein
d’une population en devenir et que l’on doit considérer en fonction de la
dynamique évolutive. Ainsi, nous serons amenés à proposer, dans le présent
développement, quelques grandes lignes normatives générales, lorsque cela
est possible, et nous renvoyons le lecteur au chapitre consacré aux repères1 ,
qui envisagera les spécificités de chaque groupe d’enfant ou d’adolescent,
défini à partir du registre de développement psychoaffectif.

➤ Données générales du protocole


La synthèse concerne ici quatre éléments principaux :
1. Le nombre total de réponses (R) ;
2. Le temps total de la passation (hors enquête) ;
3. Le temps moyen par réponse (qui inclut le temps de latence) ;
4. Le temps de latence moyen ;
5. Le nombre de refus.
L’intérêt de la formalisation de ces éléments réside dans l’éclairage qu’ils
apportent sur le style général du protocole : production riche ou restrictive,
rythme plus ou moins relâché de la verbalisation, mode d’investissement de
la temporalité...
D’une manière générale, on observe :
• que les protocoles des jeunes enfants, mais aussi ceux des adolescents, se
trouvent pris dans une certaine restriction (nombre de réponses limité à
une par planche, place significative des refus) ;
• que les protocoles les plus consistants sont proposés par les enfants dans
la période œdipienne et/ou dans la période de latence.

1. Chapitre 4 – Repères pour une pratique.


Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent 161

Synthèse 9 – Synthèse des cotations et indices spécifiques


Données générales
R : nombre de réponses cotées
Temps/réponse : temps moyen par réponse, rapport entre le temps total (passation) et le nombre de réponses
(R)
Temps de latence moyen : rapport entre la somme des latences du protocole et le nombre de planches
interprété (hors refus)
Mode d’appréhension
G % : rapport, calculé en pourcentage, entre la somme des réponses cotées G et le nombre total de réponses
(Σ G + Gz + Gbl + GConf + GCont/ R)
D % : rapport, calculé en pourcentage, entre la somme des réponses de grand détail et le nombre total de
réponses (Σ D/ R)
Dd % : rapport, calculé en pourcentage, entre la somme des réponses cotées en petit détail et le nombre total
de réponses (Σ Dd + Dde + Ddi/ R)
Bl % : rapport, calculé en pourcentage, entre la somme des réponses impliquant une partie blanche et le
nombre total de réponses (Σ Dbl + Ddbl/ R)
Déterminants
F % : rapport, calculé en pourcentage, entre le nombre de réponses formelles et le nombre total de réponses
(Σ F++ F-+ F± / R)
F+ % : rapport, calculé en pourcentage, entre le nombre de réponses de bonne forme et le nombre de réponses
formelles (Σ F+ / Σ F) ; dans le cas où des réponses F± ont été cotées, il convient de les prendre en compte
chacune pour 21 afin de neutraliser l’incidence de celles-ci sur le calcul du F+% (Σ F+ + 12 Σ F± / F)

F+ % élargi : rapport, calculé en pourcentage, entre le nombre de réponses de bonne forme (F+), additionnées
des réponses de bonne forme associées à un déterminant kinesthésique ou sensoriel, et le nombre de réponses
formelles (F)

ΣC : somme des réponses couleur, calculé avec les pondérations suivantes en fonction de la participation de
la forme au déterminant couleur
ΣC = 1,5C + 1CF + 0,5FC1
T.R.I (Type de Résonance Intime) : K/C (le rapport est présenté comme tel, non réduit à sa résolution
décimale)
T.R.I introversif : K > C
T.R.I extratensif : K < C
T.R.I coarté :K = 0, C = 0
T.R.I coartatif :K = 1, C = 1
Formule complémentaire : Σ k / Σ E (à mettre en perspective avec le T.R.I)
RC % : rapport, calculé en pourcentage, des réponses cotées pour les trois planches pastel (VIII, IX et X) sur
l’ensemble des réponses proposées aux dix planches de l’épreuve (Σ R VIII + IX + X / R)
Contenus/Représentations
H % : rapport, calculé en pourcentage de réponses humaines sur l’ensemble des réponses cotées du protocole
(Σ H + Hd / R)
A % : rapport, calculé en pourcentage des réponses animales sur l’ensemble des réponses cotées du protocole
(Σ A+ Ad / R)
Ang % : rapport, calculé en pourcentage, des réponses de détail humain, d’anatomie, de sexe et de sang sur
l’ensemble des réponses cotées du protocole (Σ Hd + Anat + Sexe + Sang / R)

1. La somme des réponses d’estompage, pour le calcul de la formule complémentaire, se calcule selon
la même formule de pondération.
162 Méthodologie de l’épreuve de Rorschach

➤ Synthèse des modes d’appréhension


Traditionnellement, les praticiens de l’épreuve de Rorschach s’entendent
sur l’intérêt de repérer la place respective qu’occupent les principaux modes
d’appréhension : réponses globales, de grand détail, de petit détail et détails
blancs ou réponses incluant du blanc.
On procède pour ce faire au calcul du pourcentage de chacune des ces
occurrences, identifiées comme suit : G %, D %, Dd % et Bl %.
Le rapport qui s’établit entre les différents modes d’appréhension varie
en fonction de l’âge et du développement (psychoaffectif et cognitif) de
l’enfant ou de l’adolescent. La perspective normative peut être décrite à
partir de la notion de succession des modes d’appréhension. On peut
en effet s’attendre à ce qu’un fonctionnement psychique suffisamment
élaboré s’appuie sur une exploration progressive du stimulus, à partir d’une
appréhension synthétique (réponse globale) de la planche, jusqu’à s’engager
dans une approche analytique, de plus en plus précise (grand détail puis
petit détail).
Dans cette perspective, deux orientations peuvent être données pour
aborder la dimension normative de la répartition des modes d’appréhension :
• d’une part, la part respective de chacun des modes d’appréhension
sera fonction de la capacité de l’enfant ou de l’adolescent à opérer
ce mouvement progressif d’appréhension analytique des planches ; les
enfants les plus jeunes proposent généralement un nombre important,
voire exclusif, de réponses globales, dans une saisie immédiate du stimulus
(cf. les réponses syncrétiques dont témoignent les réponses confabulées) ;
• d’autre part, on peut s’appuyer, à titre indicatif, sur la répartition
normative des modes d’appréhension dans une population de 13 à 24 ans
(Emmanuelli et Azoulay, 2009), répartition qui à bien des égards vient
confirmer les données proposées par J. Blomart issues d’une population
de 8 à 16 ans (1998) afin de situer les données produites par l’enfant ou
l’adolescent ; ces travaux mettent l’accent sur une répartition qui s’établit
à un ratio d’une réponse globale pour deux réponses de grand détail,
correspondant à 90 % des réponses, les 10 % restant étant composés des
réponses de petit détail ou de réponses dans le blanc.

➤ Synthèse des déterminants


Il s’agira de repérer plusieurs niveaux de la répartition des déterminants,
qui concernent d’une part la forme (F), d’autre part la place des réponses
Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent 163

couleur (C) et, enfin, le rapport qui s’établit entre réponses couleur et
kinesthésie avec le T.R.I (Type de Résonance Intime).
Concernant le déterminant formel, trois niveaux seront envisagés :
1. En premier lieu la part des déterminants de forme pure, dans leurs
différentes qualités (F+, F-, F±) au regard de l’ensemble des réponses
(F %) ; ce pourcentage du F % constitue un indicateur de la manière
dont la production des réponses se trouve affectée par la saisie formelle
du stimulus,
2. En second lieu la part des réponses de bonne forme (F+) au regard de
l’ensemble des réponses de forme pure (F+ %) ; il s’agit ici d’appréhender
tout à la fois l’adéquation du rapport à la réalité et la qualité de l’inscription
socio-culturelle de l’enfant ou de l’adolescent,
3. En troisième lieu la prise en compte de la qualité formelle des réponses
associant un déterminant sensoriel et un déterminant formel (F+ % élargi),
qui permet de mesurer l’impact de la sensorialité sur la constitution de
bonnes formes, c’est-à-dire la manière dont l’engagement de l’affect
modifie la construction du stimulus dans sa qualité formelle.
L’approche des réponses couleur s’appuie sur deux indicateurs dont le
psychologue aura tout intérêt à croiser les expressions :
• En premier lieu, le calcul de la somme des réponses couleur du protocole
!
( C) selon une formule de pondération en fonction de la place de
la participation formelle dans les réponses couleur (voir la synthèse 8,
consacrée à ces aspects) ; cet indicateur permet de mesurer, à l’aune de
l’ensemble des réponses du protocole, la place spécifique des réponses
initiées par la couleur chromatique, réponses qui traduisent une forme
d’affectation particulière à l’égard du stimulus ;
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• En second lieu, l’identification, traduite en forme de pourcentage, du


nombre de réponses produites par l’enfant ou l’adolescent dans la
rencontre avec les planches pastel (VIII, IX et X) ; ce second indicateur
(RC %), qui vise à comparer la productivité à ces trois planches à une
norme de répartition théorique des réponses sur les dix planches (on
peut en effet s’attendre, si la distribution des réponses est homogène
sur l’ensemble des dix planches, à ce que le RC % soit égal à 30...) ,
permet une autre approche de la réactivité à la couleur, ici en termes de
facilitation ou d’inhibition dans la production des réponses.
164 Méthodologie de l’épreuve de Rorschach

L’établissement du Type de Résonance Intime (T.R.I), qui ne peut être


confondu avec un calcul1 même si des données chiffrées s’y trouvent engagées,
occupe une place centrale dans la synthèse des données du psychogramme.
Cet indice, qui propose de mettre en tension la part des réponses déterminées
par le mouvement d’une part (K) et par la couleur d’autre part (C) fait partie
des propositions originales de H. Rorschach (1921), en appui sur l’analyse
des types caractérologiques, dans le sillage des travaux de C.G. Jung. À
partir de l’analyse du rapport qui s’établit entre les réponses kinesthésiques
et les réponses couleur, H. Rorschach propose de différencier deux pôles
principaux dans le fonctionnement psychique du sujet :
• Un pôle introversif, correspondant à l’investissement privilégié du
mouvement dans la production des réponses, qui traduit une qualité de
mise en jeu de l’intériorité dans la production de la réponse ; en d’autres
termes, on peut considérer que ce pôle introversif renvoie à la capacité de
l’enfant ou de l’adolescent à jouer avec des objets internes suffisamment
constitués et fiables ;
• Un pôle extratensif, correspondant à l’investissement privilégié de la
couleur dans la production des réponses, qui traduit une modalité de
relation sensible à l’environnement, et une participation affective à la
construction du monde, impliquant une capacité de l’enfant ou de
l’adolescent de se laisser toucher par la réalité externe.
Dans l’analyse du Type de Résonance Intime, il importera donc de mettre
en évidence les modalités d’expression de la tension qui s’établit entre les
deux polarités. Chacune de ces polarités peut être rapprochée de l’un des
termes du trouvé-créé décrit par D.W. Winnicott (1957) : on peut en effet
mettre en perspective la dimension de la kinesthésie avec le créé au dedans et
celle de la couleur avec le trouvé au-dehors, qui constituent les deux polarités
engagées dans la construction du monde, au regard de la prise en compte
de la spécificité du travail de la symbolisation mise en jeu dans la rencontre
de l’épreuve projective.
En contrepoint du Type de Résonance Intime, l’établissement de ce que
l’on nomme la Formule Complémentaire (à entendre comme la formule
complémentaire au T.R.I), permet de pondérer ce dernier. Il s’agit ici de
prendre en compte le rapport qui s’établit entre les kinesthésies mineures

1. L’erreur serait en particulier de considérer que ce rapport K/C aurait à être réduit en une formule
décimale... ce qui compte, dans l’appréhension du T.R.I, c’est la manière dont chacune des polarités
contribue à la dynamique du fonctionnement psychique, et non pas une illusoire rationalité attachée
à une forme numérique.
Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent 165

(kan, kex, kob) et les réponses déterminées par l’estompage. Cet indice
permet de figurer, dans un registre régressif au regard du T.R.I, les modalités
d’aménagement du sujet dans sa gestion du rapport à la réalité.

➤ Synthèse des contenus

La synthèse des contenus concerne d’une part l’identification de la place


que prennent les principales classes de contenu mobilisées dans la rencontre
avec les planches au sein du protocole (humains et animaux), d’autre part
l’établissement de ce que l’on nomme l’indice d’angoisse (dont il conviendra
de préciser les contours et le sens) et, enfin, le repérage des réponses dites
banales.

Les contenus qui font l’objet d’une attention particulière sont les contenus
humains et les contenus animaux.
On comprend aisément l’importance de la prise en compte des contenus
humains au regard du support identificatoire qu’ils autorisent de manière
privilégiée. Il conviendra cependant de différencier les contenus humains
à proprement parler, traduits en termes de pourcentage de l’ensemble des
réponses (H %), des contenus de pseudo-humains (différenciation H/(H)) ;
par ailleurs, une attention sera portée sur la qualité des réponses humaines au
plan de l’intégrité/la continuité de celles-ci. Ainsi, si le H % comprend sera
considéré comme le pourcentage de l’ensemble des réponses humaines au
regard de l’ensemble des réponses, on s’intéressera également au rapport qui
s’établit entre les réponses renvoyant à la représentation d’humains entiers (H)
et celles renvoyant à une partie du corps humain (Hd). La qualité formelle
attachée aux représentations humaines en général constituera également un
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facteur d’appréciation du registre de l’engagement identificatoire de l’enfant


ou de l’adolescent.
Comme on a pu le voir, les représentations animales peuvent être
identifiées comme le second pôle (voire le premier au plan quantitatif)
d’investissement chez l’enfant et, dans une moindre mesure, chez l’adolescent.
Le pourcentage de réponses animales (A %) constituera à ce titre un
indicateur précieux, à situer en lien avec le pourcentage de réponses
humaines. Ces réponses animales, considérées d’une part chez les plus
jeunes enfants comme les premiers supports identificatoires, et d’autre part
chez les adolescents comme supports pour des mouvements régressifs, se
trouvent au cœur de la dynamique de construction de la personnalité.
166 Méthodologie de l’épreuve de Rorschach

L’indice d’angoisse constitue le second marqueur attaché aux contenus


représentatifs. Il consiste à identifier, et à rapporter en terme de pourcentage,
les réponses appartenant à un certain nombre de classes de représentation
et qui signent potentiellement l’émergence d’un affect d’angoisse : les
réponses de détail humain (représentation humaine non unifiée), les réponses
anatomiques, les réponses de sexe et de sang. Le pourcentage est considéré
comme significatif (Rausch de Traubenberg, 1970) lorsqu’il dépasse la
valeur de 12.
Au-delà de l’attention portée à ce seuil de 12 %, il paraît tout à fait
primordial d’envisager, au regard de la qualité singulière des réponses qui
sous-tendent l’établissement de cet indice dans un protocole, le registre de
l’angoisse exprimée : angoisse psychotique, manifestée en forme d’effraction
des limites, angoisse dépressive, liée à la précarité des liens, ou angoisse
névrotique, dans le registre de la castration.

Enfin, l’approche des banalités invite, dans une synthèse, à en lister


la présence au sein du protocole de réponses : la présence minimale
de 3 à 5 banalités (comprise en référence à une liste pré-établie1 ) peut
être considérée comme requise dans un protocole normatif d’enfant ou
d’adolescent. Cet indicateur sera bien sûr à prendre en compte en lien avec
la participation plus générale des réponses formelles et de leur qualité au sein
du protocole. C’est sans doute autour de la présence des banalités que se
trouve mis en scène de la manière la plus explicite les potentiels d’inscription
socio-culturel de l’enfant ou de l’adolescent, inscription signifiée par la
capacité de partager, dans une culture donnée, les mêmes références en
termes de schèmes représentatifs.

1. Voir supra, dans le développement consacré à la qualité formelle des réponses, la référence à une
liste des banalités.
CHAPITRE
3

Expression projective
au Rorschach
et développement
psychoaffectif de l’enfant
et de l’adolescent
Sommaire

Problématiques et observatoires cliniques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Page 169

Repères pour une pratique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Page 217


Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent 169

’OBJECTIF de ce troisième chapitre est double : il s’agit d’une part

L
de présenter les principales problématiques et les observatoires à
même d’autoriser une lecture clinique des protocoles de Rorschach
de l’enfant et de l’adolescent, en mettant l’accent sur l’inscription
psychodynamique des expressions projectives, et d’autre part
d’aborder, dans une perspective développementale (ici bien sûr considérée
au sens du développement psychoaffectif), les formes expressives dont
témoignent les productions projectives en fonction de l’âge, de l’enfant
d’une part, de l’adolescent d’autre part.

Problématiques et observatoires cliniques

Le projet de ce développement est de proposer une lecture des principaux


indicateurs du fonctionnement psychique de l’enfant ou de l’adolescent dans
leurs expressions projectives. Trois aspects seront successivement abordés,
qui constituent chacun une forme de découpe de la vie psychique :
– le registre d’organisation de la pulsion et celui des expressions d’angoisse
qui y sont attachés d’une part,
– les modalités défensives d’autre part,
– et la dynamique du lien à l’objet enfin.
Ces trois aspects seront présentés dans leur singularité expressive, sans
méconnaître l’étroite intrication qui se joue entre ces différentes modalités
organisatrices de la vie psychique, qui constituent, au fond, autant
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d’observatoires singuliers du monde interne de l’enfant ou de l’adolescent.


Au plan des illustrations cliniques présentées dans ce développement,
nous nous attacherons à mettre en évidence les formes selon lesquelles
chacune des problématiques s’exprime dans le temps du développement
psychoaffectif auquel elle se réfère. Nous aurons également la préoccupation
d’envisager les voies d’émergence de ces problématiques dans le cours de
l’évolution de la maturation de l’enfant et de l’adolescent, en ce qu’elles
signent les points de conflictualité autour desquels se signale la singularité du
fonctionnement psychique de chaque sujet, et les tensions qui le traversent.
170 Expression projective au Rorschach et développement psychoaffectif

Organisateur de la pulsion et expression de l’angoisse

On le sait très clairement avec les travaux freudiens, et en particulier


avec ceux qui présentent la découverte de la sexualité infantile (Freud,
1905), les mouvements pulsionnels d’un sujet, et de l’enfant en particulier,
s’organisent progressivement, en fonction de la primauté de la zone érogène
qui constitue le siège du plaisir qui y est attaché... en fonction de la maturation
psychosexuelle. C’est ainsi que successivement, la pulsion s’attachera à la
zone orale, puis à la zone anale, avant d’investir la dimension du phallique
puis la génitalité.
Chacune de ces étapes du développement psychosexuel de l’enfant, non-
réductible à une perspective de stricte linéarité, correspond tout à la fois à
un temps du développement psychoaffectif et à une polarité organisatrice
de la vie psychique. En d’autres termes, il s’agira de considérer tout à
la fois la singularité de chacun des organisateurs de la pulsion dans son
inscription génétique dans le temps de l’enfance, et reconnaître sa place
dans les investissements ultérieurs de l’adolescent dans le processus du
devenir-adulte.
Par ailleurs, il conviendra de considérer l’articulation entre l’organisateur
de la pulsion et le registre d’angoisse qui s’y trouve associé.

➤ Oralité et épreuve de la différenciation


On le sait, la première forme de contrôle que le nouveau-né va exercer sur le
monde qui l’environne, sa première expérience fondant une différenciation
entre monde interne et réalité externe, passe par l’épreuve de l’oralité1 : c’est
à partir de l’expérience de l’apport de nourriture, qui vient répondre à une
attente qui ouvrant sur la satisfaction dans le contexte des mouvements
d’auto-conservation, que se construit une forme d’érotique orale. Celle-ci
se déploie, au-delà de l’expérience de satisfaction liée à la nourriture, en
se généralisant à l’ensemble des premiers investissements de l’enfant, qui
porteront trace de cette érotique orale, organisant le rapport entre le dedans
et le dehors de l’enfant. En filigrane, se profile le risque d’un maintien de
la confusion entre le Moi et l’objet, risque dont témoignent des angoisses
qui s’expriment dans le registre de la confusion – angoisses qui affectent la

1. D. et A. Anzieu (1998) proposent, quant à eux, que la première différenciation entre le monde
interne et la réalité externe passe par l’investissement de la paupière : celle-ci, dans sa capacité à établir
une frontière, au lieu du visuel, entre une intériorité et une extériorité, constituerait un premier
clivage organisateur, en deçà de l’expérience de la satisfaction orale, voire combinée à celle-ci.
Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent 171

qualité des limites – et lui témoignent du risque de se perdre comme sujet


différencié. Les principaux enjeux peuvent alors être identifiés au travers de
marques d’agrippement, ici au percept de la planche de Rorschach et/ou
à une représentation qui assure une fonction de maintien d’une forme de
continuité. Dans ce contexte, on comprend que les planches qui mobilisent
particulièrement, d’une manière ou d’une autre, la dimension de la limite,
représenteront des attracteurs pour les angoisses orales :
• planches dont le détail intermaculaire organise le stimulus (planches II,
VII et IX) ;
• planche dont la cohérence du stimulus se trouve interrogée par une qualité
singulière de la planche (planche III avec la découpe des différentes parties
du stimulus, planche IX avec l’interpénétration des couleurs, planche X
avec la dispersion du stimulus...).
Les expressions projectives de la pulsion dans son organisation sous
le primat de l’oralité renvoient aux marques de modalités archaïques de
rapport au monde. Celles-ci peuvent être identifiées autour de quatre formes
principales :

1. Au plan des expressions « hors réponse », dans un maniement du matériel


de l’épreuve dominé par une forme d’avidité orale (mise à l’épreuve orale
de la qualité des planches, attente d’être nourri par le matériel...) ou
avec l’expression d’angoisses de vide, transmises dans les mouvements
transférentiels autour de la rencontre de l’épreuve.
Marianne (6 ans et 4 mois), qui ouvre sa verbalisation, à la planche IV,
sur cette formulation :
« Tu vas toutes me les montrer ? », formulation que l’on peut entendre
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tout à la fois comme la marque d’une forme d’avidité à l’égard de l’épreuve


et comme une expression défensive au regard de la sollicitation phallique
de la planche.
Yasmine (14 ans et 2 mois), à la planche II :
« Un papillon... !... je sais pas, j’ai l’impression que je perds la tête... »
(enquête : « ça a plusieurs couleurs... ça, une espèce de petite tête avec
des petites antennes – D3 –, des grandes ailes – D6 – et le derrière des
papillons, c’est comme ça », réponse cotée G FC A).

Après la proposition d’une première représentation (« papillon »), on peut


observer que Yasmine est confrontée à un mouvement de désorganisation
172 Expression projective au Rorschach et développement psychoaffectif

face à la planche. Il est d’ailleurs significatif qu’à l’enquête, c’est à partir de la


mention de la couleur (référence à l’éprouvé) que Yasmine tente de reprendre
le contrôle de la situation (lutte contre le mouvement de désorganisation
attaché au vide central ?).

2. Au plan des modes d’appréhension avec des confusions forme-fond,


contenant-contenu (réponses confabulées ou contaminées, par exemple), des
ruptures entre les modes d’appréhension avec des successions peu organisées
(alternance de réponses globales et de petit détail rare, par exemple1 ).
Alexandre (4 ans et 11 mois), à la planche VII
« C’est un chien blanc, qui était dans la neige, un chien blanc qui
rencontre la neige et c’est tout » (enquête : « c’est le chien qui s’est mis
dehors et après, quand il faisait rien, il faisait pas mal... mais quand il
chasse les oiseaux, il s’énerve, ça c’est la montagne – D4) et ça c’est le
chien – D2 » – réponse cotée Gbl FC’ A >kan ?). La réponse proposée
par Alexandre témoigne d’une confusion forme-fond, le fond blanc de la
planche se trouvant en situation de recouvrir le stimulus en contaminant
la représentation (le chien, identifié dans le gris, est qualifié de blanc, en
lien avec le fond blanc de la planche identifié comme la neige...).
Gérard (6 ans), à la planche III
« C’est des fées qui préparent du feu... ils mettent leurs bottes, ils
s’habillent, ils se déguisent en corbeau » (réponse cotée G KC (H)/A
– Contamination).
La réponse témoigne d’une double confusion : confusion des apparte-
nances sexuées (écart entre le registre féminin des fées et l’utilisation d’un
pronom personnel masculin) et confusion au plan de l’appartenance à
l’espèce (un pseudo-humain, ici une fée, qui se déguise – se transforme ?)
en animal.
Eric (14 ans et 11 mois), à la planche IV
« Un ours mélangé avec un putois, le gros ours et un peu le noir et blanc
du putois, un gros monstre » (enquête : « là on voit le gros ours avec les

1. On peut renvoyer le lecteur, sur la spécificité de l’expression des problématiques contenant-contenu


à l’épreuve de Rorschach à l’article de C. Frédérick-Libon (2001) : « Réflexions autour de certains
phénomènes archaïques au Rorschach chez l’enfant : les distorsions de la relation contenant-contenu »,
Psychologie Clinique et Projective, 7, p. 127-152.
Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent 173

grosses jambes et là on voit la tête du putois et la queue du putois », réponse


cotée G FC’ (A) – Contamination).

Le caractère massif de la planche, doublé d’une mobilisation sensorielle


(quête d’un dégagement ?), semble contraindre Eric à une forme de
compromis introuvable, au sein duquel chacune des représentations
(ours/putois) ne peut acquérir de statut clairement identifié. Le recours
au signifiant « monstre », dont on peut penser qu’il aurait pu supporter le
conflit en se proposant comme issue acceptable, ne paraît pas en mesure
d’inscrire ce compromis dans le temps (on notera qu’il n’est pas repris à
l’enquête).

3. Au plan des déterminants, avec la prégnance de réponses cotées en F-.

4. Au plan des contenus avec des persévérations, confusions dans la


construction des représentations et, en particulier, une faible discrimination
entre les registres animaux et humains... et de manière plus générale au
travers d’expressions de langage qui témoignent d’un investissement du
langage qui n’autorise pas véritablement la construction d’une séparation
entre le Moi et la réalité extérieure (contenus essentiellement référées à des
réponses de Pénétration selon la cotation de S. Ficher et S.E. Cleveland).
Jérémie (11 ans et 10 mois), à la planche II
« L. 0.10’... corps d’un lapin quand il est ouvert avec un peu de sang
(D1 + D2)... c’est comme si c’était deux cornes (D4)... là ça fait penser
à un trou de serrure avec une clé (Ddbl) » (enquête : « les cornes, un
peu pointu, quelquefois c’est blanc ou gris ou noir », réponses cotées
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DD FC Anat, puis D F- Ad, puis Ddbl F- Obj.

Jérémie propose une succession de réponses, avec alternance de modes


d’appréhension qui témoignent d’une forme de balayage aléatoire de la
planche ; les réponses sont globalement d’une qualité formelle médiocre,
elles présentent des contenus dysphoriques et attaqués dans leur intégrité
(«...corps de lapin quand il est ouvert... »), peu cohérents dans la gestion du
rapport entre contenant et contenu, forme et fond (on peut comprendre
que la mention de la clé dans la réponse « trou de serrure avec une clé », a
pour fonction de colmater un vide et/ou une fracture dans la continuité de
la planche vécus comme insupportables par Jérémie.
174 Expression projective au Rorschach et développement psychoaffectif

➤ Analité et expérience de la perte

La qualification d’une organisation anale de la pulsion est caractérisée par


un fonctionnement psychique dominé par les marques de maîtrise et de
contrôle versus lâchage ou perte. Cette modalité de traitement de la pulsion
prend appui sur le contrôle des sphincters et sur l’expérience, propre à ce
temps du développement psychoaffectif, de pouvoir jouer entre rétention
et expulsion. L’investissement libidinal de la sphère anale confère à cette
expérience une dimension fondatrice dans l’établissement des échanges
entre le jeune enfant et la réalité extérieure, en appui sur une délimitation
des limites entre monde interne et réalité externe que le temps de l’oralité
aura, dans le meilleur des cas, permis à l’enfant de construire de manière
suffisamment stable.
C’est dans ce contexte que peuvent venir s’infiltrer, dans la vie psychique
de l’enfant, puis de l’adolescent, des mouvements qui témoignent de
l’insupportable rencontre de la perte, face au risque de perte de contenance et
d’intégrité qu’elle engage. En effet, le traitement anal de la pulsion implique
pour l’enfant d’être en mesure de se détacher de cette part de lui/hors de lui
que représentent les matières fécales... sans se trouver atteint par la nécessité
physiologique liée à l’expulsion.
Au plan de l’expression projective du registre anal de la pulsion, on
retiendra qu’elle peut être repérée au travers des enjeux de contrôle de
la situation projective et/ou de l’échec de ce contrôle, selon différentes
modalités.

1. Contrôle du psychologue dans la relation clinique ouverte par la passation


de l’épreuve : maîtrise de la passation et des planches, interpellation sur la
bonne qualité des réponses, mouvements d’attaque du matériel...
Fabienne (10 ans et 6 mois), à la planche III
« (...)... un truc là (D3), un nœud-papillon... après tu me dis si c’est
juste ! (...) »
Barnabé (14 ans), à la planche VII (après avoir disqualifié l’épreuve à la
planche IV)
« Franchement je vois pas bien à quoi ça sert » (fronce les sourcils)... « (L.
0.30’) ... excusez-moi je pourrais avoir celle-là (la planche VI) ? celle-là
est symétrique, et les autres non ? (...) »
Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent 175

2. Au plan des modes d’appréhension, des mouvements qui peuvent viser


à une saisie compulsive du stimulus avec le sentiment d’une nécessité, pour
l’enfant ou l’adolescent de « tout tenir », sans recherche d’une cohérence de
la succession des réponses, soit par la voie de réponses globales juxtaposées
(apposition de grands détails sans articulation prise dans le langage entre
les représentations portées par chacun des détails), soit par la voie d’un
surinvestissement de réponses de petit détail, isolés les uns des autres, soit
enfin par la voie de réponses globales-blanc qui peuvent être qualifiées de
réponses « à tout prix », au sens de la dimension arbitraire de l’articulation
entre le fond et la forme de la planche.
Jean (8 ans et 5 mois), à la planche III
« (prend la planche) Ça on dirait une grenouille (G), ça on dirait des
doigts (Dd10), ça on dirait un masque (D7)...! un petit papillon (D3)..."
une femme et l’autre aussi (2 D1)... du feu qui tombe » (réponses res-
pectivement cotées G F- A, Ddo F+ Hd, D F+ Obj, D F+ Ban, D F+ H
ban, D kobC Elem).

Dans cette séquence de réponses à la planche III, alternent des modes


d’appréhension contrastés, ainsi que des contenus qu’il apparaît difficile
d’inscrire dans une chaîne associative (rupture/torsion du fil projectif ?).

3. Au plan des déterminants qui, d’une manière générale, apparaissent


comme peu assurés quant à la qualité formelle, et au sein desquels vont
s’exprimer de façon privilégiée les déterminants de couleur achromatique,
les déterminants estompages et ceux de kinesthésies explosives ; on peut
dire que l’ensemble de ces déterminants seront ici investis au service d’un
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évitement des expériences de perte ou de séparation (C’, E)... ou pour


exprimer la faillite de cette stratégie (kex) :
La présentation d’un choix parmi les réponses proposées aux
planches III, IV, VIII et X par Mourad (8 ans et 1 mois) semble illustrer
assez bien l’expression de la problématique anale dans le temps de la latence :
– Planche III : « ça c’est un squelette, il est rouge, noir et un peu blanc,
gris et rouge... !un squelette... non, un rat, il est rouge, gris et blanc »
(enquête : « un papillon dans le squelette... deux squelettes, dents pointues
et bras... mais pourquoi il y a un papillon dans le rat... c’est son cœur » ;
réponses cotées Gbl FC Anat, puis G F+ Anat, puis Gbl FC/FC’ A) ;
176 Expression projective au Rorschach et développement psychoaffectif

– Planche IV : « c’est un papillon... non, un géant tout tout noir, ses bottes
sont grises... ! si on met comme ça, c’est... » (réponses cotées G F+ A,
puis G FC’ (H)/Obj) ;
– Planche VIII : « un squelette, le cœur d’un squelette, les os d’un squelette »
(réponse cotée Gbl FC Anat) ;
– Planche X : « en haut, une Tour Eiffel (D11)... il y a plein de... on lance,
ça explose, c’est bleu, des petites bombes... il y a de toutes les couleurs »
(enquête : « une fête, des pétards, des couleurs », réponses cotées D F+
Arch, puis G kexF Frag)

Dans cette série de réponses, on peut reconnaître d’une part la difficulté


de Mourad à renoncer à une partie du stimulus, envisagé sur son vessant
éminemment sensoriel (FC, FC’), ainsi que la prégnance de la problématique
de l’articulation entre dedans et dehors (squelette/ rat), entre la forme et
le fond (squelette/ cœur) et, enfin, la difficulté dans la confrontation avec
la dispersion du stimulus à la planche X qui conduit l’enfant, après une
tentative de structuration autour d’un monument universellement reconnu
(la Tour Eiffel), à être comme débordé par une représentation explosive, peu
contenue, et au sein de laquelle il se présente comme acteur passif (« ...on
lance, ça explose... »).

4. Au plan des contenus, des représentations qui signent une tension au lieu
des enjeux de la différenciation, réponses magma, ou réponses qui mettent en
jeu la dimension de l’intériorité sur fond d’une dynamique dedans–dehors
problématique, dans une tonalité plus ou moins dysphorique.
Simon (3 ans et 9 mois), à la planche IX
« C’est des grabouillons, on dirait des grabouillons (retourne la planche)...
c’est magique, c’est rose maintenant, tu as vu ? » (enquête : « ah oui c’est
du caca (D6 + Daxial) les fesses elles sont là (D1) et là c’est l’enfant (D3),
non les WC (D1) et là c’est l’enfant (D3) il est un peu cassé l’enfant
(fait des bruitages) », réponse Refus (Cn), puis à l’enquête : R. Add. D/G
FC H).

Le magma de la réponse initiale prend forme, dans l’après-coup du


temps de l’enquête. Cet après-coup reprend, dans une thématique anale, la
problématique du passage entre dedans et dehors...
Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent 177

Hamida (4 ans et 1 mois), à la planche IV


« Je sais pas (elle prend la planche en mains, pour la première fois depuis
le début de l’épreuve)... un loup... il fait pipi... après il s’essuie et après il
tire la chasse d’eau » (réponse cotée G kan A).

La dimension du contrôle est appelée ici au regard des angoisses anales


mobilisées par la planche, la thématique de la représentation proposée porte
la trace de ces préoccupations dans le registre de l’analité.

➤ Emergence phallique et revendication narcissique


L’organisation phallique de la pulsion repose sur un investissement
de l’énergie pulsionnelle au service d’une capacité pour l’enfant à se
vivre comme une entité singulière, dégagée des enjeux de dépendance
à l’égard de l’environnement. Ce temps de l’organisation pulsionnelle,
qui succède au temps de l’analité, peut être décrit comme le temps de
l’assomption narcissique, forme de triomphe subjectif sur le fond duquel
pourra se construire une identité affirmée. En d’autres termes, ce temps
du développement psychique est un temps de confortation de la maîtrise
de l’enfant sur son corps et sur le monde, et le théâtre du déploiement des
mouvements de toute-puissance narcissique.
Le risque principal pour l’enfant, dans cette phase de la vie psychique, peut
être décrit autour des atteintes à la toute-puissance infantile et aux enjeux de
frustration que celles-ci entraînent. Ainsi, les angoisses sont teintées du risque
d’une altération des mouvements grandioses de l’enfant, face à ce qui, dans
la réalité de la rencontre de l’environnement, vient limiter le déploiement
d’une expansion de son narcissisme. En filigrane, c’est bien la question de
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l’idéal et de ce qui échappe à un contrôle omnipotent de celui-ci qui se


trouve au premier plan : dans ce contexte, se déploient préférentiellement
les angoisses de perte d’objet et d’abandon, témoins de la survivance d’une
dépendance au regard et à l’attention de l’autre, face au risque que représente
la rencontre du conflit.
L’expression projective de l’organisation phallique de la pulsion peut être
reconnue, d’une part en appui sur un investissement privilégié de la symétrie
et, d’autre part, au décours de l’expression de verbalisations sous-tendues
par la référence à l’idéal.

1. L’idéalisation versus la disqualification du psychologue ou de l’épreuve,


de la relation et/ou des réponses proposées par l’enfant ou l’adolescent,
178 Expression projective au Rorschach et développement psychoaffectif

représentent les marques les plus tangibles, dans la clinique de la passation,


de ce mode d’investissement :
Hervé (8 ans et 4 mois), réagit à la présentation des planches :
– Planche II : « ! c’est un peu n’importe quoi donc je comprends pas mais...
" tu me l’as donné comme ça ou comme ça ?! (...) » ;

– Planche III : « tu me montres presque toujours les mêmes (...) » et


planche IV : « !" tu le sais c’est quoi ? celle-là c’est n’importe quoi ! (...) ».

2. La disqualification du matériel, doublée d’une mise en cause de la pra-


tique du psychologue et d’une sollicitation en forme de soutien/idéalisation,
ouvre la verbalisation, comme pour autoriser l’enfant à investir l’épreuve et
à livrer les contenus de son imaginaire (protocole de 22 réponses) :
Grégoire (17 ans et 5 mois), à la planche I de l’épreuve :
« Humm ! intéressant... la première idée qui m’est venue ç’aurait été
deux anges mais avec la couleur ça le fait pas trop... je verrais aussi un
papillon là-dedans... deux sorcières aussi je verrais bien, ça irait bien
avec les couleurs... ouais c’est tout» (enquête : « les anges, tout le haut là,
papillon, le corps et les ailes, et sorcières, pour la couleur déjà, la couleur
sombre là, la forme de leur tête et leur grande cape noire... et là les deux
manches du balai », réponses cotées D F+ (H), puis G F+ A Ban, puis
G FC’ (H) > Clob ?).

On peut penser que la réaction affective, intellectualisée, de Grégoire face


à la présentation de la planche a pour objectif de conforter le lien avec le
psychologue au regard de la part d’étrangeté inquiétante rencontrée dans
la passation de l’épreuve... si l’on en croit la teneur des représentations qui
émergent face à cette planche (« ange », puis « sorcières ») ;

3. Les modes d’appréhension pourront se trouver directement affectés


par l’investissement de la symétrie, dans la mesure d’un choix de découpe
qui s’appuie sur le détail axial de la planche, de manière exclusive ou non
(réponse limitée au détail axial, D ou Dd), ou réponse construite à partir
de celui-ci (D/G ou DD) ; par ailleurs, la perception de détails rares ou de
détails qui se présentent comme dressés, peut contribuer à la dynamique
phallique-narcissique :
Ronald (8 ans et 6 mois), dans une séquence de réponses des planches VI
à IX, témoigne d’un investissement privilégié du détail axial pour proposer
Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent 179

des représentations qui, dans leur caractère érigé, soutiennent une position
phallique – narcissique :
– Planche VI : « !" L. 0.20’... un grand bâton au milieu, avec deux grandes
ailes, et une moustache comme les chats et un espèce de... » (réponses
cotées D F+ Obj, puis D F- Ad, puis Dd F+ Ad) ;
– Planche VII : « !" ça on dirait deux amoureux qui sont sur un papillon...
mais c’est des chiens avec des grandes oreilles et une petite queue »
(enquête : « les amoureux en haut, le papillon, il est énorme, un homme
et une femme... mais on dirait deux femmes qui ont l’air de se faire un
mimi... elles s’approchent », réponses cotée G F+ Scène, puis D F+ A) ;
– Planche VIII : « !" qu’est-ce que ça pourrait être ? un papillon en bas et
une bête qui lui a accroché la tête... il y a deux ours sur la main du gros
animal qui prend la tête avec ses pieds... les deux ours mettent les pieds
sur le papillon » (réponse cotée D/G kan A Ban) ;
– Planche IX : « !" c’est presque pareil que l’autre... espèce de bâton (D5)
avec deux ailes roses (D6), avec des cheval accrochés au bâton (D3)...
deux hommes (D3) en haut se tiennent avec des trucs jaunes » (enquête :
« des trucs en fer... des hommes, non des loups avec des grandes griffes
et une gueule et deux petits yeux blancs », réponses cotées G F- A, puis
D F+ H, avec une réponse additionnelle, R. Add. : D/Ddbl F- A).

Manifestement, l’investissement de l’axe de symétrie, et l’affectation de


représentations dominées par des marques de revendication narcissique, sont
ici au service d’une lutte contre le risque de perte ; il est d’ailleurs significatif
que les figurations humaines, hétérosexuelles dans un premier temps, se
rabattent sur une relation en miroir homosexuel.
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

4. Les déterminants peuvent porter la marque de cette dynamique d’une


part au travers de l’investissement de la couleur comme support à des
représentations idéalisées (réponses CF en particulier), et d’autre part au
travers de réponses de kinesthésies mineures, portant sur des contenus
animaux et/ou d’objet (kan ou kob) :
Clara (9 ans et 6 mois), à la planche VIII
« Ah ! c’est plus coloré ! là on dirait des... des ... des panthères sur les
côtés... et puis là on dirait une fusée et là c’est le feu » (enquête : « la forme,
les quatre pattes quand tu mets comme ça # on voit les yeux et les oreilles,
le rose, c’est le feu », réponses cotées D F+ A Ban, puis DD CF Obj/Elem
> kex ?)
180 Expression projective au Rorschach et développement psychoaffectif

Après une première remarque positive sur l’apparition de la couleur à


la planche VIII, puis la proposition de la réponse banale à cette planche,
Clara va prendre appui sur la couleur de la planche pour déployer une
représentation porteuse d’une charge d’idéalisation manifeste.

5. Enfin, les contenus portent la trace de ces mouvements narcissiques,


avec la présence de réponses renvoyant à des représentations « nanties », soit
dans des termes quasi-explicitement liés à la présence d’attributs sexuels
(sexe masculin et poitrine féminine en particulier), soit dans des termes
davantage symboliques, avec la mention de représentations qui évoquent
ce nantissement (parures, attributs phalliques...) ; en contrepoint, l’échec
de l’investissement de la position phallique-narcissique se traduit par des
représentations fortement disqualifiées.
Myrtille (9 ans et 2 mois), aux planches IV à VI
– Planche IV : « L. 0.10’... un ogre... un ogre sans yeux et il a une queue
par derrière, il a des gros pieds... il a des gros pieds, c’est tout » (enquête :
« parce qu’il était grand, il était pas beau... parce que ses oreilles pendaient,
c’est pas beau... il avait une queue... en fait c’était un ogre-chat... il a la
tête d’un chat », réponse cotée G F+ (H)/A – Contamination)
– Planche V : « L. 0.10’... c’est un papillon (trace le mouvement des ailes
avec ses mains)... il a deux petites pattes, il a deux antennes (montre sur
elle-même), c’est tout » (réponse cotée G F+ A Ban)
– Planche VI : « on en est à la combien ? !" (rit) L. 0.30’... je sais pas à
quoi ça ressemble... à une étoile et à un chat qui décolle » (réponse cotée
D/G kan A/Elem – Contamination ?)

Cette séquence met en évidence une construction problématique du


registre phallique-narcissique de la pulsion, dans laquelle alternent idéalisa-
tion et dés-idéalisation, vécus de toute-puissance et de toute-impuissance.
Juliette (16 ans et 9 mois), à la planche X
« On dirait un feu d’artifice... on dirait un chevalier, un samouraï, ça
fait un casque avec un truc en haut (rit) ... oui, ou bien Moyen-Âge, je
sais pas si vous voyez ce que je veux dire, un gros casque en fer » (« feu
d’artifice, comme si ça explosait partout, ils en ont envoyé dans tous les
sens », réponses cotées G kex Frag, puis Gbl F+ H).

Après une première réponse qui témoigne d’une forme de difficulté à


contenir les mobilisations pulsionnelles liées au double impact de la couleur
Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent 181

et de la diffraction du stimulus (réponse « feu d’artifice »), la représentation


nantie du chevalier (ou d’une figure équivalente) permet à Juliette de se
soutenir dans une organisation narcissique et de se dégager du risque de la
désintégration.
Dans une moins bonne qualité d’élaboration, Ahmed (17 ans et 6 mois),
propose, à la planche IX
« L.0.25’... On dirait que c’est le dos, le dos derrière comme ça fait...
la colonne vertébrale » (enquête : « encore une fois ça y ressemble très
beaucoup au truc précédent », réponse cotée D F+ Anat),
alors qu’il s’était trouvé a minima en difficulté face à la planche VIII
« un foie ou je sais pas... on dirait un groupe sanguin ou... on dirait deux
animals là, un mouton ou un chien » (enquête : « tout ce qui est dans le
ventre... un peu la forme du cou, là la colonne », réponses cotées D FC
Anat, puis D CF Sang, et enfin, D F+ A Ban).

➤ Génitalité et différence des sexes

Ce dernier temps organisateur de la vie psychique de l’enfant, temps


intégrateur des différents registres pulsionnels sous le primat d’une référence
à la différence des sexes et des générations, engage un régime de relations
diversifiées et/ou conflictualisées avec l’environnement. L’accès à la génitalité
ouvre sur un déploiement abouti des fondements de la subjectivité, qui
s’enrichit d’une possibilité de jeu complexifié avec la dimension de la
différence, jeu traversé par des mouvements d’ambivalence. La liaison entre
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mouvements agressifs et libidinaux se trouve potentiellement mobilisable,


et prend forme dans l’engagement au sein des relations d’objet.
En contrepoint, ce temps de la vie psychique place l’enfant en risque d’un
débordement pulsionnel, au lieu de la génitalité : hyper-sexualisation des
représentations et des relations, confusions, mise à mal des opérateurs de la
différenciation... constituent les principales formes que peuvent prendre ces
mouvements.
Au plan de l’expression projective, l’accès à la génitalité va prendre forme
au travers d’un certain nombre d’indicateurs qui, d’une manière explicite
ou symbolisée, témoigneront de la capacité de l’enfant ou de l’adolescent à
jouer avec la conflictualité.
182 Expression projective au Rorschach et développement psychoaffectif

1. Au plan des engagements transférentiels, la passation de l’épreuve


projective se trouve soutenue par une circulation libidinale et/ou agressive qui
témoigne de l’expression d’une conflictualité/intériorité au sein de laquelle
chacun peut prendre place dans une histoire de lien organisée en appui sur
la différence des sexes et des générations. Les modalités d’interpellation du
psychologue par l’enfant ou l’adolescent contribuent à colorer le registre
dans lequel se déroule la passation et peuvent venir expliciter la circulation
libidinale et/ou agressive :
Brice (6 ans et 4 mois), dès le début de l’épreuve, à la présentation de la
planche I
« Une abeille... je voulais dire un papillon mais je me suis trompé »
(enquête : « je croyais que c’était pas une abeille... avec pas des trucs
blancs... moi je sais pas comment ça s’appelle ».

Au travers de la mobilisation d’une position réflexive, dans le regard du


psychologue, on peut considérer que Brice est en mesure de se représenter
dans le lien transférentiel.
Nathalie (15 ans) s’engage dans une certaine souplesse dans la relation
avec le psychologue dès le début de l’épreuve. À la planche I, elle interroge :
« Je dois dire à quoi ça me fait penser ? »
puis, lors de la verbalisation à la planche VI, elle interpelle le psychologue,
à partir d’un dialogue que l’on peut qualifier de dialogue intérieur, sur le
fond d’une préoccupation dépressive :
« je sais pas... ah si ! ça me fait penser à... je sais plus comment elle s’appelle
dans les 101 Dalmatiens la dame qui prend la peau des chiens pour se
faire des manteaux (le psychologue : « Cruella ? ») ... Ah oui, Cruella !
(enquête : « on dirait comme ses cheveux, elle avait tout le temps les
cheveux en l’air... là comme ses longs manteaux qu’elle avait », réponse
cotée G F- H > FE ?).

2. Au plan de la production des réponses et des modes d’appréhension


sur lesquels cette production s’appuie, la dynamique de la génitalité
s’exprime par un jeu possible avec différents registres de découpe du
stimulus : emboîtements et articulation des différentes parties du stimulus
dans le projet de construction de réponses de type globale élaborée (Gz),
investissement d’une démarche d’analyse du stimulus, de la synthèse au
détaillage (suffisamment détachée du risque de perte liée à un tel processus).
Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent 183

Bruno (14 ans et 9 mois), à la planche I (seconde réponse) :


«(...) y a une tête, deux mains, deux ailes... l’arrière d’un ange, les ailes
déployées, c’est le premier truc qui m’est venu » (enquête : « les deux
ailes déployées... deux mains, là ça fait deux têtes mais j’ai dit une seule »,
réponse cotée Gz F- (H)).
Sephora (14 ans et 3 mois), à la planche III
« On dirait deux femmes qui font du tam-tam... on dirait qu’elle évoque
la musique cette planche, on dirait deux notes de musique là et deux
femmes qui jouent du tam-tam » (réponse cotée Gz K H Ban)

– Au plan du déterminant, on s’attachera à la capacité de faire jouer


et d’associer, dans une articulation suffisamment souple, les déterminants
kinesthésiques et sensoriels (couleur) qui se rencontrent dans la formule
d’un T.R.I exprimant une tension entre ces deux polarités ; en arrière-plan,
la présence de réponses de kinesthésies humaines (ou, pour les plus jeunes,
de kinesthésies animales de substitution portant sur des animaux anthro-
pomorphes) atteste d’une possible conflictualisation des investissements
pulsionnels.
Christophe (7 ans), à la planche II
« Des... éléphants qui... qui font des... de la, un peu de bataille avec leur
trompe et tout (...) » (enquête : « les oreilles, les trompes, les pattes et ça,
je crois qu’ils saignent, ils se font mal, c’est des bébés qui sont pas du
même groupe », réponse cotée D kanC A).
Meriem (10 ans et 4 mois), à la planche III
« Des africaines en train de laver leur linge » (enquête : « parce que j’ai
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déjà vu des dessins... les africains et les africaines sont à peu près comme
ça », réponse cotée G KC’ H Ban).
Cyrille (14 ans et 11 mois), à la planche III également :
« (prend la planche)... Alors là je vois... ça a un rapport avec mon métier...
je vois deux serveurs, avec un nœud-papillon rouge, et là c’est une chaîne
hi-fi, voilà » (enquête : « deux serveurs qui tiennent une chaîne hi-fi, deux
serveuses j’ai dit, non ? avec les seins ici, les jambes... », réponse cotée
G KC H Ban).

Dans des niveaux d’élaboration différents, à considérer également au


regard de l’âge de l’enfant ou de l’adolescent, on peut ici mesurer la capacité
184 Expression projective au Rorschach et développement psychoaffectif

de chacun à jouer avec les différentes qualités du stimulus, au travers de


mises en scène pulsionnellement investies.
4. Enfin, au plan des contenus, la présence de réponses humaines
suffisamment identifiées, voire clairement porteuses d’une identification
sexuée (on sera bien sûr toujours attentif à la place que peuvent occuper
les réponses animales de substitution pour les plus jeunes enfants), ou
encore des réponses symboliques contenant une forme de jeu entre masculin
et féminin, activité et passivité, contenant et pénétration... constitue la
meilleure marque de l’investissement de la génitalité.
Diane (5 ans et 2 mois), à la planche III
« La maman et le papa là ! (rend la planche)... t’as marqué tout ça ? C’est
où que tu dors, c’est où ton lit ? » (localisation en D1, réponse cotée D F+
H Ban).

La réponse de cette jeune enfant que l’on peut référer, au regard de son âge,
à la période œdipienne, condense d’une certaine manière le marquage du
registre génital de l’organisation pulsionnelle : reconnaissance (ambiguë ?)
de la différence des sexes, avec une solution de compromis qui passe par la
coexistence de personnages du genre féminin et masculin dans la réponse,
identification des personnages comme référant à des figures parentales
(tentative de dégagement à l’égard de la confrontation à la bisexualité ?)
et, enfin, appel transférentiel à l’endroit du psychologue interrogé sur
l’emplacement de son lit ( !), dans une forme de transparence du message
œdipien...
Yvan (6 ans et 4 mois), à la planche III
« Deux dames, ils sont amoureux... parce qu’ils s’aiment bien » (enquête :
« parce qu’on dirait des cœurs – D3 – et on dirait aussi des petits singes
– D2 – et tellement il y a des singes ils sont amoureux », réponse cotée :
G F+ H Ban).

Le lien amoureux est clairement énoncé, sur fond de non-différenciation


des appartenances sexuées... et d’une banalisation de ce lien (« parce qu’ils
s’aiment bien »).
Aurélie (13 ans et 10 mois), à la planche VII
« Alors là on dirait deux jeunes filles qui sont en train de danser... qui
sont en train de danser... qui se regardent en dansant, je vois la joie sur leur
visage » (enquête : « elles se regardent, avec comme une sorte de plume...
dans un spectacle », réponse cotée G K H).
Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent 185

L’engagement libidinal est bien présent dans cette réponse, non exempt
d’une dimension narcissique qui soutient cet engagement.

Le travail des défenses

La place des mécanismes de défenses est largement décrite dans la littérature


consacrée au développement psychoaffectif de l’enfant (Lebovici & Soulé,
1970) et il n’est sans doute pas nécessaire d’insister une fois encore d’une part
au plan fonctionnel sur le caractère maturatif de celles-ci et d’autre part sur le
plan expressif sur la dimension éminemment labile de leurs manifestations.

➤ Le repérage des stratégies défensives


La question du repérage des stratégies défensives ouvre nécessairement sur
celle de la participation psychopathologique des mouvements psychiques de
l’enfant ou de l’adolescent. Dans le modèle proposé par M. Boekholt (1993)
dans la perspective des épreuves projectives thématiques en clinique de
l’enfant, la classification des expressions défensives, portées par le discours,
en différents groupes1 permet de situer la prévalence du recours aux
mécanismes de défense en fonction du registre dans lequel ils se développent
et dans lesquels ils prennent corps dans l’expression discursive, sans a priori
psychopathologique. Cette position est en cela fidèle à une conception
de la psychopathologie de l’enfant et de l’adolescent qui, on l’a vu, se
refuse à enfermer celui-ci dans une logique de structure, privilégiant alors la
dynamique des processus. Cette proposition permet par ailleurs de s’appuyer
sur une cotation des procédés d’élaboration des récits, cotation que l’on peut
entendre, au même titre que la cotation d’un protocole de Rorschach, comme
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une modalité d’objectivation des processus en jeu dans la production du


récit, et comme soutien au travail d’évaluation clinique du fonctionnement
psychique de l’enfant.
N. Rausch de Traubenberg, s’inscrivant en cela dans la lignée des travaux
des psychanalystes de l’enfant, propose de décrire et de repérer au travers

1. Les grilles proposées par M. Boekholt retiennent différents registres de l’expression défensive :
recours à la motricité, à la relation avec le clinicien, à la réalité externe, à l’évitement, à l’affect, à
l’imaginaire et au fantasme, à l’objectivité et au contrôle... À la différence des grilles à destination
des adultes (Brelet & Chabert, 2004), celles-ci ne sont pas construites sur le fond d’un repérage
nosographique a priori.
186 Expression projective au Rorschach et développement psychoaffectif

des expressions projectives quatre modalités principales de mécanismes de


défense :
– par le contrôle de la réalité,
– par le recours à l’imaginaire,
– par la mobilisation de l’affect,
– par l’investissement de la motricité.
Cette conception de la mobilisation défensive chez l’enfant s’appuie
sur une théorie de la vie psychique qui privilégie la mise en évidence des
procédures d’adaptation du Moi face à une situation inconnue, étrangère et
étrange, à laquelle se trouve confronté l’enfant.
Cette conception nous conduit à ré-interroger la définition même de
mécanisme de défense, centrale dans la pratique des épreuves projectives en
général et en clinique de l’enfant et de l’adolescent en particulier : défense
du Moi ou défense au Moi pouvons-nous interroger, dans une forme de
paraphrase de la proposition de R. Roussillon (1999) de différencier clivage
du Moi et clivage au Moi... Si l’on reprend la discussion ouverte autour de
la notion de mécanismes de défense par J. Laplanche et J.B. Pontalis (1967),
on peut en retenir deux propositions :
• d’une part les mécanismes de défense représentent des opérations visant
à protéger le Moi, défenses utilisées par le Moi ;
• d’autre part, ces opérations fonctionnent à différents niveaux de la
vie psychique et auraient à se trouver spécifiées en tant que telles
(l’introjection par exemple, et son prototype corporel dans l’incorporation,
processus qui peut-être utilisé secondairement comme défense, le même
fonctionnement peut être envisagé pour la projection...).
On comprend que la conception traditionnelle mettant l’accent sur la
dimension adaptative du Moi, au regard du risque provoqué par l’afflux
d’angoisses, et sur les torsions éventuelles opérées par les stratégies défensives,
gagne à être complétée par une approche du registre dans lequel ils
fonctionnent, à partir des registres de symbolisation qui fondent la vie
psychique de l’enfant et dans lesquels se déploie celle de l’adolescent. On
pourrait alors penser les mécanismes de défense comme une modalité
d’affectation de la vie psychique, au sens d’une affectation de l’activité
de symbolisation, qui emprunte à différents registres expressifs (affect,
imaginaire, agir, contrôle), et qui témoigne de l’engagement de l’enfant
ou de l’adolescent dans le travail de symbolisation, et des avatars de cet
engagement.
Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent 187

De fait, l’enfant ou l’adolescent, face à l’épreuve projective, va se trouver


engagé sur les différentes voies de l’appui sur la réalité externe, de la
mobilisation affective, du travail de l’imaginaire (c’est bien sur cette
voie spécifique qu’il se trouve d’ailleurs explicitement invité) voire de
l’investissement moteur (le maniement des planches, selon les épreuves,
n’appelle-t-il pas la motricité ?). L’enjeu consiste alors à mesurer la limite
d’une description des stratégies défensives qui s’attacherait uniquement aux
modalités expressives de l’enfant ou de l’adolescent face à l’épreuve projective
et à considérer la nécessité d’une mise en perspective avec l’engagement dans
le travail de symbolisation.
Si l’épreuve projective peut être considérée comme un dispositif à symboliser,
il convient de rappeler les enjeux d’une telle proposition :
• Il s’agit d’un dispositif qui demande à être symbolisé par l’enfant (il
convient que l’enfant ou l’adolescent puisse appréhender ce dispositif
dans un mouvement d’appropriation subjective – capacité d’entrer dans
le jeu du comme si...) ;
• Il s’agit d’un dispositif qui demande à l’enfant ou à l’adolescent de
s’engager dans un travail de symbolisation spécifique, au regard du
stimulus qui lui est proposé.
On l’a vu, la proposition de l’épreuve projective consiste à inviter l’enfant
ou l’adolescent à traiter, par le travail de la symbolisation, l’expérience
de l’absence dont témoigne l’épreuve de Rorschach, dans la mesure de
l’ambiguïté de la sollicitation portée par le matériel projectif. Ainsi, dans le
cadre des épreuves projectives, on peut considérer que l’enfant ou l’adolescent
sera conduit à un double travail de symbolisation : symbolisation de la
symbolisation d’une part, symbolisation des liens d’autre part. Ce double
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

travail de symbolisation aura à se déployer dans différents registres :


• au regard de l’appréhension de la planche par l’enfant, c’est-à-dire du
mode de construction de la représentation, sous-tendant une possible
appropriation subjective du matériel (première représentation ou pré-
représentation) ;
• au regard du lien que l’enfant entretient avec la représentation figu-
rée/projetée sur la planche en fonction de l’appréhension qu’il aura de
celle-ci (engagement d’un mouvement d’auto-représentation) ;
• au regard du lien imaginé entre les personnages figurés/projetés sur
la planche, et de la capacité de l’enfant à se dégager de la scène de
l’épreuve (représentation secondaire, prenant appui sur la représentation
188 Expression projective au Rorschach et développement psychoaffectif

de l’absence de représentation, fond sur lequel peuvent se déployer des


figurations diversifiées et différenciées, animées et interactives).
Ainsi, l’épreuve de Rorschach va-t-elle se présenter en butée du travail
de symbolisation de l’enfant ou de l’adolescent (dispositif à symboliser) sur
ces trois registres, ouvrant, pour le clinicien, sur une reconnaissance tout à
la fois des potentiels de symbolisation de l’enfant et de ses « empêchements
à symboliser ». On obtient alors une autre lecture des stratégies défensives
de l’enfant ou de l’adolescent, non plus exclusivement centrée sur les
mécanismes d’adaptation du Moi mais ouvert sur l’analyse dynamique des
processus mobilisés dans le cours du travail de symbolisation, défense au
Moi de l’enfant.
À partir de là, la modélisation d’une approche des « empêchements à
symboliser » comme paradigme de l’approche et de l’analyse des défenses au
Moi dans le cadre des épreuves projectives, et de l’épreuve de Rorschach en
particulier, peut s’établir en appui sur le repérage de trois niveaux du travail
de la symbolisation. Ces trois niveaux, qui renvoient à trois moments du
déploiement du travail de symbolisation de l’enfant, qualifient le mode de
construction subjective de l’enfant ou de l’adolescent, et les potentiels de
jeu qui s’y déploient, et constituent des repères et/ou des indicateurs dans le
travail psychique soutenu par les épreuves projectives :
• Premier niveau : celui de l’identification par l’enfant ou l’adolescent du
stimulus, et de la qualité de celui-ci, sous-tendu par les enjeux d’intégrité
et de permanence de l’objet (c’est le niveau de l’expression des défenses
dites primaires, déni et clivage en particulier...) ;
• Second niveau : celui de l’inscription de la représentation dans un lien à
l’enfant qui engage une capacité d’auto-représentation, sous-tendu par
la question du jeu présence-absence (on peut penser ici aux défenses
paradoxales ou narcissiques, selon la dénomination que l’on en propose, à
la projection et ses variantes, à l’idéalisation...) ;
• Troisième niveau : celui de la mise en perspective des représentations, sous
la forme d’un scénario à même de figurer la complexité des liens en appui
sur les différents ordres de représentation, sous-tendu par la question de
la production d’une mise en scène conflictualisée (défenses secondaires ou
névrotiques, sur le versant des mouvements phobiques, obsessionnels ou
du refoulement...).
C’est donc sur le fonds d’investissement du niveau singulier de sym-
bolisation par l’enfant ou l’adolescent que se dessinera l’émergence des
stratégies défensives, selon qu’elle emprunte l’une ou l’autre des quatre voies
Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent 189

à partir desquelles sont classiquement identifiés les mécanismes de défense de


l’enfant (et par extension, de l’adolescent) : la motricité, l’imaginaire, l’affect
et le contrôle1 . Cette perspective ouvre sur deux conditions principales, tout
particulièrement dans l’approche de la clinique de l’enfant et de l’adolescent :
• d’une part l’inscription du repérage des stratégies défensives dans un
contexte transnosographique, impliquant que l’on ne peut faire corres-
pondre une forme de stratégie défensive à une entité psychopathologique
donnée2 ;
• d’autre part l’appui sur une théorie du fonctionnement psychique qui
ne limite pas l’approche des mécanismes de défense à sa dimension
psychopathologique, mais qui en reconnaît la place fondatrice dans le
développement psycho-affectif puis dans les aménagements psychiques
qui caractérisent la normalité.
En d’autres termes, la prise en compte de ces quatre registres défensifs
invite à une appréhension transversale de ce qui se présente, dans la clinique
de l’adulte, autour des trois principales formes de mécanismes de défense :
clivage, idéalisation et refoulement, en tant que ces mécanismes de défense
constituent les formes matricielles et paradigmatiques des trois grandes
entités psychopathologiques en clinique de l’adulte (psychose, pathologies-
limites et névrose).

➤ La motricité, agir pour (ne pas) penser ?


La place de la motricité dans le processus de représentation est suffisamment
complexe pour que l’on ne limite pas son expression au décours de la
production projective à sa dimension d’empêchement et/ou de rupture
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

de l’activité représentative. On l’a dit, avec D.W. Winnicott (1957) en


particulier, l’agir contribue au processus de mise en représentation engagé
dans le trouvé-créé : « agir c’est faire » nous rappelle D.W. Winnicott. Ainsi,
il conviendra de porter son attention à ce qui témoigne, dans l’expression
projective de l’enfant ou de l’adolescent, d’une forme d’empêchement du

1. On pourra utilement se référer à la grille des procédés d’élaboration des récits établie par
M. Boekholt pour la pratique des épreuves thématiques afin d’enrichir la prise en compte de
l’expression des mécanismes de défense au Rorschach au regard des déploiements présentées par
l’auteure.
2. Cette conception rejoint les positions que l’on retrouve actuellement en clinique adulte, en
particulier avec la nouvelle grille de procédés de récits au TAT qui met l’accent sur la dimension
transnosographique des défenses (F. Brelet-Foulard & C. Chabert, 2003)
190 Expression projective au Rorschach et développement psychoaffectif

travail de représentation, quel que soit le niveau auquel se donne à voir cet
empêchement.
Les expressions de la motricité, dans leur logique défensive, peuvent
prendre différentes formes ; elles traduisent toutes, d’une manière ou d’une
autre, un échec (ou une quête ?) au regard de l’intégration pulsionnelle, et
d’une possible traduction au travers d’une réponse kinesthésique (mineure
ou humaine) de ce qui agite l’enfant. Ces manifestations, qui ne sont pas
sans rappeler les procédés de jeu identifiés par M. Boekholt (1993) dans
les épreuves de jeu (et l’épreuve du Scéno-test en particulier) autour des
procédés « hors-jeu » (HJ) peuvent prendre différentes formes expressives :
– Mise en cause de l’investissement de l’épreuve par une mobilisation
motrice qui conduit l’enfant ou l’adolescent à ne pas être en mesure de
s’inscrire dans une suffisante suspension de la motricité requise par la
passation (instabilité, motricité hors du dispositif de la passation voire hors
de la pièce où elle se déroule, rupture brutale de la passation par le fait d’une
action motrice, sollicitation de l’enfant ou de l’adolescent à quitter l’espace
de la passation pour se rendre aux toilettes par exemple...) :
Allan (5 ans et 4 mois), à la planche III
« Des gens... avec le truc au milieu qui tombe, comme ça (mime une
position d’instabilité, puis sort de la situation projective pour explorer
le bureau du psychologue pendant quelques minutes) » (réponse cotée
D F+ H Ban, puis D F± Obj > kob).

Tout se passe comme si Allan se trouvait, dans la réalité, happé par


l’instabilité évoquée de l’objet sur la planche ; l’impossibilité pour lui de
construire un fond/support de sécurité pour que la représentation puisse
advenir témoigne de la précarité de la construction de ses assises narcissiques ;
– Mobilisation motrice de l’enfant ou de l’adolescent à l’égard du matériel
des planches de l’épreuve de Rorschach : manipulation des planches pendant
la mise à disposition par le psychologue ou à l’issue de la passation, rangement
des planches, tentative de reprendre des planches déjà présentées et rangées
parmi le matériel utilisé...
Louri (6 ans et 11 mois), à la planche VII
« Hein (il se cache derrière la planche)... C’est rond ça... non c’est pas un
rond (indique le contour de la tache) » (enquête : « c’était rien du tout,
c’est quoi ? non ! ah non ! »
Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent 191

puis à la planche VIII


il tient la planche à distance et dit « je sais pas ».

Dans cet exemple, on peut repérer la double place occupée par le recours
à la motricité d’une part (se cache derrière la planche, se met à distance)
et par l’inhibition ; il est intéressant de s’interroger sur la qualité du jeu
instauré par l’enfant, jeu de coucou-caché avec les planches, ici utilisées dans
un processus d’appropriation pré-transitionnel ?
– Accompagnement de la réponse par un mouvement mimant la réponse
proposée, dans le meilleur des cas en lien avec une kinesthésie exprimée
dans la verbalisation, ou comme alternative à celle-ci.
Jonas (9 ans), à la planche II
« !▹" (retourne la planche)!" L.0.25’... Deux hommes qui se tapent la
main comme ça, toc ! (mime le geste) »
Cette réponse, met en évidence de quelle manière la motricité est mobilisée,
dans un premier temps comme pré-condition du déploiement du processus
de symbolisation (renversements de planches), puis, dans un second temps
comme soutien à l’activité de symbolisation (mime de l’action représentée
et nommée au décours de la réponse).
Comme témoins de la mise en jeu de l’intégrité, il convient de situer
les expressions motrices qui, de manière radicale, mettent en question la
continuité même de la proposition de l’épreuve projective : motricité qui
traduit l’impossibilité pour l’enfant d’investir l’épreuve dans le continuum de
son déroulement et de l’histoire à laquelle elle invite, motricité signant une
rupture radicale se produisant en tout début de la passation ou au décours
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

de celle-ci (refus d’emblée de l’épreuve et/ou refus massif de planches). Dans


ce contexte, se trouve manifestée une forme de fracture irrémédiable entre
monde interne et réalité externe, qui apparaissent alors se présenter pour
l’enfant dans une forme de hiatus insurmontable (la motricité serait alors ici
véritablement utilisée comme alternative à la mobilisation d’un processus
de pensée).
La mise en cause de la permanence de l’investissement se trouve davantage
manifestée par des ruptures ponctuelles occasionnées par l’irruption d’une
scène motrice au décours de la passation : pour exemple, on peut citer les
situations dans lesquelles l’enfant ou l’adolescent ponctue sa production
verbale, à chacune des planches ou de manière itérative, d’un mouvement
qui le distrait plus ou moins de la continuité de la passation. Dans d’autres
192 Expression projective au Rorschach et développement psychoaffectif

situations, la motricité affectée à la planche procède d’un véritable jeu de


coucou-caché, parfois davantage tourné sur le versant du caché (l’objet est
perdu) que du coucou (l’objet ne peut être retrouvé)... La motricité doit-elle
être considérée ici du point de vue d’une situation de rupture du fil de
la passation ou du point de vue d’une manifestation motrice à même de
soutenir, par le détour moteur, la continuité de l’investissement ?
Enfin, on peut interroger la participation de la motricité en ce qu’elle
contribue à faire échec (total ? partiel ?) au processus de mise en représen-
tation sur le fond d’une conflictualisation des représentations. Sans doute
l’accompagnement mimé du mouvement affecté par l’enfant ou l’adolescent
à la planche ouvre-t-il cette dimension, au travers d’un mouvement qui
s’inscrit dans une trame de sens indéniable. Il est à ce titre particulièrement
important d’être attentif aux effets d’écart entre le temps de la passation et
le temps de l’enquête, afin de pouvoir identifier dans quelle épaisseur de la
vie psychique s’inscrit cette tentative de figuration.

➤ L’imaginaire

Le statut de l’imaginaire comme participant des stratégies défensives de


l’enfant ou de l’adolescent face à l’épreuve de Rorschach ne va pas de soi,
et il peut même apparaître comme paradoxal de convoquer ici l’imaginaire
au titre des stratégies défensives de l’enfant ou de l’adolescent. En effet,
l’imaginaire, qui se trouve requis par la consigne même de l’épreuve (cf.
supra, la discussion autour des conditions de passation de l’épreuve) serait ici
abordé dans une dimension quasi-péjorative, en tant que sa mobilisation se
trouverait au service de l’établissement d’un compromis dans la rencontre du
sujet avec la planche. Il convient de se rappeler que le statut de l’imaginaire
évolue avec le développement psychoaffectif de l’enfant, et que le rapport à
l’imaginaire construit, au fil de la vie psychique du sujet, une délimitation
entre le monde interne et la réalité externe. On connaît par ailleurs la fonction
des productions imaginaires, qu’elles soient inscrites dans l’environnement
culturel de l’enfant (contes, légendes...) ou qu’elles soient élaborées par lui
(scénarios de jeu, rêveries diurnes) dans le traitement d’angoisses souvent
peu identifiables et qui croisent la problématique des fantasmes originaires
et des théories sexuelles infantiles.
Dans ce contexte, il convient de préciser les différentes formes selon
lesquelles les productions de l’imaginaire peuvent être identifiées comme
participant des stratégies défensives de l’enfant ou de l’adolescent face à la
planche de l’épreuve de Rorschach. La définition de ces différentes formes
Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent 193

contribue à spécifier, de fait, le registre dans lequel les mécanismes de défense


seront pensés au regard du fonctionnement psychique du sujet :
– L’imaginaire envahit la production verbale de l’enfant ou de l’adolescent,
au sens où celle-ci peut apparaître comme dépourvue de points d’ancrage
dans le stimulus que représente la planche de Rorschach ;
Alexandre (4 ans 11 mois), à la planche II (7e et dernière réponse de la
planche)
« Un monsieur qui s’est mis de grandes ailes comme un dragon... avec le
monsieur qui a les grandes ailes transformées en feu qui le brûle, ça le
brûle... de la magie, il va transformer une lampe, une maison, le soleil,
les étoiles... toute la terre » (réponse cotée Gbl FC H > K ?).

Cette réponse témoigne d’un dégagement progressif de l’enfant à l’égard


de la planche, dont le substrat tend à se dissoudre au fil de la réponse ; ici
le recours à l’imaginaire permet à Alexandre de se dégager des angoisses
persécutrices mobilisées par la planche (réponses 3 et 4 de la planche : « une
toile d’araignée, cachée dedans », puis « un oiseau, un méchant oiseau ici...
et son méchant oiseau qui l’attend »).
– Des éléments extérieurs à l’épreuve (jouet, peluche, cartes de l’enfant,
livre...) sont mis en avant comme des contributeurs indispensables à la
passation de l’épreuve ;
Oriane (6 ans et 3 mois), ne peut pas se séparer d’un hippopotame en
bois et d’un chien en peluche, à disposition des enfants dans le bureau du
psychologue. Elle les prend à côté d’elle pendant le temps de la passation, et
ces animaux seront présents également dans la verbalisation de Oriane face à
la planche, d’une part au travers d’une réponse « hippopotame » proposée à
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la planche III, de manière tout à fait inadéquate et non justifiée par l’enfant
et, d’autre part, au travers de réponses « éléphant » qui semble, par un effet
de proximité et de glissement (la taille, la couleur, l’origine africaine...) venir
prendre la place de cet objet dont Oriane ne peut s’absenter ; à la planche I :
« éléphant ? (elle accroche la ficelle de l’hippopotame à la queue du chien en
peluche et demande de l’aide au psychologue)... un éléphant ? non y a la
trompe... les éléphants ont bien des trompes » (réponse cotée G F- A), puis
à la planche VII : « # trompes, des petits éléphants... normal y a sa trompe
ici » (réponse cotée G F- A – Confabulation).
– La référence à un imaginaire des contes pour les plus jeunes enfants, lié
à des productions culturelles plus actuelles pour les enfants plus grands et les
adolescents (jeux-vidéo, films, bande-dessinée et/ou mangas...) est proposée
194 Expression projective au Rorschach et développement psychoaffectif

dans une articulation avec le stimulus de la planche de Rorschach, considéré


dans une suffisante singularité ;
Germain (16 ans), à la planche I
« Je sais pas... on dirait un peu un coyote... sauf qu’il a quatre yeux
(Ddbl)... ça me fait penser à un coyote dans Bip-Bip et Coyote... une
tête de loup un peu... elles sont symétriques en plus les deux... elles
sont symétriques, sinon c’est tout » (enquête : « les oreilles toutes cassées,
toutes mordues, y a des yeux... y en a deux autres en trop... coyote c’est
un loup un peu », réponse cotée G F+ A).

Il est intéressant d’aborder ici la fonction du recours à l’imaginaire en


appui sur le patrimoine culturel de l’adolescent : cette référence culturelle
lui permet en effet de contenir, dans une forme socialement partagée, les
angoisses qui émergent en filigrane, dans le double registre de la perte
d’intégrité (cf. la qualité des « oreilles » du coyote) et du risque persécutoire
(place des yeux dans la représentation proposée par Germain).
– Chez les adolescents particulièrement, c’est l’imaginaire ouvert par la
situation projective elle-même qui se trouve placé sur le devant de la scène ;
la référence à la situation professionnelle prototypique du psychologue,
représenté dans les productions cinématographiques ou télévisuelles dans
cette figure du testeur en appui sur des taches d’encre, ou la référence aux
conditions dans lesquelles a lieu la consultation, mobilise un imaginaire
dont il n’est pas rare qu’il contribue à la production du sujet :
Richard (14 ans et 8 mois), rencontré dans le cadre d’une expertise
judiciaire pour des faits d’agression sexuelle, interroge après un temps de
latence suite à la présentation de la planche I :
« C’est pas obligé que ce soit sur la sexualité ? ».

Cette remarque, qui, de manière paradoxale, tout à la fois ouvre et


contraint l’imaginaire de l’adolescent, témoigne de sa difficulté à s’engager
dans un processus à l’égard duquel on peut penser qu’il craint d’être débordé ;
la suite du protocole sera marquée par une inhibition massive ;
– La création et/ou la mise en scène de bestiaires extraordinaires ou de
personnages extraordinaires, issus de mythologies plus ou moins inspirées
et/ou référées à des formes inscrites culturellement peuvent, selon la place
qu’elles occupent dans la production projective, contribuer à la définition
des défenses par l’imaginaire ;
Rodolphe (13 ans et 6 mois), à la planche IV
Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent 195

« Un géant vu de dos, ou un nain avec une grande barbe et une cape...


oui, un nain vu d’en-dessous avec une cape et puis la barbe (montre
l’estompage dans la partie supérieure de la planche) » (enquête : « un nain
à cause de la barbe », réponses cotées G F+ (H), puis G FE (H)) ;
et à la planche VII
« la silhouette d’un sanguinaire, c’est encore une autre forme de démon...
un masque de sanguinaire qui est tombé dans le sang » (enquête : « démon
du dieu du sang, avec les cornes... du sang du sanguinaire ou de ses
victimes », réponse cotée G FC (H)/Sang1 ).

L’émergence de ces scénarii plus ou moins morbides met en évidence le


registre des fantasmes qui organisent la vie psychique de l’adolescent... tout
comme elle en signifie une tentative de se protéger de leurs effets les plus
destructeurs.
La mise en jeu de l’intégrité se trouve bien sûr particulièrement manifestée
dans les situations où la vie interne de l’enfant ou de l’adolescent s’exprime,
d’une certaine manière sans aucune censure, dans le projet de rendre compte
de la planche projective. Dans cette configuration, l’imaginaire (le créé
au-dedans) efface toute référence à un support reconnu comme participant
de la réalité externe (le trouvé au-dehors) et la production imaginaire se
démarque d’une inscription signifiante. Cette situation n’est pas sans rappeler
les processus de clivage, parfois clairement identifiable comme marque de
rupture d’avec la réalité (clivage du Moi ou au Moi), parfois s’inscrivant
davantage dans une logique de clivage de l’objet sur le fond d’un clivage
bon/mauvais2. Il est à noter que le temps de l’adolescence, comme temps
de vacillement identitaire, confronte particulièrement à la question de
l’établissement (ou du rétablissement de la confortation ?) des limites entre
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

réel et imaginaire. Cette dimension peut prendre une place centrale au regard
de l’enjeu que représente l’identification des points d’arrimage de l’adolescent
en mesure de lui permettre de dépasser cette période de bouleversements.

1. On notera ici la particularité, rare, d’une réponse déterminée par la couleur dans une planche
achromatique : ces réponses témoignent, selon certains auteurs (Lefebvre A ; et Dusaucy D., 2005),
d’une problématique liée à la perversion...
2. On peut à ce propos, et plus particulièrement au regard de la question du clivage à l’adolescence,
on peut se référer à un texte consacré à cette question : Roman P. (2000), « Clinique des
clivages à l’adolescence », Psychologie Clinique et Projective (6), ou à celui consacré aux expressions
psychosomatiques de l’enfant et au repérage des différentes formes d’empêchements à symboliser :
Roman P. (1997), « Troubles somatiques et catastrophes de symbolisation », Psychologie Clinique et
Projective (3).
196 Expression projective au Rorschach et développement psychoaffectif

La mise en cause de la construction de la permanence de l’objet se trouve


particulièrement appelée dans l’imaginaire. L’imaginaire, comme modalité
singulière d’expression de la vie psychique, semble investi dans un processus
qui serait de l’ordre de l’écran (représentation-écran) : plutôt proposer une
représentation connue et partageable, dont l’enfant ou l’adolescent peut
identifier un lien avec le stimulus, que prendre le risque d’une représentation
personnelle, qui engage sa propre subjectivité dans le regard de l’autre. En
quelque sorte, ce type de mobilisation de l’imaginaire se présente sur le
versant du faux-self, comme stratégie adaptative a minima, garantissant des
points d’ancrage suffisamment incontestables.
Enfin, la référence répétitive à un imaginaire, par ailleurs suffisamment
habité par l’enfant ou l’adolescent, peut être appréhendée comme participant
d’une modalité de défense de nature obsessionnelle, au sens où cet
imaginaire viendrait tenter de colmater une capacité du sujet à jouer avec
des représentations investies au plan pulsionnel, donc potentiellement
dangereuses dans la charge affective qu’elles contiennent.

➤ L’affect

En tant que témoin d’une partie du destin pulsionnel (le représentant-affect,


contrepoint du représentant-représentation), l’affect occupe une place de
choix dans les expressions de l’enfant et de l’adolescent dans la rencontre
avec la planche de Rorschach. Dans le développement psychoaffectif de
l’enfant ou de l’adolescent, on sait que l’affect contribue au déploiement
des différents temps qui concourent au processus de subjectivation : la mise
à l’épreuve de l’affect, dans les premiers échanges entre la mère et l’enfant
ouvre sur une fonction messagère de l’affect (Roussillon, 2002), qui prend
appui sur un potentiel suffisant de partage et de traduction de l’affect dans
les premières relations.
On peut considérer à cet égard que cette première modalité de la gestion
de l’affect dans la relation intersubjective va se proposer comme matrice
du déploiement de l’affect dans les différents temps du développement
psychoaffectif, de l’enfance à l’âge adulte.
Si l’on peut aborder l’affect comme participant des mécanismes de
défense chez l’enfant ou l’adolescent, c’est essentiellement dans la mesure
où il se propose dans une forme d’échappée au regard du travail de liaison
pulsionnelle engagé dans le cadre de la relation intersubjective : en effet,
ce qui fait défense dans l’émergence de l’affect, consiste dans sa difficulté à
Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent 197

prendre place dans un projet de sens au décours du travail de symbolisation


qui sous-tend la dynamique du développement psychoaffectif.
Face aux planches de l’épreuve de Rorschach, dont on a pu soutenir que
le dispositif invite à mettre à l’épreuve l’histoire du travail de symbolisation,
il conviendra de repérer les différentes marques d’empêchements spécifique-
ment liés à l’affect. En effet, au plan expressif, l’affect pourra emprunter
différentes voies :
– La voie d’une émergence massive, obérant toute possibilité de mise
en représentation à partir du stimulus, qui peut passer par une traduction
verbale de l’affect (traduction verbale qui détourne l’appui sur le langage de
sa fonction représentative à proprement parler, au profit de l’expression d’un
éprouvé brut) ou par une traduction corporelle de l’affect (les manifestations
corporelles prennent ici le pas sur toute autre forme expressive) ;
Rosalie (8 ans et 3 mois), à la planche I
« Ça fait peur, c’est comme si on est seul dans le noir, tout noir... on voit
rien... on peut rien voir » (choc au noir – refus)
Ludivine (13 ans et 4 mois), à la planche IV
« (soupire, devient rouge, s’agite sur la chaise)... !" (fronce les sourcils)...
#" Ouh là là... ben alors là... une tache d’encre... c’est une tache d’encre...

alors là je sais pas du tout » (enquête : « une chaussure là, peut-être une
botte, des deux côtés... c’est tout ce que je vois », réponse cotée Refus
dans un premier temps, puis R. Add. Do F+ Obj)
Marwan (15 ans), à la planche II
« Je sais pas, ça ça me fait penser à la violence parce qu’il y a du sang et
c’est noir, et un petit peu la gentillesse le blanc » (« c’est sombre, couleur
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

du sang... en fait c’est dans une personne, c’est sombre, la violence et un


peu de gentil », réponse cotée Gbl C’F Abstr) et à la planche IV : « ça je
sais pas mais on aurait dit ça fait peur... ça fait penser à un fond noir, à un
endroit qui fait peur » (enquête : « ! je sais pas, pas de couleurs, comme
s’il y avait du brouillard ou de l’orage », réponse cotée G Clob Frag).

– La voie d’un marquage plus subtil de la place de l’affect qui peut se lire
au travers du mode d’investissement de la qualité sensorielle du stimulus, et
198 Expression projective au Rorschach et développement psychoaffectif

de la couleur pastel en particulier ; c’est là tout le sens de l’indice du RC%1 ,


en ce qu’il met en évidence la réactivité du sujet face aux planches couleur, et
aux planches pastel tout particulièrement en prenant en compte les éventuels
écarts de productivité en comparaison des autres planches. Que l’effet de la
rencontre des planches pastel entraîne une raréfaction des réponses ou une
nette augmentation de celles-ci, l’enjeu demeure bien celui du maniement
de l’affect, sur le versant de la répression ou sur celui du débordement ;
Corentin (11 ans), à la planche I
« L. 0.15’... Un chien... un chien... (manifeste une émotion) » (enquête :
« la couleur...ça me fait repenser à Lilou... et puis là les oreilles, les yeux
(Ddbl) et ses dents (Ddbl), réponse cotée Gbl FC’ A).
La réponse proposée par Corentin, pour une part déterminée par la
couleur noire de la planche, mobilise chez lui une réaction affective liée à la
mort récente du chien de la famille : ici, l’affect protège l’enfant de vécus
d’abandon, dans son histoire actuelle et passée, à laquelle il se réfère en
mentionnant la mort de l’animal familier, vécus d’abandon cristallisés par
la figure du chien.
– La voie de l’inadéquation des expressions affectives, que celles-ci soient
directement liées à l’activité représentative mobilisée dans l’épreuve de
Rorschach ou qu’elles s’inscrivent dans le lien transférentiel sous-tendant
la passation ; l’inadéquation peut prendre ici différentes formes, celle de
l’exacerbation ou du repli, celle de la labilité ou de la rigidité, voire celle
de l’incohérence et de la distorsion (ajustement problématique entre la
représentation proposée et les manifestations affectives qui l’accompagnent) ;
Félix (17 ans et 10 mois), à la planche II
« % ! Oh du sang ! c’est beau le sang... en fait, depuis un moment j’ai
des idées noires... c’est même pas des idées noires, envie de me tirer une
balle, de voir du sang (...) » (réponse cotée D C Sang).

L’affect est mis au premier plan, dans un contexte d’inadéquation entre


la représentation proposée et l’affect initialement évoqué (« c’est beau... ») ;
au-delà de ce premier mouvement, la rencontre avec la planche est l’occasion

1. Rappelons ici que le RC % correspond au pourcentage que représente le nombre de réponses


fournies par l’enfant ou l’adolescent au regard de l’ensemble des réponses du protocole : voir supra
p. 164.
Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent 199

pour Félix d’une référence personnelle qui ouvre une expression dépressive
qui se poursuivra tout au long du protocole.
La mise en jeu de l’intégrité se trouve particulièrement interrogée dans les
situations où l’expression de l’affect semble échapper à tout projet de liaison :
le monde affectif de l’enfant ou de l’adolescent peut apparaître comme sans
objet, c’est-à-dire pris dans le défaut d’une inscription intersubjective (on
peut penser à l’image d’un environnement maternant qui ne serait pas, ou
n’aurait pas été, en mesure de refléter les états affectifs de l’enfant).
Au travers de la mobilisation défensive de l’affect, les enjeux liés à la
permanence dans les investissements peuvent être appréhendés en lien avec
la part d’instabilité contenue dans l’expression des affects : l’inadéquation
des affects en propose un modèle expressif tout à fait explicite, modèle
qui traduit bien les effets de distorsion auxquels le dispositif projectif,
comme dispositif à symboliser, peut confronter l’enfant ou l’adolescent. Il
s’agit là pour le sujet d’explorer des modalités de dégagement face aux effets
contrastés mobilisés par la rencontre du matériel : ces modalités d’affectation
du Moi, que l’on peut référer au champ des défenses paradoxales, visent
à garantir une continuité suffisante entre affect et représentation dans un
contexte d’insécurité des investissements. Dans ce contexte, la production
projective porte la trace de ces hiatus.
Au plan de l’expression défensive considérée sur le versant des empêche-
ments à jouer avec les représentations, il convient ici de signaler la place
singulière des stratégies de transformation des représentations : le modèle du
refoulement est ici spécialement convoqué, dans la mesure du détachement
qui s’y opère entre affect et représentation. Dans ce sens, on peut en effet
admettre que certaines formes d’émergence affective dans le discours de
l’enfant ou de l’adolescent face aux planches de l’épreuve de Rorschach
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

viennent témoigner de ces effets de travestissement, face à l’émergence d’une


représentation inacceptable.

➤ Le contrôle

La maîtrise et le contrôle de la réalité externe participent des mouvements


qui engagent l’enfant puis l’adolescent dans la construction de son rapport
au monde. C’est bien à partir de cette modalité de saisie de la réalité externe
que le sujet est en mesure d’expérimenter tout à la fois la délimitation des
contours de ce qui l’environne et une forme d’empreinte de son monde
interne sur l’environnement. En d’autres termes, les modalités de contrôle
concourent à la possibilité pour l’enfant ou l’adolescent de fixer ses propres
200 Expression projective au Rorschach et développement psychoaffectif

limites dans le rapport à l’autre et d’échapper au risque de se trouver


agi par son environnement (gestion de la problématique activité/passivité,
particulièrement mobilisée dans le temps de l’adolescence) : reconnu dans
sa fonction structurante pour la vie psychique, le contrôle peut bien sûr
recouvrir une dimension aliénante, pour peu que les fragilités internes
imposent à l’enfant ou à l’adolescent un surinvestissement des frontières
entre le dedans et le dehors.
Le contrôle, considéré dans son aspect défensif, engage des voies expressives
différenciées. Si la dimension de la maîtrise apparaît sans aucun doute comme
centrale parmi les opérations de contrôle mises en œuvre par l’appareil
psychique, il importe de donner sa juste place aux manifestations d’inhibition.
D’une certaine manière, on peut considérer que contrôle et inhibition
représentent les deux faces d’une même modalité de fonctionnement
psychique, qui vise à (se) garantir (dans) le lien à l’environnement : le
contrôle serait à l’activité ce que l’inhibition serait à la passivité.
Dans le cadre de l’épreuve de Rorschach, on pourra s’attacher à décrire
ces deux faces que sont le contrôle et l’inhibition au travers de leurs formes
expressives :
– Le contrôle trouvera des formes privilégiées d’expression au travers de
l’investissement de modes d’appréhension rigides (surinvestissement des
réponses globales par exemple, détaillage obsessionnel des planches, ruptures
perceptives avec les (G), recours à des réponses de détails oligophrènes
sous-tendues par un processus de censure, intellectualisations...), ou au
travers de références appuyées à ce qui fonde le stimulus, dans sa matérialité
et/ou son origine (mobilisation des théories sexuelles infantiles ?)
Nils (15 ans et 5 mois), à la planche I
« (prend la planche) L. 0.30’... Humm !... une tache de peinture faite sur
un cahier refermé après avoir séché, ré-ouvert, et ça a donné cette forme
! voilà » (Refus)

– Le contrôle peut se traduire, au plan de l‘élaboration des représentations,


par une délimitation marquée à l’excès des contours des représentations ;
Lola (15 ans et 2 mois), à la planche II
« (prend la planche) !" Ça ressemble à une fusée (trace le contour de la
représentation avec son doigt) (...) » (réponse cotée DD FC Obj > kex ?) ;
et à la planche IV
Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent 201

« (prend la planche) !" un ours peut-être (trace le contour très précis


du stimulus avec son doigt) » (enquête : « je sais pas, c’est gros, là il y a
les jambes, une sorte de tête et les bras... et sa petite queue en arrière »,
réponse cotée G F+ A).

Le contrôle, ici exprimé au travers de la motricité, tente de juguler les


angoisses attachées aux planches (rencontre d’une pulsionnalité potentielle-
ment agressive/destructrice avec la planche II, rencontre avec la puissance
phallique attachée à la planche IV).
– Le contrôle se manifeste également de manière significative au travers
du mode d’engagement de l’enfant ou de l’adolescent dans le dispositif
même de l’épreuve. En effet, un certain nombre de dispositions propres à
l’épreuve se trouvent en mesure de soutenir, voire d’exacerber l’émergence de
mouvements de maîtrise : on peut citer d’une part le mode de présentation
ordonné des planches, à l’initiative du psychologue, dont la maîtrise peut
être enviée par l’enfant ou l’adolescent et accompagnée d’une verbalisation
qui traduit la nécessité que rien n’échappe (comptabilisation des planches
présentées et à venir par exemple, insistance sur le numéro de chaque
planche...), et d’autre part, la pratique de la prise en note du protocole qui
signifie une forme de dépendance du psychologue à l’égard de l’enfant ou
de l’adolescent... dont celui-ci peut être amené à jouer...
Esther (8 ans et 1 mois), à la planche IX
« Là on n’y comprend rien du tout... tu as écrit ce que je viens de dire ?
t’as marqué quoi ? j’ai rien dit encore... des cerfs, c’est des cerfs ça... (D3)
là c’est deux petits animaux, avec dessus un éléphant, un bébé (D1), un
petit ciel bleu clair (Dbl) et puis... un lac (D6) ».
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L’énoncé de ces quatre réponses, ordonné par une description systéma-


tique de chacun des grands détails de la planche, détail blanc compris
à la suite d’un premier mouvement de contrôle qui vise spécifiquement
le psychologue dans l’engagement de sa pratique (prise en note de la
verbalisation de l’enfant), conforte le mouvement défensif.
Brice (6 ans et 4 mois) range les planches de manière obsessionnelle à la
fin de la présentation de chacune d’elles ou Luc (7 ans et 9 mois) procède
au décompte systématique des planches qui restent à présenter au fur et à
mesure de la passation à partir de la planche V... ou encore Pierre (9 ans)
qui, à partir de la planche IV clôture sa verbalisation par la mention « à la
suivante »...
202 Expression projective au Rorschach et développement psychoaffectif

– Les expressions d’inhibition quant à elles, peuvent être repérées au


décours du fil narratif soutenant les réponses face à l’épreuve de Rorschach,
au travers de réponses témoignant d’une pauvreté dans le vocabulaire et/ou
dans le déploiement imaginaire voire de censures expressément nommées ;
Nicole (8 ans et 1 mois), à la planche V
« Je me rappelle plus ce que c’était, je m’en rappelle plus » (enquête :
« un truc là... quand c’est dans la nuit » puis après la proposition du
psychologue : « une chauve-souris ? », « ouais, une chauve-souris... parce
que les pieds sont comme ça, et les ailes sont ouvertes... non ! pas une
chouette ! », réponse cotée R. Add. G F+ A Ban > FC’ ?).
Sophie-Anne (6 ans et 9 mois), à la planche III
« Ça me fait penser... j’ai pas envie de le dire parce que c’est des choses... »
(enquête : « parce que ça ressemble à un papillon – D3 – et des fesses
– l’enfant prononce ces mots tout bas, réponse additionnelle : Dd F- Hd).

– La représentation sexuelle se trouve ici à fleur dans la difficulté de Sophie-


Anne à s’engager dans une réponse, marquée par l’inhibition clairement
référée à une forme d’interdit ou, à tout le moins, à l’émergence d’un
Moi-Idéal qui sous-tend la censure.
– Les expressions d’inhibition peuvent être identifiées dans la rencontre
même des planches et l’inhibition qu’elle peut engager, à l’occasion des refus
de planches, voire à l’occasion de manifestations de ruptures plus ou moins
brutales dans l’énoncé d’une réponse.
Louri (6ans et 11 mois), à la planche IX
« ! Tu me l’avais déjà montrée (rend la planche sans rien dire)... elle est
dure à deviner, à regarder ce que c’est » (Refus).

L’enfant, pour la troisième planche consécutive, se trouve en difficulté


pour produire une réponse et projette sur le psychologue une part de cette
impuissance...
Dans leurs manifestations les plus radicales, les stratégies défensives basées
sur la maîtrise et le contrôle s’inscrivent dans le contexte d’une rupture
dans la constitution d’une représentation unitaire. Les réponses de détail
oligophrène en constituent un bel exemple, qui engage, sur un mode
exacerbé, tout à la fois un contrôle omnipotent sur l’objet (au travers de la
limitation de la représentation) et une forme de garantie du maintien d’une
représentation suffisamment acceptable. Dans un autre registre, les réponses
Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent 203

de persévération, en ce qu’elles contraignent la représentation dans une


forme répétitive et quasi stéréotypée, contribuent à la maîtrise sur le monde.
Dans ces différentes mesures, on peut considérer que certaines expressions
dans le registre du contrôle ou de l’inhibition peuvent emprunter la voie du
clivage.
La mise en question de la permanence des investissements rencontre
les mécanismes de défense de contrôle et d’inhibition selon différentes
modalités : la dimension de la continuité entre la réponse proposée à la
passation et la réponse retrouvée à l’enquête en constitue un exemple dans la
mesure où ici, la stratégie défensive en forme de contrôle vient mettre à mal
la capacité de l’enfant ou de l’adolescent d’inscrire ses productions dans une
histoire continue, les marques de rupture et/ou d’arrêt au sein du discours
de l’enfant ou de l’adolescent en représentent une autre occurrence.
L’évitement de certaines parties du stimulus, réputées porteuses d’une
charge fantasmatique particulièrement marquée (appendices sexués de la
planche III, détails phalliques des planches VI et VII, détails féminins dans la
partie inférieure des planches VI et VII...) représente sans doute l’illustration
la plus claire des empêchements de jouer auxquels l’enfant ou l’adolescent
peut se trouver confronté face aux planches de l’épreuve de Rorschach. Les
investissements génitaux se trouvent ainsi maintenus à distance, au profit
de productions qui tendent à banaliser les enjeux de la rencontre de la
différence.

Dynamique du lien à l’objet

La dynamique du lien à l’objet sera ici abordée à partir des différents


© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

pôles qui concourent à l’organisation de la personnalité. Seront ainsi


évoqués, dans leurs traductions projectives, successivement les enjeux de la
construction de l’identité, de l’élaboration de la dynamique identificatoire
et, enfin, de l’établissement des relations d’objet. Ces différents pôles de
l’organisation de la personnalité seront présentés dans une découpe qui se
veut essentiellement pragmatique, en appui sur des éléments de repérage
dans le cadre de l’épreuve de Rorschach : on comprend bien sûr que ces
différents aspects se trouvent, au plan du fonctionnement psychique de
l’enfant ou de l’adolescent, intimement intriqués.
Un autre observatoire potentiel de la dynamique du lien à l’objet peut être
mis en évidence à partir de la construction de la fantasmatique originaire de
204 Expression projective au Rorschach et développement psychoaffectif

l’enfant ou de l’adolescent1 : on pourra ainsi tenter d’identifier les modalités


d’expression du fantasme de scène primitive, du fantasme de séduction et
du fantasme de castration.

➤ La construction de l’identité
La construction de l’identité de l’enfant, puis de l’adolescent, mobilise de
façon majeure le travail psychique de la séparation : ce travail se trouve
engagé à différents temps de la maturation de la vie psychique, de la première
séparation de la mère et de l’enfant dans l’expérience de la naissance,
aux nécessaires séparations et pertes qui émaillent la vie de l’individu.
L’ensemble des travaux de D.W. Winnicott, à la suite des travaux freudiens
et kleiniens, mais également les travaux de J. Lacan (1966), avec la notion
de « stade du miroir » en particulier, insistent sur les enjeux du processus de
séparation – différenciation qui sont au cœur de ce que l’on peut nommer,
à partir de là, le processus identitaire.
Dans ce sens, il importe de situer la manière dont les productions
projectives de l’enfant ou de l’adolescent témoignent du travail psychique de
la séparation, et de présenter les indices qui concourent à la prise en compte
de cet organisateur de la vie psychique qu’est l’identité. En filigrane, c’est
aussi la question des origines qui se trouve appelée, que l’on peut référer
tout particulièrement au fantasme de scène primitive. C’est dans ce contexte
que l’on peut entendre toutes les remarques ou questions formulées par
les enfants ou les adolescents sur l’origine du matériel (qui a fabriqué les
planches ? le psychologue est-il impliqué dans leur réalisation ?...) et/ou sur
la matière constitutive des planches, matière du support (est-ce du carton,
est-ce du plastique ?...) ou matière dont est composé le stimulus (encre ?
peinture ?...). Ces verbalisations viennent parler de la manière dont l’enfant
ou l’adolescent se trouve en mesure de se représenter l’origine du monde
extérieur et, partant, de se représenter sa propre origine et ce, en appui sur
le lien transférentiel.

1. Sur ce point, nous nous appuyons sur les propositions de J. Laplanche et J.B. Pontalis (1964) dans
leur texte princeps sur la question. Sur la traduction projective des fantasmes originaires, on peut se
référer à Roman P. (1995), « Scènes de l’originaire – De la position subjective dans l’élaboration du
scénario fantasmatique en méthode projective », Paris, Bulletin de Psychologie, XLVIII, 421, p. 661-666.
Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent 205

Au-delà, plusieurs éléments appartenant aux expressions projectives face


à l’épreuve de Rorschach participent à cette problématique :
• Des éléments qui attestent de la qualité de la construction d’une
représentation intègre et différenciée tant au plan du mode d’appréhension
(établissement du rapport forme/fond, rapport entre les réponses globales,
de grand et de petit détail), qu’au plan des déterminants (qualité des
réponses formelles dans la délimitation des contours et dans leur rapport
avec les déterminants sensoriels), ou au plan des contenus (qualité unitaire
des représentations versus mises en scène de représentations attaquées
dans leur intégrité) ; enfin, on apportera une attention particulière à la
qualité des réponses proposées aux deux planches unitaires/identitaires
de l’épreuve de Rorschach les plus significatives, la planche V (pour la
dimension unitaire) et la planche III (pour le support de l’identification
humaine) ;
• Des éléments qui attestent du processus identitaire au travers de la
référence à la symétrie et du maniement du double ; on différenciera sur
ce point trois grands types de réponses :
– celles qui s’appuient sur la symétrie dans une forme d’accrochage à un
élément de la réalité externe sur le mode du contrôle, au regard du
risque de désorganisation auquel la confrontation fait courir le risque,
– celles qui organisent, à partir de la symétrie, une logique de redouble-
ment de la réponse, prémices d’un investissement possible du miroir,
– et, enfin, celles qui voient se déployer, en appui sur une prise en
compte de la symétrie des représentations de relation qui figurent,
d’une certaine manière, le dépassement du stade du miroir ;
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• Enfin, des éléments qui procèdent de la construction de réponses


humaines identifiées en tant que telles en appui, en particulier, sur
la qualité de la différenciation entre animé et non-animé, entre humain et
animal ; on sera ainsi attentif à la nature des réponses humaines
(voire animales anthropomorphiques), singulièrement dans leurs aspects
potentiellement dégradés et dysphoriques (réponses anatomiques mettant
à mal la construction des enveloppes, réponses sexuelles crues, réponses
de pseudo-humains ou d’animaux dévitalisés...).
Si l’on peut définir de manière générale une modalité d’expression de
ces différents éléments, il convient également de pouvoir en repérer la
spécificité en fonction du développement psycho-affectif de l’enfant. Les
exemples ci-dessous visent à illustrer les formes expressives dans les trois
206 Expression projective au Rorschach et développement psychoaffectif

principaux temps de ce développement, le temps de la petite enfance,


le temps de la latence et le temps de l’adolescence à partir de quelques
séquences de protocoles. Celles-ci seront présentées afin d’illustrer les enjeux
de la construction identitaire, et en filigrane, ceux du travail psychique
de séparation – différenciation, dans leur traduction projective dans la
rencontre de l’épreuve de Rorschach.
Susanna (6 ans et 4 mois) : La séquence de réponses proposées aux
planches II et III est présentée ci-dessous1 :
– Planche II : « ! Il y a des pieds (D2), y a du rouge, y a du noir... moi je
crois que c’est un bonhomme qui se bagarre, voilà (remet la planche)...
une femme ou un bonhomme » (enquête : « les mains – D3 – et il prend
quelqu’un comme ça... invisible », réponses cotées D F- Ad, puis DD
kan H)
– Planche III : « Euh... L.0.10’... deux chiens... qui s’bagarrent pour un
truc... pour une pomme ou sinon ils font du sport ( ?) les deux... ( ?) les
deux femmes ou les deux chiens... et y a un papillon » (enquête : « parce
que c’est des filles », réponses cotées D/G kan A, puis D/G K H Ban, et
D F+ A)
On peut faire le constat d’une forme de fragilité dans la construction
identitaire : difficulté à faire émerger une réponse globale qui témoigne
d’une représentation intègre et stable : les animaux se bagarrent à la planche
II, le doute subsiste entre une identité humaine et animale à la planche III,
ainsi que le doute et/ou la confusion sur le genre des personnages aux deux
planches.
Oriane (10 ans) : La séquence des réponses proposées aux planches I
à III apparaît significative des enjeux identitaires à la période de latence :
– Planche I : « J’en sais rien moi...(rit) deux hommes...mais collés, avec des
ailes, une de chaque côté et des petits bras de chaque côté et les pieds
collés, des têtes un peu séparés des mains comme ça (mime) et c’est tout »
(enquête : « je dis avec une ceinture, très clair, gris », réponse cotée G F+
H > FC’ ?)
– Planche II : « C’est de l’encre ou quoi c’est de quel côté ? ! # " je dirais
la tête (D3), à l’envers un visage, des ailes noires, des petits pieds collés

1. On peut trouver le protocole dans son intégralité dans le développement suivant (cf. infra, p. 234).
Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent 207

et on dirait...des mains (D5) et des gros pieds rouges (D2) » (enquête :


« c’est vous qui l’avez fait ? », réponse cotée G FC (H))
– Planche III : « Alors là c’est une femme des deux côtés comme ça c’est
une dame avec un seul bras, un sein et autour il y a un nœud-papillon et
le bras droit c’est quoi ? C’est comme si elle avait un marteau et l’autre
aussi...et une grosse main (D7) et un pied à côté à l’envers pas dans le
même sens (D2) » (enquête : « à deux dames avec un nœud-papillon
rouge, on dirait un peu son sexe (Dd 26) " », réponses cotées G F+
H Ban, puis D F- Hd).

L’interrogation sur la qualité et l’origine du matériel, et le sens de sa


présentation, illustre bien le registre du questionnement identitaire d’Oriane :
tout se passe comme si Oriane n’avait pu construire une identité séparée (cf.
les représentations humaines présentées comme « collées » aux planches I
et II), et partant une représentation de soi intègre (le personnage féminin de
la planche III est présenté, de fait, comme amputé...). Dans ce contexte, on
peut noter l’échec du travail de séparation – individuation, par défaut de la
capacité pour Oriane de construire un double interne susceptible de soutenir
sa structuration identitaire : l’aménagement en double siamois présent aux
planches I et II, qui échoue à perdurer à la planche III (sans doute du fait
de son caractère bilatéral plus fortement marqué) renvoie à une modalité
anaclitique de construction du lien.
Rodolphe (13 ans et 6 mois) : La séquence des réponses proposées aux
trois premières planches de l’épreuve de Rorschach par Rodolphe illustre
bien les enjeux de la construction identitaire à l’adolescence :
– Planche I : « Un masque...un mutant avec 4 yeux et des cornes ou qui
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

peut porter un casque, ça peut aussi ressembler à un ellitide, comme un


flagelleur mental, sorte d’insecte » (enquête : « les quatre yeux – Ddbl –
et les cornes, et puis l’allure bestiale, l’insecte, mandibule en haut »,
réponses cotées Gbl F+ Obj, puis G F- A)
– Planche II : « L. 0.15’... Quelqu’un qui ouvre grand la bouche, la tête
traversée par l’impact d’une balle... en tout cas quelqu’un qui ouvre
la bouche, avec les espèces de cornes rouges sanglantes, il a la figure
barbouillée de sang, c’est tout » (enquête : « plutôt deux balles qui
viennent d’en haut, ressortent sous le menton (D3) yeux (Ddbl supérieur),
nez (D7), bouche (Dbl), barbe (D3) », réponse cotée Gbl FC H)
– Planche III : « L.0.15’... Humm ! Un homme qui se fait trancher en deux,
trancher en deux dans le sens du haut vers le bas c’est tout... non aussi à
208 Expression projective au Rorschach et développement psychoaffectif

la limite le dos d’une fourmi, avec le dos et les pinces tranchantes, d’une
fourmi ou d’une araignée...d’un insecte quoi, voire même d’un scarabée »
(enquête : « deux bras, tête, nez, menton et le sang qui gicle (D2, D3) »,
réponse cotée Gbl F- A).

Les réponses de Rodolphe témoignent d’un vacillement identitaire majeur


à l’orée de l’adolescence : la figure du mutant ouvre sur une incertitude,
confirmée ensuite par des représentations humaines qui échouent à se
constituer dans une intégrité. Les réponses globales dominent cette première
séquence de réponses (ce sont les seuls modes d’appréhension investis par
le pré-adolescent), et la qualité des représentations s’avère plutôt médiocre
(qualité formelle, absence de kinesthésie, couleur associée au sang et à la
destruction de l’intégrité).

➤ Les identifications et l’élaboration des imagos

Le travail des identifications est issu du complexe d’Œdipe et de sa résolution.


En effet, c’est au décours de l’expérience que réalise l’enfant de la limite
de ses investissements amoureux à l’endroit du parent du sexe opposé que
s’inscrit pour lui, à titre d’organisateur structurel, l’enjeu de la différence
des sexes et des générations. Dans ce sens, on comprend que la question
des identifications croise la dynamique de la différenciation tout en la
dépassant. Là où l’enfant pré-oedipien, dans les premières expériences de
séparation – différenciation tente de conforter son statut de sujet individué,
l’enfant œdipien, quant à lui, se confronte et, dans le meilleur des cas,
s’affranchit suffisamment, des risques liés à une double différenciation, celle
des sexes, au travers de la construction du fantasme de castration, et celle
des générations, au travers de l’élaboration du fantasme de séduction. Ces
risques, ce sont bien sûr ceux de la perte, mais ce sont aussi, de surcroît,
ceux de la confusion.
Le travail des identifications fonde, in fine, la capacité de l’enfant, puis
de l’adolescent, à se reconnaître dans la figure d’un autre différencié, et
qui lui est lié dans une modalité paradoxale : figure tout à la fois enviée et
redoutée, inscrite dans un écart qui autorise un rapproché fantasmatique
dégagé du risque de la confusion... Car en effet, le travail des identifications,
qui concourt à la construction des imagos parentales, prend appui sur une
possible inscription générationnelle. Cette inscription propose à l’enfant
puis, sur le mode d’une reprise, à l’adolescent, l’investissement d’une forme
de profondeur de la vie psychique sur le fond de laquelle pourront se
Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent 209

déployer, dans l’ici-et-maintenant, des relations suffisamment vivantes et


conflictualisées.
L’épreuve de Rorschach ne sollicite pas de manière explicite la probléma-
tique identificatoire, ni la construction des imagos parentales. Elle met à
l’épreuve ce que l’on pourrait nommer comme une pré-forme identificatoire, à
partir d’une sollicitation qui concerne davantage la différenciation des enjeux
respectivement masculin-paternel et féminin-maternel que la construction
des figures parentales dans une modalité secondarisée. En effet, à la différence
de l’épreuve du TAT1 dont les planches figuratives constituent, de manière
élective, le lieu de mise à l’épreuve de la question identificatoire, les
planches de l’épreuve de Rorschach suggèrent des formes de problématiques,
sans engager à un mode de traitement du stimulus dans une perspective
relationnelle2 .
On peut considérer que deux séries de planches, à l’épreuve de Rorschach,
condensent particulièrement les enjeux identificatoires et mettent à l’épreuve
la constitution des imagos parentales, images inconscientes, matrices du
déploiement identificatoire :
• Il s’agit d’une part des planches IV et VII, repérées (voir supra, au
chapitre 2, la présentation des sollicitations latentes des planches) comme
mobilisant respectivement une problématique du masculin-paternel d’une
part et du féminin-maternel d’autre part ; la manière dont l’enfant ou
l’adolescent sera en mesure de faire jouer chacune de ces modalités, le
cas échéant au travers de l’émergence de représentations qui témoignent
d’un déplacement de la problématique identificatoire, éclaire sur la
construction de ses investissements dans ce registre ;
• D’autre part les planches III et VI interrogent de manière élective la
capacité de l’enfant ou de l’adolescent à établir des compromis dans la
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

rencontre des enjeux liés à la bisexualité ; en effet, la planche III, avec


son stimulus (le D noir) marqué par la double présence dans la partie
supérieure d’un élément féminin (« poitrine ») et dans la partie inférieure
d’un élément masculin (« appendice phallique ») mobilise le travail du
refoulement pour autoriser la résolution de cette énigme de la bisexualité

1. Les planches de l’épreuve du TAT, planches figuratives, mettent en scène des personnages de sexe
et d’âge différent, autorisant ouvertement l’investissement d’une conflictualité : il n’en est pas de
même de l’épreuve de Rorschach dont la dimension non-figurative mobilise de façon exacerbée les
enjeux de séparation-individuation.
2. On entend, en filigrane, l’intérêt que représente le croisement des données recueillies en appui sur
plus d’une épreuve projective (cf. supra, p. XVI).
210 Expression projective au Rorschach et développement psychoaffectif

au travers de la production d’une représentation acceptable... tandis que


la planche VI, avec son invitation également clairement bisexuelle, dans
une dynamique mettant en jeu le double mouvement pénétrant (partie
supérieure du stimulus, en plein) et pénétré (partie inférieure, en creux),
invite à une expérience de la bisexualité psychique qui fait écho à la
construction identificatoire dans ses préformes développementales.
Par ailleurs, on s’intéressera bien sûr à la qualité des représentations
humaines dans la définition de leur appartenance sexuée, et tout particu-
lièrement à la qualité des représentations portées par les kinesthésies. En
filigrane, il importe également d’être attentif à la manière dont les réponses
qui forment le corpus du protocole se trouvent en mesure de s’inscrire
dans une temporalité qui rend compte des potentiels d’historicisation de
l’enfant ou de l’adolescent et, partant, de son inscription dans une chaîne
identificatoire ouverte par l’investissement de la génération.
Pénélope (6 ans) : Le protocole de Pénélope (les réponses aux planches II
à VI seront proposées), relativement restrictif, montre la difficulté de cette
enfant à s’engager dans une conflictualisation des imagos :
– Planche II : « (prend la planche) ! C’est le papillon... elle est belle »
(enquête : « jambes (D2), ailes (D1) et tête (D3), réponse cotée G F+ A) ;
– Planche III : « ! C’est une fille... en forme de fille » (enquête : « jambes
(D2), yeux (D7), un papillon (D3) (Pénélope fait semblant de mordre la
planche)», réponse cotée G F- A, R. Add. D F+ A Ban)
– Planche IV : « Un garçon » (enquête « les jambes, la tête, les bras »,
réponse cotée G F+ H)
– Planche V : « Une chauve-souris... un crocodile, là le crocodile et là aussi
(rit, s’anime)... une chauve-souris avec des crocodiles... j’ai jamais vu des
chauves-souris avec des crocodiles » (enquête : « des ailes-crocodiles, des
oreilles, des jambes », réponse cotée G F+ A – Contamination)
– Planche VI : « En forme de quoi ? je sais pas » (Refus).

Cette séquence de réponses met en évidence la difficulté pour Pénélope


de s’engager dans une conflictualisation des appartenances sexuées : la
partition fille/garçon qu’elle opère entre les planches III et IV est tout à fait
significative à cet égard, la sollicitation phallique de la planche IV se trouvant
manifestement ainsi relayée dans sa réponse. L’instabilité des représentations
au plan de l’intégrité (cf. la contamination à la planche V) et au plan du
genre (cf. l’ambiguïté de sa réponse à la planche II : est-ce « le » papillon qui
est « belle »... ou la planche ?) constitue un autre indice de cette difficulté.
Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent 211

Enfin, le refus à la planche VI, dont le stimulus est perçu comme ne pouvant
être affecté par une forme, vient confirmer l’impossibilité de Pénélope à
jouer avec la bisexualité.
Sophie (10 ans et 7 mois) : les réponses à la planche I et III témoignent
d’un mode d’aménagement économique de la rencontre de la différence des
sexes :
– Planche I : « L. 1.10’... On dirait une statue, là des monsieurs... une dame,
il manque plus que la tête » (enquête : « une statue avec deux monsieurs,
les dames, là on dirait une robe (D4), là les jambes », réponses cotées
G F- Obj, puis D F+ H)
– Planche III : « On dirait des lapins... là des dames ou des monsieurs...
enfin, une dame et un monsieur, là un petit papillon, et là du feu »
(enquête : lapin (D2) les oreilles sont un peu trop longues, forme d’une
dame et d’un monsieur, ils font chauffer du feu, le feu, au centre, et
autour ce qui protège », réponses cotées D F- A, puis G F+ H Ban, puis
D F+ A Ban).

La représentation masculine à la planche I est maintenue dans une


forme de gel de la pulsionnalité (hommes réduits en statue), tandis que
la représentation féminine est traitée sur le versant du manque (la tête),
comme si la castration se présentait ici dans son caractère le plus radical. La
planche III permet une reprise de la conflictualisation de la différence des
sexes : après une première réponse qui appelle un détail phallique (oreilles
du lapin, vécues à l’enquête comme « un peu trop longues » !), Sophie met
en scène la rencontre des imagos masculines et féminines... autour d’un
feu, après avoir choisi de ne pas trancher quant à l’identité sexuée des deux
personnages, rigoureusement symétriques !
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Bruno (14 ans et 9 mois) : Les réponses aux planches III, IV et VI seront
présentées ci-dessous :
– Planche III : « Deux personnes qui jouent à...s’envoyer une balle ou je
sais pas, y a le quiqui au milieu, en tout cas un noeud-papillon, ! ou de
l’autre côté, si j’ai le droit de tourner le truc on dirait deux personnes
qui ont le bras recourbé » (enquête : « tête, corps, ce serait même deux
femmes... et les jambes écartées, objet rond au milieu », réponses cotées
G K H Ban, puis D F+ Obj Ban, puis D F+ H).
– Planche IV : « Y a que des personnes ou quoi ? ou je suis fou ? On dirait
un extra-terrestre vu... d’en bas, on voit les pieds et une tout petite tête
en forme de V un peu...! sinon "! sinon dans l’autre sens on dirait
212 Expression projective au Rorschach et développement psychoaffectif

trois têtes de chameau...une là, une là (D1) et une de profil (D central) »


(enquête : « forme un peu bizarre, y a pas de mains, les pieds sont pas
des pieds, aspect humain mais pas... tête de chameau, tête et sourcils
retournés, deux têtes (dans D1), une tête dans D central) », réponses
cotées G F+ (H) , puis D F- Ad).
– Planche VI : « (rit) Euh... un chat écrasé un peu (rougit) j’aime pas
trop dire ça... ouais un chat écrasé » (enquête : « j’adore les chats, les
moustaches, le nez (D3) c’est vraiment la tête typique d’un chat, quatre
pattes... personnellement j’ai jamais vu de chat écrasé, je cherche pas à
en voir... », réponse cotée G F+ Adev).

La planche III met en scène, de manière un peu déguisée, mais somme


toute transparente, une représentation des enjeux de la différence et de la
rencontre des sexes : le « quiqui », terme classiquement utilisé pour désigner
le sexe masculin, et les « deux femmes... et les jambes écartées » signifiant assez
clairement la disponibilité féminine à la relation sexuelle. La référence réalisée
par Bruno au « droit de tourner le truc » (« pour tourner la planche ») semble
faire écho à ces premières représentations mettant en scène sexualité (signe
de l’interdit œdipien ?) ; la difficulté de Bruno face à la planche IV, difficulté
énoncée par l’adolescent comme liée à une interrogation sur sa propre folie,
témoigne de la nécessité d’une distanciation d’un engramme trop chargé
au plan pulsionnel : la réponse « d’extra-terrestre », puis d’animaux (« des
chameaux », nantis d’une bosse cependant...) se propose comme issue à
une surchauffe de l’excitation. Enfin, le traitement de la planche VI sur
un versant infantile (« chat écrasé », avec des manifestations de gêne et
de malaise à traduction corporelle), peut être compris dans le registre de
l’évitement : d’une certaine manière l’écrasement du chat (et de ses attributs)
pourrait être considéré comme métaphore de l’écrasement de la bisexualité...

➤ L’établissement des relations d’objet

Le dernier élément qui concourt à l’appréhension du lien à l’objet concerne


le repérage du mode de relation d’objet qui sous-tend le fonctionnement
psychique de l’enfant ou de l’adolescent. Au plan métapsychologique,
le mode de relation d’objet désigne ce qui, dans la construction et le
déploiement du lien intersubjectif, soutient le sujet dans l’équilibre de sa vie
intrapsychique et qualifie la place et la fonction de l’altérité. L’établissement
du mode de relation d’objet est intimement lié aux expériences précoces
Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent 213

dans le lien à l’objet. Il constitue, en quelque sorte, le témoin et la trace de


l’histoire de la vie relationnelle du sujet.
S’agissant de clinique de l’enfant et de l’adolescent, la rencontre avec
celui-ci confronte le psychologue au temps de développement du processus
au décours duquel se construit la qualité de la relation d’objet. Celle-ci
se construit bien sûr dans l’ici-et-maintenant de la rencontre clinique
qui vient réactualiser, dans le transfert, le lien aux imagos parentales.
On peut également considérer que la rencontre avec les planches, dans
leur sollicitation à la relation contenue d’une manière générale dans leur
dimension bilatérale et de manière particulière au travers de la spécificité
de certaines des planches (planche III, VII, VIII), offre à l’enfant ou à
l’adolescent une opportunité pour une actualisation de ses relations d’objet.
On peut admettre que les relations d’objet sont tout spécialement portées,
à l’épreuve de Rorschach, par les réponses kinesthésiques, et de kinesthésie
humaine en particulier et qu’elles ont partie liée avec la qualité de la
représentation de soi1 : en tant que lieu d’expression de la vectorisation
pulsionnelle, les réponses de kinesthésie humaine constituent en effet
le fonds d’investissement sur lequel pourront se nouer les mouvements
identificatoires. Si les kinesthésies mineures (kob et kex) manifestent bien
souvent une forme d’échec de cette vectorisation, les kinesthésies animales
(kan) possèdent une fonction qui, selon la nature des représentations
animales appelées, peut s’apparenter à une fonction palliative de kinesthésies
humaines qui auraient du mal à se déployer du fait de l’âge de l’enfant d’une
part, et/ou d’une inhibition au lieu de la figuration humaine d’autre part
(particulièrement dans le contexte d’un primat narcissique de la relation
d’objet).
On distingue classiquement trois organisateurs présidant à l’établissement
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

des relations d’objet : les relations d’objet fusionnelles, narcissiques (ou


dépressives – anaclitiques) et œdipiennes. À chacun de ces registres de
construction des relations d’objet correspond un certain nombre d’indices
qui peuvent faire l’objet d’un repérage au travers de la lecture des protocoles
de l’épreuve de Rorschach :
• Les témoins d’une relation d’objet organisée sur un mode fusionnel
peuvent être identifiés à partir des différentes manifestations dans le
registre de l’indifférenciation, de la confusion et/ou de l’atteinte franche
et massive à la continuité ; dans ces registres on peut signaler les réponses

1. N. Rausch de Traubenberg (1984) propose une « grille de la représentation de soi », précieuse


pour contribuer au repérage des modes d’investissement des relations d’objet.
214 Expression projective au Rorschach et développement psychoaffectif

de persévération et/ou de contamination, les marques de clivage (clivage


de l’objet avec l’énoncé de représentations inconciliables, clivage du
Moi avec l’expression de rupture de la continuité représentative avec
ce que je nomme les « îlots de déni » (Roman, 1997), représentations
chaotiques, participations hallucinatoires...), les kinesthésies humaines
délirantes et/ou les kinesthésies mineures à valence désorganisatrice ou
persécutoire, l’épuisement de la rencontre du double dans une forme de
télescopage (redoublement systématique des réponses...) ;

Zoé (9 ans et 1 mois), fige ses réponses à partir de la référence au


plié/déplié qui préside à la réalisation des planches :
– Planche III : « c’est une dame... on l’a encore plié... c’est une dame qui...
avec son panier » (réponse cotée Do F+ H Ban)
– Planche VII : « deux indiennes, ça c’est leurs plumes... on l’a encore plié...
et là au milieu ils ont fait un papillon » (réponses cotées D F+ H, puis
D F+ A)

L’accrochage à la symétrie épuise toute potentialité de mise en lien des


représentations (en particulier à la planche III où Zoé scotomise l’un des
deux personnages). Par ailleurs, la référence à une instance extérieure (« on »,
« ils »), indéfinie dans son identité, semble porter la trace de mouvements
discrètement persécutoires.
Abdel (12 ans et 1 mois) ponctue sa verbalisation à chaque planche,
dès la planche I, par une formule qui varie peu « c’est exactement pareil,
c’est superposable », ou « c’est symétrique et superposable ». À partir de là,
toutes les réponses sont redoublées, pour spécifier l’aspect symétrique de
la planche, sans que les représentations humaines ou animales ne puissent
s’animer en forme de représentation de relation :
– Planche I : « c’est des têtes... deux animaux imaginaires qui se tiennent la
main... deux jumeaux, c’est exactement pareil » (réponse cotée D/G F- A)
– Planche III : « c’est encore symétrique, c’est superposable... ça peut-être
deux dames qui regardent et qui lavent quelque chose » (réponse cotée
G K H Ban)

Abdel peine ici à mobiliser la symétrie dans un projet relationnel : la


kinesthésie humaine de la planche III se trouve entachée d’une impossible
rencontre entre les deux figures humaines.
Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent 215

• Les témoins d’une relation d’objet narcissique (qui inclut la dimension


dépressive et anaclitique) s’établissent tout spécialement autour de
l’investissement de la symétrie et du double, au travers d’une quête
plus ou moins marquée d’un accrochage à la réalité externe comme
issue à l’incertitude interne ; dans ce contexte, le statut des réponses
miroir, espace de mise à l’épreuve de la consistance narcissique, est central
et prend la forme de réponses de doubles – reflets peu accessibles à la
conflictualité (voire rabattues sur un redoublement de la représentation,
sans jeu possible...), les déterminants sensoriels dominent, sur le versant
de la dépression (déterminants de couleur achromatique, C’) et/ou de
l’incertitude des limites (déterminants d’estompage, E) selon le statut
de l’objet intériorisé, au détriment des réponses de mouvement souvent
peu exprimées (kinesthésies d’attitude par exemple) ou traitées dans un
déplacement sur la représentation animale (kinesthésies à forte charge
narcissique) ;

Maryline (6 ans), propose à la planche VII la réponse suivante :


« Deux souris qui se regardent avec une pierre pour chacun qui s’asseyent
dessus et leur grande queue qui est tout droit, y a une fille et un garçon »
(réponse cotée G kan A > kinesthésie d’attitude).

Dans cette réponse, l’arrimage narcissique autorisé par le lien de regard


entre les deux représentations animales (ici clairement en position de
figures de substitution à des figures humaines) ouvre sur une tentative de
conflictualisation de la différence des sexes.
Victor (13 ans et 2 mois), met au travail la problématique du narcissisme,
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

particulièrement aiguë à l’adolescence, à partir de réponses reflets :


– Planche II (troisième et dernière réponse de la planche) : « (...) ou alors
je dirais une personne qui se regarde dans le miroir, le corps, la tête, il
serait assis sur quelque chose et son reflet dans le miroir... en tout cas
deux personnes identiques » (réponse cotée Gbl F+ H > K attitude)
– Planche VII : « le reflet de quelqu’un dans un miroir... deux personnes
identiques c’est tout ce que je vois, ou alors encore une sorte de moule...
un moule pour faire fondre un... je sais pas vraiment, une sorte de coque...
je dirais pour les personnages ce serait plutôt deux bretonnes avec un
chapeau... ou encore des lunettes de soleil » (réponses cotées Gbl F+ H,
puis Dbl F- Obj, puis G F- Obj).
216 Expression projective au Rorschach et développement psychoaffectif

Il est intéressant de constater que Victor ici propose une représentation


d’une expérience structurante du miroir : toutefois, on peut noter que
l’évocation du reflet tend à limiter les potentiels dans l’établissement d’une
relation d’objet œdipienne (référence à l’identique). La réponse « moule »
de la planche VII, qui se présente comme intermède entre deux réponses
mettant en jeu le miroir, met en scène une forme de matrice, à partir de
laquelle peut se déployer le travail des identifications...
• Enfin, les témoins d’une relation d’objet œdipienne se donnent à voir à
partir de la plasticité des représentations de relation, avec alternance et
jeu possible entre expression du versant libidinal et agressif de la pulsion,
sans censure rigide ni régression massive ; les traductions projectives
se dévoilent particulièrement autour du statut des kinesthésies qui
franches et bien assumées, se déploient de manière suffisamment souple,
avec une association dynamique entre les déterminants sensoriels et les
déterminants formels, et des contenus de représentation qui proposent, à
tout le moins en forme d’esquisse, une conflictualisation possible entre
désir et interdit.

Arthur (6 ans 3 mois), à la planche VIII


« Deux bêtes qui tournent sur un manège, on voit les décorations... ils se
courent l’une après l’autre, peut-être qu’elles essaient de se mordre, ou
bien ils sont amoureux je crois » (réponse cotée G kan A Ban).
Mourad (16 ans et 9 mois), à la planche III
« Deux personnes qui portent des trucs... des sacs... deux personnes qui
s’aiment, non ? je sais pas, je crois que c’est des cœurs ! » (réponse cotée
G K H Ban > C)

Ces exemples, isolés du contexte de la production projective à l’épreuve de


Rorschach ont nécessairement une valeur limitée. Ils permettent toutefois de
figurer les principales expressions du fonctionnement psychique des enfants
et des adolescents. Les présentations de protocoles de réponses complets,
d’une part référés aux différents temps de maturation du développement
psychoaffectif de l’enfant et de l’adolescent, d’autre part envisagés du point
de vue d’une clinique de consultation, permettront d’aborder, dans une
approche qui prendra en compte la complexité des expressions de la vie
psychique, l’ensemble de la dynamique du fonctionnement psychique.
C’est bien sûr, comme toujours, dans le croisement des différents témoins,
et/ou des différents observatoires de l’activité projective, que pourra émerger
Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent 217

une compréhension suffisamment affinée du fonctionnement psychique de


l’enfant ou de l’adolescent.

Repères pour une pratique

La seconde partie de ce chapitre vise à présenter les différentes configurations


expressives à l’épreuve de Rorschach en fonction de l’âge de l’enfant. En
effet, il convient d’inscrire la lecture clinique des protocoles dans une double
perspective :
• d’une part, la perspective de son développement psychoaffectif et, en
particulier, du registre de traitement pulsionnel dans lequel s’inscrit
l’enfant et, au-delà, de l’engagement des processus de symbolisation ;
• d’autre part, la perspective de son développement intellectuel, c’est-à-dire
de ses capacités à saisir le monde dans le registre des opérations cognitives.
À partir d’une première différenciation entre enfant et adolescent, les
différentes périodes du développement seront évoquées et pour chacune
d’elles, deux protocoles témoin seront présentés (généralement le protocole
d’un garçon et celui d’une fille), en contrepoint des protocoles qui s’écartent
des variations de la normale et qui feront l’objet de la dernière partie de
l’ouvrage, consacré à la clinique et la psychopathologie de l’enfant et de
l’adolescent à l’épreuve du Rorschach.
Il s’agira donc de présenter, pour chacun des temps du développement,
les principaux enjeux cliniques au travers de la singularité de l’engagement
des enfants et des adolescents dans l’épreuve.
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

La découpe de ces différentes périodes de développement de l’enfant et


de l’adolescent ne possède bien sûr qu’une valeur théorique, et n’épuise pas
la nécessité de prendre en compte les différences interindividuelles dans
l’approche clinique du sujet singulier. C’est au fond le sens de la référence à
des repères pour une pratique de l’épreuve de Rorschach, repères que chaque
praticien de l’épreuve est invité à s’approprier afin d’être en mesure d’habiter
le dispositif de la passation et de l’interprétation de cet outil projectif dans
le contexte de la relation clinique.
Pour le Rorschach chez l’enfant, trois temps seront ici distingués,
qui correspondent à trois moments singuliers et paradigmatiques du
développement de l’enfant et, de fait, à des modalités différenciées dans
l’appréhension de l’épreuve de Rorschach : le temps de la fin de la petite
218 Expression projective au Rorschach et développement psychoaffectif

enfance (de 2 à 4 ans), le temps œdipien (de 4 à 6 ans) et le temps de la


période dite de latence (de 6 à 11 ans).
Puis, pour le Rorschach de l’adolescent, deux temps principaux seront
dégagés pour rendre compte de la période adolescente : le temps de la
pré-adolescence, à considérer au sens du pubertaire dont P. Gutton (1991) a
précisé la figure (12-15 ans), puis celui de l’adolescence à proprement parler
(15-20 ans).

Le jeune enfant et l’expérience sensorielle

On l’a vu, la pratique du Rorschach peut être envisagée dès que l’enfant a
un accès suffisant au langage, et à la fonction de communication de celui-ci.
La dimension ludique de la proposition de l’épreuve apparaît au premier
plan (Boekholt, 1996), et s’appuie, en particulier, sur une manipulation des
planches, et sur une sollicitation du psychologue sur la nature et la qualité
de cet objet étrange proposé à l’enfant. Il ne faut pas cependant considérer
la pratique auprès de jeunes enfants au même titre que la pratique auprès
d’enfants résolument inscrits dans des compétences représentationnelles
avérées. Dans le même temps, on peut souligner l’intérêt de considérer les
expressions des jeunes enfants face à l’épreuve de Rorschach comme témoins
d’un temps singulier de la vie psychique et des processus qui y concourent...
et de rapporter certaines expressions dissonantes d’enfants plus âgés au regard
d’une forme de normativité, aux modalités de rencontre du jeune enfant
avec l’épreuve. En tout état de cause, la pratique de l’épreuve projective
auprès de jeunes enfants sera moins centrée sur les données formelles des
cotations (de fait, bien souvent peu de réponses peuvent faire l’objet d’une
cotation) que sur les mouvements qui sous-tendent les différentes formes
expressives de l’enfant.

➤ L’inscription relationnelle de la passation

Dans ce contexte, l’intervention du psychologue peut s’avérer tout à fait


déterminante dans la production du jeune enfant. En effet, il apparaît que
la pratique de l’épreuve de Rorschach auprès de jeunes enfants nécessite
une modalité de soutien et/ou de sollicitation bien souvent particulièrement
appuyée, dans la perspective de la mobilisation du processus projectif. Cette
intervention du psychologue, qui quitte alors sa posture de retrait bienveillant
pour investir une expresse sollicitation de l’enfant, modifie nécessairement
Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent 219

la situation de passation de l’épreuve et l’écarte de sa dimension de stricte


situation standardisée. C’est néanmoins au prix de ces aménagements
que l’épreuve pourra trouver sa pertinence dans l’approche clinique du
fonctionnement psychique du jeune enfant, dans la mesure où la nécessité
de mise en œuvre de ces aménagements concourt à l’analyse du matériel
recueilli : il ne s’agit pas en effet de passer sous silence ces écarts au dispositif,
mais de les intégrer à la démarche d’analyse clinique.
On l’a vu dans le chapitre consacré à la méthodologie de l’épreuve, l’un
des aménagements principaux concerne la pratique de l’enquête dans un
après-coup de la passation : celle-ci est bien souvent rendue impossible du
fait de la labilité des représentations chez le jeune enfant. Elle gagnera alors à
être réalisée, a minima, dans le temps de la passation. De même, au regard de
la fatigabilité de l’enfant et/ou de sa difficulté à maintenir une concentration
suffisante au fil de l’épreuve, il s’avère que de nombreuses passations ne
permettent pas de déboucher sur l’épreuve des choix : cet élément sera donc
signifié comme manquant au regard du protocole habituel de la passation.

➤ La référence au factuel

Il est tout à fait marquant que la fragilité de la différenciation entre monde


interne et réalité externe se traduit, chez le jeune enfant, par des passages
répétés entre le travail psychique mobilisé par la situation projective et
ouverte par la consigne d’une part, et la prise en compte de la réalité
de l’environnement qui entoure le jeune enfant d’autre part. Ces formes
expressives renvoient à ce que M. Boekholt (1993) repère, dans la pratique
du Scéno-test, au titre des procédés de jeu dits « hors-jeu » (et cotés HJ),
procédés repris et développés dans nos propres travaux concernant la
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Mallette Projective Première Enfance (Roman, 2004, 2005, 2011, 2014) :


ces procédés témoignent d’une forme d’échappée de la situation projective,
l’enfant se trouvant sollicité et mobilisé par une autre source d’excitation.
Cette source d’excitation est le plus souvent perceptive (auditive ou visuelle),
mais elle peut, le cas échéant, être également proprioceptive (expression
d’une sensation de faim ou de soif, de chaud ou de froid, désordre digestif...).
Ces différentes formes expressives, si elles ne font pas l’objet d’une cotation
formalisée à l’épreuve de Rorschach, seront utilement indiquées dans le
compte-rendu de la passation lors de la rédaction du protocole de l’épreuve.
Elles rendent compte en effet, tout à la fois des marques de rupture dans
l’investissement de l’activité représentative du jeune enfant, mais également
220 Expression projective au Rorschach et développement psychoaffectif

des zones d’investissement privilégié du corps comme mode de traitement


de la rencontre avec le matériel de l’épreuve de Rorschach.
Henri (3 ans), à la planche II
« Ça c’est... & ça c’est quoi ? (il montre le D2) peut-être... moi j’ai des
cartes plus faciles... mes chaussures » (montre ses chaussures) ;
et à la planche V
« Dedans de Batman y a deux chauves-souris, on dirait c’est comme une
chauve-souris peut-être » (il veut montrer ses chaussettes).
Marine (4 ans et 1 mois), à la planche III
« Ça c’est peut-être un nœud (D3) et ça ça peut être des garçons (D1)...
je fais de la peinture moi ! »

On constate que l’investissement de Henri ou de Marine dans la passation


de l’épreuve tend à céder le pas à des préoccupations et/ou des références
personnelles, en appui sur la mobilisation d’associations (ses propres cartes
de jeu représentant des personnages de dessin animé, ses chaussures, ses
chaussettes pour l’un, son activité de peinture pour l’autre...) qui tendent
à désengager l’enfant de la situation projective et introduisent le clinicien
dans l’intime de ses investissements affectifs.

➤ La mobilisation sensorielle

Le jeune enfant se trouve mobilisé par la dimension sensorielle du matériel


mis à disposition (les différentes couleurs, la texture...), mobilisation
qui souvent vient déborder ses potentiels de symbolisation et, partant,
l’élaboration d’une réponse à la consigne sous la forme d’une réponse
organisée dans le langage (et au-delà susceptible de faire l’objet d’une
cotation). De fait, dans son appréhension du monde et de la planche
de l’épreuve de Rorschach, le jeune enfant (2 à 4 ans environ) privilégie
une approche sensorielle, qui porte la trace d’une absence de mobilisation
possible d’objets internes suffisamment stables. Parfois, cette référence au
sensoriel tente de s’organiser a minima au travers d’une esquisse de contenu
représentatif.
Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent 221

On peut le voir avec l’alternance, chez Martin (3 ans et 10 mois) entre


deux types de verbalisation :
– Planche I : ' « Peinture... ( ?) une autre peinture... ( ?)... une couleur de
peinture »
– Planche III : « Une couleur de peinture... ( ?) une autre peinture »

L’oscillation entre les signifiants « couleur de peinture » d’une part et


« peinture » d’autre part, donne à entendre le va-et-vient dans lequel Martin
se trouve engagé, entre référence à la dimension sensorielle (il nomme la
couleur, dans sa dimension générique, sans s’engager dans une identification
précise de celle-ci) et référence à la dimension matérielle (avec la « peinture »,
on peut entendre tout à la fois la matière constituante de la couleur et la
forme socialisée qu’elle va prendre en forme d’œuvre de production de type
artistique).
Cette approche sensorielle de la planche de Rorschach va prendre des
formes plus ou moins élaborées, selon qu’une liaison peut s’opérer entre le
mouvement affectif porté par l’appel sensoriel et un système de représentation
autorisant la proposition d’une réponse. À cet égard, le protocole de Nora
(2 ans et 5 mois), reproduit ci-dessous, témoigne, presque à l’extrême tant la
production de réponses en tant que telles est limitée, du primat du sensoriel
sur le représentatif.

Protocole de Rorschach de Nora, 2 ans et 5 mois


Pl. Temps R Passation Enquête Cotation

Marron et ça marron (retourne


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I la planche)... marron... c’est sale... Cn


marron... c’est sale (montre).

Marron D1
II Cn
Dessin D3

III Marron (E ?) Dessin Cn

IV Merci... marron... marron. Cn

V Marron (E : oiseau ?) non ! fini ? Cn

Marron...
VI 1 D3 D F+ A
oiseau...petit oiseau.

Merci, marron, oiseau... là (veut


VII 2 D1 D F- A
revoir la planche VI) fini.
222 Expression projective au Rorschach et développement psychoaffectif

(suite)
VIII Marron... c’est ça marron. Cn

IX Marron... (montre D1+D3) Cn

X (rit) Marron, fini. Cn

On notera, au regard de la pratique classique de l’épreuve de Rorschach,


une certaine forme de pauvreté de la production projective. Il est toutefois
intéressant d’appréhender la manière dont Nora se saisit de la situation
relationnelle qui lui est proposée par la médiation des planches. Nora
investit la passation comme un jeu, et si elle peine à pouvoir s’inscrire dans
la consigne ouverte par le questionnement sur « ce que cela pourrait être ? »,
elle se montre néanmoins en mesure de s’approprier a minima, sur un
mode d’après-coup qui ouvre sur une persévération, la proposition d’une
représentation « oiseau ».
On relèvera que, chez Nora, la référence itérative à la couleur « marron »
peut interroger à deux titres :
• d’une part au regard de l’adéquation de la référence à cette couleur avec
le contenu manifeste de la planche... mais à 2 ans et 5 mois, Nora a-t-elle
à sa disposition le vocabulaire nécessaire pour qualifier plus précisément
son approche sensorielle de la planche ?
• d’autre part au regard de la réitération de la référence à la couleur « mar-
ron » au fil des planches : peut-on évoquer ici un effet de persévération, qui
viendrait signifier l’impossibilité pour Nora de se départir d’un premier
engramme perceptif pour un investissement différencié des planches en
appui sur la spécificité de leur sollicitation ?

➤ Le recours à la motricité
Une des formes de l’engagement du corps dans le cadre de la passation de
l’épreuve de Rorschach par de jeunes enfants est particulièrement repérable
au travers de l’investissement de la motricité. La motricité se trouve en effet
spécifiquement mobilisée sur le matériel, témoignant, ainsi que l’ont bien
mis en évidence P. Marty et M. Fain (1955) d’une forme d’expression dans
la réalité externe d’une « motricité pulsionnelle ». Celle-ci vient pallier la
capacité de l’enfant quant à une intériorisation de ces mouvements en forme
d’élaboration d’une relation d’objet au sein de laquelle peuvent prendre
place, sans danger, respectivement l’enfant et l’autre de la relation, ici le
Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent 223

psychologue. Ainsi peut-on penser de manière singulière la place de la


motricité dans la passation de l’épreuve de Rorschach des jeunes enfants :
• d’une part au travers de la participation motrice de l’enfant à la passation :
cette participation peut participer à ce que M. Boekholt (1993) nomme les
procédés « hors-jeu » dans le cadre des épreuves de jeu (c’est-à-dire qu’elle
signifie une manière de dégagement à l’égard du processus projectif), mais
la motricité peut également contribuer à ce processus et, d’une certaine
manière, soutenir le processus de production de la réponse et, partant,
la mise en jeu des objets internes ; à cet égard, on sera particulièrement
attentif à la fréquence et à la qualité des renversements de planche (cf.
l’indice Mp proposé par P. Claudon, 20061 ) et/ou aux participations
motrices de l’enfant qui accompagnent la production des réponses (mimes
ou gestualité en lien avec la réponse) ;
Rémy (3 ans et 9 mois), à la planche X
« Un espace qui fait le tour de la terre » (fait tourner la planche sur
elle-même), réponse cotée G F- Géo,
Simon (3 ans et 9 mois), à la planche VII
« Un toboggan &( regarde ce que je sais faire (fait tourner la planche sur
elle-même) » (enquête : « regarde ! », Simon mime un mouvement de
descente sur un toboggan), réponse cotée G F+ Obj.

On peut considérer, tout autant pour Rémy que pour Simon, que le
processus de mise en représentation est soutenu par une action portée sur
la planche. Le recours à la motricité dans l’actuel de la situation projective,
s’il traduit l’impossible investissement intériorisé du mouvement, n’en
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

représente pas moins une voie, un frayage possible. On notera par ailleurs
la prégnance que peut prendre l’appel énoncé par l’enfant au regard du
clinicien sur son engagement moteur, appel que l’on peut comprendre
comme une quête de soutien dans le regard maternel du clinicien, regard qui
actualise un fond maternel, miroir unificateur des mouvements psychiques
de l’enfant ;
• d’autre part, au travers de la gestion des kinesthésies dans le processus
de production de la réponse, qui, comme nous l’avons vu, témoignent
des potentiels de mobilisation des objets internes de l’enfant. En effet,

1. Rappelons que l’indice Mp (pour « mouvement des planches ») permet de repérer l’occurrence
des renversements de planche opérés par l’enfant (cf. supra, p. 64).
224 Expression projective au Rorschach et développement psychoaffectif

si les kinesthésies avérées sont assez rares chez les jeunes enfants, elles se
présentent dans des registres d’élaboration variés et rendent compte de la
qualité de la construction de l’objet interne. L’évaluation de leur qualité
sera bien sûr fonction du support représentatif à partir duquel elles se
déploient : qualité de la discrimination du stimulus, qualité formelle de
la réponse au regard de la découpe retenue.
Rémy (3 ans et 9 mois), à la planche IX
« Papillon encore » (enquête : « il vole, papillon de nuit », réponse cotée :
G kan A > C’ ?)
La kinesthésie animale intervient à l’enquête, en appui sur une représen-
tation dont l’ancrage perceptif est peu précisé. Cette forme de kinesthésie
peut être appréhendée comme un premier marquage d’un recours possible
aux objets internes de l’enfant et à leur mise en jeu.
Juliette (4 ans 6 mois), à la planche III
« Ça peut être des gens... avec... qui préparent du feu ici c’est encore
tout » (réponse cotée : G K H Ban).

On peut mesurer l’écart entre ces deux expressions de la kinesthésie, sans


doute imputable à une maturation psychoaffective dont pour une part peut
témoigner l’âge de l’enfant : en effet, pour Juliette, la kinesthésie porte sur
une découpe clairement identifiée/identifiable, et sur une représentation
humaine qui, même si elle reste incertaine du fait de sa définition quelque
peu vague (« des gens »), autorise une vectorisation de la pulsionnalité.
Deux protocoles sont proposés comme témoignant de la production de
jeunes enfants, en complément du protocole de Nora (2 ans 5 mois) :
– celui de Simon (3 ans et 9 mois),
– celui de Juliette (4 ans et 6 mois), à la limite supérieure de cette tranche
d’âge des jeunes enfants.
Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent 225

Protocole de Rorschach de Simon, 3 ans 9 mois


Pl. Temps R Passation Enquête Cotation

I 1 V Λ Je sais pas un monstre yeux de monstre (Dbl) nez Gbl F+ (H)


0:00:45 et oreille de monstre...un
monstre - souris. →G Conf

II 2 V Regarde c’est comme du là c’est du sang les deux là


0:00:35 D C Sg
sang, c’est du rouge (D2)

3 Ah oui c’est une lumière et là une lumière D CF Obj.

III 4 Un clown, c’est un papier juste papier de clown, là


de clown on pied de
0:00:30 dirait...ce qu’ils mettent clown, là c’est des oies D F+ Obj Ban
ici (montre son cou). (D1) non des autruches.
(R.Add.: DF+ A)

IV 5 Un loup, c’est comme un pied de loup (D oreilles),


loup là ses jambes (D1) V Λ
0:00:20 G F+ A
(fait tourner la planche sur
elle-même).

V 0:00:15 6 Un papillon G F+ A Ban

7 Non une chauve-souris non, une chauve-souris,


G F+ A Ban
(essaie de lire au dos) pieds, ailes, antennes.

VI 0:00:25 8 Un oiseau (D3) il a plein de z’ailes D F+ A

9 et... je sais pas ce que c’est je le dis pas


D F- A
(D1) un papillon?

VII 10 Un toboggan, V Λ regarde regarde ! (fait un mouve-


ce que je sais faire avec ment de descente)
0:00:40 G F+ Obj.
(Fait tourner la planche
sur elle-même).

VIII 11 Un oiseau qui tire les oiseau (D3 et D4), c’est


© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

0:00:35 scarabées, c’est magique accroché là (Dax) Scara- Gz kan A


regarde... bées (D8 + D2)

IX C’est des grabouillons, ah où c’est du caca on


on dirait des grabouillons dirait (D6 + Dax) les fesses
(retourne la planche) c’est elles sont là (D1) et là c’est
magique, c’est rose main- l’enfant (D3), non c’est
0:00:45 tenant tu as vu? les WC (D1) et là c’est Refus
l’enfant (D3)
il est un peu cassé l’enfant
(fait des bruitages).
(R.Add : Gz FC H)

X 0:00:30 12 Une épée D8 D F+ Obj.


226 Expression projective au Rorschach et développement psychoaffectif

(suite)
13 Des méchants (D9) qui tout ça (tous les D), ça
vont attaquer l’épée c’est l’oiseau qui a peur des
G K (H)
méchants (D3)
(R.Add : D F+ A)

Durée totale de la passation : 00:05:30

Note : l’épreuve des choix n’a pas été possible à mettre en œuvre au regard de la difficulté d’un
investissement de la passation dans la durée de la part de Simon.

Commentaires cliniques du protocole de Simon, 3 ans 9 mois


La production de Simon voit alterner appréhension sensorielle et motrice
du matériel : l’engagement de la motricité, en direction du corps propre
(planche III) ou sur le matériel, est mis au service de la production
des réponses (planche VII). Ainsi, des réponses éminemment sensorielles
(« regarde, c’est comme du sang, c’est du rouge » à la planche II) émergent
d’une sensibilité exacerbée au rouge, mais peuvent être davantage contenues
dans une approche formelle du stimulus (planche III : « un clown, c’est
un papier de clown on dirait... ce qu’ils mettent ici » – il montre son cou),
alors que les planches achromatiques et davantage compactes, autorisent
l’expression de réponses formelles de bonne qualité (comme en témoignent
en particulier les réponses à la planche V : « un papillon... non une
chauve-souris »). Les kinesthésies trouvent une forme d’expression à partir
de représentations imaginaires, référées comme telles (planche VIII : « un
oiseau qui tire les scarabées, c’est magique regarde » et planche X : « des
méchants qui vont attaquer à l’épée »). La proximité persécutoire est ici
sensible, témoignant sans doute des restes schizo-paranoïdes ici remobilisés :
la confrontation au stimulus, dans sa dimension peu organisée, rappelle
l’histoire de la construction du lien à l’objet, et la fonction du clivage
bon/mauvais comme organisateur de la polarité interne/externe. Ainsi, on
peut considérer que, pour Simon, cette référence contribue à la constitution
d’une limite entre monde interne et réalité externe. On notera par ailleurs
la place qu’occupe la référence au regard du psychologue (« regarde »,
planches II, VII et VIII) comme garantie face au risque d’un envahissement
dont on peut envisager les traces à l’enquête de la planche IX, planche
qui avait vu l’expression d’un refus de la part de Simon (« c’est des
grabouillons... »). L’enquête s’inscrit dans un registre ouvertement régressif,
centré sur l’analité : la verbalisation donne à penser quant au risque
désorganisateur de la pulsion anale, destructrice voire persécutrice.
Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent 227

Protocole de Rorschach de Juliette, 4 ans et 6 mois


Pl. Temps R Passation Enquête Cotation

1 C’est comme une crotte je G F- Frag


I 0:01:05
trouve —> FC’

2 C’est comme une chauve-


G F+ A Ban
souris

Aussi ça peut-être comme


3 un oiseau je me rappelle F+ A Ban
plus comment...

Comme un chien, non ! et aussi un papillon


4 ça peut pas... je me rap- (R.Add.: GF+ A Ban) G F- A
pelle plus

(soupire, touche la et ça le soleil (D3)


planche) Ça se fait en (R.Add.: D FC+ Elem)
peinture... c’est comme ils sont plutôt à l’envers,
II 0:00:35 5 des monsieurs (2 D1) avec V une dinde (D3) D F+ H
parce qu’il y a des petits
yeux et un gros trou
(R.Add.: D F- A)

6 Ça peut être des avec un petit nœud


gens...avec qui préparent là comme un papillon
III 0:00:20 G K H Ban
du feu ici, c’est encore (R.Add.: D F+ Obj.
tout. Ban)

IV 0:00:30 7 Ça c’est un monstre G F+ (H)

8 Ça peut-être...ça peut être il est très méchant, il veut


ça peut être un rat, des tuer quelqu’un...les rats
méchants c’est comme qui sont méchants ils ont G F- A
dans Mme B. parce qu’il une grosse corne pour tuer
veut tuer les gens les souris...
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

9 Un papillon (rit) attends!


V 0:00:55 G F+ A Ban
(prend la planche)

10 Une souris...ça vole pas


les...souris, c’est une G kan A
chauve-souris

VI 0:00:25 11 Une fleur G F- Bot

12 Et là il y a une petite étoile D1 D F- Symb

13 Des lapins...ils se y en a deux, y a un papa et


tapent...ils ont des une maman, y en a un que
VII 0:00:30 G kan A
grandes oreilles hein... 3 lapins, le bébé, un papa
et une maman.
228 Expression projective au Rorschach et développement psychoaffectif

(suite)
VIII 0:00:40 14 Ça un petit rat D1 D F+ A Ban

15 Ça un papillon et ça D3
D F+ A
encore un rat

16 Et ça une chauve-souris D4 D F- A
—> FC’

17 Et ça encore un papillon, D5
D F+ A
il y en a deux papillons

18 V Ça un gros papillon il est méchant un peu ce


IX 0:00:20 G F- A
papillon (dans le « jeu »)

19 Avec des éléphants D1 D F- A

20 Euh... un monsieur qui parce qu’il met des crabes


est très méchant, avec sur les gens.
X 0:00:30 des crabes bleus... et D F+ H
puis c’est tout, c’est tout
maintenant.

Durée totale de la passation : 00:05:50

Pl+ VII Parce que c’est des lapins

IX Parce qu’ils sont de toutes les couleurs

Pl- VIII Parce que aussi elles sont pleins de couleurs

I Parce qu’il y a des grandes ailes... le noir ça me plaît pas, bah.

Le protocole de réponses ouvre sur une forme de provocation anale,


assumée en tant que telle (planche I : « c’est comme une crotte je trouve »).
L’appel au clinicien fonctionne comme une quête d’étayage, dans un
processus qui mobilise le travail de symbolisation... et l’absence qui fonde
celui-ci (« je me rappelle plus... »). Les représentations humaines sont
appelées dans une bonne qualité d’élaboration, portées a minima par des
kinesthésies, avec une tentative d’identification sexuée à la planche II (« (...)
c’est comme des monsieurs »), qui échoue partiellement à la planche III (« ça
peut être des gens (...) »). Il est notable que ce mouvement en direction
de l’identification sexuée prend appui sur une approche sensorielle de la
planche (planche II : elle soupire, touche la planche... et se réfère à la qualité
de la matière constitutive de la planche : «... ça se fait en peinture... »).
Les planches pastel voient émerger des représentations prises dans
une forme de répétition (persévération autour de la représentation du
« papillon » ? cf. planche VIII et IX : trois représentations de papillons
Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent 229

sur six réponses...). On notera que les émergences persécutoires sont ici
également présentes, elles se proposent comme matrice d’une organisation
du monde, découpé en deux entités bien identifiées (planche IV, après une
première réponse « monstre » : « ... ça peut être un rat, des méchants... », ou
planche X : « un monsieur qui est très méchant... »). La dimension du jeu
domine (Juliette peut expliciter cette dimension, comme à l’enquête de la
planche IX : « il est méchant un peu ce papillon... »). Cette forme de clivage,
fondateur du développement psychoaffectif de l’enfant, se présente ici sous
la forme d’une trace non-désorganisatrice des avatars nécessaires du lien au
premier objet maternel.

Le temps œdipien et la conflictualité

Dans le temps que l’on nomme généralement comme le temps œdipien,


l’enfant se trouve davantage mobilisé, face aux planches, par les contenus de sa
vie imaginaire et par les conflits qui l’animent. Sans doute peut-on considérer
que c’est dans cette période que culminent les marques d’un investissement
du monde interne dans les différents registres de son déploiement. Les
protocoles se présentent sur un mode plus floride, ils témoignent d’une
richesse des représentations et de leur mise en relation, sans être exempts
de formes de dérapages. Ceux-ci se traduisent parfois par l’expression de
glissements et/ou de confusions liés d’une part à la prégnance de la vie
imaginaire et de son débordement au regard de l’appréhension de la réalité,
et d’autre part à la marque de la conflictualité œdipienne, qui met en
jeu de manière exacerbée, et sur le mode de la collusion, l’expression du
désir et l’empreinte de l’interdit. Ainsi nous aurons à envisager ici les deux
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registres privilégiés de l’investissement, dans ce temps du développement


psychique, que sont d’une part le registre pré-œdipien, avec le dégagement
de la problématique dépressive, et d’autre part le registre œdipien, avec la
construction possible de la triangulation. En effet, l’accès à la conflictualité
œdipienne ne pourra s’établir que pour autant que l’enfant aura été en
mesure d’investir des stratégies efficientes face aux angoisses de séparation.
C’est bien d’ailleurs dans la même intrication que seront considérées les
expressions projectives dans le temps de l’adolescence.
230 Expression projective au Rorschach et développement psychoaffectif

➤ L’engagement relationnel dans la passation

C’est bien souvent à partir d’une interrogation sur les origines des planches
(cartes) de l’épreuve de Rorschach que s’engage la rencontre avec l’enfant dans
cette période dite œdipienne. Comme cela a été évoqué précédemment, on
peut considérer que cette interrogation sur les origines des planches a valeur
de mise au travail des théories sexuelles infantiles et, plus particulièrement,
des théories ayant trait à la scène primitive. Ces interrogations (ou simples
remarques) prennent deux voies principales :
– celle de la réalisation des planches (autour de la technique des taches
d’encre et du plié/déplié),
– celle de la consistance des planches, considérées en tant qu’objet à
manipuler.
On peut alors penser que cette entrée en matière dans l’épreuve,
par la voie de la qualité actuelle et historique du matériel de l’épreuve,
engage l’enfant dans une tentative de résolution de l’énigme des origines :
l’épreuve de Rorschach propose, au fond, à l’enfant, de remettre au travail
l’élaboration des théories sexuelles infantiles, en l’invitant à éprouver une
situation nouvelle... et étrange, dans le jeu transférentiel engagé avec le (la)
psychologue.

➤ La construction des représentations et l’investissement de l’imaginaire

La période œdipienne peut être définie comme une période charnière dans le
maniement de l’imaginaire : en effet, c’est dans ce temps de la vie psychique
que va s’établir, de manière plus ou moins stable, la différenciation entre le
monde de la réalité externe et le monde de l’imaginaire. Ainsi l’enfant va-t-il
pouvoir progressivement mettre au service sa production imaginaire pour
donner sens au monde qui l’entoure. On le sait, dans la culture, c’est le sens
et la fonction des contes de fées, qui viennent proposer des figurations aux
angoisses et aux questionnements du jeune enfant : les fantasmes originaires
(fantasmes de scène primitive, fantasme de séduction, fantasme de castration)
vont y trouver une expression et des pistes d’élaboration.
Au fond, on peut considérer que l’épreuve de Rorschach, dans sa
proposition de mise en scène de l’imaginaire, va pouvoir occuper tout
Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent 231

spécialement cette fonction de mise en sens des angoisses liées à la période


œdipienne1 . Il s’agira ainsi pour l’enfant d’être en mesure de se situer :
• au regard de la question des origines et de la différenciation Moi/non-Moi,
dont on peut considérer qu’elle se trouve en particulier portée par la
différence humain/non-humain... dans un temps où le recours à des
représentations animales peut avoir fonction de substitution, signant
ainsi une ambiguïté dans l’analyse du maniement des représentations
animales par l’enfant ;
• au regard de la différence des sexes, dont on a vu qu’elle est particuliè-
rement mobilisée par la rencontre avec la planche III et VI d’une part
(sollicitation à la bisexualité), et avec les planches IV et VII d’autre part
(sollicitation masculine – paternelle et féminine – maternelle) :
Yvan (6 ans et 4 mois), à la planche III
« L. 0.25’... Deux dames, ils sont amoureux... parce qu’ils s’aiment bien »
(enquête : parce qu’on dirait des cœurs (D3) et on dirait aussi des petits
singes (D2) et tellement il y a des singes ils sont amoureux », réponse
cotée G F+ H Ban).
L’hésitation quant au genre des personnages, ainsi que la justification à la
réponse apportée en référence à des représentations animales confirment la
manière dont la rencontre avec la planche de l’épreuve de Rorschach met au
travail la question de l’appartenance sexuée... sur fond d’une appartenance
au genre humain ;
• au regard de la différence des générations, non explicitement sollicitée par
le matériel de l’épreuve de Rorschach (les épreuves thématiques proposent
une sollicitation davantage explicite à cet égard) mais qui peut prendre
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forme au décours de la présentation des planches :


Susanna (6 ans et 4 mois), à la planche IV
« Y a un gros... gros bonhomme et... et son fils (D axial)... et
voilà » (réponse cotée G F+ H)

1. Il faut rappeler ici, inlassablement, que l’épreuve de Rorschach ne peut être tenue pour une
épreuve isolée, et qu’elle s’inscrit dans une continuité, au sein d’un dispositif construit dans le cadre
de l’examen psychologique et qui comprend lui-même plus d’une épreuve... (cf. supra, Avant-propos,
p. XV et suivantes. Dans cette perspective, les épreuves thématiques (CAT, TAT...) sont bien
sûr précieuses en ce qu’elles interrogent de manière plus spécifique les grands organisateurs de la
conflictualité œdipienne.
232 Expression projective au Rorschach et développement psychoaffectif

Gérard (6 ans), à la planche V


« C’est une hirondelle, c’est une dame qui s’est déguisée... non ! c’est pas
une hirondelle... c’est quoi ces bosses ? elle prépare les ailes, des oreilles,
elle dit à la maman, après elle est faite, elle s’envole » (enquête : « les
enfants se déguisent en hirondelle et attaquent la dame », réponse cotée
G kan A > K H ?).

Dans les deux cas, la référence à la génération est portée par le déploiement
de l’imaginaire de l’enfant, le cas échéant (cf. Gérard), dans une forme
d’échappée de l’imaginaire qui interroge la différenciation humain/non-
humain, dans le contexte d’un doute identitaire... et d’un appel au soutien
maternel.

➤ La position dépressive infantile et la triangulation œdipienne

L’un des enjeux principaux au plan du statut de l’objet dans ce temps de la vie
psychique tient à la possible élaboration de la position dépressive, fondement
de l’accès à la triangulation œdipienne : en effet, les travaux d’A. Green l’ont
bien montré, la survivance des investissements de l’enfant sous le primat de
la phase schizo-paranoïde obère la capacité de l’enfant à organiser la scène
œdipienne dans une souplesse suffisante au plan de l’articulation de la double
différenciation des sexes et des générations. A. Green (1973) nomme cet
aménagement particulier de la triangulation œdipienne la bi-triangulation :
celle-ci repose sur une partition qui ne s’appuie pas sur les critères de la
différence des sexes mais sur le maintien d’un clivage entre bon et mauvais
objet. Cette difficulté d’accès à l’ambivalence se lit au travers de certaines
réponses qui peinent à investir la conflictualité masculin/féminin, au profit
d’une partition des figurations.

Les réponses de Aurélien (6 ans et 2 mois) à la planche III en


témoignent :
« Celle-là ça représente deux hommes qui se battent... et les lampes (D2)...
enfin deux dames en face de l’autre » (enquête : « oui la radio, ils tirent,
ils tirent, le nœud-papillon qui craque (D3), et ça c’est les lampes ou
non, les dames elles se regardent », réponses cotées D K H Ban, puis D F-
Obj > FC ?, et enfin D KAtt H Ban, R. Add : D F+ Obj Ban).
Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent 233

Aurélien juxtapose deux types de représentation humaine : une repré-


sentation masculine dominée par la confrontation et la violence, une
représentation féminine marquée par la passivité et le lien de regard.
Par ailleurs, la question de la construction de la différence des sexes
se présente bien souvent manifestée au travers de craquées verbales dans
l’énoncé des réponses.
La réponse de Gérard (6 ans), à la planche III en propose une illustration,
à partir d’un contenu de représentation qui contourne la confrontation à la
figure humaine :
« Je sais pas... c’est des fées qui préparent du feu, il(s) met leurs bottes, il(s)
s’habille(nt), il(s) se déguise(nt) en corbeau » (réponse cotée G K (H)/A).

Cette réponse condense les enjeux du temps œdipien : on voit ici que le
fond de différenciation ne se trouve pas suffisamment assuré (distinction
humain/non-humain) pour permettre une claire prise de position à l’égard
de la sollicitation bisexuelle de la planche (glissement de la référence à la
fée, figure pseudo-humaine du féminin à une figure animale de corbeau,
représentant du masculin). À cette ambiguïté, vient se surajouter la confusion
(le doute ?) entre l’investissement du singulier et du pluriel...
Deux protocoles sont proposés pour rendre compte et illustrer de la
dynamique ouverte par le temps œdipien :
– celui de Susanna, 6 ans et 4 mois,
– celui de Brice, 6 ans et 4 mois.
234 Expression projective au Rorschach et développement psychoaffectif

Protocole de Rorschach de Susanna, 6 ans et 4 mois


Pl. Temps R Passation Enquête Cotation

V Λ En fait c’est pareil, grand nez (D1)


c’est pareil...je crois...
c’est un bonhomme qui a
I 0:00:50 1 un nez qui est grand, un G F+ H
chapeau de policier et ses
pieds sont à côté de l’autre
et c’est pareil

2 V Il y a des pieds (D2), y


II 0:00:50 D F- Hd
a du rouge, du noir,

3 Moi je crois c’est un bon- mains (dans D3) et


homme qui se bagarre... il prend quelque chose
voilà... (remet la planche) comme ça... invisible (G- DD K H
une femme ou un bon- D2)
homme.

4 Euh... (L:0:00:10) deux


chiens qui se bagarrent
III 0:00:55 D/G kan A
pour un truc... pour une
pomme,

5 ou sinon ils font du peut-être c’est des filles


sport (?) les deux (?) les
D/G K H
deux femmes ou les deux
chiens,

6 et y a un papillon. D F+ A

7 Y a un gros... gros bon- Fils = Dax


IV 0:00:20 homme et... et son fils... et G F+ H
voilà.

8 Je me rappelle de ça... c’est ailes


un... c’est un truc qui vole,
il fait « co-co »et la nuit
il se penche comme ça
V 0:01:20 (agi)... il a des oreilles G F+ A
grandes comme ça, je me
rappelle c’est quoi mais
je sais plus comment ça
s’appelle.

9 Un chat... qui est maigre Chat : trucs là (D3)


VI 0:00:30 ça ressemble à... ça res- G F+ A
semble à un chat

10 et un... poney bouche du poney G F+ A


Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent 235

(suite)
11 Y a... une fille qui est là c’est coupé (entre les D)
transformée en cheval... y couettes et bouche d’un
VII 0:00:40 en a deux de fille qui est cheval. G Cont F- A/ H
transformée en cheval et
qui est coupée...

Oh c’est dur... ça c’est en


VIII 0:00:45 12 couleur et c’est dur... y a... D F+ A Ban
deux moutons...

13 un grand papillon (D7),


D F+ A
ici le papillon

14 et y a une figure là, je sais D4


pas quoi qui a des grands D F- H
cheveux.

15 C’est...c’est un...ça res- D1 + D3


semble un... un... un...
comment ça s’appelle...
un..des... comme des ser-
pents mais c’est des gros
IX 0:01:35 DD F- A
serpents et ils sont accro-
chés, ils sont pareils...
avant on parlait de ça,
qu’ils sont accrochés et
qu’ils sont pareils.

16 Ça c’est une squelette, Pattes (D1) pieds...


un squelette qui est très (montre G un peu vague), G Conf? F-
X 0:00:25
maigre, son nez est bien nez (D8), dedans son Anat
droit il est bien gros. corps.

Durée totale de la passation : 00:08:10

Pl + VII J’aime bien les filles et les chevals.


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IV J’aime bien des fils... des petits fils.

Pl - I On dirait que c’est n’importe quoi.

IX On dirait aussi c’est n’importe quoi, après je les aime tous.

Commentaires cliniques du protocole de Susanna, 6 ans et 4 mois


La passation de l’épreuve est marquée par la prégnance d’un doute dans
l’énoncé des réponses, doute qui conduit le psychologue à solliciter de la part
de l’enfant une précision (planche III). Les marques de ce doute (« je crois »,
« ça ressemble »...) témoignent d’un mouvement d’intériorisation possible,
travail de symbolisation qui transparaît également au travers de la présence
de deux kinesthésies humaines et d’une kinesthésie animale. L’alternance
236 Expression projective au Rorschach et développement psychoaffectif

des modes d’appréhension (G, D) manifeste une certaine souplesse dans


le maniement du matériel, confirmé par la variation de la qualité formelle
des réponses. Les contenus se répartissent entre représentations animales et
humaines, et témoignent d’une mobilisation de la question identitaire et
identificatoire : on peut s’arrêter, en particulier, sur la seconde réponse
de la planche III (« ou sinon ils font du sport ( ?) les deux ( ?) les deux
femmes ou les deux chiens »), sur la réponse de la planche IV (« y a un
gros... gros bonhomme et son fils... et voilà »), et sur la réponse proposée à
la planche VII (« y a... une fille qui est transformée en cheval... y en a deux
de fille qui est transformée en cheval et qui est coupée »). Le va-et-vient
entre représentations animale et humaine, masculine et féminine, singulier
et pluriel (va-et-vient survalorisé par ailleurs comme nous le montre la
verbalisation de Susanna à l’épreuve des choix)... à partir de représentations
qui, par ailleurs, témoignent d’une qualité globalement satisfaisante, traduit
sans doute la mobilisation de Susanna autour des théories sexuelles infantiles
et de la construction des enjeux de la différence.
La question identitaire se trouve également relayée au décours des réponses
qui ont l’allure de réponses globales confabulées (planches III, VII et X),
signant une difficulté (un malaise ?) dans la construction du stimulus
et, partant, dans la construction de la représentation. Enfin, la réponse
« squelette » de la planche X, qui succède à une réponse à la planche IX au
sein de laquelle la question de la séparation se pose éminemment (« (...)
comme des serpents mais c’est des gros serpents et ils sont accrochés, ils sont
pareils (...) ») interroge l’élaboration de la position dépressive infantile, dans
un contexte où la conflictualité oedipienne remet au travail la problématique
de séparation.

Protocole de Rorschach de Brice, 6 ans et 4 mois


Pl. Temps R Passation Enquête Cotation
(L: 0:00:10) (prend la
I 0:00:35 1 G F+ A
planche) Une abeille
je croyais que c’était pas
une abeille... avec pas des
Je voulais dire un papillon
2 petits trucs blancs... moi G F+ A Ban
mais je me suis trompé
je sais pas comment ça
s’appelle.
Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent 237

(suite)
Ca pourrait être deux
garçons qui se tapent
qui sont avec du sang (?)
II 0:00:35 3 les mains... et puis c’est G KC H
je crois qu’ils se bagarrent.
tout (range les planches
obsessionnellement)
Ça ressemble à des
femmes... des femmes...
je voyais des nénés et puis
III 0:00:35 4 deux femmes... (grimace) D F+ H Ban
c’est tout.
après je sais pas... deux
femmes, ça ressemble
parce que ça a des grandes
pattes (D1) et une grande
IV 0:00:25 5 À un... dinosaure queue (Dax) (?) méchante G F+ (A)
bête elle a l’air fâchée avec
ses trucs (D2).
ça ressemble beaucoup à
À un... papillon...
V 0:00:15 6 un papillon (?) parce qu’il G F+ A Ban
papillon.
y a pas de trucs blancs.
ça a des pattes (D9), des
VI 0:00:10 7 À un... chat. G F+ A
moustaches (dans D3)
> (Retourne la planche) il fait forcer et après
VII 0:00:25 8 G F+ Obj
Λ à une pince. « tac ».
Ça devient de plus en plus
têtes, pattes (D1), mur
dur,... à une... à des... souris,
VIII 0:00:40 9 (ensemble des D4, D2 et G kan A Ban
à des souris qui grimpent
D5).
sur les murs
terre (D6), le bois (Dax),
IX 0:00:10 10 Un arbre les feuilles (D1) et les G FC Bot
branches (D3)
Euh... des crabes... des
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crabes (D1+D8), arbre


X 0: 00 : 20 11 crabes qui tricotent un D kan A / Bot
(D11).
arbre.
Durée totale de la passation : 00:04:10
À la bagarre...parce que avec P.-A. on fait toujours le bosc (pour « boxe »)
Pl + II
et moi je le fais tomber à chaque fois.
IV J’aime bien les tyrannosaures.
Parce que j’aime pas les femmes, j’aime pas les filles...sauf Noémie quand
Pl- III je la vois j’ai les yeux au cœur (?) Femme c’est maman, j’aime pas maman
parce qu’elle me tape tous le temps.
I J’ai jamais vu cette bête j’en ai déjà vu une elle était moche.
238 Expression projective au Rorschach et développement psychoaffectif

Commentaires cliniques du protocole de Brice, 6 ans et 4 mois


La passation de l’épreuve est dominée par l’expression d’une forme de
malaise par Brice : malaise présent dès la planche I avec une remarque
auto-critique concernant la première représentation, malaise perceptible
dans les engagements moteurs de l’enfant (rangement des planches à la
planche II, grimace à la planche III) et, enfin, malaise mentionné dans le
vécu de difficulté face à l’épreuve (planche VIII : « ça devient de plus en plus
dur »). La construction des représentations est dans l’ensemble satisfaisante,
avec un nombre de réponse limité (environ une réponse par planche)
et une grande majorité de réponses globales, de bonne qualité formelle
voire participant des banalités dont on peut penser que leur investissement
constitue, pour Brice, une forme de réassurance. On peut en effet penser
que la rencontre de la couleur (et de la couleur rouge en particulier, cf. les
manifestations de malaise évoquées ci-dessus) ouvre sur une excitation que
Brice semble avoir du mal à contenir : on notera d’une part l’intervention
du sang à la planche II à l’enquête, comme prolongement de la réponse :
« ça pourrait être deux garçons qui se tapent les mains.. et puis c’est tout »
au sein de laquelle la pulsion agressive avait pu être contenue, et d’autre part
la référence, toujours à l’enquête, aux « nénés » des femmes qui constituent
la représentation de la planche. L’isolement des représentations masculine
(planche II) et féminine (planche III) permet certainement de garantir Brice
contre l’excès des excitations, que l’on peut considérer comme étant propres
au temps oedipien. Sans doute peut-on comprendre que dans sa dernière
réponse, à la planche X (« euh... des crabes qui tricotent un arbre ») Brice
tente de figurer, dans une formulation certes peu adéquate au plan de la
réalité, la complexité des liens au sein desquels il se trouve engagé dans ce
temps singulier de son développement.

La latence et la déconflictualisation

Classiquement, on décrit la période de la latence comme un temps où


les investissements pulsionnels se trouvent mis en retrait à partir de la
résolution du conflit œdipien et de l’établissement d’aménagements qui, au
plan économique, permettent de libérer l’énergie pulsionnelle au profit de
destins liés à l’activité de pensée (intérêts sociaux et apprentissages scolaires)1 .

1. Les travaux de J.-Y. Chagnon (2009), inscrits dans le cadre du réseau international de recherche
« Méthodes projectives et psychanalyse » apportent une précieuse contribution à la compréhension
des enjeux actuels de la latence.
Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent 239

Au plan de l’expression dans la situation projective, on peut mettre


l’accent sur trois aspects principaux :
– la qualité de la rencontre de l’enfant avec le (la) psychologue,
– les enjeux du retrait de la conflictualité œdipienne,
– et, enfin, la place de l’idéal.

➤ La rencontre de l’enfant en période de latence


C’est bien souvent sur le mode d’une forme de toute-puissance, ou de
certitude, en appui sur l’investissement intellectuel et la culture, que les
enfants, dans cette période de la latence, se saisissent de la planche de
l’épreuve de Rorschach. Cette toute-puissance peut, bien sûr, dans un
processus de retournement en son contraire, emprunter l’expression de la
toute-impuissance :
Meriem (10 ans et 4mois), à la planche I
« Un ... lapin... un lapin d’Halloween parce que vue la tête qu’il a »
(enquête : « ses dents, les oreilles et ses yeux... ça fait penser à la citrouille
d’Halloween ▹ ah ! je vois autre chose : Bambi, à la rivière, en train de
sentir l’eau », réponse cotée Gbl F- A)

Les références culturelles et sociales (« Halloween », « Bambi ») semblent


permettre à Meriem de tenir à distance les enjeux pulsionnels et de les
contenir dans des figures suffisamment portées au plan de la culture.
Clara (9 ans et 6 mois)
« C’est des images comme ça ? # ... en vrai c’est quelque
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" ▹ " ! " # "

chose ? (...) ».

Par ailleurs, la sensibilité des enfants en période de latence à l’attente que


le (la) psychologue peut avoir à leur égard, à partir de la présentation des
planches, peut prendre une place centrale dans la rencontre. Cela se traduit,
par exemple, par le souci de faire plaisir au psychologue en proposant la
bonne réponse, ou bien par la projection, sur le clinicien, d’un savoir sur les
réponses attendues :
Oriane (10 ans), à l’issue de la planche VI
« (...) Vous avez les réponses ? », puis à l’issue de la planche VII : « parce
que vous vous savez pas ce qu’il y a ? ».
240 Expression projective au Rorschach et développement psychoaffectif

C’est ici la nécessité pour l’enfant de contrôler, au plan de l’activité


intellectuelle, la production projective, qui organise le lien au psychologue...

➤ La mise en retrait de la conflictualité œdipienne


Dans cette période, on peut voir se réduire l’expression des investissements
libidinaux (qui restent néanmoins actifs de manière sous-jacente) selon deux
voies principales :
• La voie de l’investissement des opérations intellectuelles, qui se traduit,
dans les réponses proposées à l’épreuve de Rorschach, au travers d’un
vocabulaire choisi, symbolique, riche et exposé comme tel, ou au travers
de la recherche de l’adéquation la plus précise quant aux mots utilisés,
ou, enfin, au travers de la manifestation d’intérêts intellectuels, signalant,
au fond, la qualité de la résolution du conflit œdipien :
Esther (8 ans et 1 mois), à la planche II
« (...) et là on dirait que c’est des petits poissons, des petites soles comme
on a pêché en Normandie et même on a pêché des araignées de mer »
(réponse cotée Dd F- A)
Jean (8 ans et 5 mois), à la planche X
« (...) un crabe (D7)... les crabes, ça mange quoi ? » (réponse cotée D F+
A)
Joy (9 ans), à la planche I1
« Des enfants... qui s’amusent... ils se tiennent par la main et ils dansent »
(enquête : « parce que là il y a deux enfants et y a un petit enfant qui est
au milieu... et ils se donnent la main », réponse cotée G K H) ;

• La voie de l’inhibition, qui signe, quant à elle, une forme de malaise


et/ou d’échec dans la confrontation œdipienne, et qui se traduit par
des protocoles de réponses rétractés (réponses descriptives, plaquées au
stimulus) et d’une grande pauvreté fantasmatique (réponses que l’on
pourrait qualifier de convenues, prises dans la banalité et le conformisme :

1. On peut trouver le protocole dans son intégralité comme illustration des protocoles en période de
latence (cf. infra, p. 243).
Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent 241

Joséphine (9 ans et 9 mois), aux planches I à V


– Planche I : « Un loup, un renard, c’est tout » (enquête : « loup : museau,
tête, renard : museau pointu et les deux oreilles et pareil la tête », réponses
cotées G F+ A, puis G F+ A)
– Planche II : « Je sais pas... je sais pas (! ?) je sais pas non plus »
– Planche III : « Des filles c’est tout » (enquête : « deux filles, là y a des
jambes, le corps et la tête... au milieu j’avais oublié on dirait deux crabes »,
réponse cotée D F+ H Ban, R. Add. D F+ A)
– Planche IV : « L. 0.15’ !" Je sais pas »
– Planche V : « Une chauve-souris... un papillon... et voilà » (enquête : « les
ailes, et ça le corps », réponses cotées G F+ A Ban, puis à nouveau G F+
A Ban).

Cette séquence de réponses montre la manière dont l’enfant se dégage


de toute confrontation conflictuelle en proposant des réponses convenues,
prises dans une forme de normativité sociale. L’évitement des planches II
(avec sa sollicitation à la question de la castration) et de la planche IV (avec
sa sollicitation phallique) témoigne, en contrepoint, du retrait de Joséphine
à l’égard de la conflictualité œdipienne.

➤ La place de l’idéal et le risque de la dépression

C’est sans doute dans cette période de latence que peuvent se trouver
exacerbées les références à l’idéal, rejetons de la période phallique-narcissique
qui trouvent, dans ce temps de calme pulsionnel, une opportunité pour se
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déployer. En contrepoint, se profile le risque dépressif, témoin de l’échec


des engagements idéalisés, qui laisse l’enfant démuni face à des exigences
internes vis-à-vis desquelles il ne se trouve pas en mesure de se soutenir.
Les références à l’idéal se traduisent, la plupart du temps, au travers
de contenus idéalisés, très chargés au plan narcissique, qui peuvent être
illustrés :
• pour les filles, du point de vue de la référence à des parures et des
décorations, signes de puissance ou de séduction (collier, couronne...) ;
• pour les garçons, du point de vue de la référence à des personnages et/ou
des attributs propres à conforter leurs ambitions narcissiques (géants,
extra-terrestre, épée miraculeuse...).
242 Expression projective au Rorschach et développement psychoaffectif

L’expression des mouvements dépressifs prendra des formes diverses, sera


souvent portée par des représentations affectées dans leur qualité/intégrité
(effacement, vieillissement, perte de consistance, atteinte de l’enveloppe...)
et se trouvera parfois intriquée au cœur des mouvements d’idéalisation.
Christophe (7 ans), à la planche III
« Une araignée... ça ressemble beaucoup à une araignée t’as vu ? là il y
a les yeux là il y a les pattes... est-ce que c’est une araignée ? le corps est
un peu effacé (...) c’est fait au feutre ? c’est du carton spécial » (réponse
cotée G F- A).
Là où l’on pourrait s’attendre à l’émergence d’une réponse humaine,
Christophe propose une réponse animale, dont il se montre peu sûr ; sa
tentative de trouver une réassurance auprès du psychologue ne se trouve
pas en mesure de contenir un vécu dépressif, manifesté en particulier par la
perte de la consistance de la représentation (« le corps est un peu effacé »).
Caroline (9 ans et 4 mois), à la planche III également
« Heu... deux dames qui se baissent pour prendre un sac et... elles ont la
peau... elles ont des habits un peu déchirés, et voilà » (enquête : « pantalon
et tee-shirt, là c’est déchiré vers le bas », réponse cotée G K H Ban).
Sébastien (10 ans), toujours à la planche III, fait alterner, au travers de
ses réponses, les marques de toute-puissance et de toute-impuissance :
« L. 0.20’ ... Ça... ! " ! "... çà ça pourrait être un Alien que j’ai tué
avec mon destroyeur de cellules... j’ai un jeu sur l’ordinateur où il y a
des Aliens, moi je les explose... là on voit bien les deux yeux... le dos à
demi découpé et les bras. on le voit bien... sinon c’est un Alien qui s’est
fait bouffer par un chien, mais c’est impossible il l’aurait bouffé avant »
(réponse cotée G F- (H)).

La dimension dépressive, ici portée par la référence morbide à la


destruction, se trouve contre-investie au travers de la référence à une position
héroïque, portée successivement par Sébastien (« un Alien que j’ai tué »)
puis par la figure de l’Alien elle-même (« il l’aurait bouffé avant »).
La présentation des protocoles de Joy (9 ans) et de Manoël (10 ans et
10 mois) permettra de préciser les principaux enjeux du fonctionnement
psychique et des expressions projectives à l’épreuve de Rorschach.
Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent 243

Protocole de Rorschach de Joy, 9 ans

Pl. Temps R Passation Enquête Cotation

Des enfants... qui parce qu’il y a deux enfants


s’amusent... ils se tiennent et y a un petit enfant
I 0:00:55 1 GKH
par la main et ils dansent qui est au milieu...ils se
donnent la main

2 Des cochons qui dansent, leur... (D3), leurs pattes et D kan A


II 0:00:30
c’est tout leur... leur trompe (D7) ! FC?

3 (L: 0:00:20) Là c’est un


III 0:00:50 D F+ A Ban
papillon

4 Elles ressemblent à des


D F- A
flamants roses

5 ou des dindes, c’est tout parce que les dindes elles


ont des pieds comme
D F- A
ça (E : deux personnes ?
Acquiesce sans un mot)

6 (L: 0:00:20) Un les babouins ils sont tout


IV 0:00:55 babouin qui s’est déguisé petits et là ça me fait G F+ A/(H)
en fantôme, c’est tout penser à des singes (Dsup.)

7 Une chauve-souris c’est deux petites antennes,


V 0:00:10 tout deux grandes ailes et deux G F+ A Ban
petites pattes.

8 Une étoile de mer accro- ça fait comme une étoile


chée à un bâton, c’est tout (D1) et là ça fait une
VI 0:00:40 Gz F- A/Obj.
forme de bâton, comme
les indiens

9 > Λ (L:0:00:30) Des ils sont sur des rochers


enfants... qui se parlent...
VII 0:00:50 GKH
qui se font un dialogue,
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

c’est tout

10 (prend la planche) Des ils montent sur des choses


DD kan A —>
VIII 0:00:35 caméléons qui s’est camou- et après ils se camouflent.
FC?
flé... c’est tout

11 (L:?) Je sais pas (V) G, ils ont les formes


IX 0:00:55 (E:?) ah oui... des... des des perroquets et ils res- G F- A —> FC?
perroquets... c’est tout semblent à des perroquets

12 V Des animaux... des ani- araignée (D1) et d’autres


X 0:00:20 D/G F+ A Ban
maux... c’est tout. bêtes

Durée totale de la passation : 00:06:40


244 Expression projective au Rorschach et développement psychoaffectif

(suite)

Pl.+ VII Parce que moi j’aime bien dialoguer et les enfants ils font comme moi.

V J’aime bien les petits cochons.

Comme ça, j’aime pas les babouins ils se déguisent en monstre parce que
IV
Pl. - ça me fait peur.

I Non !
V Je déteste les chauves-souris.

Commentaires cliniques du protocole de Joy, 9 ans


Le protocole de Joy se présente sur un mode un peu restrictif au plan du
nombre de réponses mais témoigne par ailleurs d’une grande vitalité dans la
dynamique qui sous-tend la production. Cette dimension restrictive, que
l’on pourrait rapprocher d’une forme d’inhibition, transparaît également
à l’occasion de la sollicitation du psychologue à l’égard de la réponse
humaine de banalité attendue à la planche III : la proposition d’une réponse
« deux personnes » adressée à Joy ne reçoit qu’un assentiment modéré, que
l’on peut comprendre comme s’inscrivant dans un vécu d’intrusion pour
l’enfant. En effet, l’analyse de l’ensemble du protocole montre que Joy a
soigneusement évité toute référence à des représentations humaines autre que
des représentations d’enfants, non identifiés au plan de leur appartenance
sexuée (planche I : « des enfants... qui s’amusent... ils se tiennent par la main
et ils dansent », et planche VII : « des enfants... qui se parlent... qui se font
un dialogue, c’est tout ». La proposition du psychologue, dans le cadre de
ce que l’on nomme « l’enquête des limites », ne vient-elle ici fragiliser les
aménagements défensifs de Joy (en forme de compromis), la contraignant à
des modalités plus radicales de défense ?
Au plan de la construction des réponses, dans l’ensemble les réponses
sont construites de manière satisfaisante, dans une répartition attendue des
réponses globales et des réponses de grand détail. On note l’absence de
participation des déterminants sensoriels, peut-être discrètement mobilisés
à la planche II (« des cochons qui dansent, c’est tout ») et, implicitement
sans doute à la planche VIII (« des caméléons ») et IX avec la réponse
« perroquet ». La présence de kinesthésies, animales et humaines, témoigne
de la richesse d’une vie imaginaire qui peut être convoquée dans la rencontre
avec les planches.
Des éléments plus dysphoriques peuvent être relevés, qui viennent
tempérer la tonalité du protocole. En effet, l’enquête, mais surtout
Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent 245

l’épreuve des choix, nous informent que la rencontre avec les planches IV
(autour de la figure des « babouins ») et V (avec la représentation de la
chauve-souris) s’avère mobilisatrice d’une forte angoisse... dont l’expression
est retenue lors de la passation. Tout se passe comme si la confrontation aux
figures archaïques et/ou phalliques venait mettre à mal la construction de
représentations qui se présentent, par ailleurs de manière générale, sur un
mode idéalisé.

Protocole de Rorschach de Manoël, 10 ans et 10 mois


Pl. Temps R Passation Enquête Cotation

Des ombres... des... je sais on voit le reflet de quelque


pas... on prend une ombre chose
on la redessine, ou c’est
une feuille puis dessus on
I 0:01:00 1 G FC’ (H)
essaie de la décalquer... on
aurait dit deux femmes
parce qu’il y a des ailes et
deux mains

2 Ben deux amis qui se debout, ils jouent


II 0:00:35 tapent dans la main et qui ensemble... deux jumeaux G K H
jouent ensemble...

3 On aurait dit deux per-


GKH
sonnes qui dansent

4 Là on aurait dit un poste poste de musique au


de musique avec des ins- milieu (D7)
III 0:00:35 truments en haut (D2) et G K H Ban
des personnes qui dansent
du classique

5 Pour moi on aurait dit un pour moi ça ressemble pas


© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

monstre avec trois pieds à grand chose


IV 0:00:30 G F+ (H)
et deux trucs sur les côtés,
deux bras

6 On aurait dit une chauve- pattes, tête et ailes


V 0:00:25 souris volante, qui vole G kan A Ban
c’est tout

7 Celle-là on aurait dit la on aurait dit que c’est plat


VI 0:00:25 peau d’un animal étendue (animal mort) G F+ A dev
par terre
246 Expression projective au Rorschach et développement psychoaffectif

(suite)
8 On aurait dit deux assises, elles se regardent
femmes, noires, en train en face avec leur drôle
G Katt H
VII 0:00:30 se parler... rien d’autre de coiffure et elles sont
—> FC’
comme ça avec les coudes
en arrière.

On aurait dit des per- qui coupent les buissons


sonnes (D1) qui taillent
un arbre pour faire une
VIII 0:00:45 9 drôle de forme et en des- G K Scène
sous de cet arbre il y a
des personnes qui font un
pique-nique (D2)

10 On aurait dit... deux dra- grand cou, tête (D3) et


gons qui se crachent du leurs corps (D1)
feu là... et, en bas ça serait truc grand G K (H)
IX 0:00:40
comme une sorte d’arène —> FC ?
(D6) où ils sont les deux
dessus...

11 On aurait dit... deux... D1


X 0:00:35 D F+ A
deux insectes sur le côté

12 et au milieu on aurait dit parce qu’il y a plusieurs


G FC A
un papillon couleurs

13 et on aurait dit aussi que quand on le met sur le


c’est un masque visage y a plein de couleurs Gbl FC Obj

Durée totale de la passation : 00:06:00

Pl+ X Parce qu’il y a beaucoup de couleurs pas vraiment réaliste.

IX C’est un peu fou.

Pl - VI J’aime pas les animaux qui meurent.

Quand ils coupent les feuilles c’est comme s’ils arrachaient des membres
VIII
à l’arbre.

Commentaires cliniques du protocole de Manoël, 10 ans et 10 mois


La passation de l’épreuve de Rorschach s’ouvre sur une interrogation déguisée
de Manoël quant à l’origine du matériel : sa première verbalisation tente
d’en circonscrire l’étrangeté au travers de l’appréhension de la technique qui
fonde la réalisation des planches. Le souci de comprendre, avec la dimension
du contrôle qui y est attachée, est ici prégnant. Sur ce fond de quête de
réassurance, la dimension du contrôle prendra une autre forme tout au
long du protocole, dans la mesure de la précision des réponses proposées
Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent 247

par Manoël : précision du vocabulaire, précision des descriptions des


représentations proposées et en particulier des représentations de relations.
Elle se traduit également par le fait que l’ensemble des réponses proposées
se présente comme des réponses globales (dont une réponse globale blanc).
Les kinesthésies humaines, qui sous-tendent ces représentations de
relations, sont effectivement particulièrement présentes dans ce protocole
(6 pour un nombre total de réponses relativement modeste puisque
limité à 13). D’une manière générale, ces kinesthésies se fondent sur des
représentations de bonne qualité formelle et dans des découpes cohérentes
du stimulus. On peut évoquer ici deux exemples de ces réponses, d’un
bon niveau d’élaboration, et qui attestent d’un investissement des processus
intellectuels comme on peut l’attendre dans la période de latence :
• À la planche II : « Bon, deux amis qui se tapent dans la main et qui jouent
ensemble » ;
• À la planche III : « Là on aurait dit un poste de musique avec des
instruments en haut et des personnes qui dansent du classique ».
Les déterminants sensoriels sont appelés au travers de réponses couleur
(FC’ et FC), parfois davantage implicites qu’explicités, qui témoignent,
en contrepoint des mouvements de contrôle, d’un investissement du pôle
affectif de la personnalité, potentiellement explosif (planche IX : « On aurait
dit... deux dragons qui se crachent du feu là... et, en bas ça serait comme
une sorte d’arène où ils sont les deux dessus... »).
Dans ce contexte, les assises narcissiques-identitaires apparaissent stables,
dans une bonne facture ; le retrait identificatoire (absence d’identification
sexuée des personnages) protège sans doute Manoël d’une rencontre avec la
sexualité génitale. On notera, enfin, que la réponse proposée à la planche VIII
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

(« On aurait dit des personnes qui taillent un arbre pour faire une drôle
de forme et en dessous de cet arbre il y a des personnes qui font un
pique-nique ») procède d’un mouvement qui pourrait être identifié dans le
registre narcissique-phallique, mais qui se trouve tempéré par la verbalisation
de Manoël à l’épreuve des choix : « Quand ils coupent les feuilles c’est comme
s’ils arrachaient des membres à l’arbre »).
248 Expression projective au Rorschach et développement psychoaffectif

La pré-adolescence et les premiers vacillements1

Les auteurs de référence, dans le champ psychanalytique, insistent sur le


breakdown de l’adolescence (M. et E. Laufer, 1984), expression que l’on
traduit habituellement par le terme de « rupture dans le développement » ou,
comme le propose plus près de nous P. Gutton (1991), sur le « traumatisme
pubertaire ». D’une manière ou d’une autre, il s’agit de rendre compte
de la manière dont l’entrée dans l’adolescence représente une forme de
séisme somato-psychique, bouleversement des repères de l’enfant en devenir
d’adulte, initié par le surgissement de la puberté, qui introduit la nécessité
d’un réaménagement des investissements dans le registre du sexuel et de la
sexualité2 .
Ainsi l’entrée dans l’adolescence, qui caractérise ce temps que l’on nomme
pré-adolescence, mobilise-t-il de manière singulière le fonctionnement
psychique du sujet dans la mesure où le pré-adolescent (puis l’adolescent)
se trouve confronté à la nécessité de négocier de nouveaux aménagements
dans son rapport avec lui-même et avec le monde environnant.
De manière un peu schématique, on pourrait dire que le temps de la
pré-adolescence serait davantage consacré aux réaménagements de soi à soi
(enjeu identitaire), alors que le temps de l’adolescence à proprement parler
serait tourné de manière privilégiée vers les réaménagements au sein des
réseaux de relations (enjeu identificatoire). À ce titre, la partition de ce
développement consacré à l’adolescence autour du repérage de deux temps
distincts (pour P. Gutton, pubertaire dans un premier temps, adolescens dans
un second) comporte une partie d’arbitraire, tant l’intrication des enjeux
entre ces deux temps du développement psychoaffectif est étroite. Cette
partition a ainsi davantage une fonction pédagogique, afin de permettre
la présentation d’une délimitation de chacun de ces enjeux, dont on peut
faire aisément l’hypothèse qu’ils traversent l’ensemble du continent de
l’adolescence.

1. Pour une approche spécifique de la pratique de épreuves projectives à l’adolescence, le lecteur


est renvoyé à l’ouvrage de M. Emmanuelli et C. Azoulay (2009), Pratique des épreuves projectives à
l’adolescence, Paris, Dunod.
2. La problématique des violences sexuelles à l’adolescence constitue un observatoire privilégié de
l’enjeu des remaniements du sexuel et de la sexualité à l’adolescence (Roman, 2012) ; une approche
clinique et projective est proposée dans l’ouvrage cité.
Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent 249

Rappelons en effet que dans le temps de l’adolescence (de son entrée


jusqu’à sa résolution), le sujet est confronté à deux ordres d’expérience qui
réinterrogent l’ensemble de ses repères1 :
• Au plan identitaire, la transformation du corps mettant en jeu la définition
des limites du préadolescent ;
• Au plan identificatoire, l’accès à une maturité corporelle engageant de
nouvelles modalités de lien, à partir de la réactivation des fantasmes
meurtriers et incestueux issus de la période œdipienne.
On dit souvent que l’adolescence vient rejouer l’histoire infantile du
sujet, en l’invitant (voire en le contraignant) à revisiter l’histoire de son
fonctionnement psychique. Dans le temps de la pré-adolescence, il semble
que l’on puisse dégager trois aspects majeurs des réaménagements engagés :
– celui de l’identité,
– celui de l’image du corps et de la construction d’une identité sexuée,
– celui du maniement de la problématique activité/passivité.
C’est autour de ces trois aspects que seront abordées les traductions
projectives du travail psychique à la pré-adolescence.
On peut signaler au préalable que les protocoles des pré-adolescents sont
parfois assez pauvres en termes quantitatif (faible nombre de réponses)
et qualitatif (qualité de la verbalisation). L’inhibition domine alors la
production projective : on peut soutenir l’hypothèse que la proposition de
l’épreuve de Rorschach viendrait actualiser le vécu traumatique pubertaire et,
en quelque sorte, déborder les potentiels de symbolisation du pré-adolescent.
Signalons également le caractère séducteur–traumatique que peut revêtir la
proposition, par un adulte, d’une tâche qui s’impose à l’adolescent. D’une
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

certaine manière, la sollicitation de l’adolescent à partir de l’épreuve de


Rorschach le place dans la même position de passivité que la survenue
pubertaire, passivité à l’égard de laquelle il ne trouvera pas nécessairement
les ressources pour la supporter, ou pour s’en dégager de manière créative.

➤ Les remaniements identitaires


Les remaniements identitaires rendus nécessaires par l’irruption pubertaire
peuvent mobiliser le pré-adolescent dans une forme de doute, qui porte tout

1. N. Rausch de Traubenberg (1993) propose une approche précieuse de la « clinique du normal à


l’adolescence à laquelle on peut utilement se référer.
250 Expression projective au Rorschach et développement psychoaffectif

à la fois sur les enjeux de séparation–différenciation et sur la construction


de l’identité sexuée. Ce doute peut s’exprimer de différentes manières :
• À l’égard du choix et de l’explicitation d’une découpe, support de la
production de la réponse, et, au-delà, de la construction des limites qui
procèdent de la construction des enveloppes ; la sensibilité aux zones
intermaculaires des planches (II, VII et IX en particulier), et à leur impact
sur le versant de la perte de la continuité, en constitue une des formes
les plus repérables (manifestée en forme de refus et/ou de mise à mal de
l’intégrité des représentations) :

Flora (13 ans et 1 mois), à la planche VII


« Une peau de souris et voilà » (enquête : « pour la couleur et tout à
l’heure j’ai vu la même chose mais avec la tête, on enlève la tête... »,
réponse cotée G C’F Adev).

La saisie globale du stimulus, à partir d’un déterminant sensoriel


introduisant un caractère dysphorique à la réponse, est marquée par l’impact
de la grande lacune centrale de la planche qui altère l’intégrité de la
représentation. La référence à une précédente réponse (planche IV : « une
souris, un hamster mort », outre qu’elle donne à penser du point de vue
d’une persévération portant sur le contenu de représentation « souris », vient
témoigner de l’investissement par Flora de la dialectique plein/creux et de
ses enjeux au plan de la continuité représentative ;
• À l’égard de l’affectation d’une représentation dans la rencontre avec
le stimulus de l’épreuve de Rorschach : cet aspect est particulièrement
sensible, et identifiable, lorsque les réponses proposées s’inscrivent dans
la même découpe du stimulus et, le plus souvent, en appui sur le même
déterminant :

Laurent (12 ans et 6 mois), aux planches I, II et III


– Planche I : « Un lapin... ( ?) ben un chat » (enquête : « lapin, les dents, les
oreilles, les petites moustaches et les yeux (Ddbl), chat, le nez, les oreilles,
les yeux (Ddbl) et là ses petites... », réponses cotées toutes les deux Gbl
F- A) ;
– Planche II : « Ah oui ! un chat... un chien et puis c’est tout » (enquête :
« chat, la langue (D3), les poils là (D1), les yeux (D2) le nez (Dbl), chien,
langue, yeux, nez », réponses cotées toutes les deux Gbl F+ A) ;
Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent 251

– Planche III : « Un taureau... ou une vache... je vois pas d’autre... »


(enquête : « les cornes (D2), deux yeux et le nez (D7), vache, sans les
cornes, plutôt la tête », réponses cotées G F- A, puis (G) F- A).

Il est intéressant de noter qu’après avoir exprimé un doute sur l’espèce


animale de référence aux planches I et II, l’incertitude s’exprime à la planche
III au plan du genre : Laurent propose alors une figuration de la castration
en ayant recours à un mode d’appréhension de la tache sur le mode de la
réponse globale amputée.
En filigrane, on peut entendre que la question des remaniements
identitaires mobilise de manière sensible les enjeux dépressifs chez le
pré-adolescent : si ces enjeux sont globalement assez peu explicites au plan
de l’émergence de l’affect dépressif, on sait bien qu’ils sont présents tant au
décours des pratiques addictives que des conduites à risque de l’adolescence.
Au plan des productions projectives, c’est bien souvent au travers des réponses
de non-séparation qu’apparaît cette dimension (réponses collées, siamoises...),
réponses qui témoignent de la prégnance de défenses anaclitiques.

➤ L’image du corps
La remise en question des contours de l’enveloppe corporelle vient interroger
tout spécialement le rapport entretenu par les pré-adolescents avec la symétrie.
Rappelons ici la proposition de N. Rausch de Traubenberg (1994) selon
laquelle l’épreuve de Rorschach « teste une image du corps intégrée ».
Dans ce contexte, deux aspects principaux pourront être mis au travail qui,
chacun à leur manière, contribuent à spécifier les modalités de construction
de l’image du corps (unification et intégrité de l’image du corps) et de ses
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

prolongements relationnels :
• Le maniement de la symétrie dans la double polarité que représentent
la possibilité de construction de réponses unitaires d’une part et
l’engagement d’un jeu avec le caractère bilatéral des planches d’autre
part ; l’attention portera tout à la fois sur la qualité des découpes retenues
par le pré-adolescent et sur sa capacité à instaurer une dynamique à partir
de la symétrie (redoublement des réponses, réponses reflets et miroirs,
réponses kinesthésiques et de relations...) :
Valérie (13 ans et 6 mois), à la planche VII
« Euh... euh... deux filles, deux jumelles, qui sont sculptées sur une pierre,
sur une balance » (enquête : « la pierre, ça fait une balance, et là les
252 Expression projective au Rorschach et développement psychoaffectif

jumelles elles sont identiques, sauf elles sont face à face », réponse cotée
G F+ H/Art).
L’appui sur la bilatéralité de la planche permet de construire une figure
de double, soutien d’une image du corps intégrée... qui échoue à se
trouver habitée libidinalement. Cet échec se trouve comme redoublé à
la planche VIII, où la couleur (et/ou l’aspect plus compact de la planche ?)
semble avoir un effet désorganisateur dans le projet de la construction de
l’image du corps : « on dirait un squelette... euh... et on dirait qu’il a des
pinces comme des crabes et puis on dirait aussi de chaque côté il y a un rat
qui monte de la terre jusqu’à la racine d’un arbre » ; enquête : « là on dirait
la colonne vertébrale (D axial), avec les côtes, je sais pas... non deux rats
parce qu’il y en a un de chaque côté », réponse cotée G kan A/Anat).
On notera, outre la référence au squelette qui signe une atteinte de
la qualité de l’enveloppe corporelle, la coexistence de représentations
anatomique et animale sans articulation très précise... et dans une tonalité a
minima persécutoire (destruction de l’intégrité ?).
Sarah (14 ans), paraît davantage en mesure de prendre appui sur la
bilatéralité de la planche VII, avec un jeu entre appréhension de la forme et
du fond de la planche :
« ! (fait le tour du blanc avec son doigt) Un champignon (Dbl)...
" une bouteille (Dbl)... avec deux dames, une là et une là, elles se

regardent » (enquête : « les cheveux, le visage, deux mains, la jupe »,


réponses cotées Dbl F+ Bot, puis Dbl F+ Obj, puis G KAtt H).

Il est intéressant de constater d’une part la manière dont Sarah se trouve en


mesure de soutenir la structuration d’une représentation humaine féminine
intègre à partir de la saisie du fond de la planche (réponses dans le détail
blanc) et d’autre part le maintien de l’ambiguïté quant à la dimension
unificatrice du miroir (réponse miroir ou réponse de relation ?) dans la
mesure où la description de la représentation humaine, à l’enquête, est
réalisée au singulier et porte sur une seule moitié de la planche ;
• La prise en compte de la qualité de la construction de l’enveloppe, avec la
prise en compte de la place occupée par les réponses « peaux »1 (C .Chabert,
1989) et, de manière plus large, la répartition des réponses selon la

1. Les réponses « peaux » désignent, selon C. Chabert, des réponses qui mettent l’accent sur les
enveloppes : vêtements, enveloppes corporelles, fourrures... elles recouvrent pour une part les réponses
cotées « Barrière » par S. Fisher et S.E. Cleveland.
Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent 253

cotation Barrière et Pénétration, qui signale les marques de continuité et


de discontinuité de l’enveloppe, et les modalités de l’atteinte de celle-ci.

➤ La dynamique activité/passivité
La dynamique activité/passivité, dont on connaît l’acuité dans le temps
de l’adolescence au regard de la charge traumatique des transformations
corporelles (cf. le vécu de l’adolescent d’être agi dans ces transformations,
qu’il ne peut que subir passivement) peut être appréhendée à partir de la
manière dont le sujet se saisit de la rencontre avec la planche et de l’impact
de celle-ci dans la construction des liens entre les représentations :
• On l’a dit, la proposition de l’épreuve projective de Rorschach peut être
vécue comme redoublement traumatique au regard de l’expérience de
la puberté. Des manifestations explicites d’un vécu de type persécutoire
peuvent être observées dans l’établissement de la relation avec le
psychologue :
Flora (13 ans et 1 mois), à l’issue de la planche IV
« Ça sert à quoi sans indiscrétion ? ». On entend, sous couvert d’une
formation réactionnelle, le vécu dysphorique attaché à la passation de
l’épreuve de Rorschach.
Mounir (14 ans), à la planche VII
« ! " Encore pire... je sais vraiment pas c’est quoi ça ».
Richard (14 ans et 8 mois), déjà évoqué pour la verbalisation qui émerge
à la présentation de la première planche :
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

« C’est pas obligé que ce soit sur la sexualité ? » (référence au contexte


d’expertise judiciaire de la passation et à l’infraction à caractère sexuel
pour laquelle il est mis en examen).

• Le maniement des kinesthésies, et en particulier l’expression de kinesthé-


sies interprétatives, signe un vécu péjoratif de la situation de passivité, et,
parfois corrélativement, un mouvement de reprise active au travers de la
verbalisation :
Aurélie (13 ans et 10 mois), à planche IV
« Euh... là on voit enfin je vois plutôt une personne qui se met dans un
brouillard comme si elle avait peur de quelque chose (...) » (enquête :
254 Expression projective au Rorschach et développement psychoaffectif

« beaucoup de noir, là une personne, tout malheureuse (D axial) et là


c’est le brouillard... qui s’enfonce dans le brouillard comme si elle avait
peur de quelque chose ».

Le vécu persécutoire, porté par une figure humaine, est massif, et ne peut
ouvrir sur une voie de dégagement pour la jeune fille.
Eric (14 ans et 11 mois), à la planche VI
« L.0.10’... Un serpent qui s’est fait écraser (il rit) là il y le trait du serpent
(D axial) et là il s’est fait écraser (D1) » (enquête : « là il y a la roue qui est
passée (D1) et là aussi (D3) et ça fait... (bruitage), et là le trait, droit... »,
réponse cotée G F- Adev).

Ici, on assiste à un déplacement du mouvement persécutoire sur une


représentation animale (ici le serpent, dont le symbolisme phallique ne
peut échapper...) et à une tentative de reprise que l’on pourrait qualifier de
maniaque au travers du rire (à la passation) et des bruitages (à l’enquête).

La présentation des protocoles de Amel (12 ans et 9 mois) et de Vivien


(13 ans et 2 mois) permet d’illustrer les mouvements qui affectent la
production projective à l’épreuve de Rorschach dans le temps de la
pré-adolescence, en précisant d’emblée que ces protocoles se démarquent
quelque peu, au plan quantitatif, des protocoles souvent restrictifs dans ce
temps du développement psycho-affectif.

Protocole de Rorschach de Amel, 12 ans et 9 mois


Pl. Temps R Passation Enquête Cotation

1 Un papillon (prend la ... ben les ailes (D) j’ai


I 0:00:40 planche) si... un papillon pensé que les ailes les G F+ A ban
antennes (D central)

2 ou un scorpion voilà GF- A

3 ou une libellule aussi


tu peux mettre...je vais G F- A
toutes les faire ? cool !

4 V du sang... oui le machin rouge là (D2


II 0:00:35 D C Sang
+ D3)
Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent 255

(suite)
5 avec une chauve-souris D1 y restait que ça, j’ai dit
(rit)...une chauve-souris à tous les trucs avec des ailes,
Gz FC A dev
sang c’est quoi au fait une chauve-souris plein de
sang

6 Je sais pas c’est quoi...V la forme (D) j’ai dit quoi


un crapaud...ah oui ! Ca encore avec du sang ?
a l’air d’un crapaud...vous (E : deux personnes?) oui,
allez faire montrer ça au je viens de m’en rendre
III 0:00:35 G F- A
juge ? c’est pas méchant compte mais on dirait
ce que vous écrivez ? aussi des crapauds avec
leurs têtes
(R.Add : D F- A)

7 Oh ! géant... un ogre en je le voyais de loin


IV 0:01:05 GF+ (H)
fait si vous préférez...

8 un loup aussi... il res- l’impression d’être en bas


semble au loup de Blanche et lui en haut avec ses
Neige... non du Chape- pattes à loup
ron Rouge... ou aussi de GF+ A
Blanche Neige... vous êtes
gaucher... vous vivrez plus
longtemps ...

9 Je peux redire les mêmes ? elle a la forme et elle a la


Ça ressemble aussi à une vision... on a l’impression
V 0:00:35 G F A Ban
chauve-souris encore... que c’est une vraie
j’en ai déjà vu une

10 Y a de drôles de choses là ça me fait rappe-


hein ? attends ! ça me ler (D6)...j’avais l’impre
VI 0:00:45 G F- A
rappelle des choses... un ssion d’avoir pensé aux
léopard... Pokemon...

11 non un âne...on dirait un âne couché (Dax) bouche


© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

âne affalé... comment on et poils G F- A


dit quand il est couché?

12 Des chats en train de se D2, on dirait aussi des per-


disputer... sonnes... non? Des chats
VII 0:00:15 G kan A
avec une pierre en train
de se disputer

13 Ah! Ah! Ça me rappelle le dedans... ça, la colonne


G F- Adev
VIII 0:00:40 la dissection d’une gre- vertébrale... ça, les boyaux
—> FC?
nouille

14 et y a des rats autour... c’est


D F+ A Ban
vrai on en a disséqué une...
256 Expression projective au Rorschach et développement psychoaffectif

(suite)
15 (prend la planche) une D5 colonne vertébrale de
IX 0:00:40 colonne vertébrale... y a quelqu’un D F+ Anat
une colonne vertébrale

16 un nez Ddbl Ddbl F- Hd

17 et des bestioles autour bestioles mais je vois pas


quoi...
D3 petites fourmis, D F- A
D1 éléphants,
D6 cochons

18 Alors une araignée...non D1


X 0:00:40 D F+ A ban
deux araignées

19 y a deux crabes avec D7 D F+ A

20 y a des fils de poissons D2 D F- A

21 Une paire de lunettes D6 D F+ Obj

22 Ça je sais pas c’est quoi? D9


Ce machin rose... pince D4
et un fil, deux fils élec- D F+ Obj
triques... c’est vrai on
dirait une pince!

Durée totale de la passation : 00:06:30

Pl + J’hésite entre deux.

VII C’est tombé entre Amstramgram J’aime bien les chats.

VI Celle-là j’aime bien les léopards.

Pl- IX Parce que c’est tombé sur Amstramgram y a pas de formes.

II Celle-là aussi elle a pas beaucoup de formes.

Commentaires cliniques du protocole de Amel, 12 ans et 9 mois


Le protocole de Rorschach de Amel comporte un bon nombre de réponses,
et il témoigne d’une dynamique psychique qui se trouve mise en scène
dans le cours même de la passation. Amel donne à entendre des éléments
de son dialogue intérieur (planche I : « un papillon... si un papillon », la
confirmation, spontanée, de la réponse impliquant l’émergence d’un doute,
non verbalisé) et d’une interpellation du psychologue :
• sur la situation projective avec l’interrogation et l’exclamation de la
planche I : « je vais les faire toutes ? cool ! » ;
Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent 257

• sur le contexte de la passation de l’épreuve, avec la référence au cadre


judiciaire dans lequel se déroule l’examen psychologique au sein duquel
est incluse la proposition de l’épreuve de Rorschach à l’occasion de la
planche III : « vous allez faire montrer ça au juge ? c’est pas méchant ce
que vous écrivez ? » ;
• sur sa propre production à la planche V : « je peux redire les mêmes ? ».
En filigrane, se donne entendre une quête de lien et de protection
(planche IV « (...) vous êtes gaucher, vous vivrez plus longtemps... », ainsi
qu’un besoin de réassurance, face à une situation qui semble atteindre les
repères identitaires de Amel : on notera les nombreuses références à des
contenus animaux plutôt dysphoriques (planche II : « (...) chauve-souris
à sang » ; planche VIII : « (...) dissection d’une grenouille » ; planche IX :
« colonne vertébrale »...). Si les contours de l’image du corps apparaissent
comme relativement flous, voire attaqués, on constate que les points d’appui
identitaire et identificatoire que représentent les figures humaines sont
absentes du protocole (si ce n’est le « géant, ogre si vous préférez... » de
la planche IV) : les réponses proposées sont essentiellement des réponses
animales, qui se présentent, constitutionnellement (papillon, libellule) ou
conjoncturellement (chauve-souris, grenouille, rat...) dans une fragilité
voire une atteinte de leur intégrité. Dans ce contexte où la continuité de
l’enveloppe est mise en scène dans la passation de l’épreuve, le déploiement
identificatoire se trouve empêché au sens où il apparaît d’une certaine
manière comme anachronique.
Au plan de l’expression des affects, c’est essentiellement un vécu
d’étrangeté, voire d’impuissance (cf. les différentes marques qui témoignent
de l’impuissance d’Amel à proposer la bonne réponse, à investir le bon
mot...), comme si elle pouvait se vivre comme étant débordée (dépassée)
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

par la situation projective.

Protocole de Rorschach de Vivien, 13 ans et 2 mois


Pl. Temps R Passation Enquête Cotation
1 Je dirais une sorte de deux ailes, c’est
papillon...(?) (soupire)... symétrique
I 0:01:05 G F+ A Ban
ç’aurait pu... vu la forme,
déjà c’est symétrique
2 ça pouvait être la carte les mers (Ddbl), les
des pays avec les étendues contours, petites îles Gbl F+ Geo
d’eau, les côtes (Dde)
258 Expression projective au Rorschach et développement psychoaffectif

(suite)
3 ou encore un animal, buste d’un animal (girafe)
D F+ A
l’oreille, le museau
4 deux yeux (D2), un nez, un visage
II 0:01:40 une bouche, sinon je vois Gbl F+ Hd
pas
5 Là on dirait la forme d’un Dbl F+ A
insecte, là le centre (Dbl)
une mouche, des ailes, une
bestiole avec des ailes...
ou alors je dirais une per-
sonne qui se regarde dans
le miroir, le corps, la tête,
6 il serait assis sur quelque
chose et c’est son reflet
dans le miroir...en tout cas
deux personnes identiques

Gbl F+ H
—> Katt
7 (L: 0:00:30) J’aurais dit sorte de sourire (Bas Dbl)
III 0:00:55 une sorte de visage, deux G F- Hd
yeux (D3)
8 ou encore un col avec un D/Dbl F+ Obj
nœud-papillon Ban
9 ou encore deux personnes D F+ H Ban
10 C’aurait pu être une sorte visage, pieds, jambes, bras
IV 0:00:50 G F+ H
de personnage
11 ou alors deux bottes accro-
chées sur une sorte de D/G F+ Obj
pilier... c’est tout
12 Un insecte avec des (? E) je sais pas vraiment
V 0:00:30 antennes, des ailes... je G F+ A Ban
vois rien d’autre
13 Un bateau vu de face, le drapeau (D2)
pont, les voiles (Dax), le
bâtiment ce serait soit un
VI 0:01:00 bâtiment de guerre, soit G F+ Obj
un bâtiment de commerce,
un cargo ou encore un
porte-avion
14 sinon deux quais dans une vue en coupe
gare, c’est tout ce que je G F- Arch
vois
Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent 259

(suite)
14 Le reflet de quelqu’un
dans le miroir... deux per-
VII 0:01:25 Gbl F+ H
sonnes identiques c’est
tout ce que je vois.
15 Ou alors une sorte de
moule...un moule pour
faire fondre un... je vois Dbl F- Obj
pas vraiment, une sorte de
coque
16 Je dirais pour les per- verres (D4) comme le...
sonnages ce serait plutôt
deux bretonnes avec un G F- Obj
chapeau ou encore des
lunettes de soleil
17 Une coque de navire vu de face, assez bas, rond,
viking, je dirais plutôt que pas large
VIII 0:01:25 G F- Obj
ce serait un navire de com-
bat vu qu’il est assez profilé
18 Ou alors sinon une sorte je pense pas, après G F- Frag
de feu d’artifice réflexion —>kex ? FC ?
19 ou encore deux pompiers ombre (D1), jet d’eau
aspergeant je sais pas quoi, (D4) (E : Deux ani-
une sorte de mât, des maux ?) soit deux singes, G K H
ombres plus précisément soit une sorte de léopard
de pompier... c’est tout
20 (L: 0:00:10) (soupire) le moule d’un trophée
Ici on aurait dit un trophée
IX 0:01:00 Dbl F+ Obj
(Dbl)... sinon je vois pas
ce que ça pourrait être
21 Un feu d’artifice (D1) D kex Frag
X 0:00:25
—>FC ?
22 Ou encore une tour (D8 +
DD F+ Arch
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

D9)
23 Ou une fusée (D8) c’est ou encore une tour de châ-
tout ce que je vois teau mystérieux avec yeux
et bouche (Dans Ddblk
D F+ Obj
central)
(R.Add : D/Ddbl F-
Arch)
Durée totale de la passation : 00:10:15
Pl + hésite entre VI, VIII, IV
VIII J’ai toujours aimé les vikings, bateau et contes (IV = botte de 7 lieues)
Pl- IX Elle n’a pas vraiment de sens.
260 Expression projective au Rorschach et développement psychoaffectif

Commentaires cliniques du protocole de Vivien, 13 ans et 2 mois


Le protocole de Vivien semble être construit autour de deux thématiques
principales : celle de l’interrogation sous-tendant les remaniements identi-
taires initiés par la puberté avec les réponses miroir d’une part (planches II
et VII), et celle du voyage d’autre part (planches I, VI, VII, VIII voire
X). Le fil projectif se déploie le long de ces deux objets d’investissement,
traçant métaphoriquement ce qui pourrait être le projet de l’adolescence : un
voyage au cœur de l’expérience du miroir... La dimension du redoublement
des réponses (planches II, III, IV, VI, VII, VIII), y compris, comme on
peut le constater, aux planches le plus unitaires de l’épreuve au-delà des
deux réponses miroir, met l’accent sur le risque que représente l’expérience
pubertaire pour l’identité de Vivien. On pourrait alors comprendre que
son accrochage à la symétrie des planches, à partir desquels les réponses
redoublées peuvent s’arrimer, a une fonction de substitution à un arrimage
interne, dont il cherche peut-être une figuration au travers des représentations
de bateaux qui se succèdent sur le mode de la persévération et qui sont
présentées comme massives, voire menaçantes (planches VI et VIII)...
On peut entendre en filigrane de quelle manière Vivien convoque ces
représentations comme support pour la construction d’une image du corps
intégrée.
Les modes d’appréhension des réponses (24 réponses) oscillent entre
réponse globale (dont réponses globale blanc) et réponses de grand détail
(dont détail blanc) et ouvrent sur l’expression de représentations dont la
qualité formelle n’est pas toujours avérée (planche VI : « (...) sinon deux
quais dans une gare (...) » ; planche VII : « (...) ou alors une sorte de moule...
un moule pour faire fondre un... je vois pas vraiment, une sorte de coque »...).
La dynamique pulsionnelle est investie d’une part dans le registre de la
passivité (peu de kinesthésies humaines, puisque deux au total dont une
kinesthésie d’attitude à la planche II « une personne qui se regarde dans le
miroir...(...) » et d’autre part dans l’activité, sur un mode quasi-maniaque,
dans la rencontre avec les planches pastel, signant une forme d’échec des
fonctions de pare-excitations de l’appareil psychique (planche VIII : « (...) ou
alors sinon une sorte de feu d’artifice... ou encore deux pompiers aspergeant
je sais pas quoi, une sorte de mât (...)... » et, dans le même temps, une
revendication phallique qui soutient l’identité de Vivien dans ce temps de
vacillement. La position passive des kinesthésies met, bien sûr, un frein aux
engagements relationnels sur un versant génital.
Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent 261

L’adolescence et ses remaniements

Le temps de l’adolescence à proprement parler ouvre sur de nouvelles pers-


pectives d’investissement relationnel pour l’adolescent. On peut s’attendre
à ce que les assises identitaires et narcissiques aient repris d’une certaine
manière leurs droits, en appui sur un investissement suffisamment affirmé
de l’identité sexuée. À partir de là, pourront se déployer de nouveaux réseaux
de sens dans la rencontre de l’adolescent avec le monde qui l’environne ;
tant les expériences d’appartenance groupale, qui permettent à l’adolescent
de jouer et rejouer, à partir de ces nouvelles affiliations, les enjeux de sa
propre filiation, que les expériences amoureuses vont ouvrir et conditionner
une redéfinition de sa place dans les liens aux autres, et au sein de la famille
en particulier.
C’est ainsi que l’on peut considérer que le temps de l’adolescence est tout
à la fois temps de la confortation de l’identité sexuée et du choix d’objet,
temps de renégociation de la dynamique des identifications et, enfin, temps
de mise à l’épreuve des investissements pulsionnels.
D’une manière générale, les protocoles de Rorschach d’adolescents
retrouvent une certaine consistance dans cette seconde partie de l’adolescence
et peuvent être mis en perspective avec les protocoles d’enfants en période
oedipienne. Les protocoles se présentent en effet de manière plutôt généreuse,
et sont moins marqués par la restriction que les protocoles des pré-adolescents.
On peut estimer que l’expérience d’une sécurité narcissique retrouvée
contribue à un déploiement possible de l’imaginaire.

➤ L’identité sexuée
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Le temps de l’adolescence serait le temps où la question de l’identité sexuée


et, partant, du choix d’objet sexuel, se trouverait mise à l’épreuve dans
la confrontation aux planches de l’épreuve de Rorschach. Dans ce sens,
l’identification sexuée des personnages est plus nette, et se présente sur le
mode d’une affirmation tant au plan du choix de la découpe du stimulus
que de la verbalisation.
Marine (15 ans et 7 mois), à la planche IV
« C’est un monsieur couché...je sais pas pourquoi je suis avec les gens, en
tous les cas, c’est très joli, c’est original » (enquête : « les pieds, la tête, les
bras », réponse cotée G F+ H)
puis, à la planche VII
262 Expression projective au Rorschach et développement psychoaffectif

« (se cache un œil)... pareil une dame qui se regarde mais avec des
différentes positions » (enquête : « une tête qui se regarde dans un miroir »,
réponse cotée G F+ H).

Si le doute peut subsister, il semble pouvoir être envisagé dans une


ambivalence suffisante pour autoriser un jeu entre les représentations, ou
encore l’émergence de représentations de compromis :
Timothée (15 ans et 10 mois), à la planche X
« Une femme avec des lunettes et des moustaches, ou un mec avec des
cheveux longs, avec des flocons de neige (D1) » (réponse cotée D/Ddbl
F+ H).
Nadège (16 ans et 9 mois), à la planche III
« Là on dirait deux bonnes femmes avec ... enfin le haut du corps on
dirait une bonne femme et le bas on dirait un... une queue de poisson ou
quelque chose comme ça » (enquête : « une tête, le corps d’une femme...
et le bas ça fait penser à une queue de poisson », réponse cotée G F- (H)).

Pour Timothée, l’incertitude quant à la définition de l’appartenance


sexuée des personnages dont il propose une représentation le conduit à
une oscillation équilibrée entre deux hypothèses... à l’égard desquelles il
ne tranche pas, laissant en suspens la question du choix. Nadège, quant à
elle, dans un mouvement que l’on peut comprendre comme relevant de
la désexualisation des représentations, fait le choix d’une forme hybride,
mi-femme, mi-poisson, au travers de l’évocation à demi-mot d’une sirène...
dont on connaît par ailleurs le pouvoir mythique de séduction.

➤ Les enjeux identificatoires et les représentations de relations

À partir d’une définition des caractères princeps de l’identité sexuée,


l’adolescent peut se risquer dans la figuration de relations entre des
personnages et/ou leurs substituts. Les représentations humaines peuvent
prendre appui sur la différence des sexes ou des générations et, à partir de
là, se proposer comme support pour une mise en scène des liens... dont le
déploiement n’est pas toujours avéré.
Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent 263

Amélie (16 ans et 2 mois)1 , à la planche VII, tente de proposer une


représentation de relations, qui mobilise, dans la juxtaposition des réponses,
la présence possible (potentielle ?) de deux générations :
« (elle éloigne la planche) Là c’est deux... deux bébés ou deux bon-
hommes... avec des cheveux qui font comme ça... qui se regardent, qui
se bloquent avec une main aussi qui part en arrière » (enquête : « deux
bébés, deux petits enfants, qui se regardent », réponse cotée D K H).

Si cette réponse met en jeu une forme de profondeur apportée par


la référence générationnelle, elle témoigne, dans le même temps, d’un
évitement d’une prise de position quant à l’identité sexuée des personnages.
Le jeu identificatoire, qui se déploie, on l’a vu, sur le fondement des
assises narcissiques, peut venir prendre appui sur la référence à la culture et,
ainsi, soutenir les investissements de l’adolescent.
Sabrina (16 ans et 1 mois), à la planche VII
« Ce sont deux... deux dames comme si elle est en face d’un miroir et
elle(s) se voie(nt)... c’est pratiquement la même chose » (enquête : « la
forme de la bouche, le nez, comme en Martinique on a des chapeaux
traditionnels... un portrait... ça pourrait être des personnes de face, mais
c’est bizarre avec le miroir », réponse cotée D KAtt H).

Parfois, les identifications empruntent plus explicitement la voie d’une


référence sociale en appui de laquelle elles pourront se décliner.
Thomas, 17 ans et 8 mois), à la planche III
« L. 0.10’ ... Un serveur, ou quelqu’un qui va se marier... et c’est tout »
(enquête : « il a un costume, un nœud-papillon, une chemise blanche »,
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

réponse cotée Gbl FC’ H)

Enfin, elles peuvent prendre la forme d’identifications héroïques, par-


ticulièrement présentes à la planche X, au travers de réponses qui tentent
d’organiser/ressaisir les parts dispersées du stimulus.

1. Le protocole d’Amélie est présenté ci-dessous, dans son ensemble, comme illustration des protocoles
d’adolescents.
264 Expression projective au Rorschach et développement psychoaffectif

Juliette (16 ans et 9 mois), à la planche X


« (...) on dirait un chevalier, un Samouraï, ça fait un casque avec un truc
en haut (elle rit)... oui, ou bien Moyen-Âge... je sais pas si vous voyez ce
que je veux dire, un gros casque en fer » (réponse cotée Gbl F+ H).

➤ La gestion des investissements pulsionnels (libidinaux et agressifs)

Au fond, on pourrait défendre l’idée selon laquelle le destin du travail de


l’adolescence consisterait dans un nouvel avènement de l’ambivalence : dans
ce contexte, les représentations proposées peuvent faire l’objet d’une mise
en tension, sans exclusive de l’expression dans un registre ou dans un autre
(dépassement du clivage bon/mauvais, libidinal/agressif...). La pré-condition
d’un tel travail psychique peut être référé à une sécurité sans ambiguïté des
assises narcissiques. Celles-ci peuvent néanmoins montrer leur fragilité au
décours des productions projectives.
Nicole, 16 ans et 9 mois, à la planche X
« Ben on dirait que c’est des animaux qui ont tué... je sais pas... des trucs
bizarres et qui essaient de rentrer quelque part... avec des petites fées
aussi. »

La référence à un mouvement agressif qui ouvre sur une atteinte à


l’intégrité, tend à désorganiser l’ordonnancement des représentations ; dans
ce contexte, l’émergence de la représentation des « petites fées »constitue une
forme d’issue magique, potentiellement réparatrice.
De la même manière, la tension entre les mouvements libidinaux et
agressifs n’est pas toujours assumée, ainsi qu’en témoigne la réponse proposée
par Félix (17 ans et 10 mois), à la planche VII :
« ! " là c’est deux femmes qui se regardent et on dirait qu’elles
s’engueulent, qu’elles vont se foutre sur la trogne... parce qu’elles ont les
mains en arrière (Félix retourne la planche et lit les indications liées à la
publication des planches)... c’est même pas français ces trucs... » (réponse
cotée G K H).

Si, dans un premier temps, le lien narcissique entre les deux femmes
semble être en mesure d’organiser une représentation de relations a priori
sereine (le lien de regard), celui-ci fait l’objet d’un glissement en direction
Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent 265

d’un lien dont l’on peut imaginer la teneur persécutoire... ouvrant sur une
expression agressive de la pulsion.
Cléopâtre (16 ans), aux planches IX et X, propose une séquence de
réponses qui figure la difficulté à se déprendre de modalités clivées de
saisie du monde environnant, au profit d’une dynamique relationnelle
suffisamment explicite.
Planche IX : « deux dragons (D3), c’est tout » (enquête : « ils sont rouges,
on dirait qu’ils jettent du feu », réponse cotée D K (H)/Elem > FC) ;
puis planche X
« (elle se rapproche de la planche) on dirait le diable (réponse D/Dbl),
avec deux taureaux (D8) en haut... des petits lutins sur les côtés (D1),
avec l’enfer en rouge (D9)» (enquête : « lutins, on dirait que c’est des
servants qui lui font de l’air avec des feuilles », réponse cotée D/Dbl FC
Scène).
La sollicitation sensorielle est massive, dans un contexte d’instabilité des
représentations : il semble qu’aucun support d’identification ne puisse se
trouver disponible pour assurer un jeu entre les polarités de l’investissement
pulsionnel. Sans doute la précision proposée à l’enquête et qui concerne les
« lutins » tente-t-elle de donner une issue, au-delà du risque du clivage. La
tentative de figurer le rafraîchissement d’une ambiance pulsionnelle aussi
brûlante augure favorablement d’une reprise active de la part de Cléopâtre,
face à un débordement pulsionnel qui semble, dans un premier temps, ne
pas pouvoir être jugulé.
La présentation des protocoles de Amélie (16 ans et 2 mois) et de Jean-
Bertrand (17 ans et 5 mois) permettra de préciser les principaux enjeux du
fonctionnement psychique et des expressions projectives dans le temps de
l’adolescence à proprement parler.
266 Expression projective au Rorschach et développement psychoaffectif

Protocole de Rorschach d’Amélie, 16 ans et 2 mois


Pl. Temps R Passation Enquête Cotation

1 C’est un papillon ça... je les ailes en fait... c’est


vous explique ? là je vois pareil, la symétrie
les ailes, là le corps et
I 0:00:45 les deux mains qui font G F+ A
comme ça, c’est bizarre...
voilà ça me fait penser à
un papillon

2 Je sais pas, je vois pas... ah 3 D ! Hd, ...


si, ah ouais, là je vois des d’un visage quelconque
II 0:00:50 yeux (D2), un nez (Ddbl Gbl F+ Hd
dans Dbl) et une bouche
(D3)

3 et un papillon là aussi (D3)


D F+ A
ça a la forme d’un papillon

4 Alors là c’est... c’est deux


personnes... je sais pas
c’est deux personnes qui
D F+ A Ban
III 0:00:40 sont en face, ça je sais pas
—> K
ce que ça peut représenter
au milieu (D3), je sais pas...
c’est tout

5 Alors là c’est... un grand grand monstre


bonhomme, un monstre
IV 0:00:40 je sais pas ce que c’est... G F+ (H)
avec les jambes, les bras,
la queue... et la tête

6 c’est un papillon-chauve- V c’est la forme des ailes


souris qui me fait bizarre... ailes
de chauve-souris un petit
G F+ A
V 0:00:40 peu, c’est un mix papillon-
Contamination
chauve-souris, le corps
d’un papillon et les ailes
de chauve-souris

7 ou... un papillon... je sais


pas un truc comme ça...
G F+ A Ban
ouais c’est un papillon je
pense

8 là je vois rien... si encore un petit bonhomme...


une tête... juste là (cache jambes, bras (D3) et la
VI 0:00:50 D1), les bras, les jambes, tête bien marquée et deux D F+ H
une tête... autrement je moustaches
vois rien d’autre
Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent 267

(suite)
9 (éloigne la planche) Là deux bébés, deux petits
c’est deux... deux bébés enfants, qui se regardent
ou deux bonhommes...
avec des cheveux qui
VII 0:00:55 font comme ça... qui D KAtt H
se regardent, qui se
bloquent... avec une main
aussi qui part en arrière
(D2)

10 > Alors là déjà il y a un deux animaux qui


animal, deux animaux là... grimpent le long... d’une D F+ A Ban
VIII 0:00:50
je sais pas... qui représente paroi ou je sais pas ce que —> kan
rien d’autre pour moi... c’est

11 Je dirais que c’est... c’est fumée, flamme avec le


quelque chose qui... une orange, avec la tête et vous
fumée... qui part comme savez un gros crâne qui
D/G FC
IX 0:00:55 ça, vers le haut, avec là monte
H/Elem
tête de quelqu’un qui se
cache derrière, avec les
yeux, le crâne voilà

12 (rit) Alors là je vois un jambes (D10), les bras


X 0:01:35 homme avec les jambes, (D1), tête (D3) D/Dbl F- H
le corps et la tête

13 Là une mouche vue de face D11, deux yeux vus de


et c’est tout face avec le corps qui part D F- A
derrière

Durée totale de la passation : 00:08:40

Parce qu’il y a plein de couleurs et plein de... qui part dans tous les sens
X
Pl.+ (D1), vive, joyeuse, les autres sont tristes.

IX Parce qu’elle est étrange... ouais elle est bien.


© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Parce que j’aime pas ces trucs rouges, ça va pas, on dirait du sang ou je
II
Pl. sais pas ce que c’est.

I Je sais pas je la trouve... en fait c’est ces trucs (Ddbl) j’aime pas ça.

Commentaires cliniques du protocole de Amélie, 16 ans et 2 mois


Le protocole d’Amélie propose un contraste entre une expression verbale
relativement généreuse et un nombre limité de réponses (13). De fait, malgré
une collaboration tout à fait satisfaisante de la jeune fille (souci d’explicitation
de ses réponses au psychologue, planche I : « (...) je vous explique ? »), la
verbalisation d’Amélie est dominée par le doute et l’incertitude, dans
268 Expression projective au Rorschach et développement psychoaffectif

une forme d’inhibition du déploiement des processus associatifs face aux


planches.
Les modes d’appréhension se répartissent entre réponses globales et
réponses de grand détail (avec association du blanc pour deux des réponses).
On notera que les appréhensions en grand détail semblent procéder d’une
stratégie d’évitement : évitement de la bisexualité sollicitée à la planche VI,
dans un contexte où toutes les représentations humaines du protocole sont
données au neutre ou masculin, évitement de la matrice maternelle de
la planche VII et, aux deux planches pastel VIII et X, évitement d’une
nécessaire synthèse, face à une appréhension de la sensorialité de la planche
qui paraît mettre Amélie en difficulté.
La difficulté pour Amélie de faire jouer dans une conflictualité la double
valence masculine/féminine, au profit d’un investissement privilégié du
masculin, se présente sur un fond de fragilité de la construction de la
continuité des représentations. En sont un exemple les réponses à la
planche II, qui ne débouchent pas sur la représentation unifiée d’un visage
(« je sais pas, je vois pas... ah si, ah ouais, là je vois des yeux, un nez et
une bouche ») et les réponses à la planche V, avec une réponse contaminée
dans un premier temps, qui cède pour une réponse unitaire banale (« c’est
un papillon-chauve-souris... ou un papillon (...) »). Si, au décours de la
verbalisation, une construction unitaire peut émerger comme issue à ce temps
d’incertitude, on peut reconnaître néanmoins la limitation qu’introduit
celle-ci dans la gestion des investissements pulsionnels. Dans ce contexte, les
représentations de relations se présentent de manière timide, en appui sur
des kinesthésies peu déployées (planches II et VII) : on notera cependant
que la réponse humaine de la planche VII fait jouer un autre niveau de
conflictualité, entre enfant et adultes (« là c’est deux... deux bébés ou deux
bonhommes... avec des cheveux qui font comme ça... qui se regardent, qui
se bloquent... avec une main aussi qui part en arrière »), là aussi limité dans
l’énoncé même du mouvement affecté à la planche (« qui se bloquent »).
Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent 269

Protocole de Rorschach de Jean-Bertrand, 17 ans et 5 mois


Pl. Temps R Passation Enquête Cotation

1 Euh... (rit) c’est dur...je deux oreilles, nez pointu


sais pas je vois deux trucs et puis je sais pas, une tête
I 0:00:55 si je regarde que les blancs méchante Gbl F+ Ad
et là on dirait plutôt une
tête de renard

2 et puis j’arrive aussi à deux ailes et puis comme


voir deux anges avec leurs dans les enluminures les
G F+ (H)
petites mains là et ils sont trucs comme ça
accrochés quelque part

3 Euh... (rit) on dirait un peu gros...et puis ils


deux lapins, enfin moi je sont noirs parce que bon
vois... ils semblent un peu (rit) parce que le rouge
II 0:01:00 bizarres drôles de corps c’est le sang G FC A dev
(rit) avec le rouge, ils
semblent vite fait... morts
enfin voilà...

4 Euh... je verrais deux... un truc sous l’eau les


deux... je sais pas deux jambes se finissent comme
sirènes... je dirais deux une queue de poisson
sirènes même si elles ont
III 0:01:05 une drôle de tête, y a la G F+ —>K (H)
queue et là le corps et
elles tiendraient un truc et
elles voudraient chacune
l’avoir

5 Euh... deux jambes là, tête dans D1 avec cheveux


avec deux pieds et là les qui tombent...( ?) quel-
deux mains qui tombent qu’un tout en noir avec des
au milieu, comme quel- cheveux noirs un peu mor-
IV 0:01:05 qu’un qui est courbé et qui bide comme image...tout G FC’ H
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

met ses deux mains là au le long de son dos il y a un


sol avec ses doigts comme chemin (sur D5)
ça (montre avec ses doigts)
c’est bon

6 Ben... on dirait une pour la forme, les ailes et


chauve-souris vue d’en la tête
V 0:00:30 G F+ A Ban
haut avec les ailes là, les
pattes et la tête
270 Expression projective au Rorschach et développement psychoaffectif

(suite)
7 Je sais pas comment dire comme les trucs dans les
on dirait comme un signe églises ou les châteaux
de décoration dans les forts et tout (il raconte
monuments... comme une qu’avec son père quand il
VI 0:00:55 sorte d’étoile et un truc était petit, il visitait les G F+ Obj/Arch
en haut qui appartien- châteaux, les églises, tout
drait... comme un talis- ce qui est ancien)
man ou quelque chose
comme ça...

8 Ben (rit) on dirait deux... on dirait la tête une tête


deux... bonhommes qui se à Peter Pan, plus le corps
regardent... qui sont tour- d’une femme avec une
G F+ H —>
VII 0:01:15 nés vers là avec les corps jupe
KAtt
mais qui se regardent ...
avec une espèce de plume,
un bonnet

9 Ou bien deux Angleterre... D/G F- Geo


10 l’une, une Angleterre nor-
male, vite fait et une là, G kanC A/Elem
tournée...

Euh... (L:0:00:20) là lion ou lion avant l’évo-


déjà on dirait deux bêtes lution (pas de crinière)
avec quatre pattes, roses, plutôt des mecs
on dirait deux lions ou
VIII 0:00:55 je sais pas quoi, on dirait
qu’ils sortiraient d’un feu
(D2) pour aller dans l’eau
(D4)

C’est bizarre, je sais pas je dirais plus maintenant


vraiment... oh ben, je des espèces d’esprit (D6,
vois pas vraiment d’image, D1, D3) qui essayent de se
mais je vois trois trucs rejoindre ils sont limités
comme, je sais pas, comme par la cloison (Dax), der-
IX 0:01:20 Refus
trois phases distinctes qui rière (Ddbl) il y a quelque
cherchent à se mélanger... chose qui les empêche de
là je vois pas de forme se rejoindre
spéciale (R.Add: Gbl F- (H))
Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent 271

(suite)
11 Heu... (L:0:00:15) ben
je dirais qu’il y a deux...
deux côtés et qui sont
plein de... là y a un hip-
pocampe
X 0:01:10 un crabe là, là un espèce D9 G(bl) kan A
d’animaux de mer... et qui D7
se battent par paire ou deux serpents de mer (D4)
qui se rencontrent mais espèce de limace de mer
je crois plutôt qu’ils se (D13) corail vivant (D1)
battent tout dans l’eau

Durée totale de la passation : 00:10:10

Pl + IV C’est celle qui a l’air le plus élaboré, qui pourrait inspirer le plus.

Mystérieuse, y a juste un truc on pourrait découvrir plein de trucs derrière


VI
un signe il y a toute une histoire.

Elle est vite fait gore...deux lapins charcutés, j’aime pas les lapins morts
II
Pl- au marché.

IX Y a pas assez de trucs à trouver dedans.

Commentaires cliniques du protocole de Jean-Bertrand, 17 ans et 5 mois


Le protocole de Rorschach de Jean-Bertrand met en scène de manière assez
exemplaire le déploiement de la conflictualité à l’adolescence, dans un temps
où les conflits liés à l’accès à la génitalité se construisent au travers de figures
de compromis, parfois encore un peu fragiles, mais globalement assumées.
Jean-Bertrand est présent dans la passation de l’épreuve, il manifeste ses
sentiments à l’égard de l’épreuve au fil de la présentation des planches.
L’appréhension des planches est essentiellement globale, ce qui est attendu
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

pour un protocole court comme celui-ci (11 réponses). On notera la présence


d’un refus à la planche IX, refus qui cède à l’enquête, témoignant d’une
forme de plasticité du fonctionnement psychique. Les modes d’appréhension
voient alterner les approches formelles et sensorielles du stimulus ; les
kinesthésies (humaines) sont peu déployées, davantage centrées sur la
posture des personnages figurés que sur l’expression d’un mouvement avéré
(planches II et VII).
La construction de l’identité sexuée est portée par des représentations
humaines ou de pseudo-humains dont il est intéressant de suivre l’évo-
lution : à la planche I, ce sont des anges qui apparaissent, figés en forme
d’enluminures, puis à la planche III des sirènes (« qui tiennent chacun un
truc et elles voudraient chacune l’avoir » !), à la planche IV, un personnage
272 Expression projective au Rorschach et développement psychoaffectif

dysphorique (masculin ?) et, enfin, à la planche VII, les figures, qui se


révéleront finalement ambigües, de deux « bonhommes », présentés à
l’enquête comme des figures de « Peter Pan, plus le corps d’une femme
avec une jupe ». On peut considérer qu’au travers de cette séquence de
réponses humaines, se manifeste toute l’ambivalence de Jean-Bernard dans
son investissement du sexuel génital, la place des angoisses de castration
et la tentative, peu opérante, d’une reprise phallique (planche IV), pour
enfin tenter de donner forme à une représentation sexuée au travers de ses
atermoiements dans une quête de compromis bisexuel (planche VII).
In fine, on peut relever la dynamique engagée dans la gestion de la tension
entre pulsions libidinales et agressives (planche X : « là un espèce d’animaux
de mer... et qui se battent par paire ou qui se rencontrent mais je crois
plutôt qu’ils se battent »), réponse qui clôt la passation, dans un rappel du
nécessaire soutien narcissique de la figure du double.
CHAPITRE
4

Illustrations cliniques
Sommaire

L’enfance et la période de latence . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Page 276

Le temps de l’adolescence . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Page 332


Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent 275

E CHAPITRE sera consacré à la présentation de situations cliniques

C
centrées sur la pratique du Rorschach. Sans avoir l’ambition d’une
présentation exhaustive des modes d’expression de la clinique et de
la psychopathologie dans le temps de l’enfance et de l’adolescence,
il visera néanmoins à proposer une palette suffisamment large et
représentative des fonctionnements psychiques.
Le choix des cas présentés dans cette dernière partie de l’ouvrage répond
à une double exigence :
• d’une part, celle de s’inscrire dans une variété de situations en terme d’âge
et de problématique de fonctionnement psychique ;
• d’autre part, celle de permettre un éclairage clinique et psychopatho-
logique à partir de différentes formes de demande dans le cadre d’une
pratique de psychologue, en mettant plus particulièrement l’accent sur
les situations de l’enfance et de la période de latence.
Les protocoles de Rorschach présentés dans ce chapitre comportent, pour
l’essentiel, deux caractéristiques principales :
• Ils se trouvent inscrits, dans leur présentation même, dans la dynamique
de l’examen psychologique, et abordés comme l’un des éléments qui
concourt à l’appréhension du fonctionnement psychique de l’enfant ou
de l’adolescent ;
• Ils sont, pour la plupart, accompagnés du protocole d’une épreuve
thématique, dont la présentation et la discussion viendront en contrepoint
de la présentation et de la discussion du protocole de Rorschach.
Chacun des cas retenus fera l’objet d’une présentation dans un déroule-
ment similaire, qui s’inscrira dans le fil de la mise en œuvre de l’examen
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

psychologique. Il s’agira en effet de préciser pour chacune : le contexte de


la demande, les conditions de la rencontre clinique, les éléments qui ont
présidé à la construction du dispositif de rencontre dans le cadre de l’examen
psychologique et la présentation des épreuves mises en œuvre pour celui-ci ;
• Lorsque cela apparaît nécessaire, les éléments principaux de l’histoire
clinique du sujet, enfant ou adolescent, dans un strict souci de respect de
la garantie de l’anonymat des situations présentées ;
• La présentation de l’épreuve de Rorschach et, le cas échéant, de l’épreuve
thématique (C.A.T ou T.A.T) qui l’a accompagnée ;
• Les éléments qui concourent à l’évaluation du fonctionnement psychique,
selon les différents axes présentés au chapitre 2 (cf. supra p. 67 et suivantes)
276 Illustrations cliniques

dont les principales étapes peuvent être rappelées ici : clinique de la


passation, processus de pensée et traitement des conflits ;
• Enfin, des aspects de la discussion clinique et psychopathologique
qui sera constituée tout à la fois de perspectives diagnostiques (avec
toute la prudence qui s’attache à une telle démarche en clinique et en
psychopathologie de l’enfant et de l’adolescent) et pronostiques, en ayant
soin de faire apparaître non seulement les éléments qui témoignent des
fragilités du fonctionnement psychique mais également des ressources
sur lesquels des perspectives peuvent s’établir.
La présentation des cas couvrira le temps de l’enfance et de la période de
latence, ainsi que celui de l’adolescence.

L’enfance et la période de latence

La période de l’enfance est dominée par un certain nombre d’enjeux


dont viennent témoigner les sollicitations de consultation et de bilan. Ces
sollicitations sont le plus souvent médiatisées par l’institution scolaire qui
fonctionne comme une alerte au regard des symptômes présentés par l’enfant,
au lieu des apprentissages. Cependant, la diversité des modes d’adresse de
l’enfant retiendra notre attention au décours de la présentation de différentes
situations. En effet, nous aborderons successivement, à titre de situations
possédant une valeur paradigmatique de ce temps de la vie de l’enfant et des
sollicitations adressées au psychologue :
• la situation d’un jeune enfant (Jérémie, 5 ans et 6 mois) en grande
souffrance dans les liens, et en retard dans l’accès au langage ;
• la situation d’un enfant (Christophe, 7 ans) qui interroge la dimension
de la dépression chez l’enfant1 ;
• la situation d’une enfant en difficulté scolaire (Laetitia, 7 ans et 7 mois)
pour laquelle le bilan projectif révèlera une problématique œdipienne
peu contenue par le refoulement ;

1. Cette situation a été présentée comme illustration de la pratiques des épreuves projectives dans
l’examen psychologique dans l’ouvrage publié chez le même éditeur : Roman P. (2006), Les épreuves
projectives dans l’examen psychologique, Paris, Dunod. La présentation qui est proposée dans le présent
ouvrage se trouve centrée sur l’épreuve de Rorschach, dont l’analyse se trouve davantage approfondie ;
elle laisse de côté la présentation et la discussion des dessins réalisés par cet enfant, que l’on peut
retrouver dans l’ouvrage mentionné ci-dessus.
Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent 277

• la situation d’une enfant présentant des troubles d’allure psychotique


(Houria, 8 ans) ;
• la situation d’un enfant (Pierre, 9 ans), pour lequel se trouve au premier
plan la question de l’instabilité psychomotrice ;
• enfin, la situation d’une enfant en fin de période de latence (Oriane,
10 ans), dont les symptômes d’inhibition intellectuelle interrogent la
problématique de la dépression.

Jérémie, 5 ans et 6 mois

Jérémie est rencontré pour un bilan psychologique qui s’inscrit dans une
inquiétude de ses parents au regard de son développement psychoaffectif, au
regard de l’évaluation de sa personnalité et de ce que l’on pourrait nommer
comme les différents empêchements à grandir dans lesquels il se trouve pris.
De fait, Jérémie bénéficie déjà d’un certain nombre de prises en charge de
rééducation, au regard de troubles sévères du langage, suite à un diagnostic
de dysphasie énoncé par l’équipe d’un centre de références pour ce type
de troubles. Jérémie est en effet engagé dans deux séances d’orthophonie
hebdomadaires, une séance de psychomotricité et une séance d’orthoptie.

➤ La demande et la construction de l’examen psychologique

Une des questions des parents de Jérémie qui, séparés, sont reçus dans deux
temps distincts, concerne la qualité de l’ancrage de Jérémie dans la réalité :
en effet, il est décrit comme ayant tendance à investir un monde qui lui
est propre, en se coupant de la relation aux autres. Il faut noter que les
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

troubles du langage de Jérémie peuvent le mettre en difficulté au plan de la


communication : il est difficilement compréhensible ou, en tous les cas, la
compréhension de son langage nécessite une attention toute particulière.
Au plan de la scolarité, Jérémie ne présente pas de retard. Il est décrit
comme étant en mesure d’investir les pré-appprentissages qui lui sont
proposés dans le cadre de l’école maternelle.
En-dehors des rencontres initiales avec chacun des parents (Jérémie
n’est présent que dans la rencontre avec sa mère) le bilan s’appuie sur des
entretiens avec Jérémie, ainsi que sur la passation d’épreuves projectives
(Rorschach, C.A.T) qui visent à permettre d’appréhender la dynamique
du fonctionnement psychique de l’enfant ainsi que les perspectives que
l’on peut tracer quant à son évolution. À ce titre, cette situation de bilan
278 Illustrations cliniques

peut être considérée comme paradigmatique de deux aspects des demandes


auxquelles le psychologue est régulièrement confronté dans sa pratique en
clinique infantile :
• d’une part, l’interrogation sur les enjeux psychoaffectifs des troubles
instrumentaux, qui s’exprime bien souvent dans un contexte de multi-
prises en charge en rééducation au décours desquels tant l’enfant que les
parents semblent s’épuiser dans une démarche réparatrice qui ne prend
que trop peu – ou trop peu souvent – en compte la dimension de la
souffrance psychique de l’enfant ;
• d’autre part une inquiétude, à la sortie de la période de l’enfance (période
œdipienne) quant à l’évolution psychoaffective de l’enfant et, plus
précisément (mais souvent confusément pour les parents) quant à la
participation de la psychose au fonctionnement psychique de l’enfant.
Ainsi le psychologue clinicien est-il appelé tout à la fois à la place de celui
qui sait, mais aussi à celle de celui qui est en mesure de soutenir quelque
chose de la subjectivité de l’enfant, parfois malmené par les démarches
d’objectivation auxquels il est soumis (batteries de tests et de bilan divers...).
On comprend alors aisément que l’enjeu de ce type de situation est de
pouvoir introduire un écart suffisant avec les expériences antérieures de
l’enfant, tout en le mobilisant à partir d’un support clinique en mesure
d’autoriser une objectivation de la position subjective. C’est, au fond, le pari
de la proposition des épreuves projectives, dans la mesure où elles ouvrent,
potentiellement, une aire transitionnelle d’expérience pour l’enfant, dans le
lien au psychologue, et où leur proposition permet de soutenir la subjectivité
de l’enfant.

➤ La passation des épreuves projectives : clinique de la passation

La passation des épreuves projectives mobilise Jérémie dans un mouvement


extrêmement souffrant : il semble être très atteint par la rencontre avec
les planches, sans parvenir véritablement à se dégager d’une sorte de vécu
d’effraction par le stimulus de la planche, peut-être tout spécialement
face à l’épreuve de Rorschach : on peut penser que les refus opposés à
4 planches sur les dix que compte l’épreuve sont à mettre sur le compte
d’une inhibition dont il conviendra de tenter de décrypter le sens. On
comprendra aisément, à partir de cette présentation de bilan, l’intérêt de
l’association de deux épreuves projectives : en effet, au-delà de la passation
Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent 279

de l’épreuve de Rorschach, l’épreuve du C.A.T autorisera une autre forme


d’expression verbale et fantasmatique de Jérémie.
Ainsi, au décours de la passation des épreuves, Jérémie fait vivre au
psychologue des mouvements contrastés : tout à la fois mouvements
empathiques au regard de ces manifestations de souffrance et marques
de culpabilité d’imposer une telle épreuve à cet enfant. Celui-ci, cependant,
se place dans une logique de participation à l’évaluation projective,
participation tempérée par les marques de fatigue qui s’expriment au fil de
la passation de l’épreuve (chaque épreuve est proposée dans un temps de
consultation différencié).
Par ailleurs, il faut souligner la manière dont Jérémie se saisit de cette
occasion de rencontre et de déploiement d’une attention à son égard :
c’est la dimension de l’avidité qui domine ici, tout se passant comme
si l’opportunité d’une relation privilégiée avec un adulte le mobilisait
de manière particulièrement aigüe. Il pourra alors s’accrocher à cette
préoccupation, sur le mode d’une quête d’étayage qui se traduit, discrètement
par moments, par un mouvement de rapproché à l’égard du psychologue.

➤ Les processus de pensée

La verbalisation de Jérémie, à partir de laquelle peut être appréhendée la


dynamique des processus de pensée se présente de manière limitée : peu
de réponses à l’épreuve de Rorschach (8 réponses avec 4 refus de planches,
dont l’un, à la planche IX, cède à l’enquête), verbalisation limitée dans son
déploiement à l’épreuve du C.A.T.
Deux aspects semblent dominer la mobilisation des processus de pensée
de Jérémie :
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

• La référence au voir constitue un point d’appui pour Jérémie : ce voir,


convoqué comme soutien au processus de symbolisation, se trouve mis
en question à différentes reprises témoignant, a contrario pourrait-on
dire, de la place qu’il occupe, dans sa participation perceptive, dans la
construction des représentations (défaut de la construction d’une image
interne sur laquelle prendre appui ?) ;
• La référence à un savoir, préexistant à la présentation des planches, apparaît
comme une forme de point de butée de la mise en œuvre des processus
de pensée : tout se passe comme si Jérémie, peut-être en contrepoint à sa
difficulté à mobiliser un voir structurant des représentations, faisait appel
280 Illustrations cliniques

à une référence cognitive et à une construction théorique, afin de pallier


le défaut de mise en œuvre de l’appareil perceptif.
Dans ce contexte, on peut faire le constat de la place de l’inhibition, dont
la production langagière se trouve être le témoin. Le vocabulaire est, de fait,
réduit, et la construction syntaxique davantage marquée par la pauvreté que
par l’incohérence... Certaines formulations rendent compte cependant d’une
maîtrise approximative des règles syntaxiques (davantage au CAT qu’au
Rorschach, sans doute en lien avec la sollicitation à une mise en récit propre
aux épreuves thématiques), assez aisément référable à l’âge de Jérémie. En
filigrane, se donne à voir une difficulté pour Jérémie dans le maniement de
la continuité temporelle et spatiale, qui peine à trouver une voie d’expression
dans le langage. On notera toutefois que les troubles du langage de Jérémie
n’invalident pas de manière notable ses potentiels d’expression verbale face
aux planches.
La verbalisation de Jérémie se présente, de manière générale, dans un
rapport de cohérence à l’égard du stimulus, sans dérapage sensible. On peut
néanmoins faire l’hypothèse que la rencontre avec les planches entraîne un
vécu d’étrangeté pour Jérémie qui contribue à l’inhibition de la verbalisation.

➤ Le traitement des conflits

La question de l’expression de l’angoisse apparaît comme centrale au décours


du protocole de Rorschach de Jérémie. Celle-ci se traduit en forme de
manifestation verbale (« je sais pas », « je vois pas ») et motrice (agitation,
excitation). Il semble, au regard de ce qui a été évoqué précédemment,
que l’on peut situer ici l’angoisse dans le registre des angoisses primitives,
ayant trait à la construction des limites entre réalité interne et réalité
externe. Les vécus d’étrangeté, la tentative d’identifier des formes de
reconnaissance à l’égard du stimulus, situent les angoisses au plan de la
construction de l’identité. On pourra noter, en écho à cette problématique,
la place qu’occupent les réponses 6 et 7 (planche V) : contamination avec
la réponse 6 (« euh... un papillon », enquête : « un escargot de papillon
peut-être », pseudo-contamination avec la réponse 7 (« des crocodiles avec
un papillon ») témoignent bien de la difficulté pour Jérémie à délimiter
les espaces dans la réalité externe figurée par le stimulus de la planche.
En contrepoint, émergent au CAT des expressions d’angoisses archaïques
(angoisse de dévoration à la planche 7, en écho à l’évocation, mimée, des
dents du monstre à la planche III de l’épreuve de Rorschach, angoisse de
Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent 281

séparation et/ou d’abandon qui affleurent, en creux, aux planches 5, 6, 9


et 10).
Face à ces angoisses, différents registres de défenses sont mis en œuvre par
Jérémie, dont certaines, sur un mode drastique : recours à la motricité et
manifestations somatiques, inhibition, appel (indirect) à un soutien de la part
du clinicien. L’inhibition prend la forme de la banalisation et de l’évitement
à l’épreuve du CAT, tout particulièrement au lieu de la construction d’une
représentation des liens, et de la triangulation œdipienne en particulier.
Dans ce contexte, la construction identitaire apparaît fragile. Les réponses
globales à l’épreuve de Rorschach ne sont pas toujours de bonne qualité et
comportent une part d’incertitude. Seule la première réponse de la planche V,
banale, se propose dans un ancrage au sein de la réalité et, partant, une
inscription a minima au plan identitaire. L’appréhension des planches du
CAT, qui prend résolument appui sur une reconnaissance de la qualité du
stimulus, atteste par ailleurs de cet ancrage.
On notera par ailleurs que l’absence de toute référence à des représen-
tations humaines – et, a fortiori l’absence de kinesthésies – témoigne d’un
retrait à l’égard d’une prise de position identificatoire. Les seules représen-
tations pseudo-humaines (« monstre » aux planches II et III) introduisent
une dimension dysphorique et inquiétante dans le rapport à la figuration
humaine. Aucune représentation animale ne semble par ailleurs pouvoir être
retenue dans une fonction substitutive quant à la construction des repères
identificatoires. On notera par ailleurs que le T.R.I se présente sur un mode
coarté (0/0), le RC % se situant à 25, signant le retrait de toute mobilisation
affective. Les récits proposés au CAT confirment ce retrait, dans la mesure
de la grande difficulté pour Jérémie d’inscrire les différents personnages
figurant sur les planches dans un jeu d’alliance et/ou de génération : seul le
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

lien maternel peut être nommé, de manière peu adéquate, à la planche 2,


il est par ailleurs évité à la planche 1, laissant ouverte la problématique
nourricière en défaut d’une construction dans un lien de sécurité.
Dans ce contexte général, les relations d’objet se présentent au mieux sur
le versant de la quête d’étayage (appel plus ou moins implicite au clinicien
et à l’expression de son soutien), sur le fond d’une forme de déni de la
dépendance (impossibilité d’une représentation du lien maternel), ouvrant
sur l’hypothèse d’une expression dépressive de l’enfant.
282 Illustrations cliniques

➤ Synthèse et perspectives cliniques


Il ressort des éléments issus des épreuves projectives de ce bilan que Jérémie
ne présente pas de désorganisation au plan de son identité, ni de rupture
dans l’appréhension de la réalité qui l’entoure.
Cependant, les marques de retrait relationnel, qui s’établissent sur un
versant dépressif, témoignent d’une souffrance psychique qui peut parfois
déborder Jérémie dans ses investissements, et tendent à invalider la qualité
de sa relation à l’environnement. En effet, l’environnement semble être vécu
par Jérémie comme dangereux, voire impossible à mobiliser dans une qualité
de soutien : tout se passe comme si Jérémie pouvait avoir un sentiment de
risque de se trouver envahi et atteint par l’environnement, voire pris dans
l’effondrement de son absence de consistance.
Les différentes épreuves mettent en évidence, dans ce contexte, une
faible sécurité interne, la vie psychique de Jérémie se trouvant marquée
par des angoisses de perte et/ou d’abandon qui mettent à mal sa capacité
à s’engager et à construire des liens. On peut parler à cet égard d’une
difficulté dans la constitution des assises narcissiques, liée à une difficulté
dans l’établissement d’une confiance dans les liens : le besoin de réassurance
s’avère important voire majeur, et l’on peut noter que ce n’est qu’à partir
d’une confiance suffisante éprouvée dans l’environnement que Jérémie peut
se trouver disponible à la relation.
À partir de là, et en complément des prises en charge rééducatives
engagées, il paraît indispensable qu’une prise en charge psychothérapique
hebdomadaire puisse se mettre en place pour Jérémie. On ne peut qu’insister
sur l’importance d’une attention soutenue à l’évolution de ce garçon, dans ses
différents lieux d’investissement, attention à laquelle il puisse suffisamment
s’identifier afin de s’en approprier les qualités et se trouver en mesure de se
soutenir lui-même. Cela passe aussi par la mobilisation de dispositifs qui,
dans la réalité quotidienne de Jérémie, puissent constituer un étayage, en
particulier à l’école... au-delà des performances qui semblent attendues de la
part de cet enfant.
Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent 283

Protocole de Rorschach de Jérémie, 5 ans et 6 mois


Pl. Temps R Passation Enquête Cotation

Je sais pas... je vois rien du tout ça peut être un


( ? Un papillon?) d’accord papillon
I 0:00:35 1
(R.Add : G F+ A
Ban)

2 Un monstre parce qu’il y a des G F- (H)


II 0:00:30
yeux (D2)

3 et un papillon là (D3) D F+ A
(s’excite et/ou s’angoisse)

III 0:00:25 4 Un monstre, il a des dents (mime) G F+ (H)

IV 0:00:20 c’est un... je sais pas Refus

V 0:00:20 5 un papillon G F+ A Ban

6 euh un escargot un escargot de G F+ A


papillon peut-être Contamination

7 des crocodiles avec un papillon D F+ A

VI 0:00:15 je sais pas Refus

VII 0:00:25 je sais pas toujours Refus

(malaise) ici que je vois (D1)


des lions
VIII 0:00:25 Refus
(R.Add. : D F+ A
Ban)

8 un hippopotame bien comme ça D F+ A


IX 0:00:20
(D1)... j’ai raison

X 0:00:15 l’araignée ( ?) non ! Partout G F- A

Durée totale de la passation : 00:03:45


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Pl + VIII Parce que je veux voir quelque chose.

III ou
Parce que ça fait longtemps que j’ai pas vu comme ça.
II ?

Pl - I Parce que je sais pas c’est quoi et c’est tout noir.

Parce que je veux pas en voir comme ça, non c’est celle-là que je l’aime pas
IV
(III), j’ai peur qu’il me morde les doigts ça.
284 Illustrations cliniques

Psychogramme résumé
Temps total : Temps/ réponse : Temps latence moyen :
R=8
3. 45’ 0. 28’ 0. 00’

Refus : IV, VI, VII, VIII


G:5 F:8 F% : 100 H:0
D:3 F+ : 6 F+% : 75 Hd : 0
F- : 2
H% : 0
(H) : 2

G% : 63 A:6
D% : 37 A% : 75
ΣC:0
T.R.I : 0/0
RC% : 25 Ban : 1

Ang% : 0

Protocole de TAT de Jérémie, 5 ans et 6 mois


Pl. Temps Récit

Et ben l’histoire que les poussins y mangent... de... des poussins et des
1 0:01:05
poulets qui peut manger... qui peut manger... des pâtes...

Et ben ces nounours ils tirent... les nounours il tire la maman du


2 0:00:40
nounours... les deux qui tirent... c’est tout.

3 0:00:20 Y a un lion qui s’assoit et qui fume... et c’est tout.

Y a un kangourou qui... un kangourou qui fait du vélo et qui marche...


4 0:01:00
et un kangourou, une dame de kangourou qui saute, qui avance.

Alors... un lit avec deux... avec... deux garçons qui parlent à côté de ce
5 0:00:55
lit... à côté de le lit ici... à côté y a une lampe, après c’est tout.

6 0:00:45 Ben y a un nounours qui est dans une grotte avec son ours...

7 0:00:20 Un tigre qui dévore le singe.

8 0:00:30 Les singes...ils parlent (soupire).

Alors un lapin qui est qui est sur son lit et qui, qui se éveille, dans cette
9 0:00:50
porte...

10 0:00:35 Un chien... qui... qui met... qui le met dans ses toi... dans les toilettes...

Durée de la passation : 0 :07 :00


Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent 285

Christophe, 7 ans

Christophe est âgé de 7 ans, il est l’un des jumeaux dizygotes, aînés du couple
des parents. Lors de la première consultation, il est d’emblée identifié par
ses parents comme différent de son frère jumeau. Les deux parents semblent
en accord sur l’identification d’une souffrance chez leur enfant, souffrance
que sa mère tend à mettre en lien avec sa propre souffrance dépressive.

➤ La demande et la construction de l’examen psychologique


Christophe est présenté par ses parents comme un petit garçon qui s’isole et
qui inquiète par ses traits dépressifs. Il adopte par ailleurs des comportements
d’agression à l’égard de son frère jumeau, se montre dans une grande
sensibilité affective et cherche à faire plaisir aux adultes qui l’entourent...
alors que son frère est sociable, bon vivant, qu’il s’adapte facilement dans
une capacité d’autonomie marquée.
Les parents de Christophe manifestent une préoccupation partagée pour
leur fils, ils ont conscience de la difficulté que peut représenter la situation de
gémellité, tout comme ils peuvent dire la difficulté que l’accueil simultané
de deux enfants a pu représenter pour eux et qu’ils nomment en termes
de contrainte. La mère de Christophe évoquera des éléments dysphoriques
dans sa propre histoire d’enfant, autour de la maltraitance dont elle a été
victime de la part de ses parents (et peut-être particulièrement de sa mère) :
elle indique « ne pas exister » pour sa propre mère. On peut bien sûr assez
légitimement s’interroger sur le fait que la mère de Christophe vienne, au
travers de la consultation pour son fils, soigner quelque chose de sa part
d’enfance, dans un contexte où elle s’est trouvée débordée par l’accueil de
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deux enfants en même temps, enfants dont les parents disent ensemble
qu’ils n’étaient pas attendus à ce moment-là.
La consultation ouvrira sur une proposition de bilan, en appui sur la
passation de l’épreuve de Rorschach et de l’épreuve du CAT, ainsi que sur
la production de dessins libres et d’un dessin à consigne, le D10. Il s’agit
de pouvoir affiner la compréhension de la dynamique du fonctionnement
psychique de Christophe, afin d’ouvrir des propositions d’accompagnement.

➤ Clinique de la passation
Christophe s’engage avec une certaine avidité dans la relation, laissant
émerger des affects massifs dans un registre de dépression : il dit par exemple
286 Illustrations cliniques

qu’il n’est « qu’un tas de ferraille », qu’il ne « sert à rien », qu’il est « démoli »
et il manifeste des préoccupations marquées pour la mort. Il indiquera
également être très intéressé par la préhistoire, par la vie des dinosaures...
Au plan du jeu transférentiel, la relation s’engage sur une demande d’aide
massive de la part de Christophe : en effet, l’enfant fait vivre au psychologue
le sentiment que lui seul peut l’aider, voire le sauver d’un mouvement
dépressif majeur.
La production projective est assez largement marquée par l’expression
dépressive... et par l’appel de Christophe à une aide : l’identification d’un
« tuteur » dans le détail axial de la planche X, dernière planche de l’épreuve
qui signe l’épreuve de la séparation, dans un contexte de dispersion du
stimulus, semble pouvoir rendre compte de la quête de Christophe. Il
n’est sans doute pas indifférent que cette réponse intervienne après une
confrontation difficile à la planche IX qui se solde par un refus. L’appel
au soutien dans le lien transférentiel est par ailleurs sans doute à mettre
en lien avec le fait que les figures parentales, particulièrement dans leur
émergence au CAT, s’avèrent peu en mesure de constituer un soutien pour
le narcissisme de l’enfant.
On notera enfin que les dessins libres réalisés par Christophe sont chargés
d’expressions de menace pour l’intégrité et de menace dans le lien : un
bestiaire angoissant, renvoyant à la préhistoire (des dinosaures), des situations
d’attaque marquées par une agressivité orale...

➤ Les processus de pensée

L’épreuve de Rorschach témoigne d’une bonne organisation des processus


de pensée de Christophe : la productivité est satisfaisante, on ne note pas de
glissement dans le travail des représentations. Le rapport entre les réponses
globales et les réponses de grand détail atteste du va-et-vient possible entre
démarche de synthèse et démarche d’analyse, ainsi que la répartition entre
les déterminants (F% = 85) et la qualité formelle des réponses (F+% = 65).
En contrepoint, au CAT, les récits se présentent de manière peu fluide,
marqués par des doutes. La question de l’identification des animaux figurant
sur les planches peut a minima être interrogée, en tant qu’elle signifie la
qualité du rapport à la réalité : la prégnance de la figure du raton-laveur,
non nécessairement adéquate (planche 2, 5), la figure de la biche (planche 4)
que Christophe convertira en kangourou afin de retrouver la cohérence
avec le stimulus et enfin, la figure du loup, peu adéquate à la planche 6...
Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent 287

et totalement déplacée à la planche 9 (puisque le stimulus représente très


explicitement un lapin).
Il est important par ailleurs de noter que les réponses de Christophe
sont marquées par un certain nombre d’imprécisions concernant d’une part
l’accord de genre entre masculin et féminin (planche 1 avec l’hésitation
entre le féminin et le masculin avant la réponse « taureau ») et d’autre part,
de manière récurrente, l’accord de nombre (singulier versus pluriel) que
l’on trouve à l’épreuve de Rorschach (« des cartons spécial » à la planche III,
« des chevals » à l’enquête de la planche IX) et au CAT (planche 5 : « deux
bébés raton-laveur dort dans une chambre (...) », planche 6 « un loup avec
un bébé loup il(s) dort (...)»). Il semble que l’on puisse considérer que se
donne à voir ici une certaine fragilité des organisateurs de la différence (à
la planche 5 par exemple, Christophe est en mesure de rectifier l’erreur
d’accord spontanément), sans doute à penser en lien avec la situation de
gémellité et aux enjeux identitaires qui s’y trouvent attachés.

➤ Le traitement des conflits

Les manifestations d’angoisse qui émergent du protocole de réponses


proposées à l’épreuve de Rorschach portent très directement sur les atteintes
de l’intégrité (planche II avec une réponse où l’intégrité se trouve mise à mal à
partir de la représentation d’une confrontation gémellaire, liée au sang...dans
un contexte où la dimension de l’appartenance est mise en avant) ou le
risque de la perte, conférant au protocole une tonalité de dépression blanche,
au sens où il s’agirait d’une dépression sans objet. La planche III, planche
dont on sait qu’elle constitue un support privilégié pour les projections
identitaires et identificatoires, témoigne particulièrement de cette dimension
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dépressive. En effet, à cette planche (réponse 7), Christophe propose : « une


araignée... ça ressemble beaucoup à une araignée (...) est-ce que c’est une
araignée ? le corps est un peu effacé (...) », (à l’enquête, sur sollicitation
d’une représentation humaine : « ah oui, on dirait des ombres »). Au doute
identitaire (s’agit-il bien d’une araignée ?) succède une justification de ce
doute au travers de la perte de la consistance de la représentation. Cette
perte de consistance sera également présente lors de l’enquête des limites au
décours de laquelle la figure humaine ne peut être affirmée comme telle, se
substituant à « des ombres ».
Notons également l’effet de contamination présent à la planche II au
Rorschach (association entre la représentation de l’éléphant et des pattes de
cheval), qui intervient dans la rencontre avec une planche qui paraît mettre
288 Illustrations cliniques

Christophe en prise à un doute identitaire : la confrontation précédemment


nommée comme gémellaire (cf. le caractère bilatéral de la planche), ouvre sur
la question de l’appartenance au groupe (enquête : « les oreilles, la trompe,
les pattes et ça... c’est je crois quand ils saignent, ils se font mal, c’est
des bébés qui sont pas du même groupe ») et, partant, de la construction
d’une identité séparée au sein d’une même enveloppe généalogique dans
le contexte de la gémellité. « Y a t-il de la place pour deux ? » : c’est à cette
question que semble renvoyer cette planche pour Christophe, question qui
n’est pas sans rappeler la problématique de la violence fondamentale décrite
par J. Bergeret (1984) et dont on peut penser qu’elle se joue à un double
niveau : le niveau de la relation à la mère (exacerbé par la rencontre avec la
dépression maternelle) et celui de la relation au double gémellaire.
Face à ces angoisses dépressives, et aux marques de désorganisation verbale
qu’elles introduisent a minima, les stratégies défensives de Christophe
peuvent être identifiée autour de deux axes :
• Une forme de contrôle qui s’exprime au travers d’une préoccupation
de Christophe pour le support matériel que constituent les planches de
Rorschach, au travers d’une mise à l’épreuve sensorielle (il touche les
planches pour en éprouver la qualité) ou de remarques et interrogations
sur la qualité de la trace graphique formant les taches ; le nombre de
banalités (5 pour un protocole de 20 réponses) participe sans doute
également de cette stratégie défensive ;
• Un investissement du lien qui tente de pallier les vécus péjoratifs liés à la
non-continuité et/ou la dispersion du stimulus : lien avec le psychologue
appelé par les différents questionnements et remarques précédemment
évoqués, lien qui sous-tend la représentation de la dernière réponse
proposée à la planche X (« et là il y a des ponts... ! comme ça... "... c’est
tenu par une ficelle » ; enquête : « deux trucs qui tient et qui sépare »).
On comprend que, dans ce contexte, la question de la construction
identitaire se présente comme centrale, au sens où le processus de séparation
– individuation apparaît comme étant mis à mal dans le lien à l’objet. Tout
se passe comme si, pour Christophe, le paradoxe du lien et de la séparation
peinait à être contenu (être en lien pour se séparer et se séparer pour être en
lien) et à se constituer comme fond silencieux du déploiement du lien à
l’objet. La réponse additionnelle de la planche X de l’épreuve de Rorschach
en fournit une autre illustration, témoignant de la violence de l’évocation
de l’expérience de séparation : « une pince dangereuse, un sécateur »...
Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent 289

La construction des imagos parentales, supports du déploiement du


processus identificatoire, s’avère fragile : peu investie à l’épreuve de
Rorschach, elle prend une forme plus explicite à l’épreuve du CAT. En
effet, celle-ci met en évidence un lien au maternel peu satisfaisant : la
figure maternelle est peu animée (le récit, à la planche 1, s’achève sur
cette expression : « (...) la maman poule elle est pas coloriée »), l’accès à la
satisfaction orale reste dans le registre de l’improbable. De la même manière,
le lien à la figure paternelle repose sur une dévalorisation de son image,
annulant tout espace de conflictualité. La construction d’une théorie de
l’origine s’en trouve mise à mal, la référence au double (tant en termes
de vis-à-vis que de confrontation) ouvrant assez nettement sur des vécus
persécutoires.
Enfin, au plan des modalités d’investissement de la relation d’objet,
l’accent est mis, dans la rencontre avec Christophe, sur une relation
d’objet anaclitique, qui privilégie une relation par étayage empruntant aux
formations réactionnelles la possibilité d’un maintien du lien : à l’épreuve de
Rorschach, planche IV : « non ! ou un bonhomme et puis c’est tout... c’est
tout bien fait (touche la planche) » (là où l’enquête verra émerger une figure
de robot), et à l’épreuve du CAT, planche 7 : « c’est un tigre qui attaque
des singes, c’est joli dis donc, j’aimerais bien le voir colorié » (la formation
réactionnelle est là clairement au service de l’évitement du conflit).

➤ Synthèse et perspectives cliniques

La clinique de Christophe place le psychologue en présence d’une


configuration particulière dans l’investissement et la construction de la
figure du double qui se laisse explorer dans le croisement des données
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cliniques recueillies à partir des différentes épreuves proposées et ici


tout particulièrement à partir de l’épreuve du Rorschach et de l’épreuve
thématique du CAT. On peut faire ici une double hypothèse sur les enjeux
de la confrontation à une figure de double dans la réalité, dont chacun des
termes viendrait en complément de l’autre :
• La confrontation au jumeau (vis-à-vis potentiellement indifférencié,
inaugurant une situation de miroir en double-double) serait venue épuiser
les potentiels de Christophe pour la construction d’un double interne ;
tout se passerait alors comme si l’échec de la constitution du double
au-delà du même-autre que représente le jumeau ne pouvait être rendu
acceptable que par le clivage des mouvements pulsionnels, ici par le clivage
290 Illustrations cliniques

bon/mauvais traversant la fratrie gémellaire... dont on peut repérer la


fonction de support à l’identification et la différenciation pour les parents ;
on peut penser à ce propos que le clivage témoignerait ici de la difficulté,
pour la mère, de réfléchir/contenir/transformer dans son regard le regard
de ses deux enfants jumeaux ;
• La situation des liens au sein de la famille, et le vécu de souffrance de la
mère de Christophe vis-à-vis de sa propre mère en particulier, semble avoir
opéré une sorte de captation de la construction du double, dans une forme
de retournement (le terme de captation est ici utilisé à dessein : en effet,
l’observation des liens entre la mère et Christophe donne à voir quelque
chose d’une emprise sur ses paroles, ses comportements, ses productions
graphiques...) ; là où l’enfant aurait pu se reconnaître dans le visage de
sa mère, c’est la mère qui se serait reconnu dans le visage de son enfant,
laissant ce dernier en proie à un vécu d’abandon ou, à tout le moins, à un
vécu de lâchage dans le regard (la mère se soutiendrait du regard de son
enfant, sans permettre à celui-ci de se soutenir du regard de son propre
regard), introduisant celui-ci dans une forme de fusion-dépendance et
entravant l’accès à une expérience de miroir en double-écart satisfaisante.
On peut penser que la situation de gémellité met particulièrement à
l’épreuve l’histoire des liens, au travers de la construction du double et
de l’emboîtement singulier des relations en miroir qu’elle mobilise : la
clinique de Christophe (et tout particulièrement la réponse proposée à la
planche II de l’épreuve de Rorschach) invite à envisager les formes de cet
emboîtement au travers de l’exacerbation des mouvements en jeu dans le
lien à l’autre-même (le jumeau) et au même-autre (la mère).
Sans doute cette clinique confronte-t-elle à un échec dans le travail de
transitionnalisation ouvert par l’expérience du regard échangé, de la mère à
son enfant, mais elle permet également d’interroger le risque dépressif propre
à la situation de la gémellité, au sens de la fragilisation des fondements du
processus de séparation-individuation. La qualité des réponses à l’épreuve de
Rorschach et des récits à l’épreuve du CAT, au travers des doutes, des ruptures
et/ou des confusions, témoigne de la précarité de l’aire transitionnelle.
L’auto-identification de Christophe à un « tas de ferraille qui ne sert
à rien, tout démoli » (pour reprendre ses propres termes énoncés lors de
l’entretien) condense les enjeux de cette fragilisation : en souffrance dans
son expérience d’une continuité d’être, il fait l’expérience intime d’un miroir
inaccessible, dans la mesure de l’absence de jeu possible entre la rencontre
du double-double et du double-écart.
Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent 291

Dans ce contexte, et au regard de la capacité manifestée par Christophe


de s’engager dans le lien avec le psychologue, le bilan projectif ouvre
sur l’indication d’une psychothérapie individuelle, dont on peut penser
qu’elle trouverait un intérêt particulier à prendre appui sur un dispositif de
scénarisation des conflits (psychodrame, médiation du Scéno-test) afin de
soutenir l’accès à un trouvé–créé qui puisse se proposer comme fondement
au déploiement des conflits.

Protocole de Rorschach de Christophe, 7 ans


Pl. Temps R Passation Enquête Cotation
1 Euh... une chauve-souris ses ailes là, ses pattes G F+ A Ban

2 une... un taureau un ses cornes, ses pinces... G F- A


I 0 : 00 :35
3 une raie... et ben voilà. G F- A

4 Des... éléphants qui... qui les oreilles, la trompe, les G kan A


font des... de la, un peu de pattes et ça... c’est je crois Contami-
bataille avec leur trompe quand ils saignent, ils se nation ?
II 0 : 00 :55
et tout... y a des pattes font mal, c’est des bébés
de cheval là, des pattes de qui sont pas du même
cheval... et... c’est bon. groupe
5 Une araignée... ça res- (E : deux personnes ?) G F- A
semble beaucoup à une ah ouais ! on dirait des
III 0 : 01 :15
araignée t’as vu ? là y a les ombres en fait
yeux, là y a les pattes...
6 est-ce que c’est une arai- D F+ Obj Ban
gnée ? le corps est un peu
effacé...
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7 Là un nœud-papillon, D F+ A
un papillon,
un scarabée... une fourmi...

8 c’est fait en feutre ? c’est G F- A


des cartons spécial
Une chauve-souris... parce les pattes, les cornes, les
que là il y a la tête et là ailes...
9 G F+ A
IV 0:00:55 y a les... queue... chauve- la tête, le nez, les pattes,
souris un grand nez, des bras... un
petit robot...
292 Illustrations cliniques

(suite)
non ! ou un bonhomme
10 et puis c’est tout... c’est G F+ H
tout bien fait (touche la > (H)
planche).
11 Une chauve-souris ça se G F+ A Ban
V 0 : 00 :35
voit très bien...
12 est-ce que c’est une vraie comme ça on croit que G F+ A Ban
chauve-souris ? c’est une mouette
un papillon, et voilà.
Je sais pas ce que ça peut
être... V on va la mettre à
13
VI 0:00:40 l’envers je sais pas... Λ une G F+ Obj
guitare ? c’est bon, juste
une guitare.
14 Une pince ? voilà, juste pince de crabe G F+ Ad
VII 0 : 00 :25
une pince.
Des... des... des pan-
thères... des panthères qui D1
15
VIII 0:00:35 montent... une flèche... D kan A Ban
des panthères ou une
lionne.
Ça ressemble à rien... à à des chevals là, des hippo-
IX 0:00:25 rien... ça ressemble à rien. campes (D3) Refus
R.Add : D F+ A
16 Elle est belle ! tuteur, un une pince dangereuse, un D F+ Obj
tuteur... sécateur
17 à des flocons de neige, R. Add : D F+ A D F+ Frag

18 des lions, D2 D FC A
X 0:01:00 19 à des taureaux, D7 D F- A
20 et là il y a des ponts ... V D6 - deux trucs qui tient D F- Arch
comme ça... Λ c’est tenu et qui sépare
par une ficelle.
Durée totale de la passation : 00:07:20
Pl + VIII Les couleurs, le guépard.
X Taureau, le bleu.
Pl - II Parce qu’ils saignent.
IV Parce qu’il est tout noir, il a une queue là.
Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent 293

Psychogramme résumé
Temps total : Temps/ réponse : Temps latence moyen :
R = 20
7. 20’ 0. 22’ 0. 00’
Refus : IX
G : 12
F : 17 F% : 85 H:1
D:8 F+ : 11 F+% : 65 H% : 5
F- : 6

G% : 60 A : 13
Ad : 1
D% : 40 A% : 70
Σ C : 0,5
T.R.I : 0/0,5 Obj : 3
Frag : 1
RC% : 30 Arch : 1

Ban : 5

Ang% : 0

Protocole de T.A.T de Christophe, 7 ans

Pl. Temps Récit

1 0:01:30 Ça peut faire... une poule... une maman poule qui avait trois petits fils et
qui... qui... qui allaient manger pour partir en voyage... la maman a fini
de préparer les bagages alors elle arrive et elle dit : « dépéchez-vous... les
enfants »... c’est avec quoi que c’est fait... de la peinture... la maman poule
elle est pas coloriée.

2 0:01:00 C’est... on dirait que c’était des gens qui combattaient pour la ficelle, non
qui faisaient du sport, tirer la ficelle le plus fort possible... y avait un ours
et un raton-laveur et un bébé raton-laveur...
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

3 0:01:10 On dirait un roi, le roi, un roi, le roi des lions... ( ?) ben que c’est un roi...
là y a une souris...un roi... qui essaie d’attraper toutes les souris et il y arrive
pas alors il est en train de penser sur son fauteuil (Christophe regarde le
psychologue écrire).

4 0:01:00 C’est une biche, non un kangourou, avec un autre kangourou, la maman
kangourou elle saute et l’autre kangourou fait du vélo... et ils vont en
pique-nique parce qu’il y a un panier.

5 0:01:00 Deux bébés raton-laveur dort dans une chambre... ça peut faire que deux
ratons-laveurs dorment dans une chambre qu’une fille avait capturés...

6 0:00:40 Un loup avec un bébé loup il(s) dort, une maman et un papa dort dans
son terrier... le bébé loup est... réveillé.
294 Illustrations cliniques

(suite)
7 0:01:00 C’est un tigre qui attaque des singes, c’est joli dis donc, j’aimerais bien le
voir colorié... c’est un tigre qui attaque un singe, c’est un peu l’histoire que
le tigre voulait manger le singe.

8 0:00:45 Des singes qui regardent la télé...c’est-à-dire...et les deux singes se moquent
d’eux.

9 0:00:30 C’est un loup qui dort dans une chambre ( ?) non...

10 0:00:30 C’est un chien... une maman chien et un bébé chien qui s’amusent... dans
les toilettes...

Durée de la passation : 0 : 9 : 05

Laetitia, 7 ans et 7 mois

Laetitia est reçue en consultation à la demande de sa mère, qui a été


alertée par l’enseignant de sa fille sur les difficultés que celle-ci manifeste
dans l’investissement des apprentissages. Seule la mère de Laetitia sera
présente lors des quatre rencontres en appui desquelles le bilan projectif sera
réalisé. Le père de Laetitia, souvent annoncé comme devant être présent à
l’occasion d’un entretien ultérieur, ne pourra à aucun moment se rendre
disponible, malgré les diverses propositions du psychologue pour des horaires
de rendez-vous compatibles avec les activités professionnelles du père de
Laetitia.

➤ La demande et la construction de l’examen psychologique

Si la demande, telle qu’elle est apportée par la mère de Laetitia, concerne


résolument la sphère scolaire (Laetitia, selon les propos de sa mère,
« décroche » en classe, alors qu’elle ne présenterait pas de difficulté de
concentration et d’attention à la maison), très rapidement se trouve placée
sur le devant de la scène les conditions particulières de la conception de
la fillette. En effet, dès les premières paroles de la mère de Laetitia, la
conception par procréation médicale assistée de Laetitia, seule enfant du
couple de ses parents (le père, quant à lui, a de grands enfants issus d’une
première union), est présentée comme élément déterminant de l’évolution
de l’enfant. La mère de Laetitia associe aux conditions de la conception de
sa fille une charge d’angoisse maternelle importante, dont on peut entendre
à demi-mot qu’elle serait venue spécifier des aspects du développement
Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent 295

de l’enfant : celle-ci est présentée comme dormant peu et mangeant très


peu, de manière quasiment continue. On peut entendre en filigrane que
le lien de la mère de Laetitia à cette dernière a pu être dominé par une
forme de dépendance au quotidien : Laetitia aurait été une enfant qui ne
peut s’autonomiser à l’égard de l’adulte, dans une quête d’une continuité de
l’investissement ne laissant que peu de place au déploiement du processus
de séparation–individuation.
Par ailleurs, la mère de Laetitia insiste sur l’absence d’objectivation des
difficultés scolaires de sa fille : un bilan orthophonique, puis un bilan cognitif
réalisé par la psychologue scolaire, ne mettent en évidence aucun trouble
instrumental et/ou cognitif.
C’est dans ce contexte que la consultation s’oriente assez rapidement vers
la passation de deux épreuves projectives (Rorschach et CAT), auxquelles
seront adjointes une proposition de dessin libre et d’un dessin à consigne
(D10 de J. Le Men).

➤ Clinique de la passation

Laetitia s’investit avec plaisir dans la passation des épreuves et, de manière
générale, dans la relation duelle. Celle-ci semble non seulement la soutenir,
mais aussi la mobiliser dans une forme d’excitation sur laquelle il conviendra
de revenir. Le lien transférentiel autour des épreuves projectives se trouve
coloré alternativement, selon les moments, par une importante excitation
de Laetitia et par des mouvements de contrôle. L’excitation emprunte des
formes auto-érotiques : Laetitia s’agite, croise ses jambes, les décroise, met
sa main dans son entrejambe, puis se gratte d’autres parties du corps (le cou,
les pieds...).
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Dans la rencontre avec les épreuves projectives, Laetitia se montre dans


le souci de la réussite : elle interroge la pertinence de ses verbalisations, elle
voudrait savoir si ses réponses ou ses récits peuvent être qualifiés de « justes »
et interroge la manière dont les autres enfants que je vois se comportent face
aux sollicitations des planches.
Laetitia manifeste sa surprise lors de la présentation de certaines planches
de l’épreuve de Rorschach (planches II, VI et VIII), alors que les planches du
CAT paraissent pouvoir être appréhendées avec davantage de sérénité. On
le verra, Laetitia multiplie, particulièrement au décours de la passation de
l’épreuve de Rorschach, les marques d’un contrôle nécessaire de la situation
projective : contrôle de la prise de note du psychologue, interrogation à
l’enquête de l’origine des planches...
296 Illustrations cliniques

➤ Les processus de pensée

La verbalisation de Laetitia témoigne d’une fluidité des processus de pensée :


le vocabulaire est plutôt adapté, on note peu de dérapages dans l’expression
qui soutient et concourt au travail de mise en représentation. On peut
repérer néanmoins quelques marques de glissement comme à l’épreuve de
Rorschach, planche V, réponse 10 : « une chauve-souris à plume... là on
dirait un stylo à plume... et voilà »). Il semble que dans cet exemple, un
double glissement peut être observé :
• d’une part, dans une forme de contamination de la réponse « chauve-souris
à plume »/« stylo à plume » ;
• d’autre part, au travers d’une traversée peu contrôlée d’une représentation
issue du travail de l’imagination engagé à partir de la rencontre de la
planche et de la perception dans la réalité du stylo à plume utilisé par le
psychologue pour prendre en note les réponses proposées (on peut penser
à cet égard à nouveau aux mouvements de contrôle déployés par Laetitia :
inscrire dans la production verbale un objet de la réalité externe, attaché
au psychologue, qui, de surcroît, peut être référé dans une dimension
phallique, constitue une manière de limiter les enjeux d’excitation qui
infiltrent le lien transférentiel).
De manière incidente, on peut repérer que ces glissements peuvent
également être repérés dans la rencontre des planches du CAT, en particulier
à la planche 3 (qui confronte l’enfant à une figuration de la puissance
phallique à partir de la représentation d’un lion, nanti d’attributs : canne,
pipe) : en effet, on identifie au décours du récit proposé à cette planche une
craquée verbale : « c’est quoi ça c’est un lion ? dis donc ! alors il était une
fois un violon... un vieux lion qui était pas gentil du tout (...) ». Au regard
de la thématique du discours (voir le protocole dans son entier ci-dessous),
s’inscrit la perspective selon laquelle la rencontre de la puissance phallique
actualise une expérience de castration insupportable, qu’il s’agirait de tenir
à distance... ici au prix de l’intégrité des processus de pensée.
En contrepoint, on peut noter que l’intervention du psychologue dans le
cadre de l’enquête des limites (planche III), avec la proposition de la réponse
banale « deux personnes » ouvre sur un nouveau mouvement d’excitation,
avec l’évocation quasi-explicite d’une scène sexuelle qui désorganise d’une
certaine manière sa capacité à contenir l’excitation lorsque la représentation
humaine se trouve appelée (« oui... et ça c’est quoi ? le quiqui et la zézette,
ils se battent avec leur ventre »).
Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent 297

➤ Le traitement des conflits

Les angoisses dont témoigne la production projective se situent essentielle-


ment dans le registre des angoisses de castration. Tout se passe comme si
ces angoisses n’avaient pu être suffisamment contenues, et qu’elles n’avaient
pu s’inscrire dans des processus défensifs efficients dans le registre du
refoulement. À l’épreuve de Rorschach, alors même, on le sait, que les
sollicitations se situent davantage dans un registre primaire que secondaire,
apparaissent de manière répétée, mais exclusivement dans le temps de
l’enquête (temps de diminution du contrôle ?), des réponses sexuelles, dont
l’adéquation perceptive/projective peut être mise en doute... (planche I, à
l’enquête pour expliciter la réponse « papillon » : « les deux ailes, les yeux,
ça les yeux, les antennes et le quiqui, la zézette ou le quiqui ? » ; planche II,
en référence à la réponse « papillon », précédée de la remarque « encore » :
« les yeux, ailes, et le quiqui » puis à la planche X, toujours en lien avec
une représentation de papillon : « les deux antennes, les deux ailes, le petit
cœur, comme le zizi qui pend ». Par ailleurs, on peut faire le constat que
face aux planches du CAT, bien autrement excitantes dans la mesure de la
transparence des conflits œdipiens portés par les planches, les angoisses de
castration se jouent sur une modalité archaïque, particulièrement autour
des angoisses de dévoration et de destruction (planches 2, 3, 4, 5 et 6).
Face à ces angoisses, les mouvements défensifs qui se mettent en œuvre
se situent essentiellement sur le versant du contrôle, par échec du travail du
refoulement... contrôle qui parfois échoue et laisse Laetitia aux prises avec
l’excitation. Le contrôle se traduit en particulier par la place qu’occupent les
réponses globales au détriment d’une appréhension analytique du stimulus,
mais il se traduit également par la prégnance des réponses animales et
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de pseudo-humains au détriment de réponses humaines qui pourraient se


constituer comme support pour le jeu des identifications (on note également,
dans la même lignée, l’absence de réponses kinesthésiques, qu’elles soient
de kinesthésie humaine ou de kinesthésie de substitution). Le contrôle peut
être également repéré au travers du choix des déterminants : l’ensemble
des réponses est déterminé par la forme (F % = 100), alors que celles-ci
n’apparaissent adéquates que dans une mesure limitée (F+ % = 26). Le
retrait face à toute émergence affective (Σ C = 0, absence de réponses
sensorielles en général et T.R.I = 0/0), et la rétraction de la vie psychique
dont il rend compte, tend à faire retour au travers de la forte mobilisation
des planches couleur (RC % = 43). Ces différents éléments témoignent de
298 Illustrations cliniques

l’activité conflictuelle au cœur du fonctionnement psychique de Laetitia, et


laisse augurer des potentiels de mobilisation de l’enfant.
Au plan de la construction identitaire, les différentes sollicitations
proposées à Laetitia (présentation des planches de l’épreuve de Rorschach,
enquête des limites...) et la manière dont la fillette se situe à leur égard,
tendent à conforter l’absence de troubles majeurs dans la construction des
repères et de la différenciation entre monde interne et réalité externe : la
réponse banale à la planche V contribue à attester de cette construction...
même si les glissements déjà évoqués au décours de la seconde réponse
de la planche peuvent ouvrir une forme de doute. Il semble que l’on
peut mesurer ici la dimension désorganisatrice que peuvent entraîner les
carences dans le travail du refoulement : la mobilisation de l’excitation
attachée à la représentation de la « plume » (référence à une représentation
sexuelle/phallique) tend à subvertir l’appréhension unitaire et stable du
stimulus, au profit d’une forme de dérapage. En contrepoint, les récits
proposés au CAT confirment la qualité globale de la saisie de la réalité par
Laetitia au travers d’une adéquation des représentations mobilisées au regard
du stimulus.
Au plan identificatoire, ainsi que cela a été précédemment évoqué, il
apparaît que toute référence à la différence des sexes ouvre sur l’expression
d’une excitation difficile à lier par le biais de représentations en mesure de
se proposer comme compromis face au stimulus. Cela est particulièrement
patent dans la rencontre avec les planches de l’épreuve de Rorschach, dans
la mesure de la traduction, dans le langage, de cette excitation (réponses
explicitement référées aux organes sexuels, masculin et/ou féminin). Au
CAT, il semble que ce soit davantage dans l’évitement que se joue la
rencontre avec la différence des sexes et des générations : les représentations
parentales, qui contiennent la référence à la sexualité au sein du couple,
tendent à être évitées, ou mises à distance. Un exemple peut être proposé à
la planche 5 (dont on connaît la sollicitation latente en lien avec le fantasme
de scène primitive–scène originaire) : « il y a deux petits ours dans leur lit, le
papa et la maman ils sont pas là ils sont en train de déjeuner... les petits ours
sortent faire une balade tous seuls et quand ils voient le grand méchant loup
ils repartent vite dans leur lit ». Si la mise à distance de la représentation du
couple parental et de la sexualité qui les unit autorise une première marque
de dégagement, on peut repérer la fragilité de cet aménagement qui tend à
laisser Laetitia face à un vécu d’abandon et d’insécurité.
Les relations d’objet paraissent s’établir dans une référence a minima à la
triangulation œdipienne, même si celle-ci est vécue comme éminemment
Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent 299

dangereuse du fait du débordement d’excitation attaché à son évocation.


Sans doute l’absence de réponse humaine dans le protocole de Rorschach (au
profit de monstre et de robots, certes inquiétants mais asexués) constitue-t-il
un indice de la difficulté d’un véritable investissement d’une relation d’objet
œdipienne, laissant Laetitia dans la nécessité de réduire les expressions de
la conflictualité à une dimension duelle comme le montrent bien les récits
produits face aux planches de l’épreuve du CAT.

➤ Synthèse et perspectives cliniques

Il semble que l’on puisse considérer le cas de Laetitia comme paradigmatique


de la survivance, dans le temps de la latence, de problématiques œdipiennes
extrêmement florides qui peinent à se trouver contenues dans l’élaboration
de scenarii fantasmatiques à même de traiter l’excitation pulsionnelle engagée
dans la rencontre œdipienne. Sans doute à cet égard peut-on penser l’absence
paternelle (absence à un temps de rencontre proposé par le psychologue
autour des difficultés d’apprentissage de Laetitia) comme signifiante d’une
confrontation impossible (confrontation à la limite, confrontation à la
différenciation, confrontation au refoulement ?). On peut en effet émettre
à l’endroit du défaut du travail de refoulement dans la construction et
l’expression du fonctionnement psychique de Laetitia une double hypothèse :
• d’une part, la particularité de la conception de Laetitia par la voie d’une
procréation médicalement assistée, mise en avant par les parents (la mère)
de l’enfant, confronte celle-ci à une scène originaire qui se déploie sur un
mode traumatique, peu élaborable dans la mesure de ce qu’elle indique
d’une exposition de la sexualité des parents ;
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• d’autre part, la difficulté d’accès aux apprentissages de Laetitia, dans


la mesure où cet accès mobilise la question de la curiosité (et de la
curiosité sexuelle tout particulièrement) témoignerait d’une inhibition
de type névrotique, qui protège l’enfant de représentations trop crues de
la sexualité.
Si les assises narcissiques de Laetitia semblent a minima assurées, excluant
toute inscription dans un registre psychotique de fonctionnement psychique,
il n’en reste pas moins que la potentialité désorganisatrice de l’excitation
sexuelle génitale place l’enfant dans une forme de risque : en effet, le retrait
à l’égard des apprentissages, s’il protège Laetitia d’un rapproché trop chaud
avec l’excitation pulsionnelle, tend à invalider une part des investissements
sociaux dont on sait que la période de la latence permet le déploiement.
300 Illustrations cliniques

À cet égard, et au regard des potentiels d’élaboration dont témoigne


Laetitia, il apparaît tout à fait important d’envisager un accompagnement
psychothérapique qui permette à la fillette de se dégager du débordement
d’excitation lié à la rencontre œdipienne, en s’y confrontant sur la scène
thérapeutique. Avec une enfant curieuse au plan intellectuel comme peut se
présenter Laetitia, la médiation de récits, de contes ou de l’écriture pourrait
représenter un bon compromis pour une prise en compte de la souffrance
psychique de Laetitia (tout à la fois appui sur une production normative,
comme support rassurant d’une figuration de l’histoire des origines et
déploiement de son activité fantasmatique propre).

Protocole de Rorschach de Laetitia, 7 ans et 7 mois


Pl. Temps R Passation Enquête Cotation

1 Ça peut être un papillon, les deux ailes, les yeux, ça G F+ A Ban


ouh là, on comprend rien les yeux, les antennes et
I 0:00:35 par contre (elle regarde ce le quiqui, la zézette ou le
que j’écris et commente quiqui ?
mon écriture).

2 ( ?) Une chauve- pour la chauve-souris G F+ A Ban


souris...voilà. comme le papillon

3 Ouh là, alors ça... on dirait là on trait les vaches (D3), G F- A


II 0:00:45 une vache qui fait pipi. là le corps (D1), les yeux —> kan
(D2), la queue (autre D1).

4 Encore un papillon... ça se les yeux (D2), ailes (D1) G F- A


voit quand même... et le quiqui (D3).
c’est bizarre...c’est un peu
bizarre.

5 Une mouche...et voilà. yeux (D2), ailes (D1) G F- A


et le quiqui là comme
d’habitude, pattes, yeux
(D3)...on dirait un nœud-
papillon et là tout le corps
(D1).

III 0:00:25 6 Une araignée. G F- A

7 Une grenouille et je pense avec des dents comme G F- A


que c’est tout. ça...non V (E ?) deux per-
sonnes ? Oui...et ça c’est
quoi ? (D7) : le quiqui et
la zézette, ils se battent
avec leur ventre.
Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent 301

(suite)
Elle est pas à l’envers,
V je vois mieux on dirait
IV 0:00:35 8 qu’il a deux têtes celui-là... G F+ (H)
Λ un monstre, un drôle de
monstre.

9 V Λ Alors ça c’est G F+ A Ban


encore un papillon...je
V 0 : 00 :30
pense qu’elle est là sa tête

10 Une chauve-souris à GCont F+ A


plume...là on dirait un (référence au
stylo à plume...et voilà stylo à encre du
(retourne la planche). psychologue ?)

Ouh ben dis donc celle-là les côtés (D lat.) et là la


elle est drôle, une sorte de tige.
VI 0:00:55 11 G F+ Bot
feuille, une feuille V Λ et
voilà.

VII 0:00:50 12 Une rivière de traviole. c’est toi qui l’a fait ? G F- Geo

13 V Ça pourrait être aussi pas un train, un géant, les G F- (H)


un train géant. pattes et la tête.

La suivante est multico- bras (D1), pour qu’il


VIII 0:01:00 14 lore, ça va mieux V un tourne (D4) la tête. G F- (H)
robot et...

15 Et un monstre. G F- (H)

16 Et un papillon qui est très deux ailes (D1), grosse G F- A


drôle. tête (D2) comme la
toupie.

17 Et une chauve-souris comme le papillon. G F- A


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voilà... je comprends un
peu rien mais je regarde
bien.

Je vais pas faire des dessins


IX 0:00:45
tous les jours !

18 V Un tourbillon magique ça tourne.


(fait tourner la planche sur G F- Frag
elle-même).

19 Ou sinon V un ours un ours qui se transforme,


G F- A
magique. tête, bras, jambe.
302 Illustrations cliniques

(suite)
20 V Ou un cerf magique (fait
tourner la planche sur elle- G F- A
même).

21 Euh... V un papillon. les deux antennes (D4), DD F- A


les deux ailes (D9), le petit
X 0:00:50
cœur, comme le zizi qui
pend (D8).

22 Une chauve-souris. comme le papillon. DD F- A

23 Un oiseau euh...un oiseau les deux ailes (D9), le bec D F- A


et voilà. qui ouvre (D4) et le petit
cœur (D6).

Durée totale de la passation : 00:07:10

Pl + Je trouve que c’est la plus jolie, c’était le robot le plus... le plus joli, le plus
VIII
brillant.

IX J’aime bien quand ça brille et quand ça tourne le tourbillon.

Pl - IV

Psychogramme résumé
Temps total : 7. Temps/ réponse : Temps latence moyen :
R = 23
10’ 0. 19’ 0.00’
G : 19
GCont : 1 F : 23 F% : 100 H:0
D:3 F+ : 6 F+% : 26 Hd : 0
F- : 17
H% : 0
(H) : 4
G% : 63 A:6
D% : 37 A% : 75
ΣC:0
T.R.I : 0/0 Geo : 1
Bot : 1
RC% : 43 Frag : 1

Ban : 3

Ang% : 0
Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent 303

Protocole de CAT de Laetitia, 7 ans et 7 mois


Pl. Temps Récit

1 0:01:10 On peut faire : trois oiseaux qui déjeunent derrière eux il y a un coq ou
une poule et alors ils déjeunent tranquillement jusqu’à ce que la ponte
arriva ( ?) rien... et après ils retournèrent au lit.

2 0:01:25 Ah oui, trois ours, deux d’un côté et deux de l’autre... et y en avait deux
d’un côté qui tiraient et un de l’autre... qui va gagner ? les deux ours bien
sûr... et ils continuaient, ils continuaient jusqu’à... jusqu’à que... ? jusqu’à
ce que le grand dragon arrive ( ?) et alors ils s’enfuient vite pour aller se
cacher... parce que le dragon se réveille le soir.

3 0:01:15 C’est quoi ça c’est un lion ? dis donc ! alors il était une fois un violon...
un vieux lion qui était pas gentil du tout... sauf quand il voyait des souris
parce qu’il avait peur des souris... alors il se dit non ! un lion a pas peur
des souris ! alors il le mangea... et y a rien d’autre à dire.

4 0:01:40 Ah ben ça par contre... il y avait un maman kangourou avec son enfant
en vélo et son bébé dans la poche, elle avait un panier, un chapeau... et
elle sauta, elle sauta jusqu’à ce que le petit enfant ait mal... de pédaler...
alors elle rentra se coucher jusqu’à temps qu’un grand oiseau féroce arriva...
juste à temps les kangourous étaient en train de dormir.

5 0:00:55 Il y a deux petits ours dans leur lit, le papa et la maman ils sont pas là ils
sont en train de déjeuner... les petits ours sortent faire une balade tous seuls
et quand ils voient le grand méchant loup ils repartent vite dans leur lit.

6 0:01:00 C’est quoi ça c’est des ours ? il y avait deux ours dans une grotte, un petit
et un grand... il y en avait un qui dormait et l’autre qui essayait de se
décoincer parce qu’il était trop gros dans le trou... jusqu’à ce que le petit
ours sortit... plus que quatre.

7 0:00:55 Ouh là la... il y avait un singe qui se balançait de liane en liane jusqu’à
ce qu’un tigre arrive et lui sauta dessus... et voilà ( ?) le singe va se faire
dévorer.

8 0:00:50 Alors la grand-mère qui était morte était en photo, la maman, la tata, pépé
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et le papa... la tata gronda le petit singe... et voilà...

9 0:01:05 Un petit lapin dans son lit se réveilla... il se dit mais c’est le jour alors je
vais aller déjeuner.

10 0:00:30 Oh des chiens... il y avait des chiens... alors sa maman tapa son petit chien
sur ses fesses et le petit chien dit « ouah » et la maman dit « c’est pas
bien » alors le p’tit chien alla se coucher et la maman aussi ( ?) qu’il fasse
pipi partout dans la maison.

Durée de la passation : 0:10:45


304 Illustrations cliniques

Houria, 8 ans

Houria est âgée de 8 ans environ au moment de la consultation. C’est sa


mère qui prend contact avec le service de consultation, sur les conseils de la
pédiatre qui suit l’enfant depuis la naissance. La question de l’intégration
scolaire est au cœur des préoccupations, dans la mesure où Houria est
identifiée par l’école (de fait depuis plusieurs années) comme une enfant
peu adaptée aux exigences liées aux apprentissages.

➤ La demande et la construction de l’examen psychologique

Les deux parents sont présents lors du premier entretien. Houria est présentée
par eux comme une petite fille réservée, plutôt introvertie, qui ne pose pas
de difficultés particulières du point de vue de l’éducation : enfant unique
du couple parental, elle répond globalement aux attentes et aux exigences
que ses parents peuvent avoir à son égard, tant du point de vue de son
développement global que celui des relations au sein de la famille. Les parents
mettent en évidence le fait que Houria se montre une petite fille solitaire,
parfois repliée sur elle-même et, en tous les cas, en difficulté du point de vue
de sa vie sociale... mais sans que cela ne se traduise par une marginalisation
significative dans son environnement de vie (école, voisinage...). De fait,
la préoccupation s’avère principalement liée aux résultats scolaires et à la
perspective de la nécessité d’un redoublement au regard des performances
de Houria.
Dans le même temps, la situation familiale est présentée de manière
quelque peu dramatisée : la mère de Houria doit faire face à de graves
difficultés de santé, avec des hospitalisations répétées, tandis que son père
se décrit lui-même comme peu en mesure d’assurer la prise en charge de
sa fille au quotidien. Apparaît ainsi un contexte d’insécurité relationnelle
pour Houria, dans la double valence de l’inquiétude pour la santé de sa
mère et de l’expérience d’un appui précaire du point de vue paternel : des
solutions palliatives sont mises en place par la mère, non sans culpabilité, afin
de garantir une continuité suffisante de préoccupation à l’égard d’Houria
(mobilisation d’amis de la famille en particulier, le milieu familial se montrant
peu en mesure, pour des raisons diverses, de contribuer à l’accueil de Houria).
Un bilan psychologique, intégrant des épreuves d’évaluation des com-
pétences cognitives et du fonctionnement psychique, est mis en œuvre.
Seront ainsi proposées successivement à Houria le WISC-IV, l’épreuve de
Rorschach et du CAT.
Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent 305

➤ Clinique de la passation

La passation des différentes épreuves sera laborieuse. Houria montre


rapidement des difficultés tout à la fois dans l’épreuve cognitive du WISC-IV
et dans les épreuves projectives. Elle se tient en retrait de l’investissement
de la relation, dans un mouvement que l’on pourrait qualifier de phobique.
Les résultats obtenus au WISC-IV témoignent d’une efficience intellectuelle
très altérée, témoin d’une modalité de relation au monde qui l’entoure
extrêmement précaire.
Face aux épreuves projectives, Houria se trouve limitée dans la mobili-
sation d’une conscience interprétative et tend à s’arrimer à la nécessité de
reconnaître dans l’engramme des planches une réalité connue (à la planche
I du Rorschach, elle demande : « Hé en fait, c’est quoi ce truc ? », comme
s’il s’agissait effectivement d’un exercice de devinette ; puis elle formule à
plusieurs reprises le sentiment qu’elle ne se « rappelle plus », comme s’il
s’agissait d’une tâche de reconnaissance d’une réalité connue). Houria se
maintient à distance du matériel de l’épreuve, ne touche pas les planches
malgré qu’elles lui soient tendues, et les appréhende alors une fois posées
sur la table.
La verbalisation est limitée, entrecoupée de nombreux silences, qui ouvrent
autant d’invitations à la solliciter à développer ou préciser son expression,
invitations dont la petite fille ne se saisit que fort peu, échouant à prendre
appui sur la relation clinique. De fait, ces silences semblent constituer
autant de marques de distanciation à l’égard de la situation : Houria semble
s’échapper de la passation, elle regarde ailleurs, marquant ainsi une forme de
désintérêt (ou d’échec ?) pour cette mobilisation de l’imaginaire à laquelle
elle est invitée. On pourrait à cet égard évoquer une forme de refus tempéré
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

de l’épreuve, dans un contexte où une opposition frontale représenterait


une menace pour le lien et, au-delà, pour sa propre sécurité. Le contrôle
visuel sur la prise de note du protocole participe sans doute également de ce
mouvement.

➤ Les processus de pensée

La production projective de Houria se révèle particulièrement pauvre, non


pas tant du point de vue quantitatif (R = 18), que du point de vue de
la qualité de la verbalisation. Les réponses sont portées par des modalités
d’appréhension et un langage souvent approximatifs, peu précis ou incorrects
(par exemple les « marmout », planche VIII, à l’occasion de l’enquête
306 Illustrations cliniques

des limites), voire peu cohérents (planche VIII : « un oiseau comme un


dinosaure ») ou instables (le glissement, manifesté à l’enquête, de la planche
V à la planche I en témoigne).
La majorité des réponses est donnée en réponse globale (G% = 89). Les
deux seules réponses de grand détail sont énoncées à la planche X, marquée
par une dispersion du stimulus : tout se passe comme si le mode de saisie
du stimulus par Houria se trouvait comme plaqué à ses qualités les plus
immédiatement perceptibles. Par ailleurs, la discrimination du stimulus sur
lequel porte la réponse est souvent précaire : une grande part des réponses
globales peuvent être qualifiés de réponses vagues, au sens de la faible
structuration du stimulus de la planche.
Ainsi, les processus de pensée se présentent comme étant marqués par
une labilité notoire (discontinuité, instabilité), révélant une fragilité dans la
construction des contenants de pensée. La quête d’un appui sur la réalité
d’un vu-connu apparaît comme une stratégie au service de la restauration
d’un espace de continuité à même de soutenir a minima une démarche de
sens.

➤ Le traitement des conflits

On peut considérer deux modalités principales d’expression des angoisses


dans le protocole de Houria :
– d’une part, comme cela vient d’être énoncé, au décours de la fragilité
dans la construction des limites (limite du stimulus et limite séparant les
planches entre elles) ;
– d’autre part, au travers des contenus des réponses, dont une part se réfère
à des contenus agressifs ou morbides (planche V : « C’est comme une
araignée (E : ?) ça boit du sang... » ; planche IX : « un squelette... sans
yeux »), et une autre à des animaux à sang froid dont la tonalité est plutôt
dysphorique (araignée, scarabée, limace...).
Ainsi les angoisses se présentent-elles au Rorschach essentiellement en
lien avec la fiabilité et/ou la perte des limites et des enveloppes psychiques,
angoisses liées à la sécurité et à l’intégrité du monde interne. En contrepoint,
le CAT met en évidence la prégnance d’angoisses de lâchage et/ou d’abandon.
Dans ce contexte, les défenses mobilisées par Houria empruntent
plusieurs voies, et c’est leur caractère drastique et rigide qui seul peut
en assurer l’efficience : la voie du contrôle et de l’inhibition (restriction de
la verbalisation, emprise visuelle sur le clinicien), la voie du clivage, que l’on
Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent 307

peut repérer tout à la fois au regard de discontinuité des investissements


(clivage du Moi ?) et au regard de la coexistence de contenus contrastés, non
conflictualisés et proposés dans la même appréhension globale de la planche
(planche VII : « C’est des anges et des diables et c’est tout.... »), en appui
sur des parties distinctes pour justifier les ailes des premiers et la queue des
seconds.
On note un faible investissement des représentations humaines (H = 2),
qui se présentent :
– soit de manière indistincte quant à l’appartenance masculine ou féminine
(planche III : « c’est une dame et un monsieur ») ;
– soit dans une fragilité de leur dimension vitale, comme en témoigne
le glissement d’une réponse humaine à une réponse de squelette à la
planche IX.
Ce faible investissement ne se trouve pas compensé par l’investissement de
réponses animales substitutives (animaux anthropomorphes) : le bestiaire
ne contient aucun mammifère mais uniquement des animaux à sang froid
(insecte, poissons, dinosaure....). L’évitement relationnel qui sous-tend les
réponses au Rorschach (absence de kinesthésie humaine) se trouve pour une
part confirmé dans les réponses au CAT qui mettent en scène, au mieux, des
représentations de relation dans le registre de la simple coexistence (planche
2, 5 et 6 par exemple) ou de la dépendance et/ou de la contrainte (planche
8, 9 et 10). Le refus à la planche 1 du CAT interpelle tout particulièrement
du fait de l’impossibilité de représenter le lien maternel autour en appui sur
la mobilisation de l’oralité. Domine, dans ce contexte, un évitement de la
conflictualité que l’on peut comprendre comme le témoin de la précarité de
la construction des liens sur le fond d’angoisses de lâchage.
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Notons enfin la présence d’un TRI coarté (0/0), qui rend compte de
la pauvreté de la dynamique du fonctionnement sur la double polarité de
l’intériorisation des investissements et d’un rapport sensible au monde qui
l’entoure.

➤ Synthèse et perspectives cliniques

Au total, l’examen psychologique (et le Rorschach en particulier) témoigne


d’une grande précarité des organisateurs de la personnalité de Houria. La
fragilité des enveloppes psychiques offre un tableau clinique que l’on peut
rapprocher des pré-psychoses (J.-Y. Chagnon & M.-L. Durand, 2007). On
308 Illustrations cliniques

soulignera tout particulièrement deux aspects qui signent la singularité du


fonctionnement psychique dans cette configuration :
– d’une part, le retrait de l’investissement cognitif dont l’on peut relever
la trace dans les épreuves cognitives, avec le témoin que propose le
calcul du QI, et dans les épreuves projectives, et tout particulièrement
dans l’épreuve de Rorschach, avec l’inhibition massive qui fait suite à
l’invitation à donner forme et organiser un stimulus qui ne possède
d’autre structure que sa conformation bilatérale ;
– d’autre part, la coexistence sectorisée de modalités adaptatives (les
banalités aux planches V et X de l’épreuve de Rorschach, l’adéquation
générale du thème des récits à la nature du stimulus au CAT) et de
modalités en retrait de l‘investissement de la réalité et, plus spécifiquement,
en retrait de l’investissement libidinal
Dans ce contexte, et au regard de la massivité de l’effondrement de
l’efficience cognitive, il importe d’envisager, au bénéfice d’Houria, tout
à la fois des explorations complémentaires dans le champ neurologique
et/ou neuropsychologique, et une orientation vers un dispositif de soin et
un dispositif scolaire adéquat : l’hypothèse d’une prise en charge dans
le cadre d’un hôpital de jour, structure à même de conjuguer une
approche institutionnelle et une approche pédagogique semblerait tout
particulièrement indiquée. On peut mentionner en contrepoint qu’un
soutien aux parents apparaît indispensable, dans la mesure de l’attaque
narcissique majeure que représentent les difficultés massives de Houria, avec
les aspects invalidants qu’elles entraînent, au regard de l’idéal de l’enfant
bien-portant qui anime la fantasmatique parentale.
Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent 309

Protocole de Rorschach de Houria, 8 ans


Pl. Temps R Passation Enquête Cotation

1 L. 0.03’ Hé...En fait c’est (montre avec son doigt). G F- A


quoi ce truc ?... une arai- Ça ! Ses antennes (D1)
0:01:15 gnée...
(E : ?)
I

2 Un scarabée (montre sur la planche) G F- A


(E : ?) Heu...je me rap- C’est ça. C’est les oreilles
pelle plus. (D7)

3 C’est une fourmi... (montre toute la planche). G F- A


II 0:01:10 (regarde ce que le C’est ça ! à cause du truc
clinicien écrit) blanc (Dbl5)

4 Un papillon... montre sur la planche) G F+ A


(E : ?) Les antennes (D2)

(regarde ailleurs)
Je me rappelle plus des
autres

5 C’est une dame et un mon- Le monsieur il est là, et pis G F+ H


sieur... la dame elle est là. Ça !...
III 0:01:05 L. 0.55’ Une jambe (D5)
(E : ?)
je me rappelle plus

6 C’est heu... Ses antennes, là (D3). Et G F- A


Une limace... (regarde les oreilles (D4)
ailleurs)
IV 0:00:35 L. 0.20’
(E : ?)
(Hoche la tête pour dire
non.)
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7 C’est une chauve-souris... Les ailes G F+ A Ban


L. 0.30’

8 (E : ?) G F+/- A
(hoche de la tête)
(E : ?)
V 0:04:00 Je me rappelle plus du
nom.
( ?)
310 Illustrations cliniques

(suite)
C’est comme une araignée Une mygale (E : ?)
(E : ?) Elle est heu...(prend les
ça boit du sang... planches qui sont retour-
nées et cherche la planche
I). Elle est là. (E : ?)
(montre sur la planche I)
Ce trait, et pis ça les yeux.

9 C’est une feuille. Les bouts. G F+ Bot

VI 0:00:25 10 C’est comme un poisson. La queue. G F+ A

11 Et c’est un oiseau C’est avec les ailes G F+ A

12 C’est des anges Ça. C’est les ailes des G F+ (H)


anges (D3)
VII 0:00:50
13 Et des diables... et c’est G F- (H)
tout La queue

14 C’est... un oiseau comme Le corps de l’oiseau G F- A


un dinosaure.
(E : des bêtes ?) ça c’est
... et je me rappelle plus comme des...des... mar-
mout (D1) ?
VIII 0:00:50 (E : ?) Des marmout,
je sais plus comment
ça s’appelle ? (E : des
mammouths ?) des mam-
mouths.
(R. Add : D F+ A Ban)

15 On dirait un homme (non G F+ H


audible)
(E : ?)
c’est un homme

IX 0:00:50

16 Et un squelette... sans yeux Le nez (Dd5) et le corps G F- Anat


(E : ?) (D6)
Oui et c’est tout

17 ça ressemble à des crabes (montre toute la planche D F+ A Ban


ces deux (montre sur la puis les deux détails sur la
planche) planche – D1)
X 0:01:35
(E : ?)
Les pinces, ça, le bout

18 Une chenille et c’est tout. D4. D F+ A

Durée totale de la passation : 00:12:35


Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent 311

(suite)
Pl + X Parce que j’aime bien la couleur.

III Parce que j’aime la couleur du nœud.

Pl - II Elle a pas beaucoup de couleur comme celle-là (montre la X).

IV Parce qu’il n’y a que du noir.

Psychogramme résumé
Temps total : Temps/ réponse : Temps latence moyen :
R = 18
12.35’ 01.16’ 0. 11’
G : 16
F: 18 F%:100 H:2
D:2 F+ : 10 F+% : 59 H% :
(H) : 2
F- : 7
F+/-: 1
G% : 89 A : 12
A%:
D% : 11
ΣC:0
T.R.I : 0/0 Bot : 1
Anat : 1
RC% : 28
Ban : 2
Ang% : 5.5

Protocole de C.A.T de Houria, 8 ans


Pl. Temps Récit
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1 0 : 03 : 30 L. 1.15’ (?) L. 0.50 (?) J’arrive pas à trouver ! (?) L.0.50 (?) L.0.40’

2 0:02:10 C’est l’histoire de trois ours qui tiraient une corde avec son petit, et avec la
maman et le papa (?) L. 0.40’ (?) Ils tirent une corde ( ?) Après la corde
elle se déchire (regarde dans le vide) (?) Après ils ont plus de corde.

3 0:01:50 C’est l’histoire d’un lion qui est dans, sur le fauteuil... (?) (montre sur la
planche) Il y a une canne et derrière il y a une souris. (?) Ils regardent les
enfants (?) Ils sont... ils sont rendormis (?) Le lion.

4 0:02:00 La maman kangourou va pique-niquer avec ses deux enfants... Elle a pris
un chapeau et un sac (regarde le clinicien écrire et s’arrête) (?) Elle se
dépêche... le petit il a pris un ballon... (?) La petite fille kangourou elle,
elle est sur son vélo... Il se dépêche aussi... (?) dans la forêt, il y a déjà le
papa qui les attend.
312 Illustrations cliniques

(suite)
5 0:01:35 (sourit) C’est l’histoire d’une, de deux petits ours. (s’arrête pour laisser
écrire le clinicien)... ses parents ils sont pas dans le lit... les bébés ours, là
dans le berceau. (?) Heu point (?) Point (?) Fin.

6BM 0:01:45 L. 0.20 C’est... 0.15’ Houlà (en souriant)... C’est l’histoire de les ours. La
maman ours et les bébés ours, l’ours, ours. ils dormaient... et il dort dans
une grotte... il y a des feuilles et la maman elle dort, le bébé il est réveillé
(?) Le papa il est parti (?) Le bébé s’endort.

7BM 0:01:10 C’est l’histoire d’un tigre et un singe. Ils se bagarraient... le tigre il attaquait
le singe... et c’est dans la jungle... ... Après le singe il le griffe...et le tigre
aussi.... et c’est tout !

8BM 0:02:10 (rit) C’est l’histoire de quatre singes. Il y avait le papa et la copine de la
maman singe... Le bébé singe, non l’enfant singe... oui... ... il regarde la
maman... la maman, elle lui dit « va dans ta chambre »... et le papa singe,
le papa singe parlait avec heu la copine de maman singe... et la maman
singe est assise sur le fauteuil (?) Le, l’enfant singe il est parti se coucher.
(?) Ils parlent.

9 0:01:05 C’est l’histoire d’une petite, d’un petit lapin qui était dans son lit et il avait
peur du noir et sa maman laisse la porte ouverte. Et c’est tout ! (?) Après
elle dort, il dort.

10 0:00:10 (s’amuse en voyant la planche) C’est l’histoire de deux chiens... le papa il


lui disait d’aller aux toilettes. Après il se lavait les mains. Il brosse (?) ses
cheveux. C’est tout.

Durée de la passation : 0 : 17 : 25

Pierre, 9 ans

Pierre est âgé de 9 ans lorsqu’il est rencontré pour un examen psychologique
particulièrement orienté sur bilan projectif (proposition de deux épreuves
projectives, le Rorschach et le TAT, dans le cadre de trois rencontres
comprenant un temps nécessaire de synthèse), à la demande conjointe du
médecin-psychiatre qui le reçoit ponctuellement avec ses parents en entretien,
et du médecin-pédiatre hospitalier qui suit l’enfant depuis plusieurs années.

➤ La demande et la construction de l’examen psychologique

La demande de bilan s’inscrit dans l’objectif d’affiner la position diagnostique


à l’égard des troubles de Pierre et, surtout, de proposer une approche
psychodynamique du fonctionnement psychique de l’enfant. En effet, les
Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent 313

troubles de Pierre ont jusque-là largement été appréhendés et investigués


au plan neurocognitif et neurodéveloppemental. Cette approche a conduit,
à la suite de nombreux bilans, à élaborer un protocole de prises en
charge rééducatives classiques : psychomotricité, ergothérapie, remédiation
cognitive.
Comme tous les enfants agités, Pierre épuise son entourage familial : ses
parents ont le sentiment qu’il occupe toute la place, qu’il mobilise toutes
les préoccupations au sein de la famille – il est l’aîné de quatre enfants, et
les trois plus jeunes vivent au rythme des nombreuses consultations dont
bénéficie Pierre (les parents disent ne jamais se déplacer sans le kit à dessiner
pour ces derniers).
Pierre épuise également son entourage scolaire et ses difficultés de
concentration, pourtant relativement bien contenues par un traitement de
Ritaline®, prescrit pour les jours de scolarité, mettent à mal sa place dans
l’institution scolaire, davantage en termes de comportement qu’en termes
de réussite scolaire d’ailleurs.
Au fond, on peut considérer que l’un des enjeux majeurs de la démarche
de bilan tient dans la possibilité de pouvoir (enfin) prendre en compte
la dimension de la souffrance psychique de Pierre, là où l’ensemble des
dispositifs mis en œuvre (sur le versant des bilans ou sur le versant des prises
en charge) vise la dimension des compétences et/ou des performances qui a
été massivement envisagée.

➤ Clinique de la passation

Pierre se présente dans une difficulté à maintenir son attention dans la durée
de l’engagement relationnel dans le cadre de la consultation, particulièrement
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dans le temps où ses parents sont présents avec lui. Il épuisera d’ailleurs le
stock de feuilles à disposition des enfants pour réaliser des avions en papier,
qu’il fera voler dans le bureau du psychologue en les poursuivant en courant
et en sautant.
Il semble assez patent que la situation d’entretien en présence des parents
mobilise chez l’enfant une excitation tout à fait particulière : tout se passe
alors comme si Pierre bénéficiait d’une scène sur laquelle il pouvait mettre en
jeu une souffrance, qui se traduit, en particulier, par une quête d’attention
à tout prix et permanente.
Dans la rencontre duelle, après un premier temps dans lequel Pierre tend
à éviter la rencontre, deux mouvements peuvent être identifiés :
314 Illustrations cliniques

• d’une part, la mise à l’épreuve des limites offertes par le cadre de la


rencontre, qui est aussi mise à l’épreuve de la qualité du lien et des
potentiels de déploiement de la relation dans ce lien ;
• d’autre part, la quête d’une attention et d’une préoccupation rapprochées
de la part du psychologue, dont on peut penser qu’elles ont pour
fonction de rassurer le risque d’une perte du lien ; c’est à ce prix
qu’une rencontre de Pierre pourra avoir lieu, au-delà des mouvements
de rétorsion que ces comportements peuvent mobiliser dans les positions
contre-transférentielles.
Au final, c’est autour de la situation, pour une part initiée par Pierre, d’un
dessin à deux, situation à laquelle le psychologue se prête (et dans laquelle
il prête son appareil à transformer et à imaginer) que pourra s’engager une
forme de jeu qui constituera un authentique espace de rencontre.
La passation de l’épreuve de Rorschach est laborieuse, Pierre bouge
beaucoup, tente de contrôler la passation en anticipant la présentation
des planches sans porter véritablement d’intérêt à celles-ci et imprime de
nombreux mouvements de retournement aux planches. Il souhaite trouver
réassurance quant à l’engagement d’autres enfants dans cette épreuve et
souhaiterait savoir ce que ces derniers répondent. Cet appui sur les « autres
enfants » imaginés vient conforter Pierre à l’égard d’une situation qui lui
échappe : sa préoccupation pour l’origine du matériel de l’épreuve, mais aussi
pour sa qualité tactile, participent sans doute des mêmes mouvements de
réassurance. Par ailleurs, on peut comprendre les nombreuses sollicitations
du psychologue, au sujet de l’épreuve ou non (planche II : « vous avez une
console ? (...) ») tout à la fois comme une tentative de réassurance face à
l’étrange et/ou l’étrangeté des planches et comme un soutien du travail de
symbolisation. La passation de l’épreuve du TAT mobilise également une
excitation importante chez Pierre, excitation qu’il tente de contenir par
la mobilisation de mouvements obsessionnels qui s’expriment a minima
(juguler l’angoisse qui le déborde dans cette rencontre).

➤ Les processus de pensée

Le corpus de réponses se présente de manière assez limitée, témoignant d’une


rétractation des processus de pensée (12 réponses). On ne note toutefois pas
de rupture avec la réalité, même si, à différentes reprises, Pierre peut évoquer
sa difficulté dans l’appréhension de celle-ci, en mettant l’accent sur son
incompréhension et/ou l’absence d’un savoir disponible pour appréhender
Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent 315

la situation de l’épreuve (planche I « je comprends rien (...) » ; planche III :


« je sais pas (...) »). On retrouve, a minima, le même type de réaction dans
la rencontre avec les planches de l’épreuve du TAT, même si la dimension
figurative de l’épreuve semble rassurer Pierre dans sa capacité à organiser un
discours, et des représentations, face aux planches.
L’ensemble de la production verbale de Pierre témoigne d’un ancrage
satisfaisant à la réalité, même si la dimension du doute reste présente en
filigrane dans la rencontre avec les planches. À l’épreuve de Rorschach,
l’investissement du déterminant formel (F % = 93) vient sans doute se
proposer comme contre-investissement de ce doute (on notera par ailleurs
la présence de 5 banalités sur 14 réponses, soit plus d’une réponse sur
trois...). L’absence de réponses kinesthésiques et la quasi-absence de réponses
sensorielles renforcent le sentiment d’une fragilité dans le jeu entre perceptif
et projectif.
D’une manière générale, la verbalisation est peu déployée, régulièrement
barrée par la nécessité d’une rupture du fil projectif. Tout se passe comme
si le risque de la continuité engageait la mise en œuvre de mouvements de
censure qui se traduisent par un arrêt de la verbalisation et une injonction à
passer à la planche suivante. On peut mesurer à cet égard la place occupée par
ces mouvements sur le déploiement des processus de pensée, introduisant
de véritables empêchements à penser, auxquels il est loisible de référer les
difficultés de Pierre dans l’accès aux apprentissages.

➤ Le traitement des conflits

La passation des deux épreuves projectives met en évidence une forte


insécurité dans la construction des objets internes de Pierre. Les angoisses
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

apparaissent de manière plus ou moins diffuse selon l’épreuve, mais


concernent, d’une manière ou d’une autre, le lien à l’objet perdu. Au
plan de l’épreuve de Rorschach, les angoisses se présentent essentiellement
dans le registre des angoisses narcissiques, et elles ont trait tout autant à
l’intégrité narcissique qu’à la qualité de permanence des objets internes.
Les manifestations d’auto-disqualification sont récurrentes, et témoignent
d’une fragilité narcissique indéniable. De ce fait, les représentations peinent
à advenir dans une consistance suffisante, voire peinent à trouver un ancrage
au regard du stimulus : planche II : « ben un bonhomme ça ressemble mais
je sais pas à quoi ça ressemble » ; ou planche VII : « deux bonhommes...
je sais pas... à la suivante, non ! » (localisation de la réponse impossible
à l’enquête). Le recours au blanc, à titre de modalité d’appréhension des
316 Illustrations cliniques

planches significativement présente dans le protocole de Pierre, témoigne


d’une nécessité à tenir forme et fond dans une configuration qui évite
l’expérience de la séparation. À l’épreuve du TAT, l’ensemble du protocole
se trouve dominé par des angoisses dépressives, angoisses d’abandon voire de
mort, très précisément marquées dans le contexte du lien mère/fils : la figure
de la disparition maternelle sera reprise de manière répétitive, parfois en
forme de quasi-persévération sur une bonne partie des planches. La qualité
du lien aux objets parentaux se trouve incertaine, et l’on notera la difficulté
de Pierre de prendre position (prendre place) sur la scène du conflit œdipien.
La conflictualité se trouve barrée par la disparition de la figure maternelle
qui obère toute mise en perspective triangulée. L’insécurité domine quant
aux modalités d’ancrage, même si le lien père/fils tend, sur un mode parfois
discrètement idéalisé (et réparateur ?), à constituer une modalité de soutien
voire de dégagement face aux angoisses dépressives.
Les stratégies défensives mises en œuvre par Pierre se situent majoritaire-
ment sur le versant du contrôle (contrôle du psychologue lors de la passation,
contrôle de la verbalisation en forme de rupture du travail de symbolisation)
et de l’inhibition, dont l’on peut comprendre qu’elle intervient comme
une modalité de dégagement vis-à-vis des angoisses suscitées par les
planches. Cependant, les émergences en processus primaire, bien présentes
particulièrement au TAT, témoignent d’une manière d’inefficience de ces
stratégies défensives qui ne se trouvent pas ou peu en mesure de se proposer
comme des formes de compromis dans le jeu conflictuel.
Dans ce contexte, la construction identitaire se trouve singulièrement
affectée. À l’épreuve de Rorschach, le statut des représentations humaines
en donne une illustration : absence de la réponse banale à la planche III (à
l’enquête des limites, après avoir répondu affirmativement à la proposition
de « deux bonhommes », Pierre se rétracte en proposant pour sa part « quatre
bonhommes »), fragilité des réponses humaines aux planches II et VIII ;
malaise attaché à la production de la réponse humaine en réponse globale
blanc à la planche III (renversements de la planche, motricité débordante...).
Enfin, la réponse proposée à la planche X (« ça ressemble à quoi... un
bonhomme avec des ailes et un bec » confirme l’instabilité de l’investissement
identitaire. En contrepoint, la mise en scène de la destruction maternelle au
T.A.T (planche 8), qui vient couronner d’une certaine manière l’expression
des angoisses de perte présentes tout au long du protocole, atteste de la
fragilité des contours narcissiques.
La construction identificatoire est, bien évidemment, rendue probléma-
tique dans une situation où la précarité des repères identitaires laisse peu
Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent 317

d’espace pour autoriser un jeu entre les imagos : l’imago paternelle apparaît
floue, inquiétante (Rorschach, planche IV) voire interchangeable (TAT,
planche 7), l’imago maternelle dangereuse prise dans le risque de la dispari-
tion (prégnance de la thématique de la perte/disparition/atteinte maternelle
au TAT). En tout état de cause, il semble que la conflictualisation des
imagos parentales se trouve entravée par l’incertitude de leur construction.
Enfin, au plan des relations d’objet, il semble que le fonctionnement
psychique de Pierre voit alterner quête d’étayage et déni du lien, dans
une configuration que l’on peut situer dans un registre narcissique du lien
(idéalisation versus fécalisation).

➤ Synthèse et perspectives cliniques

Au regard de l’analyse des données cliniques recueillies à l’occasion du bilan


projectif, on peut considérer que Pierre présente le tableau classique des
enfants souffrant de troubles du comportement en forme d’agitation et/ou
d’instabilité : instabilité des objets internes, envahissement par des excitations
qui ne trouvent pas à se lier de manière satisfaisante dans un système de
symbolisation, tentative de loger chez l’autre (le parent, l’adulte...) la part
non élaborée d’une forme de violence qui s’exprime dans le lien, faillite
d’une inscription stable dans les apprentissages. On pourrait rapprocher cette
forme particulière d’adresse transférentielle de ce que J. Ménéchal (1999)
propose de nommer « alliance introjective ». Le fonctionnement psychique
de Pierre est dominé par la nécessité d’une quête de lien à tout prix (face
à l’inquiétude de pouvoir se trouver lâché), au risque d’un effondrement,
dont on peut penser qu’il se trouve contre-investi par un recours à l’agir et
à la motricité.
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Au plan du diagnostic, on peut retenir l’hypothèse d’une inscription


de la personnalité de Pierre dans les pathologies-limites de l’enfance, sans
décompensation à ce jour.
La nécessité de la poursuite, et de l’enrichissement, d’un soin pluri-focal
pour Pierre semble, dans ce contexte, s’imposer. Outre la dimension
rééducatrice de différents dispositifs de la prise en charge, qui permet
sans doute à Pierre de s’éprouver dans ses compétences tant motrices
qu’intellectuelle, il semble pertinent d’envisager une prise en charge
psychothérapique individuelle à raison d’une séance par semaine.
La mobilisation de Pierre sur sa capacité à jouer semblerait une piste
intéressante pour rencontrer l’enfant et mettre au travail ses potentiels de
fantasmatisation et de liaison symbolique et symboligène, et en prenant
318 Illustrations cliniques

appui, dans une pensée du paradoxe, sur son exercice privilégié de la


motricité. En contrepoint, on pourrait aussi penser l’intérêt que pourrait
revêtir la participation de Pierre à un soin psychique groupal, dans le cadre
d’un groupe à médiation (collage, psychodrame...).

Protocole de Rorschach de Pierre, 9 ans


Pl. Temps R Passation Enquête Cotation

Je comprends rien là-


I 0: 00 : 45
dedans...

1 Des ailes, un papillon, je


G F+ A Ban
sais pas quoi (retourne la
Confabulation
planche).

2 Action Man, là c’est comme non ! Batman, les bras,


la chauve-souris, là on voit la tête, les ailes G F+ (A)
sa tête.

Vous avez une console ? ça


ressemble à rien... je sais pas
ce que c’est ? c’est qui qui l’a
II 00:01:00 fait ? Gbl F- H
3
V. (E) ben un bonhomme ça (les pieds, le corps, le
ressemble, mais je sais pas à ventre, la tête, et là
quoi ça ressemble. l’estomac (Dbl))

Je sais pas (nombreux renver-


III 0:00:50
sements) ça ressemble à ça...

4 V. Un monsieur qui a un (E : deux


nœud-papillon (nombreux bonhommes ?) oui...
renversements, puis Pierre quatre bonhommes V.
fait tomber la planche, se ça ressemble aussi à un
Gbl F+ H/Obj
lève pour aller la chercher). insecte, peut-être à une
mouche qui a avalé un
papillon
(R.Add: G F- A)

Ça c’est quoi ? (sans regarder Tête, oreilles, ailes.


la planche)
IV 0:00:25 5 G F- (A)
un dragon (veut prendre la
planche suivante).

6 Une chauve-souris... une G F+ A Ban


V 0:00:25
chauve-souris.

7 V. Une chauve-souris vam-


G F+ A Ban
pire et à la suivante.
Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent 319

(suite)
8 V. Ça ressemble à un arbre... Les feuilles, D1, l’herbe
à la suivante...(E ?)... n’im- (Dax. sup.) et là c’est le
VI 0:00:45 G F+ Bot
porte quoi, un arbre et à la tronc (Dax.).
suivante.

9 Ça ça ressemble à deux
VII 0:00:25 D F+ H
dames... à la suivante.

VIII 0:00:35 Ben je sais pas...

10 Deux bonhommes... je sais


localisation?
pas... à la suivante, non !

11 Ça c’est des lions. D F+ A Ban

12 Des caméléons. D F+ A Ban

13 Ça c’est une grosse tache


de peinture, on a jeté de la
peinture dessus et on n’a rien
fait de beau (E ?) une grosse
IX 0:00:50 G CF- Frag
tache de peinture orange
verte rouge... vous savez com-
ment ça s’écrit « le toit de la
maisonnette ? »

14 Ça ressemble à quoi... un Les ailes, les pattes, le


bonhomme avec des ailes et corps, Ddbl intersticiel,
X 0:00:30 un bec [nombreux renverse- le bec, D8... là ça res- D/Dbl F- H
ments de planche]. semble à un truc pour
les filles.

Durée totale de la passation : 00:07:10


Je les aime toutes.
Pl + III Celle-là qui est drôle.
IV Action Man.
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(VI) En troisième j’aime ça.

Pl - VII

X
320 Illustrations cliniques

Psychogramme résumé
Temps total : Temps/réponse : Temps latence moyen :
R = 14
7. 10’ 0. 31’ 0.00’

G:7
Gbl : 2 F : 13 F% : 93 H:5
D:3 F+ : 9 F+% : 64 H% : 36
D/Dbl : 1 F- : 4
A:5
G% : 54 CF : 1 A% : 50
D% : 23 (A) : 2
Bl % : 23 ΣC:1
T.R.I : 0/1 Obj : 1
Frag : 1
RC% : 36 Bot : 1
Ban : 5

Ang% : 0
Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent 321

Protocole de TAT de Pierre, 9 ans


Pl. Temps Récit

1 0:01:00 C’est des vraies ? c’est qui qui les a fait... un garçon qui veut pas faire du violon et
qui dort, avec une feuille de papier... tenez, la deuxième ! (met la carte de visite
de son père sur le dessus des planches ... lit tout haut ce qui est écrit dessus)

2 0 : 01: 10 Ça je sais pas (E ?)... je sais pas... il y a un monsieur avec un cheval musclé, le
monsieur est musclé, y a une dame avec des livres, y a une dame avec un chapeau
comme ça, elle est contre l’arbre, y a une grosse maison... y a un deuxième cheval...
je peux dessiner sur les images, c’est gris, j’aime pas le gris

3 0:00:55 Un garçon qui est au coin... il est pied nu, ah si, il est avec des chaussures, il pleure
contre le mur... (mime) parce qu’il a une bosse, une grosse bosse qui fait toute la
planète, non quand même pas (mime les pleurs)

4 0:01:00 Des mariés (rit) V > < ( ?) ... des mariés et c’est fini... ils habitent dans une
maison et c’est fini (baille)

5 0:01:10 Ça c’est la mère qui regarde son enfant travailler... il est mort ( ?) tu le vois pas
couché sur la table, il a une grosse boule sur la tête... non ! c’est une plante et le
garçon il est parti et la mère elle est inquiète : « mon fils où il est passé ?! » (crie)

6BM 0:01:05 « Fiston où il est passé ? fiston où il est ? la dame de ménage, vous avez vu mon
fils ? » (mime des pleurs) ... il pleure le père, lui, avec la dame de ménage

7BM 0:01:00 c’est son père avec lui (lance la planche) ... c’est un monsieur qui fait son ménage,
c’est son père parce que sa mère est morte

8BM 0: 00 : 25 C’est une dame qui se fait attaquer... c’est des monsieurs qui tuent sa mère :
« maman, maman »

10 0:01:05 Il fait câlin à son père parce que sa mère est morte : « maman... » ( ?) elle est
morte de la peste quand Marie était née, celle qui a retiré la peste... c’était Marie
sa maman et Dieu son papa

11 0:01:15 Ça c’est quoi ? c’est un buffle qui a perdu sa maman... non c’est un scarabée qui a
perdu sa ma maman...
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12 0:00:40 C’est un arbre qui a perdu sa maman, y a un cimetière ici (montre la barque, puis
mime les cris de l’arbre)...il s’est fait couper par un bûcheron parce qu’il criait trop
fort

13B 0:01:00 C’est un enfant qui est tout seul parce que sa maman est morte et son papa aussi...
(pleure) comment j’vais payer la maison ? comment j’vais manger ? y a pas de
poulet...

19 0:00:45 Ça c’est quoi ? un bateau qui a perdu sa maman, elle s’est effondrée au fond de la
mer

16 0 : 00: 25 Je la dessine ? c’est un enfant qui pleure à sa maman parce qu’elle est morte

Durée de la passation : 0:12:55


322 Illustrations cliniques

Oriane, 10 ans

Oriane est rencontrée à la demande de ses parents pour des troubles


du comportement et de la concentration, identifiés particulièrement au
niveau de l’école, mais également dans le milieu familial où Oriane est
décrite dans des tentatives de « domination » à l’égard de ses parents. Une
première consultation psychologique, avec un autre praticien quelques mois
auparavant avait mis l’accent sur l’évaluation des potentiels intellectuels
d’Oriane : les résultats étaient évalués dans les variations de la normale
(QIT = 91), avec toutefois un écart de 17 points entre QIV (84) et QIP (101).
Les parents s’interrogent désormais sur le sens des symptômes présentés par
leur fille.

➤ La demande et la construction de l’examen psychologique

La demande des parents de Oriane, à l’occasion du premier entretien


où ils sont tous les deux présents, s’exprime tout à la fois en termes de
problèmes de comportement (« elle bouge beaucoup, elle souhaiterait diriger
ses parents... ») et en termes de difficultés d’attention (« elle ne se fixe pas, elle
est tête en l’air »). Au plan scolaire, Oriane est en difficulté, elle a redoublé
le CE1 et se trouve actuellement en CE2, alors que son père indique avec
une certaine fierté qu’elle est « très performante » pour les jeux de stratégie.
Au-delà des difficultés à proprement parler liées aux apprentissages, Oriane
est isolée dans sa classe, elle mobilise des relations souvent conflictuelles avec
les autres enfants et se trouve, de fait, en position d’exclusion du groupe
des enfants. Toutefois, les difficultés sont identifiées par les parents sur un
mode projectif, dans une mise en cause sans nuances des enseignants, du
psychologue scolaire... et de l’institution.
Dans le même temps, la mère d’Oriane met en lien les difficultés de sa
fille avec ses propres difficultés (elle dit souffrir de troubles de mémoire et de
compréhension qui peuvent l’handicaper au quotidien, et qui se traduisent
par des « trous » dans sa pensée).
Oriane est la seule enfant de sa mère, et la dernière enfant de son père (les
aînés, d’une précédente union, sont tous âgés de plus de 20 ans, les parents
ont un écart d’âge d’environ 10 ans). La mère de Oriane travaille dans un
supermarché avec des horaires variables (matin ou après-midi, voire soirée),
son père a un emploi qui lui permet d’être assez souvent présent auprès
de sa fille. Le père d’Oriane se présente dans une grande proximité à son
égard, c’est d’ailleurs lui qui sera particulièrement porteur d’une demande
Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent 323

d’évaluation, davantage que d’aide, pour Oriane (de fait aucune aide ne
pourra s’engager pour elle du fait du refus de la proposition d’orientation
réalisée par le psychologue en direction d’une démarche psychothérapique).
Oriane est par ailleurs décrite comme une enfant proche des préoccupations
des adultes, tout à la fois dans une forme de dépendance à ceux-ci (elle n’a
pas d’amis de son âge, demande sans cesse de l’attention) et de maîtrise dans
le lien (elle sait ce que doivent faire les adultes).
L’évaluation clinique prendra appui sur la passation d’une épreuve
projective de dessin à consigne, le D10, et sur la passation de l’épreuve de
Rorschach.

➤ Clinique de la passation

Oriane se présente comme une petite fille très coquette, dans une féminité
déjà affirmée, moins d’ailleurs au plan des transformations physiologiques
de l’adolescence ou de la pré-adolescence, que d’une manière de s’habiller,
de se tenir et d’être en lien : elle oscille entre distance et séduction, dans
une forme de froideur affective. Oriane s’engage assez volontiers dans les
différentes épreuves proposées, tout en restant relativement « lisse » dans la
relation qui semble être vécue comme plutôt dangereuse. Elle a du mal à
partager les affects qui peuvent l’habiter et elle se trouve en difficulté pour
évoquer des éprouvés personnels. Lorsqu’ils émergent, il semble que cette
expression pourrait mettre en danger Oriane (dans ses relations à ses objets
d’attachement ? dans sa sécurité interne ?), et qu’alors Oriane tende à se
rétracter.
Oriane se montre en mesure de reconnaître ses difficultés scolaires, mais
elle se plaint surtout d’être seule et de s’ennuyer. Au fil des entretiens de
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bilan, elle pourra également évoquer une préoccupation liée à la séparation


de ses parents : « j’ai peur qu’ils se séparent, de ne plus être avec tous les
deux ». Oriane se dit être témoin de disputes entre ses parents, des pleurs
de sa mère, et dans une belle dénégation, exprime son souhait de ne pas
s’immiscer dans les conflits du couple parental...
La passation de l’épreuve de Rorschach est bien investie par Oriane qui
semble tout à la fois buter sur la rencontre avec la situation projective
et rechercher au travers de la situation transférentielle ouverte par la
consultation une forme de réassurance narcissique. On verra que les contenus
des représentations proposées par Oriane marquent une sexualisation de ses
préoccupations, sans que pour autant celle-ci ne semble s’inscrire dans une
324 Illustrations cliniques

dynamique relationnelle. La dimension du factuel se trouve ici au premier


plan.

➤ Les processus de pensée

Le déploiement des processus de pensée bute sur des manifestations de l’ordre


de l’inhibition. Celle-ci semble particulièrement interroger la dynamique
du refoulement (« je ne sais pas » ou « je ne me rappelle pas ») et témoigne
assurément d’un important déficit narcissique. Ce mouvement n’est pas
sans faire écho aux propos tenus par les parents au sujet de l’investissement
des apprentissages. Tout se passe en effet comme si l’accès à un savoir, à
partir de la mobilisation d’une pensée partagée et partageable, mobilisait un
niveau d’excitation qui ne pouvait trouver à se lier au travers d’un système
de représentations avec lesquels il serait possible de jouer suffisamment.
Le corpus de réponses se compose de 21 réponses, qui émergent dans
le contexte d’une référence répétée à la dimension de l’étrange et de
l’étrangèreté. En effet, la rencontre proposée au décours de la passation avec
un objet étrange-étranger, mobilise chez Oriane d’une part des marques
explicites de son impuissance (« j’en sais rien moi » à la planche I) et
de nombreuses stratégies de réassurance (« vous avez les réponses ? » à la
planche VI, «parce que vous, vous savez pas ce qu’il y a ? » à la planche VII).
Cette quête de réassurance, que l’on peut entendre comme quête d’étayage,
peut être comprise comme une tentative pour Oriane de se dégager des
vécus d’étrangeté qu’elle exprime face aux planches (le terme de « bizarre »
revient à huit reprises dans le protocole et se trouve le plus souvent associé...
au regard).
Si le discours est marqué par l’incertitude, on ne relève pas en revanche de
marques de dérapages et/ou de confusion, ni dans le processus d’élaboration
des représentations, ni dans la syntaxe. Le protocole est marqué par un souci
d’Oriane d’une exploration du stimulus dans ses différentes composantes,
démarche qui, pour certaines planches (planches VII et VIII) se solde par
l’impossibilité de s’engager dans une activité de synthèse et, de ce fait,
épuise sa capacité à construire une représentation unifiée. Cet écueil dans
l’articulation entre démarche de synthèse et démarche d’analyse apparaît
cependant conjoncturelle, dans la mesure où, globalement, le rapport entre
G % et D % se situe dans les zones attendues (G % = 50, D % = 35 et
Dd % = 15).
Enfin, si le niveau d’adéquation entre le stimulus des planches et les
représentations proposées est satisfaisant (F+ % = 60), on peut cependant
Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent 325

souligner une certaine fragilité de l’ancrage dans une réalité partagée ; le


statut des banalités interroge tout particulièrement, dans la mesure où elles
interviennent de manière ambiguë, au décours de réponses qui se réfèrent à
la banalité sans que celle-ci se présente de manière très explicite (planche III
avec une représentation humaine et un nœud-papillon qui ne se proposent
dans une représentation cohérente et stabilisée qu’au temps de l’enquête ;
planche V avec la représentation d’une chauve-souris tellement bizarre que la
cotation en banalité s’avère problématique ; planche X avec une association
entre plusieurs détails qui produisent une représentation considérée comme
banale dans le seul détail bleu).

➤ Le traitement des conflits

Les angoisses qui émergent du protocole de réponses d’Oriane peuvent être


identifiées majoritairement dans le registre des angoisses de perte, voire de
perte d’intégrité, infiltrées, en filigrane, par une angoisse de castration qui
affleure au travers de représentations qui peinent à être engagées dans un
processus de conflictualisation. On peut à cet endroit souligner le niveau de
l’indice d’angoisse (Ang % = 33), signant la prégnance des préoccupations
liées à l’intégrité et la continuité de l’enveloppe corporelle. Il est intéressant
sur ce point de suivre les avatars dans le travail psychique de constitution
de l’objet au fil du protocole de l’épreuve de Rorschach. En effet, la
problématique de la constitution de l’objet apparaît centrale dans la mesure
de l’insistance de Oriane à mettre au travail la dynamique lien-séparation,
en appui sur une tentative de maîtrise du percept. On peut évoquer à cet
égard les réponses aux planches I à IV, puis à la planche VIII :
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• Planche I : «(...) deux hommes mais collés avec des ailes, une de chaque
côté et des petits trous de chaque côté et les pieds collés, des têtes un
peu séparées des mains comme ça (mime) et c’est tout » ; on notera la
manière dont le redoublement autour de l’axe de symétrie ouvre sur une
impossible séparation (référence à des figures « collées », dans le contexte
d’une sensibilité au vide intermaculaire, et, enfin, l’insistance sur le lien
et la tentative de figurer la séparation ;
• Planche II : « (...) je dirais la tête à l’envers mais rouge (D3), des ailes
noires (D1), des petits pieds collés (...) » ; la représentation d’une tête,
qui sera à l’enquête identifiée comme « tête de monstre » bute sur la
mobilisation sensorielle et pulsionnelle de la planche, noire et rouge.
Dans ce contexte, l’issue que représente les « petits pieds collés » peut
326 Illustrations cliniques

être comprise comme une modalité désespérée de contenir le risque de


désintégration lié au vide central, évité dans l’élaboration de la réponse ;
• Planche III : « (...) c’est une dame avec un seul bras, un sein, et autour
un nœud-papillon (...)», (enquête : « deux dames avec un nœud-papillon
rouge, on dirait un peu son sexe (Dd dans D jambe) ») ; si le caractère
unitaire de la représentation humaine échoue lors de la passation, sans
doute par effet de saturation de la sollicitation sexuelle de la planche, non
conflictualisable, elle s’avère possible à l’enquête, au prix de la traduction
explicite des préoccupations sexuelles de Oriane ;
• Planche IV : « (...) y a des bras vraiment larges, un petit truc qui tient
là... la tête bizarre, il y a des pieds comme si c’était des chaussures de
femme et une robe, et une tête bizarre de chaque côté avant (confusion
lieu/temps ?) que ce soit le pied, une tête bizarre » ; la problématique de
la bisexualité se présente en filigrane du traitement de cette planche, sur
un versant éminemment narcissique dans la mesure où l’enjeu tient dans
la tentative de construire une représentation unitaire satisfaisante, ici, de
façon inattendue, en appui sur des attributs de la féminité ;
• Planche VIII : « je dirais plutôt des os... là un animal rose et le squelette,
là où il y a le sexe en os (« sexe d’une fille » précisera-t-elle à l’enquête en
demandant confirmation au psychologue de cette représentation) et là la
colonne vertébrale, # là les côtes et là un peu pareil » ; la dynamique de
la réponse à cette planche, traduit l’acuité de l’atteinte narcissique et une
tentative (séductrice ?) de réassurance, en appui sur l’investissement d’un
génital figé et non-accessible au plaisir pulsionnel.
On notera incidemment que la rencontre avec les planches VII (et sa
grande vacance centrale) et la planche VIII (première planche couleur
entraînant une forte mobilisation pulsionnelle) ouvre sur une dimension
de désorganisation qu’Oriane tente de juguler par l’investissement d’un
mouvement de détaillage qui s’appuie sur une délimitation perceptive du
stimulus.
Au travers de ces différentes séquences de réponses, on peut mesurer de
quelle manière les stratégies défensives empruntent de manière privilégiée
d’une part la voie du contrôle, et d’autre part la voie de l’imaginaire dont
on peut considérer qu’elle se trouve au service de l’évitement (évitement
du conflit, évitement du lien). Ces défenses échouent partiellement dans
leur projet de contenir les angoisses, si l’on en juge le climat d’insécurité
qui domine dans le protocole : on peut rapporter cette insécurité d’une
part à la rencontre du regard maternel (que l’on peut penser en terme de
Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent 327

regard-trou ?) et d’autre part à la rencontre du regard paternel, qui paraît


être massivement mobilisé dans sa dimension séductrice (regard incestuel ?).
Cette dynamique autour du regard ouvre sur l’émergence de figures que
l’on peut sans doute associer à l’éprouvé de bizarrerie qu’Oriane met en
avant au décours de la passation (cf. les représentations de « têtes bizarres »).
Au regard de ces différents éléments, se trouve mis en évidence un défaut
d’élaboration de la position dépressive infantile. La fragilité identitaire
d’Oriane peut être repérée au travers de deux manifestations principales :
• d’une part au travers du vécu d’étrangeté dans la rencontre du monde
environnant ;
• d’autre part au travers d’une incertitude narcissique qui renvoie à la
question de l’individuation, de la différenciation et, secondairement, de
la séparation (on peut souligner la présence de deux réponses cotées en
estompage aux planches I et VI, réponses que l’on pourrait tout aussi
bien coter en couleur achromatique, et qui, au-delà des enjeux liés à la
construction unitaire des réponses, manifestent la sensibilité dépressive).
La construction identificatoire semble buter sur la qualité de l’investis-
sement des imagos parentales : trop près ou trop loin, l’excitation liée à la
rencontre de ces figures met à mal la possibilité pour Oriane de s’engager dans
une conflictualisation de ses investissements. La place des préoccupations
sexuelles d’Oriane (marquée dans son discours face aux planches, au travers
de réponses qui réfèrent à la sexualité), interroge sur une fragilité dans
l’instauration de l’instance du refoulement. Ces préoccupations se trouvent
prises dans une forme de gel du pulsionnel, à défaut de pouvoir s’inscrire
dans un projet relationnel. L’absence de kinesthésies humaines atteste de ce
défaut, alors que les sollicitations sensorielles sont accueillies par Oriane...
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et qu’elle se laisse parfois déborder par elles (T.R.I = 0/2)


Au plan des relations d’objet, Oriane semble investir le monde sur le
versant de la dépendance dans le lien, sur un mode anaclitique et/ou de
contrôle dans les liens. Les stratégies relationnelles d’Oriane, qui visent tout
à la fois à contenir les émergences dépressives et l’excitation qui s’y loge, se
déploient selon deux modalités principales :
• en termes de dépendance dans le lien, permettant de prolonger une
position infantile : on peut penser à cet égard que rester en retrait
de l’engagement dans les apprentissages protège aussi du risque que
représente le grandissement ;
328 Illustrations cliniques

• en termes de maîtrise de son environnement, au travers d’un mode de


« lien tyrannique » (Ciccone, 2003) qui contribue à permettre à Oriane
de se garantir du risque de la perte.

➤ Synthèse et perspectives cliniques


Les éléments issus de l’épreuve de Rorschach mettent en évidence une
fragilité identitaire d’Oriane. Il semble que l’on puisse comprendre le
symptôme scolaire et relationnel présenté par Oriane comme étant le signe
d’une souffrance psychique importante, dont la marque peut être perçue
au travers de l’émergence d’angoisses archaïques, portant sur l’intégrité
et la représentation d’un objet unifié, ainsi que sur la qualité des liens
à son environnement, liens dominés par les angoisses de séparation. La
problématique de la castration se présente, en filigrane, comme espace de
désorganisation au travers de la rencontre d’excitations peu liées dans le
registre de la génitalité.
La personnalité d’Oriane se présente dans une forme de dysharmonie
évolutive, qui peut être référée aux pathologies-limites de l’enfance, marquée
par une immaturité psychoaffective et une souffrance psychique d’ordre
narcissique d’une part et par un retrait (partiel) des investissements scolaires
d’autre part. La prégnance de stratégies défensives qui s’expriment essentiel-
lement dans le registre du contrôle garantit a minima des aménagements
qui permettent à Oriane de « donner le change » en se présentant selon les
moments comme une petite fille et/ou une jeune fille « sage », image qui
permet de masquer une insécurité interne importante. S’il est vrai que les
positions en faux-self développées par Oriane tendent à entraver sa possibilité
de reconnaître sa souffrance, il y a lieu d’imaginer de quelle manière la
soutenir dans l’accès à une reconnaissance de sa souffrance, reconnaissance
seule à même d’autoriser l’investissement d’un espace de soin pour elle.
L’indication d’un accompagnement psychothérapique apparaît assez
clairement dans le projet d’aider Oriane à élaborer les différents pôles
de souffrance qui, d’une manière ou d’une autre, invalident la construction
de sa subjectivité et, partant, ses potentiels d’engagement dans ses liens
familiaux et dans l’environnement social.
Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent 329

Protocole de Rorschach d’Oriane, 10 ans


Pl. Temps R Passation Enquête Cotation

1 J’en sais rien moi... (rit) J’ai dit avec une ceinture,
deux hommes... mais col- très clair, gris (Ddbl).
lés, avec des ailes, une de
chaque côté et des petits
I 0:01:00 bras de chaque côté et G FE H
les pieds collés, des têtes
un peu séparés des mains
comme ça (mime) et c’est
tout.

2 C’est de l’encre ou quoi


c’est de quel côté ? V > Λ
Λ je dirais la tête (D3),
à l’envers un visage, des
II 0:00:55 C’est vous qui l’avez fait ? G FC (H)
ailes noires, des petits
pieds collés et on dirait...
des mains (D5) et des gros
pieds rouges (D2)

3 Alors là c’est une femme à deux dames avec un


des deux côtés comme nœud-papillon rouge, on
ça c’est une dame avec dirait un peu son sexe (Dd
un seul bras, un sein et 26) Λ
III 0:01:10 autour il y a un nœud- G F+ H (Ban)
papillon et le bras droit
c’est quoi ? C’est comme
si elle avait un marteau et
l’autre aussi...

4 et une grosse main (D7) et


un pied à côté à l’envers
D F- Hd
pas dans le même sens
(D2).
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5 V Λ C’est de ce sens, y a ( ?) Un monstre 4 pieds -


des bras vraiment larges, ailes
un petit truc qui tient
IV 0:01:40 là...la tête bizarre, y a des G F+ (H)
pieds comme si c’était des
chaussures de femme et
une robe

6 et une tête bizarre de tête de chien (Dans D1)


chaque côté avant que ce (contamination ?)
Dd F+ Ad
soit les pieds...une tête
bizarre...
330 Illustrations cliniques

(suite)
7 V Λ Euh... je dirais une
chauve-souris (Rit) avec
V 0:01:10 G F+ A
des pattes très très très
larges, une tête bizarre

8 sur l’aile droite on dirait


une tête de crocodile et
sur l’aile gauche aussi et D F+ Ad
elle a une tête bizarre et
des petites antennes.

9 Euh... on dirait un animal (quête de réassurance)


bizarre avec des trucs au Son squelette (D1) sa tête
cou très long et des petites (D2)
ailes bizarres avant le cou
VI 0:00:50 G FE A
et on voit un peu de son
squelette et c’est un peu
gris clair, vous avez les
réponses.

10 Euh ! Oh là là... y a la D1
moitié du visage à gauche
VII 0:01:30 D F+ Ad
qui est que de face et
l’autre partie pareil

11 on voit des énormes Dd dans D1


énormes seins de chaque Dde F- Hd
côté

12 On voit le ventre vide,


Dbl F- Hd
tout blanc,

12 les bras bizarres de chaque Dd 21


Dd F- Hd
côté,

13 et on voit en bas comme Je vois un peu une


une veste parce que vous fermeture
D F+ Obj
vous savez pas ce qu’il y
a...

Je dirais plutôt des os C’est collé sauf une petite


VIII 0:00:55 14 D FC A Ban
> là un animal rose patte

15 et le squelette. D4 D F- Anat

16 Là oui il y a un sexe en os D3 Sexe d’une fille ça


D FC Sex
ressemble un peu

17 et là la colonne vertébrale Dax


< là les côtes et là un peu D F+ Anat
pareil.
Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent 331

(suite)
18 Euh... je dirais un ani-
mal bizarre, du bleu en
haut, vert, noir, orange,
blanc, un tout petit peu
de blanc... un animal
IX 0: 01: 25 G F± A
avec des cornes (D3) très
bizarres, de droite et de
gauche comme ça et ça je
pense que c’est le reste du
corps (G).

19 Des crabes bleus à droite


X 0 :00: 30 et à gauche avec une pince D F+ A (Ban)
verte et une pince jaune.

20 Un crabe vert marron Ici on dirait un petit


avec une énorme pince soutien-gorge... (D6)
jaune et le reste j’en sais (R.Add : D F+ Obj)
rien, je sais pas et aussi
le petit crabe il a une D FC A
grosse pince orange un
peu foncée et un peu clair
parce que c’est fait avec de
l’encre ça ?

Durée totale de la passation : 00:11:05

Pl + X Elle est jolie, rigolote.

IX C’est marrant, c’est joli, ce que j’aime pas c’est le vert.

Pl- IV Elle est moche.

I Elle est moche.


332 Illustrations cliniques

Psychogramme résumé
Temps total : Temps/ réponse : Temps latence moyen :
R = 21
11. 05’ 0. 33’ 0.00’

G:7
D : 10 F : 15 F% : 80 H:2
Dd : 2 F+ : 9 F+% : 60 Hd : 4
Dde : 1 F- : 5 H% : 29
Dbl : 1 F± : 1 (H) : 2
FE : 2 A:6
G% : 35 FC : 4 Ad : 3
D% : 50 A% : 43
Dd% : 15 Σ C : 1,5
Bl% : 5 T.R.I : 0/2 Anat : 2
Sex : 1
RC% : 33 Obj : 1
Ban : 3
Ang% : 33

Le temps de l’adolescence

Trois situations seront présentées successivement, qui illustrent les probléma-


tiques auxquelles, de manière récurrente, le psychologue se trouve confronté
dans le champ de la clinique et de la psychopathologie de l’adolescent :
– problématique autour de l’investissement intellectuel et des traductions
des remaniements pulsionnels adolescents qu’il sous-tend, avec l’examen
psychologique de Lucile (12 ans 6 mois) ;
– problématique de la décompensation psychotique à l’adolescence avec
Rodolphe (13 ans 6 mois) ;
– problématique de l’agir, ici auto-agressif, avec Judith (14 ans 1 mois).

Lucile, 12 ans et 6 mois

Lucile est âgée de 12 ans et 6 mois au moment où elle est reçue en consultation
à la demande de ses deux parents, séparés, qui seront reçus successivement
(et présents ensemble lors de la séance de synthèse). Ces derniers se disent
interrogés par l’écart qui existe entre la vivacité et la maturité intellectuelles
de Lucile, sa curiosité, la diversité de ses intérêts culturels et sociaux d’une
part et la réussite scolaire moyenne qui est la sienne d’autre part. Pour
Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent 333

expliquer cet écart, les parents de Lucile proposent l’hypothèse que leur fille
puisse présenter un haut potentiel intellectuel.

➤ La demande et la construction de l’examen psychologique


Si la demande des parents de Lucile met d’emblée sur le devant de la scène
la nécessité de l’évaluation de l’efficience intellectuelle de leur fille, elle
contient cependant également une interrogation sur son développement
psychoaffectif et, en particulier, sur les enjeux, au plan narcissique, de la
confrontation à une réussite scolaire moindre au regard de ce qu’ils lui
semblent qu’elle pourrait prétendre. Se joue, en filigrane, une question liée
aux perspectives d’orientation de Lucile, dans la mesure où ses résultats
actuels ne lui permettent pas de prétendre au choix de formation générale et
scientifique à laquelle ses parents la destinent. Lucile, quant à elle, revendique
de faire valoir ses propres choix de formation professionnelle, qu’elle situe
dans le domaine artistique. Ainsi, la demande d’examen psychologique se
trouve-t-elle infiltrée par les enjeux de la confrontation adolescente entre
parents et enfant. La nécessité d’un dégagement suffisant de l’adolescent des
projections parentales, qui constitue un trait spécifique de la consultation
adolescente, s’impose ici tout particulièrement pour Lucile, et se traduira
par une attention particulière à garantir un espace de pensée autonome pour
la jeune fille... ce que les parents accepteront sans difficultés.
Lucile se présente comme une pré-adolescente vive, intéressée par la
démarche de l’examen psychologique et l’opportunité que celui-ci ouvre pour
elle dans le sens d’un espace d’élaboration des enjeux de son développement
dans le contexte de l’adolescence.
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➤ Clinique de la passation
Lucile s’engage volontiers dans les différentes épreuves qui lui sont proposées.
À l’égard de l’épreuve de Rorschach, elle montre une certaine retenue
pendant le temps de la passation : les réponses sont données de manière
quasi immédiate après la présentation des planches et témoignent d’une
bonne conscience interprétative. Si le rythme est soutenu, la qualité de la
verbalisation n’en souffre pas pour autant. Lucile présente une modalité un
peu rigide dans le maniement des planches : elle les prend en main, mais à
aucun moment ne les manipule (absence de toute démarche de renversement
de planche). Il est intéressant de constater un effet de familiarisation de
l’adolescente avec l’épreuve : en effet, le temps de l’enquête verra une
334 Illustrations cliniques

verbalisation beaucoup plus riche, marquée par des références personnelles


et une élaboration des réponses énoncées précédemment, pour une part
en appui sur les sollicitations du clinicien. Elle semble alors véritablement
prendre du plaisir à jouer avec les représentations en lien avec son monde
interne. Cet aspect se trouve attesté également au travers de la passation du
TAT.

➤ Les processus de pensée

La production au Rorschach, restrictive dans le premier temps de la passation,


s’enrichit au temps de l’enquête : le nombre de réponses est limité à 11,
ce qui situe la production comme relativement modeste au regard de ce
qui peut être attendu à cet âge. La souplesse associative mérite néanmoins
d’être soulignée malgré la place qu’occupent initialement les mécanismes
de contrôle. Lucile se montre effectivement en mesure de développer ses
réponses et de les inscrire dans le champ de ses investissements subjectifs.
La forme du discours témoigne d’une bonne structuration des processus
de pensée, le fil associatif se déploie de manière cohérente et progrédiente
et bénéficie de bons potentiels de reprise au fil de la passation de l’épreuve
de Rorschach et, plus encore, au fil des passations successives de l’épreuve
du Rorschach et du TAT. Sans doute peut-on relever la facilitation que
représente la rencontre d’un stimulus figuratif (avec le TAT) au regard de la
réserve manifestée face au matériel non figuratif de l’épreuve de Rorschach.
L’essentiel des réponses produites s’appuie sur une approche globale du
stimulus. Dans un contexte où le nombre de réponses proposées est limité,
une telle configuration est globalement cohérente : en effet, on remarque,
de manière habituelle, que plus le nombre de réponses est limité, moins
une démarche analytique à l’égard du stimulus ne trouve à se développer.
L’appréhension globale des planches intègre pour une part le blanc (3
réponses sur 11), et on peut repérer que l’une de ses réponses Gbl se
construise en appui sur une première appréhension de la planche à partir
d’un grand détail, témoignant d’une réponse globale élaborée (planche VIII :
« Une panthère qui donne la main à un... dinosaure pour traverser un fossé »).
On note à cet égard la place singulière de l’investissement du blanc. En effet,
tout se passe comme si Lucile, face à un stimulus marqué par l’étrangeté,
tentait une forme de réassurance en annulant la prégnance du blanc (et son
appel à l’absence et/ou au vide) dans la dynamique perceptive : les réponses
dans le blanc sont toutes des réponses de Fusion-Forme-Fond, qui renvoient
Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent 335

à une forme de contrôle du stimulus, face au risque de l’irruption du blanc


dans sa valence potentiellement désorganisatrice.
Par ailleurs, la vitalité des processus psychiques se donne à voir au travers de
la dynamique des déterminants : les réponses formelles représentent une part
minoritaire des réponses, au profit de réponses kinesthésiques (3 K, 2 kan et 1
kob), qui représentent plus de la moitié des réponses du protocole. Ainsi, avec
les réponses de kinesthésies humaines ou animales, c’est bien l’investissement
du pôle de l’intériorisation qui domine, au détriment cependant d’un
rapport sensible au monde (absence de déterminants sensoriels) : ce pôle
d’intériorisation témoigne de la qualité de la vie imaginaire de Lucile, au
service de la créativité.
Les résultats obtenus au WISC-IV confirment dans les grandes lignes
un bon investissement des processus de pensée : le QI total est à 124, avec
un surinvestissement du pôle de la compréhension verbale (ICV = 138).
Sans entrer strictement dans les critères du haut potentiel intellectuel, ces
données signalent les très bonnes ressources cognitives de Lucile et rendent
compte d’un refoulement suffisant des investissements sexuels.

➤ Le traitement des conflits

Les angoisses se présentent, à bas bruit et de manière tempérée, dans le


registre de la perte et de la séparation. Celles-ci se donnent à voir à l’épreuve
de Rorschach, non seulement dans le mode de traitement particulier du blanc
(cf. supra) mais également au travers de l’insistance sur le redoublement des
représentations (planche I : « deux anges » ; planche II : « deux enfants » ;
planche VI : « quelqu’un, une personne qui se regarde dans le miroir ;
planche X (enquête) : « (...) deux personnes qui s’embrassent (...)»). La
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

thématique des récits au TAT vient donner corps à l’expression de ces


angoisses, au travers de formulations qui témoignent d’une transparence
de l’inscription de la problématique de la séparation au cœur même de la
demande du bilan ; ainsi, à la planche 13B : « C’est un petit garçon qui
déborde d’imagination euh... qui un jour doit attendre sa maman qui est
partie faire des commissions et euh... en attendant sur le pas de la porte de sa
maison, il pense à plein de choses, pleins d’histoires qu’il pourrait raconter
et écrire, dessiner....Plus tard, il aimerait être un grand poète et sa mère
n’est pas du tout d’accord avec ça, elle est même contre à ce qu’il pense des
poèmes ou à des histoires...Elle veut qu’il se concentre à l’école, sur d’autres
choses qu’elle trouve plus importantes et elle ne comprend pas qu’il a juste
besoin de soutien, d’amour et d’un peu de compréhension... (...) ».
336 Illustrations cliniques

Les défenses se déploient dans un double registre contrasté :


– d’une part dans le registre du contrôle, avec la restriction dans la
production projective, dont on a vu par ailleurs qu’elle cède à l’enquête
pour l’épreuve de Rorschach et, au-delà, au TAT
– d’autre part dans le registre de l’agir, au regard de la tonalité maniaque du
protocole de Rorschach ; les six réponses kinesthésiques, si elles attestent
d’une symbolisation du mouvement, actualisent cependant un mode
de traitement des excitations au travers de la mobilisation d’une scène
interne agitée.
La construction identitaire apparaît de bonne facture, marquée par une
quête de réassurance propre à ce temps d’entrée dans l’adolescence : si la
présence de réponses humaines (3) et para-humaines (1) en constituent
le support, les réponses redoublées à l’épreuve de Rorschach, dont une
réponse miroir, en constituent la modalité expressive. Par ailleurs, on notera
l’actualisation des enjeux du lien, dans le contexte adolescent, avec la très
belle formulation symbolique de la planche VIII (« Une panthère qui donne
la main à un... dinosaure pour traverser un fossé ») : on peut y entendre
d’une part la figuration, dans l’explicite, des contraintes liées à la séparation
du couple parental et à son déplacement de l’un à l’autre (physiquement,
mais aussi psychiquement dans le jeu des identifications) et d’autre part une
scénarisation du processus adolescent et de sa temporalité, temps de passage
de la rive de l’infantile (le dinosaure ?) à celle des investissements adultes (la
panthère), dans une pulsionnalité assumée. Dans ce contexte, le va-et-vient
entre les investissements narcissiques et objectaux s’opère dans une certaine
souplesse et témoigne de l’épaisseur fantasmatique de la vie psychique de
Lucile.

➤ Synthèse et perspectives cliniques

Les différents éléments de l’examen psychologique de Lucile mettent en


évidence la richesse de son fonctionnement psychique, en appui sur le
déploiement de potentiels intellectuels de bonne facture. Les épreuves
projectives mettent assez clairement en évidence les traces du vacillement
pubertaire, avec les émergences discrètement dépressives qui l’accompagnent,
et les nécessités de réaménagement auxquelles se trouve contraint la vie
psychique adolescente dans le double registre narcissique et identitaire.
Malgré le caractère parfois un peu rigide des stratégies défensives (contrôle
de l’imaginaire et de l’affect), les ressources tout à la fois cognitives et
Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent 337

affectives dont dispose Lucile peut laisser augurer d’une bonne maturation...
à la condition que les réponses de l’environnement puissent présenter une
plasticité suffisante pour accompagner les aspirations de la pré-adolescente.

Protocole de Rorschach de Lucile, 12 ans 6 mois


Pl. Temps R Passation Enquête Cotation
1 Ca me fait penser à deux Oui deux anges qui se font G K (H)
anges... qui sont en train un câlin (?) Juste ici avec
de se faire un câlin. Pis leurs ailes. Sur les bords,
I 0:00:30 voilà. juste ici (?)
Bah... les ailes déjà et les...
on dirait au milieu qu’il y
a deux silhouettes

2 Deux enfants qui font Deux enfants qui font G K H


un jeu de mains et qui un jeu de main avec > C
se crient dessus... et qui des tabliers parce qu’ils
viennent de faire de la viennent de faire de la
peinture peinture et ils se crient
dessus... (?) Ils se crient
dessus
(?) Là, je vois deux têtes
d’enfants (D2), et on
II 0:00:30
dirait qu’ils sont assis face
à face...Et euh les... les
tâches grises on dirait
comme des tabliers avec
des taches rouges de pein-
ture dessus (D1)... et
comme ils se tiennent les
mains, ça m’a fait penser
à un jeu de mains

3 La bouche d’un loup... La gueule d’un loup... Gbl FC’ Ad


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grande ouverte, noire... ouverte avec des grandes


avec des grandes dents. dents... et il est noir.
(?) Euh.. cette tache ici,
on dirait le fond d’une
bouche...et ici on dirait la
III 0 :00 :25
mâchoire du...du bas (D7)
(?) Euh, je sais pas, l’image
en soi, ça m’a fait penser
à ça.
(E : deux personnages ?)
oui, ici et là.
338 Illustrations cliniques

(suite)
4 Ça me fait penser à un... Un tapis comme une peau G F- Adev
tapis en forme de peau de de vache étendue ou un G F- Anat
5 vache étendue... crâne de bélier
ou a un crâne de bélier... (?) Alors le crâne, ça
serait ici... le nez avec les
cornes... et le tapis, ça
serait... tout.
( ?) Euh..., récemment,
IV 0:00:40
j’ai vu euh.. un... un motif
en forme de crâne de bélier
euh.. sur un joli tee-shirt
et ça m’a fait penser à ça,
et... chez une amie, il y a
un tapis en peau de vache.
( ?) Euh non, y aurait pas
d’autre chose, non...

6 Ca me fait penser à une Une hirondelle qui tient G kan A Ban


hirondelle..., qui vole avec quelque chose dans son
quelque chose dans le bec bec. Et ça m’a fait penser
à ça à cause de la... queue
V 0 : 00 :25 et des... des ailes
(?) Sa forme, ça serait
plutôt les ailes ici, la queue
là, et puis voilà, dans le
ciel

7 Ca me fait penser à un Un chat étendu sur le dos G F+ A


chat allongé sur le dos... qui regarde le ciel... Ca > kan
qui... regarde le ciel m’a fait penser à ça parce
VI 0:00:30 que le...le... on dirait le
museau d’un chat avec
comme des poils qui res-
sortent, des moustaches

8 Quelqu’un, une personne Euh.. une personne qui se G F+ H


qui se regarde dans le regarde dans le miroir et > K
miroir, avec un chignon, qui est assise
puis elle est assise (?) Cette personne, je la
vois ici, avec le visage et
les cheveux, on dirait que
VII 0:00:25 ça fait un grand chignon,
et le reste du corps ici... et
on dirait qu’elle est assise.
(?) Euh.. Elle m’a fait pen-
ser à une grand-mère qui
regarde... qui se regarde
dans le miroir.
Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent 339

(suite)
9 Une panthère qui donne Un léopard qui donne la D/Gbl kan A Ban
la main à un... dinosaure patte à un dinosaure pour
pour traverser un fossé traverser le fossé
(?) Ici on voit un léopard
(D1), on dirait qu’il donne
la main comme à un dino-
saure (D4) ici et le fossé,
il se trouve juste là..
VIII 0:00:30 (?) Euh.. Je sais pas , ça m’a
aussi fait pensé à chaque
jour, il faut que j’aille chez
mon père, chez ma mère
comme traverser quelque
chose un fossé. Ca me
fait aussi penser à mon
enfance et on a étudié les
dinosaures. Puis voilà.

10 Un grand paysage... avec Euh... un grand paysage


une grande chute d’eau... avec euh.. une cascade,
qui tombe d’un rocher une grande cascade (Dbl8)
qui.. qui tombe d’un
rocher (?) Là, je vois le
rocher (D3), avec la cas-
IX 0:00:20 Gbl kob Pays
cade, ici, ça serait comme
la rivière et autour, les
arbres (D1).
(?) J’adore voyager, j’ai
toujours voulu aller voir
les chutes du Niagara.

11 Des personnes qui Des personnes qui dansent G K H


dansent... dans une salle... dans une salle. >C?
(?) Euh...toutes les tâches
colorées, on dirait des per-
X 0:00:15
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sonnes qui dansent... Ici


on dirait comme deux per-
sonnes qui s’embrassent,
et qui dansent, c’est tout.

Durée totale de la passation : 00:04:30

Pl + I

IX

VI
Pl - VII
340 Illustrations cliniques

Psychogramme résumé
Temps total : Temps/ réponse : Temps latence moyen :
R = 11
4. 30’ 0. 27’ 0. 00’

G:8
F:4 F% : 36 H:3
Gbl: 2 F+ : 2 F+%: 50 H% : 27
D/Gbl: 1 F- : 2 (H): 1
FC’: 1
G% : 100 K: 3 A:3
Ad : 1
kan: 2 A%: 36
kob: 1
Adev : 1

Anat : 1
Pays : 1
Σ C : 0,5
T.R.I : 3 / 0,5 Ban : 2
RC% : 27
Ang% : 9
Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent 341

Protocole de T.A.T de Lucile, 12 ans et 6 mois


Pl. Temps Récit

1 0:01:20 C’est un petit garçon qui a envie de jouer du violon et qui regarde un
violon qui est posé sur une table avec envie...puis il le trouve beau (?) Euh
il demanderait à son grand-père de lui apprendre à jouer du violon et plus
tard il serait violoniste professionnel dans un orchestre.

2 0:01:40 C’est une jeune journaliste, elle est partie dans un pays étranger et elle
s’est arrêtée devant une ferme où elle voit une famille pauvre avec une
femme enceinte et le père de cette famille qui laboure les champs pour
gagner de l’argent pour pouvoir nourrir son futur enfant et quand le bébé
sera né, ils pourront envisager de s’acheter de nouvelles terres.

3 0:01:20 C’est une adolescente de 13 ans qui revient de l’école et qui à la tête pleine
de pensées noires, elle se fait battre à la maison et elle pleure souvent le soir
avant de s’endormir... (?) Euh... elle irait à l’école, tout se passerait bien,
elle est très bonne pour les matières scolaires mais quand elle rentre à la
maison sa joie retombe tout de suite et elle doit faire ses devoirs, préparer
à manger, ranger la maison.

4 0:00:55 Ce serait une grande histoire d’amour entre un acteur et une actrice, ils
sont américains et américaines, ça fait depuis quelques mois qu’ils sont
ensemble mais cette jeune actrice se rend compte que son amoureux est
attiré par une autre femme et il va décider de la laisser pour cette autre
femme...Cette actrice américaine va avoir beaucoup de peine et elle va
tomber en dépression.

5 0:02:10 C’est une femme qui dormait tranquillement pendant la nuit et tout à
coup elle a entendu un bruit qui l’a réveillée en sursaut, elle est descendue,
elle a cherché dans toutes les pièces mais quand elle ouvre la porte de la
salle à manger elle voit que quelque chose est tombé euh...un pot de fleur
est tombé par terre alors qu’avant il était sur la table et elle pense que
quelqu’un est entré dans sa maison... (?) Euh elle serait paniquée et elle
appellerait son ami pour lui demander de se rendre chez elle pour voir ce
qui s’est passé et après elle appellerait la police parce que son ami lui à
conseillé de le faire... et après la police à enquêté chez elle.
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6BM 0:01:30 Euh...une femme de famille plutôt aisée avait perdu le soir de son rendez-
vous un médaillon, elle serait retournée dans la chambre d’hôtel, mais qui
serait à nouveau occupée par un homme inconnu... elle aurait cherché
dans les tiroirs mais se serait fait surprendre par cet homme inconnu et
aurait eu des problèmes car il l’a prise pour une voleuse et après il aurait
appelé la police et elle aurait dû aller devant le tribunal.

7BM 0:01:35 C’est une petite fille qui à toujours rêvé d’avoir un chat et sa mère à décidé
la veille d’aller lui en acheter un pour son anniversaire et depuis elle ne
peut plus s’en passer, elle passe toute sa journée avec lui en train de lui faire
des caresses et puis un jour, son chat disparaît et ne revient pas le soir à la
maison, la petite fille est très inquiète et très triste... Le lendemain, ils se
rendent comptent que c’est les voisins qui l’ont pris et ils ont déménagé...
342 Illustrations cliniques

(suite)
8BM 0:01:50 Euh... Ce serait pendant la guerre, une femme a vu son homme partir pour
aller combattre et quelques semaines après, elle apprend qu’il s’est blessé,
alors elle se rend à l’endroit où ils le soignent... Il s’est pris une balle dans le
ventre donc ils vont devoir ouvrir pour enlever cette balle et cette femme
est donc très triste qu’il se soit blessé et heureuse qu’il soit de retour...
Après la blessure guérirait et il n’aurait pas besoin de retourner à l’armée.

9 0:01:10 Deux sœurs très proches qui sont parties en vacances au bord de la mer
dans une petite région au sud de la France, elles sont plutôt riches donc du
coup elles ont pu s’acheter une maison au bord de la mer, et euh...chaque
jour elles prennent le temps d’aller à la plage pour ramasser des coquillages,
parler, se raconter des histoires, bronzer ou s’amuser dans l’eau et une de
ces deux sœurs est peintre et décide de peindre sa sœur devant les vagues.

10 0:01:20 Un vieux couple qui ont vécu de très très belles histoires euh...se retrouvent
maintenant sans la sœur de la femme du couple euh... le mari de cette
femme essaye de la soutenir le plus qu’il peut mais la femme est très triste
d’avoir perdu sa sœur et après ils iront à l’enterrement et après ce sera une
habitude d’aller chaque mois au cimetière pour aller voir la tombe de sa
sœur et ils vont vivre d’autres moments heureux.

11 0:00:55 Faut la prendre comme cela ?... Euh c’est dans un volcan, un peuple a
construit des ponts, des escaliers en pierre pour monter au sommet de
celui-ci et au sommet de celui-ci, il se trouve un dragon qui demande que
chaque année il y ait un sacrifice, et que si il y en a pas, il mange la plus
jeune fille de ce peuple.

12 0:01:40 Euh...C’est dans le jardin d’une maison abandonnée en Hollande, au bord


d’un canal avec une vieille barque et des enfants viennent jouer souvent
autour de cette barque euh... dans ce jardin aussi et à coté de cette barque il
y a un cerisier et notamment les enfants en été viennent manger les cerises
et un jour, ils décident de détruire la maison parce qu’elle ne sert plus à rien
et du coup le jardin va être fermé euh... sous peine des travaux après les
propriétaires vont être très durs et méchants avec les enfants qui vont voir
comment il est le jardin maintenant et ils pourront plus aller jouer là-bas.

13B 0:02:40 L. 0.10’. C’est un petit garçon qui déborde d’imagination euh... qui un jour
doit attendre sa maman qui est partie faire des commissions et euh... en
attendant sur le pas de la porte de sa maison, il pense à plein de choses,
pleins d’histoires qu’il pourrait raconter et écrire, dessiner....Plus tard, il
aimerait être un grand poète et sa mère n’est pas du tout d’accord avec ça,
elle est même contre à ce qu’il pense des poèmes ou à des histoires...Elle
veut qu’il se concentre à l’école, sur d’autres choses qu’elle trouve plus
importantes et elle ne comprend pas qu’il a juste besoin de soutien, d’amour
et d’un peu de compréhension... (?) Après sa mère reviendrait des courses,
il viendrait l’aider à ranger les courses et puis il irait au... village pour
s’acheter des nouvelles feuilles et nouveaux crayons avec l’argent qui reste
des courses pour peindre et dessiner des paysages.
Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent 343

(suite)
19 0:01:10 Ce serait un soir sur un bateau où plusieurs personnes dansent au son d’un
orchestre qui joue en live et puis tout le monde s’amuserait beaucoup
jusqu’à ce qu’il y ait une tempête et que le bateau se balance de gauche à
droite et que ça devienne quasiment insupportable de rester debout euh...
le lendemain la tempête s’est calmée, tout le monde est heureux, le bateau
est entier sans trop de dégâts et il s’arrêterait au port d’une ville.

16 0:01:40 Blanc ?!... (rire)... Euh... L. 0.10’. C’est un vieil homme, qui un jour
voulait aller peindre la neige, donc il part avec ses peintures et avec sa toile
blanche et son chevalet à la recherche d’un beau paysage...Ce monsieur,
il a pas beaucoup d’argent, il est pieds nus sur la neige, il commence à
trembler, il n’arrive pas à se réchauffer euh....il a une hypothermie, il a
tellement froid qu’il s’endort dans la neige et que c’est que quand un animal
avec sa truffe chaude vient lui lécher les joues qu’il reprend conscience
et qu’il rentre vite chez lui pour se réchauffer et se soigner avec sa toile à
moitié peinte... Un beau paysage avec de la neige.

Durée de la passation : 0 : 22 : 55

Rodolphe, 13 ans et 6 mois

Rodolphe est reçu sur les conseils d’un médecin-psychiatre, dans le contexte
de troubles alimentaires sévères et d’un désengagement progressif à l’endroit
du scolaire. Il s’agit, du point de vue du médecin-psychiatre, inquiet de
l’évolution psychoaffective du pré-adolescent, de permettre une évaluation
de son fonctionnement psychique mais aussi une mobilisation de Rodolphe
autour d’une compréhension et d’une subjectivation de ses troubles.
Rodolphe bénéficie d’un suivi régulier de la part du médecin-psychiatre,
et d’un traitement anxiolytique qui semble le dégager de la part la plus
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

invalidante des angoisses qui l’assaillent et qui l’empêchent, en particulier,


de se rendre au collège où il est scolarisé en classe de quatrième. Il semble
que Rodolphe développe à l’égard du collège des mouvements persécutoires
affirmés (« personne ne me comprend » affirme t-il).
L’examen psychologique se déroule à partir de trois rencontres.

➤ La demande et la construction de l’examen psychologique


L’examen psychologique de Rodolphe s’ouvre sur un premier temps de
rencontre avec sa mère, avant la passation de l’épreuve de Rorschach, puis
un temps avec sa mère et son père après la passation de la seconde épreuve
projective, l’épreuve de TAT. Au cours d’une troisième rencontre, seront
344 Illustrations cliniques

proposés des premiers éléments de compréhension de la problématique du


fonctionnement psychique de Rodolphe.
Le temps de rencontre avec la mère de Rodolphe, puis avec la présence
conjointe de son père, permet d’éclairer a minima des éléments de la
configuration familiale : Rodolphe est l’aîné de deux enfants (il a une sœur
plus jeune que lui, âgée de 9 ans, qui montre un investissement scolaire
exemplaire).
L’expression des symptômes de Rodolphe, nommés en termes de troubles
alimentaires, de troubles du sommeil et d’échec scolaire, est présentée de
manière un peu différente par chacun de ses deux parents : si sa mère tend
à lier l’émergence des symptômes, et leur survenue quelque peu soudaine,
au déménagement de la famille à la précédente rentrée scolaire avec un
changement d’établissement scolaire, son père, quant à lui, insiste sur la
dimension du désinvestissement de l’intérêt scolaire qui date de plus d’une
année maintenant.
L’hypothèse selon laquelle Rodolphe pourrait être considéré comme un
enfant intellectuellement précoce, et que cette précocité pourrait expliquer
et justifier le désintérêt pour la scolarité est assez largement investie
par les parents ; Rodolphe présenterait, aux dires de ses parents, un QI
supérieur à 150, sans que le psychologue n’ait pu faire une exploration
plus avancée auprès de la Conseillère d’Orientation Psychologue qui a
réalisé l’examen, en particulier dans le but d’interroger les écarts éventuels
entre les subtests. Il semble que l’on puisse appréhender cette hypothèse
d’une précocité intellectuelle comme venant masquer des éléments d’une
souffrance psychique intense de Rodolphe. Le psychologue se propose de
tenter d’explorer cette souffrance à partir de la mise en œuvre du bilan
projectif, faisant pour sa part l’hypothèse que cette souffrance ne peut être
considérée comme étant exclusivement liée à une inadéquation entre les
potentiels intellectuels de Rodolphe et les conditions de l’enseignement
scolaire proposé... Il faut noter que depuis la mise en évidence d’un chiffre de
QI au-dessus de la normale, Rodolphe bénéficie d’un suivi psycho-cognitif
qu’il paraît investir de manière positive.

➤ Clinique de la passation

Rodolphe se montrera très en retrait dans le cadre de l’examen psychologique,


tant dans le temps en présence de ses parents que dans le temps où il se
trouve en relation duelle.
Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent 345

Si, dans la première rencontre, Rodolphe a pu se montrer a minima


intéressé par la démarche du bilan projectif, lors de la seconde rencontre, il
manifestera davantage un refus, que l’on peut, semble t-il, davantage inscrire
comme signe d’un retrait de la relation que dans une modalité caractérielle
d’aménagement de la relation.
Le lien transférentiel est donc essentiellement marqué par la méfiance,
voire l’hostilité, l’empathie se révélant difficile à mobiliser dans la rencontre
avec Rodolphe. Le pré-adolescent parle peu de lui, de ses intérêts et de ses
aspirations, si ce n’est pour évoquer sa passion, un peu envahissante, pour
le domaine du fantastique, tant en termes de création graphique que de
création littéraire. Il développe d’ailleurs le projet professionnel de devenir
dessinateur artistique, métier qu’il associe à la liberté dans la création. Il
dit passer beaucoup de temps à dessiner, en classe, dans les marges de ses
cahiers, ou bien à la maison, lorsqu’il peint des figurines lui permettant de
créer des mises en scène dans le cadre de jeux de rôles. Il semble que ses
relations amicales, tout comme ses loisirs plus personnels, tournent autour
de ce mode d’investissement d’un imaginaire qui tend à le protéger de la
rencontre de la réalité.
Rodolphe se présente dans un mode de relation qui produit une forme
d’immobilisation : il semble que son énergie psychique se trouve toute entière
orientée vers la tenue à distance de la relation, qu’il tente paradoxalement de
contrôler au travers des mouvements de désaffectation qu’il mobilise. Dans
ce contexte, Rodolphe se présente dans un déni de toute souffrance, qui
s’exprime en particulier par une banalisation de ses symptômes somatiques :
le rapproché dans la relation clinique sera vécu par lui sur un mode quasi-
persécutoire, comme si la relation proposée, autour d’une attention à ses
marques de souffrance, était vécue comme la répétition d’une violence.
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Au regard des épreuves projectives, Rodolphe s’engage sans enthousiasme :


s’agit-il pour lui de se soumettre à une démarche investie par ses parents, ou
de tenter une approche réflexive à partir d’une demande qu’il a lui-même
du mal à assumer ?
Visiblement, l’épreuve de Rorschach, en ce qu’elle mobilise de manière
privilégiée, à partir du matériel non figuratif, le registre de l’imaginaire, sera
davantage investie par Rodolphe ; l’épreuve de TAT, quant à elle, est vécu
de manière péjorative, sans doute dans la mesure où la question du lien à
l’autre s’y exprime de manière centrale.
346 Illustrations cliniques

➤ Les processus de pensée

L’ensemble de la verbalisation de Rodolphe, face aux planches de l’épreuve


de Rorschach, se trouve tournée en direction de l’investissement du monde
imaginaire dans lequel le pré-adolescent paraît trouver refuge... et continuité
de pensée. C’est sans doute paradoxalement au travers de cet investissement
singulier que Rodolphe, dans la rencontre avec l’étrange et/ou l’étrangeté
du matériel de l’épreuve de Rorschach, peut conforter a minima un lien
avec la réalité. On verra que la rencontre avec les planches de l’épreuve du
TAT, en ce que celles-ci contraignent le pré-adolescent dans une forme
déterminée à l’avance, ouvrira sur une production beaucoup moins fluide
au plan de la verbalisation (avec, en particulier, la multiplication des
temps de latence) et marquée par des ruptures manifestées à différentes
reprises dans le discours (vécu d’une incohérence des positions représentées,
émergence de représentations de la mort...). Tout se passe comme si la
rencontre avec une réalité qui autorise de manière moins lâche le jeu
avec les représentations, butait sur une insuffisante plasticité des potentiels
d’élaboration de Rodolphe.
On notera par ailleurs, comme indicateur de cette absence de plasticité des
processus de pensée, que les modes d’appréhension à l’épreuve de Rorschach
apparaissent de manière rigide : si le G % est égal à 65, élargi aux réponses
appréhendées en globale blanc (Gbl), il monte à 100 %. Par ailleurs, le
F+ % se situe à un niveau très faible (27) témoignant de la précarité de
l’adéquation des représentations à l’égard du stimulus proposé (primat d’une
mobilisation projective sur la mobilisation perceptive). Enfin, l’absence de
toute banalité dans le protocole de réponse confirme un dégagement d’une
scène de réalité partagée.

➤ Le traitement des conflits

Les épreuves projectives proposées à Rodolphe mettent en évidence de


manière aiguë les traces d’une fragilité des assises narcissiques et, partant,
d’un retrait de l’investissement du lien à la réalité.
Les angoisses se manifestent essentiellement sur un versant archaïque,
dans des modalités liées à la destruction et à la mort. Elles se déploient pour
une large part dans une thématique orale peu organisée, mettant largement
en question la dimension de l’intégrité. Les représentations proposées aux
planches II et III de l’épreuve de Rorschach en donnent une illustration
saisissante : après la proposition de deux réponses qui mettent en scène
Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent 347

la destruction de l’intégrité (planche II : « quelqu’un qui ouvre grand la


bouche la tête traversée par l’impact d’une balle (...) », puis planche III : « un
homme qui se fait trancher en deux (...) »), une réponse d’animal, de dos,
tente de proposer une reconstruction de l’unité (sans renoncer cependant
à la dimension agressive et destructrice), en appui sur une réponse globale
blanc (« non aussi à la limite le dos d’une fourmi avec le dos et les pinces
tranchantes, d’une fourmi ou d’une araignée, d’un insecte quoi, voire même
d’un scarabée »). Sans doute cette dernière réponse permet-elle à Rodolphe
de se dégager de l’emprise de la couleur rouge, qui est essentiellement investie
au service des pulsions les plus destructrices (la carapace rigide du scarabée
proposant une figuration de l’aménagement possible face au débordement
pulsionnel ?). En filigrane, la question de la perte et de l’abandon, ouvre
une problématique dépressive à partir de laquelle tentent de se suturer les
investissements objectaux.
Les modalités défensives sont, dans ce contexte, assez peu construites :
présentes sur un mode discrètement persécutoire (cf. les contenus des
représentations ou des récits, le plus souvent en forme de pseudo-humains
inquiétants à l’épreuve de Rorschach, ou de relations que l’on peut
qualifier de risquées à l’épreuve du TAT), elles empruntent également
au registre du clivage, au travers de procédés qui tendent à tenir à
distance les représentations inacceptables dans un désengagement subjectif.
L’impossibilité pour Rodolphe de choisir son registre de représentations à
l’épreuve de Rorschach (planche IV : « un géant vu d’en bas ou un nain
avec une grande cape » ; planche VIII : « un homme-bête c’est tout »), ou la
coupure entrainée par la référence à la mort à la planche 16 (« c’est la mort,
y a rien... c’est la mort, blanc... ») indique de manière explicite l’échec d’une
conflictualisation des représentations. Par ailleurs, le recours à un imaginaire
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débordant, fantasque et fantastique, peu accessible à son interlocuteur,


contribue à actualiser une rupture avec la réalité du monde environnant.
L’identité de Rodolphe est peu assurée, en risque de se trouver confrontée
à un mouvement de désorganisation. La figuration humaine au Rorschach
témoigne de manière exemplaire de cette difficulté du pré-adolescent à (se)
construire (dans) une continuité représentative : si le H % peut apparaître
acceptable (12), cet indice se trouve tempéré par le nombre de réponses de
pseudo-humaines (9, soit plus de quatre fois plus que de réponses humaines).
Les deux kinesthésies du protocole sont attachées à des réponses pseudo-
humaines, plutôt inquiétantes. Dans ce contexte, on peut comprendre les
différentes stratégies d’évitement relationnel, ainsi que les manifestations
somatiques graves que Rodolphe présente, comme autant d’indicateurs de
348 Illustrations cliniques

ce que l’on peut identifier comme une souffrance identitaire dans le temps
de l’adolescence.
L’appui relationnel est assez peu investi, si ce n’est sur un mode primaire
et non conflictualisé, dans la mesure du risque que semble représenter
la rencontre avec l’altérité. Il semble que l’analyse du T.R.I, à partir
des cotations des réponses à l’épreuve de Rorschach, donne la mesure
de ce risque. En effet, le T.R.I est coartatif, maintenant en tension les
pôles d’investissement de la réalité interne (K = 2) et de la réalité externe
(C = 1,5) : cependant, on peut également mesurer de quelle manière chacune
de ces polarités se trouve prise dans une forme d’envahissement signant
la porosité des enveloppes internes/externes. À partir de là, on comprend
que les mouvements identificatoires de Rodolphe se trouvent malmenés,
rendant problématique l’engagement dans une conflictualisation des liens :
l’investissement du lien à l’image maternelle semble être prévalent, la
rencontre avec les identifications masculines se trouvant évitées, au risque
de la violence de cette rencontre. Les positions transférentielles de Rodolphe
témoignent d’ailleurs de ce mouvement, dans la mesure où celles-ci voient
privilégier la figure du retrait, associée à une discrète disqualification du lien
au psychologue (disqualification que les positions parentales confirmeront
dans le temps terminal du bilan). La problématique œdipienne reste très en
retrait des investissements relationnels de Rodolphe et de ses constructions
imagoïques ; on peut penser que l’inquiétude massive suscitée par la
rencontre avec les changements corporels de l’adolescence vienne entraver
pour lui la possibilité de se construire dans le regard de l’autre.
Il apparaît que le mode de relation d’objet prévalent dans lequel se trouve
engagé Rodolphe est le mode de l’emprise (dont on peut trouver les marques
tant dans les symptômes somatiques que dans l’engagement de l’imaginaire
en place de lien), qui n’est pas sans évoquer le renoncement impossible à
une relation de type fusionnel.

➤ Synthèse et perspectives cliniques

L’évaluation du fonctionnement psychique de Rodolphe, jeune pré-


adolescent, met en évidence une construction extrêmement précaire, dans
le contexte d’une adolescence marquée par une symptomatologie somatique
grave, un déficit massif de l’estime de soi, et un retrait relationnel qui affecte
tant ses relations au quotidien (dans le cadre familial et social) que ses
potentialités d’investissement scolaire.
Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent 349

Il semble que Rodolphe présente, de manière assez caractérisée, une


forme de décompensation psychique en lien avec l’entrée dans l’adolescence,
dont on peut penser qu’elle se soit trouvée exacerbée (déclenchée ?) par les
changements récents intervenus au sein de la famille : le déménagement
en particulier, mais de manière plus large, le bouleversement des repères
relationnels et sociaux qui vient en écho de la remise en jeu des repères à partir
de l’expérience du traumatisme pubertaire. Le risque de la décompensation
psychotique apparaît dans une proximité potentiellement inquiétante et il
importe de permettre à Rodolphe et à ses parents de prendre toute la mesure
de l’évolution péjorative que pourrait ouvrir l’absence de soin psychique
adapté.
Si l’enjeu principal pour Rodolphe semble être, au moment où il est
rencontré, de sauvegarder une part d’intégrité dans un surinvestissement de
l’imaginaire, on ne peut ignorer, qu’en toile de fond, il s’agit d’une position
extrêmement fragile, qui laisse l’adolescent dans une profonde solitude
existentielle.
On peut penser que les émergences dépressives mises en évidence au
décours du bilan projectif peuvent constituer un point d’appui à partir
duquel mobiliser Rodolphe dans la perspective d’un soin : peut-être la
réponse proposée à la planche X de l’épreuve de Rorschach ouvre-t-elle sur
une reconnaissance des potentiels de transformation de Rodolphe (« un duc
de changement, escorté par deux horreurs bleues de Tzeensch... sans les
horreurs, jetant un sort » ; le dégagement possible de l’aliénation ouverte
par la référence imaginaire propose ici une figuration possible d’un travail
psychique à venir (avec la référence au « changement »...), et en tous les
cas un point de levier pour envisager, au bénéfice du pré-adolescent, une
hypothèse de soin.
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L’hypothèse d’une hospitalisation dans un service spécialisé dans le soin


aux adolescents pourrait apparaître opportune, dans la mesure où une telle
démarche permettrait d’une part d’affiner le diagnostic psychopathologique
à partir d’une observation au plus long cours, et d’autre part de témoigner
à Rodolphe de la gravité de ses troubles et, partant, de lui permettre
d’expérimenter la nécessité d’un soin.
350 Illustrations cliniques

Protocole de Rorschach de Rodolphe, 13 ans et 6 mois

Pl. Temps R Passation Enquête Cotation

1 Un masque... un mutant Les quatre yeux (Ddbl) et


avec 4 yeux et des cornes les cornes et puis l’allure
I 0:00:55 Gbl F+ Obj
ou qui peut porter un bestiale
casque

2 Ça peut aussi ressembler Mandibule en haut


à un ellitide, comme un
G F- A
flagelleur mental, sorte
d’insecte.

3 (L: 0:00:15) Quelqu’un Plutôt deux balles


qui ouvre grand la bouche qui viennent d’en
la tête traversée par l’im- haut,ressortent sous le
pact d’une balle... en tout ment on (D3) yeux (Ddbl
II 0:01:05 cas quelqu’un qui ouvre la sup.), nez (D7), bouche Gbl FC H
bouche avec les espèces de (Dbl) Barbe (D3)
cornes rouges sanglantes,
il a la figure barbouillée de
sang, c’est tout.

4 (L: 0:00:15) Humm ! Deux bras, tête, nez, men-


Un homme qui se fait tran- ton et le sang qui gicle (D2,
III 0:01:25 cher en deux, trancher en D3) G FC H
deux dans le sens du haut
vers le bas c’est tout.

5 Non aussi à la limite le dos


d’une fourmi, avec le dos
et les pinces tranchantes,
Gbl F- A
d’une fourmi ou d’une arai-
gnée... d’un insecte quoi,
voire même d’un scarabée.

6 Un géant vu de bas ou Un nain à cause de la


un nain avec une grande barbe (E dans D sup.)
barbe et avec une cape oui,
IV 0:00:50 G F+ (H)
un nain vu d’en dessous
avec une cape et puis la
barbe...

7 Un corbeau...qui ouvre la Têtes (D inf.), pattes (D7) G kan A


V 0:00:45
bouche ! C’ ?

8 ou un aigle à deux têtes... Symbole comme dans le


G F- A/Symb
rien d’autre. jeu de rôle
Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent 351

(suite)
9 Une horreur...non ! Un Horreur... reproduction
hurleur de Tzeensch. asexuée par la bouche,
VI 0:01:15 G F- (H)
Hurleur créé par le Dieu
(Dieu du changement)

10 Un démon, en forme de Les crocs (Dd28), la queue


raie Manta qui vole et épineuse (D3) la raie du
G K (H)
qui tranche les têtes au milieu (D5)... ça peut
passage... c’est tout. avoir différentes formes

11 (L: 0:00:10) la sil- démon du dieu du sang,


houette d’un sanguinaire, cornes (D5)
VII 0:00:50 Gbl F- (H)
c’est encore une autre
forme de démon,

12 Un masque de sanguinaire D4, du sang du sanguinaire


qui est tombé dans le sang ou de ses victimes G F- Obj
c’est tout.

13 (L: 0:00:15) Encore un Variante avec des piques


VIII 0:00:55 hurleur. sur le dos (« Pattes » dans G F- (H)
D1)

14 Un homme-bête c’est tout avec des cornes (D4)... un


humain qui s’est plus ou
moins transformé en bête
Gbl F- (H)
au fil du chaos, tête de
chenille (Dbl3) (E : une
bête ?)... si... des loups ?

15 (L:0:00:15) Une hor- Une tête de chaque côté,


reur de Tzeensch en train un œil (Ddbl dans D1) le
de mourir, qui se sépare sang qui jaillit (D3) sauf G FC (H)
IX 0:01:05
en deux, pour former que c’est pas du sang qui ! K réprimée
encore deux autres hor- coule dans leurs veines
reurs... non rien d’autre. c’est de l’énergie magique
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16 (L:0:00:20) Un duc de Le démon majeur de


changement, escorté par Tzeensch, le plus puis-
deux horreurs bleues, de sant, une tête d’oiseau
Tzeensch... sans les hor- (D8) avec intérieur de sa
X 0:01:20 Gbl K (H)
reurs, jetant un sort. bouche (Ddbl sans D8),
grande robe (D9), jambe
(D4) magie qui jaillit des
mains (D1)

17 V Une tête de dragon,


G F+ (Hd)
Λ et puis c’est tout

Durée totale de la passation : 00:10:25


352 Illustrations cliniques

(suite)

Pl + X Celle qui ressemble le plus à quelque chose.

VI Même raison.

Pl- I Parce que j’ai horreur des ellitides.

IV Parce que j’aime pas les nains non plus.

Psychogramme résumé
Temps total : Temps/ réponse : Temps latence moyen :
R = 17
10. 25’ 0. 37’ 0. 06’
G : 11
Gbl : 6 F : 11 F% : 65 H:2
F+ : 3 F+% : 27
H% : 12
F- : 8 (H) : 8
(Hd) : 1
G% : 65
Bl % = Gbl% : 35 K:2
kan : 1 A:4
FC : 3 A% : 24

Σ C : 1,5 Obj : 1
Symb : 1
T.R.I : 2/1,5
RC% : 29
Ban : 0

Ang% : 0
Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent 353

Protocole de T.A.T de Rodolphe, 13 ans et 6mois

Pl. Temps Récit

1 0:01:00 L.0.30’ Un enfant à qui on a forcé à faire du violon... parce qu’il dit
« pourquoi on m’a forcé à faire ça ? » ... et puis voilà... ça l’embête
quoi !

2 0:01:30 L. 0.30’ Ce que ça pourrait raconter là-dedans... déjà c’est pas très logique
parce que ça a l’air d’être le travail des champs et il y a une fille qui a
des livres... quelqu’un qui laboure les champs, qui punit un cheval et il y
a une fille qui l’approuve et l’autre qui détourne le regard... c’est bon.

3 0:01:00 L. 0.25’ Ben quelqu’un à qui il vient d’arriver quelque chose d’horrible...
qui vient de se rendre compte de quelque chose... c’est tout.

4 0:01:10 L. 0.30’ Boo... je sais pas... ça doit être un couple qui a pas le droit de
sortir ensemble et ils le font quand même... ils sont inquiets... ils font
quelque chose d’interdit...

5 0:00:40 Ben ça c’est quelqu’un qui vient de découvrir un meurtre dans une
chambre... avec une tête horrifiée (dit avec le ton de l’évidence).

6BM 0:00:45 Ben une mère et un fils qui attendent le père qui a eu un accident de
voiture et ils le savent pas, ils commencent à s’inquiéter.

7BM 0:00:35 Je sais pas... ça veut pas dire grand chose toutes ces images... ben un
complot... voilà...

8BM 0:00:55 (fait une moue du visage) Un enfant qui tourne... qui détourne les
yeux des médecins qui sont en train de soigner son père... des médecins
d’époque, qui font des saignées et tout...

10 0:00:35 Deux personnes en train de se battre... en train de se mordre et tout...


deux personnes en train de se battre...

11 0:00:50 Une bande de malheureux qui viennent de se faire localiser par un


dragon et ils veulent s’enfuir... mais ils y arriveront pas... y a du feu.

12 0:01:00 Une barque abandonnée... une barque abandonnée... dans la forêt... on


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sait pas ce qui est arrivé à son propriétaire... il vaut mieux sûrement ne
pas le savoir...

13B 0:00:45 L. 0.15’ Un enfant qui en a marre qui est en train de réfléchir.

19 0:00:25 Un paysage corrompu par le chaos.

16 0:00:35 ... C’est la mort... y a rien... c’est la mort, blanc...

Durée de la passation : 0:11:45


354 Illustrations cliniques

Judith, 14 ans et 1 mois

Judith est adressée pour un bilan projectif par le médecin-psychiatre qui


a reçu dans un premier temps la jeune fille, dans le contexte d’un passage
à l’acte auto-agressif (tentative de suicide médicamenteuse). Ce praticien
estime pertinent, après un suivi de quelques mois de la jeune fille centré sur
les expressions dépressives de Judith et leur traitement médicamenteux, et
alors qu’un malaise persiste tant au plan de l’humeur que de la dynamique
relationnelle de la jeune fille, de lui proposer un espace de mise en sens de
l’agir violent, en appui sur une démarche d’évaluation de son fonctionnement
psychique.

➤ La demande et la construction de l’examen psychologique


L’examen psychologique de Judith s’ouvre sur un premier temps de rencontre
avec sa mère, avant la passation de l’épreuve projective de dessin à consigne
de l’A.T.91 , puis un temps avec sa mère et son père après la passation. Le
second entretien est consacré à la passation de l’épreuve de Rorschach. Lors
de la troisième rencontre, seule la mère de Judith sera présente, son père
n’ayant pu se libérer pour le temps de synthèse proposé.
Le temps de rencontre avec la mère de Judith, puis avec la présence
conjointe de son père, permet d’éclairer des éléments de la configuration
familiale, et des modalités d’instauration des liens au sein de la famille. Le
constat peut être fait, assez rapidement dans le décours de la situation de la
consultation, selon lequel Judith se présente dans une certaine solitude dans
sa relation à ses parents : tout se passe comme si, de manière paradoxale,
Judith se trouvait en position d’être dans une solitude au lieu même de la
manifestation d’une attention pour elle de la part de ses parents, attention
manifestée, et attestée, par la demande de consultation.
L’évocation de la scène de la tentative de suicide confirme ce vécu de
solitude : Judith a ingéré, au domicile familial, des médicaments anti-
dépresseurs destinés à sa grand-mère, qui l’ont conduit à un malaise au cours
de la nuit. Alertant ses parents sur le fait qu’elle se sent mal, Judith ne sera
accompagnée en consultation médicale que deux jours après cet épisode.
On notera par ailleurs l’aspect réactionnel de cette tentative de suicide,

1. Voir supra, au chapitre 2, la présentation générale de la situation de l’examen psychologique et


la participation de différentes épreuves, ou Roman P. (2006), Les épreuves projectives dans l’examen
psychologique, Paris, Dunod (Topos).
Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent 355

qui intervient dans le fil d’une décision éducative paternelle vécue comme
vexatoire, voire blessante, pour Judith. On peut inscrire cette décision dans
le contexte de la réactivation des enjeux œdipiens dans le lien père-fille à
l’adolescence.
Il ressort par ailleurs que la consultation du médecin-psychiatre intervenue
à la suite de la tentative de suicide de Judith quelques mois auparavant
s’inscrit dans une longue histoire de consultations, depuis le temps de la
petite enfance de Judith. En effet, les parents de Judith situent la première
consultation dans un service de pédopsychiatrie pour sa fille à l’âge de deux
ans, qui correspond au temps de la naissance de son frère puîné.

➤ Clinique de la passation
Judith restera relativement réservée au cours de l’entretien et de la passation
des épreuves projectives, alors même qu’il semble qu’elle ait pu manifester
auprès du médecin-psychiatre un intérêt à l’idée de s’engager dans un
dispositif en mesure de soutenir une compréhension de son malaise persistant.
L’empathie à l’égard de la jeune fille s’avère difficile à mobiliser pour le
psychologue, un rapproché dans le lien trouvant néanmoins à se signifier au
décours de l’examen psychologique.
Judith se présente dans une posture que l’on peut comprendre comme
étant celle de l’observation, tout en ne pouvant être considérée comme en
retrait dans la relation clinique. Judith semble être sensible à éprouver la
qualité du lien à ceux qu’elle rencontre, ainsi que la fiabilité de ce lien.
À cet égard, Judith manifeste la fragilité des investissements relationnels,
qui semblent toujours être pris dans le risque, celui d’un rejet, celui d’une
indifférence... ou celui d’une rétorsion.
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Les épreuves projectives (Rorschach et TAT1 ) sont investies par Judith


dans une certaine difficulté, au regard de la sollicitation des planches qui
apparaît comme la confrontant à une expérience quasi-traumatique ; Judith
s’y engagera a minima, dans une inhibition certaine. Apparaissent également
des manifestations de malaise, qui conduiront le clinicien à se mobiliser
activement dans une position de soutien de la jeune fille, afin d’une part,
d’autoriser le déploiement des représentations tel qu’il peut être attendu
dans le cadre de la passation des épreuves projectives, et d’autre part, de
proposer un renforcement narcissique dans le cadre d’une situation où
Judith semble pouvoir être prise dans une forme de vacillement identitaire.

1. Seule l’épreuve de Rorschach fera l’objet d’une présentation et d’une discussion clinique.
356 Illustrations cliniques

➤ Les processus de pensée

Les processus de pensée se présentent dans une importante inhibition, qui


se donne à voir tout autant au travers du protocole de réponses à l’épreuve
de Rorschach que dans le graphisme et le récit rétractés à l’épreuve de dessin
de l’A.T.9.
La verbalisation est minimale, comme si Judith était soucieuse de présenter
une adaptation suffisante, à la limite de l’engagement subjectif. On note
la présence d’une seule réponse par planche de l’épreuve de Rorschach,
donnant à penser que Judith a pu considérer qu’il s’agissait là du minimum
requis pour ne pas se trouver disqualifiée au plan narcissique. Cependant
Judith se montre en mesure de proposer des représentations globalement en
adéquation avec le stimulus des planches et, parfois même, avec une certaine
recherche dans la construction du stimulus (planches III, VIII et X), à la
condition de prendre en compte, dans une continuité, le discours fourni
à la passation et le discours fourni à l’enquête : ceux-ci concourent soit
dans la précision à apporter à une réponse (planches III et X), soit dans
l’approfondissement de l’élaboration de la représentation (planche VIII,
avec l’émergence de la réponse banale à l’enquête, en réponse additionnelle).
La dimension de l’inscription temporelle et du rythme de la production
est également à considérer, comme témoin de l’inhibition des processus
de pensée : en effet, le protocole de Judith est émaillé de temps de latence
(qui dépassent parfois une minute, comme à la planche V, parfois nommée
par certains auteurs comme « planche de l’évidence » !) qui introduisent
une rythmicité singulière au regard du travail de symbolisation. Tout se
passe comme si le temps de la rencontre avec la planche nécessitait une
forme d’apprivoisement, à partir duquel Judith pouvait s’autoriser à jouer.
Il semble que cet aspect de l’engagement des processus de pensée puisse être
mis en lien d’une part avec la participation dépressive du fonctionnement
psychique de Judith, et d’autre part avec le risque que semble représenter
l’appréhension d’un stimulus marqué par une forme d’étrangeté et, qui
mobilise, on le verra, des éprouvés dans un registre archaïque.

➤ Le traitement des conflits

Les épreuves projectives proposées à Judith, et tout particulièrement pour


ce qui nous intéresse ici l’épreuve de Rorschach, mettent en évidence de
manière aiguë les traces d’une souffrance dépressive et d’une fragilité des
assises narcissiques.
Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent 357

Les angoisses se manifestent essentiellement sur le versant de la perte, et


se traduisent par un sentiment de lâcher prise (lâcher/être lâchée), renvoyant
sans doute à des éprouvés précoces, ici réactualisés à l’adolescence, et dont
l’on peut reconnaître le caractère potentiellement déstructurant. Par ailleurs,
les expressions persécutoires ouvrent sur un autre registre, celui d’un vécu
d’une forme de risque pour l’intégrité, sans toutefois que ne se trouve
véritablement atteinte la construction identitaire. Il semble que l’on soit ici
confronté de manière paradigmatique aux enjeux identitaires ouverts par la
crise pubertaire : comme on a pu le voir, la remise en question des repères
identitaires traverse le temps de la pré-adolescence, et vient ici, pour Judith,
inscrire des vécus d’étrangeté, voire de menace (cf. planche II : « en fait je
vois ce que ça pourrait être là, mais (...) ce serait un... de la fumée noire
qui emporte... je sais pas des personnes » et à l’enquête : « un nuage noir,
quelque chose de mauvais qui tue les gens »).
Les stratégies défensives de Judith se traduisent en termes d’inhibition,
davantage orientée sur un versant névrotique que sur un mode narcissique
et/ou déficitaire. Cette inhibition, que l’on peut entendre également dans
le registre de la mise à distance de représentations chargées de violence,
constitue une modalité défensive relativement efficiente pour Judith, même
si cela est au prix d’un coût énergétique certain. Par ailleurs, le recours
à l’idéalisation (planche IX : « un coucher de soleil » ; planche X : « à une
femme un peu excentrique ») permet une forme de dégagement dans un
contexte où la résolution de la position dépressive peine à s’élaborer, laissant
Judith aux prises avec des affects dépressifs diffus et peu subjectivables (cf. le
contexte dysphorique ouvert par les réponses à la planche II, avec la présence
d’une kinesthésie passive, témoignant d’un retrait quant à l’engagement
subjectif).
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L’identité de Judith est assez peu assurée, même si l’on ne note


aucune manifestation d’atteinte caractérisée dans ce registre. La réponse de
kinesthésie humaine à la planche III ainsi que la réponse banale à la planche V
témoignent a minima de la structuration d’assises narcissiques-identitaires
de base. Domine une insécurité dans les liens, au sens où les qualités de
soutien de l’environnement n’auraient pu faire l’objet d’une intériorisation
suffisamment fiable et/ou stable : on peut bien sûr à cet endroit relayer
l’association proposée par la mère de Judith entre la première consultation
psychologique et la naissance de son frère puîné, dans la mesure où la
fragilité dont témoigne Judith apparaît bien comme s’inscrivant dans des
modalités peu construites et/ou peu soutenues de liens à l’environnement.
358 Illustrations cliniques

Au plan identificatoire, il semble que la question centrale puisse être


énoncée de la manière suivante : « comme adolescente, adulte en devenir,
sur qui et sur quoi puis-je prendre appui pour grandir ? », et ce, dans un
contexte dans lequel on peut repérer :
• d’une part que les figures parentales se trouvent psychiquement peu
qualifiées (ce qui n’a par ailleurs rien de surprenant ni de très spécifique
dans le temps de l’adolescence) ;
• d’autre part que les figures des pairs sont peu mobilisables, dans la mesure
de la précarité de l’estime de soi dont témoigne Judith, alors même que
les manifestations d’idéalisation viennent assurer une bonne part des
modalités défensives.
À partir de là, on comprend que les mouvements identificatoires de
Judith soient assez peu assurés, à l’aune du mode d’investissement des
figures parentales, qui apparaissent ici comme peu mobilisées, sur le plan
intrapsychique, par Judith. En effet, on constate :
• que la figure du féminin maternel est investie dans un défaut de sécurité
(planche I : « (...) ben... à une femme avec des ailes, qui veut attraper
quelque chose... ») même si elle est potentiellement appelée à la source
du narcissisme (planche VII : « (...) le reflet de quelqu’un dans l’eau ») ;
• que la figure du masculin-paternel est associée à une figure inquiétante
(cf. planche IV) ;
• que la construction de la bisexualité se trouve mise à mal, en défaut
d’élaboration, au travers d’une figure dysphorique (planche VI : « un
animal écrasé »).
In fine, se pose la question de la place de Judith dans les investissements
parentaux et, plus particulièrement, la place de Judith au sein du couple
parental. Tout se passe comme si tout conflit s’avérait impossible, dans la
mesure où il porterait en lui les germes de la destruction. En d’autres termes,
la gestion pulsionnelle (entre pulsion libidinale et pulsion agressive) peine à
s’élaborer dans une figure de liaison autorisant l’accès à l’ambivalence, au
profit d’une figure de bi-triangulation, qui plaque la référence à la différence
des sexes sur une ligne de clivage entre bon et mauvais objet.

➤ Synthèse et perspectives cliniques

La personnalité de Judith se présente dans une construction précaire, dans


le contexte d’une adolescence marquée par une faible estime de soi et par
Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent 359

une (des) expressions(s) auto-agressive(s), dans une configuration nettement


dépressive.
Si l’on peut écarter toute dimension psychopathologique avérée dans le
champ de la psychose, dans un registre persécutoire et/ou dissociatif, on
ne peut manquer de souligner, dans une expression qui peut apparaître au
premier abord comme marquée par la pulsionnalité œdipienne, les failles
dans la capacité de maintenir la continuité des investissements.
Il semble que l’enjeu principal pour Judith tienne dans une tentative de
trouver une reconnaissance dans le regard de l’autre, alors même que la
violence des conflits (ou des incompréhensions ?) dans la rencontre avec
ses parents, autour de la question du scolaire par exemple, tend à actualiser
une position de disqualification, qui fait écho à une modalité insatisfaisante
d’être investie par ses parents.
La question se pose, semble-t-il, des modalités de négociation des liens
au sein de la famille : Judith semble prise, de manière aliénée, entre une
figure paternelle plutôt autoritaire, investie dans la disqualification voire la
rétorsion, et une figure maternelle qui ne peut investir véritablement une
position de soutien à l’égard de sa fille. Le temps de l’adolescence, dans la
fragilité et la labilité de ses investissements, constitue bien sûr un espace
privilégié pour la mise en jeu des liens aux parents. Ici, ces liens apparaissent
en difficulté d’inscription, comme attaqués par un imaginaire inaccessible.
Face à cette configuration, et à un passage à l’acte auto-agressif dont il
convient d’entendre la dimension de souffrance sous-jacente, il paraît tout
à fait important de s’engager dans une double orientation :
• d’une part, celle de la poursuite d’un soin individuel pour Judith,
suffisamment dégagé des enjeux parentaux, qui aurait pour fonction de la
soutenir dans la construction d’une intériorité à même de lui permettre
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

de mettre au travail ses éprouvés de manière non-dangereuse ;


• d’autre part, celle de la mise en œuvre d’un soin familial, peut-être, dans
un premier temps tout au moins, dans une différenciation suffisante du
soin individuel de Judith, afin d’éviter tout risque et effet d’empiètement ;
si la mère de Judith a pu se montrer intéressée par une telle démarche,
celle-ci repose toutefois sur une adhésion claire de chacun des membres
concernés de la famille.
Il semble que l’on puisse miser sur les ressources de Judith, tant la
jeune fille peut montrer, tout à la fois au travers des épreuves projectives
et de l’engagement dans la relation clinique, l’existence de potentiels de
mobilisation : l’inscription identitaire, mais également a minima sa possible
360 Illustrations cliniques

reconnaissance de la souffrance qui la submerge, sur le mode de la contrainte


à la passivation, constituent des leviers pour envisager son engagement dans
un travail de soutien de sa position subjective.

Protocole de Rorschach de Judith, 14 ans et 1 mois


Pl. Temps R Passation Enquête Cotation

(L:0:00:10) Il faut que


je dise à quoi ça me
ses cheveux, sa robe (Dax),
fait penser ? Ben... à une G F+ (H)
I 0:00:50 1 ses ailes sur les côtés, ses
femme avec des ailes, –> K réprimée
mains (D1), ses pieds
qui veut attraper quelque
chose...

(L: 0:01:00) Λ > En


fait, je vois ce que ça
Un nuage noir, quelque
pourrait être là, mais (...)
chose de mauvais qui tue G C’F Frag/H
II 0:01:35 2 ce serait un... de la fumée
les gens (toutes les tâches –> K passive
noire qui emporte... qui
rouges)
emporte je sais pas des
personnes...

À deux personnes qui Les personnes avec les


III 0:00:30 3 G K H Ban
jouent de la musique. tam-tam sur les côtés

(L:0:00:15) À quel- ses jambes, ses bras et sa


IV 0:00:35 4 G F+ (H)
qu’un vu de bas tête... ( ?) un monstre !

(L:0:01:20) À une ses antennes, je sais pas,


V 0:01:40 5 G F+ A Ban
chauve-souris...ouais ses pattes et puis ses ailes

son museau, sa tête (Dax)


VI 0:00:20 6 Un animal écrasé avec là ses pattes arrière, G F+ Adev.
ses pattes avant

(L:0:00:20) Hum... le son corps (D2) et ses che-


G F± H
VII 0:00:40 7 reflet de quelqu’un dans veux (D4) (Vu du haut de
–> reflet
l’eau la planche)

c’est pas trop la forme,


la verdure (D4), des ani-
(L:0:00:50) À la mon- maux (D1), des pierres
VIII 0:01:10 8 G F- Pays
tagne... hum... (D2)...et de la verdure
aussi (D5)
(R. Add : DD F+ A Ban)

qui se reflète dans l’eau...


soleil (D3) avec des choses
IX 0:00:20 9 Un coucher de soleil G FC Pays
qui se reflètent dans l’eau,
des arbres
Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent 361

(suite)
sa veste (D9)
ses bracelets (D1)
son soutien-gorge ( D6),
À une femme un peu
X 0:00:30 10 masque sur la tête (D8), Gbl F+ H
excentrique
collier (D3)
pantalon (D 10) et motifs
sur son pantalon (D2).

Durée totale de la passation : 00:08:10

Parce que j’aimerais bien savoir voler et puis... et puis attra... attraper
Pl + I
quelque chose mais...

Parce que je sais pas j’aimerais bien être un peu excentrique de temps en
X
temps, pas toujours parce que je suis un peu timide.

Parce que ça représente un peu la guerre et j’aime pas... j’aime pas l’idée
Pl - II
que des innocents meurent pour leur pays.

Pareil les monstres dans les films ils tuent des innocents, ils font peur à
IV
des innocents...

Psychogramme résumé
Temps total : Temps/ réponse : Temps latence moyen :
R = 10
8. 10’ 0. 49’ 0. 23’
G:9
Gbl : 1 F:7 F% : 70 H:4
F+ : 5 F+% : 79 H% : 40
F± : 1 (H) : 2
F- : 1

K:1 A:1
G% : 90 A% : 10
Bl% = Gbl% : 10 FC : 1 Adev : 1
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

C’F : 1
Σ C : 0,5 Frag : 1
Pays : 2
T.R.I : 1/0,5
RC% : 30
Ban : 2
Ang% : 0
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étude psychanalytique, Paris, Dunod.
Table des matières

PRÉSENTATION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . V

AVANT-PROPOS . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . VII

Rorschach et médiation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . IX

Rorschach et pratique de l’examen psychologique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . XI

CHAPITRE 1 L’ÉPREUVE DE RORSCHACH . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1

Histoire d’une pratique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5

Normalité et pathologie : Rorschach et clinique de l’enfant et de


l’adolescent . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7
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Pour une approche psychodynamique de l’épreuve de Rorschach . . . . . . 9

CHAPITRE 2 MÉTHODOLOGIE DE L’ÉPREUVE DE RORSCHACH


EN CLINIQUE DE L’ENFANT ET DE L’ADOLESCENT . . . . . . . . . . . . 13

Épreuve de Rorschach et travail de l’image . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 16


Les planches de Rorschach : jouer avec les taches . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 17
Projection, rêve et régression . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 22
Rorschach et travail de symbolisation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 27
364 Le Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent

Le fil projectif : un modèle pour penser le travail de symbolisation dans


l’expression projective . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 34

Propositions de méthode . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 37
La passation de l’épreuve de Rorschach en clinique de l’enfant et de l’adolescent 38
La cotation, clinique de la production projective . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 60
Le modèle de l’évaluation du fonctionnement psychique en clinique de l’enfant
et de l’adolescent . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 67

Clinique de la réponse au Rorschach. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 76


Discrimination perceptive : les modes d’appréhension . . . . . . . . . . . . . . . . . . 77
Mode de traitement du stimulus : les déterminants . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 111
Témoins de l’imaginaire : les contenus ou représentations . . . . . . . . . . . . . . . 146
Les phénomènes particuliers . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 152
Synthèse des cotations et indices spécifiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 159

CHAPITRE 3 EXPRESSION PROJECTIVE AU RORSCHACH


ET DÉVELOPPEMENT PSYCHOAFFECTIF DE L’ENFANT ET
DE L’ADOLESCENT . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 167

Problématiques et observatoires cliniques. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 169


Organisateur de la pulsion et expression de l’angoisse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 170
Le travail des défenses . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 185
Dynamique du lien à l’objet . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 203

Repères pour une pratique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 217


Le jeune enfant et l’expérience sensorielle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 218
Le temps œdipien et la conflictualité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 229
La latence et la déconflictualisation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 238
La pré-adolescence et les premiers vacillements . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 248
L’adolescence et ses remaniements . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 261
Table des matières 365

CHAPITRE 4 ILLUSTRATIONS CLINIQUES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 273

L’enfance et la période de latence . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 276


Jérémie, 5 ans et 6 mois . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 277
Christophe, 7 ans . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 285
Laetitia, 7 ans et 7 mois . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 294
Houria, 8 ans . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 304
Pierre, 9 ans . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 312
Oriane, 10 ans . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 322

Le temps de l’adolescence . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 332


Lucile, 12 ans et 6 mois . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 332
Rodolphe, 13 ans et 6 mois . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 343
Judith, 14 ans et 1 mois . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 354

BIBLIOGRAPHIE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 367

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