054 L'enfer Du Collectionneur - Michel Brice
054 L'enfer Du Collectionneur - Michel Brice
054 L'enfer Du Collectionneur - Michel Brice
BRIGADE MONDAINE
(N°54)
L’ENFER DU
COLLECTIONNEUR
QUATRIEME
Dès le début de son « dressage » dans une propriété proche de Paris, non
loin d’une sortie d’autoroute, Mahaut Huis-Oudry avait appris une chose
essentielle, en plus de la nudité – trois mois de nudité absolue dans un lieu
où apparemment seuls le jardinier et le chauffeur, portugais et maghrébin,
de l’association, avaient des droits sur les filles : devant un client, on baisse
les yeux. Les hommes sont comme ça, une fille qui ne les regarde pas, ça
libère leurs fantasmes.
« Ne regarde jamais un client, répétait Madame G. Jamais. Tu te
cantonnes au rôle d’objet. OK, tu n’en penses pas moins, mais un client
regardé en face, c’est un client perdu. »
Elle n’avait jamais oublié. D’autant plus qu’au réfectoire de la propriété,
quand une fille en dressage avait oublié de respecter le rite, son assiette
restait vide. Et après le repas, elle était fouettée devant les autres, sans se
plaindre. Aucune n’avait été forcée à venir. Il y en avait même qui
regardaient le jardinier en face dans les yeux, par bravade, exprès pour
« mériter » le jeûne et le fouet.
À de rares exceptions près, les filles emmenées à la propriété avaient
toutes, un jour ou l’autre, fait exprès, de regarder le jardinier ou le chauffeur
dans les yeux. Pour savoir ce que ça voulait dire que d’être punie.
Nadia – du nom qui lui avait été donné dès son arrivée à la propriété –
avait été de celles qui était fichées par Madame G. comme :
« À provoqué plusieurs fois. Rapportera gros. »
Ce qui faisait que Nadia était une vraie pute, une des meilleures du
réseau de Madame G. c’était qu’elle ne jouait jamais. Elle marchait droit,
elle était franche, sincère, ouverte. Dans tous les sens du terme.
Et y prenant plaisir.
CHAPITRE II
Ce qui gênait Nadia, ce n’était pas la position dans laquelle on l’avait
mise, en travers du canapé. Il y avait longtemps que ça ne la gênait plus, les
désirs des clients, sont des ordres, puisqu’ils payent, et d’ailleurs, en vraie
prostituée d’âme et de cœur, elle aimait obéir. Ça la révolutionnait
secrètement. Parfois, ça la mettait même dans tous ses états, bien longtemps
avant d’être prise. Si elle avait tant de succès, si on la demandait plus
souvent qu’aucune autre fille au téléphone de Madame G., et surtout si on la
redemandait immanquablement, c’était qu’elle ne singeait pas les cris du
plaisir, comme les autres. Elle le prenait vraiment.
Mais là, tout était différent, et d’une certaine façon, c’était la première
fois depuis le début de sa « carrière » dans la courtisanerie de luxe qu’elle
éprouvait un malaise précis.
Celui d’être tombée à côté de la plaque. Pas tellement le problème du
voyeurisme évident de son client et de son acolyte : les prostituées sont
« tronchées » moins souvent qu’on le croit… Seulement, ce soir, il y avait
une atmosphère particulièrement délétère dans l’atelier de la rue Angry, un
je ne sais quoi de bizarre, de retenu, de pas normal du tout. D’évidence, elle
était chez des pédés. Mais là n’était pas la question principale. La semaine
dernière encore, un très haut fonctionnaire de ce genre l’avait payé une
fortune rien que pour la voir se strip-teaseur savamment devant lui, façon
Crasy Horse Saloon dans les années cinquante, quand les spectacles étaient
encore érotiques… Histoire de savoir si des fantasmes normaux lui
remonteraient au ventre (réponse : non. Nadia s’était rhabillée, elle avait
empoché et elle était repartie aussi intacte qu’à l’arrivée).
L’ennui, c’était l’intense désintérêt, visible comme deux et deux font
quatre, des regards posés sur elle. Même pas un effort pour essayer… Rien,
le vide total, l’œil blanc.
Pourtant, elle avait assez d’expérience pour savoir qu’elle était, écartée
en croix sur le cuir fauve, fantastiquement excitante pour tout homme,
même pour un pédé à 95 %. Mais ces deux-là devaient l’être à 100 %.
Rien à faire.
Elie était ouverte des cuisses et des bras. Ils lui avaient passé avant la
pose une chemise de soie blanche qu’ils avaient relevée pour dégager les
seins juste au-dessus de leurs pointes.
— Inutile de montrer le visage, inutile, avaient-ils dit avec des
intonations de chaisière de Saint-Sulpice qui voit se transformer en rictus
diabolique le visage de passion du Christ en croix au-dessus de son prie-
Dieu.
Nadia avait pourtant fait ce qu’il fallait, professionnelle jusqu’au bout de
la tension du cou en avant, du visage offert, des lèvres ouvertes, langue un
peu sortie vers l’objectif.
Mais non. Ils la voulaient sans visage, juste un écartement de cuisses,
pubis saillant, fente présentée au « Canon » monté sur pied en face d’elle.
— Permettez que Cari vous enduise lui-même un peu plus, fit le petit
homme aux yeux noisette.
Il agita la main.
— Il le fera très bien, vous savez.
Nadia se laissa faire, haletante. La pommade Venitex dont elle s’était
déjà empesé trois fois la fente du sexe était quelque chose de diabolique.
Elle n’avait même plus envie d’en voir l’effet, comme tout à l’heure, en
plongeant son menton dans sa gorge. La sensation seule lui suffisait pour
deviner ce qui se passait, une fois que les doigts nerveux et souples à la fois
de Cari se furent en allés. Jamais elle n’avait éprouvé une telle turgescence
des grandes lèvres. Ni surtout des petites. Elle en était sûre : ces dernières
devaient saillir, gonflées, tendues de sang à éclater. Si elle ne s’était pas
cabrée, à la fin de l’enduisage, dans un sursaut de jouissance incontrôlée,
c’était que vraiment elle devinait trop combien les mains du photographe
étaient des mains ennemies malgré leur douceur. Sous n’importe quelles
autres mains elle aurait hurlé à ameuter toute la rue tant son clitoris vibrait,
aussi gros qu’un pénis d’enfant mâle sous la terrifiante puissance de
l’enduisage.
Elle ondula doucement, cuisses et bras agités de tremblements. Des
délires l’envahissaient. Des souvenirs de clients surdoués, d’étreintes fortes
et douces qui lui avaient fait se demander, chaque fois, s’il n’était pas
vraiment injuste de faire payer un homme qui vous rend si heureuse.
CHAPITRE III
En février, à Paris, les belles journées ensoleillées sont plus fréquentes
qu’on ne croit. Il suffit d’un bon coup de vent d’est, sec et propre, pour
balayer du ciel les nuages et leur cortège d’averses ou de brumes lourdes.
L’ennui, dans cet éclat de soleil de début d’après-midi, au beau milieu du
bureau du commissaire divisionnaire Charlie Badolini, patron de la Brigade
Mondaine, au deuxième étage du 36, quai des Orfèvres, c’est que toute cette
lumière joyeuse éclairait, sur le cuir fauve du bureau Empire du mobilier
national, des clichés horribles.
Ils étaient trois à regarder ça, Charlie Badolini, et puis Boris Corentin,
inspecteur divisionnaire de la section des Affaires Recommandées et Aimé
Brichot, inspecteur principal de la même section.
— Dégueulasse, murmura Corentin en se reculant.
[2]
Sa haute silhouette bretonne d’athlète surentraîné au stade de l’ASPP ,
au bois de Vincennes, évolua avec des allures de fauve vers la fenêtre. Il s’y
appuya du coude, contemplant une péniche luttant contre le courant, un peu
plus bas.
Aimé Brichot se cabra à son tour, et partit s’asseoir sur une des chaises
Louis XVI faisant face au bureau du patron.
Après des années d’enquête, qui leur paraissaient représenter des siècles,
ils n’arriveraient donc pas à être blasés les uns et les autres ? Même le
patron, « Baba » pour les intimes, avait du mal, malgré sa longue
expérience, à admettre la réalité de ce qui était étalé, en clichés de papier
glacé éparpillés sur le coin du bureau.
La fille avait un beau visage entre ses boucles, ourlées sans doute
l’après-midi même précédant sa mort chez un bon coiffeur. On connaissait
d’ailleurs le nom et l’adresse du salon : Carita, rue du Faubourg Saint-
Honoré. Ça n’avait pas été très difficile à trouver : le visage de la morte
était intact, encore très beau et désirable, et fiché depuis des années à la
Brigade Mondaine.
Mahaut Huis-Oudry, 25 ans, fille de conseiller d’Etat, étudiante de
Sciences Po passée à la prostitution sous le nom de Nadia dans le réseau de
Madame G.
Les photos étaient une épouvantable litanie d’horreurs qu’il faudrait
avoir le courage, une bonne fois pour toutes, de passer à la télévision aux
heures de grande écoute pour faire comprendre aux filles écervelées ce
qu’elles risquent à vouloir tenter le diable. Le plus atroce, ce n’était pas les
traces de fouet, partout, y compris sur les seins. Ni le sexe visiblement
« écartelé » par un de ces produits à enduire bien connu des milieux désaxés
de la capitale. C’était, finalement, l’espèce de tranquillité douce du visage
au-dessus de tout ça, et les jolies mains, longues, racées, aux ongles cassées
un sur deux.
Le gâchis de la beauté, le gâchis de la jeunesse…
Le soleil du matin dans les yeux, c’est dur, après une nuit d’amour…
Boris Corentin clignotait des paupières, luttant pour faire bonne figure
devant le patron.
Charlie Badolini alluma une Celtique maïs.
— Je puis me permettre un pari avec vous ?
Corentin s’inclina.
— Evidemment, patron.
— Parfait… Je sais qui vous vaut cette mine de papier mâché.
Il sourit finement.
— Un nom double avec un trait au milieu. Un prénom, hélas pour elle,
devenu trop à la mode chez les filles de bien après sa génération.
Corentin releva le nez.
— Ça va, j’ai pigé, monsieur le Divisionnaire. Comment vous savez ?
Charlie Badolini happa avec ses lèvres gourmandes la cigarette qui, vu
son âge, était sa seule connexion restante avec les appétits buccaux,
réservés à d’autres « jeux » chez les gens plus jeunes que lui.
— Si vous avez trouvé Ghislaine chez vous hier soir en rentrant, c’est à
cause de moi. Elle m’a appelé dans l’après-midi.
Il sourit.
— Vous avez toujours dit que votre porte n’était jamais fermée à clé. Pas
de ma faute si elle s’est installée chez vous.
Corentin croisa les jambes.
— Vous ne m’avez pas convoqué pour ce petit détail intime, tout de
même.
La Celtique maïs fit un aller-retour rapide de la bouche de Charlie
Badolini au cendrier installé confortablement au milieu des dossiers.
— Non, bien sûr.
Il marqua un temps d’arrêt.
— On sait où était cette prostituée de haut vol avant qu’on la retrouve
dans un fourré du bois de Boulogne, chez un dénommé Edgar Andreat.
Adresse : 12 rue Augry, dans le seizième. Une rue privée donnant rue du
Ranelagh. Profession : Pompier d’entreprise.
— Pompier de quoi ? s’écarquilla Corentin.
Charlie Badolini sourit.
— Un de ces financiers qui se chargent, moyennant argent, de mettre au
net les affaires des entreprises en difficultés. Une profession qui marche
bien par les temps qui courent.
Il écrasa sa cigarette dans le cendrier.
— L’expression « pompier » est un rien cocasse dans le cas précis :
Edgar Andreat, dernier client de la prostitué Mahaut Huis-Oudry, dite
Nadia, est un homosexuel notoire. Spécialiste, au temps où elles existaient
encore, des pissotières. J’ai des « blancs » sur lui, vous les consulterez tout
à l’heure. Il a été trois fois sauvé par relations, de la correctionnelle. Depuis
un an ou deux, il s’est mis aux travestis.
Boris Corentin soupira :
— Ça se complique vraiment, non ?
Il se pencha.
— Pure question de détail, patron : comment vous savez tout ça ?
Charlie Badolini prit l’air ravi.
— Mais, mon cher, parce que je bosse pendant que vous vous envoyez
Ghislaine. Figurez-vous que Madame G. enregistrait tout sur cassettes.
Mois après mois. On a retrouvé la cassette de ce mois-ci, on l’a écoutée.
« Et c’est comme ça qu’on a appris, par voix d’outre-tombe, que sa
meilleure gagneuse, notre Mahaut Huis-Oudry, avait pour client, avant-hier
soir, 12, rue Augry ce vieil homosexuel d’Edgar Andreat…
Corentin s’inclina.
— Bravo, patron. Maintenant, je suppose que c’est à moi de chercher à
savoir pourquoi un homo notoire a payé une célèbre pute pour venir chez
lui.
Charlie Badolini recula jusqu’au dossier de son fauteuil Empire ses
maigres épaules de Niçois tabagique.
— Ce qu’il y a de merveilleux avec vous, monsieur Corentin c’est que,
même après une nuit agitée, vous pigez au quart de tour les problèmes
professionnels que vous vous êtes engagé par contrat à tenter de résoudre.
Corentin se leva.
— Vous avez dit : tenter, patron ?
Charlie Badolini approuva, surpris.
— Eh bien, reprit Corentin, je ne vais pas me contenter de tenter de
résoudre le problème, je vais le résoudre, croyez-moi.
Le commissaire divisionnaire Charlie Badolini étudia d’un regard long
l’athlète breton qui représentait exactement le fils qu’il n’aurait jamais.
— Je compte sur vous, Boris, je compte vraiment sur vous, j’en ai
besoin. Pour l’honneur de la Brigade Mondaine.
CHAPITRE V
Le lendemain matin, Boris Corentin fut bien obligé de faire ce qu’il
haïssait le plus au monde : annoncer une mauvaise nouvelle au chef de la
Brigade Mondaine.
Il le fit sans remettre à plus tard l’instant douloureux. Sachant trop que,
dans ces cas-là, reculer pour mieux sauter, c’est s’empistrouiller encore plus
dans la vase.
Il appela la ligne directe ultraconfidentielle de Charlie Badolini, celle
qu’il décrochait lui-même, sans passer par son secrétariat, depuis la
première cabine téléphonique publique trouvée en état de fonctionnement –
trois essais pour rien avant… –, avenue Mozart.
–– Patron, fit-il, dès que le décrochage électronique de la communication
eut fait tinter sa pièce d’un franc dans le boîtier métallique devant lui, c’est
Corentin. Il y a un os.
Il souffla un peu.
— Le dénommé Edgar Andreat, propriétaire de l’appartement où la fille
a trouvé la mort, n’habite plus là depuis six mois. Il vit en Argentine.
À l’autre bout de la ligne, Charlie Badolini fut pris d’une de ses
fameuses quintes de toux tabagique.
— M… ! Ça démarrait trop sur les chapeaux de roue.
— C’est ce que je me suis dit aussi, patron. Alors, voilà le topo exact.
J’ai vu la concierge et les voisins du dessus et du dessous. Le départ
d’Andreat ne fait pas l’ombre d’un doute, et personne ne l’a revu depuis six
mois. Explication logique : c’est un de ces richards excédés par la tournure
politique française et qui s’est expatrié dans un endroit où il a d’autres
intérêts et où la vie doit lui paraître plus facile. Autre chose, en plus : sa
description physique ne correspond en rien à celle de l’occupant des lieux
depuis une huitaine de jours. Andreat est grand et blond, avec une vague
ressemblance avec Charles Trenet. L’ami que la concierge et les voisins ont
vu depuis 8 jours est petit et brun, 45 ans, costaud, les yeux perçants.
— Son nom ? La concierge doit bien le savoir.
— Non, je suis désolé… Vous savez ce que c’est que les homosexuels.
La confrérie-fourmilière. Depuis six mois, ça n’arrêtait pas de se succéder,
pour des périodes allant de huit jours à un mois, les amis spéciaux d’Edgar
Andreat. Tous discrets, d’ailleurs, et qui ne gênaient pas les voisins. Mais la
concierge avait vite perdu l’envie de poser des questions. D’ailleurs, avant
son départ, Andreat l’avait prévenue avec un gros pourboire : son
appartement servirait de dépannage à des amis.
— Et les clés ?
— Ils devaient se les repasser de l’un à l’autre, et la concierge envoie
régulièrement toutes les factures et autres charges, en Argentine, d’où elles
reviennent réglées rubis sur l’ongle.
La voix de Charlie Badolini avait fini par récupérer de sa quinte.
— Il faut planquer, décréta-t-il. Jour et nuit. On va bien finir par le
choper, ce petit brun inconnu.
— Patron… Le jour même de la découverte du corps de Nadia au bois de
Boulogne, il a rendu les clés à la concierge. Avec un bon pourboire.
— Planquez quand même. Il y aura un successeur, qui le connaîtra peut-
être, ce brun ! De mon côté, je m’occupe de faire retrouver cet Andreat par
Interpol. On aura quelques questions à lui poser sur ses amis, non ?
— Ça c’est sûr, mais ça va prendre du temps, c’est loin, l’Argentine. En
tout cas, j’ai son adresse, évidemment, la voici…
Il se tourna : une jeune femme tapait, exaspérée, à la vitre de la cabine,
piaffant d’impatience. Il haussa les épaules.
— Encore quelques détails, patron. Le brun venait toujours avec un
homme plus jeune, une sorte de hippie prolongé, dans les 35 ans, l’air
nordique. Ils transportaient des tableaux dont la face était toujours cachée.
Le hippie avait toujours un appareil photo en bandoulière.
— Et Nadia ? Quelqu’un l’a vue entrer rue Augry.
— Personne.
— Bon Dieu, lâcha Charlie Badolini, on sait pourtant qu’elle y est allée.
La cassette de Madame G. Mais pourquoi ils l’ont tuée, celle-là ?
— Elle devait en savoir plus sur eux que le simple enregistrement de
routine sur les cassettes. Mais, j’avoue, tout cela devient de plus en plus
étrange. Alors, on va planquer. Si ça ne vous ennuie pas, ce serait utile de se
relayer, l’équipe Rabert-Tardet, et Brichot et moi-même, et puis, bien sûr, il
faudra passer l’appartement au peigne fin et tâcher de trouver des indices,
style empreintes digitales, par exemple.
La porte de la cabine s’arracha littéralement derrière lui.
— Vous êtes pire qu’une gonzesse, vous ! Quel bavard ! explosa la jeune
femme.
Il soupira :
— Excusez-moi, patron, je gêne, je raccroche.
En s’en allant vers le métro, Gallia aux lèvres, il essaya de récapituler…
Une call-girl de haut vol morte d’un excès d’aphrodisiaque « local ». Du
Venitex, avait révélé le médecin légiste, un truc à dilater les muqueuses
sexuelles. Puis on l’avait fouettée, sauvagement. Après sa mort. Pas avant.
Toujours le rapport du médecin-légiste… Question : pourquoi une
prostituée s’enduit-elle de Venitex ? Son boulot, ce n’est pas de prendre du
plaisir, mais d’en donner. Donc, cela avait été à la demande du client. Pour
mieux s’exciter, lui ? OK s’il s’était agi d’un client hétéro. Or le brun et son
nordique étaient des homosexuels. Aucun doute possible là-dessus, tous les
témoignages concordaient…
Au moment où il commençait à descendre les premières marches du
métro Passy, Boris Corentin se bloqua.
« Bon Dieu, murmura-t-il pour lui seul, mais c’est évident, comment n’y
ai-je pas pensé plus tôt, ne serait-ce qu’à cause des petites fantaisies de
Ghislaine, avant-hier soir ? Le Venitex, ça fait saillir toute cette sorte de
choses intimes. Donc on les voit mieux, ça les agrandit sous le regard. Or, la
concierge et les voisins ont tous dit : tableaux sous le bras, appareils photos
en bandoulière.
Il plongeait lentement dans le sous-sol d’où montait l’odeur si
particulière du métro, celle des carbones surchauffés par l’intensité du
courant électrique des caténaires des motrices des rames.
— Pas de doute, la fille est venue poser, poser rien d’autre, et des poses
précises. Des images d’organes sexuels…
Il ralluma une Gallia avant de se fouiller à la recherche de son titre de
transport spécial police, son ticket magnétique permanent.
— Il y a un peintre là-dessous. Un type qui avait besoin d’une séance de
poses spéciales pour un tableau précis, et qui a fait des photos de la pute. Ils
l’ont enduite de Venitex un peu trop. Elle a fait une crise cardiaque. Ils l’ont
battue pour maquiller ça en crime sadique avant de la balancer au Bois.
Clair comme de l’eau de roche.
Il franchit le portillon et se mit à courir, écrasant sa cigarette d’un coup
de talon au passage : la rame arrivait.
Peu après, appuyé à la vitre de la porte, côté voies, il se laissait bercer
par les cahotements mous du métro.
« On fait planquer Rabert et Tardet. L’Identité judiciaire va s’occuper des
contrôles. Ni les uns ni les autres ne trouveront rien d’ailleurs. À Mémé et à
moi de nous mettre en chasse… »
Le métro fonçait dans un tunnel, s’arrêtait, repartait, balançant sa
cargaison humaine, et plus Boris Corentin avançait dans ses pensées, plus il
était persuadé d’avoir vu juste. Et l’hypothèse de travail sur laquelle il allait
se lancer était celle-ci : un collectionneur d’art érotique maqué avec un
peintre, homosexuel comme lui, s’était servi de l’appartement d’un ami en
voyage pour une séance de poses que ça devait le gêner de faire chez lui,
pour une raison ou une autre. Il y avait eu séance de poses. Puis catastrophe,
et tout le reste, y compris la fuite loin de l’appartement prêté par Edgar
Andreat et l’assassinat de Madame G. qui bien sûr en savait trop. Rien qu’à
cause de cette liquidation, il était évident que ni la planque, rue Augry, ni la
fouille des lieux ne donneraient rien, les deux criminels avaient dû passer la
nuit à effacer toutes leurs traces. Cela dit, il fallait quand même planquer, on
ne sait jamais. Un nouvel occupant des lieux pouvait connaître quelque
chose sur ceux qui l’avaient précédé. Ne serait-ce que parce que, s’il venait,
c’est donc qu’il avait été prévenu que la place était libre. Par qui ? Par les
criminels ? Par des contacts ? Peu importait : de toute façon, il y avait
possibilité de piste. En attendant l’éventualité de tuyaux venus d’Argentine
par le biais d’Interpol.
Corentin releva le nez : le métro s’arrêtait. Il chercha des yeux la plaque
de la station, histoire de savoir où il en était dans son trajet.
Il jura :
« Havre-Caumartin… J’ai oublié de changer à Franklin-Roosevelt ».
CHAPITRE VI
La longue main molle et manucurée d’Edgar Andreat laissa retomber sur
les tommettes encaustiquées l’amas de journaux et de revues qu’il venait de
feuilleter, s’intéressant tout particulièrement à un trois colonnes de page 3
du dernier Canard enchaîné.
Il croisa ses interminables jambes revêtues d’un élégant pantalon pied-
de-poule gris et blanc, et se resservit une vodka Eristoff à l’orange.
— Bon, fit-il d’une voix profonde, il n’y a pas de quoi fouetter un chat
dans tout ça. Même le Canard n’a rien eu de sérieux à se mettre sous la
dent…
Il serra les mâchoires.
— Quand même, qu’est-ce que tu as eu besoin, René, d’aller voir en
personne cette mère maquerelle ? Ça ne se fait pas ! Et en plus, de choisir
après mon appartement pour… Tu es vraiment dingue… Tu te rends
compte, le pétrin ?…
Le petit brun aux yeux de noisette incandescendante rougit légèrement
des pommettes. Dans le monde des homosexuels, il y a les planteurs et les
plantés. Il faisait partie, lui, du deuxième rayon, ceux qui courent droit, tôt
ou tard, aux problèmes chirurgicaux pour cause de trop de massacre contre
nature à répétition. À 45 ans, il commençait déjà à avoir des amorces de
problème, parfois, de ce côté-là. Il fallait dire que depuis l’âge de 20 ans, il
n’avait pas lésiné sur l’offrande. Au moins une fois par jour et quand il
sautait un jour, il tournait comme une folle en cage. Deux jours, et il ne
pouvait plus tenir. Il filait dans un de ses bars de nuit préférés, il s’asseyait
au comptoir, et il fallait, coûte que coûte, qu’avant la fermeture, il ait levé
son planteur. Sinon, c’était la crise nerveuse réelle, nécessitant les calmants,
qu’un médecin complice accourait alors pour lui administrer.
Comme toujours chez les plantés, le côté féminin de la libido exagère
jusqu’à la caricature les caractéristiques féminines du comportement, même
si l’apparence, ultra contrôlée comme chez les vrais homosexuels profonds
– ceux qu’il faut être très fin pour deviner dans leur vie sociale quotidienne.
— J’avais besoin de Venitex, tu comprends ?
Andreat haussa les épaules.
— Ça se trouve partout…
René Leconte agita une main évasive.
— Tu as raison, je suis idiot. J’ai eu une réaction…
Il s’arrêta, de plus en plus rouge. Il avait failli dire : de femme.
— Une réaction irraisonnée. La mère maquerelle, je la connaissais
bien…
— Tiens donc ? siffla Andreat, amusé. Une bonne femme qui vend des
filles…
René Leconte se détourna.
— Ecoute… Elle vendait aussi des garçons. Elle m’a souvent dépanné, tu
sais. On était quasiment devenus amis. Alors, je lui ai naturellement
demandé si elle ne pouvait pas me fournir un peu de ce truc.
Il rit aigrement.
— Elle m’a dit oui, mais à une condition : je lui rendrais le tube après
usage de ce dont j’avais besoin.
— Et ça ne l’a pas surprise que tu aies besoin d’une fille ?
Le brun baissa les yeux, qu’il avait agrémentés de jolis cils très longs, un
détail « adolescent » assez cocasse dans un visage qui accusait quand même
ses 45 ans. L’aérobic n’empêche pas les rides.
— Bon… reprit Andreat en sirotant sa vodka, je commence à mieux
comprendre pourquoi tu as eu un besoin si urgent de la liquider. Tu avais dû
lui lâcher pas mal sur la raison de ta demande. Entre parenthèses, côté viril,
chapeau en ce qui concerne la liquidation.
Il éclata de rire.
— Il n’y a pas comme les gonzesses pour vous liquider quelqu’un vite
fait bien fait, sans bavures. Chapeau, vraiment…
René apprécia l’hommage d’un sourire coincé.
— En tout cas, la police a l’air de nager dans le bleu total. Si on lit les
journaux, c’est clair qu’ils ne savent rien.
— Tu es optimiste. Et s’ils ne disaient pas tout aux journaux ?
René battit des cils.
— On serait déjà arrêtés, la moindre piste suffirait. Non, ils ne savent
rien, on n’a laissé aucune trace. Madame G… est éliminée, c’est fini.
Edgar Andreat parut admettre d’une vague moue approbatrice.
— Qui savait que tu venais chez moi ? Je veux dire : autour de nous ?
— Personne, ça s’est passé juste par lettres avec toi, entre l’Argentine et
Paris, avant ton retour en France.
L’ « Argentin » souleva les sourcils.
— En tout cas, je ne donne plus la clé à personne. Les flics peuvent
planquer, car ils planquent. Nada. Que dalle.
De l’autre côté des trois portes vitrées géantes peintes en vert Véronèse,
le soir tombait sur les jarres à géraniums du jardin. L’odeur lourde et
entêtante d’un mimosa voisin inondait par la porte de droite l’immense
salon à tommettes. La nuit tombait sur la Garde-Freinet. Une douce nuit
chaude dans le Midi. À croire qu’on en était déjà au passage du printemps à
l’été.
Edgar Andreat se leva, dépliant une haute silhouette dont l’allure, si
quelque chose venu de l’enfance ne s’était pas cassé dans son subconscient,
aurait pu faire de lui un play-boy couvert de femmes. Il avait besoin de
réfléchir. Sous ses airs de dominer la situation, il était bien plus inquiet qu’il
ne le laissait paraître. Tout commençait mal. Vraiment très mal. Et il n’était
pas question d’en vouloir à René et à Cari. Après tout, ils avaient joué de
malchance. La fille devait avoir des problèmes cardiaques antérieurs… En
vieux pédé habitué de par sa nature même aux problèmes, aux mauvaises
surprises, aux situations d’urgence, il savait que la fatalité est reine.
Mais il fallait qu’elle s’arrête là, et il avait besoin de penser au problème.
Il était ici depuis quinze jours, pour des vacances – enfin, avant le coup
prévu qu’ils avaient longuement mûri – avec son petit ami quand la
nouvelle lui était parvenue. Pas par téléphone. Par irruption subite de René
et de Cari en voiture de location à partir de l’aéroport de Nice, à midi.
Arrivée qui ne l’avait pas vraiment surpris : il avait lu les journaux et
s’énervait de ne pouvoir joindre personne. Le téléphone est si dangereux…
Incroyable lie nombre de gens qui livrent leurs secrets les plus précieux
dans le combiné quand on sait avec quelle facilité biblique ça se met sur
écoute, une ligne…
Il s’avança jusqu’au seuil du salon, humant à pleines narines l’odeur du
mimosa. La nuit était tout à fait tombée mais curieusement, la fraîcheur ne
venait pas réellement. Ahurissant, cette ruée, l’été, dans cet endroit
caniculaire qu’est la Côte. Alors que l’hiver c’est si merveilleux, vert,
fleuri, doux. On peut même se baigner, sauf exception de mistral trop
prolongé, et les plages sont désertes, avec une eau propre et limpide qui est
un jacusi bouillant à côté de l’Atlantique, en Bretagne, un Quatorze Juillet.
— Tu sais ce que je vais faire dès demain, René ? fit-il sans se retourner.
Je vais me mettre en rapport avec la police. Ils doivent me chercher, ça va
de soi. J’imagine le crépitement des téléscripteurs d’Interpol direction
Buenos-Aires. Plus je tarde à les joindre, plus je parais bizarre. Or, comme
de toute évidence, je n’ai rien à voir avec tout ça, ne serait-ce que parce que
pendant les deux jours couvrant le délai de votre affaire, j’étais à Genève,
au Hilton, avec des preuves simples à fournir, ils me ficheront la paix.
Il se passa la main dans ses longs cheveux très clairs, soyeux.
— Bien sûr, ils me demanderont à qui je donne mes clés. La réponse sera
simple : à la concierge.
— Ils te demanderont la liste de tes amis, ceux que tu connais assez pour
leur ouvrir ta porte, vibra René Leconte dans son dos.
— Bien sûr, et je leur fournirai une longue liste. D’où j’exclurai deux
noms, celui de Cari et le tien.
— Mais la concierge nous a vus ! Les voisins aussi.
— T’inquiète. On peut prendre le pari, c’est rarissime les gens
physionomistes. Ils se rappellent quoi ? Un brun de taille moyenne et un
grand blond nordique d’allure, c’est tout. La mer à explorer…
René Leconte se leva, raclant nerveusement les tommettes de ses bottines
surélevées. Quand il n’était pas à son travail – veste stricte, cravate neutre,
allure contrôlée – il se laissait aller à son goût violent : les tenues de
« chasse au planteur » : Jean serré, tee-shirt moulé, hautes boots, cheveux
flottants en avant, avec des mèches de rocker. Et plus la raie sage. Rejetant
bien le tout en arrière… et révélant la raréfaction capillaire naissante de ses
tempes…
— On sait que je te connais, beaucoup de gens le savent !
Edgar Andreat ricana.
— J’ai pensé à ça aussi. Rappelle-toi, peu avant mon départ pour
l’Argentine, l’été dernier, je suis allé chez toi, près de Rambouillet. Tu m’as
imposé, par surprise, sans m’avoir prévenu, la présence pour ce week-end
d’une espèce d’employé banal à pleurer d’une agence de petites annonces
parisienne. Tu en étais toqué. Il devait bien te planter. Mais quel imbécile
prétentieux, avec des opinions de palefrenier sur tout. Gâchis, le dîner de
samedi, gâchis le dimanche entier. La connerie pure en action. Et toi, tu
béais, tu bandais, tu avais le cul ouvert d’avance… On a fini par
s’engueuler, rappelle-toi. A un moment, je t’ai demandé de faire taire ce
singe bavard. Tu ne l’as pas fait, je suis parti plus que froid, et tu ne m’as
plus fait signe.
« Vexé comme un pou.
« Tout le monde le sait, tu comprends ! Tout le monde le dira si jamais
ton nom est prononcé. Il y avait Jean, rappelle-toi, puis Maxime, puis
Johnny, tiens, encore un autre, Pierrot la Savate, tu sais, le maniaque des
pantoufles, le collectionneur de charentaises usagées. Le roi du potin, celui-
là, la commère frénétique. Tiens, si on m’em… sur toi, je dis aux flics de le
joindre, et tu verras le numéro de Pierrot la Savate, je lui fais confiance pour
raconter qu’on s’est fichu sur la gueule à cause de ton singe.
Il s’arrêta.
— Au fait, tu le revois ?
Le petit brun aux yeux noisette vacilla légèrement sur ses boots.
— Non… c’est fini…
Il se passa la langue sur les lèvres.
— Cari l’a viré il y a trois mois.
Edgar Andreat rit doucement.
— Cari est une perle sensée. Tu ne sais pas la chance que tu as eue, le
jour où tu l’as connu. Tu te rappelles ? Tu étais venu me le présenter, il était
emprunté, timide. Il buvait du Coca-Cola avec ses spaghettis…
« Bon, résumons : pour tout le monde, on est brouillés. Toi et moi
sommes seuls à savoir que je t’ai rejoint, il y a un mois, pour l’affaire que tu
sais. Toi, moi, et Cari, bien sûr. Alors, où est le problème ?
Il revint un peu sur ses pas, observant avec une tendresse subite la chose
délicate lovée sur une méridienne tendue de velours bleu roi à franges
dorées pendant tout à côté de l’énorme poêle Godin ronflant au fond du
salon.
— Evidemment, il y a aussi Victor Hugo… Mais il ne parle pas un mot
de français. Juste un peu d’anglais…
Il continua à arpenter l’étrange salon de sa maison de la Garde-Freinet.
Une jolie maison achetée sur un coup de tête voilà cinq ans. Une ancienne
école de garçons mise en vente par l’Etat. C’était ça qui l’avait amusé
d’abord : une école de garçons… Puis la non-conformité totale de la bâtisse
au goût du jour sur la Côte, à savoir les maisons basses, à tuiles romaines,
avec des faux airs de fermes provençales retapées. C’était une énorme
construction carrée plus haute que large, avec au premier, les appartements
des instituteurs, plafonds hauts, fenêtres à moustiquaires grillagées. En bas,
la salle de classe. Plafond à quatre mètres, quinze mètres sur dix de
superficie au sol et, derrière, le réfectoire, presque aussi grand, juste
diminué par la cage d’escalier où des pigeons volaient, effrayés, quand il
avait visité. Vue de dehors, la façade était celle de ces maisons de la fin du
siècle dernier, orgueilleuses avec des frises à la grecque peintes tout autour,
juste au-dessous du toit. Le jardin n’était pas grand, mais c’était bien isolé,
en bout de village, et la vue plongeait sur des vallonnements de chênes-
lièges à faire rêver qu’ils grouillent de pâtres à pipeau. Il avait acheté sans
discuter, et la salle de classe était devenue un bric-à-brac typiquement pédé.
Avec un mélange de meubles contradictoires, de tapis de toutes origines,
dont les couleurs hurlaient les unes avec les autres. Au mur, des énormités
contemporaines, grands traits de pinceau rageurs, affiches décollées
savamment, hyperréalistes et minimal art, le tout agrémenté de lampes de
cuivre géantes ramenées d’Egypte, et mélangées avec des spots de la galerie
Mai, rue Bonaparte.
Un décor à donner des boutons à une femme, surtout avec, au milieu de
tout ça, le poêle Godin à charbon et son tuyau crevant le plafond.
Edgar Andreat arriva à deux mètres de la méridienne, tout à côté du
poêle ronflant et d’une armoire bretonne de trois mètres de haut, achetée
mille cinq cents francs à Drouot.
–– Regardez-le, fit-il, ému, quelle merveille…
Victor Hugo leva des yeux papillotants au-dessus de la revue qu’il
feuilletait négligemment de ses petites mains aux ongles rougis. Une revue
de mode féminine, où il s’était absorbé dans la contemplation d’une série de
clichés des nouveaux maquillages à la mode en Europe.
Cari et René le contemplèrent, un peu gênés quand même. À leur arrivée,
ça leur avait fait un drôle de choc, la découverte de la créature ramenée
d’Amérique du Sud par Edgar. Ils n’étaient pas des gens bégueule, mais
enfin…
Il fallait voir pour croire.
Dans le genre travelo, c’était le max possible. De loin, si on ne portait
pas attention tout de suite à un certain détail, une fille. Très jeune, quinze ou
seize ans. Seize c’est d’ailleurs l’âge exact de Victor Hugo de Rivalta, petit
garçon des favellas de Rio, acheté – réellement, pour mille cinq cents
dollars, à ses parents – par Edgar Andreat quatre mois plus tôt lors d’un
saut, pour ça, pour ce genre d’opération précise, de Buenos Aires à Rio de
Janeiro. Si le « pompier d’affaire » l’avait choisi entre des dizaines d’autres
« lots » du réseau auquel il avait eu accès, c’était que Victor Hugo (prénom
venu de génération en génération, dans sa famille, à cause d’un ancêtre
adepte, au siècle dernier des théories d’Auguste Comte, et donc admirateur
de ce grand bourgeois revenu au peuple de Victor Hugo) avait été préparé
depuis l’âge de dix ans par des parents malins. Ceux-ci avaient vite repéré,
parmi leur nombreuse progéniture, et sur la photo de l’ancêtre fameux, le
Rivalta du siècle dernier dont la décadence de tout ça aurait fait s’arracher
ce qui lui restait de cheveux sur la photo jaunie, que Victor Hugo avait
poussé fin, délicat, joli. À dix ans, quand ils l’habillaient en fille, l’illusion
était déjà parfaite. Restait à lui faire passer le cap nécessaire pour que
l’illusion se poursuive à un âge un peu plus avancé.
Dans les favellas, à Rio, il y a des années que rôdent les grosses voitures
américaines des marchands d’hormones féminines. Bien outillés, sachant
doser les piqûres, sachant aussi combien le marché des travelos brésiliens
est en extension démentielle dans le monde entier. Victor Hugo avait été
passé aux piqûres, gratuitement. À treize ans, il avait déjà une jolie poitrine
pointue, avec des bouts bruns. À quatorze, on sut définitivement que jamais
sa barbe ne pousserait. Mais les dosages étaient bien faits : en même temps
que ses hanches s’arrondissaient, que ses fesses se gonflaient, merveilleuses
de douceur veloutée, le sexe, lui, continuait sa croissance « normale ». Les
combinaisons hormonales quand on sait les maîtriser, ont des effets
paradoxaux. Plus le corps de Victor Hugo se féminisait, avec à quinze ans
une poitrine lourde et tendue à faire se saouler à mort de jalousie une
playmate de Playboy, plus son sexe masculin était pris de la même
exorbitante croissance.
Un jour, le marchand d’hormones le fit se mettre nu sous le portrait de
l’ancêtre, et, dominant de la voix les piaillements d’une couvée voisine,
dans la baraque en tôle ondulée d’à côté, qui de toute façon lui fournirait de
la chair fraîche plus tard, il se tourna vers le père et la mère.
— On peut y aller, dit-il. Il est prêt.
Prêt à quoi ? Victor Hugo l’avait compris depuis longtemps, et ça ne le
gênait pas d’être exposé comme ça, tout nu sur la terre battue, avec un corps
de fille gracile aux seins pesants et, entre ses cuisses, un sexe énorme, qu’on
avait fait circoncire, l’été passé, très proprement.
Edgar Andreat avait débarqué un matin, avec le marchand d’hormones.
Victor Hugo avait été réexaminé. Puis l’affaire s’était aussitôt conclue,
devant lui, mille cinq cents dollars aux parents. Ce que ceux-ci ne savaient
pas, c’était qu’il y avait le double pour le marchand.
Après, Victor Hugo était allé dans un hôtel de luxe. Là, on lui avait
appris à ne pas se « couper » au sujet du passeport tout neuf qu’on lui remit.
Il s’y appelait Amalia Quivir, et il était de sexe féminin.
Il n’y eut aucun problème à l’aéroport de Rio, ni à celui de Nice. Qui
aurait pu se douter que cette ravissante brunette aux yeux immenses en robe
sage avait entre les jambes, à chaque pas, le balancement d’un sexe d’âne ?
Et qui « marchait » au quart de tour. À la commande.
Pour l’instant, Victor Hugo-Amalia, avait l’air d’une petite frileuse sur sa
méridienne, tout à côté du Godin. Edgar, son beloved Edgar, comme il
disait avec son adorable accent portugais jour après jour perdu, hélas, tant il
progressait vite en anglais, lui avait imposé pour ce soir une nuisette ras des
fesses, sans boutonnage, faite d’un nylon rose orangé ultra-transparent. Aux
lobes de ses oreilles récemment percés, pendaient des anneaux d’esclave en
or mexicain. Les ongles de ses orteils étaient peints du même rouge que ses
mains. Une petite chaînette entourait tendrement sa cheville gauche, mais,
ce soir, il ne portait pas d’autres bijoux. Petite vacherie calculée d’Edgar,
qui commençait à le trouver quand même un peu cher, surtout vu ces temps
d’IGF, côté appétit de plus en plus incontrôlé pour les colliers lourds, les
bracelets, les bagues. Il avait même fallu le fesser, tout à l’heure, en haut,
tant Victor Hugo piaffait à l’idée d’être privé de colifichets.
— Come on, my dear, fit doucement Edgar.
Le travesti abandonna sa revue et se leva. René et Cari le fixaient,
prunelles dilatées. Affreusement mal à l’aise. D’un côté, il y avait cette
merveille, cette queue d’âne décalottée qui se balançait à chaque pas,
descendant presque jusqu’au bas des cuisses, et ça, c’était un rêve. Une
rareté relevant du musée secret des fantasmes homosexuels. Seulement, le
malheur, c’était le reste. Cette Lolita latine en nuisette, déhanchée, toute
offerte dans la transparence de son nylon rose orangé, fardée, cheveux noirs
flottants, bouche peinte, yeux passés au mascara.
Et surtout, cette horreur suprême, la poitrine ! Balancée, gonflée, veinée
d’un fin réseau bleuâtre autour des aréoles brunes où le téton central,
maintenu en quasi érection constante par le « traitement d’entretien » (deux
piqûres par semaine) saillait avec des airs de cette chose abominable : un
clitoris.
Edgar pencha sa haute silhouette décadente sur l’enfant dont la tête lui
arrivait juste au creux de l’épaule. Il enlaça la taille qui se cambra aussitôt,
docile, et il se mit à lui parler. On aurait cru qu’un amant passionné faisait
la cour à une maîtresse adorée par-dessus tout.
— Viens, mon chéri, lui murmurait-il en anglais, bouche noyée dans les
boucles odorantes, viens te promener un peu avec moi dehors. Il ne fait pas
vraiment froid, ça me fera plaisir, viens. Après, je te récompenserai.
Le « couple » s’éloigna bientôt sur le dallage en opus incertum, de moins
en moins éclairé par les spots extérieurs.
Dans le salon, René alla se servir une forte rasade de whisky.
— Il va passer aux vraies filles, bientôt, il va y passer, je te fiche mon
billet ! hoqueta-t-il.
Cari soupira.
— Tu parles…
Il avait la tête tournée de biais, yeux fixés sur l’extérieur.
René se pencha, fouillant la nuit des yeux.
— M…, fit-il, c’est curieux, quand même.
Là-bas, dans le jardin, sous un amandier où parvenait un reste de lueur de
spot suffisant pour qu’on voie tout, Edgar s’envoyait Victor Hugo. Celui-ci,
à quatre pattes sur un banc de pierre bas, paraissait secoué comme par une
tornade par les assauts de l’Européen venu l’acheter, un jour, comme un
esclave, dans la favella de Rio. Même de loin, c’était quelque chose
d’ahurissant, ce sexe en érection entre ses cuisses, pas loin des seins
balancés. Bestial comme jamais.
Et qu’Edgar, tout en s’activant à grands coups de reins en ahanant,
manœuvrait d’une main avec une force à briser un haltère.
Victor Hugo faisait le service du dîner, muet, les yeux un rien cernés,
l’air heureux. Edgar lui avait fait enlever sa nuisette, mais, retenu sur sa tête
par des épingles à cheveux, il portait un ravissant petit bonnet brodé de
soubrette, blanc, bien empesé.
Edgar lui fit signe de l’index.
— Cigarettes, please.
Le travelo s’empressa.
— Finalement, reprit Edgar, c’est à la Brigade Mondaine que je vais
téléphoner directement demain matin. De toute évidence, ce sont eux qui
sont sur l’affaire.
René Leconte faillit recracher sa gorgée de vin.
— Tu te rends compte ! Avec tous les rapports qu’ils ont sur nous
tous !…
Edgar le fixa, l’air las.
— Qu’est-ce que tu veux que j’y fasse ? Ils les ont, ces rapports, ces
« blancs », comme ils disent. On est des anormaux, des marginaux, des
traqués. Il faut faire avec, non ?
« Crois-moi, j’ai gambergé. Il faut que je me montre, moi, sinon l’affaire
est fichue.
Il observa d’un air gourmand les seins de Victor Hugo.
— Et puis, je vais apprendre des choses. D’une manière ou d’une autre,
ça peut être utile.
Il attrapa un sein et en arriva vite à jouer avec le bout. Victor Hugo se
tordit, un peu haletant.
— Regardez, fit Edgar d’une voix changée.
Au fur et à mesure qu’il accentuait sa caresse, et sa torsion, tour à tour
d’un sein à l’autre, le sexe du travelo grimpait, très vite arrivé à sa tension
maximum.
— Quelle machine…, murmura Edgar. Je ne peux plus me passer de lui.
Il laissa retomber sa main et tapota les fesses.
— Coffee, lâcha-t-il.
Le travelo s’en alla, jambe du milieu ballottée, dressée très loin en avant
de lui.
Le petit bruit sec et agaçant de la pince coupante jouait des nerfs de tous
dans le bureau des Affaires recommandées de la Brigade Mondaine, 36 quai
des Orfèvres, à Paris. Celui qui l’activait, penché sur ses ongles, calvitie
lisse, moustache blond jaunasse et lunettes Amor tombant peu à peu sur le
nez, paraissait ne s’apercevoir de rien, tout à son occupation de onze heures
du matin. Autour de lui, Rabert, Tardet et Boris. Muets, au bord du ras le
bol.
Boris cracha le morceau le premier.
— Mémé, fit-il doucement.
Pas de réponse.
Les claquements de la pince continuaient. Brichot sortait même
maintenant un peu la langue sous sa moustache : le plus délicat à ne pas
rater, ce sont les bords de l’ongle, si on ne coupe pas assez franc, ça fait des
ongles au carré. À la repousse, si on coupe trop, ça fait féminin. Tout un
juste milieu à trouver.
— Mémé, insista Corentin.
Son coéquipier finit par lever le nez.
— Plaît-il ?
Boris le fixa. Comment ne pas l’aimer avec sa bonne bouille de père de
famille chauve et myope, sa moustache IIIe République, son teint un peu
anémié de cholestérolique léger, et surtout, ses inénarrables costumes à
l’anglaise, vert pré aujourd’hui, sur des chaussures rouges et avec une
cravate jaune dans le col de la chemise beige militaire ?
— Mémé, murmura Boris, je t’en prie, va aux toilettes pour te couper les
ongles. Ça agace les gencives des autres, ton bruit, tu piges ?
Il souriait pour corriger la remontrance, Brichot rougit, dans l’ordre
habituel de son émotion juste, le front d’abord, puis les pommettes et enfin
les oreilles.
— Ça va, fit-il en se levant, chassant derrière lui sa chaise d’un coup de
jarret nerveux. Personne ne m’aime ici.
Il sortit, claquant la porte derrière lui.
— Le filleul du patron doit en être à sa première dent, émit
philosophiquement Rabert. Les papa-maman Brichot n’ont pas dû fermer
l’œil de la nuit.
Le téléphone de Boris Corentin y alla d’une danse de Saint-Guy
chevrotante juste après le départ de Brichot.
Corentin décrocha.
— Allô ? Ici l’inspecteur divisionnaire Corentin.
Il y eut un éclat de rire cristallin à l’autre bout du fil.
— Dis-donc, mon chou, tu as l’air bien remonté ce matin ! Tu as du
dormir tes huit heures, pour une fois.
Il rit.
— Ah, c’est toi, Ginette.
Ginette, du standard police, une vieille liaison, avec des rabibochages
intermittents deux ou trois fois l’an, dans l’hôtel Latania, 22 rue de la
Parcheminerie, tout près de la place Saint-Michel.
— Ça va toi ? reprit-il. Et le mari ?…
— Bof, il s’améliore, comme les vins. On va vieillir ensemble. Bon, ce
n’est pas tout, j’ai un appel du Midi, un monsieur qui demande qui s’occupe
de l’affaire de Nadia, tu sais, la prostituée du Bois. C’est toi, non, qui
t’occupes de ça ?
— Dis donc, les nouvelles vont vite…
Le rire cristallin repartit.
— Tout ce qui te touche m’intéresse, mon chou. Au fait, on ne s’est pas
vus depuis longtemps… Mais je blague, il attend sur la ligne, je te le passe ?
CHAPITRE VIII
CHAPITRE IX
Le téléphone réveilla Boris Corentin à minuit quarante. Une heure où il
était rarement dans les bras de Morphée, mais dans d’autres, bien plus
hétéros.
— C’était bien la peine d’avoir des intentions raisonnables…, soupira-t-
il en décrochant.
À son retour, Ghislaine lui avait fait la scène du Un parce qu’il prétextait
une migraine pour se plonger illico dans son oreiller. Formidablement
secoué par la réflexion de Mémé sur sa fatigue intellecto vu son « âge ».
Une gifle morale, qui avait été comme celle qui fait s’endormir aussitôt un
enfant grincheux qui pleurniche à vous mettre les nerfs en pelote.
— Qui est-ce ? fit-il, las.
Il reconnut avant même d’avoir la réponse le cliquetis doux qui
accompagnait tous les appels venus du quai des Orfèvres. Les éternels
problèmes de connexion de fils, datant de l’occupation allemande et que
personne n’était jamais parvenu à résoudre.
— C’est Tardet, fit Tardet. Excusez-moi de vous réveiller. (Réveiller…
réveiller… Il était bien le seul à ne pas savoir que c’était la première fois
depuis des siècles qu’on le réveillait à minuit quarante…) mais j’ai jugé que
c’était important. On a les photos, je viens de les faire développer.
Boris se releva sur les coudes, avec un coup d’œil en coin vers Ghislaine,
dont la contraction des paupières et la respiration lente, à côté de lui étaient
trop « vraies » pour être vraies.
— Une seule question : sont-elles vraiment compromettantes ?
— Ah ça, oui ! Si vous voyiez l’autre ! Impossible à croire. Ahurissant.
J’ai pourtant fait le Bois, vous le savez… Pas seulement impubliable.
Immontrable à un directeur de revue chaude sous peine de le faire crever
d’infarctus immédiat.
Corentin sourit.
— Et toi, ça va, le cœur ?
Tardet faillit s’étrangler.
— Inspecteur, je vais me marier.
— Ah ! première nouvelle, et contre qui ?… Josette, la nouvelle du
standard ? Chapeau, elle te rendra heureux.
Il revérifia que Ghislaine « dormait » toujours aussi bien.
— Ça a été facile ?
— Pas vraiment, c’est un mariole, le gus. Il a changé trois fois de taxi et
chaque fois à des stations juste disposées pour permettre un redémarrage
contrariant en sens inverse.
— Mais alors, il n’a pas pu faire autrement que de voir la Visa lui coller
au e…, comme une sangsue.
Tardet rit.
— Je n’étais plus en Visa depuis longtemps. À la troisième station de
taxi, on était si près que je suis sorti en douce dans un roulé-boulé, et j’ai
pris le taxi suivant…
Mémé ordinateur de luxe tout à l’heure, Tardet jouant les paras…
Corentin commençait à se sentir passer dans le clan des vieilles branches à
qui on ne portera même plus bientôt son kil de rouge quotidien.
— Dis donc, Josette va épouser une vedette… Bon, ça t’a mené où, tout
ça ?
— Au Bois, tout banalement, route de Saint-Denis, un peu au-dessus du
lac inférieur. Andreat s’est fait descendre au carrefour avec la route des
Poteaux, vous savez, celle qui mène à la Porte Dauphine, et où il y a encore
un max de travelos brésiliens le soir, malgré les rafles récentes.
Et puis, c’est tout, j’avais mon appareil spécial, quoi… Mon Nikon
F2DP muni d’un startron pour vision nocturne avant amplificateur de
brillance.
Boris se pencha de côté, comme on fait quand on est au bord d’écarter le
combiné de son oreille pour raccrocher.
— Tu mérites une médaille. Bois un verre à ma santé. On se voit demain
matin.
Il raccrocha et, au moment où il allait presser le bouton rouge de son spot
de chevet, réglé bas, à cause de Ghislaine, il vit, dans son regard de biais
vers la forme ultra-hormonée lovée sous les draps à toucher sa hanche,
regard juste de contrôle, deux yeux verts aux sourcils immenses
parfaitement écartés.
Les yeux verts le fixaient.
— Une supposition, minauda Ghislaine, serpentant peu à peu hors de ses
draps, qu’on profite du coup de fil impromptu pour se fatiguer un peu, juste
de quoi se redonner envie de dormir ?
Il contempla, « désespéré », la lourde poitrine qui sortait des draps,
palpitante, puis le ventre ondulant, et le reste, surtout le reste, qui s’écartait
comme une vision délicieuse à damner Saint Antoine (pas celui de Padoue,
l’autre, le vrai, l’Ancien).
— J’ai promis à Mémé de bien dormir, geignit-il.
Ghislaine l’attrapa par la nuque d’autorité et le força à se coller à elle.
— Il commence à m’énerver sérieusement, celui-là. Des foi ? qu’il
s’imagine qu’il va devenir ta maman !
CHAPITRE X
Le papier kraft reposait, froissé, sur une bergère signée Millon au milieu
de sa feuille de nylon. Le bureau était petit, encombré comme tout le reste
de l’étude. Un cartel dormait sur la cheminée de marbre et juste à côté, il y
avait un pastel de Degas, une danseuse renouant sa ceinture de tutu dans son
dos. Savoir si l’un et l’autre étaient vrais…
Maître… La quarantaine élégante, haut nœud de cravate à l’anglaise
concurrençant la saillie de sa pomme d’Adam, mit en marche un projecteur
à halogène. Une lueur à la fois douce et puissante éclaira le tableau
poussiéreux. Dehors, des bus passaient, avec des bétonneuses venues de
chantiers voisins, le radiateur du bureau tintait. Il faisait trop chaud, et le
boîtier du téléphone, presque du dernier cri, avec sa masse brune vernie et
sa floppée de touches, détonnait dans l’atmosphère XIXe siècle du bureau.
— Mais, on dirait « les Origines du Monde », de Courbet ! s’exclama le
commissaire-priseur.
Leconte toussota :
— Non, ce n’est pas ce tableau-là, c’est l’autre… le vrai.
Maître… se cabra, pomme d’Adam de plus en plus saillante au-dessus de
son nœud de cravate.
— Vous voulez dire… Non, c’est trop beau pour que j’y croie ! Donnez-
moi des preuves.
Sur le bureau plat, ébène et dorures, de Maître… une chose assez jolie,
mais qu’il avait dû racheter lui-même lors d’une vente, pour échapper aux
[5]
réviseurs , les certificats s’accumulaient.
Vente du 12 juillet 1883 à Drouot, l’ancien, au même emplacement, mais
détruit récemment pour permettre la construction du nouveau.
Vente du 7 mars 1902 à New York. Acheteur, William P.S. Regan.
Vente du 23 octobre 1935 chez Sotheby’s à Londres. Acheteur, le comte
Charles Of Season, qui l’avait revendu en 1955, à Genève pour cause de
trop de socialisme travailliste autour de son château à Surrey.
Puis il y avait le dernier « bordereau ». 23 décembre 1967, de nouveau
Sotheby’s.
Après, rien d’autre.
— Evidemment, fit René Leconte, l’acheteur a fait l’acquisition par un
prête-nom. L’acheteur dont je suis aujourd’hui le coursier. Pour une revente.
Maître X. vérifia nerveusement la bonne tenue de son nœud de cravate.
— La question n’est pas là. Du classique.
Il contempla de nouveau le tableau.
— C’est quelque chose, quand même, de voir ça.
Il rit.
— Bon Dieu, mais c’est énorme, ce que vous m’apportez. Le vrai
Courbet ! Vous pensez si je sais !
Son rire se fit nerveux.
— Chez ce célèbre psychanalyste mort récemment, le premier tableau,
qu’il cachait derrière un nu osé d’André Masson… Ça, c’est le côté officiel.
Un tableau pour l’instant inaccessible. Mais l’autre ! l’autre !… Là, devant
moi. Je rêve !
— L’autre, oui, celui que Courbet a peint juste après, osant tracer avec
son pinceau la réalité que son siècle lui interdisait de montrer.
Il prit un air de chaisière fascinée par le portrait du Christ en croix.
— Quelle beauté ! Quelle vérité !
Le commissaire-priseur eut un léger hoquet.
— Ça, il y est allé carrément, le bougre !
Ils contemplèrent ensemble, respectueux, les dilatations féminines du
modèle.
— C’est quoi, finalement ? jeta le commissaire-priseur pour « détendre »
[6]
l’atmosphère. Un 65 sur 54. Un quinze Figure .
Resté seul dans son bureau, Maître X. se servit en Suisse le cognac dont
il rêvait, et il le but d’un trait. Puis il s’en resservit un autre, qu’il ne but que
lentement, après avoir allumé un Partagas.
— Ça, c’est un bon coup, gloussa-t-il en se grattant la pomme d’Adam.
Un coup comme j’aime. Pour une fois que j’ai un tableau qui provient de
[7]
l’Enfer d’un collectionneur .
Il attrapa son combiné.
— Passez-moi à New York qui vous savez. En prioritaire dit-il d’un ton
sans réplique.
CHAPITRE XI
Une pince à épiler, ça vaut quoi ? Une pince de base s’entend, chromée
ou dorée pour tenir un an max, mais ça n’a guère d’importance, on la perd
vite. 25 Francs, 30 Francs. Dans la fourchette en tout cas, selon les
réglementations régionales de prix, aussi compliquées pour cet objet-là que
pour le coût de l’essence.
Edgar Andreat avait payé la sienne 27 Francs, à la pharmacie du port, à
Honfleur. En d’autres temps, il serait ressorti sans attendre la monnaie sur
son billet de 50. Mais prudence oblige. Il n’était pas question de se faire
remarquer par des largesses dépassées.
En tout cas c’était une bonne pince, avec un joli ressort puissant juste ce
qu’il fallait, et qu’il avait plaisir à mettre en action depuis une petite demi-
heure.
— Please, please…, se tordit Victor Hugo.
Il lâcha dans son jargon anglo-portugais qu’il avait mal, qu’il demandait
un délai. Qu’on recommence plus tard, qu’il n’était pas contre l’épilation,
mais simplement, il demandait un délai.
Edgar se releva.
— OK, baby. Mais reste comme tu es, bien ouvert. J’adore les poses, il
faudra que tu t’y fasses, j’ai l’intention de te faire poser, beaucoup.
Ses mocassins de chez Gucci arpentèrent avec légèreté la moquette de la
chambre. Ses pas le dirigeaient vers la table roulante à lourde nappe
empesée qu’un serveur d’étage avait poussée tout à l’heure jusqu’ici.
Edgar Andreat n’avait pas lésiné. Caviar, langoustes, vodka et zakouskis,
avec pour finir, arrosé de blanc de blanc, une merveilleuse charlotte à la
framboise.
Il attrapa son paquet de Player’s et fit claquer son briquet. Une banalité
« Cricket ». Ça faisait des années qu’il avait abandonné la frime avec les
objets usuels. Même avec les voitures, lui qui avait eu une Rolls… Il était
venu ici en Renault 12. Dur à faire avaler à Victor Hugo. Un vrai problème :
comment le garder en vivant au niveau français ? À savoir le garrot
financier…
« Ce sont de bons flics, ces gens de la Brigade Mondaine, murmura-t-il
avec cette voix qui ne cherche que soi-même pour auditeur. Ils ont tout
pigé, c’est évident. D’accord, le petit chauve n’a pas pu s’empêcher de
lâcher le morceau en essayant de m’avoir. Mais quand même…
Il tira sur sa Player’s.
— C’est émouvant, les flics. Ça gagne trois balles dix ronds, c’est
méprisé, et ça vaut le coup d’être mieux connus…
La Player’s rougeoya au bout de ses lèvres.
« Ils me croient à la Garde-Freinet, ils m’y croient vraiment… »
Peu après Wissous, sur l’autoroute du sud, avec la R 12 quand il avait
fait cette manœuvre dingue, au risque de tuer trente personnes, outre Victor
Hugo et lui-même, il avait vraiment risqué sa peau.
Il s’avança un peu plus vers la baie vitrée qu’il ouvrit. De l’autre côté de
la jetée, et des « résidences » d’été désertes en cette saison, la mer. La mer
violente de février, grise et houleuse comme dans un tableau d’Eugène
Boudin. Les mouettes criaient, l’odeur de mer venait, montait, forte,
entêtante, chassant les volutes de fumée de la Player’s sur laquelle tirait
Edgar Andreat. Le Grand Hôtel à Trouville… L’hôtel de Marcel Proust,
celui des (fausses) jeunes filles en fleurs. Proust y louait les chambres de
chaque côté, de la sienne plus celle du dessus et du dessous, pour se
protéger des bruits. C’était le luxe… Ce qu’il en restait aujourd’hui : la salle
de restaurant, abîmée quand même par des découpages de commodités de
service, alors qu’il y a tellement de chômeurs… Mais rien n’entame
vraiment les émotions pour les fous du passé. Ils trouvent toujours quelque
chose de bon à prendre.
Et là c’était, pour Edgar Andreat, riche « tué » par les modes politiques
nouvelles et réduit à une cavale sombre pour essayer de survivre au seul
niveau acceptable pour lui, celui d’un « luxe raisonnable », une espèce
d’émotion venue du fond de ses lectures adolescentes. Trouville, Proust, les
mouettes. Albertine courant sur la jetée. Une sorte de dernier rendez-vous
avec ses illuminations passées avant de s’enfuir pour toujours de ce pays
qu’il ne comprenait plus.
Au loin, un pétrolier luttait contre le jusant, les nuages descendaient sur
lui, beaux comme des colères de Zeus, l’odeur d’iode montait avec la
marée, tout était d’une beauté à pleurer. Pourquoi fallait-il que deux flics
tenaces soient après lui ! Collés à ses basques comme des chiens de chasse.
Ça, il ne les méprisait pas ! Ils faisaient leur travail… Mais comment leur
dire qu’il voulait juste se tirer. Juste se tirer…
Il écouta, fasciné, des jets sourds de cornes de brume au loin, il but avec
passion l’odeur de l’iode de plus en plus violente.
Le mélange de vodka et de blanc de blanc le saoulait autant que l’odeur
forte de la mer et celle des souvenirs venus de l’enfance. Des vacances de
pauvre, en bas, en lorgnant vers les fenêtres de luxe du Grand Hôtel. « J’y
prendrai une chambre un jour, j’y entrerai le front haut… »
C’était fait, il avait fait tout ça. Et aujourd’hui, échappé à l’astuce à la
traque des flics, il était revenu ici. Combien de temps durerait le répit ? À la
Garde-Freinet, toutes les brigades locales devaient guetter son arrivée. Elles
téléphoneraient. La traque reprendrait. Il avait beau avoir un faux
passeport…
Il se recula, croisant les doigts.
— Inch Allah… Un petit coup de chance, c’est tout ce que je réclame.
Il revint vers le lit. Victor Hugo était toujours une merveille de docilité
ouverte.
— My dear, my dearest…
Il se pencha, attrapant la pince à épiler.
— On recommence, hein !
Le travelo se cabra, incisives du dessus mangeant sa lèvre inférieure. La
pince s’avança, vers le pubis.
Comme ça, pour se consoler de ses soucis, Edgar Andreat avait décidé
d’épiler son giton comme les Arabes épilent leurs femmes.
Très loin à droite, le phare du Havre papillotait depuis longtemps dans la
nuit quand Edgar Andreat se releva, lâchant la pince à épiler. Il contempla,
avec une satisfaction délicieuse le pubis lisse de Victor.
— Je te ferai faire ça à l’électricité, définitivement, murmura-t-il.
Le petit travelo brésilien ondulait sous lui dans la couverture de piqué
blanc, seins lourds balancés, pesant incroyablement. Et, en dessous du
ventre lisse, il y avait ce sexe d’âne…
Edgar Andreat se rejeta en arrière. Ce qu’il avait là, devant lui, c’était le
bonheur, le rêve de toute sa vie, un giton parfait, et ça ne marchait pas ! Le
fric ne suivait pas ! Tout risquait de s’effondrer un jour, peut-être très vite.
Enorme pari sur un tableau de femme ouverte comme le petit travelo était
ouvert devant lui…
Il avança la main, avec cette résolution des désespérés qui n’ont plus que
les choses du sexe pour se raccrocher à la vie. Il ne cherchait pas une
caresse directe sur le sexe circoncis ! Ah, non ! il voulait mieux. Une
approche lente et tendre, une manœuvre des ongles autour de l’aine, des
hésitations, et ça marchait, encore une fois. Victor Hugo montait, montait !
C’était fabuleux, dans cet écartement de cuisses de Lolita et au-dessous de
ses seins lourds de femme, l’érection de cette queue d’âne !
Il haleta, il ouvrit la bouche et il plongea.
La sonnerie du téléphone sur la table de nuit le sortit de son action
comme un coup de feu réveille un dormeur illuminé par des imaginations
paradisiaques.
— Ah, c’est toi, c’est toi ! Alors ?
Jamais il ne prononça de nom, ni de prénom. Mais en raccrochant, il
savait qu’il allait honorer Victor Hugo sans les remords sociaux d’avant.
La vente était en route. La chance revenait.
Il rit, tout seul, avec des agitations nerveuses des épaules. Juste avant de
replonger, il eut un scrupule. Sa bouche devait sentir les alcools qu’il avait
bus, le tabac qu’il avait fumé. Il pensa qu’il fallait aller brosser tout ça. Ne
serait-ce que par respect pour la splendeur jeune et puissante de l’objet
dressé qui vibrait vers lui avec des ondulations de marée montante.
— Amalia, Amalia, balbutia-t-il. I love you… Il se penchait de plus en
plus, riant intérieurement de ses scrupules de brossage. Qu’est-ce que ça
pouvait faire à Victor Hugo ?… Mais quand même, il se sentait aussi
compliqué que Proust avec celui qu’il appelait Albertine…
À peine avait-il atteint de ses lèvres, juste atteint, la chair rose et tendue
du gland qu’il se rejeta en arrière, manquant de dévaler sur la moquette à se
briser les reins.
— Amalia ! fit-il, empêtré de la voix, qu’est-ce que tu as fait ?
Le travelo se releva sur les coudes et se mit à rire, seins ballottés.
— Eh quoi ? J’ai giclé, c’est interdit ? Depuis le temps que tu me fais
attendre.
CHAPITRE XIII
Le monde des collectionneurs est comme celui des fous du jeu ou celui
des amants. Téléphonez à une fille ayant trouvé l’homme de sa vie sur une
plage du Club Méditerranée au Sénégal ou à Tahiti et qui l’a perdu de vue
depuis 6 mois, dites-lui qu’il est à côté de vous et qu’il l’attend, elle lâchera
tout, et vendra toutes ses économies pour rappliquer même si l’aéroport du
destinataire est à l’autre bout du monde. Appelez un dingue du bridge pour
lui proposer une partie à cinquante dollars le point avec Omar Sharif à
Brisbane (Australie) il laissera femme, enfants et boulot pour foncer vers le
lieu de ses désirs violents. Et il est inutile de prendre d’autres exemples,
chez les fous du poker, du gin, du billard à trois boules, ou de l’américain.
Dans ce salon de l’hôtel Méridien, porte Maillot, il n’y avait que des fous de
peinture – ou des employés de fous. Des factotums avec des chèques signés
en blanc. En quelques jours, il avait suffi d’un nombre beaucoup plus réduit
qu’on ne croit d’appels téléphoniques pour que la confrérie internationale
des passionnés d’art érotique soit mise en état de fébrilité de force 15. Un
détail avait suffi à prouver aux correspondants le sérieux de l’affaire :
malin, Maître X. n’avait pas appelé le réseau depuis Paris, trop soumis aux
contrôles de tables d’écoute. Un clerc de confiance était allé prendre une
chambre d’hôtel à Londres, qui est à deux pas via Roissy, et avait sorti sa
liste de numéros, posée sur la table de nuit, à côté d’un whisky, avant de
rentrer le soir même à Paris.
Le ram-dam avait été gigantesque, même si aucun des satellites
d’observations de deux superpuissances ne l’avait décelé. En vingt-quatre
heures, et tenant compte des fuseaux horaires, des dizaines de cœurs au
compte en banque bien garni avaient palpité à 23-13 de tension tout autour
du globe terrestre. Sorties des bibliothèques les encyclopédies ! Les
reproductions ! Les biographies de Gustave Courbet, peintre français du
XIXe siècle ! La planète avait tourné dans le vide intersidéral, et tout autour
de cette planète, des pages et des pages de papier glacé avaient été
feuilletées par des index exaltés. Pour la première fois, il réapparaissait, ce
fameux second Courbet des « les Origines du monde » ! Le vrai celui dont
seuls quelques textes confidentiels parlaient, et dont on finissait par ne plus
croire même à l’existence… Et la nouvelle venait d’une des plus célèbres
études de Paris, connue pour son sérieux absolu. D’ailleurs, les preuves de
« filiation » étaient là, suivant par courrier express…
L’appartement, au dixième étage du Méridien, avait été loué par
Maître… sous prétexte d’un séminaire d’étude, sans aucune précision.
Méthode facile et sans trop de risques : la France d’aujourd’hui rêve de
congrès d’études avec le maximum de participants étrangers.
Crise oblige, il n’y avait que cinq ou six Français parmi les participants.
Preuve que l’instauration de l’IGF a dramatiquement scié les jambes des
amateurs d’art. Quelques années plus tôt, les Français auraient fourni la
moitié du lot.
Le reste, le maximum du reste était américain, suisse, belge, anglais,
japonais et ce qui devenait de plus en phis fréquent, singapourien et
indonésien. Certains avaient fait le voyage eux-mêmes, couchant pour la
nuit ici même au Méridien – 29 chambres réservées par les bons soins de
Maître X. – D’autres, plus nombreux, avaient délégué des représentants,
dont faisaient partie les trois femmes présentes. À un certain niveau de
fortune, on ne se déplace plus, on a autre chose à faire, on envoie un
employé, ou un agent, comme une maîtresse de maison envoie sa bonne
faire le marché.
Ça galopait. De cinq cents francs, on avait très vite sauté cinq mille, puis
à cinquante mille. Directement. Une rapidité d’accélération à donner le
tournis aux habitués de l’Hôtel Drouot.
En moins d’une minute, les enchères étaient à cinq cent mille francs. Du
jamais vu.
— Cinq cent mille, j’ai dit, cinq cent mille, fit Maître X. son marteau
levé.
Rien, pas de nouvelle enchère. Aucun bras levé.
Le commissaire-priseur agita sa pomme d’Adam.
— Allons, on plaisante…
Dans toutes les ventes, il y a de ces instants où chacun s’observe.
D’accord, tout le monde, ici, savait que cinq cent mille francs pour un
Courbet à faire pleurer les musées, c’était payer dix francs une Ferrari. Tout
le monde savait aussi que jamais le commissaire-priseur n’abattrait son
marteau sur une enchère aussi dérisoire, même si son montant représentait
le rêve inaccessible d’un smicard. Mais il y a des moments, dans une salle
des ventes, même privée, où les acheteurs ont envie de se venger du
commissaire-priseur.
Trônant là-bas avec son marteau, à côté de l’objet tellement convoité.
— Un million, jeta René Leconte, juste pour éviter l’apoplexie à
Maître X.
Celui-ci réagit aussitôt au quart de tour.
— Un million, j’ai preneur à un million.
Alors, ça démarra enfin. Un million cinq cent mille à gauche. Deux
millions à droite. Trois millions au fond. « J’ai dit au fond, la dame en
tailleur Chanel… trois millions cinq cent mille à ma droite, devant,
troisième rang, le monsieur à lunettes… »
René Leconte n’écoutait plus que distraitement. Il allumait une cigarette.
Ici, contrairement à l’Hôtel Drouot, on pouvait fumer. Les clients étaient
vraiment rois.
Il n’eut pas le temps d’attaquer sa troisième bouffée que les enchères
étaient déjà à sept millions et demi. Sept cent cinquante millions de
centimes.
Il y eut dans la salle comme une hésitation qui le paniqua un peu : le prix
de réserve était de dix millions.
— Je suis à sept millions et demi à ma droite, reprit Maître X. le regard
balayant la salle.
— Huit, lâcha d’une voix claire la jeune femme en tailleur Chanel.
Et ça repartit. En quarante secondes – les échanges peuvent aller
fabuleusement vite dans une vente – on en était presque au prix de réserve :
neuf millions sept cent mille neuf cent quatre-vingts millions de centimes.
Là, ça ralentit. Il y a des caps de prix qu’il est dur de franchir. Dans le
salon de l’appartement du Méridien, le jeu ne se faisait plus désormais
qu’entre quatre enchérisseurs. Un Anglais aux pommettes rougies par le
whisky. Un Américain à l’air faussement placide, et les plus « sérieux »
parce que factotums, visiblement : la blonde en tailleur Chanel et un
Japonais de 25 ans au plus.
L’enchère était à la blonde : neuf millions huit cent mille. Elle observait
le commissaire-priseur, calme, l’air de ne penser qu’à un prochain rendez-
vous chez Carita.
— J’ai dit neuf millions huit cent mille, fit lentement Maître… levant son
marteau comme à regret.
L’Américain dressa subitement la main.
— Dix millions.
Un milliard ancien…
René Leconte attrapa un millionième de seconde le regard que lui lança
le commissaire-priseur : le prix de réserve était atteint.
— Dix millions cent, jeta la blonde.
— Deux cents, fit le Japonais.
— Deux cent cinquante, se précipita l’Anglais.
Nouveau temps mort… À ce niveau de somme, les enchérisseurs ont la
langue sèche.
— Trois cents, lâcha la blonde comme à regret.
— Dix millions quatre cents, fit le Japonais.
Et, subitement, ça repartit, quatre cent cinquante, cinq cents, six cents,
six cent cinquante.
René Leconte n’en croyait ni ses yeux ni ses oreilles. On en était à dix
millions sept cent mille francs, puis à onze millions. À douze, à treize,
c’était une ruée folle, démente. Sept minutes s’étaient passées depuis la
mise en enchères, il avait vérifié à son bracelet montre et déjà le Courbet
valait quinze millions de francs.
Un milliard et demi ancien !
— Je suis à quinze millions, fit le commissaire-priseur, dont les
pommettes rougeoyaient, quinze millions. Par Monsieur, au troisième rang.
Il désignait le jeune Japonais.
— Qui dit mieux, qui monte au-dessus de quinze millions ?
C’était fou ! Démentiel ! Dans le monde, qui pouvait sortir quinze
millions de francs pour un tableau ? Et pourtant c’était vrai, l’offre était là,
sciant les autres enchérisseurs.
Silence dans la salle, le commissaire-priseur allait enfin abattre son
marteau d’ « ivoire » quand subitement le téléphone posé à côté de lui
grésilla.
Il décrocha nerveusement.
— Mesdames et messieurs, dit-il solennellement, j’ai par téléphone une
offre supérieure. D’un million.
Il vibrait.
— Pardonnez-moi, mais j’ai mes preuves. Il s’agit de… ‘
Il prononça le nom d’un vieillard extrêmement célèbre pour sa fortune
faite, très longtemps avant la guerre de 1940, grâce au commerce avec la
Russie.
— L’appel vient de Los Angeles, expliqua-t-il, fiévreux.
Il s’inclina.
— Excusez-moi encore, nous sommes en ligne depuis le début. C’est la
règle du jeu, n’est-ce pas, les enchères se font de n’importe où.
L’Anglais secoua la tête.
— Pigé, s’il est sur le coup, inutile d’insister…
L’Américain se mit à verdir, le Japonais prit l’air d’un employé qu’on va
fouetter au retour, la blonde se gratta le nez.
— Je peux lui parler ? interrogea-t-elle.
Maître X. se cabra légèrement.
— Mais… bien sûr.
Elle se leva, dansant sur ses talons hauts, et se déhancha jusqu’au bureau,
où elle prit le combiné.
— Julius ? C’est Olga… À ça, mon salaud, tu nous a bien eus, tous…
D’accord, tu le veux, je te comprends, tu as le fric. Inutile de lutter contre
toi… Allô… Allô… Ah, j’ai cru qu’on nous coupait… Dis-moi, il est tôt…
Tu t’es levé aux aurores… Ça va te fatiguer le cœur… Mais non, mon chou,
je ne veux pas ta mort, mais pense seulement à une chose : ton Courbet,
puisque tu vas l’avoir, richard, il ira où ? Dans un musée, où on le mettra au
placard. Au rayon des œuvres sataniques dans l’Enfer du musée. Personne
ne le verra plus. Laisse-le ! Abandonne. Mon client a 40 ans, il en profitera,
et ceux qui viendront chez lui aussi. Ton offre promet le tableau au
cimetière des musées. Tu es dingue…
Elle se tut, comme saisie par une irruption de rage. Puis elle hocha la
tête.
— Désolée, fit-elle, il s’accroche, le gâteux, le vieux gâteux salaud…
Elle rendit le combiné à Maître X.
Celui-ci se précipita, quasiment au garde-à-vous.
— Votre offre est bien de seize millions de francs, n’est-ce pas ? Très
bien… Laissez-moi le temps de voir s’il y a une offre supérieure.
Il se tourna vers la salle.
Mutisme absolu.
— Monsieur, laissez-moi vous faire écouter le bruit, vous avez le
Courbet.
Il projeta solennellement son marteau sur le plastique gris du bureau.
Toc.
Bruit projeté par téléphone jusqu’à Los Angeles.
— Allô ? reprit le commissaire-priseur. À quel cours le change ? Mais
celui du jour, Monsieur, celui du jour… Le tableau ?… Mais comme
convenu, soyez sans crainte. Dès réception du chèque.
CHAPITRE XIV
Un certain nombre de choses se passèrent dans les heures qui suivirent,
concernant ce qui était quand même finalement l’affaire Nadia.
Pour commencer par les événements les plus proches de la vente à huis
clos de l’hôtel Méridien, il est utile de noter qu’Aimé Brichot, inspecteur de
la Brigade Mondaine, sortit le premier du salon où il n’avait plus rien à
faire, et où il s’était payé le luxe tout personnel, assis tout au fond, de
surenchérir à un moment : le million quatre cent cinquante mille francs,
juste après une offre du factotum japonais, c’était lui.
Lancés d’une voix dont le calme l’avait sidéré lui-même.
Pure petite expérience de flic mal payé, juste pour voir jusqu’où ça fait
battre le cœur d’enchérir dans une vente historique, ça, pour la sensation, il
avait été servi. Il avait failli arracher sa cravate de panique, sous le regard
du commissaire-priseur dirigé vers lui, durant les quinze ou vingt secondes
qu’il avait fallu à un autre pour couvrir son enchère. Une éternité
d’angoisse…
Ahurissant qu’un homme de la classe de Maître X. ait pu imaginer
qu’une vente secrète soit possible à organiser sans que la police soit mise au
courant. Où peut donc pousser l’appétit du gain, même chez des gens censés
exercer une profession où la prudence la plus extrême est de règle !
Au bar du Méridien, Aimé Brichot retrouva sa flèche, qui contemplait
d’un air faussement distrait son Vichy fraise.
— Ça y est, fit-il, la vente est conclue. Acheteur…
Il prononça le nom du milliardaire presque nonagénaire qui tenait à force
d’implants.
— Je sais, fit Boris. Il tendit la main.
Le barman leur fit un clin d’œil complice : la bande d’écoute
d’enregistrement de communication de l’hôtel tournait encore derrière lui.
Aimé Brichot se hissa sur un tabouret commandant un Vichy fraise
jumeau.
— On avait donc raison…
Corentin alluma une Gallia, sa cigarette douce des moments de calme.
— Raison, oui… Mais ça nous mène à quoi ?
Le feu de ses yeux démontrait que sous le calme apparent, la tempête se
préparait.
— Eh bien…, fit Brichot, on va pouvoir coincer Edgar Andreat.
Corentin souffla.
— Ah ? Tu crois que c’est si simple ?
Aimé Brichot trempa ses lèvres dans son breuvage de régime.
— Tu m’amuses toi ! On a déjà pas mal avancé.
Corentin lui tapota le dessus de la main.
— Regarde…
Un petit brun au visage avide traversait le hall de l’hôtel de l’autre côté
des vitres du bar.
— Il va téléphoner. Rendre compte. Pourvu que les collègues ne se
soient pas endormis.
Deux heures plus tard, Maître… sablait le champagne dans son étude
quand sa secrétaire insista pour lui passer une communication.
— Allô, Maître X. je vous remercie pour tout. On vient de m’appeler de
Genève, le transfert de la somme a bien été effectué. Vous avez été correct.
Votre pourcentage sera doublé, comme prévu.
La glotte du commissaire-priseur effectua une série d’aller-retour
compliqués.
— Je vous remercie, je vous remercie vraiment.
Il se leva et alla se servir un alcool à son bar personnel.
« Ce Julius, se dit-il en claquant la langue après la première gorgée
avalée, c’est quelqu’un. »
Il reposa son verre et sortit sa calculatrice d’un tiroir. Puis il se mit à
calculer son pourcentage. Multipliant par deux. Pur plaisir de voir s’aligner
les chiffres de cristaux liquides. Il y avait longtemps qu’il savait la somme
exacte, au centime près, et convertie en dollars.
Mais encore une fois, impossible de savoir, à son calme apparent, s’il
gardait un de ces petits coups de cœur de tous les commissaires-priseurs
pour le chef-d’œuvre passé entre leurs mains le temps d’une vente, ou s’il
savait, tout simplement qu’il s’agissait d’un faux.
CHAPITRE XV
Le commissaire divisionnaire Charlie Badolini poussa devant lui sur le
cuir de son bureau Empire, une série de paquets de cigarettes de différentes
nationalités, comme on pousse des pions sur un plateau de jeu de dames,
avec l’ongle de l’index.
— Choisissez ce que vous voulez. De toute façon, c’est l’Etat qui paye.
Enfin, je veux dire : les contribuables, ces vaches à lait.
Une glotte nerveuse monta et descendit quelques étages d’ascenseur
angoissé en face de lui.
— Benson, finit par dire le commissaire-priseur. Il avança une longue
main qui était loin d’avoir dans le geste l’autorité de son maniement
princier du marteau d’ivoire.
Histoire de ramollir les défenses de sa prise, le chef de la Brigade
Mondaine choisit le même type de cigarette, contre ses habitudes, depuis
longtemps ancrées dans le tabac brun.
Des volutes bleues miellées allèrent paisiblement à la rencontre l’une de
l’autre dans l’atmosphère bien chauffée, malgré une jolie tempête de février
sur la Seine, hors du bureau imposant. Un ange lourd de questions et de
méfiances retenues voleta dans tout ça, accélérant le mélange. Il fallait
quand même qu’il serve à quelque chose ! En l’occurrence, accélérer l’issue
du supplice du commissaire-priseur.
— Maître, finit par dire Charlie Badolini d’un ton de reproche paternel,
vous êtes un homme qui jouit d’une position sociale particulièrement
enviable. Votre étude fait partie, en bonne place, des trois ou quatre qui
maintiennent l’Hôtel Drouot au-dessus des vagues en cette période de fous,
votre épouse est Maître de Requêtes au Conseil d’Etat. L’aîné de vos quatre
enfants vient de sortir de l’X à 20 ans, dans la « botte ». Le deuxième, une
fille, est en hypokhâgne et les deux derniers marchent sur les traces des
aînés. Vos dîners parisiens sont très courus. J’ai eu deux ou trois fois
l’honneur d’y être convié par carton gravé, à l’ancienne mode. Et j’ai pu y
remarquer, outre l’excellence de la table, là maîtrise parfaite de votre
épouse dans l’art de mener les conversations, dans un décor dont je me
demande toujours pourquoi il ne figure pas à l’honneur dans les meilleures
revues d’ameublement de goût. À ces dîners, j’ai noté aussi combien votre
conversation personnelle était brillante, à la fois drôle et profonde,
témoignant d’un de ces esprits rares auxquels les temps présents ne nous
habituent plus guère…
Maître X. le fixait, visage apparemment flatté, yeux criant qu’il n’était
pas dupe du baratin, et attendait l’assaut.
Celui-ci débarqua comme l’irruption subite d’un orque tueur d’hommes,
à ras de la proue de la Calypso du commandant Cousteau.
— Comment avez-vous seulement pu marcher à une combine aussi
grossière ? jeta subitement Charlie Badolini. C’est grave, vous savez. Je ne
sais pas si vous vous rendez bien compte de votre situation précise.
La Benson pendait entre index et majeur du commissaire-priseur, fumée
nicotinisant la chair tendre des deux doigts à ras des lunules manucurées
deux fois par semaine.
— Je suis désolé, reprit Charlie Badolini, mais je suis obligé de faire un
peu le tour de la question. Commençons par la vente secrète. Totalement
interdit, vous le savez comme moi. À vous faire radier… Mais il n’y a pas
que ça. Le tableau…
Il vira vers le fauteuil de Jacob estampillé, à sa droite. Dedans, un 15
figure qui resterait dans les annales. Un torse de femme écartelée. Avec des
organes furieusement exaltés.
— Maître, poursuivit le chef de la Brigade Mondaine, ce qui me rend
assez furieux contre vous, c’est que ce tableau, que vous avez fait apporter
hier dans mes services, a été examiné par nos spécialistes de l’Office chargé
de la répression du Trafic des objets d’art. Vous voulez le rapport ?… Bon
je ne vous l’infligerai pas. Une à une, les preuves techniques du fait que
ceci a été peint au plus tard il y a un mois sont données, dans les détails.
Siccatifs, vernis, empâtements, glacis, diluants… Ah, les diluants, surtout,
utilisant des mélanges chimiques découverts il y a cinq ans seulement…
Il posa ses coudes dans le cuir fauve du bureau, happant à grandes
goulées le poison de sa Benson.
— La moins que l’on puisse dire, cher Maître, c’est que vous avez été un
peu léger sur le contrôle de l’œuvre. Une œuvre que vous avez, suivez mon
regard, préféré vendre, n’est-ce pas, à huis clos.
Maître X. sursauta.
— C’était trop osé pour une vente publique, et de toute façon, le vendeur
était pressé.
— Je sais, un dénommé René Leconte, un petit brun aux yeux noirs,
même si ce n’est pas le nom qu’il vous a donné. N’empêche, vous avez joué
avec un assez gros culot de votre réputation dans cette affaire. Disons les
mots nets : vous avez carrément abusé de la confiance de clients potentiels.
La preuve, le fameux Julius D. l’acheteur de cette croûte truquée a sorti
l’équivalent d’un milliard six cent millions de centimes, sans avoir vu le
tableau, et uniquement parce que vous lui en avez garanti l’authenticité.
Il se pencha encore un peu plus.
— Si les mots ont un sens, ça relève de l’escroquerie pure et simple.
Il sourit devant le visage défait au-dessus de la glotte agitée.
— Allons, je ne pousserai pas le sadisme jusqu’à vous demander si vous
avez cru vous même à l’authenticité de ce faux. Ce serait faire insulte à
votre intelligence, que je crois grande…
Il agita son index jaune.
— … Mais sur la pente dangereuse du dévoiement, et ne protestez pas
que les temps sont durs, etc… rien n’excuse la faute professionnelle quand
on a un nom sur la place de Paris comme le vôtre. Rien.
Charlie Badolini se leva et le commissaire-priseur fixait la pointe de ses
mocassins Gucci. Bec cloué pour longtemps.
— Ça me ferait de la peine de mettre l’affaire sur la place publique. Il y a
assez de scandales par les temps qui courent, et je ne souhaite pas
provoquer le krach financier de l’Hôtel Drouot. J’aime les tableaux, les
meubles, les œuvres d’art. Je ne voudrais pas avoir provoquer le ravalement
de tout ça au niveau du marché du samedi d’Ouagadougou.
Les bottines surélevées exécutaient un demi-tour assez militaire.
— Seulement, il faut m’aider à ne pas me laisser aller à de mauvais
penchants.
L’ange flicard repassa, très vautour dans le poids lent des ailes. « Coup
de fil à la presse, caquetait le bec, coup de fil à la presse… »
— Je suis prêt à tout, geignit Maître X. Vous me tenez. ■
— Je pense bien, ricana Charlie Badolini, quelle évidence… Bon, voici
ce que vous allez faire. À l’heure qu’il est, la deuxième vente s’organise, à
Genève, celle du vrai Courbet, et il va se vendre au moins le double de
votre faux, si ce n’est plus, vu le ram-dam autour de tout ça.
Le commissaire-priseur releva le nez.
— Quel ram-dam ? fit-il du ton de quelqu’un qui connait déjà la réponse.
Charlie Badolini hocha la tête.
— Allons, Maître… Pas à moi… On a nous aussi la liste des
collectionneurs érotiques du monde entier, et de leurs appels téléphoniques
chez vous. Et, bien sûr, j’ai appelé personnellement Julius D X. pour lui
signaler les petites escroqueries.
Il se fouilla, à la recherche de quelque chose d’un peu plus excitant aux
papilles qu’une Benson. Une Celtique maïs.
— Au fait, je l’ai assuré qu’il pourrait récupérer son chèque, que vous
étiez désolé et lui présenteriez vos excuses. Me suis-je trompé ?
La sueur inondait le dos de la chemise de soie de Maître…
— Je l’ai touché, avoua-t-il d’une voix morte.
— Où ça ? jeta Charlie Badolini. En Suisse, bien sûr, et en équivalents
dollars. C’est simple, le téléphone est là, appelez votre banque suisse, et
donnez-leur un ordre de virement de la même somme à Julius D… dans les
plus brefs délais. Je ne plaisante pas, vous allez faire ce que je vous dis.
Il exhiba ses canines, très Boris Corentin.
— Sinon, je vous coffre illico pour délit d’escroquerie, abus de confiance
et exportation illicite de capitaux français.
CHAPITRE XVI
Comme dans chacune de ses maisons, sous tous les climats, tout était
prêt pour l’arrivée immédiate de Julius D. Le personnel changeait même
tous les huit jours les tubes de pâte dentifrice, pour qu’ils soient toujours
frais (le revendant, bien sûr).
À peine arrivé, Julius D… s’affala dans son canapé et commanda, pour
une fois, un scotch. N’importe lequel. Il avait un urgent besoin de tricher
pour une fois avec ses règles macrobiotiques.
Tout le nœud de l’affaire du faux Courbet, il l’avait appris dans son
Boeing privé fonçant au-dessus des vagues de l’Atlantique. Salaud de
Maître X. Mais c’était à lui-même qu’il en voulait le plus. Le sentiment du
vieillissement. Jamais, à quarante ans, il ne se serait laissé avoir comme ça.
Enfin, la chance fabuleuse qui avait mené sa vie continuait. Cet appel d’un
flic assez important à Paris, un certain Charlie Badolini. Au moins, il
récupérerait ses billes. Mais la rage d’avoir été blousé n’en était que plus
forte.
Et la décision forcenée d’avoir le vrai Courbet. Comme un cadeau
personnel avant de sombrer dans le gâtisme…
À sa droite, l’appareil téléphonique rouge grésilla. Une ligne ultrasecrète.
Il décrocha :
— Allô ?… Ah, monsieur Badolini…
Son visage de vieux forçat du luxe se détendit :
— Parlez français, je vous en prie… Alors, quoi de nouveau ?
Il s’écarquilla.
— Quoi ? Ici ? Chez moi, route de Florissant !
La voix de basse tabagique du vieux Niçois gagnant par an ce que coûtait
la tonte de la pelouse de deux ou trois des maisons de Julius D… racontait
quelque chose d’ahurissant :
La vente du Courbet, du vrai, se déroulerait chez Julius D., route de
Florissant, à Genève.
CHAPITRE XVII
CHAPITRE XVIII
Julius D. se leva.
— Permettez-moi d’intervenir, en tant qu’hôte. Les enchères se feront
sans droit. Il n’y a aucun agent, aucun commissaire-priseur sur le coup. Ce
que je vous propose, c’est de tirer au sort celui d’entre nous qui mènera les
enchères. À moins que quelqu’un se désigne de lui-même, évidemment.
René Leconte se leva.
— Moi, fit-il, je pense pouvoir remplir le rôle. Je ne suis pas acheteur.
Ils le fixèrent tous, et tous connaissaient très bien la « fiche » exacte du
petit brun culturiste aux yeux noirs qui s’était levé.
— Pas d’objection ? lança Julius D.
Silence.
— Proposition admise, reprit-il en se rasseyant.
René Leconte s’avança vers le tableau. Il était blanc. Il savait ce qu’il
jouait. La survie avec Cari, et c’était énorme ce que les flics exigeaient de
lui pour cela.
Rien de moins que de truquer la vente.
— Convenons, fit-il d’une voix qui cherchait à s’assurer, que les
enchères se feront en francs français. Je propose de démarrer à dix millions.
Y a-t-il opposition ?
Pas de réponse.
René Leconte se passa la langue sur les lèvres.
— J’ai preneur à dix millions de francs français, fit-il, qui dit mieux ?
Et ça repartit, comme à l’hôtel Méridien, l’autre jour ! En cinq minutes,
on en était à dix millions et demi. Puis deux tiers.
Pour un quinze figure de sexe de femme.
Qui avait quand même pour lui d’être signé Gustave Courbet.
— J’ai preneur à dix-sept millions, à ma droite, dans le canapé, reprit
René Leconte qui avait l’impression de boire le calice jusqu’à la lie.
— 17 et demi, jeta Julius D.
— 17 et demi, répondit « mécaniquement » René Leconte, 17 et demi…
Pas d’autres enchères ? »
Il levait son marteau. Un vrai marteau d’ivoire, venant de la collection de
Julius D.
— Je suis à 17 et demi… Je vais mettre fin aux enchères…
Une petite voix travaillée aux hormones toussota :
— Dix-huit, émit Victor Hugo.
Le fantôme de Madame de Staël qui en avait vu d’autres en manières de
surprises très subites, flotta dans le salon qui lui avait appartenu, près de
deux cents ans auparavant. À peine gêné, les fantômes savent tout, y
compris ce que contient le portefeuille des gens. Or, le travelo qui faisait
une offre de dix-huit millions de francs français – un milliard huit cent
millions de centimes – n’avait pas un sou en poche.
— Tu es dingue, balbutia Edgar Andreat, soudain rouge comme une
tomate. Veux-tu te taire ! Rétracte-toi ! Explique que tu plaisantes !
Le comble des combles : son giton enchérissait !… D’accord, lui, Edgar
Andreat, pourrait assurer la mise à hauteur de seize millions, le prix gagné
sur le faux. Mais ça n’était pas là le but de toute son opération ! Qu’est-ce
que Victor Hugo manigançait ?
Julius D. sourit.
— Dix-neuf, fit-il.
Il fixait le travelo. Côté décolleté surtout.
Une explosion d’idées folles illumina Edgar : et, si c’était le moyen, ça, à
sa portée, de « revendre Victor Hugo », cette petite frappe subitement
désobéissante, au milliardaire californien ? Et de faire coup double au
passage…
Il se pencha vers Victor Hugo.
— Monte, murmura-t-il, je te couvre.
Le petit travelo frémit dans son tailleur Chanel.
— Vingt millions, lâcha-t-il, j’ai dit vingt.
Edgar Andreat lui pressa le bras.
— N’aie pas peur, tu es couvert, je te l’ai dit, n’aie pas peur, surtout.
Il y avait pourtant de quoi avoir peur ! Personne ne montait sur l’enchère
de vingt millions. Même pas Julius D. qui se curait les dents, placide, avec
l’ongle du petit doigt.
— Vingt millions… j’ai dit vingt millions de francs français, haletait
René Leconte.
Il lui fallait bien abattre son marteau, et désigner comme acheteur des
véritables les « Origines du monde » de Courbet et le giton de celui-là
même qui l’avait mis en vente, et pour lequel, lui, René Leconte, pour un
pourcentage finalement dérisoire, était devenu un double assassin déjà aux
mains de la police.
— Le chèque, fit-il, il faut donner tout de suite le chèque.
Une électricité démentielle flottait dans le salon de la maison de la route
de Florissant. Ne paraissant épargner qu’une seule personne, Julius D.
Victor Hugo se leva :
— Je peux voir le tableau de plus près avant de signer le chèque ?
Il se penchait quand une voix profonde de vraie femme s’éleva derrière
lui.
— Je suis désolée d’interrompre cette petite fête, lâcha Ghislaine Duval-
Cochet d’une voix flûtée, mais je représente les Musées nationaux français.
Le tableau a été sorti illégalement de France. Il revient à la France, j’exerce
le droit de préemption de la France.
Elle se tourna vers Edgar Andreat.
— Vous, vous avez tout loupé, vos combines tordues n’ont servi à rien.
Votre chèque que vous croyez toucher sur le faux du Méridien est bloqué.
Remboursé à Julius D. Quant à vous, Julius D. vous avez vous aussi loupé
votre combine à vous.
Elle rit :
— Mes amis les policiers sont ici en mission suffisamment
extraordinaire pour que vous n’ayez aucun recours. D’ailleurs, qui vous dit
que ce sont des policiers français qui vont récupérer un tableau appartenant
au patrimoine artistique de la France, même s’il est du rayon des œuvres
spéciales ? Mettons que des personnages sans scrupule se soient introduits
ici, que pouvez-vous y faire ? Votre prétendue vente est illégale.
Absolument illégale, même devant le tribunal de la Haye.
Elle se leva et alla prendre le Courbet.
— Tant de bruit et de fureur pour un petit quinze figure, murmura-t-
elle…
Elle éleva le tableau à bout de bras.
— Regardez-le bien une dernière fois. Aucun d’entre vous ne l’aura. La
France le récupère à l’œil. Et ce n’est pas son propriétaire, ici présent, qui
protestera. Il sait, comme son acolyte, également ici présent, que
l’indulgence des tribunaux est fonction de leur docilité.
« À reprendre la route de Paris, je veux dire.
Elle sourit.
— Vous allez le faire, messieurs Andreat et Leconte, n’est-ce pas ? Je
crois savoir et vous le savez sans doute aussi, que des preuves capables de
jeter à vos trousses Interpol à travers le monde entier sont en lieu sûr, et
officiel.
Edgar Andreat et René Leconte la fixaient, l’air assommés : tout ce que
disait la jeune femme était strictement vrai.
La suite fut ultra-rapide : sur un coup d’œil de Julius D., Victor Hugo se
jeta en avant et il arracha le tableau des mains de Ghislaine.. Puis il fonça
sur ses talons hauts vers la sortie.
Où l’attendait une voiture dont le moteur tournait depuis longtemps,
histoire d’au moins garantir une atmosphère chaude pendant le trajet au
travelo à demi-nu.
Boris Corentin se tourna vers Julius D.
— Vous vous croyez au-dessus des lois, Monsieur, à cause de votre
fortune. Vous vous trompez, et vous allez vous en apercevoir très vite.
Le vieux milliardaire ricana.
— Assurez-vous plutôt de la personne de vos deux imbéciles. Des fois
qu’ils voudraient se faire la malle.
Corentin vira vers Andreat et Leconte. Voûtés, tremblants.
— Suivez-moi, vous autres, et ne faites pas les marioles.
En quittant la maison de la route de Florissant, il avait un goût
d’amertume dans la bouche, même si à ses côtés, Andreat et Leconte se
tenaient silencieux, anéantis.
— Andreat, lança-t-il, c’est vous qui avez négocié le trucage avec
l’Américain. Si vous ne me donnez pas le moyen de rattraper votre travelo,
et le tableau avant le lever du jour, je vous jure que je vous fais envoyer au
trou, et votre complice de Leconte avec, pour le restant de vos jours. Les
lois vont changer bientôt, vous le savez comme moi ? Vous ne sortirez pas
du trou.
La Renault 16 dont Aimé Brichot tenait le volant ronronnait.
— Raisonnez juste pour une fois dans votre vie, reprit Boris Corentin,
vous savez où va le tableau et son porteur à robe rose.
Ghislaine toussota dans l’épaule de Boris.
— À trois cents mètres, en bas, à droite, il y a un chemin tranquille.
Elle rit.
— On ne t’entendra pas leur écraser les c....les.
Edgar Andreat eut un couinement de rat.
— OK, fit-il, je vais vous indiquer la route.
Il se retourna brutalement.
— Bon Dieu, et le commissaire-priseur ? Vous l’oubliez ? Pourquoi le
protégez-vous ? Il était dans le coup lui aussi.
Corentin hocha la tête.
— Monsieur Andreat… Vous nous prenez pour des pommes… Maître X.
est un homme fini, faites-moi confiance.
CHAPITRE XIX
En tout cas, le côté sexuel, ce n’était pas soixante ans qu’il se sentait
avoir, mais vingt de moins encore, et dans toute la « force de l’âge ».
Quelle journée ! Le Courbet, plus le travelo…
Dehors, on entendait ronfler les voitures sur la route d’Annemasse, en
France. La deuxième maison suisse de Julius à Genève était installée
« banalement » le long de la grande route. Un petit pavillon anonyme à faire
vomir au passage un architecte à la mode. Le pavillon de banlieue type.
Exagéré à la limite, avec ses balcons à l’espagnole, installés exprès, l’année
dernière, par Julius, pour que les cambrioleurs potentiels ne se doutent
jamais des trésors accumulés dans la petite maison à volets, peints en
marron foncé, au milieu d’un jardinet de trois cents mètres carrés
gravillonné et muni de plates-bandes agrémentées de nains, de chats et de
chiens en plastique. Aucun système de sécurité, aucune alarme : les
meilleurs renseignements des voleurs, ce sont les employés de ces maisons-
là, trop souvent. Ça finit par faire flipper, côté jalousie, le maniement sur
listes des trésors possédés par autrui.
Julius avait fait placer Victor Hugo sur un canapé à fleurs juste au-
dessous d’un autoportrait d’Egon Schiele. Une œuvre très spéciale, achetée
à grand prix, dix ans plus tôt chez Sotheby’s. En robe de chambre grise,
assis sur un guéridon, cuisses écartées, le peintre exhibait son sexe. Une
énormité dont les roses et les rouges étaient les seules couleur chaudes du
tableau. Sa main gauche tenait entre pouce et index la base de la verge.
L’index de la main droite titillait du bout de l’ongle le gland décalotté. Entre
les pans de la robe de chambre, une espèce d’ébauche de poitrine de femme
était esquissée d’un pinceau trouble. Le sein droit surtout, qui poussait le
tissu de son aréole fantomatique.
En plus, le pied du guéridon sur lequel Egon Schiele s’était assis pour
poser, prenait vers le bas des contorsions étranges. Des airs de fente, comme
si l’écartement des cuisses se reflétait dans une glace où Schiele aurait été
assis. Et dont, au centre, en reflet, et au lieu du sexe masculin, il y avait eu
une vulve tendue. Alors, ce qui apparaissait comme une évidence lumineuse
vu la direction de l’index de la main droite, posé sur le gland, c’était qu’il
désignait quelque chose.
Le reflet.
La vulve du guéridon.
L’hermaphrodisme secret du tableau.
Que le regard du peintre, posé directement sur le spectateur confirmait
par un regard qui disait : « Tu piges ? »
Ce tableau, Julius en était très fier, parce qu’il avait été seul à « piger »
quand il l’avait vu, dans la salle d’exposition de Sotheby’s. Autour de lui,
tout le monde ne prenait ça que pour un tableau de branlette. Les
imbéciles… Le message était pourtant tellement évident. Et en plus, il ne
l’avait pas payé si cher que ça.
Bien entendu, à part l’installation sur le canapé, et pas sur le guéridon,
Julius avait disposé Victor Hugo dans la pose exacte d’Egon Schiele, et
dans une robe de chambre semblable. Deux seules différences : Victor Hugo
était bien vivant et, au lieu du visage tourmenté au nez camus et front de
Frankenstein du peintre, il offrait une merveille de traits parfaits, yeux en
amande, sourcils arqués, nez fin, joues adolescentes.
Entre sa main gauche et l’index de sa main droite, vingt-cinq centimètres
d’un trésor digne du fameux rubis de Kandahar. Cette pierre mystérieuse
aujourd’hui disparue et taillée à l’imitation d’un sexe masculin pour
l’initiation des prêtresses du lieu.
Dans toutes les pièces du pavillon de banlieue s’amassaient, certains
suspendus au mur, mais la plupart posés à terre les uns contre les autres, des
tableaux érotiques. Une immense collection d’au moins trois cents pièces
datant de toutes les époques. La Femme forcée de Jean-Antoine Watteau, le
Feu aux fesses, de Fragonard (le titre était écrit, à droite en bas, en lettres
rondes, sans doute tracées la langue un peu tendue) toute une série de
tableaux phalliques de la Révolution, des anonymes choisis détaillant un à
un tout ce qu’une femme accepte (parfois) d’un homme. Des œuvres
japonaises et perses, encore plus outrées, avec des airs de nonnes et de
moines en extase sur les visages aux yeux fendus. Puis les cochonneries
d’Ingres, de Chassériau, de Manet, de Daumier, de Degas, etc. Sans oublier
Toulouse-Lautrec, fameux entre les plus fameux, et les toiles secrètes de
Paul Delvaux, Picasso, Dali, Matisse, et les autres.
Le lot le plus complet, parce que le moins cher, et donc « investisseur »,
c’était celui des hyperréalistes et autres nouvelles vagues de la peinture,
Allen Jones, Graham Ovenden, Louis de Wet, Wunderlich, Wesselmann,
Larry Rivers…
À la mort de Julius D. il faudrait des semaines aux liquidateurs officiels
de biens pour répertorier tout. Et apprécier, à supposer qu’ils aient un peu le
sens de l’art et celui des affaires, le génie du placement de Julius D.
Surtout au grenier, où se trouvaient les œuvres homosexuelles, celle dont
les peintres ne souhaitent pas tellement que leur nom soit connu, même si
dans le globe entier leurs frères de race savent…
Sur son canapé, Victor Hugo repliait doucement son acte de donation
sous sa robe de chambre faite à l’imitation du tableau d’Egon Schiele. En
même temps, il cachait ses seins, et son sexe. Pas question, dans la situation
présente, d’affoler tous ces flics…
Il prit une inspiration lente.
— Julius, my love, pourquoi te laisses-tu impressionner par tous ces
sauvages ? Tu es assez puissant, assez riche, pour leur rire au nez. Renvoie-
les. Ils me fatiguent.
Il se leva, tenant sa robe de chambre serrée contre lui. Mais son visage
aux yeux couverts de mascara était celui d’une femme ! Comme ses pieds
nus, délicats, mignons et aux ongles rougis.
Julius D. le fixa.
— Mais…, fit-il, c’est la police…
Victor Hugo ricana.
— Ils te mentent. Des voyous, oui !… Chasse-les, sois un homme. Tu
payeras, tu as toujours payé.
Le vieux milliardaire, dont la vie depuis la fuite de Vienne, au temps de
l’Empire austro-hongrois, avait été faite de batailles au couteau, de
vacheries secrètes, de trahisons d’amitié pour un paquet d’actions en
supposition de hausse à Wall-Street, se mit à vaciller sur le parquet ciré de
son pavillon de banlieue.
— Victor Hugo, haleta-t-il, sois heureux.
Il vacillait de plus en plus. Il portait la main à sa poitrine, où son cœur
battait une chamade démente.
Edgar Andreat leva la main :
— Julius, tu me l’as pris… Mais je ne t’en veux pas…
Le vieux milliardaire dont le Boeing 707 privé dormait sur l’aire de
repos de l’aéroport de Cointrin fixa le long Français élégant.
— Shut up, you, fit-il, soudain rouge. Tu ne comprends rien. Les fins de
race, ça ne comprend pas certaines choses.
Il essaya de se redresser, sans y parvenir. Soudain, c’était comme si tout
le vieillissement normal des années, gommé par les implants, resurgissait en
force. Lui, lui si solide, si inépuisable, sentait ses jambes s’alourdir de
plusieurs tonnes. Le pourtour de ses yeux le brûlait comme s’il avait des
années d’insomnie derrière lui. Son cœur cognait, cognait, jamais il n’avait
éprouvé cette atroce sensation d’étouffement. Mais le pire n’était pas là ;
ses pensées le fuyaient, son cerveau ne fonctionnait plus. Il ne comprenait
plus ce qui se passait. Il devenait gâteux !
Ce fut son dernier accès de conscience : l’horreur de cette évidence, pire
que le dérèglement de la machine physique : il devenait gâteux ! Son âge
réel le rattrapait. Il vacilla cherchant des appuis aux meubles comme font
les vieux. Il ne les trouva pas : même à trente centimètres, les meubles
étaient trop loin pour lui. Il se laissa aller, abandonnant tout. Redevenu
enfant paniqué.
Julius D., petit juif viennois devenu l’un des cinq plus gros contribuables
américains, mourut sur le parquet ciré, après un dernier regard amoureux,
dans sa chute, vers le Courbet. Puis vers Victor Hugo. À peine son cœur
avait-il définitivement lâché que son visage s’affala, joue contre parquet. À
ras du pied nu du travelo brésilien.
Avant de mourir tout à fait, il eut un dernier sursaut. Il tendit les lèvres
vers le pied, et sa langue sortit, qui lécha, un centième de seconde, les
orteils aux ongles rougis de Victor Hugo. Avant de se rétracter.
Pour prendre, et pour toujours, l’apparence qu’ont, dans toutes leurs
parties, les corps glissés dans les tiroirs gelés des morgues. La fixité
absolue.
Même après un coup riche en émotions, il reste aux policiers à régler des
détails techniques. Ça leur prit un peu de temps de mettre au parfum les
collègues suisses, assez vexés d’arriver comme les carabiniers, et avec pour
seule gloire de s’occuper du corps de Julius D.
CHAPITRE XX
QUATRIEME
CHAPITRE PREMIER
CHAPITRE II
CHAPITRE III
CHAPITRE IV
CHAPITRE V
CHAPITRE VI
CHAPITRE VII
CHAPITRE VIII
CHAPITRE IX
CHAPITRE X
CHAPITRE XI
CHAPITRE XII
CHAPITRE XIII
CHAPITRE XIV
CHAPITRE XV
CHAPITRE XVI
CHAPITRE XVII
CHAPITRE XVIII
CHAPITRE XIX
CHAPITRE XX
TABLE
[1]
Veines du dessus de la main.
[2]
Association Sportive de la Préfecture de Police.
[3]
Voir Brigades Mondaines, n°26 (le Bouddha vivant) et n°46 (les Amants
de Singapour).
[4]
Fameux théoricien français de l’art de peindre (XVIIIe siècle).
[5]
Combineurs, professionnels de l’achat truqué qui hantent les salles des
ventes jour après jour à la recherche d’affaires à saisir, et se partagent
ensuite lesdites affaires au bistrot, entre eux, lors de nouvelles enchères
« privées ».
[6]
Les dimensions de tableaux se classent en catégories de proportions,
« Figure » est le rectangle le plus proche du carré. Puis il y a « Paysage »,
plus allongé horizontalement et enfin, « Marine ». Suivant la taille des
tableaux, et dans chaque catégorie, les proportions restent les mêmes, mais
chaque taille a une dénomination croissante, de 1 à 120. Exemple, un 1
Figure est un tableau de 22 sur 16. Et un 120 Figure, un tableau de 195 sur
130. Tous les marchands de châssis se conforment à ces règles.
[7]
Enfer d’une collection. Enfer d’une bibliothèque : œuvres ou ouvrages
interdits. Ne pouvant être officiellement montrés. Il y a des Enfers de
collectionneurs dans le monde entier.
[8]
Voir Brigade Mondaine n°11, la Mante religieuse.